Genève, de notre correspondante
C’est un constat froid et documenté qui s’ajoute aux nombreux articles de presse, rapports d’ONG, démêlés judiciaires et scandales recensés dans le monde entier. Les grandes sociétés pharmaceutiques, qui depuis une vingtaine d’années délocalisent toujours plus leurs essais cliniques dans les pays en développement ou émergents, continuent de piétiner, dans la plus totale opacité, les standards éthiques internationaux.
Intitulée « Des cobayes humains au rabais », l’étude récente de l’ONG helvétique la Déclaration de Berne (DB) est le résultat d’enquêtes de terrain menées en Ukraine, en Russie, en Argentine et en Inde, entre juin 2012 à juillet 2013. Quatre pays dans lesquels les géants suisses Novartis et Roche réalisent, à moindre coût, une part importante de tests sur de nouveaux médicaments, profitant des lacunes des systèmes étatiques de santé, de la défaillance des mécanismes de surveillance et de la corruption.
Quand on évoque les essais cliniques délocalisés ou sous-traités surgit aussitôt le roman de John Le Carré La Constance du jardinier, réquisitoire magistral contre les pratiques mafieuses d’un secteur avide de profits, et qui n’hésite pas à tester ses molécules sur une population africaine locale misérable. À l’image du scandale de Kano, au Nigeria. En 1996, le fabricant américain Pfizer, « profitant » d’une épidémie de méningite qui touchait alors 110 000 personnes, décidait de tester le Trovan, un antibiotique non homologué, sur deux cents enfants. Onze d’entre eux mourront, et de nombreux autres resteront invalides...
Comme le montre l’enquête de la Déclaration de Berne (DB), la réalité est aujourd’hui en apparence moins brutale, mais elle est tout aussi inquiétante. « Au fil des scandales liés à la délocalisation croissante des essais cliniques dans les pays du sud et de l’est, les pharmas ont peaufiné leur stratégie », explique son responsable santé Patrick Durisch. « Ces sociétés mènent désormais majoritairement des tests dans les pays émergents, dans des infrastructures et avec du personnel de santé a priori bien sous tous rapports. Mais cela se passe toujours derrière des portes closes, dans la plus totale opacité, et avec le souci d’aller toujours plus vite », ajoute-t-il.
Pour les pharmas, l’enjeu financier est colossal. Entre 60 et 70 % du budget Recherche et développement (R&D) est consacré aux essais cliniques, soit entre 80 et 90 milliards de dollars sur les 130 milliards dépensés chaque année par le secteur.
© Novartis
Pour cette étape indispensable qui consiste à tester l’efficacité et l’innocuité d’une substance sur les êtres humains, l’avantage d’une délocalisation dans des pays en développement ou émergents s’est imposé dès les années 1990. En particulier pour les essais de la phase III, la plus coûteuse, qui consiste à réaliser des tests sur un grand nombre de sujets malades avec un dosage choisi, et de la phase IV qui concerne des recherches complémentaires sur un médicament déjà homologué, et qui est « peu supervisée (...) parce qu’elle servirait davantage des buts économiques (marketing) que scientifiques », relève la Déclaration de Berne.
Jusqu’à la fin des années 1980, la grande majorité des essais cliniques se déroulaient aux États-Unis, en Europe occidentale et au Japon, surtout dans les milieux académiques comme les facultés de médecine. Puis, peu à peu, les laboratoires pharmaceutiques ont fait appel à des entreprises spécialisées, les Contacts Research Organizations (CRO), des sous-traitants qui organisent des études « clés en main ». En 1991, la part de tests menés dans les pays émergents était de 10 %. En 2005, elle atteignait 40 %. Aujourd’hui, c’est un essai clinique sur deux qui est mené dans un pays pauvre ou émergent, et confié à une CRO.
Des chiffres qui peuvent fluctuer, puisqu’à ce jour, il n’existe toujours pas de registre international exhaustif et contraignant des essais cliniques menés, seulement des bases de données plus ou moins complètes comme celles du gouvernement des États-Unis et de l’Union européenne.
En 2010, l’Afrique (en particulier l’Afrique du Sud) et le Moyen-Orient attiraient 14 % des essais, l’Europe de l’Est 13 %, l’Amérique centrale et du Sud 11 %, la Chine 7 %, l’Inde 5 % et le reste de l’Asie 5 %. Ces pays représentent un énorme marché potentiel pour les pharmas. Y délocaliser des essais cliniques permet une importante réduction des coûts et les risques d’actions en justice onéreuses y sont moindres.
Les « cobayes » « sont plus nombreux et plus enclins à prendre part à un essai qui représente parfois la seule option de traitement. La main-d’œuvre, le recrutement et le suivi sont aussi meilleur marché (...). Les réglementations étant plus lâches, les procédures sont souvent plus rapides », souligne le rapport de la Déclaration de Berne (DB). Résultat : recruter dans des pays en développement peut réduire la durée d’un essai jusqu’à six mois en moyenne et allonger d’autant la phase très lucrative de commercialisation d’un médicament sous brevet.
Cette mondialisation qui profite d’abord aux pays occidentaux s’accompagne « de graves manquements en matière d’obtention du consentement éclairé des participants, d’utilisation problématique de placebo comme preuve d’efficacité, d’absence d’indemnisation en cas d’effets secondaires graves, et d’accès au traitement à la fin du test », écrit l’ONG. La plupart de ces principes éthiques sont énoncés dans la Déclaration d’Helsinki, adoptée en 1964 pas l’Association médicale mondiale (AMM) afin de guider les médecins dans les recherches biomédicales. Le point 17 de ce texte fondateur rappelle ainsi que « la recherche médicale impliquant une population ou une communauté défavorisée ou vulnérable se justifie uniquement si la recherche répond aux besoins et priorités sanitaires de cette population ou communauté et si, selon toute vraisemblance, les résultats de la recherche seront bénéfiques à cette population ou communauté ».
Europe de l'Est : destination favorite des Big Pharmas
C’est l’une des destinations favorites des grands groupes pharmaceutiques. Depuis 1996, la conduite d’essais cliniques internationaux y est en progression constante. Le pays a tous les atouts souhaités : situé aux portes de l’Union européenne avec « une population majoritairement urbaine (65 %) et génétiquement proche de celle des pays occidentaux. Du fait d’un système sanitaire étatique en très mauvais état et d’une situation économique difficile, les patients sont faciles à recruter et craintifs », écrit la DB, qui précise aussi que les tests sont deux fois moins chers qu’en Europe occidentale. Entre 2001 et 2009, les sites autorisés à mener des tests sur de nouveaux médicaments sont passés de 175 à plus de 1 300. Certains sont des hôpitaux municipaux qui n’ont pourtant pas le niveau requis. En 2012, 314 sites œuvraient pour le compte de Novartis, et 659 pour Roche.
Depuis 2012, ce sont des comités d’éthique locaux (CEL) qui donnent leur aval pour la conduite de tests, le comité d’éthique central dépendant du ministère de la santé ayant été supprimé. Or, comme le montre l’enquête de la DB, ces nouvelles structures composées de médecins et de juristes, sur une base de volontariat, fonctionnent au ralenti, et dans la plus totale opacité. Ce qui créée « un inquiétant vide en matière de contrôle ».
La juriste Marina Kotsyba-Suvalo, du Comité d’éthique locale de l’hôpital régional de Lvov, où plus d’une quarantaine d’essais sont en cours, a refusé de donner tout éclaircissement sur les médicaments testés et les compagnies pharmaceutiques impliquées, expliquant que ces informations relevaient du « secret commercial ». Pas question non plus de montrer les formulaires de consentement type que les patients doivent signer avant de s’engager. « Pourquoi vous intéressez-vous toujours aux informations confidentielles ? » s’est vu répondre l’enquêteur de la Déclaration de Berne.
L’ONG a pu constater que le « consentement libre et éclairé » était dans bien des cas négligé. Selon des témoignages recueillis auprès de familles de patients, certains médecins évoquent « des programmes humanitaires », et tiennent un discours du type : « Ces médicaments sont très chers, mais nous pouvons faire une exception pour vous et vous les obtiendrez gratuitement. » Dans plusieurs cas, la famille ou même un tiers ont pu signer à la place du patient.
Malgré l’amorce d’un débat public sur ces questions, les Ukrainiens restent majoritairement en faveur des essais cliniques, « une opportunité d’accéder à des soins de qualité qu’ils ne pourront jamais s’offrir ».
En mars 2013, un retentissant scandale a secoué le pays. Une quinzaine de députés de différents partis d’opposition dénonçaient la conduite d’essais cliniques menés sur des enfants – dont des orphelins – par trois compagnies pharmaceutiques. De 2011 à 2012, trois médicaments ont été testés : le Doribax, un antibiotique à large spectre de la société britannique Janssen-Cilag (filiale de Johnson &. Johnson), au sein de l’Hôpital régional pour enfants de Poltava ; le Bosetam, du suisse Actelion, utilisé dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire, au Centre médical de cardiologie pédiatrique de Kiev ; et enfin la Somatropin, une hormone de croissance de synthèse développée par le chinois GeneScience Pharmaceuticals à l’Institut d’endocrinologie de Kiev.
Les députés affirmaient que, dans plusieurs cas, le consentement des deux parents, ou quand il s’agissait d’un orphelin celui d’un représentant de l’État, n’avait pas été obtenu. Les autorités ukrainiennes ont formellement démenti ces accusations, reconnaissant cependant que des orphelins avaient été enrôlés. Les sociétés pharmaceutiques, elles, sont restées muettes. Une enquête officielle a été menée, mais malgré les promesses ses résultats n’ont toujours pas été rendus publics.
Les essais cliniques internationaux sont en plein essor, malgré une nouvelle loi « sur la circulation des médicaments » promulguée en 2010 et en apparence assez stricte. En 2011, 33 % des médicaments autorisés par la Food and Drug Administration (FDA) américaine et 48 % de ceux homologués par l’Agence européenne des médicaments (EMA) reposaient sur des données générées par des recherches cliniques en Russie et en Ukraine. Comme en Ukraine, les tests se déroulent sur fond de déliquescence du système de santé étatique, avec des candidats toujours plus nombreux. Le personnel médical, sous-payé et peu préoccupé par les problèmes éthiques, y voit une aubaine pour arrondir ses fins de mois.
La Déclaration de Berne a pu recueillir plusieurs témoignages d’acteurs de ce milieu pourtant très fermé. Maya Brodskaya, une ancienne employée de Roche à Novossibirsk qui, jusqu’en 2011, supervisait des études en Sibérie et en Extrême-Orient, explique que les malades russes sont « idéaux pour les compagnies pharmaceutiques suisses : ils veulent participer à des essais cliniques, ils sont nombreux et souvent ce sont des "patients naïfs", cela signifie qu’ils n’ont eu aucun traitement auparavant si ce n’est de l’aspirine ou de l’ibuprofène ». Dans la petite république de Touva, Roche a ainsi pu recruter, en un an, un nombre très important de personnes pour le Mabthera, un médicament contre la polyarthrite rhumatoïde. « S’il avait fallu réaliser cela en Suisse, quelques décennies auraient été nécessaires », conclut-elle.
Aucun cas de dédommagement
Plusieurs des participants à différentes études cliniques sur le Gilenya de Novartis – premier traitement par voie orale de la sclérose en plaques – ont raconté leur douloureux parcours de cobaye volontaire.
Anna N., une jeune femme de 25 ans qui habite Oufa en Bachkirie, privée de traitement depuis le retrait du marché russe du Betaferon, a participé à un essai de plusieurs mois en mai 2012. Elle raconte avoir été invitée à signer l’accord de consentement éclairé six heures après la première prise du médicament, à l’issue donc de la période d’observation qui se déroulait à l’hôpital. Les effets secondaires ont été nombreux : perturbation du cycle menstruel, et surtout dépression sévère. Elle l’a signalé à son médecin qui l’a fortement dissuadée de sortir de l’étude, lui conseillant d’attendre encore, jusqu’à ce qu’elle développe des envies suicidaires. Elle a finalement décidé elle-même d’arrêter le traitement en octobre 2012, se faisant vertement tancer par son curateur qui craignait ainsi que l’essai clinique ne s’en ressentisse.
De peur de ne plus être acceptés dans d’autres essais et d’être ainsi privés de traitement, rares sont les malades qui claquent la porte. « Dans le pire des cas, les gens ont stocké des médicaments chez eux, en préférant rester sans traitement et ne pas en parler à leur médecin, afin de ne pas amoindrir leur chance d’être retenus pour un prochain essai, qu'ils espéraient meilleur », confie Artyom Golovine, responsable d’une ONG s’occupant de malades atteints de sclérose.
En cas de complications graves, un système d’indemnité est théoriquement prévu. La Déclaration de Berne a pu se procurer auprès d’une patiente un formulaire de consentement qui comprenait une police d’assurance. Selon les statistiques d’Acto-Russia (l’association des organisations participant à des essais cliniques), sur les 71 089 patients russes assurés entre 2007 et 2009, il n’y a eu aucun cas de dédommagement.
Evgueny Evdoshenko, neurologue à Saint-Pétersbourg, s’occupe ainsi d’une patiente de 19 ans devenue handicapée à la suite d’un essai clinique mené à l’Institut du cerveau de Saint-Pétersbourg, et qui à ce jour n’a reçu aucune compensation. La déclaration de Berne rapporte aussi le cas d’un patient qui, lors d’un essai sur le Gilenya, a contracté une très grave infection en lien avec l’effet immunosuppresseur du médicament, mais n’a pas été indemnisé.
Pour les médecins-investigateurs (ceux qui conduisent les effets cliniques), les retombées financières sont en revanche substantielles. Un spécialiste qui gagne à Moscou entre 600 et 1 000 euros – et aux alentours de 200 euros en province – peut ainsi doubler ou tripler son salaire de base. « Ils oublient tout – leurs pratiques cliniques normales dans les hôpitaux, les conférences dans les universités –, et ils se consacrent uniquement aux études », témoigne Alexandre Globenko, directeur de la CRO « Proxy Research Group ».
Certains praticiens recrutent leurs patients sur Internet, en présentant les tests comme des « programmes d’observation gratuits » avec « soins attentionnés ». La DB cite ainsi le cas d’un certain Alexandre Ilves, un médecin qui rabat des malades pour l’Institut du cerveau et l’Académie militaire de Saint-Pétersbourg. Très actif sur le forum dédié aux personnes atteintes de sclérose en plaques, il laisse son portable et fait savoir que « les places sont limitées ».
Plusieurs des interlocuteurs de la Déclaration de Berne ont évoqué le problème de la falsification des essais cliniques, qui serait assez fréquent en Russie. Il arrive ainsi que les données d’une étude soient falsifiées soit pour des raisons financières, soit pour masquer le fait qu’un patient n’a pas pris correctement ses médicaments et que cela se voit d’après les analyses.
Les contrôleurs des sociétés pharmaceutiques et Roszdravnadzor – agence russe du contrôle de la santé publique – s’intéressent en priorité à ce type d’abus, délaissant les problèmes d’éthique.
Depuis 2010, des « comités d’éthique locaux » auprès d’hôpitaux et de facultés de médecine ont été mis sur pied. Ils réunissent des experts et des représentants de la société civile, et ne peuvent émettre que des recommandations. Les conflits d’intérêts n’y sont pas rares. La Déclaration de Berne a pu rencontrer, dans un hôpital moscovite, un médecin qui était à la fois en charge d’un essai et président du comité d’éthique local, et ne voyait rien d’anormal dans cette situation.
Parallèlement à ces structures, le comité d’éthique « officiel » rattaché au ministère de la santé reste tout-puissant, seul habilité à interdire un essai clinique ou à donner son feu vert – avec le Centre d’expertise des médicaments – pour la conduite d’une étude.
À ce moment, « la corruption fleurit », affirme Alexandre Globenko, directeur de « Proxy Group ». « L’achat direct d'autorisation pour tel ou tel essai est une pratique courante. Mais je ne dirais pas que les devis non éthiques sont pour autant acceptés. Dans les cas de graves infractions, même s'il y a un pot-de-vin, une compagnie pharmaceutique doit corriger le protocole jusqu’à ce qu’il soit acceptable », ajoute-t-il.
En septembre 2012, un rapport de la commission européenne « sur la coopération en matière d’essais cliniques » estimait pourtant que la pratique des essais cliniques en Russie ainsi que les mesures de contrôles correspondaient globalement à ceux de l’Union européenne.
Argentine et Inde
C’est le troisième plus important pays d’Amérique latine à héberger des essais cliniques internationaux. L’enquête de la Déclaration de Berne a permis de documenter de sérieuses violations éthiques, sur fond de grave défaillance du système de régulation argentin. « Si le niveau d’encadrement des essais cliniques en Argentine est jugé "plutôt bon" par les acteurs de la recherche médicale, il présente des failles importantes : pas de loi nationale, des comités d’éthique privés à l’indépendance très discutable et une agence du médicament, l’ANMAT, qui ne contrôle pas vraiment le respect des normes éthiques », résume la DB.
L’ONG suisse est la première à mettre en lumière un scandale qui n’avait pas encore filtré dans les médias, mais circulait dans le milieu des spécialistes.
Dans le cadre de tests menés dès 2010 par la société Merck sur le saphris (asénapine), des adolescents schizophrènes se sont vu retirer tous leurs traitements (antidépresseurs et antipsychotiques et même interdiction de poursuivre une psychothérapie). Partagés en deux groupes, certains ont reçu de l’asénapine et d’autres un placebo, ce qui les mettaient gravement en danger. À la suite d’une dénonciation anonyme, l’étude a été suspendue par l’agence du médicament argentine (Anmat), qui avait pourtant auparavant donné son accord sans sourciller. Aucune procédure judiciaire n’a jusqu’ici été ouverte.
En 2008, la société Roche a lancé une étude sur un immunosuppresseur, l’ocrelizumab, destiné à traiter le lupus néphrétique, une maladie auto-immune qui s’attaque aux reins. L’essai a été suspendu en raison d’effets secondaires sérieux. La Déclaration de Berne a pu rencontrer une trentenaire qui a reçu ce traitement. Selon le formulaire de consentement qu'elle a signé, il est indiqué que les participants à l’étude doivent recevoir, en plus de l’ocrelizumab ou du placebo, un traitement qualifié de « standard » comprenant le Cellcept. Or, cet autre immunosuppresseur est utilisé en premier lieu pour prévenir les rejets de greffes, bien que les médecins le prescrivent officieusement pour le lupus. Il n’est pas autorisé pour soigner cette maladie, ni en Argentine, ni en Suisse, ni aux États-Unis. La jeune femme aura ainsi servi de cobaye pour une molécule non homologuée pour sa pathologie. Plus encore, alors que les prises de Cellcept se sont avérées efficaces, elle ne pourra plus accéder à ce traitement en cas de rechute.
Le rapport de la DB revient aussi sur un scandale qui a défrayé la chronique en Argentine. Entre 2007 et 2011, GlaxoSmithKline (GSK) a testé son vaccin Synflorix contre la pneumonie, l’otite et la méningite sur 14 000 nouveau-nés, dans trois provinces parmi les plus pauvres du pays. Quatorze bébés sont morts et une enquête officielle a été ouverte. Elle a mis au jour « de graves irrégularités dans les pratiques de recrutement (exploitation de la vulnérabilité de la population) et dans l’obtention du consentement des parents ». Pour chaque bébé recruté, GSK versait 350 dollars aux médecins, alors que le salaire mensuel est d’environ 1 300 euros.
La Déclaration de Berne constate que le coordinateur principal de l’essai, le Dr Miguel Tregnaghi, travaillait à l’époque en parallèle pour Novartis sur des essais cliniques similaires. L’une des responsables provinciales, Dr Anna Ceballos, a même été engagée par le géant bâlois après le scandale. Interrogé Novartis a fait savoir qu’il n’y avait « pas de liste noire » pour recruter les gens.
L’Inde est prête à défendre bec et ongles son industrie des génériques, comme le prouve la victoire remportée en avril dernier sur Novartis qui bataillait depuis sept ans pour que le Glivec – son médicament anticancéreux – reste sous brevet. Mais elle semble moins regardante en matière de réglementation des essais cliniques qui se déroulent sur son territoire.
Contrairement aux affirmations des compagnies pharmaceutiques, les populations défavorisées restent « un bassin de recrutement privilégié pour les essais cliniques en Inde », affirme la Déclaration de Berne qui a confié l’enquête de terrain à l’ONG indienne Sama. Ainsi 80 % des participants aux essais « suisses » sont d’origine rurale, et vivent en majorité dans la pauvreté.
« Les questions du recrutement, de consentement et du traitement à la fin des essais sont loin d’être résolues », estime la DB, qui souligne que « les conflits d’intérêts sont monnaie courante » en Inde. Ainsi, la plupart des candidats aux essais cliniques sont recrutés par le biais de leur médecin qui s’avère être souvent le coordinateur principal de l’étude. « Dans un tel contexte, obtenir un consentement éclairé de manière désintéressée est illusoire », relève la DB.
Autre conflit d’intérêts patent, beaucoup de comité d’éthiques sont « rattachés à une infrastructure de santé accueillant – et bénéficiant financièrement – des essais cliniques ». Ces organes « institutionnels » se contentent la plupart du temps de vérifier si les formulaires de consentement existent et sont signés, souvent par des patients analphabètes ou illettrés.
Selon des données jamais publiées et obtenues auprès de sources officielles par l’ONG Sama, entre 2005 et 2012, sur quelque 40 000 participants à des essais cliniques, 2 600 décès ont été enregistrés. Dont 438 patients pour la seule période 2010 et 2011, d’après les chiffres d’un comité parlementaire. « Au total, seuls 22 décès ont été attribués aux médicaments testés en 2010, et 16 en 2011. Les familles indemnisées ont obtenu entre 3 000 et 4 000 francs suisses », écrit l’ONG.
Novartis faisait partie des compagnies concernées, avec 64 décès survenus en 2010 et 2011. Selon le géant bâlois, aucune de ces morts n’est liée aux essais. « Notre partenaire, l’ONG Sama, a eu des informations qui sont en principe ultra-confidentielles. Nous n’avons cependant pas pu obtenir de détails sur les études cliniques qui étaient en cause concernant les personnes décédées », précise Patrick Durish.