Il aura donc fallu attendre le mélodrame de la protestation des clubs de football professionnels à la taxe à 75% sur les salaires des joueurs et leur menace de grève pour réentendre parler du projet « OL Land » à l’échelle nationale. Vendredi 25 octobre, Jean-Michel Aulas, actuel président de l’Olympique Lyonnais et initiateur principal du projet, déclarait que « cette taxe est de nature à menacer un projet comme le grand stade de Lyon pour l’Euro 2016, car, quand l’imprévisible arrive – comme cette taxation –, vous mettez les banquiers en rogne ».
Sur le terrain, dans la banlieue est de Lyon, d’autres forces s’attachent elles-aussi à menacer ce projet dont les travaux ont officiellement commencé au 1er août. Associations de riverains, élus locaux ou citoyens s’opposent à ce qu’ils considèrent un grand projet inutile. Sur le modèle de Notre Dame des Landes, une « Zone à défendre » (ZAD) s’est ainsi constituée à la marge du chantier afin d’incarner la lutte au quotidien. La mairie de Décines a saisi la justice et demandé l’expulsion de ces occupants illégaux. Le verdict est attendu ce lundi 28.
Occupation du terrain en avril 2013
Le stade actuel est bien assez grand
Le projet naît en 2007. A l’époque, l’Olympique Lyonnais est encore un club important dans le monde du football : il enchaîne les titres de champion de France et participe chaque année à la meilleure compétition européenne. Au paroxysme de sa réussite, son président rêve d’un nouveau complexe à la hauteur de ses ambitions. Il monte le projet « OL Land » : un nouveau stade de 60 000 places qui accueillerait aussi les bureaux du siège du groupe OL, et s’adjoindrait 8000 m2 d’immeubles de bureaux, 7 000 places de stationnement, deux hôtels de luxe, un musée du sport, un centre de loisirs avec bowling, une boutique OL Stade, etc. Cinquante hectares de terrains appartenant à la collectivité de Décines-Charpieu sont désignés, auxquels s’ajoutent 110 hectares de chantier d’aménagement des voies d’accès au stade.
Le projet OL Land -
Très vite, des voix ont questionné la pertinence d’un tel projet. C’est le cas de l’association Carton Rouge, qui rassemble des citoyens du Grand Lyon opposés au projet. Son président, Franck Buronfosse, explique à Reporterre : « Le taux de remplissage du stade actuel de Gerland atteint 80%, ce qui ne justifie pas d’augmenter sensiblement la capacité d’accueil à 60 000 spectateurs. Surtout, il aurait pu être agrandi jusqu’à 55 000 places, sans besoin d’investir dans un nouveau stade ».
Dès le début pourtant, Gérard Collomb, maire PS de Lyon et président du Grand Lyon, a voulu faire aboutir le projet. Il est aussi sénateur, et a en joué pour faire adopter un amendement spécifique dans la loi de développement et de modernisation des services touristiques. Promulguée le 22 juillet 2009, elle déclare à l’article 28 que les stades de football appartenant au privé sont "d’intérêt général".
Quant à Jérôme Sturla, maire de Décines, il explique à Reporterre : « Cela va dynamiser l’économie locale grâce à l’implantation de nouvelles entreprises et au développement des commerces de proximité. L’activité va offrir des rentrées fiscales et de nouvelles ressources importantes à l’heure où l’Etat se désengage du financement des collectivités locales ».
« On truque les dossiers publics »
Ainsi déclaré d’intérêt général, le projet a pu bénéficier de la reconnaissance en DUP (Déclaration d’Utilité Publique) des travaux de voirie concernant l’accès au stade. Alors que le financement devait à l’origine être assuré uniquement par des investissements privés à hauteur de 450 millions d’Euros, 200 millions d’euro de fonds publics seront finalement engagés pour assurer la rénovation des infrastructures routières et l’amélioration des transports en commun alentour.
Les opposants doutent de la rentabilité du projet : « La viabilité économique des stades privés est loin d’être prouvée assurée, selon Franck Buronfosse. Regardez le stade du Mans ou le stade de Grenoble : ce sont des désastres financiers ».
Les investisseurs sont ainsi restés prudents. Dans son plan de financement, OL Groupe, la société commerciale qui porte le projet, avait misé à hauteur de 150 millions d’euros sur le naming, une technique à la mode destinée à faire payer grassement la possibilité pour un entreprise de donner son nom au stade. Mais elle n’y est pas parvenue, l’enceinte devant finalement s’appeler le « stade des Lumières ».
Les opposants dénoncent également un maquillage des budgets officiels : « De nombreux investissements publics en lien avec le projet du grand stade ont été écarté des comptes publics », dit Franck Buronfosse.
Etienne Tête est l’avocat lyonnais qui suit le dossier depuis le début ; il a déposé près de trente recours sur des éléments du projet. Il confirme ces accusations : « On truque les dossiers publics. Le Grand Lyon réduit délibérément le périmètre de dépenses en retirant des projets du protocole d’accord signé en 2008. C’est par exemple le cas des travaux d’aménagement du tramway T3, engagés dans le cadre du projet du grand stade. Le dossier ne fait plus mention du grand stade et l’administration justifie ces travaux par un besoin indépendant du projet de stade à Décines, en arguant de la saturation de la ligne. Mais les études montrent qu’il y a au contraire beaucoup moins d’usagers sur cette ligne que sur les autres... ».
L’investissement public atteindrait ainsi plus du double de ce qui est annoncé officiellement, soit plus de 400 millions d’euros.
Reporterre publie un document, réalisé par un expert comptable à partir de différentes délibérations municipales, qui propose de prendre en compte l’ensemble des coûts nécessaires à la réalisation du grand stade. Présenté dans différentes instances juridiques, il n’a jamais été contesté.
Dépenses publiques qui seraient engendrées par le projet O.L. LAND, à télécharger ici :
Etienne Tête a déposé une plainte auprès de la commission européenne sur la légalité des aides accordées à OL Groupe. « On n’a pas le droit d’utiliser l’argent public pour favoriser des opérations privées, car cela enfreint les règles de la concurrence du marché unique. Il faut des dérogations européennes, qui n’ont jamais été données », explique-t-il.
A quoi le maire de Décines répond en défendant l’investissement public : « L’usage des aménagements d’accès au stade sera quotidien, la voirie rénovée sera utilisée chaque jour par les citoyens. Ce genre d’équipement n’est pas anodin. Est-ce que l’argent du contribuable va bénéficier à l’OL ? Oui, mais tout le monde y a intérêt. Ce sont des projets qui tirent une collectivité vers le haut ».
160 hectares de terres agricoles dévorées… à l’encontre de la politique officielle
Ce projet de grand stade contredit par ailleurs le besoin de recréer des ceintures vivrières autour des villes. En février 2012 pourtant, la communauté urbaine de Lyon avait signé la charte d’objectifs pour l’agriculture périurbaine qui vise à « accentuer les efforts de pérennisation du foncier agricole à l’intérieur des territoires des collectivités ».
Charte d’objectifs pour l’agriculture péri-urbaine, à télécharger ici :
Dawan fait partie du collectif des Fils de Butte, qui a monté la ZAD et occupe quelques parcelles de terrain autour des chantiers de travaux pour l’accès au stade, depuis le 10 avril 2012. Il s’agit pour lui de préserver la terre et lutter contre l’artificialisation généralisée des sols : « Les travaux prévoient de couler 1000 m3 de béton par jour. L’impact de ce projet est énorme sur l’environnement. Aujourd’hui, 26 m2 de terres arables disparaissent chaque seconde en France. C’est l’équivalent d’un département français tous les sept ans... Notre action vise à préserver des « bulles de nature » ; nous vivons sans électricité, ni eau courante, nous chauffons au bois, alors que nous ne sommes qu’à quinze minutes du centre-ville de Lyon en transports en commun ».
Etienne Tête (2e en partant de la gauche) et des Fils de Butte -
La superficie mobilisée par ce projet aurait par ailleurs pu être moins importante. « L’Arena Stadium, à Munich, fait partie des nouveaux stades que l’on prend souvent en référence. Il fait huit hectares. Je vous laisse faire la comparaison avec les cinquante hectares d’OL Land », souligne Etienne Tête.
C’est que le projet du stade recouvre d’autres enjeux économiques que le football : « Le stade n’est qu’un cheval de Troie utilisé pour une opération immobilière fructueuse, grâce à une revente avec plus-value rapide », estime Franck Buronfosse. Sophie Chapelle a raconté sur Basta le montage de ce coup économique : « Une affaire révélée par le magazine Lyon Capitale en mars 2012 [...] : dès 2006, et avant l’annonce officielle du projet d’OL Land, le Grand Lyon achète des terrains à des agriculteurs sur le Montout, à un prix dérisoire compris entre 7 et 14 euros le m2. En avril 2011, le Grand Lyon cède 30 hectares à l’OL, au prix de 40 euros le mètre carré. Quelques mois seulement après la vente, fin 2011, le conseil communautaire du Grand Lyon fait approuver la révision du plan local d’urbanisme, qui fait grimper le prix du mètre carré à 300 euros !
La Foncière du Montout, propriétaire des terrains [...], vaudrait maintenant 200 millions d’euros pour des terrains acquis 22 millions d’euros. L’opération immobilière a permis à l’OL de gagner au minimum 180 millions d’euros... »
Pis, le prix d’expropriation des terrains privés, situés sur les voies d’accès destinés au stade, fixé à 1 Euro/m2... Une entorse massive au prix du marché rendue possible par la Déclaration d’Utilité Publique, justement. Et qui permet à la collectivité d’entrevoir également une belle opération immobilière dans les années à venir. C’est en tout cas ce que prédit l’association Carton Rouge : « La communauté urbaine est en train de se constituer une réserve foncière. Pour construire une route qui ne prendra pas plus de 20 mètres de large, elle s’approprie 80 mètres. Au final, sur 100 hectares d’expropriés dans le cadre des travaux d’accès, elle se rend disponible environ 60 hectares. A quoi vont-ils servir ? A construire puis à revendre ensuite... Dans le plan d’urbanisme du Grand Lyon, il est prévu 150 000 logements supplémentaires dans les années à venir. C’est un logique implacable d’urbanisation et de construction à moindre coût ».
Même pas prêt pour la compétition de 2016…
Pour plusieurs paysans, la pilule est dure à avaler. C’est le cas de Philippe Layat, céréalier, qui se voit huit hectares de ses terrains expropriés, et qui est devenu une des figures de résistance au projet. Mais les moyens d’opposition sont limités. L’association Carton Rouge avait réussi à mobiliser, en janvier 2012, 4 000 électeurs décinois réclamant un référundum sur le projet du grand stade. Dans une commune où 16 000 personnes sont inscrites sur les listes électorales, cela offre une certaine représentativité. Mais le conseil municipal n’a pas répondu à cette revendication. Pour Franck Buronfosse, lui-même en liste pour les prochaines élections municipales, les enjeux au niveau politique sont conséquents : « Gérard Collomb exerce une forte pression sur ce dossier. Sa réélection au printemps prochain tient beaucoup à l’avancée des travaux, car il s’est fortement engagé sur ce projet ».
Le discours officiel se veut d’ailleurs confiant sur la réalisation des travaux. Le projet est inscrit dans le cadre du programme de l’Euro 2016. Le site du Montout, entièrement terrassé, est prêt à accueillir la première pierre du stade, dont la pose est prévue au 12 novembre prochain. Le travail doit être assuré par la compagnie Vinci. Depuis quelques semaines, les grues arrivent une à une sur le chantier, remplaçant les engins de terrassement.
L’ouverture est prévue pour début 2015, et, pour Jérôme Sturla, cela ne fait aucun doute, « le projet ira à son terme. La mobilisation est faible en face, cela n’a rien à voir avec Notre Dame des Landes par exemple ». Franck Buronfosse a d’autres certitudes sur l’échéance : « Regardez combien il faut de temps pour construire un stade moderne, à Lille ou ailleurs, à l’étranger. Avec les nouvelles normes anti-sismiques à respecter, cela prend au moins deux ans et demi. A moins que cela ne soit un chalet en bois qu’ils construisent, le stade ne sera jamais prêt pour 2016 ». D’autres font valoir les nombreux recours en justice, qui n’ont pas encore été purgés. Aucun n’a d’ailleurs été encore jugé jusqu’en cassation. Cela devrait être le cas prochainement de celui contre le permis de construire, attendu devant le Conseil d’Etat. Et en attendant peut-être une prochaine procédure d’expulsion, la mobilisation – certes amoindrie – continue sur le terrain, autour du chantier.