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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 18:48

 

Marianne - Mardi 22 Mai 2012 à 12:00

SuperNo - Blogueur associé

Super No
Quadra d’origine lorraine, travailleur de l’informatique, et écologiste tendance... En savoir plus sur cet auteur

 

Après s'être ému devant des reportages sur l'esclavage des enfants, SuperNo se livre à une réflexion sur le capitalisme et ses ravages. Notre blogueur associé dénonce, avec virulence, cette obsession des dirigeants politiques qu'est la croissance et doute des capacités de Hollande et Obama de changer la donne.

 

(COLE CHARLIE/SIPA)
(COLE CHARLIE/SIPA)
Laissons, pour une fois, de côté les nouvelles fondamentales de la politique française (le jean de Cécile Duflot ou les parachutes de Le Pen et Mélenchon, par exemple) pour évoquer des sujets tellement secondaires que j’ai honte de devoir m’abaisser à en parler. Oui, je sais, j’ai déjà écrit là-dessus. Ici, il y a quatre ans. , il y a dix-huit mois. Depuis, rien n’a changé, bien évidemment.

L’émission Cash investigation de France 2 diffusait, la semaine dernière, un fort didactique reportage sur l’art et la manière qu’ont les multinationales, y compris françaises, de frauder le fisc à l’aide de montages abracadabrantesques élaborés par d’autres multinationales spécialisées, et qui ont pour point commun de passer par des filiales luxembourgeoises bidons.

Hier soir, France 2, décidément bien inspiré, a diffusé un nouveau reportage écœurant dans les ateliers de couture au Bangladesh et en Inde. Rien de bien nouveau sous le soleil, à vrai dire. On y apprend, images à l’appui, que dans ces ateliers travaillent des gamines de 12 ans, douze heures par jour, six jours par semaine, pour un salaire inférieur à un dollar par jour. Je pense qu’on peut parler d’esclavage. Il y a certes parfois des rebellions, mais dans l’ensemble, les multinationales n’ont pas à se plaindre. Merci pour elles.

Une fois les fringues cousues par ces esclaves, elles sont emballées dans des cartons et expédiées en occident par bateau dans des immenses conteneurs. Le voyage en bateau sert, en quelque sorte, de paravent entre la production et la consommation. Il transforme le malheur des uns en objet de désir des autres. Car, une fois arrivées ici, les fringues sont étalées dans des boutiques plus ou moins clinquantes, dans lesquelles le con-sommateur (et surtout -trice, il faut bien le dire) se précipite pour acheter, souvent pour quelques euros, de quoi vêtir toute la famille.

La publicité et le marketing font leur œuvre pour que le coût de fabrication, indécemment bas, fasse une multiple culbute, suffisante pour que les actionnaires deviennent milliardaires (c’est le seul but de la manœuvre), mais pas trop pour rester dans le business model de la con-sommation de masse, que la ménagère de moins de 50 ans revienne le plus souvent possible acheter, acheter et encore acheter.

Bien entendu, on n’affiche pas dans les boutiques la photo de ces milliers de gamines devant leur machine à coudre, dans un bruit infernal, sous la lumière des néons blafards et les aboiements du contremaître, ni dans leurs bidonvilles insalubres. Sinon les gens n’achèteraient pas, probablement. Au contraire, on y met les photos sur papier glacé de mannequins anorexiques ou de stars de cinéma soucieuses d’arrondir des fins de mois pourtant déjà bien rondelettes.

Tout cela a été parfaitement décrit dans le livre de Naomi Klein, No Logo , qui détaille le processus de décérébration des foules (et notamment des jeunes) qui conduit des humains en apparence ordinaires à être fiers de payer une fortune des objets fabriqués par des esclaves à un coût dérisoire.

Avant le bateau : le cauchemar. Après, le rêve.

Le reportage citait des marques. Monoprix, Ikea, Leclerc, Zara. Peu importe, il y a fort à parier que c’est partout pareil. On a pu assister à des scènes pathétiques de communicants à la langue d’ébène, niant que les images montrées aient pu exister, se cachant derrière des cahiers des charges, des chartes, des normes, des audits, jurant leurs grands dieux qu’ils avaient une éthique et que tout manquement à icelle devait être corrigé, et patati et patata.
Et ce sont les mêmes connards qui discutent des heures avec les fournisseurs pour baisser les prix d’un pouième de centime. Qui savent très bien que tous ces cahiers des charges sont du pipeau, que celui qui le signe sous-traitera et qu’au final les fringues seront fabriquées dans des conditions sordides par des gamines esclaves, tandis que les actionnaires se feront des couilles en or et se prélasseront sur leur yacht.

La richesse indécente a toujours besoin d’esclaves en nombre. Les bubons capitalistes purulents de Dubaï ou du Qatar  consomment environ 10 esclaves pour un habitant. Nous, c’est pareil, sauf que nos esclaves restent chez eux, fabriquant nos fringues, gadgets électroniques, bagnoles que les haut-parleurs de la pub et du dieu croissance nous ordonnent d’acheter frénétiquement et de jeter le plus vite possible.

Les magazines économiques, en plus d’appeler de leurs vœux la rigueur budgétaire, la baisse des impôts, et la disparition de tout secteur public, célèbrent ces grands entrepreneurs : regardez cette liste de milliardaires. Vous y reconnaîtrez le fondateur d’Ikea Ingvar Kamprad, première fortune européenne avec 33 milliards d’euros. Puis, un peu plus loin, entre Bernard Arnault et Liliane Bettencourt, vous trouverez Amancio Ortega, propriétaire de Zara, avec 30 milliards.

On marche sur la tête, non ?

L'indifférence assassine des millions d'enfants

Tant que j’y suis, je passe à autre chose. Non, en fait c’est la même chose. Je me souviens de la couverture de Libération au lendemain de l’assassinat des gamins devant l’école de Toulouse. (Vous la trouverez ) En voyant cette couverture, je m’étais dit que ce quotidien, dont le directeur Demorand semble avoir remarqué que les unes racoleuses avaient un effet bénéfique sur les ventes, d’où sa propension à en caser à toute occasion, aurait pu en faire une similaire, sur fond noir, mais aux caractères beaucoup plus petits, pour y faire figurer les noms et âges des 20 000 enfants morts de faim ce jour-là, comme tous les autres jours, d’ailleurs.

Comme le dit si justement Jean Ziegler, nous pourrions très bien nourrir ces enfants, et ils meurent quand même, c’est donc qu’ils sont assassinés.

Notre système trouve pourtant toujours les milliards, et même les dizaines de milliers de milliards, pour voler au secours de ces pauvres banquiers. Il a consacré plus de 1600 milliards l’an dernier à acheter des armes. Mais n’est pas foutu de trouver 30 pauvres milliards (la fortune de M.Ikea ou de M.Zara, tiens) pour nourrir la terre entière pendant un an. En même temps un banquier ou un marchand de canons, c’est quand même plus important que quelques millions d’enfants. Surtout noirs ou jaunes…

Gouvernement Ayrault : une supercherie

Tout ça, c’est la conséquence directe et indéniable de notre système capitaliste, libéral et croissanciste. De sa répartition incroyablement scandaleuse des richesses. De sa prédation par la finance et les spéculateurs. De ce phénomène incroyable qui fait que malgré les odes à la «valeur travail», ce ne sont jamais ceux qui travaillent qui s’enrichissent, mais des intermédiaires parasitaires. Ceux qui cultivent les fruits et légumes restent pauvres, tout comme la caissière du supermarché, mais pas le propriétaire de l’enseigne.

En France, nous avons de la chance : nous venons de chasser un gouvernement de droite, incapable et corrompu, pour le remplacer par un gouvernement de «gauche», qui respecte la parité et qui a signé une charte éthique.
Et surtout, son dicton est «le changement, c’est maintenant». Merveilleux, non ? Bon, on commence quand ?
Euh… Pour l’instant, le principal changement c’est qu’on peut venir au conseil des ministres en jean. Pour le reste, permettez-moi de douter. Car même si le QI moyen du gouvernement doit être au moins le double de celui du précédent, il suffit de gratter un peu pour constater la supercherie. Tous les postes importants sont occupés par des représentants de la «gauche de droite». Dominique Strauss-Kahn n’est plus là, mais ses disciples et ses idées sont restés. Enarques et membres du Siècle foisonnent. Pas un seul dangereux révolutionnaire gauchiste à l’horizon.
Pas une de ces personnes n’a l’intention de faire quoi que ce soit pour changer de paradigme. Tous se plaisent et se complaisent dans le capitalisme libéral, qui leur a d’ailleurs apporté richesse, puissance et gloire.

Le Premier ministre est le premier promoteur du projet mégalomaniaque et scandaleux de l’ayraultport de Notre Dame des Landes. Ce projet témoigne de son aveuglement total quant à l’évolution du monde et de ses ressources naturelles.

Quant au président Hollande, son déplacement aux Etats-Unis montre qu’il n’a rien compris non plus, pas plus qu’Obama, d’ailleurs. Délectez-vous de ces billevesées, reprises en boucle et sans le moindre sens critique par des médias tétanisés d’extase : «Le président François Hollande a fait état d’une “convergences” de vues avec son homologue américain Barack Obama sur la nécessité de relancer la croissance pour faire face à la crise, vendredi 18 mai à la Maison-Blanche, peu avant un sommet du G8. La croissance doit être une priorité (…).» La croissance, la croissance, la croissance… La même chose qu’avant, mais PLUS ! Plus d’esclaves, plus d’armes, plus de morts de faim, plus de paradis fiscaux. Plus de pétrole, plus de ressources naturelles, plus de pollution, plus de CO2. Et plus d’argent virtuel pour contourner les limites de l’économie réelle.

Pauvres aveugles ! Mai 2012, et ils n’ont toujours rien compris. Après avoir décidé de ruiner les peuples pour rembourser les banksters, ils décident désormais qu’il faudrait en fait encore emprunter aux banksters pour éviter la ruine des peuples…

Le secrétaire général adjoint de l’Elysée est aussi associé-gérant chez Rothschild

Quant à ceux qui croyaient que Hollande allait mettre la finance à genoux, même après la déclaration d’allégeance faite aux banksters de la City, pensaient-ils qu’il allait nommer Frédéric Lordon responsable du G20 pour la France ? Curieusement non, l’heureux élu de Hollande, secrétaire général adjoint de l’Elysée s’appelle Emmanuel Macron, 34 ans. C’est un disciple de Jacques Attali (dont l’ombre plane sur la «gauche» comme celle de Minc plane sur la droite), ex-membre de sa ridiculissime «commission sur le retour de la croissance». Et que fait-il dans la vie, ce petit génie ? Il est associé-gérant chez Rothschild, et le fait d’abandonner un salaire annuel de l’ordre d’un million d’euros est une preuve évidente de son désintéressement espoir de retour sur investissement.

Certains parlent de faire revenir ces usines en France… Les «socialistes» viennent même de créer un ministère marketing du Redressement productif, confié à Montebourg. Quelle rigolade ! Comment faire revenir en France des industries qui en sont parties, poussées par la perspective d’employer des esclaves et par les lois qui permettaient cette forfaiture ? Sans changer ces lois, sans revenir sur ce système ?

Juste pour rire, c’est un «socialiste» français, Pascal Lamy, qui dirige depuis sept ans l’Organisation mondiale du commence (OMC, ex GATT), le principal organisme responsable de la dérégulation du commerce mondial…
Tous ces gens sont d’accord sur un point : il faut améliorer la compétitivité de la France, et baisser le coût du travail. Pour l’aligner sur celui du Bangladesh, par exemple… Car tout le monde le sait, je l’ai même lu sur Twitter de la part de prétendus gauchistes : «Si on va fabriquer au Bangladesh, c’est que ça coûte trop cher de fabriquer en France.»
D'accord, réduisons donc le coût du travail… qui est principalement composé de plusieurs facteurs : le salaire ; les cotisations sociales (improprement baptisées «charges»). Réduire le coût du travail, cela signifie, au choix, réduire les salaires (ou travailler plus pour le même salaire), ou réduire les retraites, les remboursements de Sécu, les allocations chômage… Ou, pour être plus efficace, les deux. Supprimons par la même occasion toutes les «barrières à l’emploi», comme le salaire minimum, le code du travail, les congés, le paiement des arrêts maladie, et la retraite.

Pour finir, supprimons carrément tout salaire, et c’est le plein emploi garanti. Fort de cette compétitivité retrouvée, les entrepreneurs embaucheront massivement, et y vont voir, au Bangladesh, ce que c’est que la France compétitive ! Comment que Leclerc il va rapatrier fissa la fabrication de ses tee-shirts !

François Hollande, keynésien ?

Hollande semble devenu le héraut du keynésianisme, par opposition au néolibéralisme. Cette doctrine, qui prône la croissance par la demande, au besoin soutenue par l’Etat (et donc par l’endettement… On rêve !), a fait son temps pendant les Trente Glorieuses, qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, avant d’être balayée par le n’importe quoi du néolibéralisme. Depuis, cette doctrine est caduque, anachronique.

C’est donc un grand bond en arrière de plus de trente-cinq ans que Hollande, tout ravi de jouer les vedettes au G8, propose au monde ébahi par tant d’originalité. Et même si la plupart de nos «socialistes» (Hollande lui-même, Ayrault, Fabius…) en sont effectivement restés à cette époque, le monde a changé, et va prochainement s’apercevoir que toute politique de croissance dans les pays occidentaux est vouée à l’échec et à la catastrophe.
Pénurie de pognon, pénurie de pétrole, pénurie généralisée de ressources (cf. «Peak everything », un très bon article dans Science et vie ce mois-ci sur la pénurie des métaux, mais Hollande et Obama ne lisent que le Financial Times), cette politique emmène l’humanité droit dans le mur. En klaxonnant.

Keynes, cité par Jean Gadrey (auteur de Adieu à la croissance ) avait tout de même prévu qu’après des décennies de croissance, un certain niveau de richesse serait atteint et l’objectif devait changer : «Il sera temps pour l’humanité d’apprendre comment consacrer son énergie à des buts autres qu’économiques.»
Hollande et Obama sont assurément moins cons que leurs prédécesseurs respectifs Sarkozy et Bush. Qu’ils le prouvent !

 

Esclavage, croissance, capitalisme... Le changement, c'est pour quand ?
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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 18:40

 

Marianne - Exclusif

Mardi 22 Mai 2012 à 15:10

 

Journaliste économique à Marianne En savoir plus sur cet auteur

 

François Hollande avait promis un «audit» des finances publiques par la Cour des comptes. Comme Marianne l'avait annoncé, la lettre de saisine étend l'audit à l'année 2013. Matignon attend des magistrats qu'ils soulignent la virtualité des 20 milliards d'impôts inscrits dans les documents fournis par Nicolas Sarkozy à Bruxelles. L'enjeu est de taille: ces 20 milliards conditionnent l'objectif de ramener à 3% le déficit budgétaire à cette date.

 

(Cour des comptes - WITT/SIPA)
(Cour des comptes - WITT/SIPA)
« Je demanderai un rapport bref sur l’état réel des comptes publics, sur ce qui a été promis durant la campagne par le candidat sortant et parfois dépensé », avait annoncé le candidat François Hollande. Chose promise, chose due. La Cour des comptes a reçu en debut de semaine sa lettre de course. Et celle-ci va un peu plus loin que ce qu'avait annoncé le candidat socialiste : « Savoir quelle est l’exécution de la finance modifiée pour 2012 » préliminaire à « un collectif budgétaire sur les comptes 2012. »


 

Ardoise de 2013 de Sarkozy : Matignon saisit la Cour des comptes
La lettre que nous publions montre bien que l'audit va au-delà de 2012. « L’objectif est d’évaluer la situation actuelle des comptes publics et les risques qui pèsent aujourd’hui sur la réalisation des objectifs de finances publiques pour 2012 et 2013 contenus dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale», peut-on y lire.

L'enjeu est de taille. Il s'agit ni plus ni moins que de demander aux magistrats de la rue Cambon d'invalider les chiffres fournis à Bruxelles par Paris sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Comme nous l'expliquions samedi 19 mai, dans L'ardoise de 20 milliards laissée par Nicolas Sarkozy, la promesse du précédent président d'atteindre les 3% de déficit budgétaire, promesse faite au nom de la France et conforme au  traité en voie d'élaboration, est soumise à une condition. Celle de voir débouler dans les caisses de l'Etat 20 milliards de prélèvements obligatoires nouveaux. Or ces milliards n'ont pas été votés au cour d'un des multiples plan de rigueur qui ont émaillé la fin du quinquennat.

Muni de cet audit, il sera dès lors plus loisible à François Hollande de se démarquer de l'objectif des 3% de déficit en 2013. A moins que le nouveau chef de l'Etat ne se décide à augmenter les impôts en plus des 29 milliards prévu dans son programme des 20 milliards manquants, ce qui semble non seulement inaccessible mais pour le moins incompatible avec ses déclarations sur la croissance.

Ce trou était cependant connu des socialistes qui n'ont eu de cesse de le dénoncer durant la campagne. Leur programme de finances publiques pour le quinquennat a cependant fait l'impasse, faisant comme si de rien n'était. Et pour cause, sans ces 20 milliards, François Hollande aurait été bien incapable de faire sienne la promesse de Nicolas Sarkozy d'atteindre les 3% de déficit en 2013. Passage obligé pour assurer sa stature de responsable et de sérieux.

Paris vaut bien une promesse.
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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 18:32
Porte-monnaie 22/05/2012 à 09h53
Emilie Brouze | Journaliste Rue89
  • En banlieue parisienne, Liliane vit avec une retraite de misère, comme de plus en plus de femmes âgées. Rue89 a passé son porte-monnaie au rayon X.

Liliane dans un café de Pontoise, en mai 2012 (Emilie Brouze/Rue89)

« Je préfère pas qu’on se voie chez moi, j’ai trop honte », lâche Liliane au téléphone, quelques jours avant notre rendez-vous. Une semaine plus tard, dans un café de Pontoise (Val-d’Oise), elle explique : « J’ai un appart’ de pauvre, ça se voit. »

La dernière fois, raconte-t-elle, un petit garçon de l’immeuble est passé devant sa porte entrebâillée et a dit : « C’est moche, il y a rien. » C’était un enfant mais ça l’a « blessée ». Liliane ne reçoit jamais personne chez elle, sauf Jennifer, qu’elle a rencontrée au Secours catholique – « Elle ne me juge pas. »

La vieille dame partage ce 40 m2 – un logement social niché dans un HLM du Nord de Pontoise – avec son frère qui, sans ça, serait à la rue. Une table de nuit sépare leurs deux lits. Il y a aussi « Ange », son petit chat, et ses deux chiens.

« C’est grâce à mes animaux que je tiens le coup. Peut-être que des gens vont pas comprendre, je m’en fous. C’est mon soutien. »

« Je n’étais plus qu’une merde »

La vie cabossée de Liliane a débuté à la prison pour femmes de Fresnes (Val-de-Marne), il y a 62 ans. Bébé, sa mère l’abandonne à l’assistance publique qui la place dans une famille d’accueil, puis une autre. Après son BEP cuisine-couture, elle se marie sur un coup de tête à la majorité avec un « alcoolique violent et coureur de jupes ». Cinq enfants plus tard, ils se séparent. Elle est alors veilleuse de nuit dans un hôpital et dort dans sa Peugeot 304, en attendant. Il lui fait la vie dure : elle finit par « fuir ».

La voilà sur les rails et les routes. Docker au havre, cueilleuse en saison, concierge et souvent sur les fichiers des agences d’intérim... Mais surtout à la rue.

« Le jour où je me suis assise sur le trottoir, je n’étais plus qu’une merde. »

Liliane parle sans s’arrêter, égraine avec détails différents moments de sa vie. A plusieurs reprises, ses yeux sont pleins de larmes. Parfois, elle s’arrête de parler. Ou sourit, et ça la rend plus vivante.

Son morceau de vie passé à Chambéry est le plus heureux. Un poste de femme de ménage dans un centre de tri la fait sortir de la rue, le 4 mars 1987. « Un samedi », précise-t-elle (Liliane cite toujours les dates au jour près). Elle reste six ans près des montagnes, jusqu’à son départ pour Paris, à la recherche de sa « vraie famille », et y retrouve l’un de ses frères.

« J’ai baissé les bras »
Femmes âgées

Dans son rapport de 2012 [PDF], l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) s’inquiétait de la précarité grandissante des femmes âgées. Le taux de pauvreté des plus de 75 ans s’établit à près de 15%.

 

Deux facteurs principaux sont avancés : la perte d’un conjoint et le bas niveau de pension, en raison d’une carrière incomplète.

Installée à Pontoise, Liliane boucle en deux ans une formation de poissonnerie. Son truc :

« J’aime le contact avec les gens. J’en ai rencontré de merveilleux, riches ou pauvres. Ça me manque. »

Mais une allergie l’oblige à laisser tomber son CDI. « Je l’ai pleuré. »

A Pontoise, elle tombe aussi amoureuse d’un grutier, Christian. Un cancer le ronge, elle le soigne. Il mourra quelques jours après leur mariage, le 31 août 1998. Elle porte toujours son alliance.

« Depuis, j’ai baissé les bras. Je n’ai jamais retrouvé du boulot. »

Aujourd’hui, Liliane vivote, usée par une santé fragile. Elle passe une grande partie de ses journées sur Internet où elle discute politique sur sa page Facebook et sur des forums du Front de Gauche (elle a voté « JLM » au premier tour de la présidentielle). Devant l’ordinateur, Liliane a aussi ses jeux préférés, comme « Cityville », dans lequel il faut vendre des bonbons pour construire des maisons.

Liliane milite dans plusieurs associations, dont ATD Quart Monde depuis 2003 (elle ne paye pas de cotisation). Elle se rend aux réunions et a sympathisé avec d’autres membres :

« On parle du combat de la misère, comment enrayer le fléau de la pauvreté. Ça m’apporte de la joie. Quand on a le savoir de la pauvreté, on peut en parler. Tout ça, j’en suis fière. »

Revenus : 634 euros par mois

  • Pension de retraite : 448 euros par mois

Liliane reçoit chaque mois une minuscule retraite : elle n’a pas cotisé en étant mère au foyer (comme beaucoup de retraitées), puis sans-domicile et chômeuse. Il lui manque soixante trimestres. « Encore trois ans comme ça avant de toucher ma retraite à taux plein. »

Seuil de pauvreté

Calculé par l’Insee, ce seuil correspond à 50% ou 60% du niveau de vie médian en France, suivant la définition adoptée. Soit de 795 euros (50%) ou 954 euros (60%) en 2009.

 

Avec l’augmentation des revenus, ce seuil n’a cessé d’augmenter ces quarantes dernières années. 4,5 millions de personnes étaient « pauvres » (seuil à 50%) en 2009 – dont 3,7% chez les plus de 60 ans.

Avec un revenu de 448 euros par mois, Liliane est largement en-dessous du seuil de pauvreté dressé par l’Insee (lire ci-contre).

Jusqu’au mois de septembre 2011, Liliane bénéficiait de l’allocation aux adultes handicapés : elle touchait environ 771 euros par mois.

Mais sa demande n’a pas été renouvelée malgré sa maladie orpheline, son arthrose et une dégénérescence musculaire dans le haut des cuisses. Elle se déplace d’ailleurs péniblement, appuyée sur une canne :

« Ils m’ont dit que je n’était plus assez handicapée. »

Liliane a appris il y a quelques semaines qu’elle pourrait demander l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). « Il faut que je me renseigne. » Cette aide correspond à un versement maximum de 777,17 euros par mois, selon les revenus du bénéficiaire.

  • APL (aide personnalisée au logement) : 186 euros par mois

Dépenses fixes : 345 euros

  • Loyer : 272 euros par mois

Liliane loue un appartement au Logis social du Val-d’Oise. Elle paie 96 euros par mois et touche à côté 186 euros d’aide personnalisée au logement (APL).

La somme comprend le chauffage ; elle ne paie ni taxe foncière, ni taxe d’habitation.

Son frère participe financièrement ni au loyer, ni aux charges.

  • Gaz et électricité : environ 50 euros par mois
  • Eau : 11 euros par mois
  • Assurance habitation : 12 euros par mois
  • Internet : 0 euro

La retraitée a accès à Internet grâce la connexion de son frère. Ce dernier lui a prêté un ordinateur, il en possède un autre.

  • Mutuelle : 0 euro

Depuis janvier 2011, Liliane a laissé tombé sa mutuelle : son prix avait grimpé de 68 à 138 euros.

Liliane ne se soigne pas. Elle devrait par exemple se faire arracher une dent malade. Impossible, dit-elle, d’avancer l’argent pour une consultation chez le médecin et de payer un éventuel dépassement d’honoraire. Ses lunettes, dont le verre gauche est fendillé, lui ont coûté 10 euros à Leclerc il y a quelques années : elles ne sont pas à sa vue.

Elle ne pouvait pas toucher la couverture maladie universelle (CMU) avant septembre car ses revenus dépassaient alors le plafond fixé (9 164 euros par an). Elle compte faire rapidement la demande :

« J’attends de toucher la CMU pour tout reprendre mes examens. »

  • Impôts : 0 euro

Dépenses variables : 275 euros environ

  • Transports : 0 euro

Liliane a une carte Rubis : gratuite pour toutes les personnes âgées de plus de 60 ans, elle lui permet de se déplacer en bus dans toute la région Ile-de-France. Mais pas sur les lignes exploitées par la RATP.

Liliane s’est rendue à Paris pour la dernière fois en 2004. L’aller-retour de Pontoise au centre de la capitale, 40 minutes environ, coûte 11 euros. « Trop cher », explique-t-elle.

  • Alimentation : 185 euros

- courses : environ 180 euros par mois

Tous les 10 du mois, quand elle reçoit sa retraite, Liliane va faire ses courses dans les supermarchés hard discount Ed. Elle y achète principalement des gros paquets de pâtes – « les moins chères » – du riz et des pommes de terre – « des sacs à 2 euros les 10 kilos » – qu’elle prépare sautées à la poêle. Le tout agrémenté d’un peu de viande fraîche en promo, qu’elle congèle :

« Le mois dernier, j’ai fait un extra : deux rôtis pour 10 euros. J’ai trouvé ça valable. »

Liliane ne prend qu’un repas par jour. « Je tire au maximum de ce que je peux tirer », se justifie t-elle.

Les fruits sont trop onéreux et il est rare qu’elle ajoute des légumes à son panier. Parfois « une salade ou un kilo de carottes ». Liliane refuse d’aller aux Restos du cœur :

« Au début, j’y allais, mais j’ai trop honte. C’est pour ma fierté, ma dignité. »

La vieille dame compte, dans la somme de 180 euros, les produits ménagers et la lessive.

- petit déjeuner : 4,90 euros par mois

Une fois par mois, avant d’aller faire ses courses, Liliane s’accorde un « petit plaisir » : prendre le petit déjeuner au bar du Leclerc. Un café, un croissant et un verre de jus d’orange pour 4,90 euros.

« Des fois, je voudrais me payer une glace ou, quand je broie du noir, un café. Je peux pas. »

  • Animaux : 30 euros par mois pour des croquettes et de la pâté

Elle sait que c’est cher mais se défend : « Ils sont mon soutien. »

  • Téléphone : autour de 12 euros par mois

Elle recharge son portable avec des cartes prépayées. Le plus souvent, ce sont ses copines de l’association qui, connaissant sa situation, l’appellent.

  • Livres, magazines : 8 euros par mois environ

Tous les trois ou quatre mois, Liliane achète quelques livres et des magazines. Elle lit Le Parisien, Le Bien Public ou L’Express gratuitement sur Internet.

  • Dette : 10 euros par mois

Liliane raconte avoir eu un compteur d’eau chaude défectueux l’année dernière : elle n’a alors pas payé son loyer pendant quatre mois, pour protester. « J’ai eu tort. » Le 20 janvier 2012, elle reçoit un avis d’expulsion. Le juge, au regard de sa situation, a demandé en avril à étaler le remboursement de sa dette (980 euros).

  • Tout le reste : environ 30 euros

Cela comprend les produits hygiéniques ou l’huile, le beurre et, de temps en temps, quelques yaourts ou une salade. Sans oublier les achats ponctuels.

Liliane porte les mêmes vêtements depuis des années – « Je suis très précautionneuse. » Le mois dernier, elle a quand même acheté trois paires de chaussures en soldes – elle n’en avait plus. L’une à 8 euros, l’autre à 9 euros, et une troisième, plus chère :

« J’ai tiqué pour prendre la troisième : une paire un peu habillée, pour mes réunions, à 12 euros. »

« Je n’ai pas de loisirs. » Liliane est « fan de pêche » mais, après un coup d’œil sur Internet, a réalisé que le permis était trop cher. Elle allait au cinéma mais ne peut plus se le permettre. Ses seules distractions sont Internet et les associations dans lesquelles elle milite.

Epargne : rien

Autour du 15-20 du mois, Liliane n’a plus rien. Elle ne se plaint pas, explique qu’elle n’aime pas montrer ses conditions de vie et insiste :

« La santé, c’est un trésor, quand ça fout le camp, ça revient pas. »

Quand elle évoque sa vie, Liliane tient des paroles dures :

« J’ai l’impression que je suis arrivée au bout du rouleau. »


Liliane devant ses comptes dans un café de Pontoise, en mai 2012 (Emilie Brouze/Rue89)

 

 

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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 17:26

Médiapart - | Par Stéphane Alliès


Après son succès aux dernières législatives, où la coalition Syriza a obtenu 16 % des voix, et alors que la Grèce dans l'incapacité de constituer un gouvernement de coalition va revoter le 17 juin, le héraut de l’autre gauche hellène que les sondages placent en tête, Alexis Tsipras, est en quête de reconnaissance européenne. Après avoir en vain tenté de former un gouvernement après le scrutin du 6 mai, où les partis anti-austérité (gauche et extrême droite) ont été majoritaires, Tsipras espère devenir premier ministre, et prépare d’ores et déjà la suite.

Avant de se rendre mardi en Allemagne, où il rencontrera les dirigeants de Die Linke, cet urbaniste de 37 ans a passé son lundi à Paris, où il a rencontré Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, ainsi que les autres responsables du Front de gauche, avant de participer en fin de journée à un rassemblement devant l’Assemblée nationale, appelant à « changer l’Europe ». Face à plus de 200 personnes réunies sous une pluie battante, Tsipras a harangué l’assistance, en grec et avec traducteur, en promettant de « tenir bon ».

 

Alexis Tsipras 
Alexis Tsipras© Reuters

Devant de nombreux journalistes, auparavant, il a précisé son propos : « Nous voulons forcer les dirigeants européens à regarder la réalité en face, car la crise grecque concerne tout le monde. Nous voulons faire prendre conscience qu’on ne peut conduire aucun peuple en Europe à un suicide volontaire. » Pour Tsipras, la Grèce n’est pas confrontée à « un simple programme d’austérité », mais à « une expérimentation de solutions néolibérales de choc, qui a conduit mon pays à une crise humanitaire sans précédent ». Et si « l’expérimentation continue, elle sera exportée dans les autres pays européens ».

Quant à l’attitude à adopter face à l’Allemagne, Tsipras affirme : « Merkel doit comprendre qu’elle est une partenaire parmi les autres. Personne n’est propriétaire ni locataire de l’eurozone. » Et ne lui parlez pas de référendum pour sortir de la zone euro, solution à laquelle réfléchirait le gouvernement allemand, il réplique aussitôt : « La Grèce a fait don à l’humanité de la démocratie. Aujourd’hui, le peuple grec rétablit le sens et la portée de ce mot. La Grèce est un Etat souverain, ce n’est pas à Merkel de décider s’il faut un référendum ou non. Le référendum, ce seront les prochaines élections, le 17 juin. » Et selon lui, le choix ne sera alors pas « l’euro ou le drachme », mais « l’espoir ou le drame ».

La dynamique rencontrée en Grèce par la coalition de gauche Syriza semble conforter Alexis Tsipras dans sa volonté de remettre en cause en profondeur les solutions de la troïka : « Il n’y a rien à négocier dans le mémorandum, car on ne négocie pas l’enfer, et ce mémorandum conduit à l’enfer. »

« Le PS est le parti de l’alliance avec le PASOK »

Pour les alter ego français de Tsipras, l’enjeu est bien de transposer le scénario électoral grec au niveau européen, et d’abord français : « Nous lançons aujourd’hui un appel à une réorientation sérieuse de la construction européenne, explique ainsi le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, refusant les politiques d’austérité, s’émancipant de la tutelle des marchés et respectant les votes des peuples. »

Pour Jean-Luc Mélenchon, la percée de Syriza, comme son propre résultat à la dernière présidentielle, sont autant de signes que « la chaîne de la résignation est en train de se rompre en Europe ». Pour le co-président du Parti de gauche, affichant un large sourire aux côtés de Tsipras tout au long de la conférence de presse, « en le regardant, nous nous regardons nous-mêmes ». Et même « si nous ne sommes pas identiques, estime-t-il, nous sommes comparables, notre ambition est commune ».

 

Pierre Laurent, Alexis Tsipras et Martine Billard, devant l'assemblée nationale, le 21 mai 2012 
Pierre Laurent, Alexis Tsipras et Martine Billard, devant l'assemblée nationale, le 21 mai 2012© S.A

Devant la foule de parapluies massés devant l’Assemblée nationale, il a aussi lancé : « En 2009, Syriza faisait 4,5 %. Mais ils ont tenu bon, sans faire la moindre concession face à la ligne capitularde du PASOK (le parti socialiste grec - ndlr) » La venue en France de Tsipras permet aussi à Mélenchon de critiquer le PS, coupable à ses yeux d’« ostracisation ». « Ce n’est pas convenable. Il vient ici chercher une écoute et la solidarité de la gauche, la camaraderie, l’internationalisme, devraient au minimum se mettre en branle, lâche-t-il. Mais il n’est même pas reçu à Solférino. Le fait qu’il n’y ait pas de curiosité à son égard montre combien le PS est le parti de l’alliance avec le PASOK, le parti du mémorandum. »

La critique vaut aussi pour les dirigeants européens. « Ils devraient faire preuve de réalisme, accepter l’idée d’une victoire de Syriza, et se préparer à la comprendre, au lieu de menacer le peuple grec », assène Mélenchon. « Il nous faut construire un front européen contre le merkelisme, ajoute-t-il. Mais pour saisir cette opportunité, il ne faut pas que François Hollande commence à céder. » Alexis Tsipras, lui, se fait plus diplomate avec le nouveau président français. « Nous comprenons qu’il n’accepte de rencontrer que des chefs d’Etat, explique-t-il. Mais il faudra que ce qu’il disait avant d’être élu soit toujours valable après. Car si les Français ont envoyé Sarkozy en vacances au Maroc, c’est pour faire une autre politique. Sinon, il sera effectivement Hollandréou. »

Et le leader de Syriza de paraphraser le François Hollande du Bourget : « Notre adversaire n’a pas de visage, pas de programme, pas de parti, mais c’est lui qui nous gouverne. Il s’agit du capital. » Comme pour souligner que les deux gauches peuvent parfois tenir le même discours.

 

 

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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 14:31

 

Rue89 - Sur le terrain 20/05/2012 à 17h24
Bruno Poussard | Journaliste
L’Irlande est le seul pays d’Europe à se prononcer par référendum sur le pacte budgétaire. Dans ce pays endetté, la peur pourrait pousser les Irlandais à voter oui.

 


Affiche pour le non à Dublin (Bruno Poussard)

 

(De Dublin) Au moment où la France change de Président, où la Grèce est contrainte de retourner aux urnes, et où le premier G8 auquel participe François Hollande prône la croissance, c’est au tour des Irlandais de tenir une part de l’avenir de l’Europe entre leurs mains.

Le 31 mai, ils seront les seuls citoyens d’Europe à donner leur avis sur le pacte fiscal via un référendum. Un scrutin à l’issue encore incertaine malgré l’avance du oui dans les sondages, dans un pays qui avait déjà dit non au traité de Lisbonne en 2008.

Ce traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, mis au point par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, doit être ratifié par 12 des 17 pays de la zone euro pour entrer en vigueur. Seuls trois pays l’ont fait jusqu’à présent (la Grèce, le Portugal et la Slovénie).

Un éventuel non au pays du trèfle ne remettrait pas en cause son avenir. Mais il affaiblirait assurément ce pacte, et apporterait un soutien de poids au nouveau Président français qui souhaite le « renégocier » afin de favoriser la croissance.

La « résignation » après la « colère »

A Dublin, l’élection de François Hollande a eu un important écho. Ce que les médias celtes, l’Irish Times en tête, ont retenu, c’est d’abord la « défaite de l’austérité » prônée par Nicolas Sarkozy.

Présent à Paris le 6 mai, Eamon Gilmore, vice-premier ministre irlandais issu du Labour, le parti travailliste, s’est réjoui du résultat. Après avoir discuté avec Hollande, il a déclaré :

« Nous ne pouvons pas avoir la stabilité sans la croissance. »

Et le premier ministre de centre droit de ce gouvernement de coalition, Enda Kenny, d’ajouter :

« Le nouveau Président est sensible à nos préoccupations. »

Avec la Grèce, l’Irlande est le pays le plus endetté d’Europe. Face aux difficultés de son secteur bancaire, Dublin a reçu un plan d’aide de 85 milliards d’euros de la part de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI) à la fin de l’année 2010.

Et a été contraint d’adopter de nouveaux plans de rigueur budgétaire, avec réductions d’emplois et de salaires à la clé. Une taxe d’habitation, qu’une bonne partie des contribuables du pays ont décidé de boycotter, a notamment vu le jour.

Andrew Donovan, étudiant dublinois de 20 ans, remarque pourtant une évolution dans l’état d’esprit :

« Les gens étaient bien plus en colère. Aujourd’hui, ils semblent résignés, il y a de l’amertume. »

Face à la récession de retour à la fin de l’année 2011, et un taux de chômage proche des 15%, le départ est une solution toujours envisagée par les Irlandais, qui ont une longue histoire d’émigration derrière eux.

Andrew Donovan explique :

« J’ai choisi d’étudier le français pour avoir une option d’aller ailleurs. Ne trouvant pas de travail, mon frère a dû partir. »

Un traité qui « n’apportera pas de travail »

Il va plus loin dans l’accusation :

« Le pays a fait échouer les jeunes générations en ne leur donnant pas d’autres options. »

Entre 2009 et 2011, 86 000 Irlandais auraient quitté l’île selon l’Irish Times en mars dernier. « Par choix, et non pas parce qu’ils se sont sentis forcés », ajoute néanmoins le journaliste Dan O’Brien, qui tente de relativiser en rappelant l’importance historique de l’émigration irlandaise.

Fin 2011, le taux de chômage s’élevait à 16,5% chez les moins de 25 ans. Gary Quigley, 25 ans, remarque :

« Le diplôme ne suffit plus, il faut de l’expérience. »

Ces deux là voteront définitivement non au référendum. Pour Andrew :

« Il n’y a aucune raison positive de dire oui, ce n’est que de la peur. Chaque fois qu’il y a un référendum, le camp du oui parle toujours d’une Irlande qui travaille, mais ce traité ne fait rien pour nous apporter du boulot. »

Gary, salarié d’une banque dans la capitale enchaîne :

« Je ne contredis pas tout le traité, mais il va empêcher les Etats d’investir. Nous avons besoin de la création d’un environnement pour développer un esprit d’entrepreneur. »

Le soutien envers l’Union européenne a perdu de sa superbe. Un sociologue, enseignant dans une université de Dublin analyse :

« Historiquement très fort, il a chuté ces dernières années. Un tiers des votants semblent sceptiques envers l’institution européenne. »

A l’heure actuelle, l’issue du référendum reste incertaine malgré l’avance du oui dans les sondages. Vendredi, le dernier sondage – de RedC Pol l– donnait le oui vainqueur à 50% contre 31% pour le non qui se stabilise après une augmentation au début du mois. Mais un électeur sur cinq serait encore indécis à dix jours du scrutin.


Affiches dans les rues de Dublin (Bruno Poussard)

Peur de perdre des investisseurs étrangers

Tous les citoyens du pays ont reçu un petit guide leur expliquant le traité. Des affiches ont fleuri sur une grande partie des poteaux électriques de Dublin. Les médias y dédient parfois une rubrique, organisant les premiers débats. Ceux-ci opposent les partis d’extrême gauche, et les autres.

Même s’ils soutiennent François Hollande dans son plan de croissance, pas question pour les deux partis au pouvoir, le Fine Gael (centre-droit), et le Labour (travailliste) d’appeler à voter contre ce traité.

La semaine dernière, Eamon Gilmore affirmait dans les médias irlandais qu’en cas de défaite, les conséquences seraient énormes :

« Cela risquerait déjà de discréditer la confiance des investisseurs dans notre pays. Et couperait évidemment l’accès aux fonds de secours si nous devions en avoir besoin. »

Le premier ministre Enda Kenny parlait lui d’un scrutin plus important que des législatives.

Effrayer la population : c’est ainsi que Paul Murphy, député européen du Socialist Party, dans le même groupe que le Front de Gauche au parlement européen, qualifie la stratégie des principaux partis dans cette campagne.

« Ils affirment que la question est la suivante : voulons-nous rester dans l’UE ou la zone euro ? Ils veulent donner l’impression que dire non signifie que tout va s’effondrer. »

Pour Emer Costello, députée européenne du Labour, les citoyens n’ont pourtant pas le choix.

« Cela fait partie des mesures nécessaires pour ramener la stabilité. Tous les pays d’Europe ont besoin de se plier aux règles. »

C’est justement ce qui inquiète Paul Murphy, dont le visage est affiché sur les pancartes dans toutes les rues de la capitale :

« Si le traité et sa règle d’or passent, c’est un désastre. Il y aurait un risque d’une énorme récession puisque cela signifierait 5,7 milliards de coupes budgétaires supplémentaires, donc dans les services publics vitaux. »

Comme le Sinn Féin (parti républicain d’extrême gauche), l’Alliance de gauche unie propose à l’Etat d’investir massivement dans les écoles, les hôpitaux, ou l’énergie afin de diminuer le chômage et ramener la croissance.

Des divisions au sein du Fianna Fáil ?

Sur l’île, ils sont de plus en plus à s’inquiéter de ce « traité d’austérité », comme le nomment ceux qui font campagne à son encontre.

Le Fianna Fáil, principal parti d’opposition (centriste), pourtant fervent supporter du pacte fiscal aux côtés du Fine Gael et du Labour, s’est d’ailleurs retrouvé bien embarrassé au début du mois de mai. Eamon O’Cuiv, sénateur et petit-fils du fondateur du parti, a parlé d’une « mauvaise affaire » à propos du traité, en encourageant à voter non.

Les points de vue vont donc jusqu’à dépasser les frontières politiques. Pour les Irlandais, l’enjeu de ce vote est majeur pour leur avenir.

Mais celui de l’UE en dépend aussi. Paul Murphy conclut :

« Avec le non, nous voulons créer un mouvement contre l’austérité dans toute l’Europe. »

MERCI RIVERAINS ! Xahendir, Patrick Guergnon
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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 14:23

Monde - le 21 Mai 2012

Aujourd’hui à 18h30 a lieu, devant l’Assemblée nationale à Paris, un rassemblement de solidarité en présence d’Alexis Tsipras, dirigeant de Syriza. Le ministre allemand des Finances affirme, lui, que l’austérité est inévitable.

Aujourd’hui, sous l’égide du Parti de la gauche européenne, le Front de gauche accueillera en France Alexis Tsipras, président du groupe Syriza à la Vouli, le Parlement grec. Les porte-parole de ces formations rendront publiques, à cette occasion, leurs propositions pour une réorientation sociale, écologique et démocratique de l’Europe et lanceront un appel à l’unité de toutes les forces disponibles pour agir en ce sens, en Europe.

Dans l’après-midi, une conférence de presse réunissant Alexis Tsipras, Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon aura lieu à l’Assemblée nationale, en présence de Roland Muzeau et des député(e)s du Front de gauche. À 18 h 30, un rassemblement public se tiendra devant l’Assemblée nationale, place Édouard-Herriot. Mardi, Alexis Tsipras quittera Paris pour Berlin, où il doit s’entretenir avec Klaus Ernst et Gregor Gysi, coprésidents de Die Linke.

S’opposant aux recettes de la 
rigueur prônées par l’Union européenne et imposées en Grèce depuis 2010 en échange des prêts internationaux, Syriza est arrivé deuxième lors du scrutin du 6 mai avec 16,8 % des voix, derrière la Nouvelle Démocratie (18,9 %), parti de droite, et en quadruplant son score par rapport aux dernières législatives de 2009. Selon un sondage publié dimanche dans le quotidien libéral Kathimerini, Syriza arrive en tête des intentions de vote avec 28 %, contre 24 % pour la Nouvelle Démocratie aux élections du 17 juin.

>>> Lire : La Grèce nomme un gouvernement provisoire de techniciens

Hier, interrogé sur Europe 1, sur la position du gouvernement français sur la situation grecque, Bernard Cazeneuve, nouveau ministre délégué chargé des Affaires européennes, a déclaré : « La conviction profonde qui est la nôtre, c’est qu’il faut sauver la zone euro, qu’il faut maintenir la Grèce dans la zone euro, qu’il faut pour cela mettre tout en œuvre pour que des mesures soient prises qui permettent d’accompagner la Grèce dans ses efforts. » Il a ajouté : « Pour rétablir la confiance à court terme, il faut créer les conditions pour que l’Europe envoie à la Grèce un message extrêmement fort de soutien qui soit, bien entendu, un message qui renvoie aussi les Grecs et le gouvernement grec à (leurs) responsabilités de rétablissement des comptes publics. »

>>> Lire : Austère croissance ou croissance de l’austérité

Une position qui demande à être précisée, d’autant que dans un entretien au Bild am Sonntag, paru dimanche, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a déclaré : « Raconter aux Grecs qu’ils n’ont pas besoin de tenir les programmes d’économies déjà acceptés, c’est leur mentir. Les réformes structurelles en Grèce sont de toute façon nécessaires », a-t-il ajouté. Autrement dit, en dehors de l’austérité, point de salut !

Pour sa part, Alexis Tsipras a, hier également, qualifié l’enjeu « application du mémorandum ou sortie de l’euro », qui domine la campagne électorale grecque, de « faux dilemme ». C’est l’austérité qui risque de faire sortir la Grèce de l’euro.

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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 15:33
| Par Lénaïg Bredoux

 

De notre envoyée spéciale à Chicago.

À Francfort, ils étaient plus de 20 000, samedi, à manifester contre l’austérité. « Quand l’injustice devient la règle, la résistance devient un devoir », proclamait une pancarte. Ils étaient quelques milliers à Chicago, la ville de Barack Obama, à la veille du sommet de l'Otan. Les dirigeants du G8 – le club regroupant les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Allemagne, le Japon, la Russie et le Canada – étaient, eux, retranchés à Camp David, à l’abri derrière un impressionnant dispositif de sécurité, dans la résidence de campagne des présidents américains.

 

Manifestation contre l'austérité samedi à Francfort (Allemagne) 
Manifestation contre l'austérité samedi à Francfort (Allemagne)© Reuters

Sous un grand soleil, et dans un cadre champêtre, ils ont défilé devant la presse pour se féliciter – comme à chaque édition – du compromis trouvé après plusieurs séances de travail en petit comité. Sur le fond, les questions économiques y ont pris une large place et le G8 a appelé à soutenir la croissance mondiale, tout particulièrement dans la zone euro, et à y conserver la Grèce (lire ici le communiqué dans son intégralité). Un motif de satisfaction pour le président français qui a fait de la croissance un des axes majeurs de sa campagne.

Mais, tel un commentateur politique, François Hollande a aussitôt relativisé les résultats devant la presse : « Pour rédiger un communiqué, des compromis, des formules doivent être forcément rédigées. Et chacun peut y trouver, c’est le propre de ces sommets, ce qu’il considère comme essentiel : les uns, le rappel de la consolidation budgétaire, d’autres, les réformes structurelles, pour ce qui me concerne, la croissance. Ce qui fait que, souvent, à la fin de ces réunions tous ceux qui s’expriment devant la presse disent qu’ils ont obtenu un grand succès. »

Hollande, lui, a indiqué qu’il ne voulait pas « jouer de ce registre ». Avant de se dédire aussitôt : « En revanche, il apparaît d’évidence que la croissance a été le grand sujet de ce G8. » Le président français, qui a, sur la forme, parfaitement maîtrisé l’exercice, s’est aussi félicité que figure dans le communiqué final la mention d’une nécessaire recapitalisation des banques. Il s’était déjà inquiété, la veille, à Washington, de la santé des banques espagnoles qu’il voudrait voir recapitalisées via le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Quant à la Grèce, le G8 a fermé la porte à un « grexit », – contraction de Grèce et exit inventée par les opérateurs de marché – que le ministre des finances allemand Wolfgang Schaüble et la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, ont semblé encourager cette semaine. Mardi soir, à Berlin, Hollande et Merkel avaient déjà affirmé leur souhait de voir Athènes rester dans l’euro. Mais « dans le respect des engagements pris », précise le G8. Pas question donc d’évoquer une remise en cause, ni même un assouplissement des mesures d’austérité, rassemblées dans un memorandum signé avec « la Troïka » (Commission européenne, BCE, FMI) majoritairement rejeté lors des élections législatives, il y a deux semaines.

« C’est un club de riches et de puissants »

 

Les dirigeants du G8 à Camp David 
Les dirigeants du G8 à Camp David© Reuters.

Interrogé sur le sujet, François Hollande s’est lancé samedi dans explication alambiquée : « Les engagements doivent être tenus. Mais j’ai ajouté que si nous voulons que la Grèce puisse honorer ses engagements, nous devons accompagner la croissance, ce qui suppose des mesures qui ne sont pas une remise en cause des obligations qui pèsent sur la Grèce, mais qui permettent aux obligations d’être facilitées. » Plus tôt dans la journée, le chef de l’État avait plus clairement indiqué que « la Grèce reste dans la zone euro mais doit être accompagnée par l'Europe pour stimuler sa croissance ».

Le président français a par ailleurs marqué une légère différence de ton avec la chancelière Angela Merkel, et insisté sur le respect de la liberté de vote des Grecs. Un tacle indirect aux rumeurs de référendum exigé par Berlin lors du nouveau scrutin prévu en Grèce le 17 juin.

Mais en réalité, Hollande et ses camarades du G8 espèrent que les partis favorables au memorandum, le Pasok et Nouvelle démocratie, sortent vainqueur du prochain scrutin. Candidat à la présidentielle, il ne s’était jamais opposé frontalement aux plans d’austérité imposés au Sud de l’Europe, tout comme il n’avait jamais remis en question les objectifs de réduction des déficits publics en France. Il craint aussi que toute déclaration divergente ne provoque une tempête sur les marchés et… la colère de Merkel. François Hollande ne veut pas non plus sembler donner raison à la gauche radicale grecque. Un scénario qui inquiète les gouvernements de droite ou de coalition, en Espagne et en Italie. Or, le président français mise sur le soutien de ces deux pays lors du conseil européen informel du 23 mai, avant le rendez-vous officiel de fin juin.

Samedi, Hollande a fait plusieurs appels du pied à l’Italien Mario Monti. « C’est vrai que la dimension de croissance a été largement soutenue (au G8 – ndlr), et pas simplement par le président Obama ou moi-même, mais par d'autres participants comme Mario Monti », a-t-il déclaré. Il a également promis qu’il présenterait ses propositions détaillées le 23 mai : « Dans ce paquet, il y aura les eurobonds, et je ne serai pas le seul à les proposer », a-t-il ajouté. Hollande, Merkel et Monti sont convenus de se réunir à Rome pour préparer le conseil de fin juin. Quant à Mariano Rajoy, le premier ministre espagnol, François Hollande pourrait le recevoir à déjeuner mercredi, avant la réunion de Bruxelles.

Quelques heures après son entretien avec Barack Obama vendredi, une journaliste avait rappelé à François Hollande une phrase qu’il avait prononcée en 2003 dans le JDD à propos du G8 : « C’est un club de riches et de puissants, qui émet des vœux et invite parfois à sa table les plus pauvres sans rien changer aux déséquilibres du monde. » Neuf ans plus tard, le socialiste rétorque : « Il y a une différence, c’est que j’y suis maintenant. Ce qui peut me permettre, si j’en faisais le même constat, de faire bouger les choses. » Pas sûr que les manifestants de Francfort ou de Chicago, les Grecs, les Espagnols et les Italiens étouffés par l’austérité, en soient encore convaincus.

 

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 18:15

| Par Mathieu Magnaudeix

« Nous ne nous sommes pas armés » face à la mondialisation, a redit Montebourg sur France 2, jeudi soir. Pour son premier entretien, le nouveau ministre du « redressement productif », chantre de la “démondialisation” et du protectionnisme européen, a redit son volontarisme en matière industrielle. « La réindustrialisation, c’est une grande cause nationale », a martelé Montebourg.

 

Arnaud Montebourg sur France 2, jeudi 
Arnaud Montebourg sur France 2, jeudi

Cliquer ici pour revoir la vidéo sur pluzz.fr (à partir de 19')

Adoubé pompier industriel en chef de l’équipe ministérielle, Montebourg, qui avait effectué, dans le cadre de la campagne d’Hollande, un tour de France des usines, va vite devoir démontrer que le volontarisme de l’équipe Hollande en matière industrielle ne se paie pas que de mots. Une gageure : le chômage est au plus haut depuis douze ans, le gouvernement s’attend à ce qu’éclosent rapidement une série de plans sociaux, dont certains pourraient constituer des points très chauds, et le Front de gauche guette, fort logiquement, d’éventuels faux-pas ou renoncements.  

« Nous nous battrons aux côtés de nos outils industriels. Il se peut que nous encaissions des échecs. Mais ces échecs, nous les encaisserons aux côtés des salariés et des territoires », a prévenu d’emblée Montebourg. Une façon de déminer le terrain.

Premier dossier sur la table du ministre, celui des Fralib à Géménos (Bouches-du-Rhône). La centaine de salariés de cette usine où l’en met en sachet les infusions Eléphant est en conflit depuis des mois avec leur propriétaire, la multinationale néerlandaise Unilever, qui entend délocaliser la production. Les salariés, en instance de licenciement, occupent l’usine. La justice vient de leur accorder un court répit, jusqu’au 1er juin, pour discuter avec Unilever de leur projet de reprise. Passé ce délai, ils risquent l’expulsion par les forces de l’ordre. Jeudi soir, Montebourg, qui leur a rendu visite au cours de la campagne, a promis un déplacement rapide. « Nous souhaitons qu’Unilever mette de l’eau dans son vin et que nous arrivions à une solution imaginative qui permette (…) de sauver un outil industriel », a martelé le ministre sur France 2, sans plus de précisions.

Des hauts-fonctionnaires, experts des entreprises et du social, ont remis récemment à Jean-Marc Ayrault une note de 4 pages sur l’« actualité des restructurations » à la date du 6 mai. Ce document, révélé par Le Point et que Mediapart a pu consulter, s’inquiète d’un risque d’« accélération » des « restructurations d’ici l’automne ». « Certains groupes ont reporté l’annonce de restructurations importantes pour éviter d’avoir à le faire en pleine période électorale. Dans certains cas, ils ont été invités à le faire à la demande du cabinet de Xavier Bertrand », accuse le texte, confirmant ce que responsables du PS et syndicalistes affirment depuis des mois. Par ailleurs, « tous les leviers » ont été actionnés par l’équipe sortante pour « repousser » des mises en liquidation judiciaire. Des artifices, type « aides financières », sont « aujourd’hui épuisés ».

Conclusion logique : « une partie de ces entreprises vont être liquidées en mai et juin prochain ». Autant de symboles et de difficultés potentielles pour le gouvernement –même si les licenciements économiques ne représentent qu'une infime partie (3 %) des entrées au chômage.

 

« Catastrophes » à prévoir


 
© LF

D’ici aux législatives, fixées aux 10 et 17 juin, « peu de dossiers devraient émerger », indique la note, qui évoque tout de même les cas d’Air France, Goodyear et Technicolor. Un comité central d’entreprise est en effet évoqué chez Air France, en difficulté financière, le 24 mai prochain. Il pourrait déboucher à terme sur un plan de départs concernant plusieurs milliers de personnes. Une annonce qui nécessitera une « communication habile de la part du gouvernement », avertissent les auteurs, et « la mise en scène d’une discussion visant à limiter les conséquences sociales de cette réorganisation », en ayant recours à des aides européennes ou du chômage partiel.

Un plan social portant sur « 700 à 800 salariés » pourrait aussi être annoncé « courant mai » chez Goodyear à Amiens (Somme). Les experts mettent l’accent sur les risques politiques encourus : dans cette circonscription aujourd’hui détenue par le communiste Maxime Gremetz, qui ne se représente pas, l'avocat de la CGT, Fiodor Rilov, est candidat aux législatives, et son suppléant est le leader « charismatique » de la CGT chez Goodyear, Mickaël Wamen. « Il n’est donc pas exclu que ces derniers tentent de faire du cas de Goodyear un enjeu emblématique de la prochaine campagne législative », préviennent-ils.

Autre usine sensible : la dernier site européen de production de Technicolor (ex-Thomson), qui emploie encore 350 salariés à Angers (Maine-et-Loire) pourrait être opportunément placé en liquidation judiciaire, ce qui permettrait à l’entreprise de ne pas s’acquitter de ses obligations légales dans le cadre du plan social. « Si le projet de mise en liquidation judiciaire est confirmé, ce dossier sera l’occasion pour le futur gouvernement de montrer sa détermination à s’opposer aux abus de certains employeurs », préviennent les auteurs.

Voilà pour les urgences. Mais très vite, dès « mai ou en juin », des entreprises actuellement en « redressement judiciaire » pourraient être liquidées. C’est notamment le cas de Prevent Glass, un sous-traitant de Volkswagen, qui emploie 219 salariés à Bagneaux-sur-Loing (Seine-et-Marne). Pour ce site, le pessimisme est visiblement de mise. « Aucun repreneur ne se manifestera », « ce dossier sera socialement très difficile ». De fait, « les salariés réclament des indemnités supra-légales que l’administrateur judiciaire n’a pas les moyens de prendre en charge et sont conseillés par maître Brun », avocat jugé « souvent jusqu’au-boutiste ». Philippe Brun, autre avocat historique de la CGT, est en effet un avocat militant, connu pour son art de faire payer les employeurs devant les prud’hommes.

Autre dossier en suspens depuis des mois : la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne (550 salariés près de Rouen), actuellement à l’arrêt, en sursis pour six mois grâce à un accord négocié avec le pétrolier Shell. Le 25 mai, le tribunal de commerce décidera d’une éventuelle mise en liquidation judiciaire, si aucun repreneur « sérieux » ne se présente. « Nous souhaitons ouvrir immédiatement les discussions avec Shell, de manière à obtenir que cette activité se poursuive au-delà des six mois. C’est notre objectif », a expliqué jeudi Arnaud Montebourg sur France 2, indiquant aussi que le succès n’était pas certain.

La note évoque aussi les cas du groupe Hersant Media (dont le quotidien Paris-Normandie, 110 salariés au total), de la fonderie Manzoni Bouchot, sous-traitant de Peugeot et Citröen (Jura, 450 salariés) ou de Meryl Fiber, une usine de textile du Pas-de-Calais. Ces deux derniers dossiers sont particulièrement inquiétants. « La liquidation totale de cette fonderie serait catastrophique pour le territoire et pour ses salariés », indique la note. Pour Meryl Fiber, c’est encore pire : « il n’y a pas aujourd’hui de perspectives crédibles de reprise ». Il faut donc s’attendre à une liquidation « en juin ».

Aulnay condamné ?


J.-M. Ayrault à Florange, en avril 
J.-M. Ayrault à Florange, en avril© MM/Mediapart

« À plus long terme », de grosses annonces pourraient ternir encore l’horizon : « au cours de l’été », le distributeur de presse Presstalis (les ex-NMPP), avec « 800 à 1000 suppressions d’emploi» et des « risques réels de blocage de la distribution de la presse ». Mais aussi Areva (« 800 à 1 000 » postes en moins) ou la SNCM (800 emplois supprimés) ou Carrefour, dont la direction est « en pleine réorganisation ».

Plus inquiétant, les conseillers de François Hollande semblent avoir tiré une croix définitive sur le site PSA à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, 3 400 salariés) Ils parient même sur l’annonce « dès septembre » d’une « restructuration très significative », avec la « fermeture du site d’Aulnay d’ici 3 ans » et un plan de départ volontaires portant sur « 3 000 à 4 000 autres emplois ».

« Cette annonce ne se fera pas sans heurts, prévient la note : cela fait des années qu’aucun site automobile n’a été fermé en France et l’opposition ne manquera pas de signaler qu’elle avait obtenu elle, y compris au plus fort de la crise, que ni Peugeot, ni Renault ne ferment d’usine en France. » Sur France 2 jeudi, Arnaud Montebourg a promis « d’ouvrir la discussion avec la direction de Peugeot ». Là encore, sans donner plus de précisions.

Les dossiers recensés dans cette note ne sont pas les seuls écueils sur lesquels le gouvernement risque de buter. L'usine Rio Tinto (ex-Péchiney) à Saint-Jean-de-Maurienne est menacée. General Motors vient d’annoncer, juste après le deuxième tour, qu’il allait mettre en vente son site de Strasbourg. Autre annonce post-présidentielle, la fermeture d’une usine du fabricant italien de poids-lourds Camiva à Saint-Alban-Leysse, près de Chambéry, qui emploie encore 174 personnes. 

Cet été, le groupe ArcelorMittal doit dire s’il redémarre ses derniers hauts-fourneaux de Florange (Moselle) – le site emploie plus de 3 000 emplois directs, c'est le deuxième employeur de Moselle. Dans l’entourage d’Hollande, on ne se fait guère d’illusions. Le président a promis pendant la campagne un « dispositif législatif » pour éviter que lorsqu'un site est rentable, une entreprise multinationale le ferme juste pour assécher la concurrence. Ce texte pourrait s’appliquer aussi chez Mréal dans l'Eure : une papeterie dont le propriétaire finlandais a refusé de vendre à trois repreneurs afin d'assécher le marché – il y a urgence, car l'usine doit fermer en juin.

Dans ce contexte social tendu, le Front de gauche fait évidemment monter les enchères. Le 15 mai, Jean-Luc Mélenchon a adressé à Jean-Marc Ayrault une lettre pour alerter son « cher camarade » « sur la situation intolérable d’une vingtaine d’entreprises emblématiques et de leurs salariés ». Les noms des entreprises cités sont à peu près les mêmes que ceux qui inquiètent le gouvernement. Mais le chef de file du Front de gauche en profite surtout pour demander au premier ministre de « stopper l’hémorragie industrielle », « par la loi », avec plusieurs dispositifs qui ne figurent pas, ou pas selon ces termes, dans le programme présidentiel de François Hollande : « l’interdiction des licenciements boursiers et suppressions d’emploi dans les entreprises bénéficiaires », « la création d’un droit de veto des élus du personnel », un « droit de préemption » pour les coopératives de salariés ou encore la « protection des sous-traitants ».

Autant d'exigences que le Front de gauche ne va pas manquer de marteler pendant la campagne des législatives. Depuis 2007, la France a perdu 350 000 emplois industriels.

 

 

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 17:27
Marianne - Samedi 19 Mai 2012 à 05:00

 

Journaliste économique à Marianne En savoir plus sur cet auteur

 

Il manquerait 20 milliards dans les caisses pour atteindre l'objectif des 3% de deficit de PIB en 2013. Cette petite ardoise de Nicolas Sarkozy est la plus importante des bombes laissées en héritage. François Hollande devra choisir. Soit se conformer a cet objectif et augmenter les impôts d'autant. Soit renoncer à la parole de la France, en pointant du doigt son prédécesseur. L'audit de la Cour des comptes devrait l'y aider.

 

(Nicolas Sarkozy - WITT/SIPA)
(Nicolas Sarkozy - WITT/SIPA)

La Commission européenne n’aura pas attendu la passation de pouvoir pour saluer, à sa manière, le nouveau locataire de l’Elysée. Dès le 11 mai, Olli Rehn, son vice-président chargé des Affaires économiques, menace : les comptes publics français seront déficitaires à hauteur de 4,2 % du PIB en 2013, au lieu des 3 % imposés par le nouveau traité, et promis par la France. Bien sûr, cette sortie des clous, c’est un peu à cause de la croissance : en 2013, la hausse du PIB français devrait atteindre 1,3 %, contre 1,7 % anticipé. Mais ce différentiel de croissance n’explique que 5 milliards d’euros. Outre les bombes des plans sociaux gelés avec l’élection, celle de la nationalisation de Dexia (cf le Marianne de cette semaine en kiosque), cette petite ardoise de 20 milliards constitue sans doute le plus important des cadeaux empoisonnés laissés par Nicolas Sarkozy au nouveau pouvoir.

Car si il tient à se conformer à la promesse faite à Bruxelles par Nicolas Sarkozy, promesse reprise par le nouveau chef de l’Etat, François Hollande sera obligé de trouver l’équivalent soit en recettes soit en moindres dépenses… A moins que la Cour des Compte, qui doit être prochainement saisie d’un audit sur l’état des finances publiques ne vienne sauver la mise à François Hollande…

« En vérité, le gros de l’ardoise, c’est la vingtaine de milliards d’euros de nouveaux impôts que le gouvernement a prétendu avoir votés, alors qu’il n’en était rien », décrypte Michel Sapin, le monsieur économie du candidat PS et aujourd’hui ministre du travail. Revoilà donc la polémique qui avait opposé les deux camps durant toute la campagne. Les socialistes, au premier rang desquels Jérôme Cahuzac, président de la commission des Finances de l’Assemblée, ont sommé le gouvernement Fillon de détailler ces 20 milliards d’euros d’augmentations d’impôts pour 2012-2013. Car pour être bien inscrits dans le cadrage budgétaire envoyé à Bruxelles, ils n’en étaient pas moins virtuels selon eux puisque non votés durant l’un des multiples plans de rigueur de la fin du quinquennat. Il ne s’agissait pas d’un simple argument électoral. Pour respecter les clous bruxellois, l’objectif de 3% de déficit en 2013, Hollande a naturellement –naïvement ?- fait figurer ces 20 milliards dans son programme. A ce premier étage, il prévoyait d’en ajouter un second de 29 milliards d’€ « purement socialistes ». Sauf que Nicolas Sarkozy a laissé l’ascenseur des prélèvements obligatoires au rez-de-chaussée, avec François Hollande devant. 

Le président choisira-t-il dès lors d’appuyer sur le bouton du second étage et d’augmenter les impôts non pas des 29 milliards d’euros prévus mais de 49 milliards ? Ou profitera-t-il de cette dernière malhonnêteté sarkozyste pour s’affranchir de la trajectoire budgétaire drastique (synonyme de croissance atone) dans laquelle la France s’est engagée ?

C’est la question, cruciale, que François Hollande devra trancher dans les prochaines semaines. Le nouveau Président dispose pour ce faire d’un atout dans sa manche : l’audit de la situation du pays qu’il s’apprete à commander à la Cour des Comptes. Tout dépendra de la lettre de mission que les magistrats devraient recevoir en début de semaine. Il y a peu de chance que celle-ci se limite à la simple analyse de l’exécution du budget 2012. On sait par exemple que les enveloppes allouées à la politique de l’emploi ont été consommées par anticipation, laissant un trou pour la fin 2012.

Didier Migaud, le premier Président de la Cour, devrait également être amené à juger de la virtualité des fameux 20 milliards d’€….ouvrant du même coup une opportunité salutaire à François Hollande pour se dégager de la promesse bruxelloise de la France.

 

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 12:27

Le Monde.fr avec AFP | 18.05.2012 à 12h54

 
 
Plusieurs centaines de salariés et de clients d'Ikea pourraient avoir fait l'objet d'une surveillance de 2003 à 2009.

Ikea France a annoncé, vendredi 18 mai, le départ de quatre dirigeants impliqués dans l'affaire des soupçons de surveillance illégale de salariés et de clients du géant suédois de l'ameublement.

"Un ancien directeur général d'Ikea France, une ancienne directrice des ressources humaines, un ancien directeur financier et l'actuel directeur gestion du risque d'Ikea France vont quitter leur fonction et le groupe Ikea", a fait savoir le groupe, qui évoque des "comportements contraires à l'éthique". Les trois premiers avaient été mis "en disponibilité" à la suite de cette affaire.

Le 13 avril, le parquet de Versailles a ouvert une information judiciaire pour infraction à la législation sur les fichiers informatiques et violation du secret professionnel dans cette affaire. Elle a été confiée à deux juges d'instruction, M. Gallaire et Mme Evrard.

FICHIERS DE POLICE

Elle fait suite à une plainte contre X du syndicat Force ouvrière pour "collecte de données à caractère frauduleux, déloyal ou illicite". Plusieurs centaines de salariés et de clients d'Ikea, notamment ceux du magasin de Brest, pourraient avoir fait l'objet d'une surveillance de 2003 à 2009.

Le syndicat FO soupçonne la filiale française du groupe suédois d'avoir demandé à des enquêteurs privés des renseignements sur les antécédents judiciaires, policiers, ou les comptes en banque de ses salariés et clients, notamment en sollicitant des policiers pour que ceux-ci consultent le fichier STIC ("Système de traitement des infractions constatées") recensant les auteurs et les victimes d'infractions. Les prestataires ont nié avoir agi de la sorte.

Lire : "Espionnage chez Ikea : trois prestataires au cœur du système"

 

 

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