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26 août 2013 1 26 /08 /août /2013 18:19

 

 

Médiapart - Blog

Que retenir de l'université d'été du Parti socialiste à La Rochelle ? Comme d'habitude, les médias ont fait leur miel des petites phrases retransmises en boucle et des rivalités personnelles. Business as usual. Et puis, j'ai visionné le discours de Christiane Taubira qui m'a sorti de l'état de torpeur qui me gagnait.

Dans cet été de grisaille pour la gauche française, la garde des sceaux a redonné une lueur d'espoir. Une ministre portant haut et fort - et qui plus est de manière sincère - les idéaux de la gauche : voici un mini-événement qu'il convient de relever. C'est surtout dans la manière de gérer et de remporter (provisoirement) la passe d'armes avec Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur, que je l'ai trouvée impressionnante.

 

Un orateur hors-sujet

Dans une séance plénière consacrée à la démocratie, la voix de Manuel Valls monte trop vite et surchauffe. Le timbre de la voix est éraillé, il ne parle pas avec emphase, il crie et gesticule ; un registre dont il ne se départira pas pendant son intervention d'une vingtaine de minutes. Il lit un discours préparé ; des propos très généraux sur les dangers de l'extrême droite et la nécessité de la combattre. Que nous communique-t-il vraiment ? Deux choses : d'une part, le gouvernement en place est bien de gauche. D'autre part, il est bien un socialiste. Il est hors-sujet. Ces deux informations capitales sont énoncées en s'époumonant ; le regard circulaire et sévère ne croise que rarement celui de son auditoire.

 

Une oratrice chaleureuse et efficace

Christiane Taubira prend la parole dans une séance plénière portant sur la justice. Elle commence par remercier les organisateurs, les dirigeants du parti présents, sans oublier de saluer les militants venus l'écouter. ("C'est un vrai bonheur de venir présenter le projet de réforme pénale aux militants, un vrai privilège") La garde des sceaux parle calmement, sans l'aide de notes. Elle s'exprime de manière précise et argumentée. Davantage, elle énonce les différents points de son discours en regardant son auditoire dans les yeux. Taubira a manifestement de l'humour et une bonne dose d'auto-dérision (deux qualités essentielles pour quiconque pratique la politique de manière professionnelle ; qualités dont semble dépourvu Manuel Valls). Elle fait rire la salle à plusieurs reprises et s'adresse à l'auditoire de manière chaleureuse. Christiane Taubira suscite un mouvement de sympathie spontané en sa faveur. Ce n'est pas tout : il n'est point de bavardage creux dans son allocution, mais plus de vingt minutes d'un exposé pédagogique sur le projet de réforme pénale dont elle a la responsabilité.

 

Un miracle politique se produit

Et là, un miracle politique se produit à La Rochelle : une ministre d'un gouvernement de gauche parle avec fierté et combativité d'une réforme de gauche ; de mesures justes et bonnes pour tous. Elle constate que le système carcéral est "embouteillé", ce qui est source de "danger pour tous". Le tout-carcéral appliqué par le gouvernement précédent, et prôné aujourd'hui par Manuel Valls, est un facteur aggravant de la récidive qui provoquera de nouvelles victimes. La situation est explosive et le statu quo ne peut prévaloir. Construire de nouvelles prisons est non seulement extrêmement coûteux, mais encore largement inefficace. Taubira fait le pari d'une "prison républicaine", qui refuse la course actuelle à l'incarcération massive des délinquants. Le rôle de cette prison est d'aider à la réintégration dans la société des délinquants qui ont purgé leur peine.

Christiane Taubira récuse une approche sécuritaire qui est inspirée par un profond pessimiste social. Sous couvert de rassurer, le tout-sécuritaire ne fait que susciter davantage de peur dans la population. Elle cite le président Roosevelt (en anglais) : "The only thing we have to fear is fear itself". Elle raille la "fermeté obtuse et incantatoire dans les mots qui est suivie du creux de l'action" des sécuritaires de tout poil. Claude Guéant est bien entendu la cible de ses propos. Je ne suis probablement pas le seul à penser que Manuel Valls l'est aussi.

La ministre décline les grands axes de la réforme, dont l'abrogation de la peine plancher. Les magistrats doivent pouvoir déterminer au cas par cas la nature de la peine, en fonction du délit commis et des circonstances personnelles et sociales dans lesquelles il a été accompli. Elle explique comment la réforme a vu le jour. Celle-ci est le fruit d'un vaste travail collectif de recherche et de débats contradictoires, qui ont réuni le nec plus ultra des spécialistes en matière pénale : spécialistes de droit criminel, psychologues, représentants de la police et des gardiens de prison, magistrats, etc. En organisant des "conférences de consensus" avec les divers protagonistes, elle a tenu à ce que les conclusions de ces travaux puissent faire l'objet d'un véritable consensus au sein des différents corps constitués. Elle affirme que cette réforme est "sérieuse et rigoureuse", remettant une fois encore Manuel Valls à sa place. Ce dernier a été critiqué à de nombreuses reprises par les syndicats de magistrats pour ses déclarations intempestives et démagogiques sur les questions carcérales.

Elle conclut sous les ovations du public : "Je ne cherche pas à séduire, je préfère convaincre" ; "je veux redonner confiance". Elle lance aussi un net avertissement au ministre de l'Intérieur : "Il faut bannir tout discours de stigmatisation ; il ne faut pas provoquer, ni creuser des fractures". En référence à une actualité récente, elle propose de "retisser le lien social, en faisant vivre la laïcité, qui n'est pas un principe d'exclusion, mais qui est un principe de concorde, quelles que soient nos différences, nos origines, nos apparences, notre situation sociale". Quel courage et quelle force !

Taubira est victorieuse par KO d'un Valls qui semble avoir tout donné lors de l'échauffement médiatique et qui, pendant le match, s'est fait sévèrement corriger. Il s'agissait d'une correction administrée avec classe et élégance ; celle que réservent les personnes de conviction qui maîtrisent bien leur sujet.

 

Hollande va devoir trancher entre deux voies

Christiane Taubira termine en citant de mémoire cette très belle phrase de Franz Fanon : "L'important n'est pas ce que l'on a fait de toi, l'important est ce que tu fais de ce que l'on a fait de toi".

La garde des sceaux suggère avec courage que la voie droitière poursuivie jusqu'à présent n'est ni juste, ni inévitable. Elle a dégonflé les rodomontades de Manuel Valls et mis à nu ses artifices, en démontrant qu'on peut être à la fois une ministre défendant des politiques de gauche et compétente.

Chritiane Taubira s'est comportée à La Rochelle comme une ministre scandinave : professionnelle, modeste et au service de ses concitoyens. Contrairement au ministre de l'Intérieur, Taubira ne "met pas en scène une image d'autorité" [1], mais incarne l'autorité. Christiane Taubira est ce que les Britanniques appellent a decent person (une personne honnête). La decency qui caractérise Taubira est malheureusement un fait rare dans le milieu de la politique professionnelle en France.

A l'occasion de l'arbitrage sur la réforme pénale, François Hollande va être amené à choisir entre deux voies radicalement différentes : une voix humaniste et sociologiquement sérieuse et une autre sécuritaire reposant sur des constructions idéologiques fantasmagoriques. Ce sera l'un ou l'autre, car toute tentative de synthèse sera irrémédiablement voué à l'échec.

Christiane Taubira ne pourra réussir sans le soutien de l'ensemble de la gauche.

 

[1] J'emprunte l'expression à Christian Salmon.

Twitter : @PhMarliere

 

 

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26 août 2013 1 26 /08 /août /2013 12:10

 

 

Lliberation.fr

  Ecologie : le temps du passage à l’acte
22 août 2013 à 19:26
Par EVA JOLY Députée européenne

La France doit choisir. Notre pays ne peut différer plus longtemps sa mue écologique. Les enjeux environnementaux, sociaux et économiques liés au changement de modèle qu’appelle la crise écologique demandent une action résolue. Soit notre pays prend un tournant déterminé vers la transition écologique, soit le statu quo marquera l’aggravation des périls environnementaux, la dégradation accélérée des ressources naturelles, l’amplification de la menace climatique.

Pour répondre à l’urgence que nul ne peut aujourd’hui feindre d’ignorer, les politiques publiques ne peuvent se contenter d’être teintées de vert, elles doivent être réorientées. C’est bien sûr la tâche du ministre de l’Ecologie que de conduire cette mutation majeure, et nous souhaitons plein succès au nouveau titulaire du poste. Mais c’est, de fait, une question d’orientation politique pour tout le gouvernement. Cela demande un changement de culture, une volonté politique forte et le courage de poser un diagnostic lucide sur l’état des forces en présence.

Le changement de culture, en premier lieu. Le compromis social-démocrate classique ne faisait que peu de place à la question environnementale, la tenant pour une question subalterne. C’est que tous les courants issus du mouvement ouvrier, des plus réformistes aux plus critiques étaient marqués par un double héritage : celui du productivisme, et celui de la priorité donnée à la recherche de la croissance.

C’est à ces dogmes dépassés qu’il s’agit de tourner le dos, pour que le progrès social se conjugue désormais avec la justice environnementale, c’est-à-dire avec le souci de protection de la planète et le droit à un environnement de qualité considéré comme une conquête sociale majeure. Reconnaissons que nous en sommes loin : le conformisme intellectuel continue à imposer une vision classique du monde où l’écologie apparaît comme une thématique parmi d’autres bien plus que comme le fil conducteur d’un nouveau projet de civilisation. De là procède certainement la difficulté à faire naître une véritable volonté politique.

Pour accoucher d’une politique ambitieuse, il faut en effet avoir mis en gestation une nouvelle vision du monde, où l’enjeu écologique est réellement prioritaire et déterminant. Les difficultés de l’actuel gouvernement à donner une traduction budgétaire significative aux discours sur l’écologie révèlent une terrible tétanie de la volonté. La responsabilité politique commande de se soucier de l’état des finances publiques, mais elle commande tout autant de savoir sanctuariser des domaines qui ne doivent pas faire l’objet de coupes budgétaires indues.

Pour dire les choses clairement, une politique d’austérité, en plus de faire le jeu du Front national, empêche toute avancée en faveur de l’écologie en limitant la capacité de notre pays à faire les investissements nécessaires. Nous ne pouvons nous inscrire dans cette perspective mortifère : le peuple de gauche et les écologistes attendent autre chose, et notre pays requiert une autre médecine qu’une purge classiquement libérale.

Ici, on comprend l’importance d’un point capital, les rapports de force en cours pour déterminer la politique de la France. Qui croit que l’essentiel du pouvoir est politique fait fausse route. Il faut bien saisir que le front avancé de la lutte entre les intérêts financiers et le pouvoir politique se trouve être constitué par les enjeux écologiques. C’est ici que se pose en effet avec le plus d’acuité la question de la limitation de la logique de prédation qui est celle du nouvel âge du capitalisme. L’intérêt général passe en effet par la protection des biens communs contre la seule logique du profit immédiat. Les lobbys l’ont bien compris. Ils ne cessent de vouloir limiter l’ampleur des changements, pourtant absolument nécessaires, dans les domaines de l’énergie, de la lutte contre la pollution atmosphérique, de la gestion de l’eau, pour ne citer queces exemples.

Si on passe sous silence que l’écologie est un projet de transformation de société qui, comme le mouvement ouvrier jadis, vient bousculer l’ordre établi, on s’empêche par avance d’agir, prenant le chemin d’une écologie impuissante à être autre chose qu’un catéchisme sans effet.

La nouvelle majorité doit donc accepter l’occurrence d’une confrontation assumée avec les forces de l’argent. La transformation écologique est à ce prix. Le temps du passage à l’acte est venu : des actes forts doivent être posés, qui engagent de manière irréversible la France dans un destin de nation écologique. Faute de quoi, l’alliance entre EE-LV et le Parti socialiste n’aura été qu’un marché de dupes dont la principale victime serait l’écologie.

 

 

 

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26 août 2013 1 26 /08 /août /2013 11:34

 

 

Marianne

 Dimanche 25 Août 2013 à 05:00

 

 Philippe Cohen et Luc Richard

 

Des grands crus bordelais à certains fleurons de nos entreprises, en passant par les étudiants, de plus en plus nombreux, Faut-il s'en inquiéter ou, au contraire, se féliciter de l'arrivée de ces nouveaux investisseurs ?

 

ALFRED/SIPA
ALFRED/SIPA
La cause de la Chine progresse à Paris. Le clash sur le Tibet de Sarkozy, lors des jeux Olympiques de 2008, s'éloigne des mémoires. Le business progresse, les investissements chinois en France explosent, et, en ces temps de tensions intercommunautaires, la cote de l'immigré chinois demeure bien meilleure que celle des autres immigrants.

Car le Chinois de France a, en principe, bonne presse. Une famille chinoise à Paris ou à Lyon, c'est l'assurance d'une intégration sans histoire. Ses enfants, souvent de très bons élèves, sont réputés rehausser le niveau scolaire de l'école du coin. Le crachat au sol reste le niveau maximal d'incivilité dont sont coupables les ressortissants de l'empire du Milieu. Et, du moins Zheng Ruolin, journaliste chinois en poste à Paris, l'affirme, les mariages entre Français et Chinois qui progressent - même parmi les homosexuels, dit-il - faciliteront les bonnes relations entre les deux pays. Au risque de heurter la bonne humeur de Zheng Ruolin, il nous revient de relativiser cette description irénique que lui-même, mais aussi nombre de politiques et d'élus français, fait de la présence chinoise en France.

Au fait, combien de Chinois vivent en France ? La question, simple, n'appelle que des réponses incertaines. Ou ridicules, comme la dernière statistique publiée sur le site du ministère de l'Intérieur, selon laquelle il n'y avait que 61 000 ressortissants chinois en France en 2005. Spécialiste de l'immigration chinoise, Richard Beraha l'estime à 450 000 personnes (1). Selon un spécialiste du sujet au ministère de l'Intérieur, le bon chiffre serait de 800 000 en 2012, dont 25 % de clandestins. Il s'agit de toute façon de la première communauté chinoise d'Europe. Mais de même que, comme le dit Zheng Ruolin, il n'y a pas une mais plusieurs Chine, il y a plusieurs immigrations chinoises en France.

Huang Jialu arrive en France en 1702 et se marie avec une Française. Bien plus tard, le premier restaurant chinois ouvre à Paris en 1914. A cette époque, le filet d'immigration chinoise est mince. Après la révolution de 1948, la Chine de Mao ne délivre aucun visa à ses ressortissants et la seule immigration chinoise provient d'Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge). Elle s'installe dans le XIIIe arrondissement de Paris. Les premiers Chinois continentaux n'arrivent en France qu' à partir de 1985, lorsque le gouvernement chinois ouvre les vannes. L'immigration n'est donc pas seulement le résultat de flux migratoires « naturels », elle est, d'abord, la conséquence de politiques d'Etat. Or, non seulement la Chine a jugé utile de laisser partir ses candidats à l'émigration, mais elle les a encouragés, à la fois pour atténuer le chômage en Chine et pour favoriser les investissements dans le pays, qui, selon Pierre Picquart (2), seraient à 75 % le fait de Chinois d'outre-mer.

Esclaves puis patrons

A l'inverse, lorsque la France souhaite expulser des clandestins chinois, leur visa est souvent refusé par la Chine, à 27,6 % en 2008 par exemple. Car, et les Français, tout comme Marine Le Pen, l'ignorent, il faut l'accord du pays d'origine pour expulser un travailleur clandestin ou un passeur. Il est sans doute plus facile de l'obtenir du Sénégal que de la Chine...

La deuxième vague d'immigration chinoise provient de Wenzhou, une ville de la région du Zhejiang près de Shanghai. Une immigration à nulle autre pareille. Un Wenzhou paye 10 000 à 12 000 € le voyage en France à « une tête de serpent », en général honorable correspondant de la mafia. La « prestation » comprend la confection de faux papiers, le voyage et l'accueil, voire l'embauche dans un atelier. Dépourvu de papiers - ceux ayant permis l'entrée en France sont immédiatement restitués aux trafiquants de main-d'œuvre -, l'immigrant commence son séjour dans l'esclavage. Douze voire quinze heures de travail par jour pour une rétribution misérable, sans aucune prestation sociale. On s'entasse à sept ou huit dans des studios. L'essentiel des gains est mobilisé pour le remboursement du voyage, puis pour la constitution d'une épargne qui servira à ouvrir un commerce. Car notre Wenzhou n'accepte d'être ainsi esclavagisé que parce qu'il va bientôt changer de statut et devenir patron.

« Chaque métier a son prix d'entrée, note Richard Beraha : 30 000 à 100 000 € pour un traiteur de quartier ; 150 000 à 700 000 € pour un restaurant chinois ou japonais ; de 100 000 à 400 000 € pour ouvrir une boutique de confection. Il faut par ailleurs compter plusieurs centaines de milliers d'euros pour une boutique dans l'informatique ou la téléphonie. » Comment un pauvre hère obligé de s'endetter pour venir en France puis de travailler dur pour rembourser peut-il disposer de telles sommes ?

La réponse réside dans les us et coutumes wenzhous. Ceux qui ont réussi sont prêts à consacrer 20 % de leurs bénéfices à des prêts ou des dons destinés aux immigrants qui s'installent. Selon Richard Beraha, les prêts bancaires classiques ne financent que 50 % des acquisitions de commerces. Grâce à quoi les Chinois dirigent en France plusieurs centaines de milliers de boutiques.

Exemple : le débit de tabac. Voici quelques années, le gouvernement a libéralisé l'accès à ce type de commerce, jusqu'alors réservé aux citoyens français disposant d'un certain apport financier. Voilà pourquoi les fumeurs parisiens ne sont plus surpris d'acheter leurs paquets de cigarettes à des Chinois. Au fait, combien de débitants de tabac chinois ? La question est taboue car quand on aime on ne compte pas. C'est, en substance, la réponse qui est faite à la Confédération des buralistes de France. A la Revue des tabacs, le journaliste trop curieux sur ce point est vite suspecté de vouloir «stigmatiser» les commerçants chinois. Mais, selon certains experts, un tabac sur deux aurait été acheté par un ressortissant chinois dans la région parisienne. Une manne inespérée pour nos débitants en quête d'une retraite confortable...

Le commerce et l'industrie

Appelons-la Mme Wen. Son bar-tabac, rue Riquet, à Paris XVIIIe, situé entre une boucherie halal et un minibazar de marchandises à bas prix - et de fabrication chinoise -, est un endroit purement fonctionnel, sans âme. La caisse de Mme Wen crépite comme une mitraillette. Presque tous les clients sont des hommes, maghrébins pauvres, qui viennent acheter des cigarettes, faire un Rapido, un Loto, un Keno ou boire un café. Entre deux tacatacatac de caisse enregistreuse, Mme Wen, debout, raconte son histoire. Elle est arrivée en France à l'âge de 13 ans de la région de Wenzhou voici vingt-cinq ans. «Plus de quinze heures de travail par jour dans la confection, de 9 heures du matin à 2 heures le lendemain.» Avec sa famille, elle réussit à épargner une somme qui lui permet, quelques années plus tard, d'ouvrir un traiteur. «Puis j'en ai eu assez des inspections sanitaires à répétition et des employés trop nombreux, trop chers...» Elle reprend un bar-tabac. Coût : 500 000 €. Elle apporte un tiers de la somme en revendant le traiteur. Les deux tiers restants viennent d'un crédit bancaire et de sommes apportées par la famille, les amis...

A côté de ce commerce chinois qui, apparemment, doit rester «invisible», la présence chinoise dans l'Hexagone concerne de plus en plus l'industrie. Là encore, comptabiliser les investissements chinois n'est pas chose facile. Par définition, le libre-échange doit rester... libre, c'est-à-dire discret. Du coup, les évaluations se multiplient et divergent, comme pour les statistiques de l'immigration.

Boom des investissements

Citée par l'économiste Philippe Delalande, une étude du Rhodium Group montre cependant le boom des investissements chinois en Europe : 2,7 milliards de dollars en 2009, 3,6 en 2010 et 9,8 en 2011. Selon la même source, la France aurait capté 58 % de ces investissements en 2011. En fait, il semble que l'entrée du fonds souverain chinois China Investment Corporation dans GDF-Suez (soit 4,28 milliards de dollars) représente 75 % des 5,7 milliards. La Chine possède un énorme excédent de ressources financières, évalué à 2 500 milliards de dollars. Elle cherche d'autant plus à diversifier ses investissements que les monnaies de réserve - le dollar et l'euro - semblent moins sûres que par le passé, et que la démographie chinoise prépare un avenir difficile au pays à partir des années 2030, à cause des conséquences de la politique de l'enfant unique lancée au début des années 80. Comment évaluer l'impact de ces sino-investissements en Europe et en France ? Comment veiller à ce que nos amis chinois investissent en France pour approcher le marché européen et non pour piller les technologies, les ressources ou les brevets des PME françaises ?

Régulièrement, des économistes, comme Antoine Brunet, et des experts, comme Valérie Niquet, bons connaisseurs de l'empire du Milieu, mettent en garde les gouvernements français. Certes, par ces temps de disette capitalistique, l'investissement est toujours bon à prendre. A condition de ne pas brader notre patrimoine industriel et de veiller à sa sécurité. Or, malgré le rapport alarmant du sénateur Jean-Marie Bockel, aucune enquête n'a encore été consacrée aux activités des sociétés de télécom chinoises ZTE et Huawei, refoulées des Etats-Unis, du Canada et d'Australie pour suspicion d'espionnage. Bref, il ne semble pas que la vigilance soit de rigueur au ministère du Redressement productif, malgré la philosophie exprimée par Arnaud Montebourg. L'investissement chinois devrait d'autant plus être observé à l'aune de nos intérêts que l'Etat chinois y règne en maître absolu, comme le confirme l'économiste Jean-François Dufour : «Lorsque le gouvernement de Pékin a refusé le rachat de Saab par un groupe chinois après avoir autorisé celui de Volvo par Geely, on a compris que les banques, c'est-à-dire le pouvoir d'Etat, devaient valider tout achat d'entreprise étrangère.» Côté PME, le gouvernement chinois vient de lancer une réforme facilitant l'octroi de crédits aux entrepreneurs wenzhous pour investir en Europe. En est-il de même pour ce qui concerne les rachats de PME ? Plusieurs cas récents révèlent en tout cas que ces opérations poursuivent des objectifs parfaitement identifiables : l'acquisition de matières premières ou bien de capacités de production à haute technologie dans des domaines stratégiques.

L'histoire de Plysorol en fournit une illustration emblématique. Cette entreprise, créée en 1912, dominait à son sommet la production européenne de contreplaqué avec trois usines à Lisieux, Epernay, Fontenay-le-Comte et possédait 600 000 ha de forêts en concession au Gabon. En 2008, elle est mise en liquidation judiciaire. Quelques mois plus tard se présente un homme d'affaires chinois, Zhang Guohua, qui est accueilli comme un sauveur.

N'accepte-t-il pas de maintenir les 470 emplois restants et de renflouer l'entreprise en investissant 15 millions d'euros sur les trois sites, puis 20 millions d'euros par an pour la développer ? Un philanthrope en somme. «Un patron voyou», rectifie Philippe Brun, avocat du comité d'entreprise de Plysorol. En fait, M. Zhang est actionnaire dirigeant d'un groupe privé encadré et soutenu par les autorités chinoises et dont l'une des filiales, Honest Timber - «Bois honnête», ça ne s'invente pas -, a pour activité principale l'importation de bois, l'exportation de contreplaqué et l'industrie minière. Les mois qui suivent le rachat, les usines Plysorol connaissent à nouveau des difficultés financières et surtout, ce qui est nouveau, des problèmes d'approvisionnement. Mais que fait M. Bois-Honnête ? Il dépèce l'entreprise avec une brutalité inouïe. D'un côté, il cesse de verser leurs salaires aux employés français. De l'autre, il spolie les concessions forestières de Plysorol en les transférant directement à l'une de ses sociétés chinoises. Laissée à l'abandon, sans matière première, Plysorol agonise, et dépose le bilan en avril 2010. Elle sera rachetée par un Libano-Ghanéen, Ghassan Bitar, qui dépose lui aussi le bilan après que le Gabon a transféré le permis d'exploiter à John Bitar Gabon, une autre société du patron libanais. Pour la deuxième fois, Plysorol se retrouve dépossédée de ses concessions. Aujourd'hui, une plainte court toujours contre Zhang Guohua pour banqueroute frauduleuse et abus de biens sociaux, et le parquet de Lisieux a ouvert une enquête sur les circonstances de la récupération des forêts gabonaises par Ghassan Bitar.

Pillages stratégiques

Autre exemple, Freescale. Cette usine, anciennement Motorola, a été créée en 1968 à Toulouse. Elle fut longtemps le premier exportateur de Midi-Pyrénées et premier recruteur dans la région, derrière l'Aérospatiale. Freescale fabrique des plaquettes de semi-conducteur. Elle est le premier fournisseur mondial d'électronique embarquée pour automobile.

Août 2012. Trois ans après l'avoir annoncé, la direction américaine ferme l'usine. Les 800 machines de Freescale Toulouse sont démontées. On apprend bientôt que 85 % d'entre elles ont été vendues à une entreprise chinoise. Selon la direction, ces machines sont obsolètes. Didier Zerbib, délégué CGT, le conteste et soupçonne une délocalisation dissimulée, malgré les engagements signés par la direction. La preuve ? L'opacité de l'opération. «Si les machines sont obsolètes, pourquoi dissimuler leur prix de vente à une entreprise chinoise de Shenzhen ? Pourquoi maintenir secret le nom de cette entreprise ? Et pourquoi la hiérarchie cherche-t-elle des volontaires pour aller remonter et calibrer les machines en Chine ?» A ce jour, malgré le pont d'or proposé, la direction n'a trouvé aucun volontaire pour Shenzhen. Questionnée, elle n'a pas souhaité communiquer sur ces points. Une fois tout terminé, 821 postes auront été supprimés. Au-delà de la casse sociale, le délégué CGT déplore la disparition d'un savoir-faire : «Ces microprocesseurs représentent un pan hautement stratégique de notre industrie et leur abandon par la France et l'Europe est extrêmement dommageable.» Mais, selon Eric Ziegler, secrétaire FO métaux Midi-Pyrénées, «dès que nous voulons protéger des emplois et des industries françaises, on se fait traiter de nationalistes !»

Appétit technologique

Troisième cas d'école, celui de l'usine McCormick de Saint-Dizier, qui fabriquait des transmissions, pièce stratégique dans un tracteur agricole. Celle-ci, en chute libre, a été «sauvée» en mars 2011 par le géant du tracteur chinois YTO. «Les 200 emplois ont été conservés. La production a été relancée et est écoulée en Chine. Une ligne de fabrication de tracteurs est même recréée et 400 créations d'emplois sont attendues d'ici à 2015-2016», se félicite Raymond Roussinaud, secrétaire CFDT du comité d'entreprise. En démontant deux tracteurs chinois d'YTO pour y installer leurs équipements, les ouvriers ont découvert que les arbres de transmission avaient trente ans de retard... On comprend mieux l'intérêt de l'entreprise d'Etat YTO, 26 000 employés en Chine, pour la petite usine de Saint-Dizier. Désormais, la technologie française leur appartient. «Pour l'instant tout se passe bien. Mais, dans le contexte actuel, nous avons l'impression d'être un non-sens industriel», conclut Raymond Roussinaud.

Autre volet de la stratégie chinoise, les plates-formes d'import-export. L'objectif est de favoriser les échanges. Autrement dit, de faciliter l'entrée des produits chinois de grande consommation. En échange de ces montagnes de plastique, les Français sont censés exporter leurs produits de luxe... en attendant que la Chine puisse s'introduire elle aussi sur ce marché, qui n'a aucune raison de lui échapper, elle qui fabrique désormais des TGV et des Airbus.

De facto, la France ne semble avoir tenu aucun compte des leçons du passé, lorsque nos experts et nos hommes politiques, de droite comme de gauche, nous expliquaient doctement que les délocalisations chinoises n'avaient aucune importance du moment que nous gardions la maîtrise des industries à haute valeur ajoutée et des services. Dix ans plus tard, les industriels chinois montraient leurs capacités à élaborer des produits de haute technologie. La ligne Maginot de «l'intelligence» a fait long feu. Et aujourd'hui, ce sont les Chinois qui investissent en France. Leur pénétration se fait avec l'aide des élus français soucieux de trouver des emplois à tout prix. C'est ce qu'on a fait miroiter aux élus de Châteauroux, d'Aubervilliers ou de Moselle, où va se créer un pôle d'affaires destiné à offrir toute une infrastructure commerciale à 2 000 sociétés technologiques chinoises désireuses d'exporter en Europe.

Impossible de recueillir le moindre avis sur le sujet du ministère du Développement durable. Tout se passe comme si l'empire du Milieu était aussi, sous notre latitude, celui du silence. Ph.C. et L.R.

(1) La Chine à Paris, Robert Laffont, 2012.

(2) L'Empire chinois, Favre, 2004.

 

 
LE TRAFIC DES FAUX ÉTUDIANTS

En juin 2009, scandale à Toulon : certains étudiants chinois ont acheté leur diplôme pour quelques milliers d'euros. Et l'enseignante qui avait dénoncé cette corruption est taxée de racisme par le président de l'université. Celui-ci est bientôt expulsé de la fonction publique et mis en examen. L'affaire attire l'attention du président de l'université Paris-XIII, et on découvre bientôt l'existence de tout un système de trafic d'inscriptions organisé depuis la Chine. Ces étudiants ne parlent pas un mot de français. Certains ne sont inscrits que pour s'introduire en France et exercer un travail clandestin. Récemment, un «entrepreneur» chinois s'est fait arrêter pour avoir créé trois écoles de commerce fictives uniquement destinées à faire entrer en France... des faux étudiants, travailleurs du bâtiment.

En fait, le ver est dans le fruit de la réforme Pécresse, qui conditionne les subventions d'Etat au nombre d'inscrits dans les facs : la fac inscrit «son» étudiant chinois en «français langue étrangère», soit, pour un an d'études, environ 3 000 € de recettes. A l'issue de cette année de formation, on se «débrouille» pour inscrire l'étudiant où l'on peut. Sociologie, psychologie, communication, peu importe. Ce qui compte est que la fac - il s'agit d'établissements fragilisés comme Valenciennes, Le Havre, Pau, etc. - enregistre une seconde recette tout en remplissant un cycle de formation en voie de dépérissement.

Alerté par le scandale de Toulon, le ministère commande un rapport, qui montre que les facs françaises accueillent les étudiants refusés par les universités chinoises, ce qui explique le véritable boom des étudiants chinois : + 500 % entre 2000 et 2008 ! Le rapport, qui n'a jamais été rendu public, se concluait par plusieurs recommandations qui n'ont pas été mises en œuvre. En fait, la loi d'autonomie donne toute latitude aux universités de recruter qui elles veulent et à leurs conditions, ce qui ouvre la porte à tous les abus. Quant à la suggestion du rapport de créer une «Charte des bonnes pratiques concernant l'accueil des étudiants» - bel exemple de novlangue administrative -, elle n'a bien sûr été suivie d'aucun effet, la Conférence des présidents d'université s'étant assise dessus. Bref, avec 35 000 étudiants accueillis en 2009, soit le premier contingent d'étudiants étrangers, devant les Marocains, la France se situe au cinquième rang mondial des pays d'accueil des étudiants chinois, qui représentent 10 % des étudiants étrangers dans les universités. Une place peu enviable quand on démonte le mécanisme qui l'a autorisée.
 
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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 17:35

 

Source : http://www.lemanger.fr

 

 

 

Préparation de conserves de bonite à l'usine Ocean Canning, General Santos © Quentin Gaudillière

 

Partout en Occident comme en Orient, le thon en conserve est un produit très largement disponible. Mais ce qu’on trouve dans ces boîtes métalliques est assez énigmatique. Les conserves vendues au grand public dans les supermarchés français contiennent généralement de l’albacore ; cependant cette espèce emblématique est loin d’être représentative du marché du thon en boîte.

En effet, ce poisson se fait de plus en plus rare et cher ; ce n’est donc pas la seule espèce utilisée. De plus, les produits vendus aux particuliers ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les conserves destinées aux professionnels – les restaurateurs, boulangers et autres industriels – qui finissent dans votre assiette de salade niçoise ou votre sandwich ne contiennent souvent pas du tout la même chose.

Il en va de même pour le thon à l’huile ou au naturel vendu dans les enseignes de hard discount, et les salades et autres préparations à base de thon en boîte vendues par les grandes marques.

 

Faute de thon, on mange des bonites

C’est sur ces conserves-là que j’ai mené mon enquête, à General Santos, la capitale du thon aux Philippines. Là-bas, la crise du thon ne date pas d’hier. Comme je l’explique en détail dans cet article, depuis 1999, les prises n’ont cessé de baisser, tout comme la taille des poissons capturés. Aujourd’hui, après quelques décennies de surpêche seulement, il n’y a plus de thon ou presque dans les eaux philippines. Cette pénurie menace toute l’industrie de la région de General Santos qui repose sur les conserves de poissons et de fruits.

L’usine de la société Ocean Canning se situe à Tambler, près du port de pêche au thon de General Santos, à l’écart du centre-ville. Là, on mettait autrefois en boîte toutes sortes d’espèces aujourd’hui bien trop rares pour finir en conserve. Le thon albacore et le thon obèse, pêchés illégalement dans les eaux indonésiennes, sont vendus frais et expédiés en l’état à l’international ; ce sont aujourd’hui des produits de grande valeur.

Quand on n’a plus de thon, il faut trouver autre chose. L’espèce toute désignée, abondante, peu chère et délicieuse, c’est la bonite à ventre rayé, en latin Katsuwonus pelamis. Ce n’est pas du thon à proprement parler.

Comme le maquereau, elle appartient à la même famille que les thons, les Scombridés, mais pas au même genre. Il ne s’agit en aucun cas d’un « sous-thon » : elle est considérée par beaucoup comme un poisson bien meilleur que l’albacore. Elle est très consommée au Japon, où on la sert principalement en tataki, c’est-à-dire crue, la peau juste saisie, ou séchée et râpée en copeaux, le fameux katsuobushi / 鰹節.

 

Passer de l’appellation « bonite » à « thon », rien de plus facile

Bonne ou pas, la bonite reste une bonite et non un thon. ..

 

Lire la suite de l'article sur http://www.lemanger.fr/index.php/la-fabrique-de-votre-faux-thon-en-conserve/

 

 

Source : http://www.lemanger.fr

 

 

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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 16:43

 

 

M le magazine du Monde

 23.08.2013 à 12h02 • Mis à jour le 25.08.2013 à 17h31 | Par Frédéric Saliba

 
 
En juillet dernier, à Mexico, manifestation contre la participation de Coca-Cola à la campagne nationale contre l'obésité lancée par le ministère de la santé.

Attablé à un stand de restauration sur un marché du centre de Mexico, Rubén Romero déguste son neuvième taco, une crêpe de farine de maïs garnie. Il en est à son deuxième Coca-Cola, une bouteille de 600 ml. "Pourquoi boire de l'eau quand on a les moyens de s'offrir des boissons qui donnent plus d'énergie ?", justifie ce comptable de 40 ans qui peine à déplacer ses 102 kg. Comme lui, sept Mexicains sur dix sont gros, voire obèses. Les techniques marketing choc de la compagnie Coca-Cola sont montrées du doigt, dans un pays devenu le premier consommateur de sodas de la planète avec 163 litres annuels par personne.

Publié en juillet, un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) révèle que le taux d'obésité des Mexicains (32,8 %) dépasse désormais celui des Américains (31,8 %), même si, selon l'organisme onusien, la proportion d'obèses au Koweït (42,8 %) ou en Arabie saoudite (35,2 %) reste supérieure. "Mais si l'on ajoute les personnes en surpoids, le Mexique est sans doute numéro un mondial", s'alarme Abelardo Avila, chercheur à l'Institut mexicain de santé et de nutrition.

Le phénomène touche aussi les enfants, dont un tiers sont victimes de surcharge pondérale, et l'obésité infantile a triplé en dix ans. Pour M. Avila, "cette épidémie est due à l'offensive mercantile menée par les industries alimentaires, Coca-Cola en tête". Car la compagnie vend ses sodas jusque dans les écoles. Au point qu'en mars Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation, a dénoncé une "Coca-colisation" du pays. Selon lui, l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena), en vigueur depuis 1994 entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, a dopé l'importation de produits trop riches en cholestérol, en graisses saturées ou en sucre. 

 

PREMIÈRE CAUSE DE MORTALITÉ

Boire du Coca-Cola confère un prestige social aux classes populaires qui aspirent à entrer dans la société de consommation, selon le modèle américain", déplore Alejandro Calvillo, directeur de l'ONG El poder del consumidor (Le pouvoir du consommateur). Omniprésentes en ville comme à la campagne, les publicités de la compagnie s'adaptent à la composition ethnique du Mexique. "Dans l'Etat du Chiapas (dans le sud du pays), qui compte la plus forte proportion d'Indiens, des affiches de Coca-Cola sont en langue maya", souligne Jaime Tomas Page, anthropologue à l'Université autonome du Mexique (Unam).

A l'entrée des villages, les panneaux indicateurs sont rouge et blanc. Certains ont même la forme de la célèbre bouteille. "Le tout avec le soutien des caciques locaux, auxquels Coca-Cola et Pepsi-Cola ont accordé des concessions de distribution, tout en finançant la construction d'écoles ou de terrains de sport", déplore M. Page. Sans compter que leurs sodas y sont vendus 40 % moins cher qu'en milieu urbain, où leurs prix concurrencent déjà ceux des eaux en bouteille. "Une stratégie favorisée par les avantages fiscaux que leur offre l'Etat", accuse M. Calvillo, qui rappelle que Vicente Fox, qui fut président du Mexique, entre 2000 et 2006, a été directeur de Coca-Cola pour l'Amérique latine... Sept millions et demi de Mexicains souffrent aujourd'hui de diabète, devenu la première cause de mortalité du pays. En réalité, ils seraient bien plus nombreux, car "beaucoup ne sont pas encore diagnostiqués", assure M. Avila, qui évoque également "une explosion des problèmes d'hypertension et des maladies cardio-vasculaires".

Face à cette aggravation du phénomène, les pouvoirs publics tentent de s'organiser. Le 9 août, à Mexico, Maureen Birmingham, représentante de l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS), a lancé un appel à soutenir un projet de loi prévoyant une taxe spéciale sur les boissons sucrées. Le texte se heurterait depuis six mois à un "lobbying politique qui le bloque", dénonce Alejandro Calvillo. En 2010, l'Etat a pourtant signé avec les industriels un accord national pour la santé alimentaire prévoyant notamment le retrait des aliments trop gras ou sucrés dans les écoles. "Un accord de principe sans sanction", regrette M. Calvillo. Pire : depuis cet été, Coca-Cola et Pepsi font partie intégrante de la commission nationale contre l'obésité ! En attendant, le boom des maladies liées au surpoids menace de faillite le système de santé. Selon Abelardo Avila, "si ça continue, l'espérance de vie des Mexicains pourrait être réduite de dix ans d'ici à 2030".

Frédéric Saliba
Journaliste au Monde

 

 


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24 août 2013 6 24 /08 /août /2013 12:16

 

philomag.com

  La société des affects. Pour un structuralisme des passions

 

 

Publié dans
Philosophie magazine numéro 72, septembre 2013
72 - 22/08/2013

L’essai d’un économiste qui devient sociologue et philosophe et retrouve l’importance des affects dans l’analyse socio-économique du libéralisme. Si les structures persistent à déterminer la société, l’histoire et les transformations sociales sont étroitement liées aux dynamiques affectives collectives.

Lénine voyait dans l’impérialisme le stade ultime du capitalisme. Voici venu le stade cosmétique qui s’empare de nos affects comme de nouveaux objets d’échange. Jusqu’au jour où nos corps, emplis de passions tristes, se retourneront contre lui.

Qui a dit que le capitalisme était un système mortifère, un grand absolu inerte, réprimant toute vie dans la logique mécanique du marché ? Pour qui observe le capitalisme contemporain ou « néocapitalisme », la métaphore de la « cage d’acier » qu’employa Max Weber en son temps pour le décrire apparaît obsolète. Le « style » du capitalisme – c’est le constat de départ de Stéphane Haber – est plus proche aujourd’hui de la plasticité du vivant que de la rigidité du mort. Regardez comme il ondule sous nos yeux, comme il nous fascine et nous ressemble, imprimant sa forme, son style expansif et sa vitalité aux domaines les plus intimes de nos vies, et a priori les plus éloignés de ses prérogatives, jusque dans nos usages du bonheur et de l’amour même. On cote sur Facebook la popularité des individus par des « J’aime » comme on cote les entreprises en Bourse ; notre idéal de sérénité inclut des critères d’épanouissement et de compétitivité issus du management. D’une vitalité expansive, protéiforme, le néocapitalisme est aussi le terreau de singularités caractéristiques de sa tendance inhérente à la prolifération, que Stéphane Haber appelle des « puissances détachées », et dont les grandes entreprises multinationales ou le « monde de la finance » sont des avatars à la fois fantasmatiques et bien réels. Véritables excroissances de la vitalité capitaliste, ces puissances détachées prennent peu à peu leur autonomie par rapport aux pratiques humaines dont elles émanent (le travail, l’échange) dans un élan qui ne paraît plus viser que leur « reproduction élargie », incontrôlée, à part, indifférente aux besoins effectifs des individus.

Sans préjuger de la nécessaire absurdité de leur fonctionnement, Haber s’interroge : n’y a-t-il pas, malgré l’apparente logique d’épanouissement que suggère cette remarquable « vitalité » du capitalisme, une possible « contradiction entre deux formes de vitalités », celle du système et celle des individus ? Quand les grandes agences de notation comme Standard & Poor’s ou Fitch semblent décider à elles seules de la santé économique d’un pays, quand les bénéfices d’une délocalisation pour les entreprises priment sur l’emploi local, ne sommes-nous pas les jouets de l’élan expansionniste de ces puissances ? Et cela au point de ressentir une nouvelle forme d’aliénation, qui n’est plus celle de nos vies dans le monde mort des objets mais de nos vies dans la vitalité des puissances détachées ? Sous l’impact de plus en plus impérieux, parfois très original et sophistiqué de telles puissances, certains aspects apparemment supportables de la vitalité capitaliste pourraient bien finir par devenir progressivement intolérables (le léger malaise que commence à susciter notre dépendance aux nouvelles technologies numériques illustrerait bien ce genre de transition).

« La balance affective qui nous incline à l’obéissance n’a rien d’immuable »

Du supportable à l’intolérable, il n’y a, du reste, qu’un pas, que permettent de franchir les affects, comme le défend Frédéric Lordon dans son dernier ouvrage. Il pourrait bien arriver un moment où la « vitalité » capitaliste ne donnera plus, passionnellement, aucune raison de souscrire à ses lois. Or cette validation passionnelle est indispensable à la « légitimité » des grandes structures qui quadrillent la société : c’est elle, à terme, qui fonde la légitimité des institutions, de l’école, du tribunal ou de l’entreprise qui nous emploie, qui nous incite à nous lever le matin pour accomplir nos tâches sociales, à faire des efforts pour satisfaire nos employeurs. Cependant, et c’est là ce qui intéresse Frédéric Lordon, la balance affective qui nous incline à l’obéissance n’a rien d’immuable : « Rien n’exclut que les balances affectives puissent être modifiées. » Le « cumul d’affects tristes en longue période » peut faire « passer un nombre suffisant de sujets à leur point d’intolérable ». Si les structures se rendent odieuses aux individus, le corps affecté qui y trouvait son compte finit par se rebiffer et s’indigne. Que cette « indignation » électrise un plus large groupe d’indvidus et la société tremble.

Croisant sur plus de deux cents pages le structuralisme de Lévi-Strauss et la théorie des affects de Spinoza, Lordon ne fait donc pas l’éloge de la passivité collective. Dans les affects, il observe plutôt de véritables garde-fous à l’abus de pouvoir. S’ils sont le liant des structures d’autorité, ils constituent aussi la seule force à même de renverser ces dernières quand les rapports de force deviennent intolérables.

La vitalité néocapitaliste nous fascine et a sans doute encore de beaux jours devant elle, mais sommes-nous prêts, nous, humbles corps affectés, à nous laisser dévorer par elle ?

 

À lire aussi :
Une histoire du capitalisme qui refuse d’en faire une évolution « naturelle » de la société, en relatant toutes les contingences de son origine et de son développement : clair, pédagogique et engagé.
Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketti 
Au XXe siècle, on le sait, le capitalisme a traversé des moments prospères : les Trentes Glorieuses en tête nous ont offert l’image d’une accumulation fondée sur l’épargne méritante issue des revenus et nous ont temporairement donné l’illusion d’un dépassement structurel du capitalisme. C’était sans compter le rôle économique joué à chaque fois par les guerres… Pour que le XXIe siècle invente un dépassement à la fois plus pacifique et plus durable du capitalisme, il faut donc se demander pour de bon si nous pouvons attendre de ce « système » autre chose qu’une amplification exponentielle des inégalités.

 

 

 

La société des affects. Pour un structuralisme des passions

Auteur Frédéric Lordon

 

Éditeur Seuil - Prix : 22,00 €

 

                                                                       ****************************************************

 

lesinrocks.com

24/08/2013 | 10h31
Un trader de Goldman Sachs à la Bourse de New York le 29 mai 2013 (REUTERS/Brendan McDermid)

                                                                                                                                                                                                             L’économiste et philosophe Frédéric Lordon déploie une critique radicale de la pensée libérale et du capitalisme financier depuis près de vingt ans. Il éclaire encore notre époque dans un nouveau livre ambitieux, “La Société des affects”.

Economiste, philosophe, sociologue, dramaturge… Frédéric Lordon circule aisément entre plusieurs statuts, manie les mots, concepts, idées ou chiffres en choisissant de les décupler dans un même geste plutôt que de les découper en sous-catégories rigides. Un dramaturge espiègle se cache chez le sociologue objectif, un philosophe classique éclaire l’économiste hétérodoxe. En assumant de jouer avec les frontières figées du théâtre de la pensée, en revendiquant la nécessité de ne pas céder au didactisme simplificateur exigé par la sphère médiatique, Frédéric Lordon reste un intellectuel aussi discret que central dans le paysage de la pensée.

A la mesure de sa rareté, sa parole médiatique fait pourtant à chaque fois du bruit et titille ses ennemis, dont beaucoup d’économistes écoutés dans les antichambres du pouvoir. Un passage éclair sur le plateau de Ce soir (ou jamais !) au moment de la crise des subprimes, quelques interventions dans des documentaires (Les Nouveaux Chiens de garde…) et des émissions sur internet (Arrêtsurimages.net), des prises de parole dans des journaux (dans Marianne, face à Emmanuel Todd, il y a quelques semaines…) ont révélé la puissance iconoclaste de ses visions à un public plus large que celui des arides travaux universitaires. Il suffirait pourtant de se plonger dans ses livres pour mesurer combien sa pensée touche à des questions essentielles nous concernant tous. De Fonds de pension, piège à cons ? (2000) à D’un retournement l’autre – Comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes et en alexandrins (2013) en passant par Et la vertu sauvera le monde… Après la débâcle financière, le salut par ‘l’éthique’ ? (2003) ou Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières (2008), tous ses essais déconstruisent magistralement les règles du capitalisme financiarisé.

La singularité de son analyse critique du capitalisme actionnarial et des marchés financiers repose sur ses références répétées à la philosophie de Spinoza, dont les fondamentaux lui servent à penser son époque autant que ceux de Foucault, Mauss, Durkheim ou Bourdieu. Une passion spinoziste qui se déploie dans des recherches sur l’autonomie, la confiance, le statut de l’étranger, le conflit, la précarité, le don, le care…

Son nouvel essai, sous la forme d’un manifeste théorique d’explication du monde social, La Société des affects – Pour un structuralisme des passions, porte la marque de cette affection particulière pour le philosophe hollandais du XVIIe siècle. D’emblée, Frédéric Lordon avance que “la société marche aux désirs et aux affects” mais en reconnaissant que, paradoxalement, “les sciences sociales ont un problème avec le désir et les affects”. Construites comme sciences des faits sociaux, et non des états d’âme, elles portent une méfiance légitime envers toute forme de psychologie sentimentale. Pourtant, depuis quelques années, le paysage des sciences sociales vit “un tournant émotionnel”. Nous redécouvrons les émotions, le sujet fait son retour, l’individu est remis au coeur du paysage politique : on s’intéresse à nouveau à ses sentiments après avoir décortiqué ses actions ou ses discours.

Or, selon Lordon, ce regain d’intérêt est ambivalent, en ce qu’il masque la puissance des structures et des institutions, qui comptent autant que les affects dans la compréhension de nos actes, gestes et pensées. “Les affects ne sont pas autre chose que l’effet des structures dans lesquelles les individus sont plongés”, précise-t-il, en reliant Spinoza à l’autre penseur-clé de son système analytique, Pierre Bourdieu. Le “structuralisme des passions”, dont il trace les lignes théoriques tout au long du livre, émerge de cette tension entre le concept de conatus de Spinoza et celui d’habitus de Bourdieu. Le conatus de Spinoza désigne précisément les énergies désirantes individuelles, les affects qui mettent les corps en mouvement, déterminés à accomplir des choses particulières. Pour Bourdieu, à l’inverse, parler de désirs et d’affects, c’était aller trop loin dans “la détorsion subjectiviste de l’excès objectiviste”. La plupart des choses extérieures qui nous affectent et nous meuvent sont d’abord sociales, souvent conflictuelles. Les individus ne se comportent que dans les rapports sociaux où ils sont pris. “Il y a des structures, et dans les structures, il y a des hommes passionnés ; en première instance, les hommes sont mus par leurs passions ; en dernière analyse, leurs passions sont largement déterminées par les structures.” Ce sont les structures qui descendent dans la rue, disait-on en mai 68 : Lordon affirme, lui, que “ce sont bien des corps individuels désirants qui y descendent”, mais en ajoutant malicieusement qu’“ils n’y descendent que pour avoir été affectés adéquatement dans et par les structures, c’est-à-dire, et ceci sans aucun paradoxe, qu’ils y descendent pour s’en prendre aux structures qui les y ont fait descendre – parce qu’elles ont fini par se rendre odieuses.”

Méfions-nous donc de la croyance naturelle dans la force de la volonté individuelle, détachée du contexte dans lequel elle s’inscrit. La vertu n’appartient pas aux individus, prévient Lordon, “elle est l’effet social d’un certain agencement des structures et des institutions telles qu’elles configurent des intérêts affectifs au comportement vertueux”. L’exemple le plus éclairant de cette ambivalence de la vertu individuelle renvoie à la fameuse moralisation de la finance, promise par nos dirigeants depuis cinq ans.

“Il fallait croire à la Pentecôte ou à la communion des saints pour imaginer qu’un univers comme la finance, structuralement configuré pour maximiser les intérêts matériels (et symboliques) au gain spéculatif, pût connaître une régulation spontanée par la vertu, observe Lordon. A part l’hypothèse de la sainteté, comment imaginer demander aux individus de la finance de réfréner d’eux-mêmes leurs ardeurs spéculatives quand tout dans leur environnement les incite à s’y livrer sans frein ? (…) La moralisation est le nom choisi par l’industrie financière pour reconduire le statu quo ; dans un univers aux intérêts aussi puissamment structurés, la moralisation est l’autre nom du rien, le choix même de l’inanité politique.”

Seul un geste d’arraisonnement brutal – réglementaire, légal et fiscal –, et non des contre-feux individuels, pouvait mettre un terme au fléau de la finance toute puissante.

C’est aussi pourquoi Lordon critique les fauxsemblants de la supposée “radicalité” souvent invoquée dans la lutte contre le néolibéralisme : la vraie radicalité (prendre les choses à la racine) antilibérale consiste moins, selon lui, à prôner la nationalisation des banques qu’à “s’en prendre à la matrice inscrite au plus profond de nos esprits, celle que nous transportons en toute inconscience”. Autant dire que la tâche semble rude. En associant, dans un même élan de pensée, le jeu des affects et la force des ordres institutionnels, en réconciliant les sciences sociales et la philosophie, Frédéric Lordon ne cède ni à la facilité scientifique de l’analyse frontale, ni à l’allégresse politique des grands soirs. Jamais dupe des ruses de la raison néolibérale, il n’a que la lucidité et la clairvoyance comme garde-fous contre les affects tristes et les afflictions de la crise. Lire Lordon, c’est aussi se préserver des égarements du politique, des pièges à cons, des fausses évidences.

La Société des affects – Pour un structuralisme des passions (Seuil), 288 pages, 22 €, en librairie le 5 septembre
D’un retournement l’autre – Comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes et en alexandrins (Points Essais)

 

 

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24 août 2013 6 24 /08 /août /2013 12:07

 

 

lesinrocks.com

11/08/2013 | 10h12
"Les Tribulations d'une caissière"

                                                                                                                                                                                                                       Des lignes de caisses d’un hypermarché au siège social d’une entreprise française de grande distribution, la sociologue Marlène Benquet a enquêté pendant trois ans. Pour analyser, en immersion, les réalités du monde du travail.

Pourquoi avoir décidé de travailler sur le secteur de la grande distribution ?

Marlène Benquet - Dans mes recherches, j’ai toujours souhaité analyser les transformations du travail et du capitalisme. J’ai donc cherché un secteur qui soit révélateur des transformations contemporaines de l’économie. J’ai choisi le secteur tertiaire puis, au sein de celui-ci, la grande distribution car elle est très représentative des trois grandes évolutions de l’économie depuis la fin des années 70. A savoir un mouvement de féminisation – de plus en plus de femmes travaillent -, un de précarisation – la norme du CDI s’est raréfiée – et un autre de tertiarisation – on travaille de plus en plus dans le tertiaire et de moins en moins dans le secondaire. Enfin, c’est un secteur où la question de la participation des salariés se pose avec d’autant plus d’acuité qu’il est, par définition, impossible de délocaliser l’activité. C’est un secteur qui est très consommateur de main-d’oeuvre. La grande distribution représente plus de 600 000 salariés et Carrefour demeure le premier employeur privé en France.

Pourquoi avoir choisi l’immersion en vous faisant embaucher en tant qu’hôtesse de caisse ?

La plupart des enquêtes sociologiques sont statistiques. Elles sont utiles pour avoir un diagnostic général pour un secteur d’emploi mais elles ne nous permettent jamais de saisir de l’intérieur les raisons d’agir d’un individu. Pourquoi ils se comportent de telle manière ? Pourquoi ils ne se révoltent pas ? Le seul moyen pour cela, c’est “l’observation participante” permettant de comprendre les raisons comportementales des différents niveaux hiérarchiques. J’ai donc été embauchée comme caissière, puis j’ai fait un stage au sein de la fédération syndicale et j’ai terminé mon enquête au sein du service des ressources humaines.

Quelle analyse faites-vous de la condition de travail au terme de ces trois ans ?

Il faut distinguer les conditions d’emploi des conditions de travail. Du point de vue de l’emploi, les caissières sont au smic horaire, la précarité est donc d’abord économique. Ensuite, il y a une précarité temporaire parce que les horaires des caissières varient tout le temps, ce qui complique l’organisation de leur vie extraprofessionnelle. Enfin, la dernière précarité est projectionnelle. C’est l’un des rares métiers où le temps que vous passez au sein de l’entreprise n’augmente pas vos chances d’avoir un meilleur emploi dans l’avenir. C’est un peu une expérience blanche. Le fait d’avoir été caissière dix ans n’est pas quelque chose que vous pourrez valoriser ensuite. Ça vous permet juste de manger.

Qu’est-ce qui reste le plus pénible ?

Le fait que les tâches sont conditionnées par l’extérieur, à savoir le flux des clients et celui des produits. C’est proche du travail à la chaîne. Vous ne maîtrisez pas votre temps. Vous ne décidez pas de faire une pause, elle est imposée par votre hiérarchie. Vous ne pouvez pas vous lever pour vous dégourdir les jambes : les clients ne comprendraient pas et, de plus, vous êtes sans cesse exposé au regard des autres. Vous n’êtes jamais invisible, jamais tranquille. Vous êtes sans arrêt soumis aux injonctions des clients, de l’encadrement. Vous n’avez pas d’espace propre : contrairement à d’autres métiers, une caissière n’a pas sa propre machine. Impossible de personnaliser son espace de travail puisque vous changez souvent deux fois d’endroit dans la journée. Ce sont des éléments de pénibilité non négligeables.

Vous expliquez dans votre livre que la direction du groupe qui vous a embauchée a décidé de faire tourner un nombre inchangé d’hypermarchés avec 9,3 % de salariés en moins. Comment a-t-elle pu imposer cette hausse du rythme de travail ?

Ce groupe est passé des mains des familles fondatrices à celles d’actionnaires financiers. Ils n’ont pas eu recours à des innovations techniques, ils ont forcé les gens à augmenter leur productivité horaire. Dans ce cadre, la direction n’hésite pas à demander aux gens de travailler plus vite. En caisse centrale, un palmarès des caissières est affiché chaque semaine : vous voyez le nombre d’articles/horaires que vous avez fait. Enfin, la réduction du nombre de salariés oblige à travailler plus vite. Quand la file s’allonge à votre caisse, vous n’avez pas d’autre choix. La situation l’exige.

Comment la paix sociale est-elle créée et maintenue ?

Politiquement et scientifiquement, on se demande pourquoi les salariés consentent à de tels efforts. Mais plutôt que de se demander pourquoi ils ne se révoltaient pas, j’ai cherché à interroger les dispositifs qui empêchent cette action contestataire. Il y a des dispositifs qui rendent impossible la contestation, notamment au niveau du recrutement d’une population docile et moins diplômée. C’est étonnant de voir que dans un secteur dans lequel on a surtout besoin de gens les soirs et les week-ends, on recrute principalement des mères de famille dont le métier de caissière représente souvent la seule chance d’avoir une relative sécurité financière.

Vous pensez que la grande distribution recrute prioritairement des sous-diplômés ?

Je ne pense pas que ce soit aussi machiavélique que ça, c’est simplement l’un des rares secteurs où votre situation familiale et votre cursus scolaire n’importent pas. Le recrutement se fonde sur deux uniques critères : la disponibilité et la discipline. Le manque d’expérience n’est jamais considéré comme un problème. Il y a d’autres dispositifs qui expliquent la faible contestation, comme le fait de donner des horaires variant constamment ou d’empêcher les employées de parler entre elles en caisse. Ainsi, les caissières se connaissent souvent peu, elles sont isolées, ce qui évite la montée d’une colère collective.

Comment s’organise le management ?

Les conditions de travail sont définies par un système de faveurs. La grande distribution est l’un des rares secteurs où une part importante des conditions de travail ne sont pas définies collectivement, mais entre le supérieur hiérarchique et l’individu. Les vacances, les pauses supplémentaires, les postes disponibles en dehors de la caisse (à l’accueil ou pour la vente de sapins durant les périodes de fêtes) s’obtiennent en se faisant bien voir de sa hiérarchie.

Ce management risque-t-il de se détériorer encore plus ?

C’est possible, car je pense que le management est de plus en plus contraint par les logiques économiques des actionnaires. Le pdg est devenu le salarié du conseil d’administration, il peut être révoqué à tout moment. La financiarisation de l’actionnariat rend de plus en plus difficile le fait d’isoler des responsables. En tant que telle, la grande distribution n’est que le reflet du monde économique actuel.

Propos recueillis par David Doucet 

Marlène Benquet, Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution, La découverte, 2013

le 11 août 2013 à 10h12

 

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23 août 2013 5 23 /08 /août /2013 17:32

 

 

lexpansion.lexpress.fr

  L'évasion fiscale

                                                                                                                                                                                                                                   Les sommes échappant aux fiscalités de Etats représenteraient 16 000 à 25 000 milliards d'euros, soit le PIB des Etats-Unis plus celui du Japon, ou 10 fois celui de la France. Soit un tiers des ressources financières mondiales. Le scandale ne fait que commencer.

 

 

A seagull flies over palm trees on the Croisette in Cannes January 27, 2013. REUTERS/Jean-Paul Pelissier (FRANCE - Tags: ANIMALS ENVIRONMENT) - RTR3D1E7
REUTERS
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23 août 2013 5 23 /08 /août /2013 17:27

 

 

revenudebase.info

 

Trois tendances qui rendent le revenu de base inéluctable Opinions 31 juillet 2013 La Rédaction

     

    basic-income-poster

     

    Le blogueur irlandais Lui Smyth identifie trois tendances qui justifient l’implémentation d’un revenu de base le plus rapidement possible : le déclin des classes moyennes, la fin du plein-emploi, et l’augmentation des productions économiques non-marchandes.

    Un texte publié initialement sur le blog simulacrum, traduit par Bernard Kundig, BIEN Suisse.

    La digitalisation de notre économie va entraîner une nouvelle génération d’idéologies économiques radicales, à commencer par le « bitcoin ». Pour ceux qui disposent d’actifs financiers, de bon sens technologique et d’un certain sens de l’aventure, l’Etat est l’ennemi et une devise cryptographique la solution. Mais pour ceux qui se concentrent davantage sur le déclin des classes moyennes, sur la quasi disparition du marché des premiers emplois, ainsi que l’avènement d’une culture de la liberté, l’Etat est un allié tandis que la solution pourrait ressembler à un revenu de base inconditionnel.

    Avant d’expliquer pourquoi ce concept va pénétrer le débat politique dans le monde développé, permettez moi de décrire à quoi un tel système pourrait ressembler :

    • Chaque membre adulte de la population reçoit un versement hebdomadaire de l’Etat qui suffit à une vie confortable. La seule condition est la citoyenneté et/ou la domiciliation.
    • On touche le revenu de base que l’on ait un emploi ou non ; tout salaire gagné se rajoute à ce versement.
    • La bureaucratie sociale est largement démantelée, il n’y a plus de contrôle des revenus, aucune signature à apposer, aucune menace pour la jeunesse de se voir enfermer dans une trappe de dépendance, aucune pension d’Etat particulière.
    • Le droit du travail est libéralisé, puisque les travailleurs n’ont plus rien à craindre d’un licenciement.
    • Les gens acceptent les emplois disponibles pour augmenter leur pouvoir d’achat. Des secteurs importants de l’économie sont remplacés par le bénévolat, comme cela se passe de plus en plus aujourd’hui déjà.
    • Ce système laisserait moins de place à la fraude dans la mesure où il n’y a qu’une seule catégorie d’ayant-droits et pas d’allocations spécifiques.

    Tout cela semble assez radical par rapport aux statistiques actuelles, mais voilà pourquoi vous allez encore en entendre beaucoup plus à ce sujet :

    1. Les classes moyennes sont en chute libre

    D’après les observations de Jaron Lanier, il fut un temps où Kodak représentait 140’000 emplois de classe moyenne, et sur les ruines fumantes de la faillite de cette société nous avons aujourd’hui Instagram, avec 13 employés. C’est un exemple extrême, parce que dans la plupart des cas, la misère économique reste essentiellement confinée dans la jeunesse, avec des débutants travailleurs piégés dans un cercle de stages, dans une formation toujours plus longue, tout en étant de plus en plus endettés. Le résultat, c’est que les jeunes n’ont plus le droit de devenir adultes. Dans les années 1960, on était locataire pour la première fois en moyenne à 24 ans ; en 2002, ce n’était qu’à 28 ans.

    Aujourd’hui, la moyenne s’établit autour de 37 ans. Le sentier vers l’indépendance économique est tendu par les forces du marché, trop de monde recherche trop peu d’emplois, et une poursuite du statu quo est à même d’aggraver encore cette situation. En évacuant toutes les inefficiences et en proposant des biens digitaux quasi gratuitement, internet tue les emploi de la classe moyenne. La numérisation a déjà largement démocratisé les études, le cinéma, la musique, le journalisme, sans parler de tout le reste. D’autres industries vont faire la même expérience douloureuse, y compris les professions juridiques, de l’immobilier, dans les assurances, la comptabilité ou la fonction publique, dans la mesure où tous ces secteurs sont soumis à la loi de l’efficacité et verront le nombre d’emplois qu’ils offrent se réduire dans les années à venir.

    Quand il sera clair pour ceux qui occupent aujourd’hui les postes de l’establishment que leurs enfants ne trouveront pas de travail, ils vont faire pression pour une solution plus radicale. Pour le dire en termes économétriques, la masse salariale en tant que part prenante de l’économie se trouve en déclin structurel depuis de longues années et a touché un nouveau bas historique aux Etats-Unis. Pendant ce temps, les marges de profit des entreprises ont battu des records de tous les temps.

    Les troubles économiques de ces dernières années ont permis à l’industrie de réduire leur personnel ainsi que de baisser le niveau des salaires d’entrée en emploi, sans pour autant réduire leurs capacités. Si cette tendance se poursuit, la création de richesses ne va plus concerner que les propriétaires de capital, et tout va commencer à suivre une logique marxiste. Les classes moyennes (ainsi que leurs représentants élus) empêcheront cela.

    2. À long terme, la demande de travail humain est en déclin

    Il faut s’imaginer un avenir dans lequel les robots exécutent la plupart de nos travaux manuel et les ordinateurs la plus grande partie de notre travail intellectuel, tandis que notre économie mécano digitalisée est dix fois plus performante. Nous n’avons pas besoin de nous entendre sur une date précise, cela pourrait être en 2050 ou en 2500 ; il suffit de s’accorder sur le fait que, selon toute probabilité, la tendance actuelle va se poursuivre. D’ici là, deux choses peuvent se produire : Soit nous perdons 90% de nos emplois, soit notre consommation de biens et de services se multiplie par dix. Ou un peu des deux.

     

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    La première option nous oblige à revoir drastiquement à la baisse nos attentes concernant la demande de travail, tandis que la deuxième nous contraint à pratiquer une redistribution massive de pouvoir d’achat en direction des consommateurs. Nous avons redéfini la notion de travail par le passé et il n’y a aucune raison qui nous empêche de le refaire. Le concept d’ « emploi » compris comme une activité que se passe hors de chez soi et pour le compte d’autrui est une création essentiellement Victorienne.

    Et même quand on a fait du travail une obligation formelle dans le cadre de l’économie de marché, nous avons toujours accepté le fait que certaines personnes n’avaient pas besoin de travailler. Nous ne demandons pas aux enfants, aux personnes âgées ou handicapées de travailler, et ces catégories sont relativement fluides. Pour les enfants, l’obligation de travailler à la maison ou à l’extérieur a été graduellement supprimée déjà à partir de la révolution industrielle, alors que l’âge de la retraite a été introduit plus tard, sous l’impulsion de gouvernements ne voulant pas provoquer une crise des pensions ni devoir faire face à des employés âgés défendant leur rôle social. Tandis que les hommes étaient contraints de quitter la maison pour trouver un travail rémunéré, on gardait les femmes à la maison pour travailler sans rémunération.

    Nous avons toujours accepté le fait que certaines gens n’avaient pas besoin de travailler

    Pendant les deux guerres mondiales, tout le monde était censé travailler. Lors d’une finale de coupe du monde, presque personne n’est censé travailler. Nous changeons tout le temps nos règles en ce qui concerne qui travaille et comment. Le fait de contraindre des chômeurs à trouver du travail dans un marché sans emplois simplement parce que « tout le monde doit travailler » est pour le moins mal avisé sinon cruel.

    En 2012, l’année de travail moyenne comptait 2’226 heures en Corée du sud et 1’381 heures aux Pays-Bas, c’est-à-dire 38% de moins. On peut avoir une économie riche et développée avec relativement peu de travail. Si nous arrêtons de stigmatiser les chômeurs, nous pouvons aussi arrêter de pousser les gens à occuper des emplois socialement sans valeur. Depuis le télémarketing jusqu’à des boulots qui font de leurs détenteurs des mendiants, un grand nombre de personnes est contraint de végéter à la marge de l’économie et dans des rôles presque sans valeur économique marginale.

    3. La production culturelle se détache de l’économie de marché

    Sur ce plan, nous sommes déjà dans une société de volontaires et de créateurs — et c’est une bonne chose. L’article de Wikipedia que vous venez de lire, la vidéo de YouTube que vous venez de regarder, cette musique électronique russe que vous venez d’entendre, le code qui permet d’augmenter la puissance de votre moteur de recherche, tout cela vous a été donné le plus souvent gratuitement. Au lieu d’une économie de l’information à laquelle tout le monde s’attendait, nous avons obtenu une culture de l’information. Parmi les gens qui sont expulsés du marché de l’emploi, certains vont sans doute rester à la maison toute la journée sur le canapé, mais nombreux sont ceux qui vont sortir dans le monde et produire des biens culturels qu’ils offriront gratuitement.

    Au lieu d’une économie de l’information à laquelle tout le monde s’attendait, nous avons obtenu une culture de l’information.

    Je ne crois pas au mythe selon lequel les chômeurs sont paresseux. Je vis dans un pays qui a connu le « plein emploi » et qui compte aujourd’hui 14% de chômeurs, et je ne comprends pas que l’on puisse être assez misanthrope pour prétendre que ces 14% de la population seraient simplement devenus plus paresseux. L’emploi ne procure pas que de l’argent, il donne aussi une identité, un statut, la confiance en soi, un sens de la mission et un réseau de partenaires. Tout ceux qui ont accès à ces valeurs seront prêts à travailler pour cela.

    Comme le dit Dan Pink dans son discours fantastique, nous sommes motivés par l’autonomie, la maîtrise et par les buts que nous nous donnons, mais pas par l’argent. Si les machines exécutent une plus grande part de notre travail, nous allons devoir trouver d’autres moyens permettant aux hommes de satisfaire ces besoins. Mais cela ne marchera pas si on les oblige à envoyer 500 CV chaque semaine.

    Comment le financer ?

    On pourrait commencer par obtenir des grandes sociétés qu’elles paient leurs impôts. Comme je l’ai mentionné plus haut, les marges de profit des entreprises ont battu un record de tous les temps, et cet argent circulera beaucoup plus vite s’il est donné aux consommateurs. Pour les travailleurs salariés, un revenu de base apparaîtra un peu comme un remballage d’allocations non taxées, quoiqu’ils auront vraisemblablement besoin d’un gain net pour l’accepter. Ce concept permettra aussi de faire des économies ailleurs dans le secteur public, de réduire les dimensions de la bureaucratie et d’augmenter le rôle des bénévoles et des volontaires.

    Il stimulera aussi l’activité économique, comme le montre le scandale des PPI au Royaume-Uni qui a obligé les banques à transférer 10 millions de livres sterling à leurs clients, ce qui a conduit à une croissance de 0.1% du PIB parce que les consommateurs étaient beaucoup plus prompts à les dépenser.

    Franchement, à l’heure où des communautés peuvent créer leurs propres monnaies, quand le capital peut se glisser à travers les frontières numériques même quand il est légalement gelé, tandis que la production économique est de plus en plus décentralisée, la recherche de méthodes nous permettant de collecter des revenus suffisants pour le bien public va devenir une des grandes questions du siècle, peu importe que nous ayons un revenu de base ou non.

    Sous le régime légal actuel, la plupart des gouvernements du monde développé sont en faillite, mais comme le prouve le sauvetage des banques, les règles peuvent au besoin être réécrites. La monnaie est un dispositif qui nous aide dans l’allocation des ressources, c’est un symbole et une convention qui semble à la fois solide à court terme et flexible, capable d’évoluer à long terme. Si vous brûlez à l’instant tous les billets que vous avez dans votre portefeuille, vous n’appauvrissez en rien le monde, mais vous réduisez simplement votre accès personnel aux ressources disponibles. Il y a toujours plus d’argent qui circule.

    Il est de plus en plus évident que l’austérité ne fonctionne pas ; en fait, on n’aurait jamais du s’attendre à ce qu’elle fonctionne. Un revenu de base inconditionnel serait la réponse keynésienne qui aurait du être proposée dès qu’il est devenu clair que le secteur de la finance est pourri à la base. En d’autres termes, ce serait un « bailout » pour les consommateurs.


    Crédit photo : PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales ruSSeLL hiGGs Paternité photologue_np

    Traduction française par Bernard Kundig, BIEN Suisse

     

     

     

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    23 août 2013 5 23 /08 /août /2013 16:03

     

     

    Rue89

      23/08/2013 à 17h04
    Philippe Vion-Dury | Journaliste Rue89

     

     

    Lorsqu’il a obtenu ce mémo [PDF], l’écrivain et journaliste d’investigation américain Greg Palast « n’arrivait simplement pas à y croire ». Selon lui, ce document – qu’il affirme authentique – est digne des pires théories complotistes :

    « A la fin des années 1990, les hauts fonctionnaires du Trésor américain ont conspiré en secret avec une petite cabale de gros bonnets du secteur bancaire pour tailler en pièces la régulation financière dans le monde entier. »


    Capute d’écran du mémo

     

    Greg Palast ne précise pas comment il a authentifié le document, mais avec sa longue carrière d’enquêteur pour des cabinets d’audit anti-trust et anticorruption, et de nombreuses investigations pour la BBC, The Observer et The Guardian, il ne fait aucun doute que ses preuves sont solides.

    Une cabale politico-financière

     

    Voir le document

    (Fichier PDF)

     

    Ce memorandum ne serait donc rien de moins que la genèse de la crise financière mondiale et du « sang et des larmes » qui en ont coulé.

    Daté du 24 novembre 1997, son auteur Timothy F. Geithner écrit à son « boss », le secrétaire adjoint au Trésor américain, Larry Summers, à propos des dernières tractations à l’OMC :

    « Alors que nous entrons dans la dernière ligne droite des négociations à l’OMC sur le commerce des services, je pense que ce serait une bonne idée pour vous d’en toucher un mot avec les PDG des principales banques et sociétés boursières qui ont suivi de près les négociations. »

    Timothy Geithner transmet ensuite la liste des numéros des cinq PDG les plus puissants de la planète (d’alors) : Bank of America, Goldman Sachs, ou encore JP Morgan figurent au tableau.

    Le but de ces entretiens téléphoniques : préparer la dérégulation – ou ouvrir la boîte de Pandore, selon le point de vue.

     


    Capute d’écran du mémo

     

    Geithner assure ensuite que les estimations quant au succès des négociations peut être – « prudemment » – interprétées comme étant « optimistes ». Il ajoute que les entreprises du secteur sont « largement satisfaites avec les grandes lignes de l’accord ».

    Acte I : briser la régulation

    De quoi ont-ils tous discuté après, le mémo ne le précise pas. Mais Greg Palast explique la suite des évènements qu’il présente comme un « coup d’Etat financier global » pour déréguler d’un seul coup toutes les banques à travers le monde – et les placer sous la domination des vautours américains.

    Il fallait d’abord briser le mur entre banque de dépôt et banque d’investissement instauré par le Glass-Steagall Act de 1933 – et censé empêcher une nouvelle « grande dépression ». Cela tombe bien : en 1997, le mur est déjà très poreux et les exceptions à la règle pleuvent.

    Le Trésor américain, de son côté, fait rempart à toute tentative de régulation des produits dérivés financiers. Dans la foulée, le président Clinton déclarera que la loi « Glass-Steagall Act n’est plus appropriée ». Deux ans plus tard, son abrogation sacrera le règne de la dérégulation financière.

    Acte II : briser les frontières

    L’acte deux est plus délicat et franchement machiavélique, comme l’explique le journaliste :

    « Mais pourquoi donc transformerait-on les banques américaines en casinos à produits dérivés si l’argent s’enfuit vers des nations où les lois bancaires sont plus sûres ? La réponse conçue par le top 5 bancaire : éliminer les contrôles sur les banques dans toutes les nations de la planète – d’un seul coup. C’était aussi brillant que terriblement dangereux. »

    Le Trésor américain à la solde du lobby bancaire s’est donc servi des négociations sur le nouvel accord de l’OMC. L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) sera conclu en décembre 1997, un mois après le mémo, et entrera en vigueur en 1999.

    Alors que l’OMC ne prenait en compte jusque-là que les marchandises, l’AGCS pave la voie au commerce d’instruments et actifs financiers qui seront largement responsables de la crise actuelle.

    La boîte de Pandore est maintenant grande ouverte :

    « Parmi les célèbres transactions légalisées : Goldman Sachs (où le secrétaire du Trésor Rubin avait été vice-président) a travaillé avec la Grèce sur un swap d’obligation qui, finalement, a détruit cette nation.

    L’Equateur, une fois son secteur bancaire dérégulé et démoli, a été ravagé par des émeutes.

    L’Argentine a dû vendre ses entreprises pétrolières et ses réseaux d’approvisionnement en eau alors que ses professeurs cherchaient leur subsistance dans les poubelles. »

    Les joueurs, eux, n’ont pas connu la crise

    Pour l’auteur, Larry Summer est le « serpent » et Geithner son « valet » chargé de « transformer les accords en bélier pour les banquiers ». Comble du cynisme, il souligne le parcours professionnel des différents acteurs impliqués dans la manœuvre :

    • Robert Rubin, secrétaire au Trésor en 1997, a pris la tête du Citigroup dont la création a été permise par la dérégulation de la finance. Alors que cette « monstruosité financière » a coulé en 2008 suite à une chute de son action de 70%, Rubin a tiré son épingle du jeu avec 100 millions d’euros sous le bras ;
    • Larry Summers remplace son mentor Robert Rubin à la tête du Trésor américain sous l’administration Clinton. Il prend ensuite la tête de Harvard tout en travaillant en tant que conseiller pour des « hedge funds » et en donnant des conférences à 135 000 dollars pour JP Morgan, Goldman Sachs et d’autres, alourdissant sa fortune de quelque 23 millions d’euros. Il devient en 2009 un des conseillers spéciaux d’Obama et prend la tête du Conseil économique national. Il est maintenant pressenti pour prendre la tête de la Réserve fédérale américaine.

    Greg Palast relativise cependant l’importance du mémo :

    « Est-ce que tout ce mal et cette souffrance proviennent d’un seul mémo ? Non, bien entendu : le mal était la partie elle-même, jouée par la clique des banquiers. Le mémo révèle seulement leur tactique de jeu pour mettre échec et mat. »

     

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