Médiapart - 26 juillet 2012 |
Par Ellen Salvi
Il y a ceux qui préfèrent attendre les arbitrages budgétaires. Et ceux qui montent au créneau « avant qu’il ne soit trop tard ». Le week-end dernier, l’association Droit au logement (DAL) a dénoncé dans un communiqué les « renoncements » du gouvernement en matière de logement social.
En se basant sur la feuille de route que la ministre de l’égalité des territoires et du logement, Cécile Duflot, a présentée en conseil des ministres le 18 juillet, le DAL « constate que plusieurs promesses de François Hollande sont remises en cause par le gouvernement au nom de la rigueur budgétaire ». « Cette feuille de route nous a peu désarçonnés, explique le porte-parole de l’association, Jean-Baptiste Eyraud. De lourdes menaces pèsent sur le financement du logement social et on a un peu le sentiment que le gouvernement va reléguer ces questions au second plan, comme toujours. »
© Reuters/Jean-Paul Pelissier
Atermoiements autour du doublement du Livret A, augmentation moindre des « aides à la pierre », éventuelle ponction de 1,8 milliard d’euros sur le budget d’Action logement (ex-1% logement)… Les premiers signes adressés au secteur social « ne sont pas bons », reconnaît le directeur général adjoint de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, qui espère que les arbitrages budgétaires lui donneront tort.
Malgré ces signes « qui ne prêtent guère à l'optimisme », l’ambition affichée de la majorité en matière de construction reste la même : faire sortir de terre 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Du jamais vu. Mais cette volonté politique pourrait bien souffrir de la rigueur budgétaire, comme ce fut déjà le cas pour l’hébergement d’urgence.
« L’économie budgétaire c’est pour tout le monde, argue-t-on dans l’entourage de Cécile Duflot. Tous les ministres ont reçu la consigne de faire 15% d’économies. Nous, ce qu’on porte, c’est +20% de dépenses. La feuille de route de réduction des dépenses est perpendiculaire à l’objectif de 150 000 logements sociaux. Notre boulot, c’est donc de faire converger les choses… »
Une tâche ardue dans un contexte de restriction, où la crise touche de plein fouet le secteur du bâtiment : « Le sujet est macro, poursuit le cabinet de la ministre du logement. Comment on relance un secteur qui prévoit de perdre 35 000 emplois d’ici la fin de l’année ? Comment on arrive à réamorcer la pente ? 150 000 logements sociaux par an, c’est un objectif difficile. Mais on peut arriver à s’en approcher si on parvient à mobiliser tout le monde. »
Pour ce faire, le gouvernement devra envoyer des signaux plus positifs aux acteurs du secteur social que ceux qui sont été émis ces derniers temps. « On est dans un moment d’entre deux, explique le directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), Matthieu Angotti. D’un côté on a une ministre qui tente des choses, de l’autre, l’épée de Damoclès de Bercy qui menace de tout faire s’écrouler. »
La question devrait être réglée sous peu. « On boucle le projet de loi de finance dans les dix jours, indique l’entourage de la ministre du logement. La question sera tranchée cette semaine par une rencontre entre Jean-Marc Ayrault et Cécile Duflot. A partir de là, on sortira la semaine prochaine les lettres plafonds (qui définissent les arbitrages dans chaque secteur – ndlr). Il n’y aura plus qu’à juger sur pièces. »
Les « aides à la pierre »
Les subventions de l’État, plus communément appelées « aides à la pierre », se réduisent comme peau de chagrin au fil des ans. De 800 millions d’euros en 2008, elles sont passées à 450 millions d’euros en 2011. Depuis la réforme du financement du logement de 1977, ces subventions ont largement diminué au profit des aides à la personne, devenues le principal vecteur de l’intervention publique pour permettre aux ménages modestes d’accéder à un logement et de s’y maintenir.
Pourtant, les aides à la personne sont restées bien insuffisantes pour couvrir la hausse des coûts du logement. Dans un rapport publié mardi 24 juillet, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) souligne que l’efficacité de ces aides s'est « détériorée au cours de la dernière décennie », la revalorisation du barème de ces dernières n’ayant globalement pas suivi l'évolution des prix et des loyers.
Cécile Duflot © Reuters/Gonzalo Fuentes
Conscient de la nécessité de redéployer les moyens alloués à la politique du logement, en redonnant une place plus importante aux aides à la pierre, François Hollande avait promis, durant la campagne, de doubler ces dernières. Aujourd’hui, il n’est plus question de « doublement », mais d’« augmentation », déplore le DAL. La feuille de route de Cécile Duflot évoque bien ces subventions, en expliquant qu’elles seront mobilisées dans le cadre du plan pluriannuel en faveur de la production de logements, sans pour autant s’attarder sur le détail des montants alloués.
Le ministère du logement le reconnaît : les aides à la pierre constituent, avec l’engagement des collectivités et l’apport d’Action Logement, l’un des piliers de financement du logement social. « Aujourd’hui, les collectivités mettent beaucoup d’argent et en face, l’État n’en met pas assez », admet l’entourage de Cécile Duflot qui estime qu’« il faut entre 680 et 720 millions d’aides à la pierre » pour remplir l’objectif de 150 000 logements sociaux. « Il n’y aura donc pas forcément un doublement, mais au moins une forte augmentation. »
Le 1% logement
Alimenté par une cotisation de 0,45 % de la masse salariale dans les entreprises de plus de 20 salariés, Action Logement (ex-1% logement), a pour vocation de construire des HLM et d’accorder des prêts aux salariés achetant leur logement. La ressource du 1% logement, déjà amputée pour financer l’Anah (Agence nationale de l’habitat) et l’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine), est indispensable pour financer la construction de logements sociaux, notamment dans les zones les plus tendues.
Jérôme Cahuzac © Reuters/Charles Platiau
Or, le site du Figaro a révélé mi-juillet que le ministre du budget, Jérôme Cahuzac, envisageait de ponctionner l’année prochaine 1,8 milliard d’euros supplémentaires sur le budget d’Action Logement, lequel serait alors réduit à 2 milliards d’euros. Une somme bien insuffisante pour remplir les objectifs de construction du gouvernement, mais aussi ceux que l’accord national interprofessionnel du 18 avril, qui avait acté une participation « au financement de la production de 100 000 logements/hébergements par an dont le tiers sera construit par les filiales des CIL (comités interprofessionnels du logement – ndlr). »
Nombreux sont ceux à s’être inquiétés de l’annonce d’un nouveau prélèvement sur le « trésor » d’Action Logement. L’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) a ainsi assuré dans un communiqué défendre « le budget propre » du 1% logement, tout en demandant « au gouvernement de doubler le plafond du Livret A au service du logement social » (voir page 3).
Lors d’une réunion avec Cécile Duflot, les partenaires sociaux, patronat et syndicats qui gèrent ensemble le 1% logement ont proposé d’emprunter au cours des prochaines années 600 millions à 1 milliard d’euros par an pour augmenter leur part d’aides à la pierre, emprunt gagé sur leurs actifs (« fonds propres et patrimoine de 750 000 logements sociaux », précise-t-on au ministère). En contrepartie, le gouvernement renoncerait à la ponction de 1,8 milliard d’euros et se cantonnerait au prélèvement des sommes prévues par la majorité précédente pour financer l’Anru et l’Anah (1,1 milliard en 2013 et 950 millions en 2014).
La décision finale est désormais entre les mains du premier ministre. Dans un courrier adressé ce jeudi 26 juillet à Jean-Pierre Guillon et Hervé Capdevielle, respectivement président et vice-président du conseil de surveillance de l’Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL), qui chapeaute les organismes du 1 % logement, Jean-Marc Ayrault écrit « qu'il n'est pas dans les intentions du gouvernement de remettre en cause l'existence et les modes de fonctionnement du dispositif paritaire que constitue Action Logement, mais au contraire de demander à Action Logement de prendre toute sa part à l'effort de construction de logement sociaux ».
De son côté, le ministère du logement exprime un décaccord ferme sur le projet de Bercy. « Action Logement est nécessaire au bouclage des opérations, assure le cabinet de Cécile Duflot. Non seulement, cet argent est nécessaire, mais en plus, on ne peut pas brutaliser les partenaires sociaux. On a besoin de tous les acteurs et si on brusque Action Logement, on n’arrivera pas à les faire investir plus, ce qui est notre projet à nous. »
Le « doublement » du Livret A
Pour l’Union sociale pour l’habitat (USH), les choses sont claires : le secteur bancaire a opéré une véritable « offensive » pour mettre à mal l’engagement « très lisible et populaire » du doublement du Livret A. Une offensive qui semble avoir porté ses fruits au vu des dernières déclarations du gouvernement sur le sujet.
En relevant le plafond légal du livret A (qui est actuellement de 15 300 euros) à 30 600 euros, François Hollande souhaitait dégager 20 à 30 milliards d’euros pour la production de nouveaux logements sociaux. 65 % des fonds collectés sur le livret A sont transférés à la Caisse des dépôts, qui les oriente à 90 % (187 milliards d'euros en 2011) vers la construction et la rénovation de logement social, via des prêts de longue durée aux organismes de HLM.
Ce levier de financement s’avère indispensable pour remplir les objectifs de construction du gouvernement et pourtant, après un moment de flottement, le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, a donné corps aux rumeurs en expliquant que la réforme n’entrerait en vigueur que progressivement, « au rythme des besoins », avec notamment la préoccupation de ne pas « déstabiliser les acteurs concernés ». Jean-Marc Ayrault lui a emboité le pas en utilisant une formule voisine lors de son discours de politique générale : « Le plafond du Livret A, qui permet notamment de financer le logement social, sera relevé, en fonction des besoins. »
Dans la feuille de route de Cécile Duflot, le doublement du Livret A est d’ailleurs devenu une simple « augmentation ». De quoi « satisfaire les banques et leur appétit spéculatif qui nous a précipité dans la crise », dénonce le DAL. Inquiètes des effets sur leurs dépôts du relèvement du plafond, les banques n’ont cessé de rappeler que les ressources issues du Livret A dépassent déjà les besoins de financement du logement social.
Un argument qui ne tient pas aux yeux de l’USH qui rappelle que « la collecte supplémentaire qui serait ainsi centralisée par la Caisse des dépôts ne devrait pas dépasser 30 milliards d’euros,à comparer aux 3 500 milliards d’euros d’épargne financière des ménages déjà détenus par le secteur financier privé. Cette mesure ne saurait donc déstabiliser les banques, d’autant qu’elles en profiteraient par ailleurs, pour la part du Livret A qu’elles garderaient à leurs bilans. »
Le ministère du logement tient à distinguer la question épineuse du Livret A de celle des autres leviers de financement du logement social. « Ce n’est pas strictement un sujet logement, c’est un sujet éco, qui dépasse l’ensemble des choses », souligne l’entourage de Cécile Duflot, qui « continue à porter le doublement » pour « créer un effet d’entrainement » et financer notamment la construction de logements très sociaux (PLAI). « Mais les arguments de Bercy s’entendent aussi. Par exemple, si on double tel quel, on double aussi les marges que se feront les banques sur cet argent. Dans ce cas, nous on dit qu’il faudrait revenir à un taux de centralisation de 100 % (passé à 65 % en 2009 dans le cadre de la réforme sur le Livret A de Christine Lagarde – ndlr). C’est un objectif aussi important que le doublement. »
Mercredi 25 juillet, les syndicats réunis sous le collectif Pour un pôle public financier au service des droits ont rencontré Pierre Duquesne. Cet ancien conseiller économique de Lionel Jospin à Matignon a été chargé, par le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, de plancher sur une nouvelle réforme du Livret A. Il doit formuler ses propositions à la rentrée, mais « plaidera, lui aussi, en faveur d’une hausse progressive », regrette le DAL qui a rejoint le rassemblement organisé pour l’occasion devant Bercy.