"Aucun responsable politique n'ouvre un bâtiment au pied-de-biche." La ministre du logement, Cécile Duflot, a répondu, jeudi 27 décembre, sur Europe 1 à l'impatience du collectif Droit au logement (DAL) qui lui avait offert, mardi, un pied-de-biche doré pour lui demander d'accélérer les réquisitions de logements vacants. Une procédure symboliquement très forte qu'elle s'était dite prête, fin octobre, à utiliser.
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Son ministère avait demandé aux préfets des régions les plus tendues en matière de logements (Ile-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur) de "se mettre en situation de procéder à des réquisitions d'ici à la fin de l'année".
A Paris, 44 bâtiments appartenant à 30 personnes morales ont été identifiés. "Dix-neuf propriétaires, correspondant à vingt-huit adresses, se sont manifestés. Cinq visites ont déjà eu lieu, six sont programmées", a annoncé le 20 décembre l'ex-préfet de Paris et d'Ile-de-France, Daniel Canepa, remercié depuis. Mais la procédure étant "longue et complexe" les premières réquisitions ne pourront avoir lieu qu'en mars 2013, a reconnu, jeudi, le ministère du logement.
- Le difficile recensement de la vacance
Le nombre de locaux vacants est estimé à environ 500 000 par l'Insee dans les sept plus grandes villes de France (Paris, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Lille, Montpellier) et approcherait les 2,5 millions sur l'ensemble du territoire. Pour deux tiers, ces habitations appartiendraient à des personnes morales et pour un tiers à des particuliers.
Ces chiffres sont à prendre avec précaution car le recensement des logements effectivement vides est très difficile. Il peut se faire par l'examen des fichiers fiscaux (taxe d'habitation, taxe des logements vacants...), ou à partir des compteurs EDF fermés. Résultat : personne n'est à même de donner rapidement et avec précision le nombre de logements inoccupés.
"Il est certain qu'il existe aujourd'hui du patrimoine, des anciens logements d'instituteurs, anciens bâtiments d'habitation de ministères ou de grandes entreprises, qui sont inoccupés et peuvent être mis à disposition" pour une convention entre l'Etat et un bailleur social, une association, a déclaré Mme Duflot, lors d'un déplacement à Bordeaux, jeudi 27 décembre.
Ce patrimoine caché "est très difficile à identifier", a-t-elle reconnu, donc "il faut sensibiliser à cette question l'ensemble des services publics". "Administrations, professionnels... tous ceux et celles qui ont connaissance de ces bâtiments ou logements vacants sont invités à en faire part aux services de l'Etat, aux préfets", a-t-elle ajouté.
Un appel qui a suscité un tweet virulent du député UMP des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca : "C. Duflot appelle à la délation sur les logements vacants. Finalement, on est content de la connaître en temps de paix..."
- Deux cadres légaux
Deux procédures permettent de réquisitionner des logements vides pour y installer des mal-logés ou des sans-abri. Une ordonnance de 1945 stipule que tout local vide depuis plus de huit mois peut être réquisitionné. Sont concernés tout d'abord les locaux d'habitation, puis, à partir de 1956, ceux à caractère commercial ou professionnel. Une indemnité est prévue pour les propriétaires.
En 1998, un article de la loi de lutte contre les exclusions introduit un nouveau cadre législatif. Ne peuvent être réquisitionnés que des bâtiments appartenant à des personnes morales (banques, sociétés d'assurances, mutuelles, etc.), et vacants depuis plus de dix-huit mois. L'attributaire du local réquisitionné (Etat, organisme HLM, collectivité locale, association...) doit assurer les travaux nécessaires, la gestion locative, et verser une indemnité aux propriétaires.
Au terme de la réquisition, dont la durée est de un à six ans – pouvant être portée à douze ans dans le cas de gros travaux de remise en état –, les locaux sont restitués vides au propriétaire. C'est cette procédure que veut réactiver Mme Duflot.
- Une possibilité utilisée avec parcimonie
En décembre 1994, alors qu'il était maire de Paris, Jacques Chirac avait réclamé l'application de l'ordonnance de 1945, sous la pression du DAL. Une cinquantaine d'habitations avaient alors été réquisitionnées.
Quelques mois après son élection à la présidence, en 2002, M. Chirac ordonne la réquisition d'un peu plus de 1 000 logements vacants en Ile-de-France, situés dans les arrondissements du centre et de l'ouest de Paris. Ces logements, qui appartenaient à des institutionnels (banques et assurances), ont été réquisitionnés pendant cinq ans puis, pour la plupart, rachetés par des bailleurs sociaux pour en faire des HLM.
En 2001, Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement du gouvernement de Lionel Jospin, annonçait la réquisition de 308 logements et de 120 équivalent chambres à Paris et en Ile-de-France. Une deuxième vague de réquisitions était prévue dans d'autres départements d'Ile-de-France et dans les grandes agglomérations de province, qui devait porter sur quelque 300 logements. Ce programme sera finalement revu à la baisse.
Faute de temps et de moyens, Mme Lienemann, aujourd'hui sénatrice PS de Paris, admet que les résultats n'ont pas été à la hauteur de ses espérances. "Sur les 4 000 logements repérés par mes services, 1 200 ont été visités, et seulement 147 ont finalement été réquisitionnés à Paris, et entre 70 et 80 en province", se rappelle-t-elle.
- Des résultats aléatoires
La réquisition d'un logement est un processus lent. Il faut d'abord repérer les logements, puis contacter les propriétaires, et ensuite les visiter pour évaluer si le lieu est transformable en logement habitable. Surtout, le volume d'habitations susceptibles d'être réquisitionnées peut se réduire comme peau de chagrin pour de multiples raisons.
La résidence visée peut menacer ruine ou nécessiter des travaux trop coûteux pour être remise en état. Le propriétaire peut interrompre la procédure en prouvant qu'il va remettre son bien sur le marché. "Pour avoir une chance que ça marche, il faut disposer d'un service consacré au suivi du parc de logements vacants, et qui puisse mettre la pression sur les propriétaires récalcitrants, considère Mme Lienemann. Beaucoup de biens peuvent être récupérés par la persuasion. La réquisition doit d'abord être utilisée comme une arme de dissuasion massive", poursuit la sénatrice.
A la Fondation Abbé-Pierre, Christophe Robert, délégué général adjoint, met en garde : "Il ne faut surtout pas laisser croire que la réquisition est la solution miracle à la crise du logement, alors que l'on sait très bien que sa portée est limitée. Ce ne doit être qu'un outil parmi d'autres." Benoist Apparu, député UMP et ancien ministre du logement, a estimé, jeudi sur RTL, que "les réquisitions, c'est du vent, ça n'a jamais fonctionné.(...) C'est contre-productif".
- Un durcissement législatif
Pour lutter contre les bâtiments inoccupés, le gouvernement a fait adopter dans la loi de finances pour 2013 un durcissement et une augmentation de la taxe sur les logements vacants. Désormais, toutes les villes de plus de 50 000 habitants (contre 200 000 auparavant) seront concernées. Le taux de la taxe, basé sur la valeur foncière du bien, sera de 12,5 % la première année et de 25 % la deuxième, contre 10 % et 12,5 % précédemment.
Pour rendre les procédures de réquisition "plus efficaces et en faciliter la mise en œuvre", Mme Duflot a également intégré dans sa loi sur "la mobilisation du foncier en faveur du logement" deux dispositions pour encadrer plus strictement les obligations des propriétaires et réduire à douze mois, contre dix-huit actuellement, le délai au terme duquel un logement est déclaré vacant.
Censuré une première fois par le Conseil constitutionnel le 24 octobre, le projet de loi a été revoté par le Parlement en décembre et attend aujourd'hui d'être promulgué par le président de la République pour entrer en vigueur.
Lire le compte rendu du chat avec Julien Damon, auteur de La Question SDF : Aide aux sans-abri : L'Etat ferait mieux de réquisitionner ses propres bâtiments
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