On la redoutait esquintée, mais elle est requinquée. Maintenant qu'Eva Joly a goûté au premier plan médiatique, elle entend rester dans le jeu. Au lendemain du vote favorable à une participation gouvernementale du conseil fédéral d'Europe Ecologie–Les Verts (78 pour, 15 contre et 14 abstentions), l'ancienne candidate écolo à la présdientielle (2,3 % des voix) a convié une dizaine de journalistes à déjeuner pour faire connaître son souhait de « participer au changement ». Alors qu'une pétition a été lancée mardi, dont elle jure, preuve à l'appui, qu'elle n'y est pour rien, mais s'empresse de demander si le nombre de signataires « monte toujours aussi vite » (mercredi soir, il avait passé la barre des 11 000), Joly lâche d'emblée, de sa petite voix : « Ça me plairait bien d'avoir une mission dont on puisse mesurer l'efficacité. »
Consciente qu'elle n'a aucune chance pour occuper le poste de garde des Sceaux (« Ce serait une déclaration de guerre à Sarkozy », dit un de ses proches), l'ancienne magistrate anti-corruption ne veut pas se laisser enterrer par ses camarades écologistes, et s'estime capable de « bosser sur la régulation financière, la limitation de la spéculation et la lutte contre les paradis fiscaux ». Si elle sait que « dans la Ve République on ne postule pas, mais on est choisi », Eva Joly continue à casser les codes, se voyant bien « ministre déléguée » ou à la tête d'un « haut-commissariat ». « François Hollande a dit que son ennemi était la finance. Je le prends au mot, et je sais ce qu'il faut faire pour ça. » Présidente de la commission développement au Parlement européen depuis 2009, elle a été « consultante en délinquance financière » pour les gouvernements norvégiens et islandais durant les années 2000.
Eva Joly et François Hollande, au concert de SOS-Racisme, le 14 juillet 2011© Phototèque EELV
Mais après avoir estimé qu'on ne pouvait pas faire d'accord avec le PS sans sortie du nucléaire, comment justifier finalement une telle offre de service ? « J'étais dans mon rôle, et c'était avant qu'il ne soit signé. Après, je me suis seulement exprimé sur la disparition du paragraphe sur le MOX, admet-elle. Mais ce n'est pas parce que le gouvernement socialiste sera contre le nucléaire qu'il n'y a pas d'écologie à faire dans un gouvernement socialiste. Il y a déjà la fermeture de la centrale de Fessenheim, et surtout la transformation énergétique, qui sont des engagements de François Hollande. Et la situation peut être évolutive, comme à Notre-Dame-des-Landes aujourd'hui. » (lire ici).
Ainsi que l'explique son conseiller Stéphane Pocrain, « la séquence d'Eva Joly et son petit score est terminée, car elle a vu depuis quel était son capital de popularité. Lors des meetings de Limoges et de Bercy, lors du défilé du 1er mai, ou dimanche soir à la Bastille, elle était l'une des plus applaudie à chaque fois. On ne se débarrasse pas d'elle comme ça, elle a une légitimité très forte, toute aussi grande que les autres prétendants de chez EELV ». « Je ne prendrai la place de personne avec mon profil atypique, je ne suis pas interchangeable », dit-elle, après s'être sentie « comme Madonna » à la Bastille, chauffant la scène avant le discours de François Hollande.
Car on sent aussi, à l'entendre, que Joly n'a pas digéré les critiques internes de « certains Machiavel de bas-étage », et ne voit pas pourquoi elle devrait s'effacer devant d'autres cadres du mouvement écolo qui rêvent de maroquins (sont notamment cités Jean-Vincent Placé, Yannick Jadot ou François de Rugy). « À part Cécile Duflot, personne n'est incontestable, considère Patrick Farbiaz, membre de son équipe de campagne. Et un ministre n'a pas à représenter un sous-courants des Verts, mais à être connu et reconnu dans l'opinion. » « C'est Dany Cohn-Bendit et les eurodéputés qui sont venus me chercher pour que je fasse la campagne, s'irrite Joly. Et je l'ai fait jusqu'au bout, et ce fut dur. Ça, on ne peut pas me l'enlever. »
À l'entendre, le divorce est définitivement consommé avec celui qui l'a fait venir à Europe-Ecologie, qui s'en est encore pris à elle la veille : « un mauvais choix de candidate », et d'indiquer qu'il verrait bien ministres Yannick Jadot et Stéphane Gatignon. « Dany a déjà dit que sa seule erreur avait été de ne pas se présenter à la primaire du PS, où il aurait bien sûr fait 30 %. Ça en dit long sur son égo, sabre-t-elle. Il y a chez lui une part de jalousie et de mysoginie. Ce n'est pas à lui de dire qui doit être ministre et ne pas l'être. »
Le 25 avril dernier, l'ancienne candidate a discuté en face-à-face avec Hollande durant une demi-heure, mais sans parler d'avenir. Son entourage assure qu'elle a un « très bon interlocuteur » chez le nouveau président de la République, et qu'elle a défendu auprès de lui un « périmètre d'utilité ». Reste à savoir si le même président juge utile de prendre en compte sa proposition.