Les conséquences pour le budget de l'Etat ne sont pas encore totalement connues. Mais c'est une ardoise qui pourrait atteindre – voire dépasser – 10 milliards d'euros que la France risque de devoir éponger, faute d'avoir pris en temps utile les dispositions nécessaires.
La Cour des comptes a adressé au ministère de l'économie et des finances, mardi 27 août, un référé portant sur la gestion de deux contentieux communautaires. Pour le premier, relatif au régime fiscal des redistributions de dividendes modifié en 2003, les mesures prises en 2005 ont permis de limiter l'ampleur du contentieux. Néanmoins, relève la Cour, le risque, estimé à 4,15 milliards – incluant 1,1 milliard déjà reversé en 2007 et 2008 – a été insuffisamment provisionné dans la programmation budgétaire.
Le second contentieux est encore plus lourd de conséquences. Il concerne le mécanisme de retenue à la source sur les dividendes versés par des sociétés résidentes à des organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) non-résidents. A partir de 2006, celui-ci a fait l'objet de nombreux recours. La Commission européenne a engagé, en mai 2011, une procédure d'infraction à l'encontre de la France et, par un arrêt du 10 mai 2012, la Cour de justice de l'Union européenne a invalidé ce régime d'imposition. Entre-temps, ce sont plus de 10 000 dossiers de réclamation qui ont été déposés devant la Direction des résidents à l'étranger et des services généraux (Dresg).
RISQUE D'INCOMPATIBILITÉ DU RÉGIME DE TAXATION SIGNALÉ
Bien qu'alerté du risque d'incompatibilité de ce régime de taxation avec le droit communautaire, le gouvernement choisit, en 2007, alors que les enjeux budgétaires étaient encore limités et le risque juridique moindre, de le défendre. Début 2010, le risque d'une condamnation de l'Etat étant devenu sérieux, "une modification de la règle fiscale aurait dû être envisagée afin de circonscrire les risques financiers pour le Trésor", note la Cour des comptes. Et celle-ci, "pour être efficace, aurait dû intervenir rapidement, c'est-à-dire courant 2010, et s'accompagner de la création d'une recette nouvelle afin de compenser le manque à gagner".
Le gouvernement et la majorité précédents n'en ont rien fait. Pis, les conséquences financières ont été aggravées par un relèvement du taux de prélèvement à la source voté dans la loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 à la suite d'un amendement parlementaire auquel le gouvernement ne s'est pas opposé. Cette règle fiscale n'a finalement été modifiée que dans la loi de finances rectificative du 16 août 2012 présentée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et adoptée par la nouvelle majorité.
Lire : "Les principales dispositions de la loi de finances rectificative pour 2012"
"LE CONTENTIEUX DE SÉRIE LE PLUS IMPORTANT AUQUEL L'ETAT AIT ÉTÉ CONFRONTÉ"
L'ardoise laissée par le précédent gouvernement est lourde. "Evaluées fin 2007 à 510 millions d'euros seulement, les restitutions pourraient atteindre, selon les prévisions de la direction générale des finances publiques (DGIFP) établies à l'été 2012, environ 6 milliards d'euros, intérêts moratoires compris", indique la Cour des comptes, qui n'exclut pas que ce montant soit même dépassé. "Il s'agit du contentieux de série le plus important auquel l'Etat ait été confronté", souligne la Cour. Les incidences budgétaires pourraient s'étaler jusqu'en 2015, la Cour de justice de l'Union européenne ayant ouvert la possibilité de déposer une réclamation jusqu'au 31 décembre 2014.
A l'inconséquence s'ajoute l'imprévoyance. Alors que, pour le premier contentieux, une provision avait été inscrite dans la programmation budgétaire, cela n'a pas été le cas pour le contentieux OPCVM. "Un défaut manifeste", note la Cour des comptes. Les conséquences ont donc été ignorées jusqu'à la deuxième loi de finances rectificative pour 2012. Le risque de devoir procéder à des décaissements aurait normalement dû être pris en compte dans le programme de stabilité 2012-2016 présenté le 4 mai 2012 par la France à la Commission européenne. Rien n'a été inscrit.
C'est donc une véritable bombe à retardement que l'ancienne majorité de droite a léguée à la nouvelle majorité de gauche, sans tenir compte d'aucun des avertissements qui lui avaient été adressés. Le ministère de l'économie et des finances dispose de deux mois pour transmettre à la Cour des comptes les dispositions qu'il envisage de prendre. Le référé et la réponse du gouvernement seront ensuite transmis aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.