LEMONDE.FR | 09.03.12 | 11h21 • Mis à jour le 09.03.12 | 15h39
Cela fait quatre ans qu'Eric (prénom d'emprunt), professeur des écoles dans le sud de la France, doit se faire poser cinq dents sur pivot. "A gauche, j'ai ma prémolaire, et plus rien après, je risque un déchaussement", détaille-t-il. Il a vite compris que c'était "un luxe". La facture est inabordable : 12 500 euros... dont 10 500 à sa charge. Il est divorcé, a deux enfants à charge, et une maison à payer. "Cela faisait 2 500 euros par dents, bien plus que ce que je gagne par mois." Il a fait faire plusieurs devis, croyant à une plaisanterie en découvrant le premier. C'était toujours les mêmes prix. Il a voulu se faire poser une seule dent, on lui a dit que cela ne tiendrait pas, qu'il fallait faire la rangée.
Une autre solution a été présentée : un dentier. Mais Eric n'a pas pu se résoudre "à poser chaque soir un appareil dans un verre". "J'ai préféré un trou que la honte. Un dentier, ça passe à 90 ans, pas à moins de 40." La décision a donc été prise : "Renoncer à ces soins et continuer avec ma bouche édentée"... , du moins "tant que cela n'est pas trop grave". Pour lui, "les tarifs des chirurgiens-dentistes, c'est du délire complet. Quelle belle société ! Quelqu'un qui a fait des études et toujours travaillé n'a même plus les moyens de se faire soigner". Autour de chez lui, il n'y a plus d'ophtalmo en secteur 1, cela fait plus de dix ans qu'il n'a pas fait contrôler sa vue.
L'addition est lourde pour la famille G., qui habite dans le sud-est de la France. Bertrand, 34 ans, technicien, a besoin de se faire poser deux couronnes et deux implants depuis trois ans. Sa femme, trois couronnes depuis deux ans (elle vient d'en faire poser une). Sur le devis, les prix qui se sont affichés ont été jugés trop élevés : 3 500 euros pour les implants, et 465 par couronne. Ils ont trois enfants, et à eux deux, gagnent 2 300 euros : "juste assez et pas trop", commente le jeune homme. Après s'être renseigné sur les remboursements de la Sécu et de sa mutuelle, il a vite vu qu'il ne pourrait pas engager de tels frais. Mais son dentiste, qui lui-même ne pose pas de prothèses, lui a dit : "à ce jour, seuls les implants sont envisageables"... "Et bien, je reste édenté, en attendant des jours meilleurs", résume-t-il, précisant que ce n'est pas gênant d'un point de vue esthétique, puisque qu'il s'agit de molaires. Finalement, Bertrand s'est dit qu'il fallait bien que les étudiants chirurgiens-dentistes "s'entraînent sur des cobayes". Pourquoi pas sur lui ? Il a envoyé son dossier à la faculté de Lyon, ne sait pas encore combien cela va lui coûter, mais son dentiste lui a dit que ce serait moins cher.
Véronique F. (le prénom a été changé) s'est cassée une dent de devant en mangeant. C'était il y a deux ans. Cette dent était déjà abîmée, mais elle n'avait – déjà– pas eu les moyens de poser une couronne. Cette fois, avec un trou si mal placé, il a bien fallu trouver une solution. Il y en avait pour "pratiquement 3 000 euros". Inenvisageable. Mais inenvisageable pour elle aussi d'aller travailler ainsi. En attendant, son dentiste lui a "rafistolé un vieil appareil dentaire pour être présentable". Elle l'avait depuis quinze ans, et ne le portait pas – elle n'en voyait pas l'utilité puisque c'était pour des molaires. C'était ça ou un emprunt auprès de sa banque.
Il y a an, elle a fait faire un autre devis "chez un dentiste mutualiste". La facture était moins chère, 1 400 euros, dont 1 000 de sa poche. Mais sa voiture est tombée en panne. Véronique en a besoin pour aller travailler. Elle est aide à domicile à temps partiel, fait aussi quelques heures de ménage dans des entreprises et du soutien scolaire. Elle touche un peu plus de 600 euros par mois. Si on ajoute les allocations qu'elle touche, sa fille et elle vivent avec 800 euros. L'appareil bricolé lui a coûté "dans les 100 euros". "C'est comme un outil de travail", résume-t-elle. Elle vit dans l'angoisse qu'il casse. "Je ne le mets que pour aller à l'extérieur, pour être présentable, et je l'enlève toujours pour manger."
Avec toutes ses dents en moins, à 49 ans, elle s'est habituée à manger des purées et du steak haché. Son dentiste l'a prévenue qu'elle risquait d'avoir des problèmes de digestion. Véronique espère pouvoir rajouter peu à peu de nouvelles dents à l'appareil. Si elle a tenu à témoigner, ce n'est pas pour "jouer les victimes", tient-elle à préciser, mais parce qu'elle a discuté du sujet avec bien des personnes : "Elles ont les mêmes soucis, je sais que mon cas n'est pas unique." Elle n'a pas demandé la CMU-C – "une question d'honneur" selon elle –, et paye 65 euros de mutuelles par mois pour "un contrat de base qui prend en charge l'hôpital, le médecin et les médicaments, mais qui n'est pas terrible pour les dents". "Faudrait payer beaucoup plus pour être bien remboursée", dit-elle. Elle ne peut pas. "Je ne comprends pas pourquoi de tels prix sont pratiqués ", finit-elle par lâcher.
Avec plus de 4 000 euros nets par mois, Christian Prado a de quoi vivre. Mais il a aussi beaucoup de dents à remplacer... Il y a d'abord "un bridge en fin de vie", avec trois dents concernées par la pose d'un implant (1 400 euros) et d'une couronne (600 euros). Et puis deux autres, voire trois, de l'autre côté, à force d'avoir laissé traîner et mangé toujours du même côté, ont été fragilisés. Il fallait arracher. L'informaticien a examiné le devis, qui s'élevait à 12 000 euros, a calculé ce qui resterait à sa charge – 7200 euros– et s'est dit qu'il avait certes les moyens financiers pour éviter de se faire poser un dentier, mais pas le budget à ce moment-là pour suivre le parcours classique. Il a donc cherché une alternative. Il a questionné un autre praticien que le sien, s'est tourné vers sa mutuelle aussi, mais n'a pas trouvé de solution moins chère.
"C'est l'omerta en France ", juge-t-il. Il s'est ensuite tourné vers Internet. Il avait entendu parler de la Hongrie, avait des liens en Tunisie, mais il craignait d'avoir un problème post-opératoire une fois rentré. Finalement, il a trouvé un dentiste français qui opère en Roumanie, et exerce en France. Une première opération a eu lieu fin 2011. Une deuxième est prévue en juin. A sa charge, voyages compris, il restera 3 750 euros. "Cela reste un montant, mais la différence de prix a accéléré ma décision", explique-t-il.
Dans le couple, tout deux auraient besoin d'engager de gros frais dentaires. Lui risque une infection s'il ne change pas un bridge abîmé par le retrait des dents de sagesse, suite à deux gingivectomies. Elle a un appareil à refaire et des dents "qui s'en vont". Mais rien ne sera entrepris, explique Mireille Allaigre. Les calculs sont vite faits, il y en a pour 3 500 euros pour son mari, dont 1 500 euros à sa charge, soit "un mois de salaire". Pour elle, 2 500 euros, dont 1 200 de sa poche. Soit 2 700 euros pour les deux.
Ils gagnent environ 2 100 euros par mois à deux, et ont un enfant à charge. Après une longue période de chômage, Mireille a retrouvé du travail en juin 2011 pour un an à mi-temps, et devra bientôt à nouveau chercher. Mais à 54 ans, elle sait que ce sera difficile. Comment mettre autant de côté dans cette situation ? Il faudra donc encore attendre. Mais "la pilule est un peu dure à avaler" : "On cotise, on paye une mutuelle, mais on ne peut pas se soigner", s'énerve-t-elle. Le montant de la cotisation à leur complémentaire s'élève à 122,56 euros par mois. "On paye des assurances pour rien, ça sert à ceux qui ont du fric", résume-t-elle.
>>> Lire l'article "Les soins dentaires sont devenus inaccessibles" et "A Lyon, l'ouverture de cabinets low cost dérange".
Laetitia Clavreul
| 09.03.12 | 11h22 • Mis à jour le 09.03.12 | 15h39
>>> Lire l'intégralité des témoignages, "Des dents en moins, et pas les moyens".
Vendredi 9 mars commencent des négociations conventionnelles entre chirurgiens-dentistes, assurance-maladie et complémentaires de santé. Personne n'en attend beaucoup. Pourtant, tous ces acteurs et les associations s'accordent sur un point : les prix des prothèses sont devenus un frein à l'accès aux soins.
Le dentaire représente les deux tiers des renoncements aux soins (ou reports) pour raison financière. Face à l'incapacité de payer, chacun a sa façon de faire. Véronique (le prénom a été changé) s'est cassé une dent de devant il y a deux ans. Elle est aide à domicile. Il lui était inenvisageable d'aller travailler avec "un trou" si mal placé, et tout autant inenvisageable de payer une prothèse. Son dentiste a rafistolé un vieil appareil fabriqué pour des molaires. Elle le porte "à l'extérieur", et ne mange surtout pas avec, de peur qu'il ne se casse.
"PROBLÈME DE LAISSER-FAIRE"
D'autres passent par les écoles dentaires, ou retardent le passage chez le dentiste – aux urgences de la Pitié-Salpêtrière à Paris, le nombre de consultations est passé de 13 412 en 2010 à 21 308 en 2011. D'autres encore optent pour l'étranger. C'est ce qu'a fait Christian Prado, informaticien, qui vient d'être opéré en Roumanie par un chirurgien français. Il avait six dents à remplacer. Ce qu'il devait mettre de sa poche est passé de 7 200 à 3 750euros. "Cela reste un montant, mais cette différence a accéléré ma décision", dit-il.
Il y avait déjà les réseaux mutualistes, il y a désormais des centres dentaires low cost. La profession s'en émeut, arguant qu'ils délaissent les soins mal rémunérés par la Sécu et se concentrent sur les prothèses, plus lucratives. Mais leur apparition en dit long: "Ils sont la vitrine de l'incapacité de l'Etat à gérer ce problème des soins dentaires", juge Roland L'Herron, président de la Confédération nationale des syndicats dentaires.
A l'Union nationale des associations familiales (UNAF), la dérive du système inquiète. "Le décalage entre les tarifs des chirurgiens et les remboursements, c'était déjà un problème il y a cinq ans", affirme Nathalie Tellier, chargée de mission. Elle pointe "davantage un problème de laisser-faire que d'envolée des prix".
"Les prix des soins dentaires sont stables ou en faible augmentation", explique Mathias Matallah, pour le cabinet d'études Jalma. Mais c'est sur les prothèses que la hausse est la plus dynamique. Surtout, la part des ménages est élevée. Selon Jalma, pour un prix médian de 516 euros la couronne, 244 euros restent à leur charge en moyenne. Et 409 euros s'ils ont une complémentaire "entrée de gamme".
SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLE
C'est en 1986 que les tarifs des prothèses ont été libérés – certains produits sont un peu pris en charge, comme les couronnes, d'autres pas, comme les implants. C'était là le moyen de permettre une hausse de revenus des dentistes, sans impact pour la Sécu. Les soins de base (caries…) et les soins chirurgicaux (extractions…), eux, sont pris en charge à 70 %. Mais, tout le monde le reconnaît, les tarifs payés par la Sécu aux dentistes sont éloignés des coûts réels. C'est donc avec les dépassements qu'ils compensent.
"Les tarifs ne bougent pas, on tire pourtant la sonnette d'alarme depuis des années", s'énerve M. L'Herron, au nom d'une profession qui "refuse de porter le chapeau". En septembre 2010, cependant, la Cour des comptes avait relevé qu'une hausse de tarifs octroyée en 2006 n'avait pas permis une maîtrise des dépassements, ce qui était pourtant l'effet escompté. Elle dénonçait une absence de politique globale sur ce secteur, dont l'assurance-maladie s'est peu à peu désengagée. Certes, elle n'y a jamais été aussi présente que sur les soins médicaux (75 %), mais, en 1980, elle prenait en charge 50 % des soins dentaires, contre 34 % aujourd'hui (et 18 % pour les prothèses). Les mutuelles ont compensé, et s'agacent de voir les dentistes remplir leurs devis selon la mutuelle du patient.
Aujourd'hui, les chirurgiens se disent prêts à faire un effort sur les dépassements si les tarifs sont revalorisés. Une décision que tout le monde juge utile. Mais, vu le déficit de l'assurance-maladie, un geste conséquent est peu probable, et encore moins une vraie réforme d'un système à bout de souffle.
L'UNAF réclame au moins un encadrement des dépassements. L'assurance-maladie y est favorable, et veut commencer par l'orthodontie, où le problème est tout aussi criant, voire plus. Les dentistes accepteront-ils s'il y a peu dans la balance? Les dépassements représentent 4 milliards d'euros par an, plus de la moitié du total des honoraires. Un montant en hausse chaque année.
>>> Lire notre article, "A Lyon, l'ouverture de cabinets low cost dérange".
Laetitia Clavreul
S. s'est mise aux antidépresseurs : elle en a « besoin pour tenir ». « Au boulot, rien ne va plus. » Elle ne reconnaît plus l'association qui l'emploie depuis plus de trente ans. Ses collègues « tombent comme des mouches ». « En ce moment, la moyenne, c'est deux arrêts de travail par semaine, des arrêts justifiés, pas de complaisance », dénonce-t-elle, la voix tremblante. Et pas n'importe qui : « Des bons, des solides, des responsables de service, craquent sous la pression de la hiérarchie, qui mène, tambour battant, une vaste restructuration à l'opposé des valeurs et de l'éthique de la maison. »
S. a peur de témoigner à visage découvert comme la plupart de ses collègues, cités tout au long de cet article. « Peur des représailles, qu'on me mute, me mette au placard ou me licencie » : « C'est arrivé à plusieurs d'entre nous. » S. travaille au sein de l'Afpa, l'association pour la formation professionnelle des adultes. La vénérable institution, un poids lourd né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour couvrir les besoins urgents de la reconstruction de la France, est engagée depuis 2009 dans de vertigineuses réformes qui l'ont plongée dans la crise.
Pour piloter ce changement de « business model », le gouvernement a nommé directeur général de l'Afpa un énarque qui connaît bien « le service public qui change », un quadra normalien formé à l'école « Raymond Soubie » (le conseiller chargé un temps du social à l'Elysée) : Philippe Caila, ancien directeur adjoint du cabinet d'Eric Woerth au budget et ancien directeur de cabinet d'André Santini au secrétariat d'Etat à la fonction publique.
Mais sur le terrain, la réforme et « sa logique ultralibérale », disent les syndicats, ne passent pas. La déclinaison du « plan stratégique » se fait dans la douleur, génère une désorganisation profonde et une grande souffrance au travail dans le rang des salariés, passés de 12.000 à 9.000 en moins de trois ans, soit 3.000 suppressions d'emploi, essentiellement des formateurs.
A l'heure où le chômage bat des records et où Nicolas Sarkozy martèle dans ses discours à la Nation qu'il faut former les demandeurs d'emploi, « priorité absolue », les intersyndicales et les représentants du personnel s'unissent pour dénoncer « le démantèlement », « la casse », « la privatisation » de l'Afpa qui forme, de fait, de moins en moins de chômeurs, son cœur de métier. Et pointent du doigt la contradiction du gouvernement : « A chaque élection, on a droit à de grandes déclarations. Cette fois-ci, c'est pire. On a un président candidat qui promet une formation qualifiante à tous les chômeurs alors que depuis cinq ans, c'est tout le contraire de ses déclarations qui est appliqué à l'Afpa », constate, amer, Alain Guillemot, le secrétaire général de la CFDT Afpa.
Dans tout l'Hexagone, les tracts, les lettres ouvertes, les motions et les grèves se multiplient et se ressemblent. Du Nord-Pas-de-Calais au Languedoc-Roussillon, en passant par la Champagne-Ardenne, la Lorraine, l’Alsace, l’Aquitaine, le Limousin, l’Auvergne, l’Ile-de-France ou encore la région Rhône-Alpes... les mêmes problématiques affectent les campus, illustrent la dégradation de cette école de la deuxième chance, à la pointe de la pédagogie, qui répond depuis 1949 aux deux défis de l'économie française : la lutte contre le chômage et la pénurie de main-d'œuvre.
Formations surchargées ou en sous-activité, assèchement de l'alimentation du dispositif à la suite du transfert des 900 psychologues de l'Afpa à Pôle emploi, plateaux techniques et d'hébergement en mauvais état faute d'investissement et d'entretien, transfert de tâches vers un personnel non formé, fermeture de sections, suppression d'effectifs, non-remplacement des départs, pénurie de moyens, pression des objectifs... Les cahiers de doléances s'alourdissent, conséquences directes, selon les syndicats, du fait de passer d'un mode de subvention à une procédure d'appels d'offres, de « vouloir transformer l’Afpa en compagnie “low-cost” de la qualification et en “hard-discounter” du parcours de formation ».
En Picardie où S. est en poste, l'une des plus petites régions Afpa, avec 311 salariés (effectif CDI et CDD en 2010), cinq centres et une direction régionale, le malaise est criant, les salariés en grande détresse. Début janvier, au micro de France Inter (NDLR - à partir de la minute 12), Catherine, une employée, interpellait avec virulence Nadine Morano, la ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, sur la situation « particulièrement catastrophique » de l'Afpa Picardie. « Le personnel se demande comment il va tenir (...). Est-ce que vous attendez des suicides avant de réagir ? », implorait-elle.
S. était en route pour le travail lorsqu'elle a entendu ce cri d'alarme dans son poste. « Ça m'a fait un bien fou d'entendre une collègue courageuse attirer l'attention des pouvoirs publics sur notre sort car on se sent isolés, ignorés », confie-t-elle. « On ne sait plus où on va. Quels que soient le service, notre niveau, on craque devant les ordres et contre-ordres, les dysfonctionnements, les changements stratégiques constants. Toutes les lignes de métier sont impactées », raconte un autre employé, qui a « triplé » sa dose journalière d'antidépresseurs.
En Picardie, depuis le « plan stratégique », les salariés ont l'impression de « prendre le chemin de France Télécom » et mettent en cause le management de leur direction régionale qui s'est durci avec l'arrivée d'Annie Dole il y a un an et demi. « C'est marche ou crève. Si t'es pas content, tu prends la porte », note R., un cadre, rompu au management, qui vit le premier arrêt de travail de sa carrière à 50 ans, « un coup violent ». Victime du syndrome d'épuisement professionnel, du « burn-out », R. a « pété les plombs » il y a quelques semaines, « pressé comme un citron ». « J'étais obnubilé par l'Afpa. Je ramenais tout à la maison. Je ne dormais plus. Je songeais à me foutre en l'air. »
Au sein de l'Afpa-Picardie, les indicateurs mesurant stress et sécurité au travail ont explosé. Ils sont deux à trois fois plus élevés que la moyenne nationale Afpa, lesquels chiffres sont déjà bien au-dessus de la moyenne des professions parmi lesquelles la caisse d'assurance maladie des travailleurs salariés classe l'association. Entre 2009 et 2010, le nombre d'accidents avec arrêts de travail a bondi de 200 %, le nombre de journées d'arrêts de travail de 647 %. « Les chiffres 2011 seront pires », prédit Marc Normand.
Délégué régional CGT, élu au comité d'établissement régional et président de la commission des conditions de travail, ce formateur en chimie industrielle, entré en 1983 à l'Afpa, constate, chaque semaine, les effets néfastes de la réorganisation sur le moral des troupes. Il cite l'exemple du service commercial, à Amiens, où la moitié du service est à l'arrêt, dont plusieurs responsables d'affaires. « On leur demande des objectifs irréalistes. Sur certaines formations, ils doivent faire 400 % de plus par rapport à l'an dernier, une gageure. On leur demande de compenser la perte du marché public en allant chercher le privé sans prendre en compte le contexte économique défavorable. Il faut tout de suite récolter. Or, dans ce milieu, il faut d'abord labourer, semer puis récolter », abonde un cadre qui côtoie au quotidien l'équipe de commerciaux.
« Perte de repères, instabilité permanente, réorganisation des métiers et des services, mobilité géographique, on assiste à une transformation du système à marche forcée, très rapide, très brutale. A France Télécom, la restructuration a été beaucoup plus lente dans le temps. Elle a été accompagnée. Nous, nous sommes seuls », note un syndicaliste. Seuls pour conduire une réforme dont l'esprit est en contradiction avec les missions historiques de l'Afpa : « La formation professionnelle, ce n'est pas une industrie mais de l'humain ».
Un ancien directeur régional avoue avoir été « chanceux » que la réforme tombe en même temps que sa retraite : « J’aurais eu des difficultés à l’accepter car elle est contraire à l’état d’esprit de l’Afpa. Je ne voyais pas l’association rentrer dans des logiques dictées par le marché et se soumettre à des appels d’offres annuellement remis en cause. L’institution ne peut qu’être fragilisée. Les formateurs peuvent se retrouver avec un statut aussi précaire que ceux qu’ils forment. »
Stagiaires en baisse et de moins en moins satisfaits, notamment les chômeurs (1.000 demandeurs d'emplois en moins formés entre 2008 et 2010, soit un tiers), salariés déboussolés qui se retrouvent sans activité et contraints à la mobilité géographique pour certains, formateurs en sur ou sous-activité, effectifs passés de 251 CDI à 200 en deux ans... En Picardie, les difficultés sont les mêmes que partout ailleurs et se font sentir dans les résultats financiers.
Malgré sa petite taille, la région était l'une des meilleures élèves et offrait des formations de pointe, sans équivalent sur le territoire national comme en chimie industrielle ou en traitement de l’eau. « On venait de toute la France pour y participer. Aujourd’hui, du fait de la régionalisation des financements, ces filières ont du mal à recruter car les stagiaires hors-région ne sont pas financés », pointe Marc Normand de la CGT.
Chaque année, l’Afpa Picardie totalisait entre 3,5 et 5 millions d'euros d'excédents brut d'exploitation. En 2011, dix mois après la déclinaison du plan, elle devrait accuser un déficit de 1,5 million d'euros qui s'explique notamment par une baisse de 25 % de l'activité de formation principalement sur les demandeurs d'emploi. A l’échelon national, le chiffre d’affaires 2011 visait les 950 millions d’euros. Il est en réalité de 847 millions d’euros, soit une perte de 100 millions d’euros.
L'un des facteurs aggravants de ces mauvais résultats en Picardie est le refus de la direction régionale de prendre part au SIEG (service d'intérêt économique général), proposé par la région socialiste, dont le statut juridique permet de déroger aux règles de commande publique et de garantir à l’Afpa la continuité de ses « actions de formation d’intérêt général » au travers de conventions pluri-annuelles. « Ce dispositif, nous l'avions pensé pour elle. C'était une façon de lui donner du travail. On créait comme une régie, on sécurisait l'organisme, explique Didier Cardon, vice-président chargé de la formation professionnelle au conseil régional de Picardie depuis 2004, mais la direction régionale n'en a pas voulu avant de se rétracter six mois plus tard, ce qui leur a valu des pertes de marché importantes. »
Pour Didier Cardon, « la formation régie par les marchés, c'est un moule destructeur. Il faut revoir la réforme de la formation professionnelle. Ce n'est pas un marché comme les autres surtout lorsqu'il concerne un public esquinté par la vie ». L'élu socialiste contemple la dégradation en Picardie avec impuissance : « Quand on brusque des cultures, on se trompe. On les aiderait bien mais nous ne sommes que partenaires. »
L'association se dégrade à l'image de son patrimoine immobilier au coeur d'un bras de fer juridique avec l'Etat qui lui en a transféré la charge comme le prévoyait la loi du 24 novembre 2009 sur l'orientation et la formation, décision finalement annulée par le Conseil constitutionnel en décembre 2010.
Le centre d'Amiens en zone industrielle, des bâtiments vétustes des années soixante, sur huit hectares, en témoigne. « Pour aller d'un atelier à l'autre, il faut passer par la pelouse boueuse car les escaliers sont défoncés », explique Fabrice Casselman, le délégué régional de la CFDT Afpa. En cette fin février, les rares stagiaires à être hébergés jouent au ballon sur le terrain de jeu obsolète. « Avant, il y avait des animations socio-éducatives et les hébergements étaient pleins. Aujourd'hui, on ne les remplit pas. Ce devrait pourtant être un atout pour vendre de la formation mais on n'y arrive pas », déplore l'élu CFDT.
Dégagé à 100 % sur ses heures syndicales, Fabrice Casselman a décalé sa semaine de vacances pour pallier le manque d'effectifs et remplacer son collègue formateur en électricité. « Il nous reste encore la solidarité. » Ingénieur passé par l'automobile et l'agroalimentaire, il travaille à l'Afpa depuis seize ans. Une passion – « J'adore ça, transmettre mon savoir, participer à remettre sur le monde du travail des populations en difficulté » – ternie par la réforme. « Avant le transfert aux régions, nous étions des oisillons dans un nid avec le bec ouvert. Aujourd'hui, il faut aller chercher la pitance », résume-t-il.
Tous les jours, il boit le café avec ses camarades formateurs. « Il y a dix ans ils avaient tous les yeux qui brillent de travailler à l'Afpa. Aujourd'hui, ils viennent tous à reculons. Artisans efficaces, on veut en faire des monteurs des lignes Peugeot. » Tous se plaignent des lourdeurs administratives, du nouveau logiciel SIHA pour les commandes de matériel, « la croix et la bannière », rage D., 50 ans. Vingt ans que ce spécialiste « froid climatisation » forme des stagiaires. Aujourd'hui, il vient « presque en marche arrière » : « Il n'y a plus de concertation entre le formateur et le manager de formation, plus de remplaçant si on part en congés. On n'a pas la direction régionale qu'il faut. Tout est fait sens dessus dessous au détriment de la qualité. Seule la rentabilité compte. Avant, on parlait HTS (heures travaillées stagiaires), aujourd'hui, on parle CA (chiffres d'affaires). »
E., en bleu de travail, formateur depuis vingt ans, fait une pause derrière son ordinateur. « Las ». Depuis deux ans, il « se demande tous les matins s'il va venir bosser » : « On n'a plus les moyens de travailler correctement. A la maintenance, je suis seul et je dois aussi assurer l'électricité alors que je ne suis pas électricien. » Il peste après ses stagiaires qui totalisent pour certains jusqu'à 209 heures d'absence et dont « tout le monde se fout sauf lui», déplore la disparition des psychologues, passés à Pôle emploi : «On n'a plus de suivi psychopédagogique des stagiaires. » « Ces derniers mois, les conditions de travail se sont dégradées, poursuit-il. Les formations sont plus courtes avec des stagiaires en difficulté et on doit arriver aux mêmes résultats. »
« Avant, tu travaillais pour les stagiaires, aujourd'hui, tu travailles pour le pognon. » Ancien employé d'une entreprise de chaudronnerie à Toulouse, Jean-Luc Madani a rejoint les rangs des formateurs de l'Afpa Picardie il y a trois ans au moment de la restructuration.
Il ne se doutait pas à son arrivée du « démantèlement qui se tramait », « un PSE (plan de sauvegarde pour l'emploi) déguisé », « la technique de France Télécom », condamne-t-il. Voyant son centre de Beauvais se vider – « un centre où la grande problématique était de se garer. Aujourd'hui, il n'y a plus que deux voitures, la moitié des formations ont été supprimées » –, il a renoué avec le syndicalisme de sa jeunesse. Défenseur Prud'hommes pour l'Oise, secrétaire du CHSTC, délégué CFDT, il en est à sa sixième saisine de l'Inspection du travail pour délit d'entrave. « Nous sommes de la viande. A Beauvais, un médecin du travail écrit noir sur blanc que les salariés sont en grande détresse. Personne ne bouge. Martyriser, décourager le salarié, c'est la solution qu'ils ont trouvée pour tailler dans les effectifs n’ayant pas les moyens d’un PSE. »
Fabrice Casselman renchérit : « La direction régionale joue la carte du pourrissement, de la gangrène. Comme ça, on coupe le membre et on s'en sépare. » Et de citer plusieurs exemples de salariés poussés à la démission ou licenciés, selon eux, pour « des motifs bidon », dont des cadres de direction.
L'un d'entre eux, Patrice Guénard, responsable des ressources humaines à la direction régionale à Amiens, d'abord mis à pied en septembre 2010 puis licencié en juin 2011 après trente ans de maison, et à ce jour toujours pas remplacé, est devenu « un cas emblématique ». Soutenu par les salariés et par les représentants du personnel, il doit prochainement passer devant le conseil des prud'hommes. Son avocate, Marie-Solange Orts, compte démontrer qu'il est victime « de méthodes de management au mépris des personnes, des accords collectifs et de la législation ».
« Des cas similaires sont éprouvés dans d’autres régions. Il y a une volonté certaine de faire le ménage », appuie Marc Normand. Comme ses camarades syndicalistes, le délégué régional de la CGT exige « le retrait du plan stratégique en cours et le retour à une Afpa de dimension nationale ». S., elle, en appelle aux candidats à la présidentielle, qu’ils se positionnent clairement sur la formation professionnelle et qu’ils stoppent ce « gâchis ».
Après une hausse continue observée depuis fin 2009, le nombre de salariés en emploi dans les secteurs marchands a diminué au troisième trimestre 2011 (- 31. 500) et au quatrième (- 22.600). Sur un an, le ralentissement des créations nettes d'emploi dans les secteurs principalement marchands est marqué : + 67.300 en 2011, après + 124.600 en 2010 ( +0,8%), selon les statistiques publiées jeudi 8 mars par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
L'emploi industriel accuse une légère baisse au quatrième trimestre (- 1.700) et sur l'ensemble de l'année (- 2.100), mais c'est surtout la construction qui souffre (- 4.600 postes au quatrième trimestre après - 6.300), ses effectifs salariés ayant diminué de 11.900 en 2011.
L'emploi tertiaire marchand recule sous l'effet de la baisse de l'intérim qui s'accentue (- 21.800 postes en 2011). Fait préoccupant, les pertes d'emploi dans le travail temporaire se sont accélérées, passant de - 12.900 au troisième trimestre à - 21.100 au quatrième. Cette accélération n'augure rien de bon dans la mesure où l'intérim est généralement considéré comme un indicateur avancé de l'emploi.
Comme l'amour selon Jacques Chardonne : le logement, c'est beaucoup plus que le logement...
Pour creuser cette question matérielle, philosophique, politique, sociale et anthropologique, trois universitaires labourant le champ de l'histoire, de l'urbanisme et de la sociologie, ont été filmées (lire la « boîte noire » ci-dessous) : de gauche à droite, Claire Lévy-Vroelant, Hélène Frouard et Danièle Voldman.
Nous vous proposons, en deux parties, un tour de table savant mais didactique, scrupuleux et parfois mutin : le logement et tout ce qu'il induit.
Et voici en détail la répartition des impôts payés par ce couple de contribuables:
DEFENSE NATIONALE
26.3%
$68.38
6.0% $15.60
10.5% $27.30
8.8% $22.88
0.7% $1.82
0.3% $0.78
SANTE
24.3%
$63.18
10.7% $27.82
10.3% $26.78
1.5% $3.90
1.0% $2.60
0.9% $2.34
EMPLOI-FAMILLE
21.9%
$56.94
4.4% $11.44
3.6% $9.36
2.2% $5.72
3.5% $9.10
1.8% $4.68
4.6% $11.96
0.6% $1.56
0.8% $2.08
0.5% $1.30
EDUCATION-FORMATION
4.8%
$12.48
2.8% $7.28
0.8% $2.08
0.4% $1.04
0.9% $2.34
VETERANS
4.1%
$10.66
1.9% $4.94
1.7% $4.42
0.5% $1.30
RESSOURCES NATURELLES ET ENVIRONNEMENT
2.1%
$5.46
0.9% $2.34
0.4% $1.04
0.8% $2.08
AFFAIRES INTERNATIONALES
1.7%
$4.42
0.7% $1.82
0.4% $1.04
0.6% $1.56
SCIENCE, ESPACE ET TECHNOLOGIES
1.2%
$3.12
0.7% $1.82
0.5% $1.30
IMMIGRATION, MAINTIEN DE l’ORDRE ET JUSTICE
2.0%
$5.20
Agriculture
0.8%
$2.08
Communauté, Territoire et Développement régional
0.5%
$1.30
Désastres Naturels
0.4%
$1.04
Programmes Gouvernementaux Additionnels
2.4%
$6.24
INTERETS NETS
7.4%
$19.24
LEMONDE.FR avec AFP | 02.03.12 | 22h05
"Est-ce qu'on va attendre 2017, les prochaines élections, pour dire 'ça y est, on a atteint le million' ? Est-ce qu'on va rester dans cette situation absurde ? J'espère qu'un certain nombre de nos candidats nous répondront, mais dans les actes et dans les faits", a par ailleurs déclaré à RTL le président des Restos du cœur.
L'association a adressé mercredi 29 février une lettre ouverte aux candidats à la présidentielle, les invitant à s'intéresser aux Français "vivant en dessous du seuil de pauvreté".
Emmanuel Todd - Marianne
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