Un lobbying d’enfer qui, même si le gouvernement s’en défend, a conduit Bercy à vider littéralement de sa substance le contenu de son projet de loi - comme Marianne l’a d’ailleurs raconté depuis plusieurs semaines.
Auditionnés mercredi 30 janvier par la commission des finances de l’Assemblée nationale, les patrons des plus grands établissements bancaires (Société Générale, BNP-Paribas, Crédit Agricole…) ont d’ailleurs joué un sketch qui prêterait volontiers à rire s’il n’était pas aussi indécent.
Jean-Louis Chifflet, le président de la Fédération bancaire française (FBF), est arrivé devant les parlementaires en leur disant : « Nous ne sommes pas venus vous parler de mariage, mais de séparation » ! Comme le faisait dire Michel Audiard à l’un des personnages du film de Georges Lautner, « Ne nous fâchons pas » : « Je ne critique pas le côté farce, mais question fair play, il y aurait quand même un peu à redire ! »
Au nom de ses adhérents, il a solennellement demandé au gouvernement et à sa majorité de repousser la réforme bancaire à… 2017. Motif : les banques affronteraient une crise sans précédent qui rendrait inopportune une telle réforme. Quelle blague !
D’ici quelques semaines, les grandes banques françaises – comme l’ont fait les banques américaines la semaine dernière - vont annoncer des profits 2012 absolument colossaux. Sans doute, plusieurs dizaines de milliards d’euros de bénéfices cumulés dont l’essentiel sera redistribué sous forme de dividendes aux actionnaires. La crise ? Quelle crise ?
Mais surtout, cette « crise sans précédent », tous les Français, jeunes ou vieux, salariés du public ou du privé, au travail ou sans emploi, la subissent au quotidien. Chômage de masse, fermetures d’usines, baisse du pouvoir d’achat, augmentation des impôts et des taxes…
Or, que l’on sache, pas un de ces banquiers n’a suggéré que l’on repousse à 2017 les mesures d’austérité décidées par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et destinées à réduire les déficits publics himalayens accumulés depuis 30 ans ! Au contraire, ils réclament avec insistance une baisse drastique des dépenses publiques pour satisfaire les marchés financiers et leur bras armé, les agences de notation…
Mais le clou du spectacle offert par nos amis banquiers à l’Assemblée restait à venir. Après avoir pieusement écouté leurs habituels pleurnichages, les députés les ont passés – gentiment – à la question. C’est le moment choisi par Karine Berger, députée PS des Hautes-Alpes et rapporteuse du projet de loi, pour mettre les pieds dans les plats : « je suis un peu étonnée, leur dit-elle, j’ai l’impression que vous n’êtes pas spécialement gênés par cette loi ».
Elle leur demande alors de chiffrer précisément la part de leurs activités spéculatives qui serait touchée de plein fouet par cette fameuse réforme bancaire promise par le candidat François Hollande lors de sa campagne présidentielle. Question piège. Sujet tabou.
Les banquiers piquent alors du nez dans leurs dossiers ; le président de la FBF reste muet – il a refusé jusqu’ici de communiquer ces chiffres à la représentation parlementaire. Mais Karine Berger, visiblement agacée, insiste. C’est alors que Frédéric Oudéa, le Pdg de la Société Générale, plus décomplexé sans doute que ses collègues, lâche l’aveu qui tue : « Cela représente entre 3 et 5% de nos activités de BFI (banque de financement et d’investissement, NDLA), qui représentent elles-mêmes 15% des revenus totaux de la banque ».
Autrement dit, 0,75% des revenus annuels de sa banque (5% de 15%). C’est-à-dire rien. Karine Berger pousse alors les feux : « alors cela veut dire que 99% de vos activités ne seront pas concernés par la loi ? » Réponse embarrassée de Frédéric Oudéa: « Ce sera au superviseur d’en décider, moi je n’en sais rien ».
Voilà l’aveu : la loi bancaire préparée par Bercy aura l’effet du mercurochrome sur une jambe de bois. Elle impactera moins de 1% de l’activité bancaire. Une goutte d’eau dans l’océan des profits bancaires.
Chute du sketch qui ne nous fait pas rire, mais alors pas du tout : pourquoi, dès lors, les banquiers jugeraient-ils urgent de repousser cette réforme si elle a aussi peu d’effet sur leur compte de résultat ? En réalité, les masques viennent de tomber. Depuis mercredi 13h15, la comédie est finie : la finance n’est plus « l’ennemie » !
Publication: 31/01/2013 12:29 CET