Brusquement, la fièvre semble avoir gagné la Chine. Depuis une semaine, les signes se multiplient d’une grande tension dans le système bancaire chinois. Le système interbancaire s’est totalement gelé ces derniers jours. Les banques chinoises refusent de se prêter entre elles, au point que le taux interbancaire (overnight Repo) a explosé, atteignant le record de 25 % jeudi. Les rumeurs de faillite bancaire circulent. La Bank of China a dû démentir son effondrement. Un credit crunch se profile, menaçant toute l'économie chinoise. « Les investisseurs ont de plus en plus de mal à refinancer leurs dettes à court terme », avertit l'agence de notation Fitch dont la note est reprise par le Telegraph.
Obnubilés par la perspective de se voir privés de leur dose de liquidités quotidiennes – 4 milliards de dollars ! – dispensées par la Réserve fédérale, la plupart des investisseurs et observateurs ont à peine pris note des tensions chinoises. Les analystes plus attentifs, eux s’inquiètent. Car, pour eux, ce scénario a un air de déjà vu : « nous sommes pas loin d’un moment Lehman », remarque le site Zerohedge en soulignant la ressemblance entre ce qui se passe actuellement à Pékin et la panique à la veille de l’effondrement de la banque Lehman, en septembre 2008.
Depuis plusieurs mois, les signes d’essoufflement et de tension se multiplient sur l’économie chinoise. Les autorités chinoises ont beau publier des chiffres de croissance à faire pâlir de jalousie tous les autres pays dans le monde – + 7,7% de croissance au premier trimestre –, personne n’y croit vraiment. Car en dépit des efforts du gouvernement chinois pour rééquilibrer son économie et soutenir une demande intérieure, le modèle chinois reste largement mercantiliste, reposant sur les exportations. Aujourd’hui, la Chine subit les conséquences de l’austérité et la récession généralisées en Europe, l'un de ses principaux marchés. Depuis un an, ses exportations stagnent ou baissent. Et tout l’appareil productif en accuse le contrecoup, comme semblent le prouver d’autres indicateurs, considérés comme plus fiables.
Ainsi, la consommation d’électricité en Chine accuse une chute de plus de 15 % en un an. Sauf à considérer que les entreprises chinoises ont réalisé des économies d’énergie stupéfiantes en quelques mois, ce chiffre n’est pas de très bon augure. De même, la demande chinoise en matière première est en sensible baisse, entraînant une chute des cours mondiaux du cuivre, du nickel, de l’acier. La production industrielle, après s’être un peu reprise au début de l’année, est à nouveau en baisse, comme le note le Wall Street journal.
Mais la plus grande inquiétude vient de la bulle immobilière qui s’est constituée en Chine ces dernières années. Pour éviter la crise, le gouvernement chinois a décidé en 2009 d'injecter l'équivalent de 12 % de son PIB dans l'économie. Le crédit depuis l'effondrement de Lehman est passé de 9 000 à 23 000 milliards de dollars. Mais l'essentiel de cet argent s'est concentré sur l'immobilier, secteur déjà en surchauffe, assorti d'énormes dettes sur les autorités locales.
Une spéculation effrénée s’est déchaînée dans ce secteur. Profitant d’une politique monétaire très laxiste, les banques ont prêté et investi à tout va dans des projets de plus en plus pharaoniques. Des villes entières ont surgi de nulle part, comme le racontait Jordan Pouille dans son reportage sur Tianfu New City (voir Chine : le rêve (ou le cauchemar) prend forme).
Un système bancaire de l'ombre
Mais il n’y a pas qu’à Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, que des immeubles entiers sont vides. Dans tout le pays des villes nouvelles entières sont sans habitant. (voir le reportage de CBS)
Aujourd’hui, l’explosion de la bulle immobilière menace l’ensemble du système financier et les autorités locales. En quelques années, le ratio de dette du pays est passé de 75 % à 200 %, selon Fitch. De plus, les banques ont dans leur bilan des montagnes de créances consenties aux entreprises et à l’économie, qui ont massivement investi au point de créer des surcapacités. Le système du crédit semble désormais au bord de l'épuisement.
Depuis deux ans, la sonnette d’alarme a été tirée sur les pratiques des banques accusées de soutenir un surinvestissement massif dans tous les secteurs. La Banque centrale de Chine a, à plusieurs reprises, tenté de ralentir la surchauffe en restreignant sa politique monétaire et en augmentant ses taux. Mais rien n’y a fait.
D’autant que s’est développé à côté des banques officielles, un système financier de l’ombre, aux mains des potentats locaux et de particuliers. Des fonds de placements, des trusts, des sociétés opaques se sont créées, ont emprunté aux banques et ont joué les investisseurs. Pour asseoir leur pouvoir, soutenir les projets locaux, et surtout gagner de l’argent – car les taux réclamés sur les prêts sont parfois usuraires – ils ont déversé des milliards dans les régions et financé des projets sans fondement.
Aujourd’hui, même les autorités chinoises ne savent pas évaluer l’état de santé du système bancaire officiel et parallèle. Certains évoquent des centaines de milliards de dollars de créances pourries. Le résultat en tout cas est là : les banques ne font plus confiance et refusent de se prêter entre elles. Et les bruits de faillite résonnent de toutes parts.
Dans cette situation déjà tendue à l’extrême, la grande préoccupation d’une partie des financiers occidentaux est la réponse du gouvernement chinois. Car la Banque centrale chinoise n’a pas répondu à leurs attentes : elle a refusé d’assouplir sa politique monétaire et d’injecter plus de liquidités dans le système bancaire, ou d’abaisser ses taux directeurs, comme l’a fait la Réserve fédérale à chaque moment dangereux.
Cette résistance, inhabituelle pour un monde financier, est inspirée par la politique, s’inquiète le Financial Times. « Au lieu de cela, la banque populaire de Chine a recommandé une complète mise en œuvre de la campagne de « nouvelle ligne d’éducation des masses » lancée cette semaine par le président Xi Jinping – une campagne qui par son style de propagande et dans son envergure potentielle évoque l’ère maoïste », écrit le quotidien. « Les cadres du parti communiste qui dirigent la banque centrale sont censés s’attaquer aux quatre vents du formalisme, de la bureaucratie, de l’hédonisme et de l’extravagance, comme l’a demandé M. Xi », poursuit-il.
Conscient de la colère croissante des Chinois face aux inégalités et à la corruption (voir les articles de Mediapart ici ou là), le nouveau gouvernement chinois a décidé de passer à la vitesse supérieure dans la lutte contre la corruption. Mais cette reprise en main au moment où l’économie chinoise vacille, où le système financier se grippe, fait peur au monde financier. Brusquement, celui-ci, qui ne jurait que par le miracle chinois, réalise que Pékin est toujours, si ce n’est communiste, au moins un régime autoritaire, faisant passer ses intérêts politiques avant tout.