Médiapart
17 avril 2013 |
Par Ludovic Lamant
Des ministres de premier rang avaient déjà plaidé, en début d'année, pour un assouplissement. Mais l'annonce du Néerlandais Mark Rutte, samedi, en a tout de même surpris plus d'un : ce conservateur a choisi d'adoucir la potion d'austérité qu'il administre au pays. L'exécutif a fait une croix sur cinq milliards d'euros d'économies, sous la pression des partenaires sociaux. Les Pays-Bas, pourtant un fidèle allié de l'austère Allemagne, renoncent ainsi aux objectifs de réduction du déficit qu'ils s'étaient engagés à tenir auprès de Bruxelles, pour l'an prochain.
Paris va-t-il s'inspirer de la manœuvre, et s'affranchir en partie des carcans budgétaires ? Le gouvernement français doit présenter, ce mercredi en conseil des ministres, un « programme de stabilité » des finances du pays, pour donner des gages de sérieux budgétaire à la commission européenne. La France espère obtenir, en mai, un délai d'un an pour ramener son déficit sous la barre des 3 %. Le scénario semble acquis, même si l'exécutif européen pourrait imposer en échange quelques conditions douloureuses – en particulier en matière de réformes structurelles.
Mark Rutte au Parlement, lors de la crise politique d'avril 2012. ©Reuters.
Le recul néerlandais a valeur d'avertissement. Mais si l'annonce a surpris, c'est surtout qu'elle intervient à un moment particulier. À Bruxelles, tout se passe comme si la proximité des élections générales en Allemagne, en septembre, où la chancelière Angela Merkel se présente pour un nouveau mandat, empêchait toute remise en cause du « tout austérité » d'ici là. À l'approche du vote, il est peu probable que les positions des uns et des autres évoluent sur un sujet aussi sensible.
Mediapart l'avait déjà décrit dans la foulée des élections italiennes de février : le noyau dur de la commission européenne refuse tout changement de cap en matière de rigueur budgétaire. La publication, début avril, d'un rapport rédigé par les services du commissaire européen Olli Rehn, sur les « déséquilibres macroéconomiques » au sein de la zone euro, l'a confirmé : le Finlandais ne compte rien lâcher sur ce front, malgré les mises en garde toujours plus inquiètes du Fonds monétaire international, de Washington, ou encore d'économistes réputés.
Sur le terrain, la surenchère d'austérité s'avère pourtant contre-productive. La brutalité des mesures provoque une chute de la demande, comme de la croissance. Si bien que le chômage explose – le cap des 20 millions de chômeurs est sur le point d'être franchi au sein de la zone euro. Quant au déficit et à la dette des États mis au régime, rapportés à leur PIB, ils ont à peine diminué, puisque le PIB en question a lui aussi fondu sur la période. « Malgré les 100 milliards d'euros de dettes annulés l'an dernier, la dette grecque pèse toujours 175 % du PIB grec contre 107 % en 2007 », rappelle le journaliste Guillaume Duval d'Alternatives économiques.
Les appels pour marquer une pause dans la réduction du déficit, en France comme ailleurs, se multiplient. Lors d'une tournée européenne début avril, le secrétaire américain au trésor, Jacob Lew, a plaidé en ce sens. Il a rappelé qu'aux États-Unis, une relance publique, associée à un relâchement de la politique monétaire, avait permis au pays de retrouver le chemin de la croissance. De son côté, la commission anticipe, pour 2013, une récession (–0,3 %) pour l'ensemble de la zone euro...
Austérité et corruption, cocktail explosif
L'entêtement bruxellois laisse d'autant plus songeur que l'austérité, surtout dans le sud de l'Europe (lire notre série en cours sur ces pays), alimente de violentes crises politiques. Dans cette région, le cocktail de mesures d'austérité musclées et d'entrée en fin de cycle de partis politiques corrompus provoque des effets dévastateurs. Dans ce contexte, l'Union peut-elle se payer le luxe d'attendre encore cinq mois, et la fin des législatives allemandes, pour envisager de mettre un frein à cette rigueur contre-productive ?
L'Américain pro-relance Jacob Lew et Herman Van Rompuy, président du conseil européen, le 8 avril. © Conseil européen
L'inventaire des convulsions qui secouent l'Europe du Sud donne en tout cas du crédit aux noirs présages d'un Paul Krugman s'inquiétant d'une Europe qui « s'auto-détruit ». En Italie, le succès dans les urnes, fin février, du Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, farouche adversaire des politiques d'austérité et des vieux partis traditionnels, a plongé le pays dans une crise politique qui tarde à se dénouer. Sept semaines après le vote, la majorité est toujours introuvable au sénat.
Grillo refuse toute alliance avec le social-démocrate Pier Luigi Bersani, lequel exclut toute coalition avec son ennemi de toujours, Silvio Berlusconi. Le parti démocrate de Bersani semble miser sur des défections de certains élus du « M5S » de Grillo – en vain, pour le moment. Ces négociations se doublent de tractations pour remplacer l'actuel président, Giorgio Napolitano, dont le mandat arrive à terme le 15 mai. Là encore, c'est la foire d'empoigne. Dans cette confusion, les observateurs guettent, inquiets, les réactions des marchés financiers.
L'Espagne est un autre maillon faible. Les tensions sociales ne cessent de s'intensifier, sur fond de scandales de corruption à répétition. En fin de semaine dernière, des victimes piégées par leurs crédits hypothécaires se sont invitées au parlement, à Madrid, pour insulter les députés, aux cris de « corrompus et voleurs ». L'épisode est révélateur d'un climat délétère, qui n'est pas sans rappeler, sur un mode mineur, l'hostilité des Grecs envers leur classe politique depuis le début de la crise.
Le parti populaire au pouvoir est éclaboussé par un vaste scandale de financement occulte, dans lequel l'actuel premier ministre, Mariano Rajoy, est impliqué. En parallèle se déroule l'enquête sur le dossier « Noos », une affaire de détournement de fonds publics à laquelle est mêlée une partie de la famille royale. De leur côté, les socialistes, discrédités auprès de leur électorat traditionnel pour s'être convertis à l'austérité lorsqu'ils étaient au pouvoir, peinent à incarner une alternative.
En Grèce, où les mesures d'austérité sont les plus vives, la situation est plus inquiétante encore. Aube dorée, formation d'extrême droite au discours raciste, homophobe et antisémite, a obtenu près de 7 % aux législatives de juin 2012, remportant 18 sièges au sein de l'Assemblée. Les sondages prédisent aujourd'hui un score encore plus élevé à ce parti, que le Conseil de l'Europe, dans un rapport publié mardi, propose d'interdire.
Ailleurs, la poussée de partis eurosceptiques comme les indépendantistes de UKIP en Grande-Bretagne, ou les Vrais Finlandais en Scandinavie, accélère la reconfiguration du paysage politique. La gauche de la gauche, critique de l'Union dans sa forme actuelle, gagne du poids en Grèce (Syriza), aux Pays-Bas (parti socialiste), en Irlande (United Left Alliance) ou encore en Espagne (Izquierda Unida).
Merkel ne veut pas d'une relance par l'Allemagne
Si l'on ajoute, sur des registres différents, le surgissement de partis comme le Mouvement cinq étoiles en Italie ou , l'hypothèse d'un parlement européen ingouvernable, avec une majorité de partis contestataires, après les élections de mai 2014, n'est plus tout à fait exclue. Dans ce contexte, attendre l'automne prochain pour amorcer un changement de politique semble un pari risqué, de la part des exécutifs européens.
François Hollande, qui prétend, depuis l'été 2012, avoir engagé une « réorientation » de l'Europe, vers davantage de croissance, osera-t-il reprendre l'initiative sur ce dossier, pour tenter de faire bouger Angela Merkel ? À court terme, l'affaire semble exclue. Mais l'entourage du président a discrètement changé de discours sur la relance de l'Europe.
Jusqu'à présent, le « pacte de croissance » négocié au conseil européen de juin 2012 était présenté comme l'alpha et l'oméga de sa politique européenne. Mais ses effets, qui tardent à se concrétiser, ont déçu. À présent, il ne s'agit plus que d'une « étape », qui en annonce d'autres. « Maintenant il faut aller plus loin », a reconnu Jean-Marc Ayrault mercredi sur France Inter. Le président devrait donc à nouveau monter au créneau, en amont de la campagne pour les élections européennes, sur le dossier. Sauf changement de dernière minute, cela ne se passera qu'une fois tournée la page du scrutin allemand.
En attendant, la commission continuera à faire ce qu'elle a déjà commencé à entreprendre, pour apaiser les uns et les autres. Lâcher du lest au cas par cas, en allongeant la durée de remboursement de la dette. La Grèce, le Portugal ou l'Espagne en ont déjà profité. La France pourrait en bénéficier cette fois-ci.
Autre piste, plus ambitieuse : compléter les efforts budgétaires des pays du Sud, par une politique de relance des pays au Nord. L'Allemagne, première économie de la zone euro, pourrait ainsi soutenir, indirectement, l'ensemble de la zone euro, grâce à un mécanisme vertueux. C'est le message adressé à Berlin par le secrétaire au trésor américain Jacob Lew, et que le commissaire Olli Rehn lui même n'avait pas exclu, lors d'un récent discours à Londres.
Sans surprise, le gouvernement allemand leur a opposé une fin de non-recevoir. « Personne en Europe ne voit de contradiction entre consolidation budgétaire et croissance », a répété le ministre des finances Wolfgang Schaüble. L'Allemagne n'a « pas la force » de s'engager dans un nouveau plan de relance, a renchéri lundi la chancelière en campagne. De son côté, le candidat social-démocrate du SPD s'est dit ouvert à un « rééquilibrage économique entre l'Allemagne et ses partenaires », mais Peer Steinbrück est très à la traîne dans les sondages.