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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 16:13
Vendredi 9 Mars 2012 à 15:00

 

Tefy Andriamanana
Journaliste à Marianne, j'écris sur le numérique ainsi que sur les questions de police/justice...

 

Nicolas Sarkozy, à la suite de Marine Le Pen, vient de proposer la création d’une carte vitale biométrique. Hasard du calendrier, une loi vient d’être votée pour mettre en place une carte d’identité biométrique. Une aubaine pour les entreprises de ce secteur en pleine expansion.

 

Dans l’échelle du hochet sarkozyste, il y a le sans-papier qui égorge un mouton dans sa baignoire puis le musulman qui veut rendre le halal obligatoire à la cantine et enfin le fraudeur à l'assurance maladie, plus exactement l'assuré fraudeur et évidemment pas le médecin, électeur potentiel. Jeudi sur RMC, Nicolas Sarkozy a trouvé l’idée majeure pour lutter contre le fléau : créer une Carte Vitale biométrique. « Il nous impose de lutter contre la fraude, il nous impose de demander un effort aux Français comme aux étrangers qui en bénéficient », s’est-il justifié. 
 
En 2004, la réforme de l’assurance maladie prévoyait déjà la mise en place d’une Carte vitale biométrique avec les empreintes de l’assuré pour 2006. Raté. La mesure a fait son retour dans un rapport de la Mission d'évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (Mecss) de l'Assemblée nationale en juin 2011. Elle n’a jamais vu le jour en raison du coût du dispositif. Et cette idée a été récemment reprise par Marine Le Pen.
 
La candidate FN brandit d’ailleurs souvent le chiffre de « 10 millions de fausses Cartes Vitale ». Mais ce chiffre qui vient d’un rapport de l’Igas datant de 2004 fait référence aux cartes en surnombre et non aux cartes falsifiées. En effet, une personne qui a du refaire une nouvelle carte n’est pas obligée de rendre l'ancienne. De plus, l’Igas a souligné dans son rapport qu’en matière de fraude, « les risques réels sont limités. Dans les faits, les cartes Vitale non récupérées sont rarement utilisées ». Et les montants de la fraude à l'assurance maladie des assurés sont minimes par rapport à celle des professionnels de santé : 2,5 millions d'euros en 2010, sur un niveau total de fraude de... 156 millions.

Un marché de 9,4 milliards de dollars en 2014

Peu importe, la biométrie, c’est le nouveau dada de Sarkozy. Hier, la proposition de loi créant la carte d’identité biométrique a été adoptée. La nouvelle carte contiendra notamment les empreintes de son détenteur. Un fichier national est aussi mis en place avec les empreintes de tous les propriétaires d’une carte biométrique, les services de police auront accès à ce fichier dans le cadre de leurs enquêtes. Mais l’argument sécuritaire est mis à mal par le fait que si la carte est censée être sécurisée, les documents permettant de l’obtenir ne le sont pas comme l’explique le journaliste Jean-Marc Manach.
 
La justification se trouve donc ailleurs. Dans son rapport sur le texte, le député UMP Philippe Goujon, a été clair : « Les principales entreprises mondiales du secteur sont françaises, dont 3 des 5 leaders mondiaux des technologies de la carte à puce, emploient plusieurs dizaines de milliers de salariés très qualifiés et réalisent 90 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation. Dans ce contexte, le choix de la France d’une carte nationale d’identité électronique serait un signal fort en faveur de notre industrie ». Le député Goujon avait également défendu plusieurs amendements favorables aux entreprises privées de sécurité dans le cadre de la Loppsi 2.
 
Derrière la carte biométrique, il y a donc d’importants intérêts économiques en jeu. D’ailleurs, selon Owni, 14 représentants du Gixel, le lobby du secteur, ont été auditionnés au Sénat dans le cadre de cette proposition de loi. Le marché de la biométrie est en pleine expansion. Selon l'International Biometric Group, le marché mondial devrait passer de 3,4 milliards de dollars en 2009 à 9,4 milliards en 2014.

Safran n°1 mondial

Parmi les principaux leaders français, il y a d'abord Morpho, filiale du groupe Safran et n°1 mondial. L’entreprise a remporté en 2010 un marché de 1,5 milliards de dollars pour collecter les empreintes digitales et scans de l’iris de l’œil de la population indienne. Manque de chance, le projet a été arrêté en décembre dernier. 
 
Il y a aussi Thalès qui revendique avoir délivré plus de 250 millions de titres d’identité dans plus de 25 pays. En 2008, l’entreprise a remporté le marché anglais pour la mise en place d’une carte d’identité biométrique. Re-manque de chance, en 2010, le nouveau gouvernement conservateur a annulé le projet au nom de la défense des libertés publiques. On peut aussi citer Gemalto, fabricant de la Carte vitale, ou ST Microelectronics.
 
Le lancement de la carte d’identité biométrique devrait donc ravir le secteur. Un appel d’offres devrait être lancé fin mars. Un nouveau marché d'autant plus salutaire que l’industrie de la biométrie a déjà un contentieux avec la France. En octobre 2005, le ministère de l’Intérieur, dirigé par un certain Nicolas Sarkozy, décide d’attribuer la fabrication des nouveaux passeports électroniques à Oberthur, à l’époque poids lourd français du secteur. Le groupe a vendu en novembre dernier son activité cartes à puce au fonds américain Advent international pour 1,15 milliards d’euros.

Lobbys

Le problème est qu’en France, c’est l’Imprimerie nationale, entreprise publique, qui a le monopole de la fabrication des pièces d’identité, elle peut en sous-traiter la conception de la puce au privé mais elle doit garder la mainmise sur le processus. Un principe fixé par une loi de 1993 signée par … Nicolas Sarkozy alors ministre du Budget.
 
En avril 2006, le Conseil d’Etat annule le marché et Oberthur s'est retrouvé floué. Le ministère de l’Intérieur lui aurait alors versé 3,2 millions d’euros en guise de dédommagement (l’entreprise en demandait 11). Comme par hasard, en juillet de la même année, plusieurs députés UMP ont signé une proposition de loi mettant fin au monopole de l’Imprimerie nationale. Parmi ces députés, Pierre Méhaignerie, maire de Vitré… où se trouvait une usine de cartes à puces Oberthur, avant son rachat par Advent. La droite sait donc se soucier de sécurité. Enfin, de celle des actionnaires surtout.
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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 14:37

LEMONDE.FR | 09.03.12 | 11h21   •  Mis à jour le 09.03.12 | 15h39

 
 

 

 diminueraient leur risque d'attaque cardiaque et cérébrale de 24 % et de 13 % respectivement, comparativement à des personnes qui n'ont jamais reçu ces soins dentaires.

diminueraient leur risque d'attaque cardiaque et cérébrale de 24 % et de 13 % respectivement, comparativement à des personnes qui n'ont jamais reçu ces soins dentaires.AFP/DIDIER PALLAGES

Report des soins, aller-retour en Hongrie ou en Roumanie…, face à un devis élevé, voire inabordable, présenté pour une prothèse dentaire, chacun a sa façon de faire. Mais les prix pratiqués par les chirurgiens-dentistes et les faibles remboursements de l'Assurance-maladie et des complémentaires de santé irritent fortement. Tous ces parcours font suite à un appel à témoignages sur le renoncement aux soins lancé sur LeMonde.fr à l'automne 2011. La question des frais dentaires avait clairement émergé des nombreuses réponses alors reçues.

  • Plutôt rien qu'un dentier

Cela fait quatre ans qu'Eric (prénom d'emprunt), professeur des écoles dans le sud de la France, doit se faire poser cinq dents sur pivot. "A gauche, j'ai ma prémolaire, et plus rien après, je risque un déchaussement", détaille-t-il. Il a vite compris que c'était "un luxe". La facture est inabordable : 12 500 euros... dont 10 500 à sa charge. Il est divorcé, a deux enfants à charge, et une maison à payer. "Cela faisait 2 500 euros par dents, bien plus que ce que je gagne par mois." Il a fait faire plusieurs devis, croyant à une plaisanterie en découvrant le premier. C'était toujours les mêmes prix. Il a voulu se faire poser une seule dent, on lui a dit que cela ne tiendrait pas, qu'il fallait faire la rangée.

Une autre solution a été présentée : un dentier. Mais Eric n'a pas pu se résoudre poser chaque soir un appareil dans un verre". "J'ai préféré un trou que la honte. Un dentier, ça passe à 90 ans, pas à moins de 40." La décision a donc été prise : "Renoncer à ces soins et continuer avec ma bouche édentée"... , du moins "tant que cela n'est pas trop grave". Pour lui, "les tarifs des chirurgiens-dentistes, c'est du délire complet. Quelle belle société ! Quelqu'un qui a fait des études et toujours travaillé n'a même plus les moyens de se faire soigner". Autour de chez lui, il n'y a plus d'ophtalmo en secteur 1, cela fait plus de dix ans qu'il n'a pas fait contrôler sa vue.

  • D'accord pour jouer le cobaye

L'addition est lourde pour la famille G., qui habite dans le sud-est de la France. Bertrand, 34 ans, technicien, a besoin de se faire poser deux couronnes et deux implants depuis trois ans. Sa femme, trois couronnes depuis deux ans (elle vient d'en faire poser une). Sur le devis, les prix qui se sont affichés ont été jugés trop élevés : 3 500 euros pour les implants, et 465 par couronne. Ils ont trois enfants, et à eux deux, gagnent 2 300 euros : "juste assez et pas trop", commente le jeune homme. Après s'être renseigné sur les remboursements de la Sécu et de sa mutuelle, il a vite vu qu'il ne pourrait pas engager de tels frais. Mais son dentiste, qui lui-même ne pose pas de prothèses, lui a dit : "à ce jour, seuls les implants sont envisageables"... "Et bien, je reste édenté, en attendant des jours meilleurs", résume-t-il, précisant que ce n'est pas gênant d'un point de vue esthétique, puisque qu'il s'agit de molaires. Finalement, Bertrand s'est dit qu'il fallait bien que les étudiants chirurgiens-dentistes "s'entraînent sur des cobayes". Pourquoi pas sur lui ? Il a envoyé son dossier à la faculté de Lyon, ne sait pas encore combien cela va lui coûter, mais son dentiste lui a dit que ce serait moins cher.

  • Un vieil appareil rafistolé

Véronique F. (le prénom a été changé) s'est cassée une dent de devant en mangeant. C'était il y a deux ans. Cette dent était déjà abîmée, mais elle n'avait – déjà– pas eu les moyens de poser une couronne. Cette fois, avec un trou si mal placé, il a bien fallu trouver une solution. Il y en avait pour "pratiquement 3 000 euros". Inenvisageable. Mais inenvisageable pour elle aussi d'aller travailler ainsi. En attendant, son dentiste lui a "rafistolé un vieil appareil dentaire pour être présentable". Elle l'avait depuis quinze ans, et ne le portait pas – elle n'en voyait pas l'utilité puisque c'était pour des molaires. C'était ça ou un emprunt auprès de sa banque.

Il y a an, elle a fait faire un autre devis "chez un dentiste mutualiste". La facture était moins chère, 1 400 euros, dont 1 000 de sa poche. Mais sa voiture est tombée en panne. Véronique en a besoin pour aller travailler. Elle est aide à domicile à temps partiel, fait aussi quelques heures de ménage dans des entreprises et du soutien scolaire. Elle touche un peu plus de 600 euros par mois. Si on ajoute les allocations qu'elle touche, sa fille et elle vivent avec 800 euros. L'appareil bricolé lui a coûté "dans les 100 euros". "C'est comme un outil de travail", résume-t-elle. Elle vit dans l'angoisse qu'il casse. "Je ne le mets que pour aller à l'extérieur, pour être présentable, et je l'enlève toujours pour manger."

  Avec toutes ses dents en moins, à 49 ans, elle s'est habituée à manger des purées et du steak haché. Son dentiste l'a prévenue qu'elle risquait d'avoir des problèmes de digestion. Véronique espère pouvoir rajouter peu à peu de nouvelles dents à l'appareil. Si elle a tenu à témoigner, ce n'est pas pour "jouer les victimes", tient-elle à préciser, mais parce qu'elle a discuté du sujet avec bien des personnes : "Elles ont les mêmes soucis, je sais que mon cas n'est pas unique." Elle n'a pas demandé la CMU-C – "une question d'honneur" selon elle –, et paye 65 euros de mutuelles par mois pour "un contrat de base qui prend en charge l'hôpital, le médecin et les médicaments, mais qui n'est pas terrible pour les dents". "Faudrait payer beaucoup plus pour être bien remboursée", dit-elle. Elle ne peut pas. "Je ne comprends pas pourquoi de tels prix sont pratiqués ", finit-elle par lâcher.

  • Deux aller-retour en Roumanie

Avec plus de 4 000 euros nets par mois, Christian Prado a de quoi vivre. Mais il a aussi beaucoup de dents à remplacer... Il y a d'abord "un bridge en fin de vie", avec trois dents concernées par la pose d'un implant (1 400 euros) et d'une couronne (600 euros). Et puis deux autres, voire trois, de l'autre côté, à force d'avoir laissé traîner et mangé toujours du même côté, ont été fragilisés. Il fallait arracher. L'informaticien a examiné le devis, qui s'élevait à 12 000 euros, a calculé ce qui resterait à sa charge – 7200 euros– et s'est dit qu'il avait certes les moyens financiers pour éviter de se faire poser un dentier, mais pas le budget à ce moment-là pour suivre le parcours classique. Il a donc cherché une alternative. Il a questionné un autre praticien que le sien, s'est tourné vers sa mutuelle aussi, mais n'a pas trouvé de solution moins chère.

"C'est l'omerta en France ", juge-t-il. Il s'est ensuite tourné vers Internet. Il avait entendu parler de la Hongrie, avait des liens en Tunisie, mais il craignait d'avoir un problème post-opératoire une fois rentré. Finalement, il a trouvé un dentiste français qui opère en Roumanie, et exerce en France. Une première opération a eu lieu fin 2011. Une deuxième est prévue en juin. A sa charge, voyages compris, il restera 3 750 euros. "Cela reste un montant, mais la différence de prix a accéléré ma décision", explique-t-il.

  • Plus qu'un mois de salaire

Dans le couple, tout deux auraient besoin d'engager de gros frais dentaires. Lui risque une infection s'il ne change pas un bridge abîmé par le retrait des dents de sagesse, suite à deux gingivectomies. Elle a un appareil à refaire et des dents "qui s'en vont". Mais rien ne sera entrepris, explique Mireille Allaigre. Les calculs sont vite faits, il y en a pour 3 500 euros pour son mari, dont 1 500 euros à sa charge, soit "un mois de salaire". Pour elle, 2 500 euros, dont 1 200 de sa poche. Soit 2 700 euros pour les deux.

Ils gagnent environ 2 100 euros par mois à deux, et ont un enfant à charge. Après une longue période de chômage, Mireille a retrouvé du travail en juin 2011 pour un an à mi-temps, et devra bientôt à nouveau chercher. Mais à 54 ans, elle sait que ce sera difficile. Comment mettre autant de côté dans cette situation ? Il faudra donc encore attendre. Mais "la pilule est un peu dure à avaler" : "On cotise, on paye une mutuelle, mais on ne peut pas se soigner", s'énerve-t-elle. Le montant de la cotisation à leur complémentaire s'élève à 122,56 euros par mois. "On paye des assurances pour rien, ça sert à ceux qui ont du fric", résume-t-elle.

 

>>> Lire l'article "Les soins dentaires sont devenus inaccessibles" et "A Lyon, l'ouverture de cabinets low cost dérange".


Laetitia Clavreul

 


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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 14:32

 

LEMONDE | 09.03.12 | 11h22   •  Mis à jour le 09.03.12 | 15h39

 

 

 

Face à la hausse des dépassements des frais dentaires, l'assurance-maladie entame, vendredi, des négociations avec les dentistes.

Face à la hausse des dépassements des frais dentaires, l'assurance-maladie entame, vendredi, des négociations avec les dentistes.AFP


Quand il a vu le devis, cet instituteur a compris qu'il ne ferait pas poser les cinq dents sur pivot que son dentiste jugeait nécessaires : la facture s'élevait à 12 500 euros, dont 10 500 à sa charge, après remboursements de la Sécu et de sa mutuelle. "J'y ai renoncé, et ai continué avec ma bouche édentée", lâche-t-il. C'était il y a quatre ans. Il en est toujours là. Une situation courante. Qui n'a pas, en effet, devant un devis pas forcément aussi élevé, pesé le pour et le contre? Pour décider d'engager les frais plus tard. Voire jamais.

 

>>> Lire l'intégralité des témoignages, "Des dents en moins, et pas les moyens".


Vendredi 9 mars commencent des négociations conventionnelles entre chirurgiens-dentistes, assurance-maladie et complémentaires de santé. Personne n'en attend beaucoup. Pourtant, tous ces acteurs et les associations s'accordent sur un point : les prix des prothèses sont devenus un frein à l'accès aux soins.

Le dentaire représente les deux tiers des renoncements aux soins (ou reports) pour raison financière. Face à l'incapacité de payer, chacun a sa façon de faire. Véronique (le prénom a été changé) s'est cassé une dent de devant il y a deux ans. Elle est aide à domicile. Il lui était inenvisageable d'aller travailler avec "un trou" si mal placé, et tout autant inenvisageable de payer une prothèse. Son dentiste a rafistolé un vieil appareil fabriqué pour des molaires. Elle le porte "à l'extérieur", et ne mange surtout pas avec, de peur qu'il ne se casse.

 

"PROBLÈME DE LAISSER-FAIRE"

D'autres passent par les écoles dentaires, ou retardent le passage chez le dentiste – aux urgences de la Pitié-Salpêtrière à Paris, le nombre de consultations est passé de 13 412 en 2010 à 21 308 en 2011. D'autres encore optent pour l'étranger. C'est ce qu'a fait Christian Prado, informaticien, qui vient d'être opéré en Roumanie par un chirurgien français. Il avait six dents à remplacer. Ce qu'il devait mettre de sa poche est passé de 7 200 à 3 750euros. "Cela reste un montant, mais cette différence a accéléré ma décision", dit-il.

Il y avait déjà les réseaux mutualistes, il y a désormais des centres dentaires low cost. La profession s'en émeut, arguant qu'ils délaissent les soins mal rémunérés par la Sécu et se concentrent sur les prothèses, plus lucratives. Mais leur apparition en dit long: "Ils sont la vitrine de l'incapacité de l'Etat à gérer ce problème des soins dentaires", juge Roland L'Herron, président de la Confédération nationale des syndicats dentaires.

A l'Union nationale des associations familiales (UNAF), la dérive du système inquiète. "Le décalage entre les tarifs des chirurgiens et les remboursements, c'était déjà un problème il y a cinq ans", affirme Nathalie Tellier, chargée de mission. Elle pointe "davantage un problème de laisser-faire que d'envolée des prix".

 

 

Des frais très variés selon les contrats des complémentaires.

 

Des frais très variés selon les contrats des complémentaires. JALMA, DRESS : COMPTES NATIONAUX DE LA SANTE

"Les prix des soins dentaires sont stables ou en faible augmentation", explique Mathias Matallah, pour le cabinet d'études Jalma. Mais c'est sur les prothèses que la hausse est la plus dynamique. Surtout, la part des ménages est élevée. Selon Jalma, pour un prix médian de 516 euros la couronne, 244 euros restent à leur charge en moyenne. Et 409 euros s'ils ont une complémentaire "entrée de gamme".

 

SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLE

C'est en 1986 que les tarifs des prothèses ont été libérés – certains produits sont un peu pris en charge, comme les couronnes, d'autres pas, comme les implants. C'était là le moyen de permettre une hausse de revenus des dentistes, sans impact pour la Sécu. Les soins de base (caries…) et les soins chirurgicaux (extractions…), eux, sont pris en charge à 70 %. Mais, tout le monde le reconnaît, les tarifs payés par la Sécu aux dentistes sont éloignés des coûts réels. C'est donc avec les dépassements qu'ils compensent.

"Les tarifs ne bougent pas, on tire pourtant la sonnette d'alarme depuis des années", s'énerve M. L'Herron, au nom d'une profession qui "refuse de porter le chapeau". En septembre 2010, cependant, la Cour des comptes avait relevé qu'une hausse de tarifs octroyée en 2006 n'avait pas permis une maîtrise des dépassements, ce qui était pourtant l'effet escompté. Elle dénonçait une absence de politique globale sur ce secteur, dont l'assurance-maladie s'est peu à peu désengagée. Certes, elle n'y a jamais été aussi présente que sur les soins médicaux (75 %), mais, en 1980, elle prenait en charge 50 % des soins dentaires, contre 34 % aujourd'hui (et 18 % pour les prothèses). Les mutuelles ont compensé, et s'agacent de voir les dentistes remplir leurs devis selon la mutuelle du patient.

Aujourd'hui, les chirurgiens se disent prêts à faire un effort sur les dépassements si les tarifs sont revalorisés. Une décision que tout le monde juge utile. Mais, vu le déficit de l'assurance-maladie, un geste conséquent est peu probable, et encore moins une vraie réforme d'un système à bout de souffle.

L'UNAF réclame au moins un encadrement des dépassements. L'assurance-maladie y est favorable, et veut commencer par l'orthodontie, où le problème est tout aussi criant, voire plus. Les dentistes accepteront-ils s'il y a peu dans la balance? Les dépassements représentent 4 milliards d'euros par an, plus de la moitié du total des honoraires. Un montant en hausse chaque année.

 

>>> Lire notre article, "A Lyon, l'ouverture de cabinets low cost dérange".


Laetitia Clavreul

 


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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 16:21

 

| Par rachida el azzouzi

S. s'est mise aux antidépresseurs : elle en a « besoin pour tenir ». « Au boulot, rien ne va plus. » Elle ne reconnaît plus l'association qui l'emploie depuis plus de trente ans. Ses collègues « tombent comme des mouches ». « En ce moment, la moyenne, c'est deux arrêts de travail par semaine, des arrêts justifiés, pas de complaisance », dénonce-t-elle, la voix tremblante. Et pas n'importe qui : « Des bons, des solides, des responsables de service, craquent sous la pression de la hiérarchie, qui mène, tambour battant, une vaste restructuration à l'opposé des valeurs et de l'éthique de la maison. »
  

S. a peur de témoigner à visage découvert comme la plupart de ses collègues, cités tout au long de cet article. « Peur des représailles, qu'on me mute, me mette au placard ou me licencie » : « C'est arrivé à plusieurs d'entre nous. » S. travaille au sein de l'Afpa, l'association pour la formation professionnelle des adultes. La vénérable institution, un poids lourd né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour couvrir les besoins urgents de la reconstruction de la France, est engagée depuis 2009 dans de vertigineuses réformes qui l'ont plongée dans la crise.

 

Le centre Afpa d'Amiens 
Le centre Afpa d'Amiens© Rachida El Azzouzi

 Le financement de cet organisme indispensable au bon fonctionnement de l'emploi a été radicalement revu. D'outil du service public aux mains de l'Etat, l'Afpa est passée, décentralisation oblige, dans le giron des régions, déjà étranglées. Et surtout, en vertu des règles européennes, elle ne peut plus toucher de subventions et doit répondre aux appels d'offres comme n'importe quel organisme de formation sur le marché du public comme du privé. Ce virage brutal a plongé dans le grand bain de la concurrence ce mammouth, deuxième organisme de formation en France après l'Education nationale.
  

Pour piloter ce changement de « business model », le gouvernement a nommé directeur général de l'Afpa un énarque qui connaît bien « le service public qui change », un quadra normalien formé à l'école « Raymond Soubie » (le conseiller chargé un temps du social à l'Elysée) : Philippe Caila, ancien directeur adjoint du cabinet d'Eric Woerth au budget et ancien directeur de cabinet d'André Santini au secrétariat d'Etat à la fonction publique.

Mais sur le terrain, la réforme et « sa logique ultralibérale », disent les syndicats, ne passent pas. La déclinaison du « plan stratégique » se fait dans la douleur, génère une désorganisation profonde et une grande souffrance au travail dans le rang des salariés, passés de 12.000 à 9.000 en moins de trois ans, soit 3.000 suppressions d'emploi, essentiellement des formateurs.
  

A l'heure où le chômage bat des records et où Nicolas Sarkozy martèle dans ses discours à la Nation qu'il faut former les demandeurs d'emploi, « priorité absolue », les intersyndicales et les représentants du personnel s'unissent pour dénoncer « le démantèlement », « la casse », « la privatisation » de l'Afpa qui forme, de fait, de moins en moins de chômeurs, son cœur de métier. Et pointent du doigt la contradiction du gouvernement : « A chaque élection, on a droit à de grandes déclarations. Cette fois-ci, c'est pire. On a un président candidat qui promet une formation qualifiante à tous les chômeurs alors que depuis cinq ans, c'est tout le contraire de ses déclarations qui est appliqué à l'Afpa », constate, amer, Alain Guillemot, le secrétaire général de la CFDT Afpa.

 


 

Dans tout l'Hexagone, les tracts, les lettres ouvertes, les motions et les grèves se multiplient et se ressemblent. Du Nord-Pas-de-Calais au Languedoc-Roussillon, en passant par la Champagne-Ardenne, la Lorraine, l’Alsace, l’Aquitaine, le Limousin, l’Auvergne, l’Ile-de-France ou encore la région Rhône-Alpes... les mêmes problématiques affectent les campus, illustrent la dégradation de cette école de la deuxième chance, à la pointe de la pédagogie, qui répond depuis 1949 aux deux défis de l'économie française : la lutte contre le chômage et la pénurie de main-d'œuvre.
  

Formations surchargées ou en sous-activité, assèchement de l'alimentation du dispositif à la suite du transfert des 900 psychologues de l'Afpa à Pôle emploi, plateaux techniques et d'hébergement en mauvais état faute d'investissement et d'entretien, transfert de tâches vers un personnel non formé, fermeture de sections, suppression d'effectifs, non-remplacement des départs, pénurie de moyens, pression des objectifs... Les cahiers de doléances s'alourdissent, conséquences directes, selon les syndicats, du fait de passer d'un mode de subvention à une procédure d'appels d'offres, de « vouloir transformer l’Afpa en compagnie “low-cost” de la qualification et en “hard-discounter” du parcours de formation ».

En Picardie où S. est en poste, l'une des plus petites régions Afpa, avec 311 salariés (effectif CDI et CDD en 2010), cinq centres et une direction régionale, le malaise est criant, les salariés en grande détresse. Début janvier, au micro de France Inter (NDLR - à partir de la minute 12), Catherine, une employée, interpellait avec virulence Nadine Morano, la ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, sur la situation « particulièrement catastrophique » de l'Afpa Picardie. « Le personnel se demande comment il va tenir (...). Est-ce que vous attendez des suicides avant de réagir ? », implorait-elle.
  

S. était en route pour le travail lorsqu'elle a entendu ce cri d'alarme dans son poste. « Ça m'a fait un bien fou d'entendre une collègue courageuse attirer l'attention des pouvoirs publics sur notre sort car on se sent isolés, ignorés », confie-t-elle. « On ne sait plus où on va. Quels que soient le service, notre niveau, on craque devant les ordres et contre-ordres, les dysfonctionnements, les changements stratégiques constants. Toutes les lignes de métier sont impactées », raconte un autre employé, qui a « triplé » sa dose journalière d'antidépresseurs.

«Je ne dormais plus. Je songeais à me foutre en l'air»

 En Picardie, depuis le « plan stratégique », les salariés ont l'impression de « prendre le chemin de France Télécom » et mettent en cause le management de leur direction régionale qui s'est durci avec l'arrivée d'Annie Dole il y a un an et demi. « C'est marche ou crève. Si t'es pas content, tu prends la porte », note R., un cadre, rompu au management, qui vit le premier arrêt de travail de sa carrière à 50 ans, « un coup violent ». Victime du syndrome d'épuisement professionnel, du « burn-out », R. a « pété les plombs » il y a quelques semaines, « pressé comme un citron ». « J'étais obnubilé par l'Afpa. Je ramenais tout à la maison. Je ne dormais plus. Je songeais à me foutre en l'air. »

Au sein de l'Afpa-Picardie, les indicateurs mesurant stress et sécurité au travail ont explosé. Ils sont deux à trois fois plus élevés que la moyenne nationale Afpa, lesquels chiffres sont déjà bien au-dessus de la moyenne des professions parmi lesquelles la caisse d'assurance maladie des travailleurs salariés classe l'association. Entre 2009 et 2010, le nombre d'accidents avec arrêts de travail a bondi de 200 %, le nombre de journées d'arrêts de travail de 647 %. « Les chiffres 2011 seront pires », prédit Marc Normand.
  

Délégué régional CGT, élu au comité d'établissement régional et président de la commission des conditions de travail, ce formateur en chimie industrielle, entré en 1983 à l'Afpa, constate, chaque semaine, les effets néfastes de la réorganisation sur le moral des troupes. Il cite l'exemple du service commercial, à Amiens, où la moitié du service est à l'arrêt, dont plusieurs responsables d'affaires. « On leur demande des objectifs irréalistes. Sur certaines formations, ils doivent faire 400 % de plus par rapport à l'an dernier, une gageure. On leur demande de compenser la perte du marché public en allant chercher le privé sans prendre en compte le contexte économique défavorable. Il faut tout de suite récolter. Or, dans ce milieu, il faut d'abord labourer, semer puis récolter », abonde un cadre qui côtoie au quotidien l'équipe de commerciaux.
  

« Perte de repères, instabilité permanente, réorganisation des métiers et des services, mobilité géographique, on assiste à une transformation du système à marche forcée, très rapide, très brutale. A France Télécom, la restructuration a été beaucoup plus lente dans le temps. Elle a été accompagnée. Nous, nous sommes seuls », note un syndicaliste. Seuls pour conduire une réforme dont l'esprit est en contradiction avec les missions historiques de l'Afpa : « La formation professionnelle, ce n'est pas une industrie mais de l'humain ».

 


 

Un ancien directeur régional avoue avoir été « chanceux » que la réforme tombe en même temps que sa retraite : « J’aurais eu des difficultés à l’accepter car elle est contraire à l’état d’esprit de l’Afpa. Je ne voyais pas l’association rentrer dans des logiques dictées par le marché et se soumettre à des appels d’offres annuellement remis en cause. L’institution ne peut qu’être fragilisée. Les formateurs peuvent se retrouver avec un statut aussi précaire que ceux qu’ils forment. »
  

Stagiaires en baisse et de moins en moins satisfaits, notamment les chômeurs (1.000 demandeurs d'emplois en moins formés entre 2008 et 2010, soit un tiers), salariés déboussolés qui se retrouvent sans activité et contraints à la mobilité géographique pour certains, formateurs en sur ou sous-activité, effectifs passés de 251 CDI à 200 en deux ans... En Picardie, les difficultés sont les mêmes que partout ailleurs et se font sentir dans les résultats financiers.
  

Malgré sa petite taille, la région était l'une des meilleures élèves et offrait des formations de pointe, sans équivalent sur le territoire national comme en chimie industrielle ou en traitement de l’eau. « On venait de toute la France pour y participer. Aujourd’hui, du fait de la régionalisation des financements, ces filières ont du mal à recruter car les stagiaires hors-région ne sont pas financés », pointe Marc Normand de la CGT.

Chaque année, l’Afpa Picardie totalisait entre 3,5 et 5 millions d'euros d'excédents brut d'exploitation. En 2011, dix mois après la déclinaison du plan, elle devrait accuser un déficit de 1,5 million d'euros qui s'explique notamment par une baisse de 25 % de l'activité de formation principalement sur les demandeurs d'emploi. A l’échelon national, le chiffre d’affaires 2011 visait les 950 millions d’euros. Il est en réalité de 847 millions d’euros, soit une perte de 100 millions d’euros.
  

L'un des facteurs aggravants de ces mauvais résultats en Picardie est le refus de la direction régionale de prendre part au SIEG (service d'intérêt économique général), proposé par la région socialiste, dont le statut juridique permet de déroger aux règles de commande publique et de garantir à l’Afpa la continuité de ses « actions de formation d’intérêt général » au travers de conventions pluri-annuelles. « Ce dispositif, nous l'avions pensé pour elle. C'était une façon de lui donner du travail. On créait comme une régie, on sécurisait l'organisme, explique Didier Cardon, vice-président chargé de la formation professionnelle au conseil régional de Picardie depuis 2004, mais la direction régionale n'en a pas voulu avant de se rétracter six mois plus tard, ce qui leur a valu des pertes de marché importantes. »
  

Pour Didier Cardon, « la formation régie par les marchés, c'est un moule destructeur. Il faut revoir la réforme de la formation professionnelle. Ce n'est pas un marché comme les autres surtout lorsqu'il concerne un public esquinté par la vie ». L'élu socialiste contemple la dégradation en Picardie avec impuissance : « Quand on brusque des cultures, on se trompe. On les aiderait bien mais nous ne sommes que partenaires. »

«Avant, tu travaillais pour les stagiaires, aujourd'hui, tu travailles pour le pognon»

 L'association se dégrade à l'image de son patrimoine immobilier au coeur d'un bras de fer juridique avec l'Etat qui lui en a transféré la charge comme le prévoyait la loi du 24 novembre 2009 sur l'orientation et la formation, décision finalement annulée par le Conseil constitutionnel en décembre 2010.

Le centre d'Amiens en zone industrielle, des bâtiments vétustes des années soixante, sur huit hectares, en témoigne. « Pour aller d'un atelier à l'autre, il faut passer par la pelouse boueuse car les escaliers sont défoncés », explique Fabrice Casselman, le délégué régional de la CFDT Afpa. En cette fin février, les rares stagiaires à être hébergés jouent au ballon sur le terrain de jeu obsolète. « Avant, il y avait des animations socio-éducatives et les hébergements étaient pleins. Aujourd'hui, on ne les remplit pas. Ce devrait pourtant être un atout pour vendre de la formation mais on n'y arrive pas », déplore l'élu CFDT.

Fabrice Casselman, CFDT Afpa Picardie 
Fabrice Casselman, CFDT Afpa Picardie© Rachida El Azzouzi

Dégagé à 100 % sur ses heures syndicales, Fabrice Casselman a décalé sa semaine de vacances pour pallier le manque d'effectifs et remplacer son collègue formateur en électricité. « Il nous reste encore la solidarité. » Ingénieur passé par l'automobile et l'agroalimentaire, il travaille à l'Afpa depuis seize ans. Une passion « J'adore ça, transmettre mon savoir, participer à remettre sur le monde du travail des populations en difficulté »   ternie par la réforme. « Avant le transfert aux régions, nous étions des oisillons dans un nid avec le bec ouvert. Aujourd'hui, il faut aller chercher la pitance », résume-t-il.
  

Tous les jours, il boit le café avec ses camarades formateurs. « Il y a dix ans ils avaient tous les yeux qui brillent de travailler à l'Afpa. Aujourd'hui, ils viennent tous à reculons. Artisans efficaces, on veut en faire des monteurs des lignes Peugeot. » Tous se plaignent des lourdeurs administratives, du nouveau logiciel SIHA pour les commandes de matériel, « la croix et la bannière », rage D., 50 ans. Vingt ans que ce spécialiste « froid climatisation » forme des stagiaires. Aujourd'hui, il vient « presque en marche arrière » : « Il n'y a plus de concertation entre le formateur et le manager de formation, plus de remplaçant si on part en congés. On n'a pas la direction régionale qu'il faut. Tout est fait sens dessus dessous au détriment de la qualité. Seule la rentabilité compte. Avant, on parlait HTS (heures travaillées stagiaires), aujourd'hui, on parle CA (chiffres d'affaires). »
  

E., en bleu de travail, formateur depuis vingt ans, fait une pause derrière son ordinateur. « Las ». Depuis deux ans, il « se demande tous les matins s'il va venir bosser » : « On n'a plus les moyens de travailler correctement. A la maintenance, je suis seul et je dois aussi assurer l'électricité alors que je ne suis pas électricien. » Il peste après ses stagiaires qui totalisent pour certains jusqu'à 209 heures d'absence et dont « tout le monde se fout sauf lui», déplore la disparition des psychologues, passés à Pôle emploi : «On n'a plus de suivi psychopédagogique des stagiaires. » « Ces derniers mois, les conditions de travail se sont dégradées, poursuit-il. Les formations sont plus courtes avec des stagiaires en difficulté et on doit arriver aux mêmes résultats. »
  

 

Jean-Luc Madani du pôle Afpa Beauvais 
Jean-Luc Madani du pôle Afpa Beauvais© Rachida El Azzouzi

« Avant, tu travaillais pour les stagiaires, aujourd'hui, tu travailles pour le pognon. » Ancien employé d'une entreprise de chaudronnerie à Toulouse, Jean-Luc Madani a rejoint les rangs des formateurs de l'Afpa Picardie il y a trois ans au moment de la restructuration.

Il ne se doutait pas à son arrivée du « démantèlement qui se tramait », « un PSE (plan de sauvegarde pour l'emploi) déguisé », « la technique de France Télécom », condamne-t-il. Voyant son centre de Beauvais se vider « un centre où la grande problématique était de se garer. Aujourd'hui, il n'y a plus que deux voitures, la moitié des formations ont été supprimées » , il a renoué avec le syndicalisme de sa jeunesse. Défenseur Prud'hommes pour l'Oise, secrétaire du CHSTC, délégué CFDT, il en est à sa sixième saisine de l'Inspection du travail pour délit d'entrave. « Nous sommes de la viande. A Beauvais, un médecin du travail écrit noir sur blanc que les salariés sont en grande détresse. Personne ne bouge. Martyriser, décourager le salarié, c'est la solution qu'ils ont trouvée pour tailler dans les effectifs n’ayant pas les moyens d’un PSE. »
  

Fabrice Casselman renchérit : « La direction régionale joue la carte du pourrissement, de la gangrène. Comme ça, on coupe le membre et on s'en sépare. » Et de citer plusieurs exemples de salariés poussés à la démission ou licenciés, selon eux, pour « des motifs bidon », dont des cadres de direction.

L'un d'entre eux, Patrice Guénard, responsable des ressources humaines à la direction régionale à Amiens, d'abord mis à pied en septembre 2010 puis licencié en juin 2011 après trente ans de maison, et à ce jour toujours pas remplacé, est devenu « un cas emblématique ». Soutenu par les salariés et par les représentants du personnel, il doit prochainement passer devant le conseil des prud'hommes. Son avocate, Marie-Solange Orts, compte démontrer qu'il est victime « de méthodes de management au mépris des personnes, des accords collectifs et de la législation ».
  

« Des cas similaires sont éprouvés dans d’autres régions. Il y a une volonté certaine de faire le ménage », appuie Marc Normand. Comme ses camarades syndicalistes, le délégué régional de la CGT exige « le retrait du plan stratégique en cours et le retour à une Afpa de dimension nationale ». S., elle, en appelle aux candidats à la présidentielle, qu’ils se positionnent clairement sur la formation professionnelle et qu’ils stoppent ce « gâchis ».

 


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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 16:15
Jeudi 8 Mars 2012 à 05:00

 

Philippe Cohen
Journaliste à Marianne, rédacteur en chef de Marianne2.fr et co-responsable du service politique...
La crise a disparu des radars électoraux, comme si elle s'était brusquement évanouie. Le brusque recul du CAC 40 montre que le feu couve sous la braise. Tandis que la BCE refinance les banques qui réalisent des plus-values sur les dettes souveraines, les plans d'austérité, comme prévu par les économistes raisonnables, engendrent une récession qui ne peut qu'accentuer les déficits publics.

 

(Michael Probst/AP/SIPA)
(Michael Probst/AP/SIPA)
La plupart des acteurs de notre campagne présidentielle font comme si la double crise de l'euro et de la dette était derrière nous. Or, plusieurs nouvelles rappellent utilement que le feu continue de brûler sous la braise.

Le premier signe est, en apparence, une bonne nouvelle, tombée durant le week-end et peu évoquée par les médias : en deux mois, la Banque centrale européenne vient de prêter la bagatelle de 1 000 milliards aux établissements bancaires  à un taux qui fait rêver tout acheteur de logement : 1%. Officiellement, ces liquidités octroyés à quelques 800 banques pour une durée de trois ans, leur permettent de répercuter ces largesses sur les prêts consentis aux états pour refinancer leur dette : ainsi les taux d’emprunts à dix ans consentis à l’Espagne et l’Italie sont ainsi passés de 7 ou 8 % à respectivement 3,9 et 4,9%. Tant mieux. Mais il s’agit encore une fois d’un cadeau aux banques privées : un enfant de trois ans comprend que lorsqu’on peut emprunter à 1% et prêter à 3,9%, on réalise des bénéfices considérables.

Parallèlement, l’anxiété grandit en Allemagne : on a découvert à travers Target 2, un système de transactions automatiques interbancaires d’une remarquable opacité, que la Bundesbank allemande avait 500 milliards de créances possiblement douteuses dans les autres pays européens. En réalité, ces créances ne sont que le reflet de l’excédent commercial allemand et des déséquilibres qu’il engendre. Ces créances résultent, comme l'explique très clairement François Leclerc, de « la substitution de l'Eurosystème au marché interbancaire qui ne fonctionne plus » :  « Les banques commerciales d’un pays donné de la zone euro se finançant sans limites auprès de leur banque centrale nationale, celle-ci enregistre ses créances auprès de sa consœur du pays d’où sont importés des biens et des services grâce à ses crédits. Le cumul net de ces créances a abouti aux montants évoqués dans les livres de la Bundesbank, soit 20 % de son PIB, tout simplement parce que l’Allemagne est le principal exportateur net au sein du marché européen. » Pour rétablir l'équilibre, il faudrait donc que l'Allemagne augmente sa consommation et ses importations. Mais comme Angela Merkel refuse toute relance de la consommation intérieure allemande, cette créance de 500 milliards commence à semer l’inquiétude sur les marchés.

Enfin, les signaux sur les marchés sont d'autant plus alarmants - cf. la dégringolade du CAC 40 de 3,58% mardi 6 mars - que la politique d’austérité imposée un peu partout en Europe ralentit les recettes des états et … accentue leurs déficits publics. Même les Pays-Bas, l'un des bons élèves de l'euro, est à présent touché, avec un déficit public de 4,5%, alors que ses dirigeants multipliaient les admonestations contre les PIG'S. En Espagne, le gouvernement Rajoy a annoncé que le déficit public serait de 5,8 et non de 4,4 comme le stipulait la feuille de route Merkozy. Au Portugal, les fuites sur une rencontre informelle entre le ministre des finances portugais, Victor Gaspar, et son homologue allemand, Wolfgang Schäuble, ont alimenté la rumeur sur une possible renégociation de la dette portugaise. Avant même d’être adopté, le fameux mécanisme européen de stabilité est ainsi piétiné. Il ne reste plus qu'à attendre le retour de bâtons en Allemagne même de la récession qu'a imposé son gouvernement aux autres pays d'Europe. Le seul suspens de la campagne est de savoir s'il aura lieu avant ou après l'élection présidentielle.

Article corrigé le 8 mars à 11h30

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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 12:54

Après une hausse continue observée depuis fin 2009, le nombre de salariés en emploi dans les secteurs marchands a diminué au troisième trimestre 2011 (- 31. 500) et au quatrième (- 22.600). Sur un an, le ralentissement des créations nettes d'emploi dans les secteurs principalement marchands est marqué : + 67.300 en 2011, après + 124.600 en 2010 ( +0,8%), selon les statistiques publiées jeudi 8 mars par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

L'emploi industriel accuse une légère baisse au quatrième trimestre (- 1.700) et sur l'ensemble de l'année (- 2.100), mais c'est surtout la construction qui souffre (- 4.600 postes au quatrième trimestre après - 6.300), ses effectifs salariés ayant diminué de 11.900 en 2011.

L'emploi tertiaire marchand recule sous l'effet  de la baisse de l'intérim qui s'accentue (- 21.800 postes en 2011). Fait préoccupant, les pertes d'emploi dans le travail temporaire se sont accélérées, passant de - 12.900 au troisième trimestre à - 21.100 au quatrième. Cette accélération n'augure rien de bon dans la mesure où l'intérim est généralement considéré comme un indicateur avancé de l'emploi.

 

 

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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 15:22
| Par Antoine Perraud
Lire aussi

Comme l'amour selon Jacques Chardonne : le logement, c'est beaucoup plus que le logement...

Pour creuser cette question matérielle, philosophique, politique, sociale et anthropologique, trois universitaires labourant le champ de l'histoire, de l'urbanisme et de la sociologie, ont été filmées (lire la « boîte noire » ci-dessous) : de gauche à droite, Claire Lévy-Vroelant, Hélène Frouard et Danièle Voldman.

Nous vous proposons, en deux parties, un tour de table savant mais didactique, scrupuleux et parfois mutin : le logement et tout ce qu'il induit.

 

 

 

 

 

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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 23:23

 

Rue89 - Rédigé par Stephane Trano le Samedi 3 Mars 2012 à 20:57

 

Quant il s'agit de parler "money", les Américains sont on ne peut plus exigeants et décomplexés. C'est pourquoi chaque contribuable peut connaitre à tout moment la destination exacte de ses impôts, en quelques clics sur le site de la Maison Blanche. A quand la transparence sur le site de l’Élysée?

 

Et si les Français pouvaient traquer où vont leurs impôts, comme les Américains?
Soit un couple marié avec un enfant et un revenu annuel de 50 000 dollars (37 861 Euros au 3 Mars 2012). Chaque année, ce couple doit déclarer ses revenus, avant le 1er Avril. Aux Etats-Unis, on appelle ceci du nom étrangement rassurant de "Tax Return" (ou "Retour d'Impôts). L'explication? Dans un pays où les impôts sont retenus à la source sur chaque bulletin de salaire, chaque contribuable peut également choisir de verser un supplément de son choix - 10, 20, 40 dollars - afin d'éviter toute mauvaise surprise à l'heure des comptes et d'anticiper si nécessaire un changement de situation tel qu'une augmentation de salaire. Ainsi, Avril marque le moment où, quelques jours à peine après l'envoi de sa déclaration au service des impôts (IRS), de nombreux contribuables reçoivent un chèque du Trésor américain qui leur rembourse le trop perçu. Dans ce système, tout est souple: c'est à la fin de l'année que le Congres vote les différentes mesures fiscales telles que les exemptions, les réductions, les niches fiscales, souvent au cours d'un sprint final qui sort de ring de boxe entre Démocrates et Républicains et durant lequel chaque jour amene une modification à la hausse ou à la baisse jusqu'à ce que les belligérants déclarent forfait et votent la loi fiscale. 

 

S'il est donc assez difficile pour les personnes imposées de faire des prévisions précises, d'autant que leurs impôts combinent à la fois ceux de l'Etat fédéral et de l'Etat dans lequel ils vivent, la possibilité de provisionner offre une sécurité non négligeable, même si le montant éventuellement rembourse en Avril ne sera pas assorti d'intérêts. 

Mais là où le système se montre le plus démonstratif, c'est dans la qualité de sa présentation: les impôts sont en effet adosses aux dépenses prévisionnelles du pays pour l'année suivante, et chacun peut ainsi visualiser en quelques instants sur Internet la répartition de l'argent qui sort de sa poche sur chaque feuille de paie.

Prenons ici l'exemple de 2010. Ce couple avec un enfant qui a gagné alors 50 000 dollars a pu suivre à la réception de ses salaires l'accumulation des montants verses à titre d'impôts, et cela en quelques lignes bien identifiées. Dans son cas, ce couple aura paye:
  • 3100 dollars pour la Sécurité Sociale (attention, il s'agit-là de la cotisation retraite), les "Survivors" (pensions) et l'assurance handicap
  • 725 dollars pour Medicare (la couverture sociale du pays pour les plus de 65 ans et les jeunes handicapés)
  • 260 dollars d'impôts sur le revenu
Au total, l'impôt fédéral pour ce couple au cours de l'année 2010 aura été de 4085 dollars, auxquels vient s'ajouter l'impôt de l'Etat dans lequel il réside. Cet impôt est constitué de différentes taxes dont le montant est variable et concerne les postes suivants: TVA, essence, tabac, revenu, foncier, comte, succession. Cet impôt est bien sur assujetti aux différentes exemptions et déductions. Sa fourchette est variable et se situe entre 3,87% du revenu pour le New Hampshire et 11,67% pour l'Alaska. 

 

Pour cet eemple de l'annee 2010, ce couple de contribuable va pouvoir renseigner en ligne les donnees relatives a son impot federal. Pour l'impot percu par l'Etat dans lequel il reside, chaque Etat publie la meme grille sur son propre site. Ainsi, concernant l'Etat federal, le contribuable peut d'abord consulter le detail du budget federal:



Au menu des Impôts

Et voici en détail la répartition des impôts payés par ce couple de contribuables:

DEFENSE NATIONALE
26.3%
$68.38


  • Salaires et avantages des personnels militaires

6.0% $15.60


  • Operations en cours, équipements et fournitures

10.5% $27.30


  • Recherche, développement, armes et construction

8.8% $22.88


  • Energie atomique militaire

0.7% $1.82

  • Activités du FBI et de la Défense Nationale

0.3% $0.78
 
SANTE
24.3%

$63.18



  • Medicaid et Programme d'Aide à l'Enfance (CHIP)

10.7% $27.82

  • Paiement des docteurs et médicaments du Programme Medicare

10.3% $26.78


  • Recherche sur la Sante et la Sécurité Alimentaire

1.5% $3.90


  • Contrôle des maladies et Sante Publique

1.0% $2.60


  • Crédit d’impôts du système COBRA et autres dépenses de Sante

0.9% $2.34
 
EMPLOI-FAMILLE
21.9%

$56.94


  • Assurance Chômage

4.4% $11.44


  • Aide  alimentaire et nutritionnelle

3.6% $9.36


  • Aide au Logement

2.2% $5.72


  • Salaire perçu, Création d’activité et Education

3.5% $9.10


  • Bénéfices Supplémentaires de la Sécurité Sociale

1.8% $4.68


  • Retraite et Handicap des employés civils et militaires du Gouvernement

4.6% $11.96


  • Aide à l’Enfance, Maisons d’Accueil, Adoption

0.6% $1.56


  • Assistance Temporaire pour les Familles en difficulté

0.8% $2.08


  • Retraites des Chemins de Fer et bénéfices supplémentaires

0.5% $1.30
 
EDUCATION-FORMATION
4.8%

$12.48


  • Education élémentaire, secondaire et vocation

2.8% $7.28


  • Aide financière aux étudiants du Secondaire

0.8% $2.08


  • Formation et services de placement à l’emploi

0.4% $1.04


  • Formation pour l’emploi des handicapés et autres mesures d’assistance

0.9% $2.34
 
VETERANS
4.1%
$10.66


  • Aide au revenu et au logement

1.9% $4.94


  • Sante

1.7% $4.42


  • Education, formation et autres bénéfices aux vétérans

0.5% $1.30
 
RESSOURCES NATURELLES ET ENVIRONNEMENT
2.1%
$5.46


  • Gestion de l’Eau et des Terres

0.9% $2.34


  • Fourniture d’énergie et distribution

0.4% $1.04


  • Contrôle de la pollution et des ressources naturelles, de l’énergie et de l’environnement

0.8% $2.08
 
AFFAIRES INTERNATIONALES
1.7%
$4.42


  • Assistance et aide au développement humanitaires

0.7% $1.82


  • Aide extérieure à la Sécurité

0.4% $1.04


  • Affaires étrangères, Ambassades et autres affaires internationales

0.6% $1.56
 
SCIENCE, ESPACE ET TECHNOLOGIES
1.2%
$3.12


  • NASA

0.7% $1.82


  • Fondation Nationale des Sciences, recherches additionnelles scientifiques et laboratoires

0.5% $1.30
 
IMMIGRATION, MAINTIEN DE l’ORDRE ET JUSTICE
2.0%
$5.20


Agriculture
0.8%
$2.08


Communauté, Territoire et Développement régional
0.5%
$1.30


Désastres Naturels
0.4%
$1.04


Programmes Gouvernementaux Additionnels
2.4%
$6.24


INTERETS NETS
7.4%
$19.24

 

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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 22:59

LEMONDE.FR avec AFP | 02.03.12 | 22h05

 
 

Les Restos du cœur vont "malheureusement" battre leur record de fréquentation dans leurs 2 000 centres d'aide alimentaire, a annoncé vendredi 2 mars Olivier Berthe, président de l'association créée par Coluche. Selon lui, 900 000 personnes devraient être reçues lors de la campagne 2011-2012. Lors de la campagne d'hiver précédente, les Restos du cœur avaient reçu 860 000 personnes.

"Est-ce qu'on va attendre 2017, les prochaines élections, pour dire 'ça y est, on a atteint le million' ? Est-ce qu'on va rester dans cette situation absurde ? J'espère qu'un certain nombre de nos candidats nous répondront, mais dans les actes et dans les faits", a par ailleurs déclaré à RTL le président des Restos du cœur.

L'association a adressé mercredi 29 février une lettre ouverte aux candidats à la présidentielle, les invitant à s'intéresser aux Français "vivant en dessous du seuil de pauvreté".

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 16:01
Vendredi 2 Mars 2012 à 16:00

Emmanuel Todd - Marianne

 

Instrument de compréhension incomparable de la réalité du pouvoir globalisé et des vrais cercles qui l’exercent, « Circus politicus », le nouveau livre de Christophe Deloire et Christophe Dubois, a passionné l’auteur d’« Après la démocratie ».

 

 

La démocratie est un régime qui présente par nature, malgré ses imperfections, un haut degré de transparence. Pour transformer la souveraineté du peuple en pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire, il faut des règles, des procédures visibles à l’œil nu. Avec les autres systèmes – dictature, monarchie absolue, oligarchie, totalitarisme –, c’est une autre affaire. Le pouvoir – fort, léger, traditionnel, révolutionnaire ou sadique – vient d’en haut. Sa concentration théorique sur un individu ou un petit groupe d’hommes donne l’illusion de la simplicité. Mais le tyran, unique ou pluriel, ne peut tout faire. Les sociétés modernes sont fort complexes et leur gouvernement suppose des instances multiples de décision, des chaînes de commandement, des relais assurant l’encadrement et l’obéissance des gens ordinaires. Entre le(s) chef(s) et le peuple, l’opacité des procédures est pour tout régime non démocratique dans la nature des choses.

De démocratie à oligarchie

Le régime nazi est celui dont l’analyse concrète a été poussée le plus loin. Il présente un intérêt théorique particulier parce qu’il est le seul cas historique de mise à bas de la démocratie dans une société très avancée, l’Allemagne, alors leader économique et technologique aux côtés des Etats-Unis. Politologues et historiens ont mis au jour, sous la simplicité du Führerprinzip hitlérien, la complexité et la fluidité des relations entre les dirigeants du Parti national-socialiste, de l’Etat, de l’armée, des groupes industriels. Le monstre proliférant et instable a été une première fois disséqué en 1944, par Franz Neumann dans Béhémoth, Structure et pratique du national-socialisme (1). L’analyse la plus aboutie de cette complexité a été proposée par Ian Kershaw dans Qu’est-ce que le nazisme ? (2). Le cas de l’Allemagne des années 1933-1944 nous permet de poser la dégénérescence de la démocratie comme entrée dans l’opacité.
 
Sur un mode libéral et léger, postmoderne mais qui n’exclut pas les pulsions xénophobes, nous sommes clairement dans une période de dégénérescence démocratique. Lorsque les Français votent non au traité constitutionnel européen, un pouvoir venu d’en haut efface, par le traité de Lisbonne, la volonté souveraine du peuple. Des règles nouvelles sont sans cesse édictées par des institutions obscures situées quelque part du côté de Bruxelles, en collaboration-compétition avec des pouvoirs nationaux qui restent formellement soumis aux vieilles procédures démocratiques. Une Banque centrale « européenne » distribue sans contrôle de l’argent à des banquiers, qui peuvent à leur tour le prêter aux Etats et rançonner par l’impôt les populations. De petits Etats comme la Grèce se voient contraints de vendre leurs biens à ces banquiers.
 
Acceptons la réalité : nous avons changé de système politique, nous sommes en régime oligarchique. Dénoncer ne suffit pas, il faut comprendre, percer le voile de l’opacité, dire qui sont les oligarques, quels sont leurs réseaux, quelles sont leurs valeurs, morales ou boursières. L’une des beautés du système actuel est qu’il permet pour quelques temps encore à la liberté des individus de coexister avec des phénomènes de domination économique d’une extrême violence, et à certains journalistes de faire leur métier.

Hommes de l’ombre

Christophe Deloire et Christophe Dubois nous donnent, avec Circus politicus, vaste enquête sur la réalité des mécanismes du pouvoir français et européen, un instrument de compréhension incomparable. Entre Paris, Bruxelles, Francfort, Berlin, Milan, New York et Washington, ils ont été partout où vivent, se fréquentent, se corrompent, et décident, les hommes d’en haut. Avec peut-être une petite faiblesse sur Londres. Mais ils nous mènent bien au-delà des apparences de la politique nationale, au-delà du cirque des conférences de presse de l’Elysée : nous trouvons dans leur livre un Sarkozy falot dans les conseils européens, une Angela Merkel sincèrement convaincue que l’équilibre budgétaire fait partie des droits de l’homme, et des Belges, des Néerlandais, des Luxembourgeois, des Italiens peu impressionnants en eux-mêmes mais si bien raccordés aux réseaux du pouvoir américain de l’après-guerre.
 
Deloire et Dubois sont les anthropologues de ce milieu mou, fluide et dominant. Les hommes de l’ombre parlent assez volontiers : si leur pouvoir collectif est fort, ils sont frustrés en tant qu’individus, étant privés des gratifications narcissiques d’une vie publique et nationale. Aucun organigramme ne pourra jamais saisir ce monde en train de naître. Un régime oligarchique et plurinational ne peut être atteint que par une analyse de terrain : des lieux gris, des hommes gris, des ambiances grises. Circus politicus procède par petits chapitres cruels, merveilleusement adaptés à l’analyse de ce pouvoir flou, et qui engendrent au final un tableau pointilliste très bien composé.

Une zone grise

A Bruxelles se mélangent bureaucrates arrogants, lobbyistes du monde entier, services informatiques et financiers insaisissables, réseaux de surveillance américains, journalistes qui ne se rendent pas comptent qu’ils sont devenus des serviteurs. Une fois qu’on a lu ce livre, la charmante ville de Bruxelles fait beaucoup moins rire. On y mange certes d’excellentes frites, on y boit d’excellentes bières, elle est remplie de francophones vifs et sympas et de Flamands revendicatifs et teigneux. Elle est un lieu de pouvoir. Mais lequel ? Bruxelles est surtout une zone grise, hors du contrôle d’Etats-nations en déliquescence, espace de non-droit en gestation beaucoup plus menaçant que les paradis fiscaux où l’on blanchit l’argent, que les banlieues où l’on vend de la drogue ou que la Corse où l’on ne paye pas ses impôts.
 
Deloire et Dubois nous décrivent quelques quasi-institutions multinationales dont nous n’avions guère entendu parler : la conférence de Bilderberg ou la Trilatérale, beaucoup plus importantes que le Forum de Davos qui ne représente guère qu’une façade mondaine. Fondées dans l’immédiat après-guerre, ou après le décollage du Japon, sous influence américaine, ces instances de réflexion et de concertation ont largement contribué à l’élaboration d’un milieu et d’une culture antidémocratiques. Circus politicus est en effet aussi un livre d’histoire. L’une des forces de Deloire et de Dubois est de plonger dans le passé de petites fondations et décisions insignifiantes qui ont fini par donner de gros effets, dont certaines sont d’ailleurs nationales, comme la discrète interdiction faite à la Banque de France de financer directement le budget de l’Etat en 1973. Circus politicus est un plaidoyer pour la démocratie, pas un pamphlet nationaliste ou même antieuropéen. Paris y apparaît parfois pire que Bruxelles.

Concurrence

Difficile de sélectionner un exemple dans ce livre si riche. Mais, quand même, au cœur du cloaque, nous trouvons la fantastique « bande de la concurrence ». On sait que le dogme économico-religieux de la « concurrence libre et non faussée » est central à l’idéologie européiste. Pourtant, ce que nous voyons ici, c’est la circulation hallucinante des mêmes hommes entre la Direction de la concurrence de la commission, le Bilderberg, la Trilatérale, les banques Goldman Sachs et UBS. Nous ne rêvons pas, il s’agit bien de ces gens que l’on essaye de nous vendre aujourd’hui, en pleine crise de l’euro, de la dette et des banques, comme des technocrates désintéressés et austères. Quelle blague ! Le livre nous dit ce que sont les déclarations de revenus des moins importants d’entre eux, mais on a du mal à croire que la réalité financière puisse être pleinement saisie par des déclarations officielles.
 
Dans ces conditions, que signifie la « lutte contre les ententes » menée par la Direction de la concurrence ? Nous voyons, certes, des actions spectaculaires partir de Bruxelles, qui envoie ses agents perquisitionner dans les locaux des éditeurs parisiens à la recherche de preuves d’entente sur les prix. Mais, si la mécanique a été mise en marche, ainsi que certains le soupçonnent, par une dénonciation de la société Amazon, non validée par l’enquête, nous ne sommes pas du tout dans le monde de la concurrence pure et parfaite, au contraire. Nous sommes dans un monde d’affrontement entre de petites boîtes françaises et un géant monopolistique américain qui utilise la bureaucratie bruxelloise à ses propres fins. Deloire et Dubois font voler en éclats le mythe d’une séparation entre capitalisme financier et institutions européennes.

La France derrière, l’Allemagne devant

Ce livre précis règle sur le fond la question du complotisme, mode de pensée paranoïaque dont sont aujourd’hui accusés tous ceux qui décèlent dans la marche du monde l’influence de groupes discrets, un peu comme étaient accusés de schizophrénie les dissidents soviétiques qui dénonçaient l’influence du KGB. Nous voyons ici, c’est-à-dire dans le monde occidental, se dérouler le processus historique par lequel des groupes constitués comme des correctifs à la démocratie sociale conquérante de l’après-guerre se sont transformés, dans notre période de concentration financière et de déclin du sentiment démocratique, en instances oligarchiques pures.
 
Comment caractériser les hommes politiques français dans le cirque politique globalisé ? Fondamentalement, par leur inefficacité. Leur mauvaise compréhension de l’anglais explique bien des choses, de leur absentéisme européen à leur naïveté dans le processus commercial et financier de la globalisation. Les postes prestigieux occupés à Washington, Genève ou Francfort par DSK, Lagarde, Lamy ou Trichet sont des leurres, qui masquent la mauvaise insertion des Français dans la structure oligarchique mondiale naissante. Notre classe politique excelle surtout à donner le change : les efforts couronnés de succès du gouvernement pour empêcher Barroso et ses copains de Bruxelles d’apparaître à la télévision française contribuent à maintenir l’illusion d’une indépendance de la France.
 
A rebours des attentes du « tous pourris » poujadiste traditionnel, les socialistes se sortent plutôt bien de ce contrôle de moralité. On les voit rarement dans les fiestas du Bilderberg et de la Trilatérale. Le seul qui soit plongé dans l’oligarchie multinationale jusqu’au cou est Pascal Lamy. Celui-là est de tous les séminaires, de toutes les combines, mais à tel point que son omniprésence solitaire en fait un larbin plutôt qu’un membre du groupe dominant. Le tort qu’il fait au PS, dont il est toujours membre, est considérable puisqu’il masque à lui tout seul la très satisfaisante indépendance du grand parti de gauche français.

Circus politicus marque une étape décisive dans notre compréhension de la globalisation. Elle cesse d’y apparaître comme un processus abstrait et impersonnel. Les mécanismes s’incarnent dans des hommes puissants et ridicules. La montée en force oligarchique s’accélère avec la crise de la dette, et nous aurons besoin dans deux ans d’une version actualisée de cette somme.
 
Ne nous laissons pas dominer par l’événement, projetons-nous dans l’avenir. Le déplacement du pouvoir européen de Bruxelles vers Francfort et Berlin nous garantit l’émergence prochaine d’un pôle allemand renforcé. Les historiens ne peuvent qu’attendre avec gourmandise l’analyse des continuités et ruptures dans l’exercice du pouvoir économique par le haut patronat allemand. Son instinct n’avait pas été fort démocratique lorsqu’il fut pour la première fois puissant, entre 1900 et 1944.
 
Circus politicus, de Christophe Deloire et Christophe Dubois, Albin Michel, 464 p., 21,50 €.

(1) Payot, 1987.
(2) Folio-Histoire, 1997.

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