Billet de retard 11/09/2012 à 13h24
Proviseure débordée, profs en grève : au lycée Rousseau de Sarcelles – le plus grand du Val-d’Oise –, les élèves n’ont toujours pas repris les cours. Récit.
Devant le lycée Rousseau de Sarcelles, ce mardi matin (Ramsès Kefi/Rue89)
(De Sarcelles) C’est le plus grand lycée du Val-d’Oise. Plus de 1 800 élèves et environ 180 profs, des classes préparatoires aux grandes écoles de commerce et de BTS. D’ailleurs, il y a un petit côté fac quand on se balade dans les couloirs.
A l’entrée, un panneau électrique indique que la rentrée a eu lieu. Sauf qu’une banderole accrochée à un grillage dit le contraire : les profs sont en grève.
Ils protestent contre la nomination, effective à la fin du mois, d’une proviseure qui était encore stagiaire l’an passé. Et contre la manière dont cette rentrée est gérée par l’administration.
Yvan Coutellec est professeur de sport à Rousseau :
« Le 3 septembre [rentrée des professeurs, ndlr], nous nous sommes rendu compte que les emplois du temps des profs et des élèves [déterminés par la proviseure, ndlr] étaient incomplets, voire impraticables.
Nous avons donc décidé, en concertation avec l’administration, de reporter la reprise des cours au lundi 10 septembre, au lieu du jeudi 6 comme c’était prévu. »
Tania Mirsalis, professeure de philosophie, précise :
« En plus des emplois du temps catastrophiques des profs et des élèves, il manquait plus d’une vingtaine de professeurs. Mardi et mercredi, nous avons fait des prérentrées dans le flou total. »
Pêle-mêle : des cours programmés sans mentionner les salles, des classes à qui il manquait des cours, des enseignants qui n’ont pas pu préparer leurs leçons à l’avance, ne connaissant ni les niveaux ni les sections des classes qu’ils auraient pendant l’année.
En outre, suite au report de la rentrée au lundi 10 septembre, les professeurs n’ont reçu leurs emplois du temps quasi définitifs que le dimanche 9, aux alentours de 23 heures.
Grève subite
Alors, les enseignants ont décidé de « débrayer ». Une grève subite, sans préavis, après avoir estimé, lors d’une assemblée générale lundi en fin de matinée, que les conditions n’étaient toujours pas réunies pour dispenser les cours aux élèves, qui s’étaient pourtant déplacés.
Yvan Coutellec commente :
« Ce n’est pas rendre service aux élèves que de continuer à colmater nous-mêmes les brèches. Un établissement aussi grand et important que celui-là ne peut se permettre d’improviser.
Le rectorat se moque de nous, tout simplement. Et nous voulons qu’il écoute ce que nous avons à dire parce que les courriers, ça ne fonctionne pas. »
L’entrée du lycée Rousseau à Sarcelles, le 10 septembre 2012 (DR)
Les élèves encore présents ce lundi après-midi se comptent sur les doigts d’une main. Dans la cour, une fille squatte un banc, tandis qu’un groupe de jeunes scrute l’écran d’un ordinateur portable.
Ce sont les profs les plus visibles. Ils potassent les courriers qu’ils enverront aux parents pour expliquer leur débrayage et ces emplois du temps « sans queue ni tête » qui reviennent systématiquement quand on leur demande d’exposer leurs griefs.
Cyril Melac, professeur de mathématiques :
« L’an passé, nous avons pu faire illusion grâce à la solidarité des profs. Mais ça n’allait pas d’un point de vue administratif. Le bac blanc avait par exemple été reporté de trois semaines, des e-mails d’information n’arrivaient pas aux enseignants...
L’énergie que nous mettons à couvrir les erreurs de l’administration, c’est autant de temps que nous n’accordons pas à nos élèves. »
« Des personnes inexpérimentées »
Les professeurs pointent du doigt les changements opérés récemment à la tête de l’établissement. Christiane Amesland est proviseure du lycée depuis un an. Elle partira à la retraite le 30 septembre et sera remplacée par son adjointe, qui était seulement stagiaire l’an passé.
Et la nouvelle adjointe sera une professeure qui exerçait au lycée et qui sera elle aussi stagiaire. Yvan Coutellec poursuit :
« Pour un établissement aussi grand et important, c’est inimaginable de confier les rênes à des personnes aussi inexpérimentées.
Nous ne remettons pas en cause leurs qualités et nous ne les accablons pas, mais elles sont dépassées. Nous avons besoin de stabilité et de personnes confirmées à ce poste, pas de stagiaires. »
Il évoque les courriers au recteur de l’an passé pour souligner la précarité de la situation. L’épisode du bac blanc notamment. Contacté par Rue89, le rectorat nous renvoie vers le chef de cabinet de la direction académique du Val-d’Oise, Denis Christophoule :
« Chaque rentrée a ses aléas et ses emplois du temps provisoires. C’est fréquent. Nous faisons notre possible. Nous avons d’ailleurs trouvé les profs manquants assez rapidement. »
« Le rectorat nous a abandonnés »
Il dit ne pas avoir eu vent des soucis de l’an passé, réfute l’idée que le rectorat aurait abandonné le lycée Rousseau et rappelle qu’une proviseure chevronnée avait été nommée cet été à la place de Christiane Amesland, avant d’accepter un poste ailleurs :
« Nous avons donc opté pour une solution de continuité dans la mesure où il est difficile de trouver un proviseur en si peu de temps et que l’adjointe connaissait déjà l’établissement. »
Dans les couloirs du lycée, Manuel Alvarez, conseiller municipal, interpelle les enseignants. Il glane quelques informations, leur assure le soutien de la mairie, mais aussi de son incapacité à agir dans un tel cas de figure.
Près de lui, Marie-Pierre Damart, présidente de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves) du lycée. Elle a étudié à Rousseau il y a quelques années :
« [Cette rentrée 2012] est la pire à laquelle j’aie pu assister. Le rectorat nous a abandonnés parce qu’ici, on est à Sarcelles, en banlieue. Il n’y a pas de parents qui manifestent devant l’entrée, ni devant la fenêtre du recteur, tout va bien !
Comment être rassuré quand un établissement de cette dimension est géré par des stagiaires ? J’en veux au rectorat. »
« Nos enfants sont encore en vacances »
Elle déplore dans le même temps la communication de l’établissement, qui n’a rien dit « clairement » aux parents concernant le report de la rentrée. Ni aux journalistes d’ailleurs, puisque le secrétariat affirmait lundi, aux alentours de 15 heures, que les cours avaient repris. Marie-Pierre Damart :
« Il y a un site internet, pourquoi ne pas dire qu’il n’y a pas cours [la direction a mis en ligne un message lundi en début de soirée, ndlr] ? Résultat : après les prérentrées de mardi et mercredi, nos enfants sont encore en vacances.
Et les parents sont inquiets. Ils n’ont même pas les emplois du temps. Mettez-vous à la place d’un étudiant qui prépare le bac ou d’un élève de seconde qui découvre à peine le lycée. »
Quelques enseignants la « rassurent » : la communication est aussi difficile en interne. « Le lycée a bonne réputation et on essaye de sauver les apparences en masquant la réalité », sourit l’un d’entre eux, en m’indiquant le bureau de madame la proviseure.
« Rien de dramatique »
Celle qui, dans quelques jours, ne sera plus là mais à qui il incombe de faire la transition dans de bonnes conditions. Une grande femme, courtoise et élégante, qui me reçoit dans son vaste bureau :
« Le rectorat ne nous a pas abandonnés. Un inspecteur est là et observe ce que nous mettons en place […]. Les profs n’auraient pas dû amorcer ce débrayage. C’est irresponsable vis-à-vis des élèves. »
Elle reconnaît néanmoins les difficultés particulières de cette rentrée 2012-2013 à Rousseau. Les nombreux congés maternité des professeures qui ont tardé à être remplacées et la pénurie de professeurs chevronnés nécessaires pour un lycée de cette dimension. « Notamment pour nos prépas. » Les mutations, les mises en disponibilité de professeurs et sa remplaçante à la tête de l’établissement, qui n’est jamais arrivée.
Néanmoins, elle minimise :
« Les livres ont été distribués aux élèves, la prérentrée effectuée. Il n’y a rien de dramatique, nous pouvons travailler. »
Les profs ont rendez-vous ce mardi en fin d’après-midi avec le recteur. « Nous allons exiger de lui des personnes chevronnées aux postes de direction et de la stabilité », martèle Tania Mirsalis.
Ce mardi, il n’y a toujours pas cours. Les professeurs ont voté massivement pour ne pas les débuter. Devant le lycée, quelques élèves encouragent leurs profs, qui déploient une banderole pour annoncer leur décision de continuer. « Jusqu’à ce que le recteur nous entende », sourit Yvan Coutellec.
Des professeurs du lycée Rousseau déroulent une banderole, le 11 septembre 2012 (Ramsès Kefi/Rue89)