Depuis que le Conseil d'Etat a retoqué l'arrêté ministériel sur la masterisation estimant que le ministère avait commis un « abus de pouvoir » sur cette réforme cruciale de la formation des enseignants, on attendait une réponse du côté de la rue de Grenelle. C'est par la voix du député UMP Jacques Grosperrin, par ailleurs auteur d'un rapport prônant la suppression des concours d'enseignement, que cette réponse vient d'arriver.
Alors que le gouvernement était appelé à rouvrir les négociations sur cet épineux dossier, dont même les députés UMP disent qu'il a conduit à un immense gâchis, la proposition de loi déposée le 10 janvier arrive comme une habile parade pour sauver la réforme. Plus besoin, dès lors que les principes de la masterisation sont inscrits dans la loi, de consulter le Haut conseil à l'éducation. « C'est un simple toilettage technique pour se mettre en conformité avec le Conseil d'Etat», affirme le député Jacques Grosperrin.
Mais en proposant de remplacer dans l’article L. 625-1 al. 1 du code de l'éducation la phrase « la formation des maîtres est assurée par les IUFM » par « elle est assurée notamment par les universités », la proposition de loi a déclenché une vague d'interrogations dans le monde enseignant. « Notamment »…, l'adverbe a mis le feux aux poudres. Graver dans la loi que la formation des enseignants est « notamment » du ressort des universités, ouvre la porte à d'autres acteurs, estiment en effet la plupart des syndicats enseignants. Pour le Snesup, c'est tout simplement le rôle « exclusif » des universités à former les profs qui serait ainsi supprimé. Par cette formulation, la loi laisse « la possibilité aux officines privées de prendre le relais, mettant ainsi en cause le lien enseignement-recherche consubstantiel d’une formation universitaire », affirme le syndicat dans un communiqué. Alors que la formation des enseignants a été déconstruite, pourquoi ne pas offrir au secteur privé une partie de ce service sur un plateau, et alléger, un peu, le fardeau de l'Etat ?
Le scénario n'est pas absurde. « En détruisant la formation, on a créé un vide, souligne Patrick Gonthier, secrétaire général du SE Unsa. Comme la nature a horreur du vide et que les besoins vont exister, cela laisse de la place à l'enseignement catholique, mais aussi aux officines privées. »
Fantasme sur un adverbe ? Le député Jacques Grosperrin affirme que la lecture des syndicats enseignants est erronée. « Nous n'avons pas du tout l'intention d'ouvrir la formation au privé, affirme-t-il. Par contre, si on supprimait l'adverbe "notamment", on exclurait de fait les écoles qui, à ce jour, proposent cette formation. Que faites-vous de Normale sup, de Sciences-po, de l'institut agronomique de Toulouse, de l'université de Lorraine (passée grand établissement, elle a un statut dérogatoire - ndlr) mais aussi des universités catholiques ?»
Du côté de Sauvons l'université, l'argument fait sourire. « Depuis quand Sciences-po forme les enseignants ? Ce n'est pas parce qu'on délivre un master qu'on forme les enseignants ! », s'étrangle Etienne Boisserie, président de SLU pour qui M. Grosperrin « maîtrise visiblement mal son sujet mais c'est sans doute pour ça qu'il est là ». Selon lui, la nouvelle rédaction proposée du code de l'éducation est une réponse directe à l'annulation par le Conseil d'Etat de la circulaire du 25 février 2010, qui comportait déjà une formulation ambiguë sur ce point. Plus qu'un simple « toilettage technique », la proposition de loi correspondrait plutôt à une vieille lubie de la droite de libéraliser ce secteur stratégique.
La suppression du « cahier des charges » sur la formation des enseignants, remplacé par un simple « référentiel » dans la proposition de loi (article L. 625-1 alinéa 2), est, elle aussi, loin d'être anodine. Alors que le cahier des charges imposait des contraintes fortes sur la formation en terme d'horaires notamment, le référentiel est, lui, des plus souples. Chaque université, ou chaque officine privée, serait libre de proposer sa propre formule de formation dès lors qu'elle respecte un référentiel a minima. Une rupture inacceptable du cadre national, jugent les syndicats enseignants. « Enfin, c'est déjà un peu ce qui se passe aujourd'hui », concède Jacques Grosperrin lorsqu'on l'interroge sur ce risque. En ce sens, sa proposition de loi ne ferait qu'acter des distorsions qui existent déjà. Pas très rassurant.
Soucieux d'aller vite sans doute, le gouvernement a poussé pour que la proposition soit examinée dans les plus brefs délais. « Cette question d'une extrême importance qu'est la formation des maîtres ne mérite pas d'être traitée ainsi », a prévenu en commission la députée communiste Marie-Hélène Amiable, très en pointe sur le sujet. « L'Etat renonce à tout engagement précis sur la formation des enseignants. Lorsque l'on met ça en lien avec l'autonomie des établissements, la possibilité de recrutement local ou la suppression à terme des concours…, on voit bien vers quel modèle on se dirige », assure-t-elle.
La proposition de loi devrait être examinée en commission dès le 8 février. Jacques Grosperrin, qui assure vouloir avant tout apaiser le débat, explique qu'il « auditionnera tout le monde » pour lever toutes les inquiétudes.