D’une part, l’Article 140 de la constitution fédérale stipule l’existence d’un « référendum obligatoire », lorsque le Conseil fédéral soumet au peuple l’approbation de textes modifiant la constitution, acceptant l’adhésion de la Confédération « à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales » ou instaurant des « lois fédérales déclarées urgentes qui sont dépourvues de base constitutionnelle et dont la durée de validité dépasse une année ».
D’autre part, le citoyen est appelé à s’impliquer lui-même dans la vie de son pays par l’intermédiaire de ladite « initiative populaire » dont la définition est fournie en ces termes par les alinéas 1 et 5 de l’Article 139 de la Constitution : « 100 000 citoyens et citoyennes ayant le droit de vote peuvent, dans un délai de 18 mois à compter de la publication officielle de leur initiative, demander la révision partielle de la constitution suisse » ; dans ce cas « toute initiative revêtant la forme d’un projet rédigé est soumise au vote du peuple et des cantons. L’Assemblée fédérale en recommande l’acceptation ou le rejet. Elle peut lui opposer un contre-projet ».
Par conséquent, fédéralisme oblige, que ce soit pour l’approbation d’un texte engageant une modification de la constitution ou pour celle d’une initiative populaire, il est nécessaire de regrouper une « double majorité » respectant à la fois la volonté du peuple et celle des cantons.
Une particularité suisse
Bien que conservatrice, la majorité gouvernementale accueille deux Conseillers fédéraux socialistes sur sept, ceux-ci travaillant souvent en parfaite harmonie avec leurs collègues du centre ou de la droite ; d’ailleurs souvent mieux que ne le font les cinq autres membres du gouvernement, les rivalités entre les formations bourgeoises étant de plus en plus exacerbées depuis plusieurs années. Malgré de nombreux désaccords politiques, le Conseil fédéral n’a jamais été perçu comme un lieu d’affrontements majeurs. Et si, par mégarde, un parti ou un Conseiller fédéral s’aventurait dans cette brèche, il devrait tôt ou tard en payer le prix. Tel fut le cas de l’ancien Chef de la très droitière Union Démocratique du Centre (UDC), Christoph Blocher, qui ne fut pas réélu dans ses fonctions de Chef du Département de la Justice et de la Police en 2007.
Un instrument de clivage
Faut-il rappeler ici que les hommes suisses ont longtemps dit non au droit de vote des femmes, ne l’instaurant qu’en 1971 ? Que penser aussi du rejet en 1986 de l’adhésion de la Confédération à l’ONU, au grand dam d’ailleurs de la ville de Genève qui ne s’est que difficilement remise de ce vote, tant ce scrutin a porté atteinte à sa vocation de « ville internationale » ? Aura-t-il alors fallu plus de quinze ans pour que la diplomatie suisse se remette de cet affront que lui avait infligé son peuple. Celui-ci, bel et bien obligé de se rendre compte en 2002 de l’énorme bourde qu’il avait commise, fut alors contraint de reconnaître son erreur et de rectifier le tir au début du 21e siècle.
Quant à l’Europe, la Suisse ne cesse d’avoir recours au référendum pour corriger quelque peu son vote négatif du 6 décembre 1992, lorsqu’une infime majorité des électeurs a refusé l’adhésion de la Confédération à « l’Espace Économique Européen ». Depuis lors, les scrutins se succèdent pour atteler le wagon suisse à la construction européenne, via des négociations dites « bilatérales » entre l’Union européenne et un pays qui voudrait bénéficier de tous les avantages de l’Europe communautaire sans en supporter le moindre de ses inconvénients.
Du référendum au plébiscite
Cette question n’est pas saugrenue à l’heure, où le référendum fait son retour en force sur la scène politique française. Rien ne dit que les Français voteraient autrement que ne l’ont fait les Suisses. Rien ne dit que les Français seraient moins hostiles aux étrangers que ne le sont les Suisses. Rien ne dit que les Français seraient plus ouverts à l’Europe que ne le sont les Suisses. Mais tout plaide à croire, en revanche, que les Français seraient plus exposés que ne le sont les Suisses à une crise de leur système démocratique.
Dotée d’un Président fort, seul habilité à soumettre un projet de loi par référendum, la France a tout à se méfier d’une dérive plébiscitaire de ses institutions. Alors que la Suisse a trouvé un équilibre entre d’une part un exécutif faible et consensuel et la pratique de la démocratie directe d’autre part, la France ne l’a jamais cherché. Pire, elle semblerait vouloir instaurer un double exécutif dominant : un Président fort recourant avec force à l’arme du référendum. Si tel devait être le cas, cela serait, ni plus ni moins, une preuve de faiblesse pour la démocratie française.