Libération - 21 février 2013 à 18:58
Dans une agence Pôle emploi de Nice, en août 2012. (Photo Eric Gaillard / Reuters)
Au rapport Le médiateur du service public a publié ce jeudi un rapport sur les 41000 radiations mensuelles et formule des recommandations pour rendre le système plus juste.
Par MARIE PIQUEMAL
Radié du Pôle emploi ? Rien de plus facile. Tous ceux qui sont passés par la case chômage le savent bien. Il suffit de louper un coup de fil avec son conseiller, qu’un mail atterrisse dans les spams ou qu’un courrier se perde dans les méandres de La Poste, pour se voir couper les indemnités du jour au lendemain.
Le médiateur du Pôle emploi vient de rendre un rapport sur la gestion des listes des demandeurs d’emploi (en intégralité ci-dessous). En 2012, chaque mois 41 000 personnes, en moyenne, ont été radiées des listes dont 90% pour absence à une convocation. «Radier un chômeur est une décision grave, écrit en préambule le médiateur, Jean-Louis Walter. Factures et loyers impayés, problèmes bancaires, manger aujourd’hui, soigner les enfants demain — une épreuve que même un salarié socialement inséré ne saurait surmonter sans dommages.» La semaine dernière, deux drames à quelques jours d’intervalle sont venus rappeler l’urgence à agir. Deux chômeurs en fin de droit se sont immolés par le feu devant des agences du Pôle emploi à Nantes et Saint-Ouen. L’un est mort, l’autre a été sauvé.
Nourri d’exemples concrets, le rapport du médiateur pointe les anomalies du système et formule une série de recommandations.
Rendez-vous manqué = radiation
«J’ai raté l’appel, j’étais sous la douche. J’ai voulu rappeler mais le numéro était masqué. Quelques jours plus tard, j’ai reçu une lettre du Pôle emploi me disant que j’étais radié.» Des courriers comme celui là, le médiateur en reçoit en pagaille. Au 1er semestre 2012, 93% des réclamations reçues concernent des radiations. En majorité, elles sont motivées par une absence à un entretien (téléphonique ou à l’agence), considéré comme un refus de remplir les obligations qui conditionnent l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi1.
Si le médiateur répète qu’«il n’existe aucune politique délibérée de Pôle emploi en la matière», il recommande toutefois de mettre fin à la radiation systématique en cas d’absence à une convocation. «L’absence à un entretien ne constitue pas nécessairement un refus, au sens de la loi, de répondre à ses obligations et il n’est pas non plus le manquement le plus grave», écrit-il.
Jean-Louis Walter préconise l’instauration «d’un dispositif de graduation ou de sursis pour le premier manquement.» D’autant que nombre de demandeurs se plaignent de ne même pas avoir été informé de l’heure et la date du rendez-vous. Coups de fil manqués, courriers jamais reçus.... «Souvent, écrit le médiateur, les personnes n’habitent pas ou plus à l’adresse qu’elles ont indiquée, soit qu’elles n’en n’aient plus les moyens, qu’elles soient retournées chez leurs parents, voire qu’elles sont à l’étranger. Nombreux sont ceux qui veulent afficher une adresse à Paris, estimant que cela facilitera leur recrutement. Mais il suffit que le courrier ne suive pas comme prévu et c’est la radiation.» Avec des conséquences évidemment lourdes. Une radiation, c’est deux mois sans indemnité, le plus souvent. Pire, jusqu’au 31 décembre dernier, la radiation avait un effet rétroactif et du coup, les chômeurs se retrouvaient non seulement sans revenus mais avec des sommes indues à rembourser.
Concernant le téléphone, le médiateur recommande d’interdire les radiations pour absence à un rendez-vous téléphonique. Et de déclencher automatiquement dans ces cas là un entretien physique.
L’appréciation des «excuses légitimes», variable d’un conseiller à l’autre
Accident de la route? Mauvais temps? Problèmes de garde d’enfants? Quels motifs d’absence sont considérés comme recevables par Pôle emploi? Il existe bien une «base de connaissance» sur laquelle sont censés s'appuyer les conseillers Pôle emploi. Mais en pratique, comme le montre l’enquête interne menée par les services du médiateur, «les deux tiers des directeurs d’agence font une interprétation souple de la légitimité des motifs, en fonction de la situation spécifique de chaque demandeur d’emploi.» D’une région à l’autre, d’une agence à l’autre même, le traitement est différent. Certains directeurs de Pôle emploi sont plus sévères que d’autres. Ainsi, 17% d'entre eux affirment procéder à des radiations en cas de retard à un entretien.
Sur cette question des motifs légitimes, le médiateur reste plutôt prudent. «La définition de la légitimité d’une absence est un exercice délicat, qui relève davantage du bon sens et de l’opportunité que de la codification pure», se borne-t-il à dire. Sa proposition : «Plutôt qu’un catalogue de situations déjà qualifiées, ne vaudrait-il pas mieux lister des critères d’appréciation, plus universels et plus applicables à tous les cas de figures ?»
Courrier dématérialisé... les limites du mail
Toute dernière page du rapport, cette reproduction d’un mail envoyé par la directrice d’un Pole emploi:
Hormis ce problème récurrent du mail qui arrive dans les spams, le médiateur pointe une autre défaillance, d’information cette fois. Lors du premier entretien d’inscription, le demandeur d’emploi se voit proposer la dématérialisation de ses courriers pour «simplifier vos échanges avec Pôle emploi». Sauf que, subtilité souvent ignorée, un clic suffit à supprimer purement et simplement tous les courriers postaux... Le mail devient alors la seule source d’information. Dans ces conditions, le médiateur recommande «d’encadrer les conditions dans lesquelles les courriels produisent des contraintes pour les demandeurs d’emploi.»
1 Les radiations pour insuffisance de recherche d’emploi ou pour refus d’offre raisonnable d’emploi sont rares.