Trois millions de chômeurs ! C’est officiel, le « cap » a été franchi ce mercredi 26 septembre 2012 suite à la publication des chiffres mensuels de Pôle emploi. Avec une augmentation de 9,2 % en un an, le nombre de chômeurs de catégorie A atteint les 3 011 000, en août. Médias et politiques relaient ce chiffre et s’indignent. Pressentant la déflagration politique, le ministre de l’économie, Michel Sapin, avait déminé le terrain par une annonce anticipée de quelques heures sur la communication officielle de l'ensemble des chiffres.
Car ce chiffre de 3 011 000 de chômeurs ne recouvre pas toute la réalité que dévoile la publication mensuelle de Pôle emploi (lire sous l'onglet Prolonger, le détail des données). Il ne concerne qu’une frange des chômeurs : ceux de catégorie A (n'ayant exercé aucune activité le mois précédent) qui sont inscrits à Pôle emploi et qui habitent en métropole. Rien qu’en considérant les DOM-TOM, on arrive au total de 3 259 200 personnes. En réalité, sur la France entière, la barre des trois millions de chômeurs a été franchie depuis un an, en septembre 2011.
L’amalgame entre nombre de chômeurs et inscrits à Pôle emploi de catégorie A en France métropolitaine, opéré par les responsables politiques, occulte la totalité du phénomène. Ces trois millions de chômeurs ne sont que la partie émergée d'un iceberg qu'économistes et sociologues appellent le « halo du chômage » et qui englobe des millions de personnes supplémentaires : les découragés, les radiés, les dispensés de recherche d’emplois. On retrouve déjà, bien sûr, les chômeurs inscrits à Pôle emploi et qui rentrent dans les autres catégories (B, C, D et E).
Rien qu’en considérant les chômeurs de catégorie A, B et C, on arrive au total de 4 494 600 personnes. En prenant en compte ceux des catégories D et E, le compteur monte à 5 090 500, un chiffre en augmentation de 7,7 % en un an.
Si la barre des trois millions a déjà été franchie par le passé (en 1993), celle des 5 millions de personnes toutes catégories confondues l'a été pour la première fois en mai 2012 et le nombre des chômeurs n’a jamais été aussi élevé. Sur ces 5 millions d’inscrits, un peu moins de la moitié, soit 2,47 millions, sont indemnisés par Pôle emploi. Paradoxalement, ils sont de moins en moins nombreux à être indemnisés : les nouveaux modes de calculs couplé au fait que les nouveaux inscrits ont peu travaillé auparavant font qu'un demandeur d'emploi perd plus rapidement son droit à l'indemnisation. Ces personnes rejoignent les rangs des bénéficiaires des minima sociaux (ASS, RSA).
Pour Didier Demazière, sociologue spécialiste du chômage, « les chiffres de Pôle emploi sont très restrictifs et ne mesurent en aucun cas le nombre de chômeurs car ils ne considèrent comme chômeurs que ceux qui sont inscrits à Pôle emploi, qui répondent à leurs convocations et qui justifient d’une recherche active d’emploi ». Richard Dethyre, sociologue et coordinateur du deuxième forum social des saisonniers, parle même d’un « scandale politique ». « Je ne vois pas d’équivalent en termes de dissimulation démocratique d’un phénomène aussi grave », s’insurge-t-il.
Pôle emploi est pourtant clair : il communique sur le nombre d’inscrits qu’il comptabilise à la fin de chaque mois, rien d'autre. Au-delà, on retrouve ce « halo du chômage » qu'il est périlleux de chiffrer, tant les données manquent, en dehors de celles, précisément, de Pôle emploi. Compte tenu de l’ampleur de la dégradation du marché du travail, des chercheurs considèrent que les situations de sous-travail et de grande précarité doivent faire partie des chiffres du chômage. En bricolant des méthodes statistiques, certains, comme les coordinateurs du forum social des saisonniers, avancent le chiffre de 8,5 millions de chômeurs. Le collectif Les autres chiffres du chômage affirme que la France compte plus de 12 millions de chômeurs.
Tout en rejetant l'idée que les chiffres communiqués par Pôle emploi reflètent la réalité du chômage, Didier Demazière insiste : « Il n’existe pas de bons chiffres du chômage. » Mediapart a fait ses comptes, en tentant d’aller rechercher ces personnes en dehors des écrans radars de Pôle emploi dans les statistiques d’autres organismes. L'opération, forcément imprécise, aboutit à la conclusion qu'il y aurait, en France, au moins 8 millions de personnes recherchant un travail, soit 28 % de la population active. Aux 5 090 500 personnes inscrites à Pôle emploi (toutes catégories confondues), s’ajoutent :
1 - Les bénéficiaires du RSA non inscrits à Pôle emploi
Certes, un tiers des allocataires du RSA ont un travail mais les revenus qu’ils en tirent ne leur permettent pas de dépasser le seuil de pauvreté, c'est d'ailleurs pour cela qu'ils bénéficient de cette aide. En outre, qu'ils aient déjà du travail ou pas, la majorité des bénéficiaires du RSA ne sont pas inscrits à Pôle emploi.
Les chiffres ne sont pas aussi frais que ceux de Pôle emploi, mais ils donnent une idée de l’ampleur du phénomène : plus de la moitié des bénéficiaires du RSA ne sont pas inscrits à Pôle emploi. Dans un rapport de septembre 2012, la Caisse d’assurance familiale estime que 2,09 millions de personnes perçoivent le RSA (socle ou augmenté). De son côté, Pôle emploi comptait en mars 2012 dans ses inscrits, 725 576 bénéficiaires du RSA. Plus de 1,3 million d’allocataires du RSA sortent donc des chiffres de Pôle emploi.
2 - Les dispensés de recherche d’emploi
La majorité des dispensés de recherche d’emploi sont comptabilisés dans les catégories D et E de Pôle emploi. Il s’agit de ceux qui ne peuvent plus rechercher d’emploi soit parce qu’ils sont malades, soit parce qu’ils sont en formation ou encore parce qu’ils bénéficient d’un contrat aidé.
Une autre catégorie de personnes bénéficiait de cette dispense de recherche d’emploi : les seniors de plus de 56 ans. Ce dispositif permettait aux seniors d’attendre la retraite sans être obligés de justifier d’une recherche d’emploi. Il a été supprimé le 1er janvier 2012 mais continue de s’appliquer aux bénéficiaires en cours. Pôle emploi compte à la fin du mois de juin 2012 encore 111 500 personnes dans ce cas. Elles sont comptabilisées comme inactives et sortent donc des chiffres du chômage.
3 - Le temps partiel subi
Une partie des personnes qui travaillent à temps partiel le font car elles n’ont pas le choix. Le temps partiel subi concerne, selon l’Insee, 1,367 million de personnes au deuxième trimestre 2012. L’Observatoire des inégalités pousse ce chiffre à 1,5 million et précise que dans 70 % des cas, ce sont des femmes qui sont touchées. Ces personnes recherchent elles aussi un emploi et il n'y a pas de raison de les exclure du total des personnes à la recherche d'un emploi.
Au total, ce serait donc près de 8 millions de personnes en France qui chercheraient un travail. Ce résultat est forcément très parcellaire et le conditionnel s'impose, car des catégories peuvent se recouper à la marge. Mais il gonfle considérablement le simple chiffre des demandeurs d’emploi de catégorie A, brandi comme le miroir de la réalité du chômage.
D’autres catégories de personnes devraient figurer dans la liste, mais il est difficile pour ne pas dire impossible d'en fixer le nombre ; c'est le cas des retraités qui cherchent un travail pour compléter leurs pensions ou des jeunes sortis du système scolaire avec ou sans diplôme, ne trouvant pas de travail et ne s’inscrivant pas à Pôle emploi. Mais les grands oubliés des statistiques officielles sont les personnes radiées des listes de Pôle emploi.
En effet, les chiffres de Pôle emploi font état d'environ 200 000 « cessations d'inscription pour défaut d'actualisation » par mois : autant de personnes qui sortent de Pôle emploi, soit parce qu’elles n'ont pas donné suite à un rendez-vous, soit parce qu’elles ne peuvent justifier d’une recherche active d’emploi. Le flou règne dans les flux d'entrées et de sorties à Pôle emploi, si bien qu'il est impossible de déterminer combien de personnes radiées ont pu se réinscrire ou se sont découragées.
Compte tenu de l'explosion du nombre de chômeurs de longue durée (+9,4 % en un an, pour 1 727 000 personnes), il y a fort à parier que les découragés de Pôle emploi sont aussi de plus en plus nombreux. Ces personnes finissent pas perdre le bénéfice de leurs indemnités chômage, basculent dans les minima sociaux et sortent du marché du travail par découragement. Ils deviennent dès lors intraçables dans les statistiques.
En considérant tous ces autres cas, on pourrait affirmer que le chômage réel dépasse de loin les 8 millions de personnes. Mais aucune étude officielle n'existe actuellement pour faire état sérieusement du phénomène.
Pour cette raison, Didier Demazière plaide pour la mise en place d’un indicateur « beaucoup plus proche de la réalité du chômage » et qui prendrait en compte « la volonté de travailler ». De telles statistiques rassembleraient, en plus des inscrits à Pôle emploi, toutes les personnes qui n’ont pas ou peu d’activité et qui souhaitent travailler, notamment les découragés. « Le critère de recherche d’emploi n’a plus de sens quand, au bout d’un an de recherche, on n'a rien trouvé et qu'on se décourage, explique-t-il. Mais, pour mesurer ces découragés, il faudrait leur demander s’ils veulent toujours travailler, ce qui nécessiterait une enquête... »
Dire, à partir des données de Pôle emploi, que le chômage touche trois millions de personnes en France est donc un raccourci hâtif. Ces éléments présentent tout de même l'avantage d'être un thermomètre de la situation du marché du travail et, dans ce cas, de montrer qu'il se dégrade depuis bien longtemps.
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La barre des cinq millions de chômeurs se rapproche
4 776 800 demandeurs d'emploi étaient recensés fin août, avec ou sans activité et en comptant l'outre-mer, selon les chiffres de Pôle Emploi rendus publics mercredi 26 septembre.
En ne tenant compte que de la catégorie A (personnes sans activité) et de la France métropolitaine, le nombre de chômeurs a dépassé la barre symbolique des trois millions (3 011 000 demandeurs d'emploi).
Depuis New York, le président de la République, François Hollande, a parlé d'une « situation dont nous héritons ». Début septembre, François Hollande a promis de juguler ce chômage endémique en un an.