« On ne voit ni nécessité, ni légitime défense, ni discernement, ni proportionnalité. » Jeudi 24 novembre, le procureur adjoint de Bobigny a requis la condamnation de trois policiers dont le procès se tenait cette semaine au tribunal de grande instance. Ils sont les auteurs de six tirs de Flash-Ball qui ont fait six victimes le 8 juillet 2009, à Montreuil.
Parmi elles, Joachim Gatti a perdu son œil droit à cause de l’impact de la balle en caoutchouc dont la vitesse moyenne est évaluée à plus de 300 km/h. Le procureur a requis à l’encontre de celui qui l’a blessé, ainsi qu’un autre homme au front, trois ans de prison avec sursis, autant d’interdiction professionnelle et cinq ans d’interdiction de port d’armes.
A l’encontre des deux autres policiers, dont les tirs ont surtout occasionné des ecchymoses, le parquet a requis dix mois de prison avec sursis, dix-huit mois d’interdiction professionnelle et cinq ans d’interdiction de port d’armes. Le jugement devait être mis en délibéré après la plaidoirie de la défense, vendredi 25 novembre.
« Les prévenus ont pris des risques considérables en utilisant de manière illégale leur Flash-Ball », a insisté le magistrat du parquet Loïc Pageot. Les règles en vigueur à l’époque ne les autorisaient pas à employer dans le cadre d’un maintien de l’ordre un lanceur de balles de défense, sur lequel ils n’avaient d’ailleurs plus été entraînés depuis leur première habilitation, des années auparavant.
Dans son réquisitoire, Loïc Pageot a rappelé le déroulé des faits : les quinze personnes délogées au petit matin d’une clinique désaffectée qu’ils occupaient, le repas de rue organisé le soir en protestation et, peu après 22 heures, la cinquantaine de personnes qui s’était rapprochée de la clinique. Pour éviter que les lieux soient réinvestis, la police est intervenue et a fait six blessés en l’espace de treize minutes.
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Doutes sur le récit des prévenus
Les prévenus étaient-ils fondés à user de la force ? Les débats menés minutieusement par le président Dominique Pauthe n’ont eu de cesse de soulever des doutes sur leur récit de cette soirée d’été. Au point que le procureur s’est demandé « s’il n’y a pas eu des faux » parmi leurs dépositions et celles de leurs collègues.
La « pluie de projectiles » qu’ils ont d’abord décrite n’est plus, à force de recoupements, qu’un jet d’une à deux canettes de bière. L’attroupement offensif d’« anarchos » devient, d’après les voisins témoins de la scène, une foule plutôt éparse dont une partie reflue plus lentement qu’une autre. Les constatations faites sur place accréditent cette version, qui ne font état d’aucun bris de bouteilles ou de projectiles trouvés au sol ; d’aucun véhicule endommagé ; d’aucun blessé parmi les policiers…
L’un des prévenus a dit à la barre avoir « effectué un tir dissuasif pour rétablir l’ordre ». Un autre, qu’il avait tiré sur quelqu’un qui fuyait. Un troisième, n’avoir pas préféré user de gaz lacrymogène qui « rend inefficace l’action du policier ». Ils ont tiré parce que « c’est impressionnant, c’est dissuasif, cela fait peur », a conclu le procureur adjoint.
Le magistrat a également buté sur le fait qu’aucun des rapports rédigés ce 8 juillet par les policiers n’ait fait mention des blessés. « Comment le tireur peut prétendre ne pas avoir vu Joachim Gatti ? », a-t-il fait mine de s’interroger. Un message radio prouve a minima que le lieutenant chargé du dispositif avait été averti.
Le policier qui a blessé Joachim Gatti a aussi été pris en défaut de n’avoir pas utilisé les « organes de visée » du Flash-Ball et choisi pourtant de tirer, de nuit, sur un groupe, alors que l’imprécision de l’arme était déjà de notoriété publique. Même en visant, l’impact d’une balle lors d’un tir à douze mètres de distance peut varier de 60 centimètres. Sur les six personnes blessées, cinq l’ont été au-dessus de la zone autorisée du buste.
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Une affaire-symbole jugée tardivement
Le parquet a toutefois considéré que le « manquement grave et lourd » de la hiérarchie qui n’avait procédé à aucun rappel des règles ce jour-là, constituait une circonstance atténuante. Il a aussi averti que le procès de Bobigny n’était pas celui de « l’institution policière » ou de « l’ensemble des victimes du Flash-Ball ».
Un rappel utile tant les journées d’audience se sont parfois transformées en tribune politique. Treize témoins ont ainsi été cités par les parties civiles : d’autres victimes du Flash-Ball, d’autres témoins de violences policières, à Calais (Pas-de-Calais), dans les manifestations contre la loi travail, aux abords des foyers de sans-papiers ou ailleurs.
Des témoignages parfois « superfétatoires » dira le procureur. Mais suivis avec application par le président. La marque d’une attention particulière pour une affaire-symbole qui a tardé sept ans avant d’être jugée. Dans son ordonnance de renvoi, la juge d’instruction n’avait pas manqué d’épingler l’inertie du parquet. « C’est trop long », a reconnu Loïc Pageot, jeudi.
Il a aussi prévenu que la « dérive » générale de la police décrite par les témoins « ne peut trouver dans cette enceinte » une solution.
Dans la salle, l’assistance est restée coupée en deux toute la semaine et les tee-shirts « gardien de la paix mon œil » maculés de gouttes couleur rouge sang ont semblé répondre aux hauts de marque Lonsdale – prisée par les skinheads d’extrême droite – revêtus ostensiblement par certains soutiens des prévenus.
Jeudi, la tension a atteint son paroxysme lorsque la salle a dû être évacuée puis rouverte au compte-gouttes pour s’assurer que chaque « camp » avait fait rentrer le même nombre de soutiens. Quand des policiers en civil ont eu le malheur de franchir la ligne, les protestations ont été telles – « Dehors les agresseurs » et autres « Je m’assoie pas à côté de vous » – que les plaidoiries ont été interrompues. « Il y a deux mondes qui s’affrontent ici », a estimé l’avocat d’un des policiers, Me Laurent-Franck Liénard, au sortir de l’audience. Plus tôt, le conseil des parties civiles, Me Irène Terrel, avait répété : « L’impunité crée des monstres. »