Pour Pierre Moscovici,
Marianne a tort. Loin d’être la
«capitulation»,
comme le titre notre hebdomadaire cette semaine, et comme l’estime à la fois Finance Watch et bon nombre de spécialistes des banques, sa loi bancaire qu’il a fait adopter ce mercredi 19 décembre en conseil des ministres est
« précurseur en Europe ». L’affaire est de la plus haute importance politique. Cette réforme doit être
« l’acte fondateur de mon action », explique-t-il.
Celle qui donnera – enfin – sens et consistance à une politique qui en manque singulièrement. Devant les étudiants attentifs, réunis le 23 novembre dans le grand amphithéâtre de l’école supérieure de commerce, le ministre de l’économie et de finances célèbre
« le retour du politique », et présente un contenu d’apparence fort volontariste :
«identification et contrôle des risques », séparation des activités, suppression des activités « immorales ». Hélas, quelques jours plus tôt, l’entourage du ministre dévoilait aux journalistes le contenu réel du projet de loi quelques jours plus tard, où prédominait le sentiment de pusillanimité. En fait la loi défend d’abord le modèle de
« banque universelle » à la française, ce à quoi tenaient d’abord la corporation bancaire.
Car si le texte prévoit bien de « séparer » toutes les activités à risques et de les cantonner dans une filiale particulière, il réserve cette obligation aux seules
« trading pour compte propre », c’est à dire lorsque la banque joue avec son propre argent sur les marchés financiers. C’est peu de chose. Pour la plus active des banques spéculatives, Goldman Sachs, cela ne représente que 10% de son activité. Pour les françaises, hormis BNP Paribas et Société générale, presque rien ! Le projet de loi, un rien jésuite, permet à toutes les activités
« utiles à l’économie » de demeurer dans la giron des banque de dépôts. Sauf le trading à haute fréquence ( opérations pilotées par ordinateurs générant des achats et des ventes à la nanoseconde sur els marchés ). Quasiment tous les autres instruments sont autorisés pour peu qu’ils soient utilisées en relations avec un client : spéculation sur les matières premières, tenue de marché, crédit hypothécaires à risques (subprimes), investissement dans des filiales pratiquant la « rehaussement de crédit », etc.
Un banquier d’affaires résume :
« en fait, à part l’affaire Kerviel, cette loi n’aurait empêché aucune des gamelles que les banques françaises ont enregistrés pendant la crise : Natixis (groupe BPCE) aurait pu investir dans une filiale dangereuse aux Etats-Unis et perdre 10 milliards d’euros ou Dexia vendre des crédits pourris aux collectivités locales, et perdre encore davantage d’argent. En fait, il n’y avait qu’une solution pratique : cantonner toutes les activités de marchés dans une filiale, puisque dès qu’il y a marché, il y a un risque… ». On peut ajouter que pourvu qu’elle agisse pour un client, une banque pourra spéculer sur les matières premières alimentaires, au risque de créer des envolées de prix et des famines ! Quant à l’interdiction de posséder des filiales dans les paradis fiscaux ou réglementaires, elle est carrément absente du projet de loi. Même le prêt aux hedge funds, spéculateurs entre les spéculateurs est possible, sous certaines conditions…
Le texte fait donc le bonheur des banquiers qui ont fait, de juillet à décembre, le siège du gouvernement en défendant la « banque universelle ». Ils ont trouvé des défenseurs à Bercy où un haut et influent fonctionnaire soutient que
« les banques qui ont fait faillite aux Etats-Unis, comme Lehman Brothers, ou au Royaume-uni comme la Northern Rock (ou RBS???) étaient des établissements spécialisées. Lehman Brothers était une pure banque d’affaires, Northern Rock une pure banque de dépôt. Cela n’a pas empêché des catastrophes d’arriver ». Fermez le ban.
D’ailleurs, selon Bercy les
« larges consultations » organisées en amont auraient été unanimes :
« les banques, leurs clients qu’ils s’agissent des entreprises ou des associations de particuliers ont eu ce message : ne détruisez pas notre banque universelle… » Cet engouement pour le modèle « tout-en-un » est suspect aux yeux de Pierre-Henri Leroy, président du cabinet Proxinvest :
« c’est l’offre coiffeur, explique-t-il. On voit l’avantage pour le coiffeur de fournir à la fois le shampoing, la coupe, le brushing, la couleur et la manucure. Mais est-ce que c’est aussi l’intérêt du client ». Même Sébastien Busiris, secrétaire général FO banques, pourtant partisan de la banque universelle au nom de l’emploi de ses adhérents, estime que pour sauver le modèle, il faudrait l’encadrer fortement :
« lorsque nous avons été auditionnés, à la fin du mois d’octobre, on avait l’impression que les jeux étaient faits et qu’il s’agissait de vérifier que nous ne nous y opposerions pas. Nous avons demandé que la loi précise ce qu’étaient « les activités utiles à l’économie », et qu’on taxe la spéculation pour la décourager. Mais le projet de loi laisse la question sans réponse. »
En fait ce sera aux autorités de régulation, peuplées de banquiers, anciens, actuels ou futurs, de préciser le concept «
d’utilité à l’économie ». Comme le dit Sébastien Busiris:
« à la limite, la spéculation peut être présentée comme indispensable ! » Et c’est là que la modestie de la réforme permet aux banquiers de limiter les dégâts. Longtemps la profession a laisser dire que la séparation du « compte propre » n’impacterait que 2% de son chiffres d’affaires (le produit net bancaire). In extremis, Pierre Moscovici a fait recalculer le chiffre
« c’est en fait 10% » s’écrit-il dans l’espoir d’étoffer son dossier.
Pour Thierry Philiponnat, ex-trader et directeur l’ONG européenne Finance Watch, créée à l’initiative de députés de gauche français,
« combiner ces deux activités au sein d'une même banque a pour conséquence de permettre à l'activité de prêt d'argent et de collecte des dépôts de nourrir artificiellement l'activité de négoce d'instruments financiers. » En clair : l’argent des déposants sert toujours à faire des profits par la spéculation.
Karine Berger, députée socialiste des Hautes-Alpes, et qui sera la rapporteure de la loi à l’Assemblée, en convient :
« la réforme ne vise pas à corriger l’action des banques, à en transformer la structure. » Ce n’est pas si mal lorsqu’on regarde la revendication de départ des banquiers:
« le message de Frédéric Oudéa, (patron de la Société générale et président jusqu’à l’été de la Fédération bancaire française FFB) était d’instituer une autorité de régulation à postériori ». Une chambre d’enregistrement, en somme. Pour la députée, l’esprit de la loi est donc :
« on ne découpe pas les banques, mais on prépare la paire de ciseaux pour pouvoir le faire au cas où ». La véritable innovation de la loi Moscovici résiderait dans son deuxième volet, qui donne des nouveaux instruments à la puissance publique pour gérer une éventuelle crise bancaire.
« On pourra enfin débarquer le management incapable d’une banque à problèmes avant la cessation de paiement, contrairement à aujourd’hui », se réjouit un haut fonctionnaire de Bercy. Un fonds de résolution devra être constitué, qui permettra de ne plus faire appel à l’argent des contribuables en cas de pépin.
« C’est la fin de la socilaisation des pertes », s’exclame le ministre. Mais une autre conclusion s’impose : les banques pourront donc continuer à faire leurs affaires comme auparavant, mais gare à la faute ! Ce volet de la loi heurte d’ailleurs davantage les banques mutualistes (Crédit agricole et Crédit mutuel), très jalouses de leur indépendance vis-à-vis de l’Etat, que les banques privées.
Pourquoi avoir capitulé si facilement ? Bien sur il y a la
« proximité ». Des deux côtés de la négociation, on trouve des inspecteurs des finances; ceux de la direction du Trésor, comme Ramon Fernandez, qui a entièrement instruit le dossier pour le compte de Pierre Moscovici; Et les ex-de Bercy, comme Michel Pébereau, président d’honneur de BNP-Paribas, ou François Villeroy de Gallau, numéro 3 de la même banque, et ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn et par là très au fait des réseaux socialistes. La consultation préalable a eu lieu dès le mois de juillet au sein, du Conseil de régulation financière et du risque systémique (Corefris) dont
L’Expansion a dévoilé les principaux participants:
« Outre le ministre des finances et des autorités de régulation et de supervision (gouverneur de la Banque de France, président de l'Autorité des marchés financiers notamment), s’y trouvent trois membres “indépendants” : Jean-François Lepetit, administrateur de BNP Paribas (et ancien directeur de la banque), et Jacques de Larosière, conseiller pendant plus de dix ans du président de BNP, un certain Michel Pébereau (ex-pdg de BNP Paribas. » Par ailleurs, Notre banquier d’affaires observe qu’en
« chargeant continuellement les banques de taxes, le gouvernement s’est affaibli devant elles quand il a fallu discuter réformes de structurelles. Les banquiers ont eu beau jeu de dire au ministre : vous voulez de l’argent ? Et bien laissez-nous en faire ! ». Reste à franchir le niveau européen. Michel Barnier, commissaire au marché intérieur et aux services prépare lui aussi une directive (loi européenne) de séparation des activités bancaires. Il devait s’inspirer d’un rapport préparé par le groupe présidé par le finlandais Erkki Liikanen, dont les conclusions sont bien plus sévères que le projet Moscovici. Il recommande notamment de cantonner dans une filiale spécifique toutes les activités à risque (trading pour compte propre, tenue de marché, crédit aux hedge funds, véhicules d'investissement hors bilan, investissement dans le private equity…)
Michel Barnier qui s’en était entretenu avec François Hollande cet été avoue ne pas être au courant des détails.
« Je n’ai pas eu connaissance du texte du projet de loi Moscovici. Mais l’important est qu’il soit compatible avec la future directive », explique-t-il devant l’association des journalistes économiques et financiers. A Bercy on ne cache pas le sentiment d’avoir bien manœuvré :
« La France sera le premier pays en Europe à légiférer. Cela nous permettra de peser d’un poids particulier sur les contenus au niveau de l’Union. » Sous-entendu : les banques françaises seront bien défendues…
Comme s‘il savait son texte est bien imparfait, Pierre Moscovici s’est dit ouvert à de nombreux amendements de la part des parlementaires :
« sur les stocks options, sur la composition de l’autorité de contrôle prudentielle, sur les paradis fiscaux », et même
« sur la liste des activités déclarées ».