Vos questions 09/11/2013 à 15h41
La « fronde bretonne » pour ceux qui débarquent
Les poulets surgelés, le « Breizh Power », le vrai état de l’économie, l’« arnaque » Ecomouv, ce qu’on découvre sous les bonnets rouges... : on fait le point.
Manifestation devant un portique écotaxe à Montauban-de-Bretagne (JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP)
Détournons la phrase fameuse de l’historien Henry Laurens : si vous avez compris quelque chose à la Bretagne, c’est qu’on vous l’a mal expliqué.
La fronde contre l’écotaxe occupe la une des journaux depuis deux semaines sans qu’on saisisse forcément le lien entre les ratés de l’agroalimentaire breton et le « scandale » Ecomouv. De comprendre ce qui fait défiler ensemble les patrons et les licenciés. D’autant que, devant les ultimatums et les destructions de portiques, l’Armorique commence à perdre son capital de sympathie dans le reste de l’Hexagone.
Pour traduire crûment ce que pensent nombre d’éditorialistes (je ne regarde personne) :
« Qui sont-ils pour cramer des portiques payés avec nos impôts et venir ensuite réclamer des subventions pour produire de la sous-bouffe à bas coût (et des algues vertes) ? »
On vous a concocté un résumé.
- Mais en fait, c’est quoi l’écotaxe ?
- Qui sont les manifestants ?
- La Bretagne est-elle si mal lotie ?
- Qu’arrive-t-il aux portiques ?
- Les casseurs vont-ils être condamnés ?
- Qui est Troadec, héraut du mouvement ?
- Existe-t-il un lobby breton ?
- Pourquoi les bonnets rouges ?
- Les médias sont-ils parisiens ?
- Que fait le gouvernement ?
- Ecoumouv, est-ce une arnaque ?
- Et maintenant ?
1 - Mais en fait, c’est quoi l’écotaxe ?
La taxe poids lourds (c’est son autre petit nom) est née...
- sous Nicolas Sarkozy, comme le rappellent aujourd’hui les socialistes,
- avec le soutien de la gauche, comme le souligne l’UMP.
En 2008, le Grenelle de l’environnement [PDF] instaure une taxe kilométrique sur les poids lourds. L’idée ? Pousser les entreprises à se tourner vers le fluvial ou le ferroviaire, plus écolos que la route. Le principe est celui du « pollueur-payeur » : le produit de la taxe doit servir à développer et entretenir les infrastructures (rails, canaux…).
L’Europe n’est pas étrangère à l’affaire. La directive « Eurovignette » harmonise les péages liés aux transports de marchandises. Sans donner d’obligations immédiates aux Etats, elle cadre les dispositifs de type « taxe poids lourds ». Six pays européens ont mis en place l’écotaxe.
En France, le projet de loi est adopté le 21 octobre 2008. La mise en pratique s’avère complexe. Le système doit être compatible avec celui de nos voisins. L’Etat décide donc de recourir à un partenariat public privé (PPP).
Les modalités de la taxe :
- Elle concerne les poids lourds (plus de 3,5 tonnes). Que le camion soit vide ou plein. Qu’importe sa nationalité.
- Le niveau de la taxe est en moyenne de 13 centimes par kilomètres. Le prix est modulé en fonction de la taille du véhicule (nombre d’essieux) et de son âge (les plus récents polluent moins).
- Certains régions bénéficient d’une ristourne. C’est le cas de la Bretagne (50%), de l’Aquitaine et du Midi-Pyrénées (30%), qui sont éloignées de la banane bleue, le cœur économique de l’Europe.
- Des boîtiers GPS doivent être disposés dans 600 000 poids lourds. Avec les bornes et les portiques, ils permettent de détecter les trajets des camions.
En moyenne, le prix du transport doit augmenter de 4,1%. Cette hausse peut être répercutée tout le long de la chaîne de production, jusqu’au consommateur. Ouest-France a calculé que, sur un camembert, l’augmentation ne serait que d’un centime d’euro.
Le produit de la taxe devait rapporter 1,15 milliard d’euros par an. Et voilà ce qu’on devait faire avec. cliquer ici
2 - Qui sont les manifestants ?
Les bonnets rouges avant la manif de Quimper, le 2 novembre (Maël Fabre)
C’est la question sur laquelle tout le monde s’étripe. Pour qualifier les opposants à l’écotaxe, on parle d’ « assemblage hétéroclite », de « cohorte bigarrée » ou de « rassemblement baroque ». Et puisque l’on arrive pas à coller une étiquette sur la colère, on termine en invoquant le « ras-le-bol ».
Sans souci d’exhaustivité, il y a des paysans, des syndicalistes, des ouvriers, des chefs d’entreprise, des indépendantistes, des autonomistes, des identitaires, des anars, le Medef, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), Force ouvrière (FO), le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), des frontistes, l’Union démocratique bretonne (UDB), l’Union professionnelle artisanale (UPA), etc.
Une telle « union sacrée » rappelle le Comité d’études et de liaison des intérêts bretons (CELIB) constitué dans les années 50 pour faire pression sur l’Etat.
Le lobbying fonctionne et précède le miracle économique breton : un mélange d’industrie automobile et d’agroalimentaire, aujourd’hui en crise. A l’époque, seul le Parti communiste français refuse de suivre le mouvement. Aujourd’hui, la Confédération générale du travail (CGT) et le Parti de gauche prennent leurs distances.
Les commentateurs peinent à trouver du sens à ce magma.
- les journalistes. On les sent un peu déroutés. A lire : le reportage de Mediapart à Quimper, lors de la manifestation. Y est décrite la « confusion en action » d’un « rassemblement indéfinissable ».
On y dénonce pêle-mêle, les taxes, l’Etat central, les licenciements. Le tout sous-tendu par une « colère identitaire confuse » noyée dans un fond musical éclectique : Renaud, Trust et la Blanche Hermine. Seul réel point commun : la « fierté de se retrouver debout tous ensemble ».
- les politiques. Jean-Luc Mélenchon a qualifié la manif de Quimper de « rassemblement de nigauds » et d’« esclaves manifestant pour leurs maîtres ».
« Il aura en effet suffit que quelques centaines de patrons et de militants du syndicat agricole FNSEA fassent une démonstration de violence pour que le gouvernement Ayrault cède. »
Et de souligner que la CGT, SUD et la FSU ont pris leur distance, en manifestant à Carhaix plutôt qu’à Quimper. Ces dernières n’apprécient guère le « détournement du mécontentement réel » à « des fins politiciennes ».
- la DGSE. Dans une note rédigée avant la manifestation du 2 novembre, les services pointent du doigt les identitaires de Jeune Bretagne et les socialistes radicaux de Breizhistance. Mais ces groupuscules restent ultra-minoritaires.
Quelques grands noms ont tout de même émergé dans cette masse de bonnets rouges. Survolez l’image ci-dessous.
cliquer ici pour voir la photo
Photos : Fr3 Bretagne, iTélé
3 - La Bretagne est-elle si mal lotie ?
Depuis les débuts de la « crise bretonne », chercheurs et économistes s’épuisent à rappeler que la Bretagne ne va pas si mal. En réalité, elle s’en sort plutôt bien si on la compare à d’autres régions. Las, son modèle économique, fondé sur l’agroalimentaire, les télécoms et l’automobile, est sérieusement secoué.
Depuis les années 70, la Bretagne s’est positionnée comme la première région de France pour l’agroalimentaire [PDF]. Aujourd’hui ce secteur est concurrencé par le Brésil, l’Allemagne et le Danemark. Orientées vers le bas de gamme, les filières du porc et du poulet perdent des parts de marché.
Capture d’écran de la série Borgen, épisode sur le porc danois
On compte 14,5 millions de porcs en France, dont 8 millions en Bretagne. Il faut consacrer 45 à 50 minutes de temps de travail par an par animal. Au Danemark (fan de Borgen, clique ici) et aux Pays-Bas, ce chiffre est de 35 à 40 minutes. La productivité y est donc bien meilleure.
En Allemagne, les éleveurs utilisent de la main d’œuvre des pays de l’Est, trois fois moins payée que les salariés français. Bref, la Bretagne ne peut pas lutter.
Les plans sociaux s’accumulent, précipités par la fin des subventions européennes. L’arrêt des ces aides était programmé de longue date, mais les grands groupes n’ont pas su se réorienter vers de la boustifaille haut de gamme.
La répartition des emplois dans l’agroalimentaire en 2010 (Insee)
- Doux (volaille). En redressement judiciaire depuis 2012, Doux a déjà supprimé un millier d’emplois. Le groupe saoudien Almunajem et la holding de la famille Calmels D&P s’apprêteraient à racheter les dettes de l’entreprise.
- Tilly-Sabco (volaille). Autre volailler qui a annoncé l’arrêt de sa production destinée à l’exportation (en 2014). L’entreprise est asphyxiée par la fin des aides européennes. L’exportation représente 90% de son chiffre d’affaire et occupe 300 personnes.
- Marine Harvest (saumon). Le groupe norvégien est rentable, mais n’est pas épargné par la crise. Certaines filiales sont en mauvaise posture financière. C’est le cas de la transformation (la découpe en petit pavé graisseux que tu achètes sur un coup de folie). Le groupe souhaite réduire le nombre de ses sites en France.
- GAD (abattage et découpe de porc). Le tribunal de commerce de Rennes a validé à la mi-octobre le plan de restructuration, prévoyant la suppression de 889 emplois.
Carte des distances en train depuis Paris
L’Etat a longtemps choyé la Bretagne. Le plan routier breton (1969) prévoit ainsi la gratuité des quatre voies et les aides du plan Marshall sont généreusement fléchées vers la péninsule. Mais la région reste enclavée.
Et la timidité du gouvernement sur le projet de ligne à grande vitesse entre Rennes et le Finistère renforce le sentiment d’abandon.
De l’avis de beaucoup, la solution réside dans une montée en gamme : le bio, l’appellation d’origine et le circuit court (c’était le but de l’écotaxe).
Eric Le Boucher, l’un des fondateurs de Slate, résume bien la situation :
« Dans ces grands vents de face, la Bretagne retrouve ses handicaps naturels. Elle est loin. Sa capitale, trop petite. Sa terre ingrate. Sa mer mal exploitée. L’économie bretonne héritée des années 60 est morte, elle ne renaîtra pas. Son avenir est complètement à réinventer. »
4 - Qu’arrive-t-il aux portiques ?
Dessin de Baudry
Entendez-vous la révolte des bornes ? Ces petits appareils, posés sur le bord des routes, en ont leur claque : il n’y en a que pour les portiques, plus grands, plus classes, plus coûteux.
Pourtant le ministère des transports a compté onze bornes et quatre portiques détruits. Sans compter les radars routiers qui servent de punching-ball à la colère bretonne.
Les portiques vandalisés :
Les bornes (en réalité des appareils en forme de « totem » pour ne pas dire autre chose) :
Bref, les Bretons ont développé une bonne maîtrise du méchoui métallique, mais certaines régions commencent à se faire la main sur les bornes.
Si certains veulent parfaire leur technique, il reste 158 portiques debout sur le territoire (173 prévus). Quant aux bornes, 200 devaient être installées. Pas fou, le ministère est plutôt discret sur l’emplacement des bestioles.
Pour cause :
- un portique coûte entre 600 000 et un million d’euros ;
- une borne environ 250 000 euros.
Le calcul est vite fait. Les destructions reviennent environ à 5 millions d’euros.
5 - Les casseurs vont-ils être condamnés ?
C’est Jean-Marc Ayrault qui le promet : les auteurs des dégradations font l’objet de « convocations devant le tribunal correctionnel de Quimper ».
Capture d’écran i Télé de l’incendie du portique de Lanrodec
Sauf que, selon le Figaro, seules cinq personnes ont été interpellées lors de la manifestation du 2 novembre. Elles devront répondre de faits de violence contre des gendarmes.
Pour ce qui concerne les portiques, le parquet de Rennes se contente d’indiquer que « des investigations sont en cours » afin « d’identifier puis d’interpeller les auteurs de ces infractions ».
En théorie, les saboteurs risquent jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.
En attendant, les actions coup-de-poing continuent. Comme ici, avec le dégommage au bulldozer du portail de la sous préfecture de Morlaix par les salariés de Tilly-Sabco.
6 - Qui est Troadec, héraut du mouvement ?
Lorsque Christian Troadec a émergé du coulis de bonnets rouges, la presse lui est tombée dessus, heureuse d’avoir trouvé l’incarnation du mouvement.
L’« homme aux grands pieds » (c’est la signification de son nom) a co-fondé le collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne » avec le patron local de la FNSEA, Thierry Merret, producteur d’artichauts. Depuis, il fait la tournée des usines bloquées, saisit les micros qu’on lui tend et lance des ultimatums à François Hollande.
Le maire de Carhaix, petite ville de 7 700 habitants surtout connue pour le festival des Vieilles Charrues, n’est pas un perdreau de l’année.
Cet ancien journaliste, passionné d’histoire locale, est un inclassable de gauche, tendance hermine, grande gueule et « régionaliste » (pour ne pas dire autonomiste).
En bisbilles quotidiennes avec le PS local, il prend langue et parti pour d’autres identités « menacées », comme la culture basque. Le salon du livre 2013 de Carhaix a pour président d’honneur la ville de San-Sébastian, située dans le Pays Basque sud. Son maire est un grand adversaire de l’Etat espagnol.
Cela fait des années que Troadec s’illustre dans les manifestations visant Paris. Lorsque sa ville est menacée de voir partir la maternité, il remue ciel et terre, ceint de l’écharpe de la provoc’ : le pavillon à croix noire herminée. La maternité est sauvée. On en sortira un film : Bowling.
Dès 2009, Christian Troadec s’oppose à la taxe poids lourds :
« Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, c’est une question de bon sens. »
Pourtant la logique de la relocalisation ne pouvait que lui plaire. Outre la création des Vieilles Charrues, Christian Troadec est connu pour avoir fait fructifier les bières artisanales Coreff. Lorsqu’il rachète l’entreprise, en 1999, nous sommes au tout début de la mode des micro-brasseries régionales.
Mais le trublion, habitué des « rapports de force », voit plutôt dans l’écotaxe une nouvelle contrainte imposée par des technocrates parisiens et des bobos écolos qui n’ont jamais senti l’embrun.
« Paris se déplace à Rennes et va parler aux Bretons. Non ! La politique de la Bretagne doit être faite par les Bretons et pour les Bretons. »
L’écotaxe n’est qu’un prétexte, l’occasion d’obtenir (peut-être) plus de pouvoir de décision pour la Bretagne. Dans un long entretien publié sur Mediapart, le maire de Carhaix raconte :
« 95 % de nos finances proviennent des dotations de l’Etat ! Nous n’avons quasiment aucune autonomie financière et aucune marge de manœuvre pour répondre à l’urgence et aux préoccupations concrètes des gens. »
7 - Existe-t-il un lobby breton ?
Les bretons sont solidement installés dans le quinquennat Hollande. C’est le « Breizh Power ».
- Quatre ministres et demi : Jean-Yves Le Drian, Marylise Lebranchu, Benoît Hamon, Stéphane Le Foll (et Jean-Marc Ayrault, diront certains, même si Nantes et la Loire-Atlantique ne font plus partie de la Bretagne depuis Vichy).
- 21 députés : de quoi former un groupe parlementaire, comme le note Le Monde.
- Une poignée de conseillers de l’ombre, le principal étant Bernard Poignant, le maire PS de Quimper, surnommé « l’oreille du président ».
Terre modérée, imprégnée par la démocratie-chrétienne, la Bretagne a voté à plus de 56% pour François Hollande le 6 mai 2012. Entre les deux tours, Nicolas Sarkozy lâche : « Je me fous des Bretons. »
A l’inverse, l’itinéraire de François Hollande a croisé la Bretagne à plusieurs reprises : les « transcourants » du PS, puis les deloristes, se retrouvaient à Lorient.
Avec un tel réseau, il est étonnant que le gouvernement n’ait pas pris les devants. Cela fait des mois que les élus de l’Ouest murmurent que l’écotaxe est un casus belli. Tous ont poussé un ouf de soulagement lorsque le projet a été suspendu.
Au-delà de la gauche, les élus bretons réussissent souvent à accorder leurs violons. Par exemple, sur le projet de protection des langues régionales, la décentralisation, la pêche et l’agriculture...
A lire pour ceux qui se méfient de l’Armorique : le bouquin de la journaliste Clarisse Lucas, « Le Lobby breton. Lobi Breizh » (éd. Nouveau monde).
8 - Pourquoi les bonnets rouges ?
Le 26 octobre, les manifestants se massent devant le portique de Pont-de-Buis. La société Armor Lux leur distribue 900 bonnets rouges. On dirait une armée de grands schtroumpfs.
Le couvre-chef fait référence à la révolte fiscale qui agite l’Ouest de la France en 1675. Louis XIV a décidé d’imposer une taxe sur le papier-timbré, obligatoire pour établir un testament ou un registre d’état-civil. En Basse-Bretagne, la gronde, antiseigneuriale, est surnommée la « révolte des Bonnets rouges ».
L’historien Serge Duigou explique :
« C’était juste la coiffe habituelle, celle de tous les jours. Tout de suite, les paysans se la sont appropriées comme signe de ralliement, même si le rouge n’avait pas le symbolisme révolutionnaire d’aujourd’hui. »
Depuis, le bonnet écarlate ressurgit ponctuellement comme symbole d’une Bretagne résistante. Le parallèle entre 1675 et 2013 est cependant hasardeux.
« Il y a un point commun : la colère contre les taxes. Mais c’est de nature différente. A l’époque, c’était le peuple contre les nantis ; aujourd’hui, les patrons, les ouvriers, les paysans défilent ensemble. Et puis surtout, la révolte du papier timbré s’est soldée par un échec total. »
La couverture du Parisien, Montebourg en marinière (DR)
Aujourd’hui, le bonnet est un business. Le dirigeant PDG d’Armor Lux, Jean-Guy Le Floch, n’a jamais caché son soutien au mouvement. Dommage pour Arnaud Montebourg, qui, vêtu de la marinière, a fait d’Armor Lux le bon élève du Made in France.
Des milliers de bonnets ont été commandés par les organisateurs des manifs (FNSEA notamment), pour un chiffre d’affaire de 60 000 euros depuis le début de la manif (autour de 15 000 bonnets vendus).
Scandale ! Un responsable d’Armor Lux a reconnu que 7 500 bonnets vendus lors de la manifestation de Quimper ont été importés d’Ecosse...
D’autres entreprises tentent de s’engouffrer dans l’aubaine :
9 Les médias sont-ils parisiens ?
En Bretagne, les manifestants ont le sentiment de ne pas être entendus et d’être caricaturés par les rédactions parisiennes. L’incompréhension mène à quelques aigreurs. Et à des insultes fleuries. On vous conseille vraiment la vidéo ci-dessous, comme exemple extrême.
Le site de France 3 Bretagne a réalisé un petit guide à destination des journalistes parisiens. Ce qu’il faut savoir avant de débarquer à Quimper :
- En Bretagne, les patrons boivent des coups au bistro. Du coup, les salariés les aiment bien. Un sondage publié dans Ouest-France conclut que 80% des Bretons font confiance à leur patron plutôt qu’au gouvernement pour les sortir de la crise. Symbole de ce patronat sympa, Jean-Guy Le Flo’ch, PDF d’Armor Lux. Un documentaire sur le bonhomme a réuni 16,7% d’audience le 19 octobre sur la télé régionale.
- On ne plaisante pas avec l’agriculture. Les Bretons n’aiment pas trop qu’on critique la « production intensive ». Qui leur a demandé de faire du bas de gamme ? L’Etat français, le général de Gaulle et son ministre de l’agriculture, le breton François Tanguy Prigent.
- Les Bretons se sentent délaissés, bafoués, outragés. Vous savez d’où vient le verbe « baragouiner » ? Du breton « bara » (pain) et « gwin » (vin). Et la « bécassine », cette « jeune fille sotte ou naïve » ? De l’immigration bretonne montée à Paris dans l’entre-deux guerres.
Le billet n’a pas fait sourire les journalistes, écrit Jean-Hervé Guilcher, secrétaire du CE France 3 Nord-Ouest à Rue89 :
« Cet éditorial émane en réalité du directeur de l’antenne. Il a été mis en ligne sans le moindre débat au sein de la rédaction. La thèse et les propos qu’il véhicule ont suscité l’indignation des journalistes et de beaucoup de salariés de France 3 Bretagne. »
Le texte de Bertrand Rault « enchaîne les poncifs les plus niais et les plus éculés sur ces prétendus “irréductibles bretons” », estime le SNJ-CGT dans un communiqué
10 - Que fait le gouvernement ?
Il a reculé. Le mot à faire buzzer, c’était « apaisement ». Le gouvernement a eu peur de la manifestation prévue à Quimper le samedi 2 novembre. Il faut dire que la mairie avait pris l’initiative de mettre à l’abris le mobilier urbain. Et dans une précédente bagarre rangée un certain Mikaël avait eu a la main arrachée ( !).
Pour ne pas perdre complètement la face, le Premier ministre n’a fait qu’évoquer la « suspension » de l’écotaxe. Le temps de « renouer le dialogue ». Les écologistes, humiliés, ont une nouvelle fois passé l’éponge.
Tendance politique des conseils régionaux (2010) (CC/Wikipédia)
On imagine mal les socialistes remuer une oreille avant les municipales. Et même avant les européennes (neuf eurodéputés pour la région Ouest) et les régionales en 2015 (83 conseillers régionaux).
D’ailleurs le gouvernement est tiraillé sur la question. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian a senti très tôt se lever les vents mauvais tandis que le ministre des transports, Frédéric Cuvillier, était plutôt partisan d’un maintien du dispositif. Il l’est toujours d’ailleurs.
En plus du retrait de l’écotaxe, les patrons de l’agroalimentaire breton aimeraient que le gouvernement lutte contre le dumping social dans les pays concurrents, impose le label « Made in France » et simplifie les réglementations encadrant leur industrie. Rien de moins.
Pour étouffer la colère, les ministres planchent sur un « pacte d’avenir pour la Bretagne » [PDF]. A cette occasion, on a découvert l’existence du ministre délégué à l’agroalimentaire, Guillaume Garot. Il appuie Stéphane Le Foll, en charge de l’agriculture.
Les grandes lignes :
- la modernisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire ;
- le développement du numérique haut-débit ;
- la mise aux normes énergétiques des logements ;
- une enveloppe de 15 millions d’euros pour aider les entreprises qui tanguent.
Pour le moment, l’Etat a promis de débloquer près d’un milliard d’euros (450 millions par la banque publique d’investissement (BPI) et 555 millions par l’Etat).
11 - Ecoumouv, est-ce une arnaque ?
C’est la question qui fait frissonner l’Assemblée. Le député écolo François-Michel Lambert évoque un « scandale d’Etat ». Bigre.
Le déroulé, en cinq tableaux :
- L’Etat a décidé très vite d’avoir recours à un partenariat public privé. Un appel d’offre est lancé en mars 2009 par Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau, les ministres de l’écologie et des transports.
-
Les signatures de NKM et Mariani en bas du document (DR
-
Le 14 janvier 2011, Nathalie Kosciusko-Morizet et Thierry Mariani signent le classement des offres reçues (PDF). Comme le rappelle Le Monde, un communiqué de presse publié le 18 janvier 2011 précise bien que le « coût de la collecte tel qu’il ressort de l’offre la mieux classée est de l’ordre de 20% des recettes ».
- Les concurrents attaquent en justice. La Société des autoroutes du nord de la France (Sanef) tente de faire annuler la décision [PDF], évoquant un conflit d’intérêts entre Autostrade, l’autoroutier italien principal acteur d’Ecomouv, et Rapp Trans, un cabinet de conseil qui a participé à la sélection des candidatures.
- Le tribunal administratif reprend les arguments de la Sanef mais le Conseil d’Etat estime que le « préjudice n’est pas de nature à justifier l’annulation de l’appel d’offres ». Une enquête pour corruption est instruite à Nanterre et fermée début octobre 2013.
- Aujourd’hui, tout le monde semble découvrir la lune. Une commission parlementaire devrait enquêter sur le contrat. Le parquet de Nanterre décide le 6 novembre de rouvrir l’enquête pour corruption.
C’est le coût de la collecte qui a attiré les projecteurs. 20% du produit total de la taxe... Cela semble faramineux, mais ce n’est pas si scandaleux lorsque l’on compare avec d’autres pays européens. Le coût élevé s’expliquerait par la logistique complexe à mettre en oeuvre. C’est en tout cas la conclusion du Sénat :
« Au regard des exigences exposées par l’Etat et par les règles communautaires et des contraintes technologiques du système, le coût global du contrat de partenariat, bien qu’élevé, ne semble pas surestimé. »
Certaines dispositions du contrat posent toutefois question. L’Etat s’est engagé, sur une période de treize ans, à verser 18 millions d’euros par mois au consortium. Plutôt généreux. Autre source de soupçons : Ecomouv n’a qu’un capital de 30 millions d’euros. Un chiffre ridicule à côté de la facture du projet (800 millions d’euros). Ce qui mène Mediapart à flairer un loup :
« Il n’est pas impossible que dans les prochaines années, Ecomouv repasse, avec fortes plus-values à la clé pour ses anciens propriétaires, dans d’autres mains attirées par cette rente perpétuelle. Un Goldman Sachs par exemple, qui prendrait ainsi un contrôle direct sur les impôts des Français. »
Au-delà des chiffres, certains (comme Rachida Dati) s’étonnent qu’une société privée puisse collecter une taxe. Serait-ce le retour des fermiers généraux ?
- Et maintenant ?
Maintenant, c’est pas le changement. Le gouvernement finalise son « pacte d’avenir pour la Bretagne », promet des sous, joue l’essoufflement.
Les réunions et les promesses sont loin de satisfaire Christian Troadec, qui continue de réclamer la suppression de l’écotaxe. Une partie des bonnets rouges n’apprécie guère la banque publique d’investissement (BPI), taxée de jacobinisme.
Les élections municipales approchent et on imagine mal le gouvernement ressortir le projet. En attendant, il va falloir mettre la main à la poche pour payer :
- les portiques et les bornes abîmés (5 millions d’euros et la note pourrait s’alourdir) ;
- le manque à gagner (750 millions d’euros par an, la part de l’Etat) ;
- l’entretien des portiques (entre 40 et 50 millions d’euros par trimestre) ;
- la location si le gouvernement ne sucre pas l’écotaxe (18 millions d’euros par mois) ;
- un dédommagement en cas de rupture définitive de contrat (800 millions d’euros, mais un tribunal pourrait alléger la facture).
Une nouvelle manifestation est prévue pour le 30 novembre. Il y a quelques jours, les Français soutenaient la décision de couper l’écotaxe (seul un quart des sondés était pour le maintien). Mais à la longue la grogne bretonne pourrait agacer le reste du pays, fatigué de la péninsule qui résiste encore et toujours à l’apaisement.