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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 14:58

 

mediapart.fr

 

Lobbies au parlement: fallait-il s'inspirer du « modèle bruxellois » ?

|  Par Ludovic Lamant et Mathilde Mathieu

 

 

À l'Assemblée, au nom de la transparence, les lobbyistes sont désormais invités à s'inscrire sur un registre et à dévoiler la liste de leurs clients. Un copié-collé du dispositif testé depuis deux ans à Bruxelles, avec un succès limité.

 

À l’Assemblée, c’est devenu le credo officiel : les députés auraient besoin des lobbyistes et de leurs « informations privilégiées » pour se bâtir une expertise. À partir du mois d'octobre, les « représentants d’intérêts » vont ainsi franchir un pas supplémentaire vers la reconnaissance de leur métier, avec la mise en place d’un nouveau registre accessible au public. Bientôt, les lobbyistes recevront même des « alertes mails » dès qu'une actualité se présentera dans leur secteur d’activité.

 

 
© Reuters

Expérimenté depuis 2009 dans une version beaucoup moins poussée, ce système déclaratif, directement inspiré du parlement européen, s'efforce d'injecter davantage de transparence. Mais comme à Strasbourg et Bruxelles, il repose sur la seule bonne foi des « représentants d’intérêts ».

Pour s’enregistrer, une entreprise (Areva, EDF, etc) devra désormais indiquer non seulement le nom de son lobbyiste « maison », mais aussi les dépenses qu’elle engage chaque année pour « travailler » les députés. Idem pour les cabinets de conseil et d'avocats spécialisés qui devront lister leurs différents clients et révéler les honoraires que ces derniers leur versent. Simplement, l’Assemblée ne s’est octroyée aucun moyen de contrôler toutes ces données. Surtout, l’inscription se fera sur la base du seul volontariat, et rien n’empêchera un lobbyiste « non-enregistré » d’organiser des rendez-vous à l’Assemblée.

Au fond, le Palais Bourbon parie sur l’envie des lobbyistes d’opérer au grand jour, eux qui se disent lassés des suspicions et des fantasmes en tout genre. Une fois inscrits, ces derniers seront soumis à un Code de déontologie, interdisant par exemple l’utilisation de documents « volontairement inexacts destinés à induire les députés en erreur ». Bientôt, ils pourront publier leurs argumentaires sur le site même du Palais Bourbon.

« La démarche est très positive, se réjouit Alexandre de Montesquiou, le président de l’association française des conseils en lobbying. C’est une reconnaissance de notre utilité. » Mais déjà, le lobbyiste réclame une « mise en place progressive » du dispositif pour les cabinets de conseil en particulier, dont les clients pourraient bien s’opposer à la publication de leur identité. Quant à détailler le montant des contrats, « ça ne me paraît pas indispensable… », glisse Alexandre de Montesquiou, qui a fait part de ses « remarques » au socialiste Christophe Sirugue, vice-président de l’assemblée en charge de la réforme. « Il y a une pression pour que (ce point) soit modifié, raconte ce dernier à Mediapart. Mais je ne suis pas très favorable à accéder à ces demandes… »

Ci-dessous une version provisoire du formulaire :

 


 

Le Palais Bourbon a-t-il eu raison d'importer le « modèle bruxellois » ? Qu'en disent les principaux intéressés dans la capitale européenne ? Après deux ans de pratique, le bilan du « registre de transparence » (commun à la commission et au parlement de Strasbourg) apparaît plus que mitigé.  

En avril 2013, date de la publication des dernières statistiques, 5 661 « entités » figuraient dans ce registre, que n'importe quel citoyen peut consulter ici. Dans la masse, on recense plus de 800 structures travaillant pour le compte de grands groupes, plus de 1 500 ONG, quelque 400 « think tanks » ou encore une cinquantaine de cabinets d'avocats. Parallèlement, 3 876 personnes sont aujourd'hui accréditées et accèdent librement au parlement européen, « afin de représenter une organisation ».

Prenons l'exemple du fabricant d'OGM Monsanto, dont le lobbying à Bruxelles n'est un secret pour personne : ce mastodonte a fini par s'inscrire au registre, en mai dernier (lire sa déclaration ici). Il déclare en particulier que deux de ses employés travaillent à plein temps sur ces dossiers, et qu'il a dépensé, sur l'exercice 2011-2012, une fourchette comprise entre 400 000 et 450 000 euros. Il s'engage aussi à suivre le code de conduite rédigé pour l'occasion.

De grands absents et des sous-déclarations en cascade

 

Cet effort de transparence est-il satisfaisant ? Aux yeux d'ONG bruxelloises spécialisées dans les questions de transparence, le bilan des deux premières années de fonctionnement du registre est plus que mitigé. Première faille : le registre est loin, très loin d'être exhaustif, puisqu'il n'est pas obligatoire. La commission s'est contentée de miser sur l'« auto-régulation » du secteur. « Des centaines d'acteurs impliqués dans le lobbying auprès de l'UE, en particulier des cabinets d'avocats, restent absents », constate la plateforme d'ONG Alter-EU dans un rapport publié en juin.

Les auteurs de l'étude épinglent par exemple 105 entreprises de grande taille, dont les activités de lobbying sont avérées à Bruxelles, mais qui n'ont semble-t-il pas jugé nécessaire de s'inscrire. C'est le cas, parmi beaucoup d'autres, d'Adidas, Amazon, Apple ou Disney, mais aussi de pas moins d'une dizaine de géants financiers (ABN Amro, Goldman Sachs ou encore BBVA).

À y regarder de plus près, ce sont les cabinets d'avocats qui semblent les plus réticents à jouer le jeu de la transparence. « Leur argument a toujours été de dire qu'ils délivraient du conseil légal auprès d'entreprises, ce qui n'aurait rien à voir avec du lobbying. Mais les choses commencent à changer », raconte Natacha Cingotti, de l'ONG Friends of the Earth Europe.

Longtemps adversaire de ce registre, le cabinet allemand Albert & Geiger a finalement choisi de s'inscrire fin 2011. Il a donc dû publier l'identité des clients pour lesquels il réalisait ce lobbying, mais aussi le chiffre d'affaires qu'il dégageait pour chacun d'entre eux (voir ci-dessous). Mais l'exemple d'Albert & Geiger reste un cas isolé jusqu'à présent : il suffit de se souvenir des méandres du « Dalligate », ce scandale qui a emporté un commissaire européen à la santé l'an dernier, pour constater le rôle central joué par Clifford Chance, cabinet d'avocat basé à Londres, et non inscrit au registre des lobbys, dans le jeu bruxellois.  


Face à ces manquements, une majorité d'eurodéputés, et bon nombre d'ONG, plaident pour un registre obligatoire. Mais le commissaire européen responsable du dossier, le Slovaque Maros Sefcovic, semble peu disposé à bouger sur ce dossier. Aux yeux de la commission, la constante progression du nombre d'inscrits, semaine après semaine, depuis deux ans, prouve que l'ensemble des lobbyistes finiront par s'inscrire : il suffirait d'être patient.

« L'augmentation du nombre d'inscrits n'est pas le bon indicateur pour mesurer l'efficacité du registre », rétorque Alter-EU dans son rapport de juin. « Beaucoup de ceux qui s'inscrivent n'ont en fait que peu de lien avec le lobbying, tandis que les poids lourds du secteur, eux, restent en dehors. » L'exécutif de José Manuel Barroso avance une autre explication pour justifier le caractère volontaire du registre : il serait contraire aux traités européens d'imposer un registre obligatoire. Des ONG, là encore, contestent cette analyse (lire l'analyse juridique ici).

Ce registre de transparence souffre d'un autre handicap : rien ne garantit que les données mises en ligne par les entreprises soient exactes. Et ce ne sont pas les trois personnes employées au secrétariat du registre, qui peuvent contrôler, à elles seules, la véracité des déclarations.

Là encore, la plateforme Alter-EU a établi de nombreux cas de « sous-déclarations », de la part de grands groupes, de ce qu'ils investissent véritablement à Bruxelles. Après avoir été rappelé à l'ordre par l'ONG Friends of the Earth Europe, le groupe pétrolier Shell, par exemple, a dû relever le montant de ses déclarations, de 400 000 à… quatre millions d'euros par an, pour ses activités de lobbying.

Mais le « redressement » de Shell est une exception. Comme le note le rapport d'Alter-EU publié en juin, un groupe français de taille moyenne spécialisé dans les mutuelles, IRCEM, déclare avoir investi près de 55 millions d'euros en lobbying sur l'année, soit davantage que les dépenses cumulées de BNP Paribas, Google, GlaxoSmithKline, Ford, Unilever, Coca-Cola, British Airways, Shell, GDF, IBM, Bayer, Syngenta, Nokia et Ericsson. De là à penser que certains géants minorent leurs déclarations…

 

 

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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 14:46

 

 

mediapart.fr

Dassault: cent ans de subventions

|  Par Martine Orange

 

 

Depuis un siècle, la famille Dassault est nichée au cœur de l’État. À partir de la conception d’une hélice, Marcel Dassault a réussi à constituer un monopole privé dans l’industrie de défense. Des milliards d’argent public ont permis de bâtir une fortune privée dont l’influence s’étend sur tout le champ politique.

 

L’embarras est manifeste. À l’exception de quelques élus de l’Essonne, la classe politique – droite et gauche confondues – garde un silence prudent sur les dernières révélations du système mis en place par Serge Dassault à Corbeil-Essonnes, sa convocation ce mercredi 2 octobre par les juges d'Évry (finalement reportée), qui enquêtent sur le volet “règlement de comptes” et tentative d'homicide, ou encore la perquisition chez son notaire.

L’homme est riche – 5e fortune de France estimée à 12,8 milliards d’euros selon le dernier classement de Challenges –, et puissant. Dirigeant du groupe Dassault, Serge est aussi propriétaire du Figaro. Mais la gêne va bien au-delà. Car Dassault incarne le capitalisme français poussé à son paroxysme, d’une fortune privée bâtie sur un concubinage notoire avec l’État.

Depuis près de cent ans maintenant, la famille Dassault est nichée comme un coucou au cœur de l’appareil étatique. De la défense à la politique, elle pèse depuis des décennies sur les choix régaliens de la nation. Vivant de la commande publique, la famille se veut pourtant l’exemple de l’entreprise privée. Nationalisé par deux fois – en 1937 et en 1981 –, le groupe familial est toujours parvenu à conserver son indépendance, dictant ses choix aux gouvernements successifs au gré de ses intérêts, sans rencontrer la moindre résistance.

De droite comme de gauche, tous les gouvernements se sont pliés à leurs demandes. Marcel, le fondateur du groupe, puis Serge Dassault ayant toujours su trouver les soutiens nécessaires, dans tous les camps politiques, pour imposer leurs vues. « Je les ai tous payés », confiera Marcel Dassault au début des années 1980. Un précepte familial, en quelque sorte. 

 

 
© dr

Le destin de Marcel Dassault – alors Marcel Bloch – a été propulsé par une hélice. En 1915, ce jeune ingénieur aéronautique de 23 ans, issu d’une famille bourgeoise juive, met au point une hélice en bois, l’Éclair, dans l’atelier de meubles de son futur beau-père, au cœur du faubourg Saint-Antoine. L’armée, qui a compris avec la guerre l’importance de l’aéronautique naissante, s’intéresse à ce prototype qui améliore sensiblement le rendement des hélices existantes. Les premières commandes affluent. Marcel Bloch s’installe comme l'un des fournisseurs de l’armée. Il n’en bougera plus.

Avec son ami et associé, Henry Potez, il crée la société des études aéronautiques, qui développe en 1918 un biplace de chasse. L’armée lui passe commande de 1 000 exemplaires. Mais la guerre s’achève. La commande est annulée en 1919.

Voyant tous les budgets militaires fondre, Marcel Bloch délaisse pour un temps l’aéronautique et se lance dans la fabrication et l’immobilier. Un secteur qu’il n’abandonnera jamais. À côté de ses avions, il maintiendra toujours une activité de promotion immobilière qui a contribué à arrondir la fortune familiale. Il a notamment été très actif dans les années 1960 et 1970, participant à de nombreux projets aux côtés de Francis Bouygues et Robert de Balkany, promoteur vedette très influent dans les Hauts-de-Seine, qui conçut notamment Parly 2.

En 1929, Marcel Bloch renoue avec l’aéronautique : le ministère de l’air a décidé de reprendre de vastes programmes d’équipement. Les crédits affluent. Avec son associé, Henry Potez, ils mettent au point un système industriel qui reste la marque de fabrique de Dassault. À eux la conception des avions et le montage final. Tout le reste est sous-traité à l’extérieur. Les fameux bureaux d’études de la société, dont la préservation est invoquée à chaque fois qu’il faut débloquer de nouveaux subsides d’État, sont en place.

Dans le bouillonnement de l’aéronautique de l’entre-deux-guerres, la société anonyme des avions Marcel Bloch est très en pointe. Elle multiple les innovations et les nouveaux modèles. Déjà, l’homme n’a pas son pareil pour s’introduire dans les cabinets ministériels et capter les financements publics à son profit. Il sort grand gagnant dans l'importante réorganisation de l’industrie aéronautique lancée par Pierre Cot, ministre de l’air du Front populaire – son directeur de cabinet est Jean Moulin –, entre le pôle public et le pôle privé.

 

 
© DR

Ses usines ont certes été nationalisées et il a été confortablement indemnisé. Mais Marcel Bloch a pu conserver la multitude de petites PME qu’il a créées, où sont notamment logés les bureaux d’études qui travaillent avec les sociétés nationales aéronautiques. Bénéficiant d’une image de patron social et novateur pour avoir institué les congés payés dès 1935, il obtient du gouvernement un statut très à part : tout en étant entrepreneur privé, il dirige la nouvelle société nationale des constructions aéronautiques, qui a repris une partie de ses usines nationalisées.

Pour parfaire cet édifice si profitable, il crée de nouvelles sociétés privées qui travaillent pour l’entreprise publique à partir des plans conçus par ses bureaux d’études. Pas étonnant que Marcel Dassault en 1981 ait été le seul patron à ne pas s’opposer à la nationalisation de son groupe : céder le capital n’est rien pour lui, s’il conserve le pouvoir industriel. Ce que l’État lui a toujours concédé : on ne bride pas un génie de l’aéronautique. Ce partage des rôles a été des plus payants pour la famille Dassault. L’appareil de l’État et les finances publiques seront à la disposition du groupe pour l’aider à se réorganiser, à se débarrasser des activités jugées inutiles ou dépassées, à payer la recherche et les diversifications.

Le bel édifice, cependant, s’écroule en février 1940. Marcel Bloch est obligé de démissionner de la société publique avec toute son équipe : l’armée et le ministère de l’air se plaignent des performances, jugées très insuffisantes, de ses avions testés pendant la drôle de guerre.

Commence la période noire de la famille. Dès son avènement, le gouvernement de Vichy a lancé le processus d’aryanisation de l’économie, consistant à dépouiller les familles juives et à mettre à leur place de serviles et cupides exécutants de Vichy et de Berlin. Marcel Bloch a réussi à mettre à l’abri une partie de ses intérêts en confiant la direction de certaines de ses sociétés à des amis, mais pas toutes. De sinistres intrigants prennent sa place dans le groupe.

Dans un premier temps, il est, malgré tout, un peu ménagé, en étant assigné à résidence. Car Berlin souhaite obtenir la collaboration de cet ingénieur mondialement renommé. Mais Marcel Dassault refuse toutes les avances. Face à ce refus obstiné, il est emprisonné avec toute sa famille au fort de Montluc à Lyon. Mais il résiste toujours. Alors, le 25 août 1944, par le dernier train en partance de Drancy, il est déporté à Buchenwald. Pendant neuf mois, il ne sera plus que le matricule 39611.

« À partir de maintenant vous êtes sous la protection du parti communiste français », lui dit dès son arrivée au camp de concentration Marcel Paul, communiste éminent, qui deviendra le puissant ministre de la production industrielle à la Libération. L’industriel, qui a raconté fréquemment cette histoire par la suite, n’oubliera jamais cette protection, apportant toute sa vie un soutien financier important au parti communiste. Celui-ci le lui rendra bien. Malgré les désaccords politiques évidents, les uns et les autres se parleront toujours et se retrouveront parfois.

À son retour de déportation, en avril 1945, Marcel Bloch entame une deuxième vie. Il change de nom pour prendre celui de Marcel Dassault, par référence au nom de résistance de son frère, Paul Chardasso, qui a rejoint les forces libres à Londres dès juin 1940. Il se convertit au catholicisme. Mais il garde sa passion pour l’industrie aéronautique.

Un compromis sur mesure

À peine rentré de Buchenwald, il est allé voir Charles Tillon, ministre communiste de l’air, de l’armement et de la reconstruction dans le premier gouvernement de la Libération, une lettre de recommandation de Marcel Paul à la main. Marcel Dassault n’a qu’une demande : retrouver rapidement ses usines et ses biens pour rebâtir une grande industrie aéronautique française.

Charles Tillon accepte tout de suite la proposition. Le ministre a de grandes ambitions pour l’industrie aéronautique française. Il entend que les arsenaux nationaux aéronautiques, répartis géographiquement (Sud Aviation, Nord Aviation, Centre Aviation, etc.), soient à la pointe de l’effort de reconstruction. S’adjoindre les compétences de Marcel Dassault dans ce projet ne peut que lui plaire. Et puis, il n’y a pas tant d’industriels qui ont eu un comportement exemplaire au sortir de la guerre.

La grande ambition aéronautique ne durera pas deux ans. Dès 1947, les crédits sont coupés : la défense n’est plus une priorité pour le gouvernement. Les arsenaux nationaux licencient des milliers de personnes. Pour donner du travail à ceux qui restent, les sociétés bricolent, produisent de l’électro-ménager, des pièces mécaniques des petits équipements. Pendant ce temps, la société des avions Marcel Dassault s’épanouit. Alors que la France s’est engagée dans les guerres pour maintenir ses colonies, il est allé chercher des brevets aux États-Unis pour construire des avions de transport, indispensables à l’armée française.

La délégation générale de l’armement soutient la démarche : en pleine guerre froide, la France est sur le point de rallier l’OTAN. Si elle ne veut pas apparaître comme simple supplétif dépendant des armements américains et britanniques, elle doit avoir sa propose industrie de défense. Marcel Dassault persuade qu’il est l’homme de la situation : il a l’expérience, les compétences et le soutien des Américains. 

À l’instigation de Marcel Dassault, le gouvernement décide un grand compromis en 1949 pour fixer le partage des rôles dans l’industrie aéronautique française, dont les effets se font encore sentir 70 ans plus tard. L’industrie aéronautique publique se voit confier la mission de s’engager dans le secteur ultra-concurrentiel de l’aviation civile, en développant des avions long et moyen-courriers et des hélicoptères, ce qui formera plus tard la base d’Airbus. Dassault, en association avec Breguet – qu’il rachètera plus tard –, obtient, lui, bien que privé, le monopole sur le marché ultra protégé de l’aéronautique de défense, et les soutiens financiers publics qui vont avec. Ce monopole sera encore renforcé par Pierre Messmer, alors ministre des armées, qui interdira en 1965 à l’aéronautique publique de conserver la moindre compétence dans la recherche sur l’aéronautique de défense.

D’emblée, Marcel Dassault reprend l’organisation industrielle qui lui a été si bénéfique avant-guerre : il a ses bureaux d’études, garde la conception et l’assemblage final et sous-traite tout le reste. Ses modèles sont conçus de façon simple. C’est le client qui paie tous les développements et les équipements. Et le premier client de Dassault, c’est l’armée française.

 

Le Mirage IV 
Le Mirage IV© groupe Dassault

Les modèles d’avion militaires se succèdent à un rythme soutenu : Vautour, Ouragan, Mystère 1, Mystère II, Mystère III, Mystère IV, Mystère 20 et bientôt le premier Mirage qui apparaît en 1956. Mais le vrai succès aéronautique du groupe est le Mirage IV, premier avion de chasse européen à voler à Mach 2.2 et désigné pour porter l’arme atomique. Cet avion devient mythique lors de la guerre des Six Jours en 1967 : l’armée israélienne, équipée de ce modèle dans une version développée avec Israël à partir de la fin des années 1950, détruit le 5 juin 1967 la quasi-totalité des MIG (avions russes) égyptiens. Dès lors, tous les gouvernements veulent des Mirage. Le groupe Dassault en vendra plus de 1 400 exemplaires dans le monde entier. Marcel Dassault était déjà une référence, il devient dès lors intouchable.

Philanthropie

Marcel Dassault a travaillé pendant des années pour se fabriquer ce piédestal. Dès ses débuts, il a lié des relations assidues avec l’armée. La délégation générale de l’armement, qui supervise toutes les commandes de l’État, est particulièrement soignée. Nombre d’ingénieurs ou de généraux qui y ont travaillé termineront leur carrière en coulant des jours dorés dans le groupe Dassault. Les membres des cabinets ministériels et le personnel politique sont aussi choyés. Marcel Dassault connaît tous ceux qui peuvent avoir une influence ou un pouvoir de décision sur les dossiers aéronautiques et d’armement.

Mais l’industriel finit pas penser qu’il est mieux de défendre sa cause directement et de s’engager personnellement dans la politique. En 1951, il se présente aux élections législatives dans le Var et est élu sous l’étiquette du Rassemblement du peuple français (RPF), le parti de De Gaulle, créé en 1947. Mais cinq ans plus tard, les élections suivantes voient sa défaite. Marcel Dassault en est mortifié. Une partie de la classe politique avec lui.

Le RPF va se mettre en quatre pour effacer l’affront : le sénateur RPF de l’Oise, Robert Séné, accepte de démissionner de son poste pour lui laisser sa place. En contrepartie, Marcel Dassault lui a racheté à prix d’or son quotidien régional, L’Oise libérée. En 1958, il se présente à la députation et est élu comme député de l’Oise. Il sera constamment réélu jusqu’à sa mort, en 1986. Son petit-fils, Olivier Dassault, prendra sa succession : en politique aussi, il y a des fiefs héréditaires.

 

 
© dr

Piscines, terrains de sports, écoles, gymnases, on ne compte plus dans l’Oise les bâtiments réalisés grâce à l’argent de l’avionneur et qui portent son nom. Toutes les communes de sa circonscription bénéficient d’une attention particulière. Les électeurs reçoivent des cadeaux à Noël pour les enfants, plus quelques enveloppes pour ceux qui font l’opinion. À en croire les avocats de Serge Dassault, celui-ci s’est inscrit dans ces mêmes « actions philanthropiques », dans le sillage de son père, à Corbeil-Essonnes.

Marcel Dassault donne la pleine mesure du pouvoir d’influence de l’argent. Pendant des années, il finance à chéquier ouvert toutes les campagnes gaullistes et des forces politiques qui peuvent le soutenir. L'un de ses protégés, Albin Chalandon, qui préside au début des années 1960 la banque du groupe, est l'un des rouages importants du dispositif dans les années 1960. Au courant de tout, il devient en même temps trésorier, puis secrétaire général de l’Union pour la nouvelle république (UNR), le nouveau parti gaulliste créé en 1958, au retour du général de Gaulle au pouvoir. Il sera par la suite ministre de l’équipement dans plusieurs gouvernements successifs, sous de Gaulle et Pompidou, avant de prendre la présidence d’Elf. Des postes considérés comme les tirelires du parti gaulliste.

Les gaullistes ont renvoyé l’ascenseur, notamment au moment des privatisations de 1986. Alliée à Jean-Marc Vernes, la famille Dassault a créé une nouvelle banque en 1983, après les nationalisations de 1981. La banque Vernes, présentée comme une des banques du RPR, sera partie prenante à la formation de la quasi-totalité des noyaux durs, censés protéger les entreprises au moment des privatisations de 1986. Récoltant à chaque fois à bas prix de 0,5 % à 2 % du capital, Jean-Marc Vernes et la famille Dassault seront ainsi associés à toutes les bonnes affaires des privatisations décidées par le RPR, ce qui leur permettra de grossir leur pelote.

Mais Marcel Dassault ne commettra jamais la faute de pratiquer l’exclusive : tous les autres partis politiques touchent aussi leur obole. Selon des clés de répartition dont le groupe garde le secret, tous auront droit à des aides. Cela explique sans doute que les grands contrats à l’exportation réalisés par le groupe Dassault ne donneront jamais lieu à de grands déballages et règlements de comptes suite à des affaires de rétro-commissions, comme cela a pu être le cas chez Thales ou Lagardère. En ce domaine, Serge Dassault semble là aussi s’être mis dans le sillage de son père. Même chez ses adversaires politiques, on trouve peu de détracteurs de Serge Dassault (voir la vidéo de Melenchon).

Un homme politique, cependant, a droit à un traitement à part dans le système Dassault : Jacques Chirac, un intime de la famille. Son père, Abel-François Chirac, est un proche de Marcel Dassault dans les années 1930. Financier de la société aéronautique, il convainc l’avionneur et son associé, Henry Potez, d’avoir leur propre banque. Après le rachat d’un petit établissement bancaire, la banque Josse Lippens, Abel Chirac en prend la direction. Il devient un des hommes clés de la société, au courant de toutes les affaires, de toutes les intrigues, veillant sur le développement du groupe autant que sur la fortune privée des deux associés.

Jacques Chirac, lui, passe toutes ses vacances et la guerre à Rayol, la propriété varoise de la famille Dassault et de son associé, Henry Potez. Il devient le fils adoptif de Marcel Dassault, le fils qu’il aurait voulu avoir. La vieille haine de Serge Dassault contre son père, contre Jacques Chirac, qui ne s’est jamais éteinte malgré le temps, remonte à ces années d’enfance (revoir la truculente vidéo d’Antoine Perrault).

Sous ce haut parrainage, Jacques Chirac est introduit en 1962 – il a alors 30 ans – auprès de Georges Pompidou, alors premier ministre. Dans l’esprit de Marcel Dassault, son protégé est destiné à aller au ministère de l’air ou des armées. Il va d’abord au Budget. En 1967, Jacques Chirac décide de se lancer en politique et brigue une circonscription en Corrèze. Marcel Dassault lui apporte sans compter son soutien. Il achète pour lui une feuille de chou locale, L’Essor du Limousin, dépêche pour s’en occuper Philippe Alexandre, qui dirige alors le journal électoral de Marcel Dassault dans l’Oise avant de devenir directeur de Jours de France, le magazine de la vie heureuse créé en 1954 par Marcel Dassault, ne traitant ni de guerres, ni de conflits sociaux ou politiques, ni de faits divers.

L’avionneur observe avec satisfaction l’ascension politique de son poulain. Les liens entre les deux hommes sont indéfectibles jusqu’à la fin. Tout juste nommé premier ministre au moment de la mort de Marcel Dassault (94 ans) en avril 1986, Jacques Chirac tient à faire lui-même l’allocution pour l’enterrement de l’avionneur.

« On ne t'a pas payé pour cela »

Marcel Dassault a laissé totalement ouverte sa succession, ne faisant rien pour désigner son fils Serge. Pendant des années, il a refusé de lui confier la moindre responsabilité dans l’aéronautique, préférant donner la direction opérationnelle à des ingénieurs proches plutôt que d’accorder la moindre parcelle de pouvoir à son fils. En public, Marcel ne s’est pas privé de dire qu’il le jugeait incompétent. Il l’a cantonné à Dassault Électronique, une filiale du groupe créée 1953, spécialisée dans l’électronique de défense, les terminaux bancaires et les logiciels de conception, qui s’est fort bien développée.

 

 
© reuters

L’heure de la revanche, après les humiliations, a enfin sonné, pense l’héritier. Mais il n’y a pas que Marcel Dassault qui doute des capacités de Serge. André Giraud, ministre de la défense et puissant patron du corps des mines, s’interroge aussi. Pour lui, il n’est que temps que l’État reprenne les rênes d’un groupe dont il a fait la fortune et qui entend imposer ses vues. Le refus du groupe de participer à toute coopération européenne pour construire seul le Rafale, successeur du Mirage, et l’imposer à l’armée, quitte à mener celle-ci dans l’impasse, pèse lourd notamment dans les considérations du ministre de l’armée.

Alors que la première cohabitation vient de commencer, ni François Mitterrand à l’Élysée ni Jacques Chirac à Matignon n’ont envie d’ouvrir les hostilités sur le dossier de la succession de Marcel Dassault. Tous les deux doivent tant à la famille. François Mitterrand aussi lui est redevable. Il n’a pas oublié le soutien constant de Pierre Guillain de Bénouville, bras droit de Marcel Dassault et intermédiaire politique discret, acceptant de le défendre jusque devant l’Assemblée, au nom des liens de la Résistance. Ni l’un ni l’autre n’ont envie de bousculer le schéma normal : à 61 ans, Serge Dassault accède enfin à la direction du groupe.

Des années après, Serge Dassault est toujours persuadé que c’est Jacques Chirac et non André Giraud qui a voulu d'entrée l’éliminer. Sa conviction se renforcera avec l’épisode de 1995. À peine arrivé à l’Élysée, Jacques Chirac reprend l’idée de réorganiser l’industrie d’aéronautique et de défense française et de l’inscrire dans un cadre européen. Mais pour cela, il faut reprendre le contrôle de Dassault à la famille et l’amener à fusionner avec Aérospatiale avant de se lancer dans la coopération européenne. La réponse de Serge Dassault à Jacques Chirac est cinglante : « On ne t’a pas payé pour cela », raconte-t-il dans un entretien sur France 3, en mars 2009. « J’ai été sauvé par la dissolution (du Parlement) de 1997 », ajoute-t-il dans son long récit. La grande réorganisation se fera deux ans plus tard. Mais c’est Lagardère et non Dassault qui sera le pilier français de ce qui deviendra EADS, renommé aujourd’hui Airbus.

 

 

« Peut-être est-ce parce que j’ai moins participé à ses campagnes », expliquait Serge Dassault pour justifier ses mauvaises relations avec Jacques Chirac. « Je ne le lui ai jamais pardonné », conclut-il. Même sans cela, il y avait déjà des années qu’une vieille haine opposait Serge Dassault et Jacques Chirac.

Si Serge Dassault déteste Jacques Chirac, il ne tarit en revanche pas d’éloges sur Nicolas Sarkozy. Le jeune maire de Neuilly n’a pas eu besoin de beaucoup d’explications pour comprendre le poids et le rôle de la famille Dassault dans l’organisation du RPR. Très vite, il fait une cour assidue à Serge, qui a en plus l’immense mérite d’habiter sa ville. La rupture entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy renforcera encore les liens. Serge Dassault ne ménagera pas son soutien pour aider à l’ascension de Nicolas Sarkozy, rival de son meilleur ennemi.

« Nicolas Sarkozy, je n’ai vraiment rien à lui reprocher. Il agit de façon concrète », dit Serge Dassault. Le chef d’entreprise aurait du mal à se plaindre. Car rarement une entreprise a été aussi aidée que Dassault sous la présidence de Sarkozy.

 

 
© Reuters

À peine élu, Nicolas Sarkozy se fait le VRP du groupe pour décrocher des contrats de vente du Rafale à l’étranger. Il annonce des grands contrats en Libye, au Brésil, aux Émirats arabes unis, en Inde. Pour l'instant, aucun Rafale n’a finalement été vendu à l’étranger. À l'Élysée, Claude Guéant, anime une cellule spéciale pour assurer le suivi. Le groupe Dassault semble beaucoup plus détaché sur les questions. Il est vrai que le Rafale est désormais plus une question de finances publiques qu’un problème pour le groupe : le programme, qui était estimé à 25,6 milliards d’euros à son lancement en 1985, a déjà coûté plus de 40 milliards. L’État a pris à sa charge 85 % du développement de l’avion imposé par Dassault. Que le groupe en vende ou non à l’extérieur n’est donc pas un problème, il est déjà rentré largement dans ses frais. L’État, par contre…

Thales en cadeau

 

Olivier et Serge Dassault 

Mais le plus beau cadeau fait à Serge Dassault est incontestablement Thales. En mai 2009, Nicolas Sarkozy décide que les 20,6 % du capital du groupe d’électronique et de défense détenus par Alcatel-Lucent seront repris par Dassault, qui est déjà actionnaire du groupe. EADS, qui est sur les rangs, se voit interdire de se porter candidat. Rien ne doit faire obstacle à la prise de contrôle de Dassault. Bien que premier actionnaire de Thales, l’État lui donne toutes les clés, lui laissant le contrôle opérationnel, le choix des hommes, le dispensant même de faire une OPA.

Dassault ne pouvait rêver mieux. Car le groupe traverse une passe très difficile : depuis le Rafale, sorti en 1985, il n’a plus conçu aucun avion de combat. Les fameux bureaux d’études travaillent au ralenti tandis que l’activité d’avion d’affaires – Falcon, filiale américaine du groupe –, ne parvient plus à compenser la chute de la défense, en raison de la crise. Surtout, l’État sort le groupe d’une impasse stratégique : à l’heure des drones et des guerres à distance, ce ne sont plus les avions de chasse qui comptent mais tous les équipements d’électronique de défense. Un domaine où Dassault n’est pas du tout présent, mais où Thales figure parmi les leaders mondiaux. Pour conclure ce bel ouvrage, Nicolas Sarkozy imposera que la construction de drones soit confiée à Dassault travaillant avec des fournisseurs israéliens plutôt qu’à EADS, malgré l’opposition de l’armée.

Thales a été traité, selon la méthode de Serge. Dès l’arrivée du groupe, lui et son bras droit, Charles Edelstenne, véritable dirigeant opérationnel du groupe, ont débarqué le patron du groupe de défense pour le remplacer par un responsable plus docile. L’expérience a duré à peine deux ans : il a fallu trouver en urgence un nouveau dirigeant pour Thales. Un compromis bancal a abouti à la nomination de Jean-Bernard Levy, ancien PDG de Vivendi. Mais même chaotique, cette opération a sauvé le groupe Dassault.

En 2005, Nicolas Sarkozy, bien qu’au gouvernement, organise en tant qu’avocat, en collaboration avec Bernard Monassier, fidèle notaire de la famille Dassault, la succession de Serge, à la demande de ce dernier. Rien n’en a fuité mais les rumeurs et les manœuvres traduisent l’impatience qui gagne.

Comme son père, Serge a refusé de céder la moindre once de pouvoir à ses enfants et les a cantonnés loin des vrais centres de décision. Olivier est chargé de gérer le pôle presse du groupe (Le Figaro, Valeurs actuelles, etc.). Laurent s’occupe avec le mari de sa sœur Marie-Hélène de la discrète et très riche holding Groupement industriel Marcel Dassault (GIMD). C’est là qu’est concentrée la fortune familiale, les Dassault continuant à faire prospérer leurs biens, soit dans des groupes importants – Dassault est notamment actionnaire important de Veolia, de la banque d’affaires italienne Mediobanca aux côtés de Bolloré, de la CNP, la holding d’Albert Frère. Des groupes puissants où la politique et l’influence ne sont jamais très loin de l’argent – soit dans des opérations de diversifications et d’immobilier – Dassault est notamment associé au groupe Borletti dans l’opération du Printemps. Thierry est un investisseur dans les médias et les nouvelles technologies.

En 2009, Oliver Dassault a fini par s’énerver : « Je suis clairement candidat à la succession. Je suis le seul à être ingénieur, à être pilote, à être élu de la nation et à avoir des contacts politiques au plus haut niveau (sic). Je pense être sincèrement le plus qualifié », déclare-t-il dans La Croix. « La succession n’est pas ouverte », a sèchement répliqué Serge Dassault par communiqué de presse. 

Tout pourrait pourtant s’accélérer. Les dernières révélations sur ses agissements à Corbeil-Essonnes affaiblissent durement Serge Dassault. Mais déjà, l’agitation que suscite la conservation de la participation d'Airbus (ex-EADS) à hauteur de 46 % du capital de Dassault laisse à penser que les grandes manœuvres ont commencé autour du groupe Dassault. Chacun, et surtout ses enfants, semble se préparer à la succession. Serge Dassault risque de ne pas pouvoir s’accrocher plus longtemps.

 

 

 

 

 

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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 14:37

 

mediapart.fr

La loi sur l'autonomie des personnes âgées victime de la rigueur ?

|  Par Lénaïg Bredoux

 

 

Plusieurs députés s’alarment de l’avenir du projet de loi sur la dépendance des personnes âgées, promis par le président de la République. Une taxe créée en 2012 était censée assurer son financement. Mais dans le budget 2014, le produit de cette taxe part ailleurs.

 

Les projets de loi de finances recèlent souvent des vices cachés et, pour les députés, le jeu consiste à les traquer. C’est ce qu’ont fait plusieurs parlementaires PS qui suivent le dossier des personnes âgées et qui ont vu disparaître la ligne budgétaire consacrée à la dépendance. Au point que les doutes resurgissent sur l’avenir de la loi sur l’autonomie promise par François Hollande.   

Le dossier est apparemment technique, mais l’enjeu hautement politique : dans le projet de loi de finances (PLF) et celui du financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, présenté la semaine dernière, une ligne a attiré leur attention. Celle concernant la « Casa », la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. Votée l’an dernier, elle devait assurer, avec le lundi de Pentecôte, le financement de la loi sur l’autonomie des personnes âgées, prévue l’an prochain et préparée par la ministre déléguée Michèle Delaunay. Mais pour la deuxième année consécutive, elle servira à abonder un autre fonds, le fonds de solidarité vieillesse qui finance le minimum vieillesse.

 

Michèle Delaunay 
Michèle Delaunay© Reuters

Fin juillet déjà, quand l’hypothèse avait été soulevée par le ministre du budget Bernard Cazeneuve, trois députés socialistes, Martine Pinville, Jérôme Guedj et Christian Paul, avaient écrit au premier ministre pour protester. « Nous demandions que cette taxe puisse aller directement, dès 2014, vers le mieux-vivre des personnes âgées », explique Christian Paul. « Depuis, on a des échanges réguliers », poursuit le député de la Nièvre, qui veut que cette “Casa” serve à « améliorer les dispositifs de soutien aux personnes âgées, comme l’Apa (l’allocation personnalisée d’autonomie, ndlr), et à soutenir la modernisation des maisons de retraites ».

 

Pascal Champvert 
Pascal Champvert© DR

Les acteurs du secteur sont furieux. « C’est une décision extrêmement grave. C’est même du jamais vu d’annoncer une grande loi, de faire payer les gens et de changer l’affectation de la taxe ! Cela me semble d’autant plus grave qu’il ne faut pas s’étonner ensuite que les Français n’aient pas confiance dans l’impôt. Cette manipulation décrédibilise la parole publique », dénonce Pascal Champvert, président de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).

La Casa est une contribution prélevée sur les pensions de retraite (à l’exception des personnes non imposables à l’impôt sur le revenu). Elle doit alimenter « la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en vue de la réforme de la dépendance ». « Le président de la République s’est engagé à mener une réforme de la dépendance pour réduire les charges les plus lourdes pesant sur les personnes âgées dépendantes et leurs familles, dans le cadre d’une loi globale sur le vieillissement. Il est primordial d’assurer un financement pérenne à cette réforme », expliquait l’an dernier le gouvernement dans son budget 2013.

Mais cette année, elle a été affectée au fonds de solidarité vieillesse (FSV), en difficulté financière. « À titre exceptionnel », avait alors promis le gouvernement. Sauf que dans le projet de loi pour 2014, rebelote. La quasi-totalité de la “Casa” (environ 630 millions d’euros sur 640 millions, selon le ministère du budget) doit à nouveau servir à combler le déficit du fonds de solidarité vieillesse, à la demande de Bercy qui guette la moindre ressource budgétaire.

Pour le ministère du budget, « c’est une logique de calendrier et de bonne gestion ». De calendrier parce que la loi sur l’autonomie des personnes âgées a été reportée à l’an prochain. « La “Casa” ne peut pas être affectée à de nouvelles mesures puisque le projet de loi autonomie sera voté en 2014 et ne pourra être appliqué qu’à la fin 2014 », explique-t-on dans l’entourage du ministre du budget Bernard Cazeneuve. De « bonne gestion » parce que le fonds solidarité vieillesse manque cruellement de fonds, à mesure que le chômage augmente. « On a besoin de cette ressource au fonds de solidarité vieillesse. Cela va servir à conforter le modèle social français », insiste le ministère du budget.

 

 

Mais, en toile de fond, c’est l’avenir de la loi sur l’autonomie des personnes âgées qui pose question. « Que dirions-nous aux retraités sur lesquels nous prélevons cette nouvelle recette ? Que la future loi serait une nouvelle fois reportée alors qu’ils contribuent déjà pour qu’elle soit mise en œuvre ? » écrit Jérôme Guedj dans un billet de blog détaillé. Avant d’ajouter : « Il faut tuer dans l’œuf la polémique naissante, qui vise à mettre en doute la volonté affichée par le président de la République, le premier ministre et bien sûr la ministre des personnes âgées et de l’autonomie (Michèle Delaunay, ndlr) de réussir dans l’aboutissement de ce projet, là où Nicolas Sarkozy avait procrastiné tout au long de son quinquennat, à coup d’annonces fracassantes suivies de reports piteux, pour au final ne rien faire. »

Moins pessimiste, le député Christian Paul dit aussi souhaiter voir « dès cette année une préfiguration de la loi sur l’autonomie ». Avec ses camarades, il espère encore améliorer le projet de loi de finances qui sera discuté à l’Assemblée à partir du 15 octobre, et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, à partir du 21 octobre.

« Les moyens de commencer à financer la loi sont aujourd’hui remis en cause. Cela pose la question de la crédibilité de la parole publique. Parce qu’une grande réforme sans financement, je ne sais pas ce que c’est », s’insurge aussi Pascal Champvert pour l’AD-PA, qui regroupe des directeurs de maisons de retraite.

 

 

François Hollande sur la loi sur la dépendance, en janvier 2013.

Pendant la campagne, et depuis qu’il est président, François Hollande s’est à plusieurs reprises engagé à faire voter une loi consacrée à l’autonomie des personnes âgées. Un texte déjà promis par Nicolas Sarkozy et finalement abandonné – c’était à l’époque la réforme de la dépendance. « Le projet de loi sera prêt à la fin de l’année et sera voté courant 2014. On est en période d’arbitrage », précise-t-on dans l’entourage de Michèle Delaunay, sans plus de commentaire. « L’attribution de la Casa ne remet pas en cause la loi autonomie. Elle a vocation à être financée par cette contribution mais quand il y aura la loi, pas avant », explique-t-on à Matignon. « Il n’y a aucune inquiétude à avoir sur le projet de loi autonomie », jure aussi l’entourage de Bernard Cazeneuve à Bercy.

En plein débat sur le « ras-le-bol fiscal », le projet d’un financement massif pour améliorer l’autonomie des personnes âgées a pourtant du plomb dans l’aile. « Ce débat a tout pollué. Et il y a maintenant une vraie crainte que la loi ne soit encore repoussée », explique un spécialiste du dossier. D’autant plus que la dépendance (ou l’autonomie) n’est pas au premier rang des priorités gouvernementales. « Il y a un problème de portage politique au plus haut niveau », dit ce même spécialiste.

Mi-septembre, le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait assuré que le projet de loi serait voté courant 2014. Mais sans donner plus de détails sur le contenu du texte et sans vraiment rassurer. « Effectivement, il y aura des problèmes de financement à certains moments, et des arbitrages à faire, avait-il reconnu devant l’Association des journalistes d’information sociale (Ajis). Nous devrons tenir compte des contraintes liées au nécessaire redressement économique. »

À l'été 2012, quelques semaines après son arrivée au ministère, la ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie Michèle Delaunay expliquait à Mediapart son projet : « Le projet de loi, c’est les 3A, l’anticipation, l’adaptation de la société et l’accompagnement. On le fera, c’est un engagement de François Hollande. Un engagement ferme mais encore peu précis. Les moyens et les périmètres ne sont pas délimités. Ce n’est pas gagné d’avance ! » C’était peu de le dire.

 

 

 

 

 

 

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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 14:13

 

mediapart.fr

Agriculture : le gouvernement ravive la guerre du porc

|  Par Jade Lindgaard

 

 

Le gouvernement veut considérablement simplifier l’installation des gros élevages porcins. Concédée aujourd’hui par la gauche, cette mesure avait été rejetée sous Sarkozy, car jugée trop néfaste pour l’environnement. France Nature Environnement en appelle à François Hollande, qui doit s’adresser au monde agricole ce mercredi.

 

Au sommet de l’élevage de Cournon d’Auvergne, où chaque année s’exposent et concourent les plus beaux bovins du Limousin et d’ailleurs, François Hollande aura peut-être aussi la chance, mercredi 2 octobre, de croiser des éleveurs de cochons reconnaissants. Le gouvernement vient en effet de leur concéder une vieille revendication : l’allégement de la procédure d’installation pour les gros élevages porcins. 

 

François Hollande à Rennes en septembre 2012 (Reuters). 
François Hollande à Rennes en septembre 2012 (Reuters).

Aujourd’hui, pour démarrer une ferme de 450 porcs, il faut au préalable obtenir une autorisation de l’État, conformément aux exigences du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Concrètement, cela signifie commander une étude d’impact sur l’environnement, se soumettre à une enquête d’utilité publique et passer devant le conseil de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst), une instance consultative. « À l’heure actuelle, un dossier met trois ans à aboutir, la procédure est très longue », explique Caroline Tailleur, chargée de mission à la fédération nationale porcine (FNP). En moyenne, un élevage compte 600 “animaux-équivalents” en France, selon elle.

Désormais, jusqu’à 2 000 porcs, il suffira aux éleveurs de déclarer leur projet à la préfecture, et d’indiquer comment ils comptent respecter leur arrêté d’autorisation. Cette mesure entre dans le cadre du « choc de simplification » voulu par le gouvernement pour alléger les procédures administratives. « Il s'agit d'un signe encourageant, très attendu des éleveurs de porcs, en faveur de la modernisation des exploitations, d'une amélioration notable des performances environnementales, sanitaires, économiques... et de la compétitivité de la filière », se réjouissent la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et la Fédération nationale porcine (FNP) dans un communiqué commun.

L’instauration de la simple procédure d’« enregistrement » pour les gros élevages s’est imposée avec une déconcertante rapidité. Proposée par Alain Berger dans son rapport de mission sur la filière porcine en avril, elle figure dans le plan stratégique pour l’avenir de la filière dévoilé en mai, est annoncée par les ministères de l’agriculture et de l’écologie aux syndicats agricoles en juillet, avant d’être, enfin, confirmée par Jean-Marc Ayrault début septembre, en visite au Space, le salon agricole breton – il n’en a pas moins enduré les huées et sifflements d’agriculteurs en colère.

Mais le dossier est plus ancien. Il fut même l’occasion d’une bataille épique sous la présidence Sarkozy. C’est en juin 2009 qu’une ordonnance met en place une forme « light » du régime des installations classées. Très vite, des organisations d’éleveurs demandent à en bénéficier. Le seuil d’autorisation est d’abord remonté pour les vaches laitières passant de 150 à 200 têtes. En 2010, lors de l’examen de la loi de modernisation agricole, le député UMP des Côtes-d’Armor, Marc Le Fur, dépose un amendement proposant de relever de 450 à 2 000 porcs le seuil de passage au régime de l’autorisation, plus contraignant.

 

Extrait de la lettre de Marylise Lebranchu, 28 juin 2010. 
Extrait de la lettre de Marylise Lebranchu, 28 juin 2010.

Des élus socialistes montent aussitôt au créneau. François Brottes, aujourd’hui président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée, et Jean-Paul Chanteguet, au développement durable, alors simples députés, expriment leur désaccord. Encore président de la région Bretagne, Jean-Yves Le Drian – aujourd’hui ministre de la défense – avait alors « solennellement » demandé le retrait de cet amendement « démagogique et dangereux ».

Députée du Finistère, Marylise Lebranchu – aujourd’hui ministre de la réforme de l’État – affirmait qu’« il est évident que le groupe socialiste demandera le retrait de cet amendement qui serait un recul considérable en matière d’environnement dans un contexte de mise en place de lutte contre la prolifération d’algues vertes sur nos plages et l’augmentation du taux de nitrates dans les eaux bretonnes ». Ce n’est pas un hasard si tous deux représentent des circonscriptions bretonnes : la Bretagne accueille 60 % de l’élevage de porcs national et affronte un problème endémique d’invasion de ses plages par les algues vertes (lire ici).

« Colère noire »

Pourquoi une telle unanimité ? Par ses rejets d’azote et de phosphore, le lisier généré par l’élevage de porcs est une cause majeure de la pollution aux nitrates des eaux et terres bretonnes, elle-même responsable du pullulement des algues vertes et des algues bleues toxiques. L’origine agricole de la pollution aux nitrates est contestée par la FNP. Mais dans une question au gouvernement fin 2011, alors simple députée des Deux-Sèvres, la future ministre de l’écologie Delphine Batho la reconnaît sans équivoque : « Les rejets d’azote liés à l’élevage industriel et à l’épandage d’engrais sont considérés comme propices à la prolifération des algues vertes, dont la décomposition provoque des gaz toxiques. »


Cap Coz, Fouesnant, en Bretagne, été 2012 (©Eau et rivières de Bretagne). 
Cap Coz, Fouesnant, en Bretagne, été 2012 (©Eau et rivières de Bretagne).

« Le plan de lutte contre les algues vertes demande de revenir à une agriculture plus extensive et là, on a une décision qui favorise l’intensif », regrette Jean-François Piquot, porte-parole de l’association Eau et rivières de Bretagne. Il insiste : plus que d’autres régions, la Bretagne dépend de ses eaux de surface pour produire son eau potable. Or, elles sont plus vulnérables à la pollution agricole que les nappes phréatiques. Autre particularité de la version light de l’ICPE : les contrôles obligatoires, une fois l’élevage installé, sont moins fréquents. 

En juin dernier, la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la France pour sa mauvaise application de la directive nitrates, pourtant déjà vieille de plus de vingt ans. Une amende de plusieurs dizaines de millions d’euros est encourue, voire d’onéreuses astreintes journalières. 

En 2010, alors secrétaire d’État à l’écologie, Chantal Jouanno oppose une fin de non-recevoir à l’amendement Le Fur : « Il est difficile de dire qu'on fait un plan d'action anti-marées vertes, et en même temps vouloir supprimer un moyen de contrôler les émissions de nitrates à l'origine de ces algues vertes. » Et ajoute que « ces relèvements seraient d'ailleurs incohérents avec les seuils pratiqués dans les pays européens et pénaliseraient l'image de la profession ». Veto aussi définitif de la part de son collègue Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture : « Ce serait envoyer un signal politique négatif » car « si nous touchons les seuils, non seulement nous allons rallumer la guerre du porc, mais en plus l’administration sera contrainte de renforcer ses contrôles. Nous aurons, je le redis, tout perdu ». Résultat, la facilitation des gros élevages bovins est écartée.

 

Concentration en nitrates dans les cours d'eau en Bretagne (2009). 
Concentration en nitrates dans les cours d'eau en Bretagne (2009).

Trois ans plus tard, c’est par la voie réglementaire, et donc sans discussion contradictoire, que l’exécutif socialiste compte procéder à cette simplification administrative. « Les enquêtes publiques sont pourtant une grande conquête démocratique », proteste Jean-François Piquot, qui cite la consultation sur le désensablement du Mont-Saint-Michel, ou encore sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui ont fourni de précieux argumentaires aux associations écologistes.

« Le public sera toujours informé », insiste Caroline Tailleur, de la FNP, qui s’attend à la diffusion de données sur internet. Mais qui saura trouver les sites et les périodes où les consulter ? Les modalités d’application de ce choc de simplification restent à établir. Un décret doit être rédigé, ainsi qu’un arrêté ministériel, le Conseil d’État et le conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) doivent être saisis. À ce jour, les services du ministère de l’environnement n’ont pas encore consacré de réunion au sujet, et aucun calendrier de travail ne semble établi.

Le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, lui, s’est déjà saisi du problème. C’était en mai dernier, et son avis n’a rien d’un blanc-seing : il demande de « veiller à ne pas dénaturer le régime d’enregistrement en y incluant des installations qui ne seraient pas suffisamment standard ou auraient des impacts variables sur l’environnement ». Pour son président, Jacques Venier, maire UMP de Douai (Nord) et ancien président de l’Ademe : « En soumettant les élevages porcins importants à la procédure d’enregistrement, un principe fondamental de ce régime est transgressé. Un élevage porcin important aura forcément un impact sur le milieu dans lequel il se trouve. »

Mais pourquoi la gauche cède-t-elle aux demandes du lobby des éleveurs de porcs ? C’est Matignon qui a voulu cette mesure, au nom de l’équilibre entre la liberté d’initiatives et le droit de l’environnement, trop procédural, trop contourné, et trop impopulaire aux yeux de certains. C’est aussi un cadeau à la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, à la veille d’échéances électorales à risque en 2014.

« Pour nous c’est un casus belli, nous sommes dans une colère noire, c’est totalement inacceptable, prévient Benoît Hartmann, porte-parole de France Nature Environnement (FNE), fédération de 3 000 associations locales, notamment en Bretagne. Nous sommes vent debout contre cette régression environnementale. On nous avait dit que la simplification du droit se ferait à protection constante, c’est déjà faux. On ne lâchera rien. » L’ONG, partenaire institutionnel de l’État dans de nombreuses instances, à commencer par le comité national de la transition écologique, vient de claquer la porte des états généraux du droit de l’environnement et en appelle à François Hollande dans une lettre ouverte. Elle envisage des moyens contentieux « de rétorsion ». Les espoirs soulevés par la conférence environnementale s’épuisent déjà.

 

 

Lire aussi

 

 

 

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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 14:00

 

marianne.net

 

La dette humaine
Mercredi 2 Octobre 2013 à 10:53

 

 

On en parle sans arrêt, mais on la connaît mal. Dans «Dette, cinq mille ans d'histoire», véritable best-seller aux Etats-Unis, l'anthropologue David Graeber décrypte le fonctionnement de la dette. Une analyse passionnante par l'un des initiateurs d'Occupy Wall Street.

 

Illustration - C. VILLEMAIN/20 MINUTES/SIPA
Illustration - C. VILLEMAIN/20 MINUTES/SIPA
Qui de nous a fait attention au nouveau billet de 5 euros ? Un simple petit biffeton de presque rien. Aussi moche et sans saveur que son prédécesseur et ses grands frères de 10, 20, 50, 100, 200 et même 500 (rarissimes dans nos contrées). Apparemment, il n'y a aucune raison de considérer ce minuscule rejeton de la famille, aux couleurs pisseuses et illustré d'un motif volontairement sans signification, donc sans intérêt.

Pourtant, en regardant bien, on distingue une sorte de griffonnage qu'on imagine réalisé avec une pointe Bic : « MDraghi ». Ce MDraghi, pour Mario Draghi, a remplacé récemment « JcTrichet », pour Jean-Claude Trichet. Le paraphe de « SuperMario » signifie : « Moi, président (de la BCE), je m'engage à rembourser 5 euros dès qu'on présentera ce billet au guichet de ma banque. » Il s'agit donc d'une reconnaissance de dette ! Et c'est justement parce que c'est une dette que nous nous disons, en rangeant le billet dans notre portefeuille : « C'est du sûr. »

Car, à moins d'habiter à Chypre, nous sommes certains que Mario Draghi paiera les 5 euros. Mais pourquoi avons-nous confiance dans la signature d'un homme que nous connaissons à peine, et pas dans le sigle de l'institution imposante qu'est la Banque centrale européenne, comme les Américains attachent de la valeur à l'improbable signature de Jack Lew, le secrétaire d'Etat au Trésor des Etats-Unis, imprimée sur les dollars ?

Nous avons donc de la dette en poche. Et nous trouvons ça très bien. Mais, lorsque nous lisons les journaux qui évoquent la dette grecque, française, italienne, espagnole, nous sommes scandalisés par la punition infligée à ces peuples par la troïka Fonds monétaire international-Banque centrale européenne-Union européenne. C'est ce paradoxe qu'explore l'anthropologue américain David Graeber dans son livre Dette, cinq mille ans d'histoire, qui vient de sortir en français.

De victime à coupable

Graeber prend à rebours la définition des économistes orthodoxes pour qui la dette et les taux d'intérêt sont le simple prix à payer pour le temps (celui de l'investissement) et le risque (de tout perdre). Un instrument neutre, comme aiment à le prétendre les libéraux. Une mystification pour l'auteur : la dette est un instrument de la domination des hommes sur les hommes. « Pourquoi la dette ? D'où vient l'étrange puissance de ce concept ? Sa flexibilité est le fondement de son pouvoir. L'histoire montre que le meilleur moyen de justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, consiste à les recadrer en termes de dettes. Cela crée aussitôt l'illusion que c'est la victime qui commet un méfait. »

C'est ainsi qu'au XIXe siècle les colonisateurs français de Madagascar inventèrent de toutes pièces une « dette », en exigeant que les Malgaches remboursent les frais de leur occupation. Ou encore que le gouvernement du roi Charles X obligea en 1825 la jeune république d'Haïti à emprunter (en France, bien sûr) la somme énorme de 150 millions de francs-or (l'équivalent de 18 milliards de dollars actuels), afin de « dédommager » les anciens colons, français bien entendu, chassés vingt ans plus tôt lors de l'indépendance. Les descendants des esclaves ont dû payer pour la libération de leurs parents, jusqu'à la cinquième génération. Haïti est encore aujourd'hui le synonyme de « dette infâme », symbole de toutes les extorsions perpétrées par le fort sur le faible.

Une forme d'assurance

Et pourtant nous continuons à penser que « tout le monde doit payer ses dettes ». Nous y mettons même un point d'honneur. Rien n'est pourtant moins évident que cet adage. Depuis la nuit des temps, les hommes se prêtent entre eux. Bien avant le troc, bien avant la monnaie, ils échangeaient entre voisins des biens et des services en se reconnaissant des créances réciproques. Nul besoin d'éponger la dette : l'assurance que l'échange perdurerait suffisait.

Avec l'irruption du marché, il y a cinq mille ans, et des taux d'intérêt, la dette change de sens : elle devient le signe de l'infériorité matérielle et morale des débiteurs à l'égard des créanciers.

La religion s'en mêle. « Pour les anciens brahmanes, la dette est synonyme de culpabilité et de péché », rappelle Graeber. Les hindouistes ont écrit leurs textes vers 1500 av. J.-C. Trois mille cinq cents ans plus tard les économistes Michel Aglietta et André Orléan inventent le concept de « dette primordiale »*. C'est une « dette de vie », écrivent-ils en « reconnaissance des vivants à l'égard des puissances souveraines, dieux et ancêtres ». « L'homme naît endetté. Il l'est avec sa communauté, avec sa famille, avec les dieux.» Evidemment, il est impossible de rembourser totalement une vie et on passe donc son existence sur Terre à la rembourser par les sacrifices.

Ces péchés qu'on rachète

De ces âges obscurs nous est resté un vocabulaire qui mêle intimement argent et morale. En anglais, le Jugement dernier est appelé Reckoning, le « règlement des comptes ». Le mot guilty (« coupable ») est dérivé du vieil anglais geild, qui signifiait « indemnité » ou « sacrifice », et de l'allemand geld (« argent »). Pour les juifs et les chrétiens, la « rédemption » veut également dire le « rachat ». Jésus meurt sur la croix pour racheter les péchés de l'humanité. Avec un surmoi collectif pareil, pas étonnant que la majorité des Européens d'aujourd'hui, et pas seulement les Allemands, obtus, forcément obtus, estiment que les Grecs sont les premiers responsables de leur malheur.

Le sort du débiteur étant de son fait, le créancier est donc habilité à agir envers lui, presque comme bon lui semble, et jusqu'à la sauvagerie. La manière la plus ancienne et la plus pratique a été de se saisir de sa personne ou de celles de ses épouse, fils ou filles, pour les faire travailler jusqu'au remboursement du capital et des intérêts. La dette est donc intimement liée à l'esclavage, au moins autant qu'à la guerre, grande pourvoyeuse de captifs.

Et pas seulement dans les sociétés antiques. L'exploitation de l'Amérique à partir de la conquête s'est réalisée essentiellement grâce à l'utilisation de millions de péones, des paysans endettés réduits au travail forcé sur les latifundia de leurs créanciers. On s'en souvient peu, mais la loi d'interdiction de l'esclavage promulguée par Abraham Lincoln lors de la guerre de Sécession libère aussi des travailleurs blancs surendettés. L'Inde n'a supprimé les dernières lois permettant l'esclavage pour dettes qu'en 1 975 et le Pakistan qu'en 1992.

C'est ainsi que, depuis trois mille ans, possédants et possédés s'affrontent avec acharnement. Et si l'image de l'endetté est mauvaise, celle de l'usurier, du banquier l'est encore davantage, jusqu'à les placer en marge de la société, comme les juifs sous l'Ancien Régime. « Chaque fois qu'un conflit ouvert a éclaté entre classes sociales, il a pris la forme d'un plaidoyer pour l'annulation des dettes, la libération des asservis et, en général, pour la redistribution équitable des terres », explique David Graeber. A partir du XIXe siècle av. J.-C., les Mésopotamiens, ceux-là mêmes qui avaient inventé le prêt à intérêt vers 3000 av. J.-C., « effacent les ardoises » pour éviter les révoltes et continuer à percevoir des impôts.

L'abandon des créances tous les sept ans, institué par Moïse, rétablit l'égalité entre les enfants d'Israël, conformément au mythe fondateur : « Je suis l'Eternel, ton Dieu, qui t'a sorti de la maison d'esclavage en Egypte.»

Une course à l'abîme

Au VIe siècle avant notre ère, dans Athènes, petite cité au bord de la révolution sociale, le législateur Solon décrète la remise des dettes et l'interdiction de l'asservissement. Il fait franchir un pas de géant à la démocratie : désormais chaque citoyen est à la même distance du pouvoir (isocratie) et a donc vocation à l'exercer. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Keynes appelait à « euthanasier les rentiers » afin d'ouvrir le chemin à un nouveau contrat social progressiste.

Au tournant du XXe siècle, le capitalisme financier a eu l'ambition de faire tourner la machine à l'envers en permettant à tout le monde de devenir rentier, de manière que tous les « travailleurs » puissent happer un fragment des profits créés par leur propre exploitation. On a appelé cela « la démocratisation de la finance ». Formidable renversement opéré par la magie des marchés spéculatifs : les pauvres, ou du moins les classes moyennes laborieuses, fournissent l'épargne qui permet de prêter aux riches, qui eux, abusent de l'emprunt pour spéculer sur l'immobilier, les matières premières, les monnaies... Comme dit la chanson : « le monde a changé de base », non pas, hélas, grâce au communisme, mais avec la révolution reaganienne.

Pour interrompre cette course à l'abîme, David Graeber, rejeton de la gauche radicale américaine, appelle à en finir avec les dettes, par un « jubilé biblique planétaire ». Effaçons toutes les ardoises, et imaginons enfin des relations dont le centre ne soit pas l'argent. Pour être enfin humains.

* La Monnaie souveraine, 1998, ouvrage collectif 1998, éditions Odile Jacob.

Pour une anthropologie anarchiste (Lux). Dette, cinq mille ans d'histoire, Les liens qui libèrent, 624 p., 29 euros.

 

Article publié dans le numéro 857

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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 16:37

 

mediapart.fr

Robert Salais: les échecs de l'Europe

|  Par François Bonnet

 

 

Dans un essai Le Viol d'Europe, l'économiste Robert Salais revisite soixante ans de construction européenne. Pour pointer les échecs successifs qui ont réduit l'Europe à une simple pièce d'un ordre mondial néolibéral.

 

 

 


À quelques mois des élections européennes et alors que la crise de l'euro menace de repartir, c'est un essai qu'il faut lire. Dans Le Viol d'Europe, l'économiste Robert Salais revisite méthodiquement, texte après texte, soixante années de construction européenne. Objectif : déconstruire le grand récit officiel qui n'a cessé de « vendre » aux citoyens une Europe des peuples libres et égaux, assise sur le progrès social et l'approfondissement démocratique.

Or c'est un tout autre paysage européen qui a surgi avec les crises qui se succèdent depuis 2008. Cette Europe vantée par les pères fondateurs, relancée par Jacques Delors, n'est pas : à l'inverse l'Union européenne n'est devenue qu'une simple pièce d'un ordre mondial néolibéral. « L'énigme européenne est là, dans ce divorce entre l'Idée au nom de laquelle tout est fait, et la réalité de ce qui se passe. Elle est dans ce paradoxe qu'en travaillant soi-disant à réaliser l'idée d'Europe, le processus politique européen la fait disparaître », écrit Robert Salais.

Pourquoi ces échecs en série, pourquoi Jacques Delors n'a-t-il pas pu faire valoir l'« Europe sociale », pourquoi le rêve européen a-t-il mué en un cauchemar néolibéral ? Entretien.

Robert Salais, Le Viol d'Europe, PUF, 425 pages, 20 euros.

 


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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 16:17

 

marianne.net

 

Le couteau de Cameron sous la gorge des chômeurs anglais
Lundi 30 Septembre 2013 à 20:00

 

Lucille Fonteny

 

Les Conservateurs au pouvoir en Grande Bretagne annoncent une mesure qui force les chômeurs de plus de deux ans à effectuer 30 heures de travaux d’intérêt général, sous peine de se voir retirer leurs allocations.

 

David Cameron - REX/Steve Back/REX/SIPA
David Cameron - REX/Steve Back/REX/SIPA
C’est le dernier né du gouvernement Cameron pour lutter contre un assistanat clairement dénoncé et une économie qui peine à se relancer. Le ministre des Finances, George Osborne, a annoncé lundi en marge de la conférence annuelle du parti conservateur que les 200 000 bénéficiaires des allocations chômage, sans emploi depuis deux ans, seraient contraints à effectuer des travaux d’intérêt général.

Les chômeurs de longue durée devront effectuer 30 heures de travaux d’intérêt général hebdomadaires (ramasser les poubelles dans les rues, cuisiner pour les personnes âgées, ou travailler dans une organisation caritative…), pour gagner leur indemnité ou se rendre tous les jours dans leur Agence pour l’emploi. Des stages supervisés par ces agences seront obligatoirement suivis par ceux qui souffrent de problèmes tels que l’alcoolisme ou l’analphabétisme. Baptisé « Help to work », ce dispositif coûtera à l’Etat 300 millions de livres, et devrait entrer en vigueur en avril prochain. La punition pour une première infraction est de quatre semaines d’indemnités en moins, et de trois mois pour la seconde infraction.

Insistant sur un chemin de la croissance « loin d’être retrouvé », M. Osborne a affirmé que « personne ne recevrait quelque chose sans contrepartie»«Pour la première fois, tous les chômeurs de longue durée qui sont capables de travailler devront faire quelque chose en échange de leurs allocations et afin qu’on les aide à trouver un emploi», a-t-il dit.

Rattraper les Travaillistes dans les sondages

Selon le quotidien The Guardian, les sondages révèlent que la population britannique évolue en faveur d’une politique moins généreuse en ce qui concerne les aides octroyées par l’Etat. Cette radicalisation peut être interprétée comme une tentative du Parti Conservateur de réduire l’écart avec le Parti Travailliste en tête dans les sondages d’opinion, après un discours plutôt populiste de la part d’Ed Miliband, leader du principal parti de gauche. Lors d’une conférence la semaine dernière, il avait notamment proposé de geler le coût de l’électricité s’il était au pouvoir en 2015. 
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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 16:04

 

 

marianne.net

Ce soir on ne parle pas d’argent
Mardi 1 Octobre 2013 à 13:00

 

Bertrand Rothé

 

Ce soir, deux sociologues et un réalisateur Antoine Roux nous permettent de suivre quatre « riches ». Ce type d’enquête est la spécialité des Pinçon-Charlot. Le couple a consacré sa vie à les étudier.

 

Ce soir on ne parle pas d’argent

« Sans les riches une nation n’existe pas vraiment » nous dit Paul Dubrule. Plus cynique Warren Buffet disait il y a quelques années « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».


Ce soir, deux sociologues et un réalisateur Antoine Roux nous permettent de suivre quatre « riches ». Ce type d’enquête est la spécialité des Pinçon-Charlot. Le couple a consacré sa vie à les étudier. Grâce à leur entregent les ponts-levis s’ouvrent ainsi que les portes des chaix et ceux des vestiaires d’Agen. Quatre portrais : deux héritiers, l’un des fondateurs d’Accord et un nouveau notable dopé par la bulle technologique…


Quatre histoires bien différentes. Les deux premiers sont des héritiers, ils sont propriétaires de leurs châteaux et se débâtent pour les entretenir. Ceux là sont touchants, coincés entre les pierres ils sentent un peu le sapin.


Fortunes faites les deux autres ont encore envie d’en croquer. Alain Tingaud gère son club de rugby d’Agen comme une entreprise. Faire des coups en se faisant plaisir ! Rien n’arrête l’ogre. Paul Dubrule, le dernier de la bande, l’un des deux fondateurs d’Accor fait preuve d’une morgue extraordinaire. Cet ancien sénateur est un évadé fiscal et fier de l’être. C’est sûrement le plus légitime de la série. Multimillionnaire, il roule en Rolls et se promène dans son ancienne entreprise comme un aristocrate.  Son âge et avec son statut lui permettent de faire preuve d’un cynisme patelin…


Conscients de l’intention des auteurs, les quatre personnages posent, certains avec une certaine maladresse. Les nouveaux riches cultivent leurs vignes comme les héritiers entretiennent le château. Chacun essayant de dépasser son statut pour celui d’aristocrate ou de mécène. Le réalisateur n’est pas dupe. Il respecte leur volonté, sûr que son savoir faire de monteur permettra de souligner le comique de certaines mises en scènes. Sûr enfin que le dernier mot appartient à la voix off.


Dans ce petit milieu les non dits sont aussi importants. Ici on ne parle pas d’argent ou très peu. Du reste on ne sait pas très bien d’où vient leur fortune. Travail ou capital ? Ce n’est qu’un détail. Un des châtelains ne sait même plus combien a coûté la réparation de sa toiture. « Quelques dizaines de milliers d’euros. Mais ce n’est pas ça le plus important. Ce qui l’est, c’est que cela permet de conserver des savoir-faire qui sans cela disparaîtraient ».


S’il le dit.


Au Bonheur des riches, documentaire d'Antoine Roux, ce soir sur France 2, 22h35

 

 

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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 15:56

 

mediapart.fr

Prothèses PIP : un rapport interne met en cause l'agence du médicament

|  Par Michel de Pracontal

 

 

Un document confidentiel montre que l'agence du médicament a réagi à l'affaire PIP avec au moins deux ans de retard, n'a pas utilisé les informations dont elle disposait et a ensuite cherché à dissimuler sa propre incurie, notamment dans un autre rapport, officiel celui-là.

 

Un rapport interne à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), resté confidentiel mais que Mediapart a pu se procurer, critique très sévèrement l’attitude de l’agence dans l’affaire des prothèses PIP. Il fait apparaître que l’Afssaps a réagi avec au moins deux ans de retard aux signaux d’alerte qu’elle a reçus, alors qu’elle aurait pu éviter des milliers d’implantations de prothèses PIP dans cet intervalle de temps. La direction de l’agence n’a pas divulgué ce document interne dont elle avait connaissance, mais a diffusé un rapport officiel, remis à Xavier Bertrand en février 2012, expurgé des informations les plus gênantes pour l’Afssaps.

Les prothèses PIP ont été retirées du marché en mars 2010 après une inspection de l’Afssaps qui a montré qu’elles contenaient un gel non autorisé pour l’usage médical. Mais cette décision aurait dû être prise bien avant, selon le document confidentiel qui démontre que l’agence aurait pu suspendre la commercialisation dès 2007 ou 2008. Et a, du même coup, laissé inutilement 6 000 à 10 000 femmes se faire implanter des prothèses PIP. De plus, l’Afssaps a tardé à conseiller l’explantation préventive des prothèses, alors que le risque de toxicité du gel PIP n’a toujours pas été évalué de manière rigoureuse.

 

Le site de PIP à La Seyne-sur-Mer 
Le site de PIP à La Seyne-sur-Mer© Reuters

D’après nos informations, ce rapport non publié a été rédigé pendant le premier trimestre 2012 et transmis à la direction de l’agence début avril 2012. Il a été saisi, également en avril 2012, lors d’une perquisition effectuée à l’ANSM à la demande de la juge d’instruction Annaïck Le Goff, en charge du volet homicide et blessures involontaires de l’affaire. Rappelons qu’un premier procès pour tromperie aggravée et escroquerie – sans instruction – s’est tenu en mai dernier à Marseille (voir ici). En revanche, l’instruction du juge Le Goff n’est pas close, et l’on ignore quelles suites la justice donnera aux révélations contenues dans le document de l’Afssaps, si elle en donne. 

Un certain nombre d’informations montraient déjà que l’Afssaps avait été lente à répondre aux alertes sur les prothèses PIP. En particulier, elle n’a pas réagi aux avertissements lancés fin 2008 par un chirurgien de Marseille, le docteur Christian Marinetti, qui signalait un nombre anormal d’incidents dus à un « matériel défectueux » et s'inquiétait de la toxicité du gel (voir notre article ici). Mais c’est la première fois que la critique émane de l’intérieur de l’agence. Le rapport confidentiel s’appuie uniquement sur les données de matériovigilance dont disposait l’Afssaps avant l’éclatement de l’affaire pour conclure que « l’augmentation des ruptures pour les prothèses PIP est amorcée dès 2006 » ; selon le document, même en tenant compte d’un délai de latence, « l’Afssaps aurait dû réagir dès 2007 et au plus tard en 2008 ». Ce qui aurait permis d’éviter d’implanter « entre 12 891 et 20 933 unités (au minimum entre 6 445 et 10 466 femmes), soit un tiers des porteuses des implants PIP ».

Le document confidentiel reproche aussi à l’Afssaps d’avoir cherché à rassurer les porteuses de prothèses PIP alors qu’elle ne disposait que de données toxicologiques incomplètes : « Il est incompréhensible, lit-on dans le rapport, qu’une agence sanitaire compétente, en se fondant sur des données de génotoxicité et d’irritation locale à court terme, puisse rendre des conclusions rassurantes sur des gels dont le processus de fabrication, la caractérisation physico-chimique, l’évaluation du danger… sont inconnus. » Et cela, alors que la durée d’exposition à ces gels peut dépasser dix ans pour certaines patientes.

Selon le document, l’Afssaps aurait dû recommander l’explantation préventive des prothèses immédiatement après avoir suspendu leur commercialisation, en mars 2010. Pourtant, en avril 2011, l’Afssaps conseillait encore un « examen clinique et une échographie tous les six mois », mais pas d’explantation si la prothèse n’était pas rompue (voir sur le site de l’ANSM ici). Il a fallu attendre décembre 2011 pour qu’une recommandation du ministère de la santé préconise une explantation préventive « même sans signe de détérioration de l’implant ». Cette recommandation ne résultait pas d’une meilleure évaluation du risque ; elle faisait suite à l’annonce du décès dû à un lymphome d’une patiente porteuse d’une prothèse PIP (mais on n’a pas établi de lien entre ce lymphome et la prothèse).

Selon le rapport confidentiel, « la décision de retarder l’explantation des femmes porteuses d’implants PIP (d’une durée) estimée à un ou deux ans a comme conséquence une exposition supplémentaire qui aurait pu être évitée, car compte tenu de l’absence de données toxicologiques, le doute aurait dû profiter aux patientes ».

Le document ne conclut pas sur le risque de cancer, car les données dont on dispose ne permettent pas de se prononcer, ni dans un sens ni dans l’autre. Après la découverte de la fraude, l’agence a fait réaliser un certain nombre de tests sur des échantillons de gel PIP. Ces tests ont montré que le gel pouvait être irritant mais ils n’ont pas mis en évidence de génotoxicité (laquelle peut entraîner un risque de cancer). Cependant, les données recueillies par l’Afssaps ne sont pas suffisantes pour établir un profil toxicologique des gels. Qui plus est, les résultats sur la génotoxicité obtenus en 2010 sont douteux, et ont dû être confirmés par de nouveaux tests en 2011.

Quoi qu’il en soit, aucun de ces éléments ne permet d’écarter définitivement un risque de cancer. Pourtant, sur le site de l’ANSM, on peut lire une « information importante concernant le suivi des femmes porteuses d’implants PIP » selon laquelle « il n’y a pas de données permettant de conclure à un sur-risque de cancer ». Le site de l’Agence cite en référence un avis de l’Inca (Institut national du cancer) daté du 22 décembre 2011, avis qui conclut « à l’absence de sur-risque d’adénocarcinome mammaire (cancer du sein) chez les femmes porteuses d’implants en comparaison avec la population générale ». Seul problème : fin 2011, on avait relevé moins d’une quinzaine de cas de cancers du sein chez les porteuses de prothèses PIP. Depuis, ce nombre a plus que quadruplé : 70 cas en mai 2013.

« Pas d'alerte significative avant 2009 »

Le seul moyen de vérifier l’absence de risque de cancer du sein pour les porteuses d’implants PIP serait de mener une étude épidémiologique rigoureuse, ce qui n’a pas été fait. Ajoutons que même sans rupture de la prothèse, le gel peut suinter de manière « silencieuse », et donc entraîner un risque potentiel. Le message selon lequel le gel PIP, malgré son caractère irritant, n’est pas cancérigène a été largement diffusé par les autorités sanitaires dans les médias, alors qu’il ne repose pas sur des preuves suffisantes.

 

Prothèse PIP défectueuse 
Prothèse PIP défectueuse© Reuters

Indépendamment du risque de cancer, les gels PIP contiennent un composé appelé siloxane D4, lequel est classé comme reprotoxique (c’est-à-dire qu’il peut affecter la fonction reproductrice). Dans le gel médical homologué (en l’occurrence, le gel Nusil), la concentration de D4 est limitée à une valeur très basse (50 ppm) de manière à éviter ce risque. L’Afssaps a fait réaliser, en septembre 2010, dans son laboratoire de Montpellier, une série d’analyses qui ont montré que les gels PIP contenaient jusqu’à 400 ou 500 ppm de D4, tandis que les enveloppes des prothèses en contenaient plus de 1 %. Cela implique que le gel PIP peut avoir des propriétés reprotoxiques.

Le problème se complique du fait que la composition des gels PIP a varié dans le temps et n’a pas été étudiée systématiquement en fonction des lots de prothèses, de sorte qu’on ne sait pas exactement ce que contient le gel de la prothèse d’une patiente donnée. Mais en tout état de cause, l’Afssaps avait assez d’éléments, en 2010, pour recommander à toutes les porteuses de prothèses PIP de se les faire retirer, à titre de précaution.

Selon le document confidentiel, la question primordiale, toujours sans réponse, est de savoir « pourquoi l’Afssaps a décidé de retarder la décision d’explantation des porteuses des implants PIP alors que les données toxicologiques disponibles ne permettaient pas, même en absence de potentiel génotoxique, de conduire une évaluation du risque selon l’état de l’art ».

Cette question a été soigneusement évacuée d’un autre rapport, tout à fait officiel celui-là, remis en février 2012 à Xavier Bertrand, alors ministre de la santé. Son objet était de faire le point sur l’ensemble des contrôles effectués par les autorités sanitaires sur la société PIP. Ce rapport, qui retrace la chronologie des rapports entre PIP et l’administration depuis 1995, ne contient guère de révélation (voir notre article ici). Mais il démontre implicitement l’inefficacité du système de vigilance français, dont l’attention avait été attirée sur la société PIP dès 1996.

Le rapport de février 2012 est cosigné par la DGS, la direction générale de la santé, mais d’après nos informations l’essentiel de son contenu a été rédigé par des experts de l’agence. Ce rapport confirme que les tests effectués par l’Afssaps ne suffisent pas à écarter les risques de toxicité des gels PIP et que les éléments dont on dispose justifient « à titre de précaution, l’explantation des prothèses et la surveillance des femmes implantées ». Mais alors, pourquoi l’agence n’a-t-elle pas recommandé cette précaution dès qu'elle a été informée de la présence de D4 ?

À titre de comparaison, l’Agence des produits médicaux suédoise (équivalent de l’ANSM) a recommandé en 2013 de retirer préventivement toutes les prothèses PIP, précisément à cause des « risques d’inflammation grave » dus à la teneur élevée de D4 dans les gels de ces prothèses. Aujourd'hui encore, sur son site, l’agence française conseille simplement que les chirurgiens proposent à leurs patientes une explantation « à titre préventif et sans urgence ».

Le rapport officiel ne s'attarde pas sur ce point. Pas plus qu’il n'évoque le retard avec lequel l’agence a réagi. L’analyse des données de matériovigilance, telle qu’elle est présentée dans le rapport de février 2012, accrédite la position soutenue par l’agence : il n’y avait pas d’alerte significative avant 2009. En revanche, l’étude statistique qui montre une augmentation des taux de rupture des prothèses PIP en 2006, justifiant une action de l’Afssaps dès 2007, ne figure pas dans ce rapport officiel.

Cela aurait pourtant dû être le cas. L’expert qui a rédigé le document confidentiel cité plus haut faisait partie du groupe de travail qui a établi le rapport de février 2012. Pour pouvoir réaliser une évaluation correcte du risque, il a demandé à la direction de l’agence d’accéder à l’ensemble des données disponibles sur les ruptures des prothèses PIP, les effets indésirables, etc. Cet accès lui a été refusé, explique-t-il dans le document. Mais on lui a tout de même transmis un tableau partiel ou figuraient les données recueillies de 2001 à 2009 sur les ruptures de prothèses (donc avant le début du scandale sanitaire en 2010). C’est à partir de ces données qu’il a réalisé son analyse statistique montrant une augmentation des taux de rupture des prothèses PIP dès 2006.

Pourquoi cette analyse ne figure-t-elle pas dans le rapport officiel de février 2012 ? Selon un courriel que Mediapart a pu consulter, daté du 16 janvier, l’auteur du document confidentiel a demandé à modifier le sommaire du rapport pour y inclure l’analyse statistique des données de rupture. En vain.

Le rapport officiel de 2012 a été expurgé

Le rapport officiel présente certes une analyse statistique, mais partielle : elle ne prend en compte que les déclarations des professionnels de santé, autrement dit celles des chirurgiens qui ont constaté des incidents après avoir implanté des prothèses PIP. Par contre, les données de matériovigilance fournies par le fabricant sont écartées du rapport officiel. Le document confidentiel, lui, analyse les données globales, donc à la fois celles fournies par le fabricant et celles émanant des chirurgiens.

Or, il est bien connu que, d’une manière générale, les médecins et les professionnels de santé ont tendance à sous-notifier les effets indésirables, qu’il s’agisse de médicaments ou de dispositifs médicaux tels que des prothèses. Cela a été souvent observé, notamment dans le cas du Mediator. En ce qui concerne les prothèses PIP, on a constaté après coup que les chirurgiens n’avaient notifié qu’une petite partie des cas de rupture, du moins avant que le scandale éclate en 2010. Lorsque les prothèses PIP ont été interdites, les déclarations des chirurgiens se sont soudain multipliées, et encore plus après la révélation du cas de lymphome fin 2011.

Le rapport officiel note bien qu’« une augmentation du taux de rupture provenant du fabricant a été constatée » entre 2007 et 2009, mais explique, sans rire, que cette augmentation a été « considérée comme un artefact lié à la sur-déclaration de PIP ». Autrement dit, l’agence n’aurait pas pris en compte les incidents signalés par PIP parce qu’elle aurait jugé que le fabricant en déclarait trop…

 

Fût de produit non conforme livré à PIP 

Le rapport officiel de février 2012 ne contient pas non plus l’exposé complet des données de toxicologie recueillies par l’agence, notamment des analyses qui montrent la présence d’une teneur élevée de D4 dans les gels PIP. Un expert du groupe de travail (différent de l’auteur du document confidentiel présenté ici) avait pourtant demandé que ces éléments figurent de manière détaillée dans le rapport. Une note de bas de page elliptique fait allusion au fait que le D4 est susceptible de nuire à la fertilité, sans autre précision. Et un autre passage mentionne des « teneurs élevées en siloxanes D4 à D13 », mais ne donne pas les résultats chiffrés et n’en tire pas de conclusion pour les porteuses de prothèses PIP.

Au total, le rapport officiel a été expurgé des éléments qui pointaient les manquements importants de la gestion par l'Afssaps de l'affaire PIP. Manquements mis en évidence par notre document confidentiel. La direction actuelle de l'agence s'est abstenue de divulguer ce document et a cautionné la version des faits édulcorée que présente le rapport officiel. Et cela, en désaccord avec certains de ses propres experts. La nouvelle direction de la nouvellement nommée ANSM, mise en place en 2011 après l’affaire Mediator, avec à sa tête Dominique Maraninchi, successeur de Jean Marimbert, devait éviter les errements antérieurs. Si l’agence a changé de sigle, elle n’a pas rompu avec les pratiques opaques et l’inertie reprochées à l’ancienne Afssaps.

 

 

 

 

 

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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 15:30

 

 

marianne.net

Affaire Bettencourt : pourquoi Sarkozy joue son va-tout !
Mardi 1 Octobre 2013 à 12:58

 

 

 

Nicolas Sarkozy - BEBERT BRUNO/SIPA
Nicolas Sarkozy - BEBERT BRUNO/SIPA

Mis en examen pour abus de faiblesse dans le cadre de l'affaire Bettencourt, l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, s'est donc pourvu en cassation contre l'arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 septembre dernier validant la quasi-totalité de l'instruction des magistrats bordelais.

Huit des douze mis en examen dans ce dossier, dont Nicolas Sarkozy, donc, mais aussi son ancien ministre du Budget Eric Woerth, ont en effet contesté cet arrêt qui validait notamment une expertise médicale clef du dossier selon laquelle la vieille dame était en état de vulnérabilité depuis 2006 et pouvait donc être victime d'abus de faiblesse. Une décision qui confirmait aussi que la mise en examen de l'ancien chef de l'État n'était pas entachée de nullité et qui rendait même hommage aux juges d'instruction pour la "rigueur" et la "fermeté" dont ils ont "su faire preuve". 

Ce pourvoi en cassation en dit long sur un bobard savamment distillé ces dernières semaines par le clan Sarkozy. Selon ce bobard, le juge d’instruction, Jean-Michel Gentil, aurait eu l’intention de rendre une ordonnance de non-lieu en faveur de Nicolas Sarkozy – comme le lui a d’ailleurs suggéré le parquet. A entendre les amis de l’ancien Président, le magistrat aurait fini par prendre conscience de la fragilité des charges pesant sur le justiciable Sarkozy. D’où l’idée qu’au fond, Nicolas Sarkozy n’avait aucun intérêt à se pourvoir en cassation. Ce scénario bidon a été écrit, décrit, raconté avec force détails dans tous les médias depuis des semaines. Patatras ! Nicolas Sarkozy se pourvoit en cassation. Pourquoi ? Parce que, contrairement à ce qu’il a fait dire, il craint bel et bien d’être renvoyé en correctionnelle. 

Entre deux maux, choisissons le moindre ! Nicolas Sarkozy prend le risque de perdre un an de plus, quitte à devoir ensuite jongler avec un calendrier judiciaire et un calendrier politique fort peu compatibles. Preuve que les avocats de Nicolas Sarkozy, ne sachant rien des intentions réelles du magistrat instructeur, préfèrent explorer toutes les voies de droit pour éviter l’humiliation d’un renvoi en correctionnelle. 

Le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation va désormais décider si l'affaire doit être examinée en urgence. Si ce pourvoi est jugé recevable, cette nouvelle étape judiciaire pourrait prendre plusieurs mois. Ce n’est donc qu’en 2014 qu’on saura définitivement si l’instruction de l’affaire Bettencourt est ou non validée. Ce qui signifie, au mieux, que le procès Bettencourt en première instance n’aura lieu qu’au premier semestre 2015. En cas d’appel, le second procès n’interviendrait qu’en 2016. C’est-à-dire au plus mauvais moment pour un éventuel futur candidat à l’élection présidentielle de 2017. 

En vérité, ce pourvoi en cassation ressemble à s’y méprendre à un va-tout politique autant que judiciaire.

 

 

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