François Hollande et Jérôme Cahuzac, à l’Elysée, le 21 novembre 2012 (CHESNOT/SIPA)
L’argent, le pouvoir, la justice, la presse. Les ingrédients d’une série américaine ? Non, le quotidien de la France. En trois semaines, on a vu le pire des scénarios – comme dans un film accéléré – de ce qu’a produit la Ve République.
Deux semaines après que le Parti socialiste a mis sa fédération des Bouches-du-Rhône sous tutelle, suite à la mise en examen de deux de ses élus, dont le premier secrétaire de ladite fédération, président du conseil général et sénateur, Jean-Noël Guérini, placé en garde à vue pour trafic d’influence.
Le même jour, Jérôme Cahuzac, l’ex-ministre du Budget, pilier du système Hollande, mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment d’argent, avoue un mensonge d’Etat. Les « yeux dans les yeux » devant le président de la République, le Premier ministre, la représentation nationale, il a menti sans vergogne, s’enfonçant selon ses propres dires dans « une spirale du mensonge ».
Une République en décomposition
Ce rebondissement en forme de tragédie politique, survient après le coup de tonnerre de la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse » sur une personne âgée ne possédant plus tous ses moyens, mais à la tête d’une fortune colossale : madame Bettencourt…
Tout cela, malheureusement, en dit long sur les mœurs de la classe politique d’une République en décomposition. La réaction à cette cascade de scandales est symptomatique de cet état d’esprit.
Le syndrome du « je te tiens, tu me tiens… » a fonctionné, dans un premier temps, avec une intensité jamais égalée. L’UMP et le PS ont tenté de stigmatiser Mediapart, puis la droite s’est voulue discrète sur le cas Cahuzac, invitant la gauche, sous le couvert de sourdes menaces, à faire de même sur le cas Sarkozy.
Nous avons ensuite assisté à un festival indécent, notamment de la part des grognards du sarkozysme, tels les Hortefeux, Guéant, Balkany, Morano, Estrosi, Guaino, à des attaques personnelles contre le juge d’instruction et des remises en cause répétées de la justice qui n’a pourtant que fait son travail.
La faute de François Hollande
Maintenant, dans l’affaire Cahuzac, les hiérarques du PS se défaussent sur le « méchant », le « menteur », le Dalton de série B qui, la veille, était encore glorifié pour sa capacité à combattre le déficit public sans voir ce qui reliait sa politique à ses intérêts propres. Ils ne savaient rien. Ils ont été trompés.
Mais qui peut croire à ce boniment ? Jérôme Cahuzac n’était pas n’importe qui. Il était connu comme propriétaire d’une clinique, actionnaire d’un cabinet de conseil dépendant des laboratoires pharmaceutiques, menait un grand train de vie…
C’est pourtant lui qui a été choisi par François Hollande pour mener une politique d’austérité imposée aux Français au nom de la justice sociale.
Que le Président ait su ou non la vérité, confier à cet homme-là une fonction aussi exposée, est une faute politique, comme l’avait été son élection à la présidence de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, sous Sarkozy, qui en savait tout autant sur le personnage.
Des sacrifices, mais pour les gens de peu
Mais pourquoi cette faute a-t-elle était commise ? Cahuzac était connu pour sa « compétence » budgétaire, une compétence qu’il mettait au service d’une pensée et d’une politique uniques, celles qui s’appliquent durement aux pauvres en Grèce, à Chypre, en Espagne, au Portugal, en Italie et, maintenant, en France.
Comme je l’ai répété ici à plusieurs reprises : à l’époque de la mondialisation, la sociale-démocratie se réduit au social-libéralisme. Ceux qui incarnent et appliquent avec le plus de vigueur cette politique ultralibérale sont convaincus de ses bienfaits, car ils en sont les porteurs et parfois les bénéficiaires. Ils veulent du « sang et des larmes », mais pour les autres, les gens de peu. Ils réclament des sacrifices, mais ne suppriment pas les niches fiscales qui profitent à leurs pairs.
Sarkozy réunissait les membres du CAC 40 au Fouquet’s et Woerth organisait la collecte de fonds pour ses campagnes. Strauss-Kahn vivait dans le luxe, déconnecté du réel. Cahuzac, ce père-la-rigueur pour les classes populaires, connaissait de l’intérieur les paradis fiscaux, de la Suisse à Singapour.
Maintenir les privilèges
Toute une oligarchie politico-financière s’est constituée, avec :
- ses avocats d’affaires qui font les lois,
- ses lobbyistes qui envahissent les couloirs de nos parlements,
- ses publicitaires pour qui « on a raté sa vie quand on a pas une Rolex à 50 ans »,
- ses commentateurs attitrés qui s’attaquent d’abord à leurs confrères et absolvent les tenants d’une politique qu’ils partagent,
- ses fonctionnaires formés aux frais de l’Etat dans les grandes écoles, qui pantouflent dans les banques et les multinationales,
- ses banquiers, ses traders et ses patrons de multinationales qui crient comme des oies qu’on égorge dès qu’on leur demande de payer des impôts.
Hervé Kempf l’a dit mieux que je pourrais l’exprimer : si nous voulons répondre aux défis du XXIe siècle, il faut revenir en démocratie. Cela suppose de reconnaître l’oligarchie pour ce qu’elle est, un régime qui vise à maintenir les privilèges des riches au mépris des urgences sociales et écologiques.
Depuis que la démocratie a remplacé la monarchie de droit divin, il y a toujours eu des « affaires ». Mais jusqu’au début des années 80, jusqu’à la mondialisation financière, le politique avait un pouvoir de régulation. Sa capacité à modeler l’avenir national compensait sa faiblesse. Les responsables politiques représentaient les citoyens ; ils étaient l’expression des différentes classes sociales.
Une hyperclasse, hors-sol
Ce qui est en train de disparaître sous les coups de la crise, c’est leur utilité. Ils se servent sans servir, constituent une oligarchie au-dessus des citoyens, une hyperclasse, hors-sol, qui vit dans l’entre-soi, déconnectée des préoccupations de 99% de la population.
Ces gens-là ont la bonne conscience pour eux et le mépris pour les autres. Ils s’enrichissent à partir de la détention de connaissances et d’informations qu’ils détiennent grâce à la connivence entre le public et le privé, la politique et les médias. Le délit d’initiés est leur pain quotidien. Leur seule morale c’est celle du capital, leur seule vertu celle de l’argent fou, leur seule politique celle du marché.
Toutes ces affaires alimentent la montée du populisme et le vote Front national. La seule qui profite des turpitudes à répétition de nos dirigeants, c’est Marine Le Pen, la fille d’un milliardaire raciste et xénophobe qui, rappelons-le, doit sa fortune à un vieillard qui régnait jadis sur des cimenteries.
Oui, il y a vraiment quelque chose de pourri dans le royaume de France quand, successivement, deux ministres du Budget qui devraient être irréprochables sont mis en examen, quand deux anciens présidents de la République sont logés à la même enseigne.
Un référendum !
Après l’épisode Cahuzac, François Hollande pourrait faire un geste qui ne lui coûterait rien : mettre en place les bases d’une refondation de la Ve République – non comme il s’apprête à le faire de manière cosmétique pour ne pas troubler les notables d’un Congrès où il n’a pas de majorité pour changer la Constitution – pour que le peuple s’exprime.
Je sais bien que lors des référendums, les électeurs répondent souvent à d’autres questions que celles qui leur sont posées, mais nous sommes face à une telle crise morale et politique que cette fois-ci, l’affaire serait jouable.
Qui prendrait à droite la décision de dire non à des mesures telles que :
- le non cumul des mandats,
- la refonte du statut pénal du chef de l’Etat,
- la lutte contre les conflits d’intérêts,
- la transformation du Conseil constitutionnel en une véritable Cour constitutionnelle indépendante,
- l’instauration de la proportionnelle aux élections législatives
- et, pourquoi pas, l’instauration du droit de vote pour les étrangers non communautaires ?
Soit la gauche continue à agiter ces questions comme un chiffon rouge et ne va pas au combat et elle perd à la fois son capital électoral et son honneur, soit elle se décide enfin à tenir ses promesses de campagne et se donne les moyens de gagner politiquement contre le populisme.
Buisson, idéologue de toute l’oligarchie
François Hollande en s’exprimant jeudi dernier sur France 2 n’a rien dit. Ou plutôt si, il a confirmé qu’il menait une politique économique qui nous mène droit dans le mur. La seule annonce, c’est une nouvelle loi de stigmatisation des musulmans. Comme si Patrick Buisson était devenu l’idéologue de toute l’oligarchie de droite et de gauche.
L’affaire Cahuzac, véritable séisme politique, permet paradoxalement de reprendre l’initiative, de montrer la différence entre l’oligarchie et la démocratie. Si la gauche ne veut pas s’enfoncer dans la crise politique, morale, sociale, elle doit donner des signes clairs sur la direction à suivre.
Face à la crise morale et politique due à la guerre d’Algérie, de Gaulle avait créé la Ve République sur les décombres de la IVe. François Hollande trouvera-t-il en lui même la détermination d’aller vers une VIe République ! Le courage, c’est maintenant !