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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 16:01

 

Déjeuner sur l’herbe 29/03/2012 à 17h33
Pierre Haski | Cofondateur Rue89

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Couverture de The Economist

 


Le Déjeuner sur l’herbe de Manet

 

Soyons honnêtes, c’est plus l’esthétique que le message qui nous a attiré l’œil. L’hebdomadaire britannique The Economist, roi incontesté de la couverture, a organisé un « déjeuner sur l’herbe » à la manière de Manet, dans lequel les gentilshommes Nicolas Sarkozy et François Hollande se disputent les faveurs d’une jeune femme dénudée qui ne s’intéresse guère à leurs boniments.

Le titre du magazine fait moins dans la nuance : « France in denial » (« le déni français »), avec un sous-titre qui en rajoute une couche : « L’élection la plus frivole du monde occidental. »

C’est la thèse habituelle de ce chantre du libéralisme anglo-saxon : tandis que les autres pays d’Europe se serrent la ceinture et font des efforts démesurés d’austérité et de rigueur, la France s’amuse.

Dans son éditorial, The Economist manque de s’étrangler :

« L’élément le plus frappant à propos de l’élection française est de voir à quel point personne ne dit rien de l’état déplorable de l’économie du pays. Personne n’a de programme pour faire baisser les impôts à en pleurer de la France.

M. Sarkozy, qui avait fait campagne en 2007 sur un programme de réformes en “rupture”, propose désormais aux électeurs le protectionnisme, de s’en prendre aux exilés fiscaux, de quitter le traité de Schengen qui assure la libre circulation en Europe, et (au moins jusqu’à Toulouse), des discours enflammés sur l’immigration et la viande halal.

M. Hollande, de son côté, promet plus d’Etat, la création de 60 000 postes d’enseignants, de revenir en partie sur la réforme des retraites de Sarkozy, et de presser le citron des riches (dont il a dit un jour qu’il ne les aimait pas) avec une taxation à 75% des plus hauts revenus. »

La fuite des riches ?

C’est ce que The Economist appelle le « déni français ». Le magazine dresse un portrait calamiteux de l’économie française qui, selon son éditorial, pourrait se retrouver « au centre de la prochaine crise de la zone euro ».

Car si François Hollande est élu, prédit le magazine britannique, il n’aura que quelques semaines devant lui avant que les riches ne quittent en masse le pays et rejoignent les cohortes de jeunes Français « réfugiés » en Grande-Bretagne où, fait-il observer, la taxation plafonne à 45%...

La dernière phrase justifie la superbe couverture :

« Les pique-niqueurs sont sur le point d’être submergés par la dure réalité, quel que soit le Président. »

Brrr... On en tremble pour cette pauvre jeune fille peinte par Manet, et que ces deux satyres en habit de bourgeois tentent de séduire vers un monde sans libéralisme.

On ne soupçonnera pas The Economist de vouloir noircir le tableau pour convaincre la jeune fille innocente de venir se réfugier à Londres. Encore que...

 

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 13:47

 

 

http://finance.blog.lemonde.fr/2012/03/28/la-fraude-du-libor-ou-la-perversion-des-marches-monetaires/

28 mars 2012

 

 

Il y en aurait pour des milliards de dollars.

 

Le scandale qui secoue la City de Londres et le monde financier mondial semble de plus en plus serieux. Seuls des articles sporadiques de spécialistes ont mis en évidence une fraude dont il est encore difficile de connaitre l’ampleur et la gravité.

 

Le LIBOR n’est autre que le  London Interbank Offered Rate. Il s’agit du taux auquel les banques se prêtent entre elles. Il est donc étroitement lié au financement et au fonctionnement de l’un des plus grands marchés au monde : le marché interbancaire, dont la taille est estimée a 90.000 milliards de dollars.

Il est fixé par des banques dites « de référence » tous les jours ouvrables à 11h à Londres. C’est en effet de la City que proviennent la plupart des mécanismes de référence : ce n’est pas de l’impérialisme. C’est du au fait que c’est à Londres que sont nés les euromarchés.

 

Le rôle du LIBOR a cependant largement dépassé le cadre des banques : après tout si les banques trichent entre elles, je ne suis pas convaincu que cela surprendrait, moins encore attristerait le grand public.

Depuis des décennies les crédits bases sur les taux à court terme ont pris ce taux pour référence : la plupart des grands crédits syndiques ont en effet un taux d’intérêt fluctuant, basé sur le LIBOR à trois ou six mois. La masse d’instruments dont les taux sont liés au LIBOR est estimée par le Financial Times à 350.000 milliards de dollars. Ainsi, si France Telecom a emprunté sur cette base, le jour de l’échéance de renouvellement du taux pour une nouvelle période de  trois mois pourrait être le LIBOR + 50 points de base, soit, en ce moment 0,5% (LIBOR) + 0,5% (la marge de credit), soit 1%. Cela vaut aussi pour les crédits hypothécaires et autres financements en dollars.

 

C’est donc tout le système qui repose sur ce moment magique.  Bank of America, Citibank, Barclays Bank, Credit Suisse, Deutsche Bank et UBS sont dans le collimateur des autorités de contrôle. Il semblerait que ce soient Barclays Bank, Citi et UBS qui aient alerte les autorites il y a plus d'un an et demi.

Le concept de  LIBOR a d’autre part émigré et il existe un equivalent du LIBOR pour les principales devises. Ainsi, les emprunts en euros sont basés sur un EURIBOR qui, fort heureusement, est confié à un panel plus large et est donc moins susceptible de manipulation. Ce qui ne garantit cependant pas son intégrité.

Dans ce contexte, les banques de référence disposent d’une forme de pouvoir qui, même limité, peut avoir des effets considérables sur les coûts de financement des entreprises et des particuliers et permettre à ces banques de financer à de meilleurs taux que d’autres ou, plus simplement, camoufler leurs difficultés de financement. Pour ce faire, il suffit de disposer des données permettant aux professionnels chargés de fixer le LIBOR, de prendre connaissance de la position de la Trésorerie de leur banque : 1 point de base (0,01%) n’avait aucune importance lorsque le LIBOR était élevé. En période de taux bas, il est naturel de se préoccuper d’un point de base qui peut avoir des répercussions journalières sur les coûts de financement des dizaines des milliards de dollars qui viennent a échéance chaque jour.

Le Gouvernement américain aurait été le premier à se soucier de ce sujet et enclencher une enquête sur ce mécanisme lors de la crise financiere. Ce sont les autorités de la City qui mènent l’enquête, avec une dizaine d’autorités de contrôle dont les françaises, allemandes, japonaises et américaines.Les conclusions sont tellement graves que l’on s’attend  à ce que, d’un jour à l’autre, plusieurs traders et banques impliqués dans ce scandale soient poursuivis pénalement.  Cette fraude est d’une telle gravité que plusieurs banques ont déjà renvoyé des traders peu scrupuleux qui avaient ainsi allègrement franchi la muraille de Chine qui est supposée séparer les opérations de trésorerie de la fixation du LIBOR. D’un autre coté, le LIBOR n’est significatif que parce que les Trésoreries des banques gèrent des capitaux suffisamment importants pour que le taux soit représentatif.

Comme dans le cas de notations frauduleuses des obligations représentatives des crédits subprime, certains traders avaient obtenu accès au système où les dirigeants de banques entraient leurs taux de référence et pouvaient les manipuler.

 

Il y a une certaine hypocrisie dans la manière dont les banques (qui ont toutes fait savoir qu’elles coopèreraient avec les autorités) tentent de faire peser le poids d’une fraude systémique aux seuls traders. Une fraude d’une telle ampleur implique non seulement la connaissance, mais l’approbation des hauts dirigeants des institutions concernées.

Comme le déclarait un avocat qui travaille sur ce sujet « cela pourrait bien n’être que le sommet de l’iceberg ».

 

 

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 13:34

 

 

Le Monde - 29 mars 2012

 

(REUTERS/Sergio Perez)

 

L'Espagne doit-elle adopter le modèle des "mini-emplois" en vigueur en Allemagne depuis 2003 comme remède au chômage ? Les suggestions de la Banque centrale européenne faites en ce sens, reprises il y a quelques semaines par le patronat espagnol, ont provoqué une levée de boucliers dans un pays où le salaire minimum est de 641,40 euros et où l'emploi précaire est déjà très répandu. A l'heure où le gouvernement de Mariano Rajoy est confronté à la première grève générale de son mandat, l'insécurité croissante du monde du travail est au centre de l'actualité espagnole.

En Allemagne, les mini-jobs correspondent à des emplois à temps partiel, rémunérés au maximum 400 euros mensuels, non-imposables et exonérés de charges sociales (lire à ce sujet une étude de l'Observatoire des conditions de travail en Europe sur les mini-emplois allemands). Les mini-emplois ont été un axe central de la politique d'assouplissement du marché du travail outre-Rhin. Mais le dispositif, qui y est également critiqué, a été lancé dans un contexte économique nettement plus favorable pour le pays.

Pour les syndicats espagnols, les mini-jobs sont déjà de facto une réalité dans le pays. Selon la dernière Enquête de population active, 16,1 % des jeunes de 25 à 29 ans étaient employés à temps partiel en 2007, contre 11,3 % en 2007. Parmi eux, 67 % l'étaient faute d'avoir trouvé un emploi à temps plein. En 2007, la proportion de jeunes exerçant par défaut à temps partiel et non par choix, était beaucoup plus basse : 37 %.

 

Mini-jobs ou contrats-poubelle ?

Les entreprises imposent davantage de temps partiel à leurs salariés comme mesure de flexibilité. Or pour les jeunes en recherche d'un emploi stable, les temps partiels sont un cercle vicieux : l'idée qu’un temps partiel puisse servir de pont vers une situation stable est un cliché et le cumul de plusieurs emplois partiels empêchent souvent le salarié de chercher dans de bonnes conditions un autre emploi plus pérenne et mieux rémunéré (lire les témoignages de jeunes obligés à cumuler plusieurs emplois recueillis par El Pais).

Pour le secrétaire général de Commissions ouvrières (CCOO), Ignacio Fernandez Toxo, l'introduction des mini-jobs allemands ne ferait que détériorer un marché du travail déjà tendu. Les CDD à temps partiels tels qu’ils existent en Espagne offrent en effet plus de garanties aux employés que les "mini-jobs" allemands, estime-t-il. Ils permettent notamment de bénéficier des conventions collectives et d'une protection sociale proportionnelle au nombre d'heures travaillées.

Antonio Baylos, enseignant en droit du travail à l'université de Castille-La Manche, estime de son côté que "l'utilisation actuelle des contrats à temps partiel chez les jeunes ressemble plus aux contrats-poubelles en vigueur aux Etats-Unis qu'aux mini-emplois allemands, qui sont souvent liés à des services sociaux. En plus, les mini-jobs allemands sont nés dans un contexte de forte protection sociale, associés à des aides qui n'existent pas en Espagne."

Le dispositif employé outre-Rhin n'a pas été retenu dans la réforme du travail adoptée par le gouvernement de Mariano Rajoy. Mais le débat n'est pas complètement refermé, le patronat militant toujours pour ces types de contrats.

 

Mathilde Gérard

 


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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 13:43
Marianne - Mercredi 28 Mars 2012 à 05:00

 

Laurent Pinsolle
Porte-parole du parti Debout la république dirigé par Nicolas Dupont-Aignan, ancien président... En savoir plus sur cet auteur
Douce avec les riches, dure avec les pauvres : la Grande-Bretagne présente un budget néo-libéral, l'inverse des politiques européennes. Avec de nouvelles mesures qui augmentent l'imposition des classes modestes tout en baissant les taxes sur les plus grosses fortunes et les sociétés, c'est un véritable « budget pour millionnaires » qui s'impose !

 

(SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA)
(SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA)
La semaine dernière, le ministre des Finances britanniques a annoncé de nouvelles mesures pour les années à venir. Après avoir monté les impôts des plus pauvres, le gouvernement conservateur a décidé de baisser l’impôt des plus riches et des multinationales !

Deux poids deux mesures

La comparaison entre le plan annoncé récemment et le premier train de mesures décidé par l’équipe de David Cameron en 2010 est surprenant. Il y a un peu moins de deux ans, il avait mis en place un plan d’austérité sévère, comprenant notamment une augmentation de 2,5 points de la TVA, une augmentation des taxes sur la finance (limitée finalement à l’impôt de bourse) et une baisse sévère des dépenses des ministères et notamment du traitement des fonctionnaires.
 
Le chancelier Osborne a annoncé le 21 mars un nouveau train de mesures qui montre bien que les deux côtés de la Manche ne fonctionnent pas du tout de la même manière. Malgré les immenses efforts demandés à tous depuis deux ans, le gouvernement a annoncé deux mesures très marquantes : une baisse de la tranche marginale d’impôt sur le revenu de 50 à 45 % (et potentiellement 40 %) et une baisse de l’impôt sur les sociétés de 26 à 24 %, puis 22 %.
 
Naturellement, les travaillistes ont fortement attaqué ce « budget pour millionnaires ». Le parti conservateur a critiqué l’augmentation de la tranche marginale d’impôt sur le revenu (décidée par le gouvernement de Gordon Brown) en soulignant qu’elle n’avait rapporté que 100 millions de livres. En fait, cela s’explique par l’optimisation fiscale des ménages qui gagnent plus de 150 000 livres par an, dont la base taxable a baissé de 25 % l’année de la réforme (87 vs 116 milliards).

La logique néolibérale à l’œuvre

Ces mesures démontrent extrêmement bien la logique de cette mondialisation néolibérale, douce pour les plus forts et dure pour les plus faibles. Il est proprement sidérant qu’en Grande Bretagne, le gouvernement baisse les impôts des multinationales et des plus riches et montent ceux de toute la population. Pourtant, les inégalités ne cessent de progresser. Et le gouvernement en rajoute de manière incompréhensible en les augmentant plus encore par le biais des impôts.
 
La logique avancée par les néolibéraux est simple : dans un monde globalisé et sans frontière, les hauts revenus et les multinationales sont mobiles, donc il ne servirait à rien d’augmenter leur taux d’imposition car cela ne reviendrait qu’à les faire fuir. Du coup, dans leur logique, il faut baisser les taux d’imposition, même dans un contexte de forts déficits et de sacrifices importants pour l’immense majorité de la population, comme le réclament les Tea Party aux Etats-Unis.
 
Mais cette logique est bien entendu totalement absurde. Tout d’abord, cette course au moins-disant fiscal est sans fin car il y aura toujours un Etat pour baisser davantage les impôts. En fait, dans un second temps, elle entretient les déficits qui permettent aux néolibéraux de demander de couper dans les budgets de l’Etat. Quel meilleur moyen que de baisser les impôts pour imposer un agenda néolibéral de privatisations des services publics et de coupes du budget de l’Etat !
 
Non contente d’augmenter les inégalités, l’anarchie néolibérale pousse les Etats non pas à compenser cette hausse par plus de redistribution, mais, en mettant en concurrence les fiscalités des Etats, à les faire accentuer les inégalités, comme le montre cet exemple.
 

Retrouvez Laurent Pinsolle sur son blog.

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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 13:34

 

Rue89 - Miracle ou mirage ? 28/03/2012 à 13h07
Elsa Fayner | Journaliste

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Un mirage dans le désert (Michael Gwyther-Jones/Flickr/CC)

 

Un taux de croissance de 3%, pour 1,7% en France ; un taux de chômage en diminution, à 6% aujourd'hui ; une place de troisième exportateur mondial ; une compétitivité boostée : l'Allemagne détonne dans une Europe en crise.

Pour Nicolas Sarkozy, c'est une évidence, comme il le formule le 20 janvier devant les salariés de l'entreprise SEB de Pont-l'Evêque, en Isère :

« Il faut […] qu'on arrive à alléger le coût du travail, ce n'est pas une question idéologique. […] Je ne peux accepter qu'on produise plus cher que nos voisins allemands. »

Baisser le coût du travail, la solution miracle ?

Des salaires allemands à la baisse

En tout cas, c'est celle que l'Allemagne a mise en œuvre. Les salaires mensuels ont diminué de 4% au cours de la décennie 2000-2010, représentant une perte moyenne de 100 euros, selon une étude de l'institut économique allemand DIW.

Toutefois, l'Allemagne partait de haut, et ses salaires n'ont fait que rejoindre ceux de la France dans l'industrie, selon plusieurs études de l'Insee.

En cause, principalement, dans cette évolution, d'après l'étude DIW : le travail partiel, qui a explosé ces dix dernières années.

Des candidats français fascinés

En France, on préfère réduire les cotisations sociales pour diminuer le coût du travail. En espérant enclencher un cercle vertueux pour réduire le chômage, et doper la compétitivité :

  • le « contrat de génération » de François Hollande prévoit que le maintien dans l'emploi d'un senior jusqu'à sa retraite et l'embauche d'un jeune, dont il serait le tuteur, donne droit à des réductions de cotisations pour l'employeur ;
  • baisser le coût du travail – et faire contribuer la consommation, par une hausse de la TVA –, tel est l'objectif de la TVA sociale envisagée par Nicolas Sarkozy. Le Président-candidat propose également une exemption de cotisations pour chaque embauche de senior en CDI ou en CDD de plus de six mois ;
  • tandis que François Bayrou prévoit des exonération de charges patronales pendant deux ans pour les entreprises de moins de 50 salariés qui embauchent un jeune en CDI.

Et pourtant, baisser le coût du travail peut provoquer des effets secondaires indésirables.

 

1 Déshabiller Paul pour habiller Jacques

 

Alléger les cotisations sur les salaires de certaines populations ? Il existe un précédent avec les contrats jeunes, lancés en 2003 par François Fillon. Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), rappelle leurs décevants résultats :

« Ce genre de dispositif doit être mis en place en phase de reprise économique, quand des emplois sont vraiment créés. Sinon, le risque, c'est un effet de substitution : au lieu d'embaucher un salarié de 42 ans, vous en prenez un de 21. Pour les contrats jeunes Fillon, plus de 90% des embauches jouaient sur l'effet d'aubaine, selon les travaux de la Dares. »

2 Un risque de déflation comme au Japon

 

Pour que la TVA sociale permette de créer de l'emploi et de la croissance, il faut que la baisse des salaires s'accompagne d'une hausse de la consommation. Or, commente Eric Heyer, l'Union européenne traverse actuellement une profonde crise de la demande.

« La TVA sociale peut nous entraîner au contraire dans une spirale déflationniste et mener à la catastrophe. Comme au Japon »

3 Une stratégie qui repose sur l'asphyxie des voisins

 

Comme le rappelle l'économiste de l'OFCE :

« Le miracle allemand tient au fait que les autres pays européens ont laissé faire. En baissant ses salaires, l'Allemagne a joué le jeu de la concurrence avec ses voisins européens. Le pays a d'ailleurs gagné des parts de marché à l'intérieur de l'Union européenne, pas à l'extérieur. Il a décidé d'étouffer ses voisins et de mener une stratégie à court terme. Si ceux-ci avaient réagi en faisant la même chose, en baissant les salaires, l'Allemagne n'aurait pas aussi bien réussi. »

Autrement dit :

  • dans l'Union européenne, baisser le coût du travail ne fonctionne que si les pays d'à côté ne font pas de même ;
  • c'est un choix « court-termiste » qui vise à mettre les pays d'à-côté en difficulté.

Pour Eric Heyer, cette stratégie doit se réfléchir à l'échelle européenne :

« Pour savoir quel pays a le plus besoin de dévaluer. La France ? Cela revient à se demander si nous voulons faire payer notre modèle social par les Espagnols, les Italiens, etc. Comme l'Allemagne a fait financer sa réunification par les Européens. »

4 Il y a bien d'autres raisons au succès allemand

 

Le coût du travail n'est pas le seul responsable de la compétitivité allemande, rappelle Charlotte Emlinger, du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) :

« L'Allemagne importe plus que la France des biens intermédiaires de pays moins cher, notamment des pays de l'Est, où elle a beaucoup délocalisé. Elle a choisi de produire à l'extérieur, moins cher, les différents éléments qui entrent dans la composition de ses produits et de les assembler sur son sol. »

Autres déterminants de la compétitivité allemande, poursuit l'économiste :

« Un ensemble de facteurs objectifs et subjectifs : qualité du produit, image de marque, adaptation au marché local, étendu du réseau de distribution, disponibilité du service après-vente, etc.

L'Allemagne dépense aussi plus du double de la France en R&D. Un chiffre est plus marquant encore : on y a déposé en 2008 70 brevets pour un million d'habitants, contre quarante en France. »

5 Envers du décor germanique : inégalité, précarité

 

Si le chômage a diminué en Allemagne, le nombre de travailleurs intérimaires a augmenté de 13% en un an, atteignant 910 000 personnes en juin 2011, selon les statistiques publiées fin janvier par l'Agence fédérale pour l'emploi. La moitié de ces contrats intérimaires durent moins de trois mois.

L'Observatoire international du travail déplore une hausse de l'emploi finalement très modérée. Surtout, les inégalités de revenu se sont accentuées, « à un rythme jamais vu, même après la réunification ».

 

 

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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 13:27

LE MONDE | 28.03.2012 à 14h07 • Mis à jour le 28.03.2012 à 14h23

Par Jean-Baptiste Chastand et Laetitia Clavreul

 
Le professeur Bernard Debré, de l'hôpital parisien Cochin, ici lors d'une manifestation à Paris fin avril 2009.

Le professeur Philippe Juvin a-t-il cumulé une fonction de trop ? Depuis sa nomination à la tête des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou, à Paris, la polémique n'en finit plus autour de celui qui est déjà député européen, maire de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) et qui ne compte pas ses efforts dans la campagne présidentielle pour représenter l'UMP.

Le Syndicat des praticiens des hôpitaux publics devait déposer, mercredi 28 mars, une demande de suspension en référé de cette nomination. "La lourdeur d'un service aussi important (...) et la nécessité de garantir la continuité du service public, dans une situation difficile, sont totalement irréconciliables avec l'ensemble des missions et fonctions du professeur Juvin", dénonce le syndicat.

Privilège pour les uns, scandale pour d'autres, cette affaire a mis au grand jour une curieuse pratique : le cumul du mandat de parlementaire et du titre de professeur d'université-praticien hospitalier (PU-PH). Outre ce parlementaire, quatre députés - Bernard Debré (UMP, Paris), Jean-Louis Touraine (PS, Rhône), Jacques Domergue (UMP, Hérault) et Olivier Jardé (Nouveau Centre, Somme) - cumulent ces deux fonctions, et les rémunérations qui vont avec. Un autre député-médecin, Arnaud Robinet (UMP, Marne), est lui maître de conférences.

Lire nos articles, Polémique sur le système de retraites des "mandarins" de l'hôpital public et  L'emploi du temps bien rempli de Philippe Douste-Blazy.

CHACUN SA MÉTHODE

Ces stakhanovistes jurent s'en sortir avec leur emploi du temps. Chacun a sa méthode : peu de sommeil, des journées à rallonge, un bon adjoint, moins de passages dans le service, un temps partiel à l'hôpital. Tous, surtout, assurent que cette pratique est légale. Pourtant, aucun n'a jamais saisi le Conseil constitutionnel pour s'en assurer. Car si le code électoral prévoit une exception pour les professeurs d'université à l'interdiction de cumuler un mandat parlementaire et un poste de la fonction publique, le cas des PU-PH n'est pas explicitement abordé. "Jamais nous n'avons été saisis de la question", assure-t-on au Conseil constitutionnel. L'exception au non-cumul pour les professeurs d'université est historiquement motivée par le fait qu'ils ne sont pas soumis au pouvoir exécutif comme les autres fonctionnaires. Jusque-là, le Conseil constitutionnel a pourtant eu une vision plutôt restrictive de l'exception réservée aux professeurs d'université.

En 2008, il a ainsi interdit à plusieurs parlementaires de donner des cours comme professeurs associés dans des universités. Le cas d'Arnaud Robinet, qui n'est pas professeur d'université mais maître de conférences, paraît encore plus étonnant. "Lors de mon élection, j'ai demandé au rectorat et au ministère. On m'a assuré qu'il n'y avait aucun problème pour cumuler", affirme ce toxicologue.

Tout le monde ne voit pas les choses ainsi. "Je suis simplement praticien hospitalier. Le lendemain de mon élection, mon directeur m'a convoqué pour m'annoncer ma mise en détachement. Je ne vois pas trop comment on peut cumuler les deux fonctions", témoigne Jean-Luc Préel, député Nouveau Centre de Vendée. "Une fonction médicale à haute responsabilité et un mandat à haute responsabilité, qui oblige à être absent plusieurs jours par semaine, ne sont pas compatibles", juge Michèle Delaunay, députée PS de Gironde. Responsable d'une unité de cancérologie au CHU de Bordeaux, elle a quitté son poste après son élection.

Parmi les intéressés, certains sont un peu gênés. "J'admets qu'il s'agit d'un privilège", confie M. Domergue. "Je ne suis pas un défenseur farouche du cumul", dit M. Touraine. D'autres n'ont pas ces états d'âme : "Il suffit de regarder la productivité de mon service", défend M. Debré. "J'ai une mission, réduire le temps d'attente aux urgences, je demande à être jugé sur des indicateurs", assène M. Juvin, qui estime qu'il a fait ses preuves comme chef des urgences de l'hôpital Beaujon, à Clichy, alors qu'il était déjà député européen.

DOUBLES SALAIRES

Il faut dire que les PU-PH profitent aussi d'un statut qui n'impose aucun décompte des heures de présence à l'hôpital ou à l'université. A chacun de gérer. Tous ont d'ailleurs une bonne raison de cumuler les fonctions. "Il est très difficile pour un chirurgien de reprendre une activité après cinq ou dix ans sans opérer", avance Jacques Domergue, chirurgien au CHU de Montpellier et directeur du centre anticancer du département. "On reproche beaucoup aux élus de ne pas connaître assez les difficultés de la vie de tous les jours. Là, je reste en contact", avance M. Touraine, adjoint au maire de Lyon et chef de service à l'hôpital Edouard-Herriot.

Pour M. Robinet, "il fallait bien quelqu'un pour continuer de donner des cours"."Mon activité me permet de garder ma liberté de parole, un député doit avoir un métier, sinon il est prêt à n'importe quoi pour rester élu", défend même M. Debré, élu député pour la première fois en 1986 et qui n'a jamais cessé d'exercer à l'AP-HP.

Ce flou leur permet de percevoir de grasses rémunérations, composées de leur indemnité de parlementaire, de leur salaire de PU et de leurs émoluments de PH. Certains, cependant, se sont mis en temps partiel et ne perçoivent qu'une partie de leur rémunération hospitalière, mais continuent de recevoir la totalité de leur salaire de professeur d'université. Deux d'entre eux ont choisi de conserver la totalité de leurs revenus, MM. Debré et Juvin. Ce dernier explique cependant qu'il lui arrive de poser un jour de congés quand il est très pris par son mandat, voire de demander une courte disponibilité. Et précise qu'il n'a pas d'activité privée à l'hôpital, pas plus qu'il ne touche de rémunération complémentaire de laboratoires pharmaceutiques ou pour des expertises. Ce qui peut rapporter beaucoup à certains.

Les rémunérations de ces madarins-parlementaires vont de 10 000 à 16 000 euros. Des doubles salaires qui flirtent avec ceux des ministres. Leur situation, si elle peut apparaître choquante, n'a pourtant rien de nouveau. "Bien sûr, la question du cumul d'activités se pose, mais Philippe Juvin n'est pas le premier, et ne sera vraisemblablement pas le dernier", fait remarquer Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HP.

Jean-Baptiste Chastand et Laetitia Clavreul

De 10 000 à 16 000 euros par mois

Sur les six parlementaires qui cumulent leur fonction avec celle de professeur d'université-praticien hospitalier (PU-PH), cinq ont accepté de détailler leur rémunération. Olivier Jardé (NC, Somme) n'a pas répondu à nos questions.

Bernard Debré cumule 8 000 euros net par mois pour son activité à l'hôpital avec ses indemnités de parlementaire UMP et de conseiller de Paris, plafonnées à 9 857,49 euros brut. Il a aussi une activité privée à l'hôpital.

Jacques Domergue En plus de ses 5 189,27 euros net d'indemnités parlementaires (UMP, Hérault), il reçoit 20 % de son indemnité de PH, qu'il exerce à temps partiel, et la totalité de son salaire de PU, soit 5 700 euros net.

Philippe Juvin En plus de son indemnité de député européen de 6 200 euros net, il touche plus de 6 000 euros comme PU-PH. S'y ajoute sa rémunération de maire UMP de La Garenne-Colombes , soit 1 500 euros.

Arnaud Robinet Son activité de médecin lui rapporte 2 600 euros net, qu'il cumule avec son indemnité de parlementaire (UMP, Marne) et 2 500 euros brut perçus en tant que conseiller général.

Jean-Louis Touraine Il continue d'exercer à deux tiers de temps, pour 7 850 euros par mois. Auxquels s'ajoutent ses rémunérations de député (PS, Rhône) et d'adjoint au maire de Lyon, plafonnées à 9 857,49 euros brut.

Une réforme des retraites très avantageuse

Fin 2011, les professeurs d'université-praticiens hospitaliers (PU-PH) ont obtenu une réforme avantageuse de leur retraite, révèle Le Livre noir des médecins stars, écrit par la journaliste Odile Plichon (Stock) et paru mercredi 28 mars. Le livre épingle les privilèges liés à un statut qui regroupe de 6 000 à 7 000 médecins. Jusqu'en 2007, les PU-PH ne cotisaient pour la retraite que sur une partie de leurs revenus. Depuis, deux accords sont intervenus pour compter l'ensemble des revenus, avec un abondement de l'hôpital qui les emploie. Résultat : leurs retraites connaîtront "jusqu'à 30 % de revalorisation", assure Odile Plichon. "Un ajustement budgétaire", se défend le Syndicat national des médecins hospitalo-universitaires. Au ministère de la santé, on assure que cette mesure vise à "donner un signal clair à la communauté hospitalière en maintenant le caractère attractif des carrières à l'hôpital"

 

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Polémique sur le système de retraites des "mandarins" de l'hôpital public

 

Le Monde.fr | 28.03.2012 à 09h38 • Mis à jour le 28.03.2012 à 14h08

Par Simon Piel

 
Selon les calculs du "Parisien", la retraite des PU-PH, qui est en moyenne de 4 400 euros mensuels, sera augmentée de 1 200 à 1 300 euros par mois.

"Nous ne sommes pas des stars, simplement des serviteurs de la nation." Frédéric Bargy, président du Syndicat national des médecins hospitalo-universitaires (SNPHU), n'a guère apprécié le "ton polémique" de l'article paru mardi 27 mars dans Le Parisien [lien abonnés].

Le quotidien, qui relaie les révélations du Livre noir des médecins stars de la journaliste Odile Plichon (Editions Stock), assure que "l'hiver dernier, dans la plus grande discrétion, Xavier Bertrand, le ministre de la santé, a négocié [...] un accord conclu en janvier [qui] prévoit pour ces PU-PH [professeur des universités - praticien hospitalier] jusqu'à... 30 % de revalorisation de leurs pensions en fin de carrière". "Une réforme des retraites secrètes pour les stars de la médecine", titre Le Parisien, qui a calculé que si leur retraite est en moyenne de 4 400 euros aujourd'hui, elle pourrait atteindre 5 700 euros mensuels avec cette nouvelle mesure.

"Il ne s'agit pas d'une réforme, mais d'un ajustement budgétaire", explique M. Bargy, par ailleurs spécialiste en chirurgie pédiatrique au sein du groupe hospitalier Saint-Vincent-de-Paul-Cochin, à Paris. "L'accord principal date en effet de 2007 et était déjà destiné à compenser le fait que les hospitalo-universitaires n'avaient de retraites que sur leurs émoluments universitaires", ajoute-t-il.

Il s'agit en effet du décret relatif à "la participation des établissements de santé à la constitution de droits à la retraite au bénéfice des personnels enseignants et hospitaliers", publié le 5 avril 2007. Celui-ci prévoit que les établissements publics de santé participent à la constitution de droits à la retraite des PU-PH à hauteur de 5 % des émoluments hospitaliers bruts annuels dans une limite maximale de 2 000 euros. Cela signifie pour simplifier que si un médecin hospitalo-universitaire épargne 2 000 euros pour sa retraite, son établissement participe lui aussi à hauteur de 2 000 euros.

"UN VRAI SOUCI DE TRANSPARENCE"

Interrogé par Le Parisien, le professeur Roland Rymer, président du Syndicat national des médecins, chirurgiens, spécialistes et biologistes des hôpitaux publics (SNAM-HPK), précise : en 2007, cette mesure "a introduit une sorte de retraite à points : la cotisation volontaire du médecin était abondée par l'hôpital. Dans le nouvel accord signé cet hiver, le plafond de cotisation a été supprimé, ce qui rend le système plus intéressant encore." "Les bases étaient posées en 2007, explique-t-il au Monde.fr, mais ça n'allait pas loin, ce dont le ministère avait convenu. Or, nous étions la seule profession en France ayant une retraite calculée sur la moitié des revenus."

L'arrêté, qui n'a pas encore été publié au Journal officiel mais dont le projet est disponible en ligne, modifie en effet plusieurs points de celui de 2007. Le montant de la participation de l'hôpital passe à 9 % des émoluments hospitaliers, à l'exception des titulaires exerçant une activité privée avec des dépassements d'honoraires, qui restent à 5 %. En outre, le plafond des cotisations disparaît. M. Bargy explique pour sa part que celui-ci n'est pas supprimé, mais qu'il remonte.

Pour Odile Plichon, cette réforme pose plusieurs problèmes. "Il y a d'abord un vrai souci de transparence, explique-t-elle. Avant de négocier cette mesure dans le plus grand secret, Xavier Bertrand a commandé un rapport à l'IGAS sur la question des retraites des PU-PH. Ce rapport n'a jamais été rendu public. Et aujourd'hui, il faut chercher dans les annexes de l'accord-cadre sur l'exercice médical pour trouver le projet d'arrêté revalorisant les retraites de ces médecins."

Par ailleurs, souligne-t-elle, "cette revalorisation va à contre-courant de tout ce qui a été fait sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy au niveau des retraites. Comme il n'est juridiquement pas possible d'accorder aux PU-PH deux retraites d'Etat, le gouvernement a trouvé une astuce en créant ce système de retraite surcomplémentaire." Et la journaliste de s'étonner : "Ne s'agit-il pas là pour M. Bertrand d'opérer une reconquête de l'électorat de ces médecins influents après la période de désamour qu'ils ont connu sous l'ère Bachelot ?"

Des arguments balayés par M. Bargy, pour qui cette communication a minima est justifiée. "C'est une mesure annexe et banale. Et ça n'a rien d'un immense privilège, dans la mesure où nous n'avions pas avant de retraite sur nos émoluments hospitaliers. Qui plus est, ça ne grève pas le système de retraite par répartition. Quant à l'argument électoraliste, croyez-moi, les politiques ne sont pas à 5 000 voix près."

IL EXISTAIT DES AVANTAGES COMPENSATOIRES

Des serviteurs qui se sont vu accorder ces dernières décennies d'autres avantages pour compenser cette absence de retraite, de la possibilité d'exercer une activité privée à l'hôpital à la création du système de consultanat - un système qui permet au PU-PH qui en fait la demande de prolonger son activité pendant trois ans après son départ en retraite. Contre l'exercice de "mission transversale", le médecin garde son statut de PU-PH et la rémunération qui va avec. 

Contacté, le ministère de la santé explique que "l'arrêté ne concerne que le régime des retraites complémentaires" et ajoute "qu'il s'agissait ici de donner un signal clair à la communauté hospitalière en maintenant le caractère attractif des carrières à l'hôpital".

La question de la retraite des professeurs hospitalo-universitaires est un vieux débat. Dans l'ouvrage de Mme Plichon, le professeur Rymer date les premières revendications à l'année 1978. En 2005 dans Le Monde, les responsables de la "coordination nationale des médecins hospitalo-universitaires" estimaient que l'urgence était d'obtenir pour eux une retraite digne de ce nom, même s'ils reconnaissaient que leur dossier "n'est pas de nature à faire pleurer dans les chaumières".

Simon Piel

 


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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 13:20

 

Le Monde - 28 mars 2012

Ils sont un peu entassés les uns sur les autres, entre les marchands de fruits et légumes et les vendeurs de chaussures en vrac. Mais en plein milieu du marché, au moins, on ne pouvait pas manquer les grandes et petites affiches accrochées tout autour du stand. Rien à voir avec les militants du Front de gauche qui tractent à quelques mètres : aucun candidat à défendre ici, que des candidatures à présenter.

 

Les stands de l'opération "Quartier de l'alternance" sur le marché d'Aubervilliers, le 27 mars. © E.R

Les stands de l'opération "Quartier de l'alternance" sur le marché d'Aubervilliers, le 27 mars. © E.R

 

Consciente des difficultés que connaissent les jeunes de son territoire à trouver des entreprises qui les accueillent en stage ou les prennent en contrat en alternance, la communauté d'agglomération Plaine commune organisait mardi, lendemain de la publication des chiffres du chômage – en hausse pour le 10e mois consécutif – une opération spéciale sur le marché d'Aubervilliers : attablés, entrepreneurs et organismes de formations recevaient un par un les jeunes, originaires de La Courneuve et d'Aubervilliers pour la plupart, venus leur présenter leur CV.

Première arrivée, dès 9 heures, Jessica, 21 ans. Elle a quitté la Guadeloupe où "il n'y avait pas d'offres" pour venir s'installer en métropole. Titulaire d'une licence professionnelle en gestion des ressources humaines, elle cherche désespérément un emploi depuis dix mois.

 

Ousmane, 26 ans, cherche une formation en alternance pour un BTS. © E.R

Ousmane, 26 ans, cherche une formation en alternance pour un BTS. © E.R

 

A 26 ans, après plusieurs années de petits boulots, en tant que vendeur, caissier ou secrétaire, Ousmane a décidé de reprendre ses études pour obtenir un BTS assistant de gestion, lui qui n'a pas le bac. Il cherche une entreprise pour un contrat en alternance, mais sait que ce sera difficile : car plus l'étudiant est âgé, plus l'employeur doit le payer cher (25 % du smic la première année pour un mineur, 53 % du smic pour les plus de 21 ans).

Charlotte*, 25 ans, n'en peut plus de son CDI de 30 heures par semaine dans une grande chaîne de fast-food et du "micro-salaire" qui va avec. Sans aucun diplôme autre que son bac SMS (sciences et techniques médico-sociales), elle avait commencé ça "comme un petit boulot" : "je n'aurais jamais cru y passer quatre ans !" Ses trois demandes de CIF (congé individuel de formation) pour devenir secrétaire médicale ont été refusées. "Je galère, confie-t-elle. Je n'ai pas envie de quitter mon boulot et de me retrouver chez moi au chômage..."

Le chômage, Ammar, 28 ans, l'endure depuis un an et demi malgré son CAP d'installation en équipements électriques, ses cinq années d'expérience, et ses multiples envois de candidatures. "A Pôle emploi, ils ne sont pas efficaces : ils m'ont plusieurs fois fait parvenir des annonces déjà pourvues..." Faute d'emploi stable, il a dû revenir habiter chez ses parents après avoir, un temps, volé de ses propres ailes. "Y a peut-être moins de boulot avec la crise, mais j'ai surtout l'impression que les gens sont perturbés par le mot lui-même, déplore-t-il. Certains pourraient embaucher mais se disent 'pas maintenant' car 'on ne sait jamais'. C'est d'abord un blocage psychologique."


Stressy 23 ans cherche du travail depuis juin 2011. © E.R

Stressy, 23 ans, cherche du travail depuis juin 2011. © E.R

 

Stressy, 23 ans, s'est assise à toutes les tables, et a pris plusieurs dossiers, aussi bien pour des formations d'électricien que pour devenir adjointe de sécurité dans la police nationale. Elle n'a pas trouvé de travail après sa formation d'assistante de vie aux familles en juin. Pour payer le loyer et subvenir à leurs besoins son ami cumule deux emplois : le premier de 6h30 à 13h30, le second de 14heures à 21h30.

Régulièrement, on voit aussi des parents plein d'inquiétudes poser quelques questions sur les stands et téléphoner à leurs enfants pour qu'ils viennent voir. "C'est pour ma fille de 22 ans, elle n'a pas de travail", dit l'une. "Mon fils a un bac+4 mais voilà deux ans qu'il ne trouve rien", dit une autre. Pas besoin de sondages pour comprendre qu'ici comme partout en France, l'emploi est au cœur des préoccupations.

"Mon vote ne fait pas changer les choses, il n'a pas de poids"

Alors, à moins d'un mois du premier tour, on demande à chacun de ces jeunes s'ils se sentent entendus par les politiques, s'ils ont l'espoir que leur situation s'améliore après les élections. Pour ces cinq-là comme pour tous ceux que nous croiserons pendant trois heures, la réponse sera là même : non. "Je ne sais pas même pas si j'irai voter ! assène Charlotte presque étonnée de la question. Qu'est-ce que ça va changer ? Rien !"


L'emploi est au cœur des préoccupations, et le vote qui se profile en avril prochain n'intéresse que peu de personnes rencontrées. © E.R

L'emploi est au cœur des préoccupations, et le vote qui se profile en avril prochain n'intéresse que peu de personnes rencontrées. © E.R

 

Ammar est du même avis : "A l'échelle nationale, ma situation, elle est infime. Même s'il y a un changement, je ne crois pas que c'est le fait que ce soit Hollande ou un autre qui va me faire retrouver un emploi !" Lui n'ira pas voter c'est sûr : comme Stressy, il ne s'est pas ré-inscrit sur les listes électorales. "En décembre, franchement, par rapport aux difficultés de ma situation, j'avais d'autres priorités..." Il évoque ses nombreuses démarches pour retrouver du travail, ses inquiétudes pour l'avenir.

Et finit par confier qu'en 2007, il y avait cru : il avait pris sa carte pour voter pour "Ségolène". "Sa défaite, je crois que ça a pesé psychologiquement : on s'était tous mobilisés ici et elle a perdu. Donc tu te dis que ça ne sert à rien de voter : mon vote ne fait pas changer les choses, il n'a pas de poids."

De tous, seul Ousmane est sûr de se rendre aux urnes le 22 avril. Ce sera la première fois. Pourtant, il ne croit pas non plus que les "contrats d'avenir" de François Hollande, le quota de 5% d'apprentis dans les entreprises de Nicolas Sarkozy ou l'investissement promis par Jean-Luc Mélenchon dans l'enseignement professionnel (voir les programmes) puissent changer sa situation. "Vu la tournure des choses, avec la fusillade de Toulouse et tout ça, je vais surtout aller voter pour que l'extrême droite ne passe pas, explique-t-il. Je veux juste éviter que ça empire. Mais pour mon quotidien, je ne crois pas que ça changera grand-chose."

A. L.


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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 13:02

Le Monde.fr | 28.03.2012 à 14h55 • Mis à jour le 28.03.2012 à 14h55

Par Cécile Chambraud

 
La réforme du marché du travail est contestée dans le sud de l'Europe.

Une grève générale en Espagne, jeudi 29 mars, un gouvernement en difficulté en Italie, des manifestations au Portugal et en Grèce : les réformes du marché du travail décidées par les Etats placés sous assistance financière ou menacés de l'être ne passent pas sans mal dans la zone euro. Elles cristallisent aujourd'hui les mécontentements de populations soumises par ailleurs aux conséquences souvent drastiques de sévères coupes budgétaires.

Lire En Italie, Mario Monti met sa démission dans la balance

Lire Les Espagnols en grève générale contre la réforme du marché du travail

Après les réformes des retraites conduites sans trop de tensions sociales un peu partout, les Etats revisitent un second pilier du "modèle social européen". Le statut des salariés, leur degré de sécurité dans l'emploi, leurs droits face à leurs employeurs et, par ricochet, le niveau de leur salaire, bref, tout ce qui conditionne leur vie quotidienne, leur fonctionnement familial et leurs perspectives d'avenir est en passe d'être modifié. Plusieurs pays ont conduit de telles réformes ces dernières années.

Voulu par le social-démocrate Gerhard Schroeder, l'Agenda 2010 a réformé le marché du travail allemand à partir de 2003. Ce tournant a favorisé le rétablissement spectaculaire de la compétitivité de la première économie européenne. Il a aussi provoqué le développement des "mini-jobs" et donc des travailleurs pauvres. Depuis le déclenchement de la crise, l'Estonie, la Slovaquie, la République tchèque entre autres ont assoupli leur marché du travail.

FLEXIBILISER LES CONTRATS DE TRAVAIL

Les réformes engagées dans les quatre pays du sud - Espagne, Portugal, Italie, Grèce - et qui valent aujourd'hui des difficultés à leurs gouvernements ont cela de particulier qu'elles ont été demandées par les bailleurs de fonds actuels ou potentiels de ces pays (Fonds monétaire international, institutions de l'Union européenne). Le 1er mars, douze chefs de gouvernement regroupés autour du Britannique David Cameron, de l'Italien Mario Monti, de l'Espagnol Mariano Rajoy et du Néerlandais Mark Rutte avaient d'ailleurs publié une feuille de route d'inspiration libérale pour sortir de la crise. Les réformes du marché du travail y figuraient en bonne place.

Ces réformes ont pour points communs d'assouplir les conditions de licenciement et de flexibiliser les contrats de travail dans le but affiché de favoriser les embauches. Les dirigeants d'entreprises, délestés de ce qui est présenté comme des obligations trop contraignantes, ne craindraient plus d'embaucher. Mariano Rajoy en a fait son premier acte de gouvernement après l'aide au secteur bancaire. Les Pays-Bas, l'Autriche et la Slovénie projettent aussi une telle réforme. La France aura du mal à rester à l'écart de ce mouvement général. Après l'élection présidentielle.

Cécile Chambraud

 

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 18:07

 

| Par Mathieu Magnaudeix

 

La trêve de Toulouse est terminée. C'est du moins ce qu'espèrent les candidats de gauche à la présidentielle. A un mois du premier tour, ils aimeraient bien revenir aux enjeux économiques et sociaux, à commencer par le pouvoir d'achat et le chômage qui poursuit sa progression, comme sont venus le rappeler les derniers chiffres de Pôle emploi publiés ce lundi.

En 2007, le candidat de l'UMP avait proposé un programme social cohérent, fondé sur la réhabilitation du travail, la promotion du mérite ou le rêve d'une France de propriétaires. Cinq ans et une crise plus tard, il affiche un bien maigre bilan. « C'est sur l'examen des questions sociales que les Français doivent voter »affirme le porte-parole du PS, Benoît Hamon, pour qui la progression du chômage est le « naufrage du quinquennat qui s'achève ».

Depuis son entrée en campagne, le président a tenté de reprendre la main en avançant plusieurs propositions destinées à faire parler d'elles, voire à provoquer. Mises bout à bout, elles forment une palette certes hétéroclite de propositions, qui ont néanmoins en commun d'être très radicales, en rupture évidente avec les figures imposées du dialogue social en France. Empreintes d'une vision autoritaire de l'Etat, elles défrisent y compris jusque dans son propre camp, même si les critiques publiques se font rares, union sacrée derrière le candidat oblige.

Sur la forme, le président, qui aimerait apparaître en « président du courage » face à l'adversité (austérité, crise de l'euro, économie au bord de la récession), prône des mesures radicales. Il se plaît ainsi à déjuger les « corps intermédiaires », à commencer par les syndicats avec lesquels il a pourtant activement discuté, voire dealé, au début de son mandat ; il promet un référendum sur la formation des chômeurs – du jamais vu ; ne cache pas son intention de renvoyer la négociation sur le temps de travail et les salaires dans les entreprises, alors qu'elle est traditionnellement davantage du registre de la négociation dans les branches et de la loi.

Sur le fond, il tance les supposés « assistés », veut réduire le RSA, annonce la TVA sociale (une mesure nouvelle qu'il avait longtemps rejetée) ou promet des mesures pour l'emploi des seniors (déjà annoncées à plusieurs reprises au cours de son mandat).

Certains, comme le candidat socialiste François Hollande, y voient une « improvisation permanente », nouvel avatar du « bricolage permanent auquel nous ne sommes que trop habitués depuis cinq ans ». D'autres, comme la CGT, qui appelle très officiellement à un « changement » à la tête de l'Etat, s'alarment d'une « nouvelle séquence de lourds reculs sociaux » si Nicolas Sarkozy était réélu.

Pour l'heure, Nicolas Sarkozy n'a pas de programme. Ses propositions sociales sont donc égrenées au fur et à mesure de ses discours ou de ses interventions télés, selon une logique que l'on peine parfois à saisir. Les unes articulées aux autres, elles dessinent néanmoins une conception autoritaire des rapports sociaux.


La remise en cause des « corps intermédiaires » et l'appel au peuple

François Hollande les cajole ouvertement, lui les désavoue, sans retenue. « Pendant cinq ans, j'ai pu mesurer la puissance des corps intermédiaires qui s'interposent parfois entre le peuple et le sommet de l'État, qui prétendent souvent parler au nom des Français et qui en vérité confisquent la parole des Français, déclarait Nicolas Sarkozy à Marseille, le 19 février. Ce ne sont pas les Français qui sont rétifs aux réformes mais les corps intermédiaires qui n'aiment rien tant que l'immobilisme.» Visés : en premier lieu les syndicats, qui se sont opposés à la réforme des retraites de 2010.

Ce revirement n'est guère étonnant selon Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES), auteur de plusieurs livres sur les syndicats et les relations sociales. « Durant ses cinq années, il a dressé à peu près tous les corps intermédiaires contre lui, de la justice à l'hôpital en passant par l'université. » Nicolas Sarkozy veut donc les court-circuiter. Lui qui s'est toujours méfié des référendums affirme désormais qu'il organisera des consultations populaires sur l'immigration ou la formation des chômeurs. A Villepinte, le 11 mars, il a ainsi plaidé pour un « droit à la formation » des chômeurs : « Quel que soit son âge, ou son statut, mais avec ce nouveau droit, on ne pourra plus refuser une offre d'emploi lorsque l'on sera au chômage. »

Quelle question serait alors posée ? François Fillon a évoqué l'idée de demander aux Français s'il ne faudrait pas consacrer « massivement » les 30 milliards de crédits de la formation professionnelle aux chômeurs. Une réelle aberration, car cela reviendrait à amputer la formation des actifs. « C'est absurde et cela semble largement improvisé, tranche Bernard Vivier, expert social proche de la CFTC qui dirige l'Institut supérieur du travail. D'abord parce qu'une mesure sur la formation des chômeurs ne devrait relever que des partenaires sociaux. Et puis avec quels crédits les entreprises pourraient-elles à l'avenir former leurs propres salariés ? »

Responsable du pôle travail et emploi auprès de François Hollande, le député des Landes Alain Vidalies dénonce une « proposition incohérente ». « Nicolas Sarkozy se sert de ses propres échecs et de ses propres carences pour alimenter le débat politique de façon simpliste. Le constat d'échec sur la formation des chômeurs est une réalité. Sauf que lorsqu'on compare la France à nos voisins européens, le gouvernement a réduit les moyens de Pôle emploi ! Par ailleurs, si certains chômeurs ne trouvent pas d'emploi, c'est d'abord parce qu'il n'y en a pas, et pas parce qu'ils sont mal ou pas formés ! »

Sociologue à Dauphine, la spécialiste du travail Dominique Méda pointe les contradictions du président Sarkozy et du candidat : « On ne peut pas dire que l'on veut développer la formation des chômeurs et supprimer en même temps les subventions à l'Association de formation professionnelle des adultes [un important organisme public de formation qui compte 9 000 salariés] comme le gouvernement l'a fait» (lire notre récente enquête sur l'AFPA).

« Cette déclaration n'a ni queue ni tête, estime Pierre Ferracci, patron du groupe de conseil social Alpha, missionné en 2008 par Nicolas Sarkozy pour réformer la formation professionnelle. Mais elle cache un vrai message politique : si on leur donne une formation et qu'ils n'acceptent pas un emploi, même déqualifié et qui ne correspond pas à leurs attentes, ils pourront être sanctionnés. »

 

Visite à l'usine d'Alstom d'Aytre, 21 février 2012 
Visite à l'usine d'Alstom d'Aytre, 21 février 2012© Reuters

La négociation dans l'entreprise

« Je souhaite que, dans l'entreprise, les accords compétitivité-emploi permettent aux chefs d'entreprise et aux salariés de discuter librement. » C'est l'obsession du chef de l'Etat depuis plusieurs mois, répétée à Villepinte : persuadé que le coût du travail handicape les exportations françaises (en réalité, le coût horaire dans l'industrie est le même qu'en Allemagne) et que les contraintes aux licenciements sont trop grandes, il entend ramener les négociations sur l'emploi dans l'entreprise. « Dans le monde qui est le nôtre, la loi ne peut plus tout prévoir, tout organiser, tout régler et surtout tout empêcher dans l'entreprise », dit-il encore. La proposition remplit d'aise le Medef, qui a toujours souhaité une telle évolution. A gauche, elle est considérée comme une brèche dans notre modèle social. « Il s'agit ni plus ni moins d'une négation de ce qui fait le fondement du droit social : le fait que le salarié est subordonné à son employeur. Remettre cela en cause, c'est vouloir recréer une situation analogue à celle d'avant ce droit social, celle du XIXe donc, dans laquelle le renard était libre dans un poulailler libre», explique Jacques Rigaudiat, ancien conseiller de Lionel Jospin à Matignon.

Comme l'a récemment raconté Le Monde, la négociation voulue par Nicolas Sarkozy patine. Il y a à cela plusieurs explications. Les partenaires sociaux, qui n'ont pas l'habitude de négocier pendant une présidentielle, craignent l'instrumentalisation. Par ailleurs, des franges importantes du patronat ne sont pas favorables à cette évolution. « L'évolution de la discussion entreprise par entreprise, ce n'est pas vraiment la tasse de thé de l'UIMM », explique Bernard Vivier. La puissante union patronale des métiers de la métallurgie, qui reprend du poil de la bête après l'affaire des versements suspects en liquide de ses anciens dirigeants, compte en effet de nombreuses petites entreprises qui n'ont pas forcément le temps de mener de telles discussions. « Ce genre de proposition, si elle était appliquée, contribuerait à nous fait évoluer de plus en plus vers un système à la japonaise, poursuit Vivier. [Ce serait] des accords corrects dans les grandes entreprises, et de mauvaises conditions sociales dans les petites et chez les sous-traitants. »

Inspirés du fameux “modèle allemand” dont se gargarise le chef de l'Etat (souvent à mauvais escient), les accords compétitivité-emploi qu'il prône depuis plusieurs mois ne s'improvisent pas dans une culture sociale française conflictuelle. « Ce type d'accords nécessitent une grande maturité des partenaires sociaux, une culture de l'anticipation, du compromis et de la confiance, reprend Pierre Ferracci. On ne peut pas les décréter sous la pression. »

La rhétorique anti-assistés

Une partie de l'UMP emmenée, notamment, par Laurent Wauquiez en a fait son principal cheval de bataille depuis la défaite de l'UMP aux cantonales de mars 2011, marquées par une progression du Front national. Cette « guerre aux pauvres » repose sur l'idée selon laquelle l'assistanat est un « cancer » (dixit Wauquiez) de la société française, croyance en réalité démentie par les faits et les chiffres. (Lire notre article « La France, un pays d'assistés ? »)

Dans la campagne, le chef de l'Etat reprend à son compte deux propositions nées à droite de sa majorité. « Dans l'assistanat, on perd de plus en plus la maîtrise de sa vie. On a le droit d'être soutenu par la société, mais on a le devoir de s'investir en retour », a dit Nicolas Sarkozy à Villepinte. S'il est élu, le chef de l'Etat promet que les bénéficiaires du RSA devront effectuer 7 heures de travaux d'intérêt général payés au Smic par semaine. Leurs « efforts d'insertion » seraient par ailleurs « évalués tous les dix-huit mois » – on ne sait pas comment. Autre mesure : les attributions du RSA et du minimum vieillesse seraient soumises à des conditions de nationalité bien plus restrictives. Seuls les étrangers ayant résidé dix ans en France et y ayant travaillé cinq ans pourraient toucher ces allocations d'assistance, d'un montant respectif de 475 euros et de 742 euros pour une personne seule.

« Notre Etat-providence s'est encore amélioré pendant la crise, bien plus que dans d'autres pays », justifie le président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale Pierre Méhaignerie, un “social” de l'UMP membre du comité stratégique de la campagne de Nicolas Sarkozy. « Par ailleurs, notre système d'assistance est assez développé. Des gens ont peur de franchir le temps partiel de crainte de perdre la CMU ou les bourses : il y a une dynamique sociale à recréer, dans le sens d'une plus grande justice. »

Selon Pierre Méhaignerie, il conviendrait néanmoins de réformer d'autres aspects de l'Etat-providence, comme par exemple l'assurance-chômage des cadres, très généreuse (le cadre chômeur se voit garantir le plus haut plafond d'indemnisation du chômage d'Europe : jusqu'à 5 700 euros par mois). Une proposition que rejettent les syndicats..., mais que le candidat Sarkozy, soucieux de préserver sa clientèle électorale, n'a pas davantage retenue.

Dans cette stigmatisation des assistés, le chercheur Jean-Marie Pernot, lui, voit surtout le retour d'une « vision libérale autoritaire de la conduite politique des sociétés : on en revient au traitement des pauvres et à la bienfaisance du XIXe siècle, avec cette idée qu'il y a de bons et de mauvais pauvres, ceux qui acceptent les formations qu'on leur propose et les autres, les assistés. On retrouve en cela des thèmes chers à la droite réactionnaire et conservatrice».

Selon Dominique Méda, professeur de sociologie à Dauphine, de telles propositions ont aussi une vraie cohérence idéologique. « Elles reprennent le fameux paradigme du chômage volontaire, seriné depuis vingt ans par les économistes orthodoxes et les institutions internationales comme l'OCDE : s'il y a du chômage, c'est d'abord que les gens ne veulent pas prendre le boulot qui existe. Il faut donc les inciter et les contraindre à le faire. » Un cadre idéologique « néolibéral », qui vise aussi à abaisser les protections de l'emploi et les salaires. « Cette vague est en train de se déployer sur toute l'Europe. Tony Blair l'a fait au Royaume-Uni, Gerhard Schröder l'a fait en Allemagne au début des années 2000, ce qui a eu pour conséquence de créer une sorte de sous-marché du travail avec des emplois spéciaux et mal payés pour les chômeurs de longue durée notamment. L'Espagne a aussi réformé son marché du travail en ce sens, Mario Monti vient de faire de même en Italie. »

 

 

A Hayange (Moselle), fief d'ArcelorMittal 
A Hayange (Moselle), fief d'ArcelorMittal© Reuters

Des mesures en vrac

Semblant ne pas tenir compte de l'échéance présidentielle, le chef de l'Etat a annoncé le 29 janvier une majoration de la TVA au 1er octobre, compensée par une baisse des charges sur les cotisations sociales pesant sur les bas salaires. Elle entraînerait la suppression de la prime pour l'emploi. Un nouveau revirement alors qu'il excluait toute augmentation de la TVA quelques mois plus tôt, au motif que « ça pèserait sur le pouvoir d'achat et ça serait injuste ».

Plus récemment, Nicolas Sarkozy a proposé d'exonérer de charges sociales « l'embauche de chômeurs de plus de 55 ans qui obtiennent un CDI ou un CDD de plus de six mois »dans la limite de 36 000 euros par an. La proposition, qui ne figurait pas dans le programme de l'UMP, est surtout une réponse au « contrat de génération » proposé par François Hollande. « Cette exonération était déjà dans la loi sur les retraites, tonne Alain Vidalies, responsable du pôle travail et emploi auprès de François Hollande. Mais en 2011 le gouvernement l'a supprimée pour la remplacer par une prime de 2 000 euros pour une entreprise qui recruterait un senior. Nicolas Sarkozy n'hésite donc pas à reprendre ce qu'il avait proposé puis abandonné. A croire que pour lui, faire et défaire, c'est toujours travailler... »

Le chef de l'Etat propose également de réduire de moitié les droits de mutation payés par les ménages lors de l'acquisition de leur résidence principale. Un manque à gagner de 6 à 10 milliards d'euros par an pour les collectivités locales, départements en tête, qui peinent pourtant de plus en plus à assurer leurs missions... A commencer par le financement du RSA et de l'insertion.

entretenir le mythe du président des usines

« Il ne faut pas laisser partir les emplois industriels. Quand l'industrie s'en va, tout le reste risque de partir. (...) Si pour sauver notre industrie, l'État doit investir comme je l'ai fait avec Alstom, alors l'État investira. » Une fois de plus, Nicolas Sarkozy s'est posé en garant de l'industrie lors du récent discours de Villepinte.

Une vieille rhétorique : au début de son mandat, Nicolas Sarkozy avait promis quasiment dans les mêmes termes aux salariés d'ArcelorMittal à Gandrange (Moselle) que l'Etat investirait si besoin à la place de l'industriel. « Si souvent dans le passé les annonces n'ont pas été suivies d'effet ! s'était alors écrié le président. Si souvent les mesures mises en œuvre n'ont pas été à la hauteur de celles qui avaient été annoncées ! Si souvent les engagements n'ont pas été tenus ! Les Français avaient fini par perdre confiance dans la parole de l'Etat. » Il n'en a finalement rien fait. L'aciérie a fermé. Les salariés ont certes été reclassés, mais les promesses de revitalisation du site sont en grande partie restées lettre morte.

Depuis quelques semaines, le chef de l'Etat a tenté de conjurer le sort en trouvant un repreneur à l'usine Lejaby d'Yssingeaux (par l'entremise du milliardaire Bernard Arnault, dont le président est proche), ou bien en insistant auprès du patron d'EDF (un autre de ses proches) pour qu'il reprenne l'entreprise de panneaux solaires Photowatt, dont EDF ne voulait pas. Il a même renoué avec les promesses en l'air, en présentant (faussement) des investissements déjà prévus sur le site ArcelorMittal de Florange comme de nouveaux investissements consentis par le tycoon de l'acier, Lakshmi Mittal. Le 14 mars, les ouvriers qui protestaient devant le QG de Nicolas Sarkozy ont en revanche été accueillis par des gaz lacrymogènes.

Selon l'Insee, la France a détruit environ 300 000 emplois industriels depuis 2007, et 750 000 depuis dix ans.

 

Autoritarisme social

Ces mesures distillées en vrac au cours de la campagne dessinent-elles pour autant une doctrine sociale ? « C'est une bonne question », concède l'UMP Pierre Méhaignerie, bien embêté pour y répondre. Il admet prudemment certains loupés : « La réflexion sur le chômage est insuffisamment organisée dans le cadre de la campagne, j'en conviens. Il y a par ailleurs une volonté d'aider les blessés de la vie laissés au bord de la route, même si elle n'est pas vraiment formulée. »

Ce vieux routard du social, connu pour ses positions modérées, ne juge-t-il pas les mesures proposées par le candidat trop radicales ? « Mon silence est une réponse : il faut changer la forme chez tous les candidats », répond-il, énigmatique. « Les corporatismes sont en France très puissants. Aujourd'hui, je ne compte plus sur la capacité des structures syndicales et patronales à faire la pédagogie du monde nouveau, reprend Méhaignerie, en défense de son candidat. Le gouvernement, s'il veut les suivre, ne répondra pas aux objectifs d'efficacité et de justice. » Le très centriste président de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée défend donc désormais l'idée qu'il ne faut plus écouter les syndicats et le patronat...

D'après Alain Vidalies, responsable du travail et de l'emploi auprès de François Hollande, le chef de l'Etat tente d'abord dans cette campagne de profiter de la méfiance grandissante envers les institutions, y compris sociales. « Nicolas Sarkozy définit une politique uniquement par rapport aux attentes et aux inquiétudes relevées dans les enquêtes d'opinion. Il a décelé une sorte de réticence des Français par rapport aux institutions, aux représentants politiques, aux syndicats : au lieu de lui apporter des réponses politiques, il entend surfer dessus. »

Selon Pierre Ferracci, le discours de Nicolas Sarkozy vise néanmoins juste quand il pointe les « vraies complexités » des institutions sociales, du chômage à la formation en passant par la retraite. « Sur la formation par exemple, il y a un gaspillage éhonté. Il faut évidemment bousculer les partenaires sociaux là-dessus. Et c'est parce que les réformes nécessaires ne sont pas menées que cela permet toutes les démagogies et toutes les mises en accusation, jusqu'à la remise en cause actuelle des acteurs sociaux. » Sauf que, selon lui, Nicolas Sarkozy n'a guère contribué à rénover ce système quand il s'est attaqué à la réforme de la formation professionnelle, qui constitue pour les organisations patronales et les syndicats une manne financière importante. « La réforme n'est pas allée très loin à cause des partenaires sociaux, certes, mais aussi en raison de sa propre incapacité à décider », témoigne-t-il.

Plus largement, les audaces du chef de l'Etat se nourrissent largement des renoncements intellectuels de la gauche, suggère Dominique Méda, professeur de sociologie à Dauphine. « La gauche a perdu une bataille idéologique : elle n'arrive plus à faire passer l'idée du droit au secours, à l'assistance, des principes pourtant intégrés dans la Constitution de 1946. Aujourd'hui, certains de mes étudiants me parlent d'assistanat sans problème ! » D'après la chercheuse, l'architecture sociale en France est devenue « épouvantablement compliquée », une situation aggravée par la décentralisation. « On est arrivé à un système illisible et inefficace. Beaucoup de politiques sont gérées par plusieurs collectivités à la fois. Pour engager une action de formation par exemple, il faut des conventionnements entre plusieurs organismes, entre plusieurs niveaux de responsabilité. Tout le monde a un petit bout de quelque chose, et il est donc très difficile de faire évoluer le système. Evidemment, Nicolas Sarkozy a beau jeu de dire que cela ne fonctionne pas. » Et on ne peut pas dire que le candidat socialiste fasse entendre ses propositions en la matière.

Lors de cette campagne, Nicolas Sarkozy tente en réalité d'opérer une énième métamorphose. Après avoir, de 2007 à 2010, usé et abusé des rencontres et des compromis avec les organisations syndicales, séquence interrompue par son passage en force lors de la réforme des retraites, le chef de l'Etat a endossé un nouveau costume : celui de président du peuple, se lançant du coup dans une fuite en avant qui ne laisse pas d'inquiéter. Une telle remise en cause des corps intermédiaires est en effet inouïe dans le discours d'un président de la République, même en campagne électorale.

« Nicolas Sarkozy est passé d'un extrême à l'autre, juge Pierre Ferracci. Entre câliner les syndicats comme il l'a fait au début de son mandat et les choquer comme aujourd'hui, il y a un entre-deux. » « Il ignore ce qui était sa vérité d'il y a deux ans », renchérit Alain Vidalies. Sous l'impulsion de son ancien conseiller social à l'Elysée entre 2007 et 2010, Raymond Soubie, Nicolas Sarkozy s'était en effet évertué à mettre les formes dans ses relations avec les syndicats et le patronat, régulièrement convoqués pour des sommets sociaux à l'Elysée pendant la crise. Jusqu'à la réforme des retraites, il a plus ou moins respecté l'esprit d'une loi de 2007, la loi Larcher, qui laisse plus d'espace à la négociation entre partenaires sociaux.

« Le président en campagne s'aperçoit qu'y compris à cause de lui, des réformes n'ont pas été menées, et il entend en faire porter la responsabilité à d'autres que lui, les partenaires sociaux ou bien les régions, décrypte Ferracci. C'est ce qui, à mon sens, explique ce changement de registre. En bousculant tout le monde, il veut apparaître en chef de guerre qui ne craint pas l'impopularité. Le résultat ? Un fourre-tout de propositions qui partent dans tous les sens. »

« Il me fait penser à Louis-Napoléon Bonaparte avant le coup d'Etat, celui qui ne cessait d'afficher son souci du peuple, compare Bernard Vivier, de l'Institut supérieur du travail. Pour cela, il joue la carte du peuple contre les élites. Sans doute espère-t-il ainsi se défaire de l'image de président des riches. »

« Nicolas Sarkozy, ludion qui s'agite en permanence, doit occuper l'arène dans cette campagne, quitte à proposer des mesures qu'il ne mettrait pas en œuvre une fois élu, tranche Jean-Marie Pernot. En même temps, ses thèmes de prédilection dévoilent un imaginaire très à droite, une crispation autoritaire, une vision caporaliste de l'organisation des relations sociales. »

D'après Bernard Vivier, une telle posture ne peut que miner encore un peu plus le paritarisme, cette gestion concertée entre syndicats et patronat de la Sécurité sociale qui fonde les relations sociales en France depuis la Seconde Guerre mondiale. « Pendant cinq ans, on a assisté à une étatisation de la vie sociale. Bien souvent, il a enlevé aux partenaires sociaux toute possibilité de négocier entre eux au sujet du logement, des retraites complémentaires ou encore du chômage : la réforme de Pôle emploi n'a-t-elle pas abouti à l'absorption du système paritaire des Assedic par l'ANPE, un système étatique ?» Au début de son mandat, beaucoup d'acteurs du monde social se sont interrogés sur la révélation opportune de l'affaire des enveloppes en liquide de l'UIMM, une institution qui détient l'expertise sociale au sein du patronat, très engagée dans le paritarisme.

A l'instar de Dominique Méda, d'autres observateurs voient en Nicolas Sarkozy celui qui pourrait achever de « convertir le modèle social français en modèle libéral avec la remise en cause de la protection de l'emploi, tandis que nous faisions partie des derniers pays à avoir résisté à la grande vague de déstructuration des Etats-providences ».

« Ce qui nous arrive aujourd'hui par la bouche de Sarkozy n'est pas un éclair dans un ciel serein : les nuages s'accumulaient depuis longtemps, s'inquiète l'économiste Jacques Rigaudiat, ancien conseiller social de Lionel Jospin à Matignon, désormais soutien de Jean-Luc Mélenchon. C'est la fin de l'esprit de 1945 et du Conseil national de la résistance. Cela apparaît aujourd'hui de façon limpide, presque naïve, chez Nicolas Sarkozy car tout est tombé autour de lui. Son idéologie est nue. »

Selon lui, la proposition de Nicolas Sarkozy d'instaurer des référendums en matière sociale constitue une « vraie rupture » : « C'est une façon de dire que les manifestations dans la rue n'expriment plus un rapport de force. S'il peut se le permettre, c'est parce que suffisamment d'aspects de notre modèle social ont été déconstruits pour que cela recoupe la réalité politique. »

Excès de pessimisme ? Selon Jean-Marie Pernot, « si Nicolas Sarkozy est réélu et qu'il met en place ce programme, nous serions alors confontés à une situation problématique car cela voudrait dire qu'il y a un mouvement d'opinion pour sa conception autoritaire des relations sociales et cela serait grave ».

A l'inverse, en cas de défaite, lui comme ses propositions seront « très vite oubliés », veut parier le chercheur.

 

 

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 18:00

 

Noniste un jour... 26/03/2012 à 18h25
Mathieu Deslandes | Journaliste Rue89
Les candidats à l'élection présidentielle draguent la « France du “non” ». En 2005, un homme avait été son porte-parole. Sept ans après, Etienne Chouard reste mobilisé.

Etienne Chouard, chez lui, en mars 2012 (Mathieu Deslandes/Rue89)

François Hollande et Nicolas Sarkozy sont d'accord au moins sur un point : pour l'emporter le 6 mai, il faut « réconcilier la France du “oui” et la France du “non” ». Ces deux camps dessinés en 1992 lors du référendum sur le traité de Maastricht et renforcés treize ans plus tard à l'occasion du référendum sur le traité constitutionnel européen.

En 2005, la « France du “non” » avait un héraut : Etienne Chouard. Un prof marseillais qui avait fait l'effort de décortiquer le projet de Constitution européenne avant de recenser toutes les raisons qu'il y avait de s'y opposer. Son blog était devenu un point de ralliement.

Sept ans après, Etienne Chouard reste une référence pour de nombreux « nonistes ». Ils le lisent, lui écrivent, l'invitent à prononcer des conférences. Depuis un an, cet émotif volubile aux faux airs de Guy Forget est en tournée permanente. Lyon, Montpellier, Nice, Gap, Paris, Bruxelles...

Un soir, il se produit dans une MJC ou un café citoyen ; le lendemain, dans une université ; la semaine suivante, dans une antenne d'Attac ou chez des militants mi-écolos mi-« indignés ». « On est quelquefois 15, quelquefois 200. En général, on est autour de 80. » Ça peut durer cinq, six, sept heures. Refaire le monde est un marathon.

« Je fais comme Hippocrate »

L'invitation est souvent lancée par « des vieux militants qui se battent contre les injustices sociales depuis trente ou quarante ans ». Ils « se sont rendu compte que ça ne changeait rien mais reprennent espoir quand ils m'entendent, parce que je leur apporte une lumière ».

A tous, cet athée de 55 ans révèle que « nos malheurs » (la catastrophe écologique, la destruction des services publics, l'exploitation au travail, le règne de l'argent...) ont été rendus possibles « à cause de notre impuissance à résister ». Il indique :

« Je fais comme Hippocrate. Je cherche à remonter la cause des causes. Il est vain de s'en prendre aux conséquences. »

Il croit que cette « impuissance à résister », cette « infantilisation », est « programmée dans la Constitution ».

Comme « ceux qui rédigent les Constitutions pensent d'abord à préserver leurs intérêts », pour « changer les choses », et instaurer « la vraie démocratie », il ne voit qu'une seule voie : tirer au sort des citoyens qui écriraient eux-mêmes une nouvelle Constitution, « comme en Islande et en Colombie britannique ».

Ils sont quelques uns à s'être déjà mis au travail. Pendant trois ans, à Aix, au sein d'une « université populaire ». Désormais sur le forum et « le wiki » hébergés sur le site d'Etienne Chouard.

« Je suis prêt à croiser le fer avec Hollande »

Son modèle est vieux de 2 500 ans ; c'est la démocratie athénienne.

« On vient de vivre 200 ans de gouvernement des ultrariches. Mais les hommes ont déjà inventé un autre système qui a marché 200 ans aussi. Ils tiraient au sort des délégués pour six mois et le président d'Athènes était tiré au sort tous les jours. »

Il est convaincu que « mettre du tirage au sort en politique va tout changer en bien ». Il est très sûr de lui :

« J'ai des milliers d'heures de travail là-dessus, je me sens invulnérable, je prends Strauss-Kahn ou Giscard d'Estaing quand ils veulent en débat, je n'ai pas peur. Je suis prêt à croiser le fer avec Mosco, Hollande, Barroso, toute la clique. »

Des extraits de certaines de ses conférences circulent sur Internet. Tous les jours, le « père Chouard » – comme il dit – est destinataire de témoignages de gens bouleversés d'avoir enfin identifié une issue possible. Ils l'ont aussi encouragé à se présenter à l'élection présidentielle : « On aurait quelqu'un derrière qui se mettre... »

Patiemment, il a répondu qu'il ne cherchait pas à être élu. « Je cherche juste le bien commun, je ne veux pas le pouvoir, le pouvoir transforme toujours les êtres – c'est pour ça que les Athéniens avaient mis en place une rotation des charges. »

« Je pense comme Robespierre »

Il ne donnera pas non plus de consigne de vote à ses disciples :

« Comment choisir entre le cancer et le sida ? J'aime beaucoup Mélenchon mais il ne veut pas sortir de l'UE. Des lecteurs me disent qu'ils veulent voter Le Pen pour tout faire péter, mais ce n'est pas comme ça qu'on sort du piège.

Hollande fera la même chose que Sarkozy, à quelques bricoles près. C'est un jeu de dupes. On va perdre dans tous les cas. Ce sont tous des marionnettes aux mains des hommes d'affaires. »

Les riches ! Chouard y revient toujours. « L'histoire de la République, c'est celle du gouvernement par les riches pour les riches », répète-t-il. « Qu'est-ce qu'ils se sont goinfrés depuis 200 ans, les Versaillais ! »

Il pense que « l'argent gouverne tout », que « l'élection met toujours Goldman Sachs au pouvoir ». La preuve ? « Les grandes avancées ont toujours été portées par la grève générale, jamais par l'élection. »

Entre deux bouchées de pintade, il peut déclarer : « Je pense très profondément, comme Robespierre, que les trop riches sont les fléaux de l'humanité. » Ou encore :

« La logique de l'Union européenne et des entreprises, c'est des salariés privés de moyens de résistance qui doivent se contenter des rémunérations les plus basses possible. Le bout du bout de cette logique, c'est les camps de travail. C'est bien plus dur de se battre contre ça que contre le fascisme à la papa. »

« Je suis bientôt mort »

Les références historiques et théoriques prolifèrent dans son discours. Depuis 2005, il est lancé dans une quête intellectuelle forcenée. Il vit avec les auteurs qu'il découvre, parle d'eux comme d'êtres familiers.

Au fur et à mesure qu'il investit une nouvelle période, il établit des parallèles avec le présent : « On ne comprend rien à notre époque si... » Il repère des permanences, des sens cachés, des forces à l'œuvre derrière les événements. Cela le réjouit et le terrifie à la fois :

« Fallait m'apprendre tout ça à l'école. A 50 ans, c'est trop tard. Je suis bientôt mort. »


Etienne Chouard, chez lui, en mars 2012 (Mathieu Deslandes/Rue89)

Sa bibliothèque contient désormais 3 000 livres. « Je les ai tous feuilletés, mais je ne vais pas avoir le temps de tous les lire en entier. » Alors il les scanne, page à page, en écoutant des enregistrements de conférences de l'historien Henri Guillemin, puis il les « transforme en documents pour y faire des recherche par mot-clé ».

« Comme un fumeur en manque »

Il y a des papiers partout et une poubelle Obélix. On parcourt les rayonnages :

« Y a les anars, les cocos, ceux qui résistent au travail et à l'idéologie du progrès. Ici, c'est les républicains radicaux, là la pensée de la résistance au totalitarisme... Orwell, Michéa, Lasch, c'est génial.

Puis on a ceux qui s'intéressent à la fabrique du consentement et les lanceurs d'alerte. Le colonialisme, l'économie générale, la création monétaire, les théories du gouvernement représentatif, la critique du sionisme, la critique de Freud, l'éthologie...

Mon fil d'Ariane, c'est la résistance aux abus de pouvoir. »

(Dans cette logique, il rêve d'être végétarien, il a arrêté la viande trois mois, mais il avait mal partout, « comme un fumeur en manque ».)

C'est un peu vertigineux. Il a l'impression de toucher du doigt la vérité. De l'avoir atteinte au terme d'une démonstration méthodique. Il supplie :

« Si je me trompe, qu'on me le montre. Je ne demande pas mieux. Mais qu'on ne me dise pas que je suis paranoïaque, c'est un argument de cour de récré. »

« Je m'en fous du 11 Septembre »

Parano ? Il se voit aussi régulièrement accusé d'avoir « glissé à l'extrême droite » et d'être devenu « complotiste » :

  • parce que sa critique du parlementarisme et des élites est jugée « fasciste » (« Ils oublient que cette critique relève aussi d'une tradition anarchiste libertaire ») ;
  • parce qu'il a eu le malheur d'avouer qu'il trouvait Thierry Meyssan « intéressant » et qu'il n'avait « rien trouvé de diabolique dans ses écrits » ;
  • parce qu'il estime qu'on ne connaît pas « toute la vérité sur le 11 Septembre ».

Il s'explique :

« Je m'en fous du 11 Septembre. Mais on m'a posé la question un jour et j'ai répondu. C'est devenu le truc qui sert de marqueur pour savoir qui peut parler ou pas. Or, moi, je suis pour l'isegoria, le droit de parole pour tous à tout propos. »

En 2005, ceux qui voulaient le discréditer insistaient sur son statut de prof « de BTS » et rappelaient que son œuvre publiée se composait en tout et pour tout de deux méthodes d'informatique (« Créer une application avec Access » et « Prendre de bonnes résolutions avec Excel »).

Il enrage autant qu'il y a sept ans. Et recourt au même remède : le parapente. « Ce qui compte », dit-il, « c'est voler ». Danser avec les martinets dans les nuages. Survoler Gréoux, Valensole, Digne, et toute la chaîne de la Blanche, le lac de Serre-Ponçon au soleil couchant, déboucher face au Grand Morgon. Et rentrer en stop. « La vie est plus belle en haut qu'en bas. »

On vient de se parler cinq heures d'affilée. Il a été tour à tour enthousiaste, grave, inquiet, grandiloquent. On va se quitter et tout à coup, il s'assombrit. Il a une question :

« Est-ce que vous pensez que je pourrais être devenu fasciste sans le savoir ? »

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