Dimanche, pour le premier des «Sarko shows» géants, programmé au parc Chanot de Marseille, l'UMP promet de ridiculiser le Bourget de François Hollande. En 2007, c'est dans cette salle que le champion de la droite avait livré son dernier discours de campagne, 72 heures avant le premier tour. A l'époque, le coût de l'opération avait atteint 333.538,22 euros. Comment brûler tant d'argent en si peu de temps ? Pour comprendre, Mediapart publie en exclusivité les factures du meeting de 2007, enfouies dans le compte de campagne de Nicolas Sarkozy – 27 cartons en tout, déposés sur les bureaux de la CNCCFP (la commission nationale chargée de contrôler les dépenses et recettes de tous les candidats).
Si l'ensemble de ces documents ont été saisis en décembre par les juges bordelais qui instruisent le volet politico-financier de l'affaire Bettencourt, Mediapart avait pris soin d'en photocopier une partie (voir les détails dans la Boîte noire). Pour observer la prestation de dimanche avec un œil averti, voici donc une sorte de radiographie comptable du meeting du 19 avril 2007 : tout ce que Nicolas Sarkozy a dépensé poste par poste, de son maquillage à sa «sécurité médicale», en passant par les cars de militants.
Ces chiffres pourraient paraître anecdotiques, si la moitié des frais engagés au fil de la campagne n'avaient été remboursés par l'Etat (10,8 millions sur 21 millions de dépenses, comme le prévoit la loi). Si ces factures, surtout, n'avaient pas été signées par Eric Woerth en personne. A l'époque, le député de Chantilly, trésorier de l'UMP, présidait l'Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy (AFCNS), sise rue La Boétie ; depuis le 9 février, il est mis en examen pour «trafic d'influence passive » et «recel » de 150.000 euros d'argent liquide au bénéfice de l'AFCNS, une somme présumée soutirée à Liliane Bettencourt. Au passage, le nom de l'expert-comptable qui a revu le compte avant sa livraison à la Commission vaut le détour : Bernard Godet, décoré le 13 juillet 2008 de la Légion d'honneur sur le contingent du ministre du budget d'alors, Eric Woerth.
A l'époque, Nicolas Sarkozy avait déboursé en tout 12,38 millions d'euros en réunions publiques. Pendant des mois, le matériel avait circulé dans un semi-remorque d'une ville à l'autre, avec une «flight-case » en plexiglas pour protéger le pupitre sur-mesure du candidat, se souvient un prestataire.
Ce 19 avril 2007, à Marseille, des milliers de spectateurs débarquent eux aussi en cars – au moins 67 ont été affrétés pour plus de 39.000 euros, auxquels s'ajoutent des «frais de déplacement divers». Nicolas Sarkozy, pour sa part, semble voyager en jet, puisqu'on retrouve une location d'« avion » à 37.769 euros.
La salle (la même que celle réservée dimanche) coûte alors 59.325 euros TTC – prix comprenant la location de 6500 m2 « nus », le montage/démontage des structures, 2.794 euros de cloisons (pour la loge du candidat par exemple), le nettoyage («enlèvement des moquettes jetables non compris»), etc. L'aménagement en mobilier (chaises, etc.), assuré par l'entreprise francilienne Jaulin, grimpe à 49.413 euros.
Ci-dessous, un récapitulatif des frais liés au meeting :
Recapitulatif-partiel-marseille-2007 (à voir sur le site de Médiapart)
A trois jours du premier tour, l'équipe du candidat lance en plus à Marseille l'opération «72 heures pour gagner» : 160.094 euros de gadgets, dont 49.700 euros de «tee-shirts» floqués, 54.300 euros de «badges, ballons et stickers», etc. Les quelque 20.000 spectateurs, selon La Provence, sont inondés.
Dans le compte, suivent une ribambelle de «petites» prestations :
• 956 € pour la maquilleuse personnelle de Nicolas Sarkozy, qui le suit sur tous ses meetings
• 911 € pour un «chargé de sécurité» qui s'ajoute aux fonctionnaires du SPHP (le service de protection des hautes personnalités), affectés aux différents candidats pendant les présidentielles
• 1.148 € de «sécurité médicale»
• 2.377 € pour deux «interprètes» en langue des signes
• 4.880 € de «traiteur»
• 1.227 € de badges (identifier les journalistes s'avère essentiel pour mieux les cantonner dans des espaces dédiés)
• 2.667 € pour 200.000 tracts
•1.817 € pour 60.000 cartons d'invitation (mais 25.952 € de frais d'envoi)
Ce qui grève surtout le budget, c'est le poids des équipements mobilisés pour l'éclairage et le son, ainsi que la vidéo. A l'époque, les deux premiers sont assurés par l'entreprise Lumison, déjà engagée au côté de Jacques Chirac en 2002, qui facture 31.133 euros. Diffuser sans coupure, sans parasite, requiert le recrutement d'une énorme équipe. En vrac, on repère :
• 3 «pupitreurs», chargés d'optimiser le son du discours
• 6 «sonorisateurs»
• 3 «ingénieurs son»
• 3 «chefs de chantier son»
• 6 «électriciens»
Nicolas Sarkozy n’a aucun « retour son » dans l’oreille, mais un petit haut-parleur dissimulé à ses pieds, dans son dos, lui permet de « s’entendre ». Quant à l’image, outre l’écran géant à l'extérieur (9.530 euros), l’équipe de campagne met le paquet à Marseille. Pour 33.229 euros, l’entreprise ETC installe à l’intérieur du hall :
• 4 vidéoprojecteurs, pour 4 « mosaïques » de 2 mètres de haut
• 2 écrans plasma Pioneer 16/9
• 6 « écrans direct »
• et même trois petits écrans LCD de 50 cm dans la loge du candidat (205 €)
Si Jacques Chirac utilisait un prompteur en 2002, « importé » des Etats-Unis par sa fille Claude, Nicolas Sarkozy n’en dispose pas en 2007.
Enfin, il faut soigner la « captation » d’images pour les retransmettre en direct sur internet (2.840 euros), et surtout les « offrir » clefs en main aux chaînes de télé. Ce dispositif destiné à mieux contrôler la représentation du candidat, inédit jusqu'en 2007, déclenche alors une polémique, les reporters télé se voyant parallèlement interdits de circulation et cantonnés sur un « plateau » collectif à une quinzaine de mètres du pupitre. Pour le syndicat de journalistes SNJ-CGT, «ce type de documents, fournis par les organisateurs, est à proscrire des reportages». Mais en 2007, les chaînes cèdent les unes après les autres à la facilité et diffusent ces images préfabriquées, conditionnées.
C’est ainsi qu'à Marseille, ETC facture à Nicolas Sarkozy un « plateau 4 caméras », « un boîtier distribution presse », un « ingénieur de la vision », deux « techniciens vidéo », deux « assistants montage », etc. Rien n’est trop beau pour alimenter les JT et chaînes d’info continue.
Au bout du compte, cette manifestation n'aura pas été la plus dispendieuse des meetings sarkozystes de 2007. Comme l'a déjà écrit L'Express, trois ont coûté plus cher : celles du Zénith à Paris (plus de 640.000 euros), de Bercy (470.000) et de Lyon (400.000). Cette année, ces chiffres semblent déjà enfoncés par François Hollande : à en croire des confidences de son équipe de campagne à Libération ou au Monde, sa réunion du Bourget aurait coûté plus de 800.000 euros. Nicolas Sarkozy repassera-t-il en tête dimanche ?