Le chômage a atteint 10,8 % dans les 17 pays de la zone euro en février 2012, selon les chiffres publiés ce lundi 2 avril par l'agence statistique européenne, Eurostat, qui n'a jamais annoncé un taux de chômage aussi élevé. Il y a un an, en février 2011, le chômage s'élevait déjà à 10 %.
Sur la totalité des 27 États de l'Union européenne, ce taux monte à 10,2 %, ce qui représente 24,55 millions de chômeurs. En un an, 1,874 million de personnes sont venues grossir leur rang.
La population active espagnole est le plus durement touchée avec 23,6 % de chômeurs. Autre triste record pour l'Espagne, 50,5 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage.
Eurostat établit le chômage en France à 10 %, contre 9,6 % il y a un an.
De notre envoyée spéciale à Istres
«PS, UMP, c'est tous les mêmes. Ça sert à rien de voter. Ils viennent nous voir uniquement lorsqu’ils ont besoin de nous au second tour, et après il n'y a plus personne.» C'est le refrain qui tourne en boucle, d'immeuble en immeuble, au Prepaou, à moins de vingt jours du premier tour. Dans ce quartier populaire à vingt minutes à pied du centre-ville d’Istres, dans les Bouches-du-Rhône, entre étang de Berre et Méditerranée, «la masse de précaires» a perdu la foi en la République et en ses hommes politiques.
Ouvriers, chômeurs, immigrés, retraités, espagnols, italiens, maghrébins, vietnamiens, lorrains, venus travailler dans l'industrie pétrochimique, grondent en silence, se réfugient dans l'abstention ou votent Le Pen de colère. En 2002, ils avaient sonné l'alarme. Dans la petite cité provençale de 43.000 habitants, le Front national était arrivé en tête au premier tour avec 22,92 %, loin devant Jospin (15,06 %) et Chirac (13,80 %) avant d'être écarté au second tour.
Dix ans et plusieurs crises plus tard, dans cette zone sous contrat urbain de cohésion sociale où le revenu médian par ménage stagne à 10.000 euros par an, les sentiments demeurent les mêmes. Quelles que soient la génération, la trajectoire, l'origine, on se sent «oubliés», «utilisés», «stigmatisés», «la dernière roue du carrosse», et on se moque de l'élection présidentielle. «Ici, la priorité, c'est pas le débat sur la viande halal mais manger de la viande. Les gens veulent deux choses : un emploi et un logement», lance un acteur social, las des polémiques et des clichés qui poursuivent les banlieues de France.
Dans cette cité de 5.000 habitants, où les deux tiers des logements sont des HLM, on n'a pas attendu la crise pour vivre la crise. Depuis de longues années, le chômage bat des records comme dans les autres quartiers populaires de la SAN Ouest-Provence, l'intercommunalité qui fédère Istres, Fos-sur-Mer, Miramas, Comillon-Confoux, Grans et Port-Saint-Louis-du-Rhône. Il laisse sur le carreau un bataillon de jeunes, de mères seules, de pères. L'appartenance à une commune et à une intercommunalité parmi les plus riches de France grâce à la taxe professionnelle ne change rien à la donne. Carrefour industriel avec la zone industrialo-portuaire de Fos, le pôle aéronautique d'Istres et le pôle logistique de transport de Grans-Miramas, le bassin de Ouest-Provence franchit allègrement les 11 % de chômage.
«La France, ce n'est plus la France.» Devant le centre social, assis à l'ombre sur des chaises en plastique, Fatima (*), 45 ans, «Française d'Alger», se plaint de la hausse du prix du carburant et du gaz avec les copains, «une Algérienne, une pied noir de Tunisie et un Lorrain fils d'Espagnols, la France métissée». Elle n'ose plus ouvrir sa boîte aux lettres – «il n'y a que des factures» –, vit «à six avec une paye de 1.600 euros», a forcé son mari à faire du covoiturage.
Le 22 avril, elle ira voter, «c'est un devoir», mais elle votera «ni Hollande, ni Sarkozy, tous pareils». Comme Frédéric (*) qui regarde ses meetings «sur Google», elle est séduite par Jean-Luc Mélenchon : «Il a de l'énergie, la carrure d'un président qui peut donner du boulot à nos enfants.» Des enfants appelés les JAMO, «jeunes ayant moins d’opportunités» comme on désigne dans les ministères les jeunes des quartiers populaires, issus de l’immigration, ceux qui errent dans les allées à longueur de journées.
Mourad est l'un d'eux. Affalé quelques allées plus loin, sur les marches de la placette des Magnans, l'un des centres névralgiques du quartier, il tue le temps au soleil en roulant joint sur joint avec ses «frères». «La présidentielle, c’est juste un rêve qu’on nous donne. On nous fait croire que notre vie va changer mais elle reste merdique. Pourquoi j'irais voter ? Qu'est-ce que cela changera ? On ne dira plus Mourad d'origine algérienne mais Mourad, Français ? On ne me regardera plus de travers à l'extérieur du quartier ? Les flics ne contrôleront plus mon identité ? Les portes s'ouvriront ?»
Jogging blanc relevé au-dessus du mollet, baskets de marque, il fume pour «oublier» qu’il a 30 ans, «pas de boulot, pas de logement, pas de diplômes, pas de futur». Et s’il vote, prévient-il, «c’est Marine Le Pen comme beaucoup d'enfants d'immigrés» : «Comme ça, c’est l’anarchie. La France sera démolie. Elle se soulèvera comme la Tunisie, l'Egypte et il faudra la reconstruire.» Mourad en a «marre des politiques et des médias qui ne parlent que des 0,1 % de musulmans qui pètent un câble, jamais des 99,99 % qui travaillent, galèrent».
Sa vie, c'est le foot, la fumette et les murettes du Prepaou, «une cité» entre guillemets. Bordé de pins, discrètement tagué, traversé de cours centrales, d'espaces verts, de jeux, ce quartier sud d'Istres, héritage des années soixante-dix, est sans comparaison avec les ghettos des «capitales», Marseille et Paris. Pas de tour de soixante mètres mais une succession de petits immeubles ne dépassant pas quatre étages et huit appartements où dix-huit nationalités vivent bien ensemble.
On est très loin des clichés véhiculés par ceux qui n’y vivent pas, décrivant des barres délabrées, des dealers en Mercedes, des mamies retranchées dans leurs appartements et des parents dépassés par leur progéniture. Seules les rondes de la BAC, les caméras de vidéo-surveillance, disséminées autour «des zones problématiques», et l'annexe du commissariat, viennent rappeler que comme tout quartier populaire, qui concentre les problèmes sociaux, le Prepaou n'échappe pas à la délinquance, aux petits trafics, au système D.
Ce reportage, réalisé entre le 25 et le 28 mars, est le fruit de trois jours de terrain, d'échanges avec les habitants et les militants associatifs des quartiers sud d'Istres. Il entre dans le cadre d'une série de reportages, enquêtes et analyses, consacrés aux quartiers populaires à quelques semaines du premier tour de la présidentielle. Contactée à de multiples reprises, la mairie socialiste, après m'avoir promenée de service en service, n'a pas donné suite à mes demandes d'entretiens. Les prénoms suivis d'un astérisque sont des prénoms d'emprunt à la demande des habitants. Prochain volet : une journée de campagne avec Adil Fajry. Enfant du Prepaou, de la diversité, militant chevronné des cités, il est candidat aux législatives sur la treizième circonscription des Bouches-du-Rhône sous la bannière du NPA. Son slogan : «Nous ne voulons plus être une réserve de voix».
«On n’est pas une favela avec des kalachnikovs mais un village tranquille !» Halima, jolie brune de 25 ans, moulée dans un slim noir, débarque du centre commercial pour balayer les préjugés et secouer les abstentionnistes avec sa sœur aînée Linda. «Il faut voter. C'est un devoir. Moi, je vote Mélenchon parce qu'il en vaut la peine et que Sarko, c'est pire que la Marine.» Diplômée en comptabilité, elle est préparatrice de commandes à l'usine et vit «très mal» cette situation : «Ici, pour avoir un travail en lien avec tes études, il faut être pistonnée. Moi, j'ai personne.»
Sa sœur est l'une des premières mères célibataires du Prepaou. Maman de deux enfants, elle enchaîne plusieurs boulots, souvent au black et survit avec moins de 1.000 euros. Elle louerait bien une maison avec un jardin mais «il faut être deux». A part un frère qui a commis quelques délits d'ivresse, dans la famille, ils ont filé «le droit chemin». Leur mère est agent d'entretien, leur père est contremaître. Elle hésite à voter : «La présidentielle, c'est du marketing. Ils vendent bien leurs produits mais c'est de la mauvaise qualité et moi je reste précaire.»
A part pour Chirac en 2002, Kamel, la trentaine, cariste, ne se souvient pas avoir sorti sa carte d'électeur. «Le blabla des politiques» l'exaspère. Il travaille depuis ses dix-huit ans, a connu une interruption : la crise de 2008 à 2010, deux ans de chômage, de galère. Une période sombre où il a dévié, dealé, volé. Aujourd'hui, il s'est rangé des voitures, fait les trois-huit chez le fleuron sidérurgique Ascometal, gagne 1.400 euros par mois et finit les semaines «à terre».
Sofiane, 29 ans, BEP vente, bac pro logistique, a voté Chirac et Royal en 2002 et 2007 «pour limiter la casse». Cette année, il ne votera pas : «L'Etat ne fait rien pour nous. Toute la vie, il nous maltraite.» Il est la dernière génération à avoir profité du centre social du Prepaou et contemple avec désarroi la jeunesse désœuvrée au pied des immeubles : «Ils ne font plus rien pour les 18-25 ans. Le centre social est devenu une maison de retraite. Il n'y a des activités que pour les vieux.» Magasinier depuis six ans, à la base aérienne d'Istres, payé 1.300 euros net, Sofiane n'a pas eu le choix : «C'était l'armée ou le chômage, mon père venait de mourir, il fallait que j'assume la famille, ma mère.»
Fille du quartier, partie pour y revenir, Melika Bettayeb, chargée des 4-18 ans au centre social, reconnaît «un vrai problème avec les 18-25 ans, un public difficile, auquel on ne peut pas permettre n'importe quoi : il n'y a rien pour eux et personne pour s'en occuper». Elle a connu le Prepaou à l'époque où il n'y avait qu'une pinède entre le quartier et le centre-ville : «La ville a explosé démographiquement et la cité a changé en même temps que la société. A mon époque, on jouait à la poupée. Aujourd'hui, on joue à la poupée nature à 12 ans et c’est vrai que les politiques fréquentent trois fois plus les quartiers populaires en période électorale», dit-elle en soupirant.
A part Olivier Besancenot, venu soutenir Adil Fajry, un enfant du quartier, candidat NPA aux législatives (à lire dans un prochain article), «on n'a vu personne» depuis le début de la campagne présidentielle au Prepaou. Pas une cravate dans ce quartier où la population réclame la réfection du terrain de foot «pourri», du collège vétuste, le maintien de la Sécu. La buraliste, une Marseillaise tombée sous le charme istréen, il y a dix ans, n'est pas étonnée : «C'est normal, c'est durant l'entre-deux tours que les politiques viennent nous voir quand il manque des voix, surtout pendant les élections locales.»
Au Prepaou, le divorce est particulièrement prononcé avec la gauche, aussi bien au plan national que local. Baronnie socialiste, les Bouches-du-Rhône sont un département fameux pour ses guerres politiques, son cumul des mandats, son clientélisme, sa corruption. «On en a marre de les voir s'en mettre plein les poches, faire de la prison et être réélu», lâche un turfiste au tabac, chômeur et absentionniste de longue date. «Il n'y a aucune volonté politique pour les quartiers. Si t’as pas de réseaux, c’est l’injustice sociale, l'inactivité», réplique son voisin qui jongle avec une petite retraite de 800 euros.
«Ici, c'est le Far Ouest Provence. La politique, c’est une grosse salade qui te donne la nausée. On n’a pas forcément bac + 5 mais personne n’ignore le CV du maire, François Bernardini», abonde Mouloud (*), un militant associatif du quartier, qui donne rendez-vous en ville et veut rester anonyme car «on est dans une petite cité, où tout le monde se connaît et les pressions vont vite». Un temps exclu du PS en 2001 pour s’être présenté face à un candidat du parti, condamné la même année pour abus de confiance à dix-huit mois de prison avec sursis et cinq ans d'inégibilité, l'ex-patron de la puissante fédération PS des Bouches-du-Rhône, réélu maire d'Istres en 2008, est l'un des encombrants adhérents de la rue de Solférino.
«On n'est pas dupes. Le Prepaou est un quartier clé au niveau électoral. C'est comme aux Etats-Unis, si t'as pas l'Ohio, t'es pas élu. Pour les municipales, durant l'entre-deux tours, on fait le tour des immeubles avec la liste d'émargement. On frappe aux portes des abstentionnistes qui hallucinent : ''Comment tu sais que j'ai pas voté ?'' Ici, tu tapes une famille qui a de l'influence et tu retournes le vote, tu l’achètes avec des rouleaux de papier peint, en lui promettant, un logement, un emploi », raconte Mouloud.
«Dégoûté» par les récupérations et les instrumentalisations de la gauche, il concède, cependant, deux qualités au maire : « C'est un bosseur, un visionnaire. Il n'a pas parqué les communautés, il les a mixées dans toute la ville. On parle du Prepaou parce que c'est le premier grand ensemble de la ville mais il y a des quartiers partout, au sud, au nord, dans le centre. Pour la mosquée, il a bien joué. Il l'a appelée centre culturel islamique pour pas choquer l'électorat blanc. Il a offert la location du terrain pour l'euro symbolique pendant 99 ans et il a mis l'église évangélique juste à côté. »
Mouloud, qui gagne moins de 1.000 euros et vit encore dans le T4 familial, hésite entre Mélenchon ou Bayrou. Stéphane (*), l’ami qui l’accompagne, un gamin du quartier devenu entrepreneur, défend le candidat centriste, «le seul à aller dans les quartiers populaires hors période électorale, à ne pas traîner trop de casseroles et avoir prédit la crise. Mélenchon, c'est impossible. J’avais trois ans, il faisait déjà de la politique et il n’a pas écrit noir sur blanc “rupture avec le PS”».
Racisme anti-musulman galopant, traitement politico-médiatique «scandaleux» de l'affaire Merah, débats «stériles» sur l’identité nationale, la viande halal, les assistés... Pour Mouloud et Stéphane, «deux Français, un Arabe né au bled et un Lorrain fils de Gaulois», la coupe est pleine. «On ne se reconnaît pas dans les hommes à la tête de ce pays qui nous divisent. Il y a deux poids deux mesures. Pourquoi n'a-t-on pas plus parlé des militaires maghrébins ? Ça n'aide pas les jeunes des quartiers. Ça les radicalise pas au niveau de la religion, mais de l'Etat, la République. Pourquoi ne dit-on pas Sarkozy d'origine hongroise mais Mohamed d'origine algérienne ?»
Devant l'entrée d'un immeuble, un homme massif vitupère «après les capitalistes et les patrons». Malgré les 25 degrés, Fredj Zarrouk porte son anorak d'hiver. Il a «toujours froid», ne décolère pas après Logirem, l'un des principaux bailleurs sociaux, qui gère une douzaine de blocs : «On paie nos charges mais ils ne réparent rien. Cela fait des mois que je leur signale des problèmes de chauffage, des murs cassés, des fuites. Ils s'en foutent et laissent pourrir. Par contre, ils ont ouvert un bureau dans le quartier pour leur représentant, eh bien lui, il a deux climatiseurs flambant neufs !»
Une habitante passe et lui tend un chèque de 22 euros, son adhésion à l'association de Consommation logement et cadre de vie qu'il a montée dans le quartier. «Une mécontente de plus», se réjouit-il. Arrivé de Sfax en Tunisie à l'âge de 18 ans, Fredj habite Istres depuis 1965. Il fait partie des premiers ménages à avoir rejoint le Prepaou dans les années 1970. Père de trois enfants, il a fait toute sa carrière dans la sidérurgie. Aujourd'hui, il voit la France «de pire en pire».
Il y a un mois, au pied de sa cage d'escalier, la police a contrôlé son identité pour la première fois de sa vie. «Une humiliation, un choc» pour ce Français, qui n'a d'yeux que pour de Gaulle. «En 1967, c'était la France. Aujourd'hui, ce n'est plus la France», déplore Fredj. Il votera, ne veut pas dire pour quel candidat car «après, il y a des ragots», mais à reculons: «Ils se foutent des quartiers, les politiques, les sociétés HLM. Tout le monde veut la place mais une fois que c'est gagné, ils nous oublient.»
Passe un couple, lui vêtu de la «kamis», la tunique des salafistes, elle, en hijab. Fredj s'énerve un peu plus : «La religion, il faut la laisser chez soi. Si un jour, ma femme veut porter ça, je la ramène au bled.» Il est traumatisé par la récupération politique de l'affaire Merah : «Ils divisent les Français en montrant du matin au soir les fous de Dieu, une minorité, et attisent le racisme à l'égard de la communauté musulmane qui se comporte en bons Français.»
Assis sur un banc entre l'HLM où vit leur fils depuis vingt ans et l'école de l'autre côté de la route, Paul, 67 ans, et Annie, 66 ans, attendent la sortie des classes pour récupérer leur petite fille en bavardant au soleil. Ils ont vécu à Martigues dans des petites résidences à loyer modéré avant de migrer dans l'Aveyron à la mort des parents d'Annie, qui a hérité d’une grande maison avec 2.000 mètres carré de jardin, un bien inabordable dans la région.
Le Prepaou, ils y séjournent régulièrement. Ce n'est pas la cité de leurs rêves mais ils apprécient «le quartier plutôt calme compte tenu de la crise et relativement mixte». «La Canebière, c'est Alger. Ici, on n'en est pas encore là même s'il y a une forte concentration de Maghrébins», lâche Paul. Marseillais d'origine, il a fait carrière dans la chimie. Communiste, il pense voter Mélenchon bien qu’il soit «arrogant comme Marchais».
Annie, elle, voudrait que «les Français boycottent la présidentielle pour que les politiques réalisent la fracture sociale». Si elle se décide à voter, elle votera Marine Le Pen au premier tour «pour faire peur au gouvernement». Son mari la réprimande : «Tu lui donnes de l'impulsion.» Elle ne décolère pas : «Voter Sarkozy qui s’est augmenté de 150 % à son arrivée au pouvoir et Hollande qui botte toujours en touche, jamais. Je veux un président qui interdit les paradis fiscaux et qui donne des sous aux quartiers populaires.»