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19 novembre 2013 2 19 /11 /novembre /2013 14:27

 

 

Source : rue89.com

 

Bonnes feuilles 18/11/2013 à 17h52
Google, Facebook, Apple... : ces superpuissances ont privatisé Internet
Philippe Vion-Dury | Journaliste Rue89

 

Google, Microsoft, Facebook, Apple, Amazon... Autant de noms rimant avec success stories, cools, geeks, pratiques, innovantes, voire incontournables.

 


Couverture du livre de Daniel Ichbiah « Les Nouvelles Superpuissances », Ed. First

 

Au point d’en oublier que ces entreprises sont des super-prédateurs qui ont décroché leur titre de mastodonte du Web en écrasant impitoyablement toute résistance extérieure, qu’elle provienne de la concurrence, des instances publiques ou des défenseurs des libertés individuelles.

Cette piqûre de rappel, c’est l’écrivain et journaliste Daniel Ichbiah qui nous l’administre dans un ouvrage de 464 pages intitulé « Les Nouvelles Superpuissances » (Ed. First, novembre 2013). Un livre clair, digeste et didactique balayant largement les grandes questions qui accompagnent la mutation et la privatisation de cet espace d’anonymat et de liberté que fut un jour Internet.

« Don’t be evil », disait l’autre. Rue89 publie un extrait de l’ouvrage, avec l’aimable autorisation des éditions First.

« Une forme de pouvoir proche de la monarchie »

« Au fil des années, la face cachée d’Internet a émergé. Insidieusement, cette mutation s’est accompagnée d’une redistribution des cartes en ce qui concerne le gouvernement effectif de nos sociétés, et aussi d’un changement majeur dans les valeurs qui régissent celles-ci.

L’auteur

Daniel Ichbiah est écrivain et journaliste spécialiste multimédia, jeux vidéos et musique. Auteur d’une soixantaine d’ouvrages dont “Comment Google mangera le monde” paru en 2007, il est également rédacteur en chef du magazine Comment ça marche.

Internet a provoqué, en un temps record, un changement de civilisation. Cette métamorphose a été ultrarapide si l’on s’en tient à l’échelle de l’histoire humaine. Un nouveau monde a pris forme, et nous avons nous-mêmes aidé à son élaboration, sans toujours le réaliser.

Nous avons peu à peu privilégié certains services, certains sites, certaines offres, et ainsi doté un petit nombre d’entreprises d’un pouvoir immense, ce qui inclut la possibilité de nuire à chacun de nous.

Tentons un parallèle. Tous les cinq ans, nous élisons à la majorité relative un nouvel exécutif, une nouvelle assemblée législative. Ce nouveau pouvoir auquel nous donnons temporairement les clés dispose alors de la capacité de voter des lois préjudiciables à une partie de la population.

Il est en mesure d’établir des taxes que certains vont juger iniques, de limiter certaines de nos libertés, d’imposer des mesures contraignantes, que ce soit aux individus comme aux entrepreneurs. Cinq ans plus tard, nous pouvons, dans une certaine mesure, changer la donne en confiant ce pouvoir à une autre équipe. Et, ainsi, entretenir un vague espoir d’influencer le cours des événements dans un sens différent. Au moins avons-nous la possibilité de chambouler, de temps à autre, une situation de pouvoir par trop indésirable.

Dans le cas des géants du Web, nous avons là encore désigné un petit nombre d’élus. Toutefois, nous n’avons pas affaire à un système analogue à la démocratie. Nous avons légué la maîtrise de nos existences à une forme de pouvoir proche de la monarchie. Un système régalien qui est en train de s’affermir jour après jour, au détriment des droits du citoyen.

Tout se passe comme si nous avions, à l’instar des révolutionnaires qui ont soutenu le sacre de Napoléon comme empereur au tout début du XIXe, placé nous-mêmes sur le trône l’équivalent encore en miniature des monarques de l’Ancien Régime. Entendons par là : des souverains à même d’agir comme bon leur semble, au mépris de l’opinion du peuple. […]

Nous sommes devenus dépendants de ces superpuissances, par le biais d’un consensus général. Nous utilisons Google parce que nous savons qu’une majorité d’autres internautes se servent du même moteur de recherche. Il est donc quelque part rassurant de savoir que nous trouverons les mêmes résultats que d’autres – et nous sommes a priori convaincus que ces résultats seront bons.

La popularité de Facebook relève d’un même phénomène de consensus. Passé un certain volume, un réseau social regroupe tant de personnes que nous sommes plus ou moins sûrs que nos messages atteindront ceux que nous souhaitons atteindre – ou inversement, que nous serons informés de leur activité. [...]

Revers de la médaille : nous acceptons au passage qu’un nombre énorme de données nous concernant soient rendues publiques, que ce soit par nous ou via les messages d’autres internautes. Et comme nous le verrons, l’ampleur des informations stockées par Facebook ou Google à notre égard dépasse très largement ce qui apparaît sur leurs pages.

L’habitude est un autre facteur essentiel. Pour ce qui est des écosystèmes tels qu’Apple ou Amazon, une fois que nous avons commencé à bâtir des bibliothèques de musique ou de livres sur l’un d’eux, il n’est pas aisé d’aller ailleurs. Les formats de fichiers musicaux ou de livres n’étant pas les mêmes, passer d’un iPad (Apple) à un Kindle (Amazon), ou bien à une tablette utilisant le système Android de Google peut impliquer de convertir des centaines de fichiers.

L’apparition du Cloud (stockage de nos données sur des serveurs externes appartenant à Apple, Amazon, Google ou d’autres sociétés) a rendu cette dépendance plus forte encore. Si l’on utilise un iPhone, un iPad d’Apple ou un Kindle d’Amazon, et que nous changions de modèle, tous nos biens culturels (chansons, livres,etc.) sont restitués tels quels sur ce nouveau modèle, ce qui peut inciter à demeurer dans la famille.

En corollaire, comme nous le verrons plus en détail au chapitre 5, nos biens culturels ne nous appartiennent plus de manière intégrale, par comparaison avec la sensation de propriété que nous pouvions éprouver par le passé vis-à-vis de nos livres, disques, films… […]

Théoriquement, rien ne nous empêcherait de choisir un autre réseau social que Facebook, un autre moteur de recherche que Google, une librairie musicale différente de iTunes…

Rien, si ce n’est ce phénomène que constituent le consensus et l’habitude. Cependant, tout n’est peut-être pas perdu. L’histoire fourmille d’exemples dans lesquels les citoyens ont été en mesure de changer les choses. […]

Le dernier chapitre de ce livre est consacré à la capacité que nous avons tous, en tant que citoyens, de mieux faire valoir nos droits face à ces nouveaux monopoles. Comme nous avons nous-mêmes placé sur le trône une dizaine de superpuissances du Web, il existe potentiellement une issue… »

 

 

 

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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 17:40

 

 

Source : mediapart.fr

 

Et ce sont toujours les banques qui gagnent à la fin

|  Par Martine Orange

 

 

 

En se cachant derrière la débâcle de Dexia et des emprunts toxiques, le gouvernement vient de faire un formidable cadeau aux banques. Au mépris du principe de rétroactivité, il les amnistie de toutes leurs erreurs sur les prêts.

En matière de cadeaux aux banques, le gouvernement a déjà fait beaucoup. Mais il a décidé de faire plus. Après la farce sur la séparation des activités bancaires, c’est une véritable loi d’amnistie que vient d’accorder le gouvernement aux banques. À l’avenir, celles-ci vont pouvoir à titre rétroactif bénéficier d’une totale immunité sur les contrats de prêt signés avec toutes les personnes morales, et ne pourront plus être poursuivies si ces contrats n’indiquent pas le taux effectif global, comme le prévoyait jusqu’ici la loi.

L’affaire s’est jouée dans la discrétion au cours de la nuit du 14 novembre, à l’occasion de la discussion de l’article 60 de la loi de finances. Un article compliqué et très attendu par les collectivités locales (voir notre article « Les élus dénoncent le marché de dupes proposé par l’État ») : il s’agissait de trouver une sortie convenable pour les collectivités territoriales prises dans les rets des emprunts toxiques tout en limitant les risques pour l’État, et surtout ceux pesant sur la banque Dexia, qui depuis son effondrement est totalement à la charge de ce dernier.

Pour aider les collectivités locales piégées par les emprunts toxiques, l’État s’est dit prêt à leur consentir une aide de 1,5 milliard d’euros sur quinze ans. Mais il y a mis des conditions : les collectivités locales doivent au préalable avoir trouvé un compromis avec les banques. La forme du compromis est même fixée par la loi : les collectivités locales doivent accepter un remboursement anticipé avec toutes les pénalités qu’elles peuvent encourir. C’est déjà mettre les collectivités locales dos au mur.

Mais comme si cela ne suffisait pas, le ministère des finances a décidé d’inclure une modalité qui les place pieds et poings liés face aux banques : supprimer toute possibilité de contestation légale en cas de défaut de mention du taux effectif global dans les prêts. Dès l’annonce du texte, de nombreux élus ont protesté contre cette disposition. Cela revenait à leur ôter toute arme juridique face aux établissements prêteurs, n’ont-ils cessé de dénoncer.

De fait, dans la longue bataille qui oppose depuis 2009 les collectivités locales aux banques, le TEG a jusqu’à maintenant été le seul argument juridique admis par les tribunaux pour casser les contrats. En février 2013, le tribunal de grande instance de Nanterre a jugé que l’absence du taux effectif global du prêt, comme le prévoit la loi, invalidait l’ensemble du contrat. Le tribunal avait en outre sanctionné l’erreur en imposant comme référence de calcul pour le prêt le taux d’intérêt légal (soit 0,04 %) au lieu du taux d’intérêt conventionnel.

Le jugement fait l’objet d’une procédure d’appel. Mais il n’a pas fallu dix mois pour le monde bancaire pour faire réécrire un texte « si lourd d’incertitudes juridiques ». Tordant le cou aux principes de la non-rétroactivité de la loi, de l’intangibilité des contrats, de l’égalité de traitement, le dispositif revient à offrir une amnistie complète et une immunité à l’ensemble du monde bancaire, absous désormais de toute faute. C’est une loi d’indulgence, comme l’écrit Julien Alexandre sur le blog de Paul Jorion.

D’un trait de plume, le gouvernement a rayé de façon rétroactive les dernières protections juridiques offertes à toutes les personnalités morales, c’est-à-dire les collectivités locales et territoriales mais aussi les entreprises, les associations, qui auraient contracté un prêt et envisageraient de le contester, en raison de l’absence de TEG.

Officiellement, il ne s’agit pour le gouvernement que de lever les menaces qui pèsent sur Dexia, principal pourvoyeur de crédits toxiques aux collectivités et qui depuis sa faillite est entièrement à la charge de l’État, au travers de la structure de financement, la SFIL, chargée de gérer le passé et le passif de la banque. La décision du TGI de Nanterre fait « courir un risque majeur aux finances publiques », insistait le texte du projet de loi : il fallait à tout prix encadrer les risques encourus par Dexia, qui a déjà coûté plus de 6,6 milliards d’euros aux contribuables. Les contentieux à venir pouvaient représenter encore un risque de 3,7 milliards d’euros, avait chiffré le rapport.

Impérial, le député PS Henri Emmanuelli avait eu l’argument définitif lors de la discussion en commission des finances pour justifier le procédé : la nécessité de rassurer les marchés. Il en allait des financements publics à venir. « Si les deux premières émissions de la SFIL se sont bien passées, c’est parce que ces derniers avaient connaissance du dispositif contenu dans l’article 60, dont le but essentiel est de les rassurer. Le supprimer reviendrait à semer la panique sur les marchés, de sorte que la SFIL ne pourrait plus emprunter, ou alors à un coût beaucoup trop élevé. C’est tout le système qui s’effondrerait alors », prédisait-il. Il est loin, le temps où le député protestait devant le pouvoir de la finance.

Pour être rassurés, les marchés vont l’être. Comme depuis le début de la crise, le monde financier se retrouve bénéficiaire d’un aléa moral, refusé à tout autre. « Une fois encore, quand les banquiers font des erreurs, ils doivent payer, comme tout citoyen. S’il s’agissait de petites gens, de gens modestes, aurait-on rédigé un article de loi pour eux ? Sûrement pas ! On protège donc les gros et les puissants au détriment d’emprunteurs, pour beaucoup – pas tous, certes – de bonne foi et qui ont été trompés. Du côté de l’emprunteur, de quel droit va-t-on faire tomber 116 assignations – rien que pour les collectivités locales : l’étude d’impact oublie de parler des PME, des hôpitaux, d’entreprises moyennes, voire grandes. On nous dit que cela va être épouvantable, que les 116 assignations en cours à elles seules coûteront autour de 3,7 milliards d’euros. Mais de quel droit fait-on cela ? », insistait le député UDI Charles de Courson, en soulignant le risque d’inconstitutionnalité du dispositif, lors de la discussion en séance.

Tous les arguments présentés par les députés de droite comme de gauche pour tenter de repousser le dispositif ou au moins de l’amender ont été repoussés. Au nom de Dexia, les banques emportent une victoire par KO debout face à tous.

Car la distribution des cadeaux ne s’est pas arrêtée là. Pour faire bonne mesure, le gouvernement a inscrit un nouveau dispositif dans le code de la consommation, afin « d’éviter des sanctions disproportionnées au regard du préjudice réel pour l’emprunteur », explique le projet de loi. Il concerne l’ensemble des emprunteurs cette fois. Désormais, en cas d’erreur dans le calcul d’un prêt, les banques ne pourront plus être condamnées par les tribunaux à appliquer le taux d’intérêt légal. Elles pourront conserver le taux prévu par le contrat, le juge ne pouvant que les condamner à payer une sanction civile. C’est la prime aux erreurs – volontaires ou non – des banques. Elles se retrouvent ainsi dédouanées de toute responsabilité d’information et de conseil à l’égard de leurs clients, qui risquent de se retrouver totalement piégés notamment en cas de prêt à taux variable ou de crédit revolving. Tout est fait ainsi pour minimiser le poids de la responsabilité des banques.

Sans nul doute, il y a eu une erreur de transcription lors du discours du Bourget de François Hollande. Il voulait dire : « Mon amie, c'est la finance. »

 

 

 

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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 16:44

 

Source : blogs.mediapart.fr/blog/amnestyinternational

 

 

Travailleurs migrants exploités et luttant pour leur survie au Qatar


 
Des déchets de chantier stockés à côté de la cuisine et des chambres des travailleurs 
Des déchets de chantier stockés à côté de la cuisine et des chambres des travailleurs © Shaival Dalal

« C'était complètement sans espoir. » C'est ainsi que Rahul* a résumé sa première période comme travailleur migrant au Qatar lors d'une récente conversation avec Amnesty International. Bloqué à plus de 2 000 kilomètres de son Inde natale, dans un pays dont il ne parlait pas la langue, il se trouvait dans la situation la plus difficile jamais vécue de toute sa vie professionnelle.


A l'ombre d'une construction flambant neuf, de sombres histoires

À environ 50 minutes de voiture au nord de Doha, à Ras Laffan, au cœur même de l'industrie gazière du Qatar, se trouve le campus de l'école Ras Laffan Emergency and Safety College (RLESC), une école de formation aux situations d'urgence et à la sécurité officiellement inaugurée par le Premier ministre le 12 novembre. L'établissement compte un auditorium de 120 places, des salles de conférence, une salle à manger de 300 couverts et un terrain avec une tribune pour VIP.

Mais beaucoup de malheur se cache derrière ce nouveau campus étincelant. Pour Rahul et ses collègues d'une entreprise appelée Krantz Engineering, le temps qu'ils ont passé à la construction du site, ainsi que les neuf mois qui ont suivi, constituent une période sombre de leur vie.

En juillet 2012, le versement de leurs salaires s'est brusquement arrêté. Leur employeur n'a cessé de leur assurer qu'ils allaient être payés et qu'ils devaient continuer à travailler, mais les salaires n'ont jamais été versés. Malgr, ils risquaient de lourdes sanctions financières s'ils ne se présentaient pas à leur lieu de travail.

En novembre 2012, la plupart des hommes avaient cessé le travail et demandaient à rentrer dans leur pays avec les salaires qui leur revenaient.

Mais début 2013 ils étaient toujours bloqués au Qatar, sans travail ni salaire depuis plusieurs mois, sans aucun moyen pour retourner chez eux, luttant pour survivre et risquant à tout moment d'être arrêtés. Leur situation, déjà difficile, a empiré de manière inexorable. Ils ont adressé plusieurs appels à leur employeur et aux autorités du Qatar afin qu'ils les payent et les laissent repartir, mais en vain.

En février 2013, au bout de sept mois sans salaire et sans pouvoir rentrer dans leur pays, plusieurs travailleurs disaient avoir des pensées suicidaires.

 

Pris au piège

Les employés de Krantz Engineering ont voulu changer de travail ou quitter le Qatar, car les promesses répétées de versement de leurs arriérés de salaire n'avaient depuis longtemps plus aucun sens. Au fil des mois, certains ont même demandé à leur employeur de les renvoyer chez eux sans salaire.

Cependant, du fait de divers obstacles bureaucratiques et pratiques, sortir de cette situation était bien plus difficile qu'il n'y paraissait.

En raison du système de « parrainage » qatarien qui réglemente le recrutement et l'embauche des travailleurs migrants, la présence de ces hommes au Qatar était liée à leur employeur et ils ne pouvaient donc pas chercher un autre travail dans le pays.

De plus, Krantz Engineering retenait leurs passeports, de sorte que même s'ils parvenaient à rassembler eux-mêmes l'argent nécessaire, il leur était impossible de prendre un avion pour quitter Doha.

Il y avait aussi une considération matérielle qui préoccupait très lourdement plusieurs d'entre eux.

Comme l'a expliqué Rahul, la plupart, si n'est tous, avaient été attirés par les salaires que Krantz leur faisait miroiter et qui étaient nettement plus élevés que ceux auxquels ils pouvaient prétendre dans leur propre pays. Pour se rendre au Qatar, ils avaient pour beaucoup contracté des dettes qu'ils devaient maintenant rembourser – ce qui venait s'ajouter au coût d'une autorisation de sortie à solliciter auprès des autorités qatariennes et au prix du billet d'avion.

Aux termes des contrats signés par les travailleurs migrants au Qatar, le voyage de retour et toutes les démarches bureaucratiques sont censés être couverts. Mais comme pour les salaires, là aussi les promesses restent souvent lettre morte.

Cette conjugaison de facteurs a forcé Rahul et ses collègues à attendre dans leur lieu d'hébergement, mois après mois, sans être payés. À partir d'avril 2013, la compagnie a cessé les approvisionnements en nourriture. Pendant tout ce temps, la plupart de ces hommes n'avaient pas de statut de résident en bonne et due forme parce que Krantz n'avait pas fait les démarches nécessaires, et plusieurs ont été arrêtés.

L'un des collègues de Rahul, un Indien de 31 ans, agent de maîtrise en chauffage et ventilation, a décrit il y a peu son calvaire à Amnesty International : « Cela a été horrible. Je ne sais pas pourquoi je suis venu. Je dirais que c'est la pire période de ma vie. Mon père est décédé alors que je peinais ici et je n'ai pas pu aller le voir une dernière fois, même après les avoir suppliés [au ministère de l'Intérieur], en larmes et à genoux. »

Rahul s'est rendu à maintes reprises à divers tribunaux et institutions publiques du Qatar, et il a fait part de sa frustration à Amnesty International en avril 2013 :

« Je vous écris ce courriel après avoir beaucoup souffert et bataillé... Je me suis plaint à plusieurs endroits, au tribunal du travail, à l'ambassade de l'Inde, à la haute cour, au ministère de l'Intérieur et au Conseil national des droits humains, mais je n'ai reçu aucune réponse positive de personne... Depuis cinq jours je n'ai plus d'argent pour manger car cela fait neuf mois que je n'ai pas été payé. »

Rahul a finalement pu obtenir une autorisation de quitter le territoire après qu'Amnesty International l'a mis en contact avec le Comité national des droits humains du Qatar, qui à son tour a travaillé avec le ministère de l'Intérieur pour accélérer le processus. Il a enfin pu quitter le Qatar en mai de cette année, mais seulement après que Krantz Engineering l'eut contraint de signer une lettre disant qu'il avait perçu neuf mois d'arriérés de salaire. À ce jour il n'a pas reçu le moindre centime de la somme qui lui est due.

 

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Des billets d'avion sont remis devant le Ministère de la Justice aux travailleurs ayant signé une fausse déclaration selon laquelle ils auraient été payés © Amnesty International


Les trois derniers anciens employés de Krantz Engineering, à bout, sont finalement rentrés chez eux en avion en juillet 2013, un an après la suspension du versement de leur salaire.

Cependant, Rahul et beaucoup d'autres ne sont pas encore au bout de leur peine. Pour pouvoir rembourser les dettes accumulées alors qu'il travaillait pour Krantz, Rahul n'a pas eu d'autre choix que de retourner au Qatar – cette fois-ci auprès d'un autre employeur – où il continue à tenter de récupérer une partie de l'argent qu'il a perdu.

 

Après le rêve, la très dure réalité

Le cas des ouvriers de Krantz Engineering n'est que l'un des nombreux exemples troublants décrits par Amnesty International dans un nouveau rapport intitulé The Dark Side of Migration: Spotlight on Qatar’s construction sector ahead of the World Cup, où il apparaît que le secteur du bâtiment au Qatar emploie des personnes sur des projets de plusieurs millions de dollars tout en les soumettant souvent à une grave exploitation.

« Derrière les liens contractuels souvent complexes que l'on retrouve dans le domaine de l'emploi au Qatar se cache la maltraitance des travailleurs migrants, une maltraitance courante et banale qui, dans certains cas, s'apparente au travail forcé », a déclaré James Lynch, chercheur d'Amnesty International sur les droits des migrants dans la région du Golfe.

Selon les observations d'Amnesty International, les mesures de protection actuellement fournies aux travailleurs migrants par les pouvoirs publics sont insuffisantes.

Amnesty International exhorte le gouvernement du Qatar à appliquer les dispositions existantes en matière de protection des droits du travail, que de nombreux employeurs bafouent régulièrement. L'organisation demande aussi une réforme du système dit de « parrainage », qui interdit aux travailleurs migrants de quitter le pays ou de changer d'emploi sans l'autorisation de l'employeur.

*Pseudonyme destiné à protéger l'identité de la personne.

 

 


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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 16:31

 

 

Source : lemonde.fr

 

Goodyear Amiens : "On va nous proposer quoi ? Cueilleur de champignons à Paris ?"

Le Monde.fr | 18.11.2013 à 14h31 • Mis à jour le 18.11.2013 à 14h38 | Par Francine Aizicovici

 
 

 

Tous les salariés du site de Goodyear à Amiens-Nord ont reçu des invitations à se rendre à la cellule de reclassement.

 

Amiens (envoyée spéciale). Depuis 6 heures du matin à l'usine Goodyear d'Amiens-Nord plus aucun pneu ne sort du site. Les grilles de l'entrepôt ont été soudées. La CGT organise des équipes pour garder les lieux tout au long de la journée et de la nuit.

Dans le même temps, à quelques kilomètres de là, à Boves, le "point information conseil" (PIC), qui est la cellule de reclassement mise en place par Goodyear à destination des 1 173 salariés du site d'Amiens-Nord, ouvrait ses portes pour la première fois.

La direction considère en effet que la procédure d'information-consultation sur le plan social (PSE) accompagnant la fermeture du site est terminée. Ce que contestent la CGT et la CFDT, qui ont engagé des actions en justice. Tous les salariés ont donc reçu, la semaine passée, des invitations à venir à la cellule de reclassement, qui est gérée par Sodie, une filiale du groupe Alpha.

Ce même groupe, à travers sa filiale Sécafi, avait mené une expertise pour le comité d'entreprise de Goodyear très contestée - le rapport avait conclu que l'usine n'était pas viable. Ce qui ne facilite pas la tâche de Sodie.

 

"LA PROCÉDURE EST ILLICITE"

Vers 9 heures du matin, une centaine de salariés était sur place à Boves. Personne ne voulait rentrer. "La procédure est illicite, déclare René, 56 ans. On n'est pas licencié. Mettre en place la cellule, c'est mettre la charrue avant les bœufs. On verra en temps voulu."

" Si on va au PIC, c'est qu'on accepte le PSE. Donc on n'y va pas, assène Franck Jurek, délégué CGT, qui ajoute tout de même : "Cela dit chacun est libre d'y aller."

Il y a aussi des doutes sur l'utilité de la cellule. D'autant que le bassin d'emploi d'Amiens est sinistré. "Et on va nous proposer quoi ?, dit un salarié. Etre cueilleur de champignons à Paris, comme nous avait dit un ancien DRH ? " Vendredi 15 novembre, une dizaine de chefs de secteur de Goodyear sont venus visiter les lieux et assister à une réunion d'information sur le reclassement.

Depuis lundi matin, la direction affrète des autobus de l'usine vers le PIC : 45 au total sont prévus sur une semaine, avec des rotations toutes les deux heures. Deux nocturnes sont aussi programmées dans la semaine, jusqu'à 22 h 30. 


"TROUVER UNE SOLUTION POUR CHACUN"

Il est 10 heures, à Boves, face aux locaux où est installé le PIC, tout le monde a froid. Virginie Classiot, directrice de projet chez Sodie apporte des cafés. "On ne va pas en prendre, on nous achète pas comme ça", lance un salarié. Un autre rigole : "vous n'allez pas nous empoisonner quand même."

"On est là pour vous aider. Nous ne sommes pas Goodyear et Goodyear met des moyens pour la cellule, répond Mme Classiot. Nous sommes 15 personnes payées pour vous accompagner."

Elle en profite pour glisser quelques informations : "Sur Amiens, il y a des emplois dans l'agroalimentaire, la maintenance, l'aide à la personne. Le but c'est de vous faire des propositions personnalisées. Pour anticiper sur les licenciements." " On n'est pas licencié ", disent les ouvriers.

"Je vous respecte, je respecte ce que vous faites individuellement et collectivement, répond Mme Classiot. Cela ne coûte rien de venir nous voir. Vous pouvez le faire de façon anonyme. Appelez notre numéro vert pour vous informer."

Mais le dialogue est délicat. Il y a de mots qui font réagir. "Votre salaire est supérieur au marché, lance Mme Classiot. Mais il y a des dispositifs mis en place par Goodyear pour compenser la différence entre les salaires que vous trouverez et le votre, pendant 21 mois".

"Et ben vous allez nous attendre longtemps", rétorque un salarié. Un autre lance : "vous allez nous apprendre à vivre sans manger de viande ?" Un autre crie : "c'est honteux, vous vous servez du malheur des autres pour vous faire du fric. " Une partie de la rémunération de Sodie est basée sur le nombre de reclassements qui sera atteint.  

Mme Classiot ne se lasse pas de répéter : "notre objectif c'est de trouver une solution pour chacun". Mais beaucoup de salariés n'y croient pas.  Surtout à cause de "l'image des Goodyear", explique l'un d'eux. "On a été sali, on a été insulté dans les médias, on a parlé de nous comme de fainéants". "Dans trois mois, assure Mme Classiot, l'image sera oubliée."


100 POSTES PROPOSÉS EN INTERNE

Pour le moment, le PIC dispose de 100 postes de reclassement en interne, dont 55 chez Dunlop à Amiens-Sud, l'usine qui fonctionne en 4 x 8 heures, un système que le salariés de Goodyear Amiens-Nord avaient refusé.  Les 45 autres postes proposés sont à l'usine de Montluçon.

  A 11 h 30, un deuxième car arrive de l'usine Goodyear avec sept personnes à bord qui entrent dans le PIC. La foule reste clame – même si quelques jets d'oeufs et de farine sur la façade de l'immeuble ont eu lieu plus tôt dans la matinée.

"Je suis persuadée que les salariés vont venir nous voir dans les prochaines semaines, indique Mme Classiot. Au moins ceux qui ne sont pas au front " de la lutte,

Mais pour Michael Wamen, délégué CGT et leader du mouvement, "les cellules de reclassement ne sont là que pour donner bonne conscience à Goodyear. Ce que nous voulons c'est que les pouvoirs publics obligent Goodyear à venir discuter avec nous."

Francine Aizicovici
Journaliste au Monde

 


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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 16:11

 

Source : mediapart.fr

Personnes handicapées : le chômage en hausse de 60% sur 4 ans

|  Par La rédaction de Mediapart

 

 

 

Selon les derniers chiffres de la Dares, le chômage touche 21 % des personnes handicapées. Cette situation, qualifiée d’« urgente » par les associations pour l'insertion des personnes handicapées, « nécessite une mobilisation des entreprises et des pouvoirs publics beaucoup plus forte ».

Alors que s’ouvre, lundi 18 novembre, la 17e édition de la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, les associations déplorent une augmentation de 60% du taux de chômage des personnes handicapées sur les quatre dernières années.

« Il y a urgence. Le chômage des personnes handicapées a augmenté de 60 % depuis quatre ans. Cette situation supposerait une mobilisation des entreprises et des pouvoirs publics, beaucoup plus forte que celle qu'on a aujourd'hui », estime Véronique Bustreel, conseillère nationale chargée de l'emploi à l'Association des paralysés de France (APF).

Actuellement, le taux de chômage des personnes handicapées, qui s'élève à 21 %, est deux fois supérieur au taux de chômage national (11 %). Selon une étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), sur les deux millions de personnes de 15 à 64 ans qui ont une reconnaissance administrative de leur handicap, seules 700 000 ont un emploi. Alors que seulement 31 % des gens n’ont aucun diplôme ou seulement le brevet des collèges, ce chiffre monte à 51 % pour les personnes handicapées.

Toujours selon le rapport de la Dares, même si plus de 80 % des personnes handicapées travaillent en milieu « ordinaire », la part de ces handicapés travaillant en milieu « protégé », c'est-à-dire dans des ESAT (établissements et services d'aide au travail) ou des entreprises adaptées (EA), est en constante augmentation. 

Les associations pour l'emploi des personnes handicapées demandent le renforcement des mesures pour l'intégration des personnes handicapées en milieu « ordinaire ». Aujourd'hui, les entreprises de plus de 20 salariés ont l'obligation d'employer 6 % de personnes handicapées sous peine de pénalités financières, mais le taux moyen dans le privé comme dans le public est encore inférieur à 4 %. 

La ministre déléguée au handicap, Marie-Arlette Carlotti, a affirmé sa volonté de faciliter le passage des travailleurs handicapés entre le milieu « protégé » et le milieu ordinaire. Le futur projet de loi réformant la formation professionnelle et l'apprentissage aura un volet handicap, a annoncé la ministre.

 

Source : mediapart.fr

 

 

 

 

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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 15:51

 

 

Source : marianne.net

 

Les patrons ne connaissent pas la crise
Lundi 18 Novembre 2013 à 12:50

 

Jack Dion
Directeur adjoint de la rédaction de Marianne et grand amateur de théâtre En savoir plus sur cet auteur

 

Le salaire d'un patron du CAC 40 se situe au modeste niveau de 3,96 millions d'euros par an...

 

Carlos Ghosn - BEHAR ANTHONY/SIPAUSA/SIPA
Carlos Ghosn - BEHAR ANTHONY/SIPAUSA/SIPA

La bonne nouvelle est venue du Figaro : « Les patrons du CAC 40 ont diminué leur rémunération ». Fichtre. Va-t-on devoir organiser des collectes de solidarité pour permettre aux grandes familles de passer l'hiver ? Grâce à Dieu (et au veau d'or), on n'en est pas là.

Résumons les données fournies par le cabinet Proxinvest, et présentées de façon fort intéressée par le Figaro, où l'on n'oublie jamais que le patron s'appelle Serge Dassault. Pour la troisième année consécutive, la rémunération totale des PDG des 120 premiers groupes cotées à la Bourse a augmenté en 2012  (+. Chez ces gens-là, la crise est une aubaine. Le salaire moyen d'un patron d'une grande entreprise est de 2,84 millions d'euros par an, soit 236 000 € par mois, autrement dit 197 Smic mensuel. Par parenthèse, ce sont les mêmes qui viennent expliquer que le « coût du travail » est insupportable. Visiblement, leur salaire n'est pas concerné.

Mais il y a mieux - ou pis, tout dépend de quel côté de la barrière sociale on se situe. Il s'agit du cas très particulier des dirigeants du CAC 40, la crème de la crème, le gratin de l'élite financière. Certes, leur rémunération moyenne a effectivement baissé. Mais elle se situe cependant au modeste niveau de 3,96 millions d'euros par an, soit 330 000 € par mois, ou encore 275 Smic.

Comme il s'agit d'une moyenne, il en est qui font exploser les statistiques. Tel est le cas de Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes (14,9 millions d'euros), de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan (13,4 millions), ou de Bernard Arnault, qui dirige LVMH (9,5 millions), dignes représentants d'une caste où l'on aime prôner les sacrifices pour les autres.

On se consolera en notant que l'on ne s'éloigne pas trop des normes établies par le « code de gouvernance » adopté par le Medef, avec l'accord tacite du gouvernement. En vertu de ce document, qui a la valeur éthique d'une OPA, le « maximum socialement acceptable » est de 240 fois le Smic. Il faut se faire à l'idée que l'égalité s'arrête à la porte des entreprises.

 

 

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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 14:51

 

 

Source : bastamag.net

 

 

40 000 suppressions d’emplois en 2014 : ce plan social invisible qui frappe le secteur associatif

par Nadia Djabali 18 novembre 2013

 

 

    Les associations ont souffert sous la présidence Sarkozy. Vont-elles expirer avec Hollande ? 30 000 à 40 000 emplois devraient être supprimés en 2014, dans un secteur associatif qui en compte 1,8 million. Les raisons de cette gigantesque vague de licenciements : la baisse des budgets des collectivités locales, qui n’ont plus les moyens de soutenir les associations. Et la politique de l’État qui oriente ses subventions et ses appels d’offre vers les plus grosses structures, transformées en prestataires de services. Une politique jugée « aveugle et suicidaire » par nombre de représentants du secteur. Enquête.

    Le 1er janvier 2014, il n’y aura plus aucun éducateur dans les rues d’Orléans, de Montargis ou de Pithiviers pour aller à la rencontre des collégiens et des ados. Le département du Loiret a annoncé cet été qu’il ne financerait plus la prévention spécialisée, jugée inefficace par ses services. L’enveloppe départementale représente 80% du budget des deux associations en charge de cette prévention : 50 éducateurs, dont 40 équivalents temps plein viendront donc gonfler les effectifs de Pôle emploi.

    En Seine-Maritime, même processus. Le nombre d’éducateurs de rue est divisé par deux suite à la décision du conseil général de réduire les subventions de 6,8 millions d’euros à 3,5 millions d’euros. Cette coupe budgétaire a un impact immédiat sur les associations de prévention, financées à 90% par le département : 74 emplois supprimés sur les 140 que compte le secteur. Une rallonge de 500 000 euros du conseil général servira à solder les licenciements.

    La prévention spécialisée n’est pas la seule touchée. En Isère, le Planning familial est dans une situation très difficile depuis l’annonce par le conseil général d’une diminution des subventions de 98 000 euros. Plus de la moitié des centres sont concernés, avec à la clé la fermeture du centre d’Eybens, près de Grenoble.

    Un plan social invisible

    On ne compte plus les associations dont les comptes virent au rouge, plombés par les mesures d’austérité. Décidées au niveau national, ces coupes dégringolent en cascade jusqu’aux finances locales. Au bout de la chaîne, des associations mettent la clé sous la porte ou se séparent de leurs permanents. « Entre 2010 et 2012, le secteur associatif a perdu 11 000 emplois alors qu’il représente aujourd’hui un emploi sur dix du secteur privé », confirme Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative.

    Ce n’est que le début. L’année 2014 s’annonce très rude. « Compte tenu des 14 milliards d’économie annoncée par le gouvernement, dont 1,5 milliard de baisse de la dotation des collectivités locales, le monde associatif subira un plan social invisible de 30 000 à 40 000 emplois l’année prochaine », s’alarme Didier Minot [1], du collectif des associations citoyennes (CAC). La lutte contre le déficit public oblige les collectivités à se recentrer sur leurs compétences obligatoires au détriment des actions en faveur de la vie associative en général, de l’environnement, de l’éducation populaire, de la défense des droits, de la culture et du sport. Une restructuration économique qui demeurera invisible. Les petites associations étant majoritairement concernées, il n’y aura pas de plan social massif mais une multitude de licenciements épars, dans un secteur qui emploie 1,8 million de salariés à temps plein ou partiel, en plus des 16 millions de bénévoles actifs.

    Ministre contre ministre

    Créé en 2010, le CAC multiplie les actions, les rendez-vous, et recense les associations en difficulté. Un appel à mobilisation a été lancé (voir ici). Il a recueilli 7 500 signatures dont une centaine de réseaux nationaux, 200 associations régionales et départementales, et plus de 700 associations locales. Nouvelle preuve que le secteur est sinistré, les signatures continuent d’affluer.

    « Il y a deux langages au sein de l’État, constate Didier Minot. Un discours de dialogue porté par Valérie Fourneyron. Et un autre discours, porté par le ministère des Finances ou par Matignon, qui tend à accroître la complexité des procédures, à considérer toujours plus les associations comme des entreprises. Et surtout à diminuer les financements associatifs. Quand on regarde sur plusieurs années, cela s’apparente à une strangulation. »

    Politique « aveugle et suicidaire »

    À Saumur (Maine-et-Loire), la Maison des jeunes et de la culture (MJC) s’est vue refuser une subvention de l’État de 7 000 euros. Du coup la Ville, qui subordonnait son financement à celui de l’État, refuse de mettre la main au portefeuille. Les 7 000 euros en font 15 000 de moins. Cette situation met en déséquilibre le poste de directeur qui va être supprimé. « Pour 7 000 euros, on va envoyer au chômage une personne qui coûtera bien plus cher aux comptes sociaux. Et on met en péril le fonctionnement d’une MJC », s’indigne Didier Minot. Nous sommes dans des mécanismes complètement incompréhensibles. Creuser le déficit public, alors qu’on prétend le combler, est une position aveugle et suicidaire ! »

    D’où vient cette restructuration ? En juin 2008, le rapport « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les associations » est remis à Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. « Ce dernier propose de rompre avec la culture de la subvention et suggère que la distribution des subventions laisse désormais la place à un système de commande publique », expliquent Viviane Tchernonog et Jean-Pierre Vercamer, auteurs d’une étude sur le sujet [2]. En janvier 2010, la circulaire Fillon enfonce le clou : elle affirme que la grande majorité des activités exercées par les associations peuvent être considérées comme des « activités économiques » et entrent donc dans le champ concurrentiel. En clair, une association devient une banale entreprise, prestataire de services.

    Fini le collectif, place au Social Business

    Après la « modernisation » de l’État, qui s’inspire des modèles de gestion pratiqués au sein des grandes entreprises privées (et dont la révision générale des politiques publiques – RGPP – a marqué le commencement), c’est au tour des associations de devoir se convertir au modèle de gestion anglo-saxon, au « lean management » et à la performance chiffrable. « C’est l’idée selon laquelle les associations sont certes sympathiques, mais souffrent d’amateurisme, analyse le chercheur Jean-Louis Laville. Elles doivent donc moderniser leur fonctionnement en empruntant les formes de management des grandes entreprises privées. Pour être modernes, les associations doivent se convertir en ce que Mohamed Yunus a désigné comme “Social business”, c’est-à-dire des entreprises à but social fonctionnant comme des entreprises, adossées à de grands groupes privés qui vont leur permettre de gagner en performance. »

    Le modèle concurrentiel introduit par les appels d’offre fait déjà de gros dégâts. Car ce sont les associations les plus grosses et les plus institutionnalisées qui raflent les marchés. La fédération Leo Lagrange, issue de l’éducation populaire, est forte de 8 000 salariés dont 3 000 équivalents temps plein. 150 millions d’euros de chiffres d’affaires, 13% de croissance en 2012, avec de plus en plus de demande de services sur la petite enfance ! « On est en train de devenir le premier opérateur de berceaux, on commence à gérer de plus en plus de crèches », déclarait fièrement Bruno Le Roux, président de Léo Lagrange, lors d’une visite de Michel Sapin, ministre du Travail, au siège de la fédération. Léo Lagrange s’est engagée à embaucher 150 emplois d’avenir sur les trois prochaines années. Bruno Le Roux est par ailleurs député PS et président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale...

    Économie « sociale » : les gros écrasent les petits

    Avant, les dirigeants venaient du métier ou de l’association elle-même. Aujourd’hui, une partie des structures sont administrées par des gestionnaires professionnels. Elles sont munies de services très performants qui épluchent les appels d’offre publics. Leur taille leur permet de réaliser des économies d’échelle dans un contexte où la commande publique se contente souvent du moins-disant. Résultat, les petites associations locales ne font plus le poids et mettent la clé sous la porte. « Je connais une fédération de la Ligue de l’enseignement en région parisienne qui fait du marketing auprès de toutes les communes pour gagner des parts de marché sur les autres organisations d’éducation populaire. Ils ont maintenant un quasi monopole sur toute la vie scolaire », illustre Didier Minot.

    Le centre social Accueil Goutte d’Or, dans le 18ème arrondissement de Paris, en sait quelque chose. En 2012, il a perdu le suivi socioprofessionnel d’une centaine d’allocataires du RSA, qu’il assurait depuis 1996. Les critères de sélection des financeurs donnaient la part belle aux structures intervenant sur plusieurs territoires. « Ces critères ne sont pas adaptés à une petite association comme la nôtre, dont l’efficacité vient de sa proximité au quartier et de sa connaissance proche de ses habitants », déplore Christine Ledésert, directrice du centre social.

    67 millions pour les associations... du ministère des Finances !

    L’État préfère les grosses structures associatives. En 2011, il a consacré 1,2 milliard d’euros aux associations, par des subventions directes. Deux tiers de ces aides sont allées à seulement 342 structures (sur les 21 119 subventions répertoriées). Et 3,5% des associations subventionnées reçoivent les trois quarts de l’appui public. « De très grosses associations sont très fortement financées et une poussière de petites associations reçoivent une poussière de petites aides, qui sont néanmoins vitales pour elles », commente un observateur. D’autre part, 42% de ces financements sont destinées à des organisations para-publiques : centres de formation, établissements d’enseignement supérieur, fondations politiques, musées, grandes institutions culturelles, de la Croix-Rouge aux instituts techniques agricoles, en passant par les orchestres nationaux.

    Un comble : les structures associatives les plus subventionnées en France se trouvent... au ministère des Finances ! À quelques étages sous le bureau du ministre de l’Economie Pierre Moscovici ! La cantine de Bercy est une association. Le comité des œuvres sociales du ministère est une association. Et le total des aides qui leur sont versées atteint 67 millions d’euros ! Si l’on retire le demi-milliard d’euros ainsi consacré à des organismes para-publics ou de cogestion, il reste 700 millions pour les associations, orientés en priorité vers les plus grosses, les mieux à même de répondre à un appel d’offre.

    Destruction du projet associatif

    De nombreux responsables d’associations sont convaincus que le système des appels d’offre détruit les projets associatifs. Avec les appels d’offre, les besoins ne sont pas définis par rapport à une situation réelle rencontrée localement, mais à partir d’un cahier des charges élaboré par le financeur, souvent en décalage avec les réalités du terrain. Exemple au nord de Paris, à la Porte Montmartre, où s’est installé un marché informel « légalisé », le Carré des biffins.

    Des personnes très démunies et vivant dans une précarité extrême y vendent objets de récupération et vêtements le plus souvent récoltés dans les poubelles. La mairie de Paris a lancé en octobre 2009 un appel d’offre afin de répondre aux besoins d’insertion et d’accès aux droits de ces personnes. Mais le cahier des charges comporte une bizarrerie relevée par Pascal Nicolle, président de la section locale de la Ligue des droits de l’Homme : « Ce sont les travailleurs sociaux qui font à la fois le travail de placiers, pour placer les pauvres derrière leur stand, et le travail d’accompagnement social. Certains matins, cela tourne vite à la bagarre entre les inscrits, les non inscrits et les biffins qui se remplacent. Et c’est aux éducateurs d’appeler la police. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que les biffins aient confiance en leurs travailleurs sociaux ? »

    Objectifs quantitatifs contre travail de proximité

    À partir du moment où il n’y a plus que des relations commerciales avec les financeurs, la relation de confiance n’existe plus. Et qu’en est-il de la relation entre les usagers et les travailleurs sociaux ? « Le suivi du travail d’insertion ne se fonde plus que sur des critères quantitatifs, regrette Bernard Masséra, membre du CAC et vice-président de l’association Accueil Goutte d’Or. Les financeurs demandent : “Vous avez envoyé combien de convocations pour que votre bénéficiaire vienne ? Ah, il n’est pas venu deux fois : vous devez le rayer. » Exit le travail de proximité et l’accompagnement social véritablement personnalisé.

    « Certains allocataires du RSA que nous suivions dorment dans des voitures. On ne se contentait pas de leur envoyer une circulaire pour leur dire de venir. Quand quelqu’un ne venait pas, on se mobilisait, on prévenait les gens qui connaissaient cette personne. On se demandait aussi pourquoi cette personne n’était pas venue. Ce travail-là n’est pas possible avec une grosse structure de 1 000 salariés et un DRH qui gère ça depuis là-haut. » Dans les associations aussi, le travail réel et ses contraintes devient invisible aux yeux des managers.

    Des associations dans le secteur concurrentiel

    « Nous demandons au Premier ministre d’infléchir le plan de rigueur pour permettre aux collectivités de continuer à financer l’action associative » , explique Didier Minot. Le CAC estime qu’il faut sortir du champ concurrentiel un certain nombre d’activités associatives, qui ne rendent pas le même service que les entreprises privées, à l’exemple des crèches parentales, différentes d’une garde privée d’enfants. « Il faudrait en France une loi qui protège ces structures du champ de la concurrence, comme l’a fait l’Allemagne », poursuit Didier Minot. L’inverse de ce qui se passe actuellement en France.

    La loi de 1901 définit l’association comme une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, de façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Cela n’implique pas l’absence d’échanges monétaires, mais interdit toute lucrativité. On trouve ainsi dans le champ associatif des compagnies de théâtre, des structures qui assurent des formations professionnelles, qui gèrent des maisons de retraite, proposent des aides à domicile ou œuvrent dans le secteur médico-social.

    Intelligence collective

    Autant de secteurs où elles se retrouvent désormais en concurrence avec des entreprises privées, depuis que celles-ci ont investi ces nouveaux « marchés », traditionnellement couverts par les associations, comme ceux des services à la personne. Une concurrence jugée déloyale par le privé. Les associations, y compris celles qui sont devenues des quasi entreprises, bénéficient du régime fiscal dérogatoire des organismes non lucratifs, comme la non soumission aux impôts commerciaux. Et ce, quel que soit le montant de son budget ou de leur chiffre d’affaires.

    Quelle différence alors entre une association et un prestataire privé ? Entre une régie associative de quartier qui entretient des espaces verts et une entreprise de nettoyage ? « Une association va le faire avec des travailleurs en insertion, à qui elle propose des actions de formation et d’accompagnement social, précise Didier Minot. Sa finalité n’est pas le profit, sa finalité se situe dans des missions d’intérêt général reconnues, au service de la collectivité. » Fabriquer de l’intelligence collective sans forcément vendre un business plan sera-t-il encore possible dans un monde privé de ses associations ?

    Nadia Djabali

    Photo : CC Jonathan Samuels

    Notes

    [1Sur ce sujet, Didier Minot vient de publier l’ouvrage Des associations citoyennes pour demain, Editions Charles Léopold Mayer, septembre 2013, 20 euros.

    [2Les associations entre mutations et crise économique – État des difficultés (octobre 2012), étude nationale par réalisée par Deloitte et le CNRS-Centre d’économie sociale.

     

     

    Source : bastamag.net

     

     

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    17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 18:15

     

    Source : lemonde.fr

     

    Des dirigeants d'un magasin Leclerc sont jugés pour la séquestration de salariés et travail dissimulé

    Le Monde.fr | 16.11.2013 à 06h16 • Mis à jour le 17.11.2013 à 16h23 | Par Francine Aizicovici

     
     
    L'enseigne d'un supermarché Leclerc.

    Les patrons sont parfois séquestrés, les salariés, très rarement. C'est pourtant un tel fait qui a mené des dirigeants du supermarché Leclerc de Montbéliard (Doubs) devant le tribunal correctionnel de la ville, jeudi 14 novembre. Ils sont accusés d'avoir séquestré, en 2006, une cinquantaine de salariés durant environ une heure dans une réserve afin de les soustraire au contrôle inopiné de l'inspection du travail. La CGT s'est portée partie civile. Une vingtaine de salariés ont demandé le paiement d'heures supplémentaires ainsi que des dommages et intérêts pour leur enfermement dans la réserve.

    L'audience a duré treize heures, le temps d'essayer d'éclaircir de nombreux points de cette affaire exceptionnelle. Le 30 juin 2006, vers 21 h 45, le magasin est en plein inventaire quand arrivent des agents de l'inspection du travail, de l'Urssaf et des policiers. L'inspection enquête sur une comptabilisation suspecte des heures supplémentaires depuis plusieurs mois après des plaintes de salariés. Une partie de ces heures n'étaient ni comptabilisées ni payées. Une ancienne employée a confié, dans L'Est Républicain du 17 novembre 2011, qu'elle avait établi de faux relevés d'heures, mentionnant 37,5 heures par semaine alors que des salariés en faisaient 50 à 60.

    A la vue des inspecteurs, le directeur du magasin Leclerc ordonne à une chef de département de cacher une cinquantaine de salariés. Ceux-ci sont conduits dans une réserve. Ils se retrouvent dans le noir, avec interdiction de parler, sans savoir pourquoi ils sont là. "Quand j'ai vu les enquêteurs et la police sur le parking, j'ai paniqué, je savais qu'on ne respectait pas les amplitudes horaires" légales, a reconnu le directeur à la barre. "J'aurais dû réagir mais je ne l'ai pas fait, a admis, de son côté, la chef de département. J'ai suivi [les ordres] sans comprendre les enjeux."


    DIFFÉRENTES VERSIONS POUR UNE "FRAUDE MASSIVE"
     

    Comment s'est passé la séquestration ? L'enfermement aurait duré de 20 à 60 minutes. Certains salariés ont affirmé que le local avait été fermé à clé, la chef de département disant, elle, qu'elle a maintenu la porte avec son pied. "C'était comme si on nous faisait passer pour des travailleurs clandestins", a souligné une salariée dans L'Est Républicain du 17 novembre 2011, ajoutant avoir été "suivie par une psychologue" ensuite.

    Pour Sébastien Bender, avocat du directeur du magasin et de la directrice des ressources humaines (DRH), qui a plaidé leur relaxe, on ne peut pas vraiment parler de séquestration. "Le directeur n'a pas donné l'ordre d'enfermer les salariés mais de les cacher. Et personne ne s'est opposé à aller dans le local", affirme-t-il. Mais peut-on s'opposer aux ordres de son patron ? M. Bender a une autre explication : "Certains salariés ont dit qu'ils avaient pensé qu'ils allaient faire l'inventaire de la réserve, d'autres qu'il y avait le feu. Même dans la réserve, personne n'a demandé à en sortir."

    Des salariés ont pourtant indiqué s'être sentis "oppressés" dans le local. Mais M. Bender a un doute. "Une personne a déclaré avoir joué au foot dans la réserve. Il n'y a pas deux versions identiques." De même, il y a plusieurs versions de la libération des salariés. Etait-ce après le départ des inspecteurs ? Ou bien, comme le dit M. Bender, "au bout d'un quart d'heure, quand le directeur a donné l'ordre de remettre les salariés dans les rayons par petits groupes", après avoir réalisé qu'il avait "fait une bêtise" ? Le tribunal devra trancher.

    En tout cas, "c'est la première fois qu'on arrive à prouver une fraude massive, a souligné la direction du travail dans Libération du 20 octobre 2006. Mais à côté de ça, il y a quantité d'affaires qui n'aboutissent pas faute de preuves et parce que les gens qui viennent se plaindre d'heures sup non payées veulent rester anonymes. Les heures sup, c'est la grande plaie du secteur de la grande distribution (…). Il y a une chape de silence."


    "LE NERF DE CE DOSSIER, C'EST L'ARGENT"
     

    Après cet épisode, le PDG de la société SAS Montdis, qui gère le magasin, "s'est excusé auprès des salariés, indique M. Bender. Une prime a été versée aux 92 qui avaient été présents ce soir-là, dont les 40 qui étaient dans la réserve". La chef de département, qui est la fille du PDG, et la DRH n'ont pas été sanctionnées. Le directeur a reçu une mise à pied de dix jours et est toujours à la tête du magasin. Depuis cet incident, une pointeuse a été installée.

    "Le nerf de ce dossier, c'est l'argent", a lancé le procureur lors du procès. La séquestration, a-t-il ajouté, "c'est l'aboutissement d'une gestion uniquement tournée vers le profit financier, jamais vers l'humain." Une vision que conteste M. Bender : "Le magasin gagne autant d'argent, voire plus, maintenant, alors qu'il y a la pointeuse et que 50 salariés ont été embauchés depuis."

    Le procureur a requis 200 000 euros d'amende à l'encontre de la SAS Montdis pour travail dissimulée ; 15 000 à l'encontre le PDG pour travail dissimulé, obstacle à la mission de l'inspection du travail et paiement de salaires inférieurs au minimum conventionnel ; 2 500 euros d'amende à l'encontre la DRH et 6 000 euros à l'encontre le directeur du magasin ; ainsi qu'un mois de prison avec sursis assorti d'une amende de 2 500 euros pour la chef de département pour séquestration et obstacle à la mission de l'inspection. La décision du tribunal sera rendue par le tribunal le 23 janvier 2014.

    Francine Aizicovici
    Journaliste au Monde

     


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    17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 17:48

     

    Source : filoche.net

     

    « Aucun salarié de ce pays ne travaille le dimanche par « volontariat » mais parce que le patron le veut »


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    Entretien. Au moment où le patronat, sous couvert de « liberté du travail », mène une offensive pour le travail du dimanche et de nuit, nous avons rencontré l’inspecteur du travail en retraite, Gérard Filoche, membre du bureau national du Parti socialiste et animateur du courant Démocratie et Socialisme. Il nous donne son point de vue sur les enjeux de cette question pour le monde du travail.

    Où en est-on des décisions de justice concernant le travail le dimanche ?
    Elles sont contradictoires, les juges ont des opinions personnelles différentes sur l’ouverture du dimanche, et le laissent transparaître dans leurs décisions. Cela est rendu possible parce que le principe du repos dominical existe toujours, mais il y a trop de dérogations disparates depuis la loi Maillé-Sarkozy. On en arrive à ce que des juges condamnent les infractions à l’ouverture du dimanche, mais avec des astreintes insuffisamment dissuasives. D’autres donnent raison à un patron qui porte plainte contre les autres, et d’autres annulent ce jugement…

    Quelle est actuellement la réalité du travail le dimanche ?
    Sur 700 000 commerces, 22 000 sont ouverts légalement avec des dérogations préfectorales et municipales (zones touristiques, périmètres d’usage commercial exceptionnel…). Après ça, il y en a quelques milliers ouverts illégalement. L’enjeu est « oui » ou « non » au travail du dimanche dans tout le secteur du commerce. Cela fait 4 millions de salariés concernés avec emplois induits.
    Ce serait un changement de société lourd, et remplacerait la civilisation du loisir par la « civilisation du caddy », comme disait Henri Krasucki. 5 % des salariés travaillent le dimanche de façon régulière (hôpitaux, feux continus, transports, loisirs, là ou c’est indispensable…) et 25 % travaillent occasionnellement. On dit que plus de 75 % des « sondés » seraient favorables à l’ouverture le dimanche, mais 85 % des « sondés » disent aussi qu’eux-mêmes ne veulent pas travailler ce jour là…
    Les salariés de Leroy Merlin et Castorama ont été totalement organisés par leurs patrons : séances de formation avec des communicants sur leur temps de travail, déplacements payés, jours payés, transports et repas payés, T-shirts, banderoles, tracts payés. Ils habillent cela du mot « volontariat », mais le volontariat n’existe pas en droit du travail. Ce qui caractérise un contrat de travail est un « lien de subordination juridique permanent ». Aucun salarié de ce pays ne travaille le dimanche par « volontariat », mais parce que le patron le veut. En fait, mettre en avant des salariés qui « veulent » travailler le dimanche, c’est une manipulation complète.

    Patrons et ministres invoquent relance de la consommation. Alibi ou réalité ?

    C’est hors sujet. Ce qui sera acheté le dimanche ne le sera pas le samedi ou le lundi. Les porte-monnaies ne sont pas extensibles en ces temps d’austérité. Les magasins ouverts en fraude, claironnent des chiffres d’affaires mirobolants majorés de 20 %… mais justement c’est parce qu’ils fraudent, violent la « concurrence » et se font de la « pub » en plus.

    Et la sauvegarde des emplois ?
    Un emploi du dimanche sera un emploi de moins le lundi. Les grandes chaînes s’en tireront en embauchant des femmes pauvres et précaires ou des étudiants en turn-over permanent façon McDonald’s.
    Ils « tiennent » un peu les salariés en leur donnant des primes de 25 %, 30 %, 50 % parfois mais rarement 100 % : ces primes ne sont pas inscrites dans la loi. Vu que les salaires sont trop bas, les pauvres n’ont pas le choix. Et s’il y avait généralisation de l’ouverture du dimanche, ces primes « exceptionnelles » n’auraient plus de raison d’être et seraient supprimées à ceux qui aujourd’hui les reçoivent ou les réclament. La banalisation du dimanche en fera un jour de vente comme les autres, il y a même fort à parier que ce jour-là deviendra un jour à faibles ventes.

    Une nécessité économique dans les secteurs concernés ?
    Il n’y a rien d’économique là-dedans, c’est idéologique : le patronat veut surtout déréguler la semaine et les durées du travail hebdomadaires. C’est pareil pour les ouvertures de nuit genre Sephora ou Marionnaud. Le but est de remplacer la semaine de 35 heures par des horaires à la carte comme l’exige le Medef. Toutes les activités commerciales et annexes peuvent être concernées par la déréglementation voulue par le Medef : vendre du parfum et de la fringue le dimanche, quel sens cela a-t-il ? Le dimanche, c’est un jour de repos collectif, socialisé, facilitant les rapports humains pour toutes les activités de loisirs, culturelles, associatives, citoyennes, familiales et même sportives ou religieuses. Il arrive qu’un étudiant veuille travailler le dimanche, mais ça ne durera pas pour lui, et plus tard, qui gardera les enfants, qui fêtera leur anniversaire si les parents travaillent le dimanche ? Les patrons, ils s’en foutent, le dimanche, ils « brunchent » et jouent au golf.

    et l’emploi ?

    L’ouverture généralisée profiterait aux grandes chaînes contre les petits commerces qui en subiraient le contre-coup : il a été calculé que ce serait un solde négatif de 30 000 emplois perdus. C’est pourquoi toutes les associations de petits commerçants sont opposées à l’ouverture généralisée du dimanche.

    Qui sont « les bricoleurs du dimanche » ?
    Des braves gens qui pourraient faire leurs courses le vendredi après-midi s’ils bénéficiaient vraiment des 35 heures.

    Que défendent les syndicats hostiles au travail du dimanche ?
    Le respect du principe du repos dominical voté en 1906 à l’unanimité par l’Assemblée nationale, et des dérogations limitées strictement aux nécessités. En vérité, on devrait réclamer le retour aux deux jours de repos consécutifs, dont le dimanche. La semaine de 5 jours serait un minima et seule la réduction du temps de travail peut faire reculer le chômage de masse. Le salaire du dimanche devrait être doublé dans la loi avec repos compensatoire.

    Les projets du gouvernement ?
    Ce n’est pas bon signe qu’il ait reçu les patrons fraudeurs à Matignon (alors qu’il n’a pas amnistié les syndicalistes). Pas bon signe non plus qu’il ait attribué à Jean-Paul Bailly, ex-PDG peu brillant de La Poste, le soin de « faire un rapport ». Mais la pression syndicale est grande et le gouvernement a fait tellement de cadeaux au Medef (lequel ne lui en est nullement reconnaissant) que celui-là n’est peut-être pas nécessaire. Vigilance !


    Propos recueillis par Robert Pelletier

     

     


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    16 novembre 2013 6 16 /11 /novembre /2013 17:27

     

     

    Source : mediapart.fr

    Climato-sceptiques: les dessous de la machine à fabriquer du doute

    |  Par Michel de Pracontal

     

     

     

    Alors que se tient à Varsovie la conférence de l'ONU sur le climat, le climato-scepticisme continue d'être une machine de propagande très efficace, soutenue par l'industrie et organisée autour des think tanks conservateurs et néo-libéraux. Notre enquête.

    Le 11 novembre, alors que s’ouvrait à Varsovie la 19e conférence de l’ONU sur le climat, David Rothbard, président du Committee for a constructive tomorrow (CFACT), think tank climato-sceptique de Washington, s’adressait aux habitants de la capitale polonaise. Sur une tribune installée dans le centre ville, Rothbard appelait les Varsoviens venus célébrer le jour de l’indépendance de la Pologne à « une nouvelle bataille pour la liberté contre ceux qui utilisent l’alarmisme climatique et environnemental pour voler nos libertés et donner aux bureaucrates internationaux le contrôle sur nos sources d’énergie, nos vies quotidiennes, notre prospérité et notre souveraineté nationale ».

    David Rothbard, président du CFACT 
    David Rothbard, président du CFACT © DR

    L’épisode est relaté sur une quinzaine de blogs climato-sceptiques, qui décrivent un rassemblement de « 50 000 Polonais enthousiastes », unis contre « les tentatives des Nations unies pour voler nos libertés »… En fait, la vidéo diffusée par le CFACT montre un public agitant des drapeaux blanc et rouge et des panneaux avec des slogans comme « Bog, Honor, Ojczyzna » (« Dieu, honneur, patrie »), qui ne semble guère prêter attention à la diatribe de Rothbard, bien que celui-ci se soit adjoint les services d’un interprète.

    Le discours de David Rothbard est typique de la rhétorique climato-sceptique, qui considère que toute tentative pour réguler les émissions carbonées est un attentat au libertés publiques. L’activisme du CFACT illustre la guerre de communication permanente menée par les groupes climato-sceptiques américains pour empêcher la mise en place de mesures de protection de l’environnement. Il est frappant d’observer qu’aux États-Unis, la contestation du changement climatique augmente sur la scène politique et dans la société, alors même que le consensus scientifique sur le réchauffement anthropogénique s’est renforcé et que l’opinion publique est sensibilisée à l’environnement.

    L’une des raisons de ce paradoxe est que le climato-scepticisme made in USA n’a rien d’un mouvement d’opinion spontané. C’est un système organisé, qui s’appuie sur des puissances financières considérables, dispose de fonds se chiffrant en centaines de millions de dollars, de relais politiques (essentiellement républicains et conservateurs), d’accès à de grands médias comme Fox News, le Wall Street Journal (tous deux appartenant au conservateur Rupert Murdoch) ou le Washington Times du révérend Moon. À quoi s’ajoute une nuée de blogs dont les plus populaires (wattsupwiththat.com, climateaudit.org ou climatedepot.com) ont une audience globale estimée à 700 000 visiteurs par mois.

    Ce système constitue une machine de propagande redoutable, dont l’action a fortement contribué à bloquer la ratification du protocole de Kyoto par les États-Unis, selon l’analyse de Aaron Mc Cright et Riley Dunlap, deux universitaires spécialisés dans l’étude du climato-scepticisme américain. Les contestataires du climat ont aussi joué un rôle important dans l’échec de la conférence de Copenhague en 2009. Celle-ci a été plombée par l’affaire du « climategate », qui a donné lieu à une campagne climato-sceptique très agressive visant à discréditer les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). En septembre dernier, l’influence des climato-sceptiques a aidé à la victoire électorale du libéral Tony Abbott, nouveau premier ministre australien, et farouche adversaire de la taxe carbone. Aujourd’hui, les climato-sceptiques cherchent à empêcher que la conférence de Varsovie ne débouche sur un nouveau traité international.

    Comment fonctionne la « machine à nier le changement climatique », ainsi que l’appellent McCright et Dunlap ? Selon les deux chercheurs, les composants principaux de cette machine, en dehors des sources de financement, sont des think tanks conservateurs, des “groupes paravents” qui organisent campagnes et actions de promotion, et une “chambre d’écho” politico-médiatique.

    Le rôle crucial des think tanks

    La pensée climato-sceptique américaine est issue de courants conservateurs et néo-libéraux qui ont utilisé les think tanks comme relais d’opinion. L’un des tout premiers est la Fondation Heritage, créée en 1973 par le philanthrope Joseph Coors, propriétaire des bières du même nom. Mais c’est à partir des années 1980, avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et le « renouveau conservateur », que les think tanks montent en puissance pour mener une guerre des idées contre le progressisme des années 1960-70. Et promouvoir les conceptions néolibérales : dérégulation, libre entreprise, limitation du pouvoir de l’État.

    Après Joseph Coors, trois milliardaires, dont les fortunes viennent en partie d’intérêts pétroliers, créent des think tanks influents : Richard Scaife, fondateur du CFACT, cité plus haut ; David Koch, qui fonde Americans for Prosperity ; son frère Charles, fondateur du Cato Institute. Parmi les think tanks importants, on peut aussi citer le Heartland Institute, l’American Enterprise Institute ou encore le George Marshall Institute.

    À la fin des années 1980, deux éléments vont cristalliser le mouvement climato-sceptique : la chute de l’empire soviétique qui, en mettant fin à la guerre froide, suscite un besoin de nouveaux horizons géopolitiques ; la mise en place du Giec, en 1988. Ce dernier est immédiatement perçu par les néoconservateurs comme un ennemi, du fait que sa création représente « un effort sans précédent pour développer une base scientifique pour les décisions politiques », écrivent Dunlap et McRight dans un article de 2011. Dans la pensée conservatrice américaine,  « la “menace rouge” en voie de disparition (a été remplacée) par la “menace verte” », la crainte de mesures de régulation environnementales, à l’échelle nationale et internationale.

    Les efforts de Reagan pour réduire le rôle de l’État vont cependant se heurter à une résistance dans le domaine de la protection de l’environnement. De là vient la stratégie du climato-scepticisme : les conservateurs et l’industrie réalisent qu’il est « plus efficace de mettre en doute le besoin de régulation en discréditant les preuves de la dégradation de l’environnement, que de s’opposer à l’objectif de protéger l’environnement », écrivent Dunlap et McRight.

    Le centre névralgique du système climato-sceptique

    Autrement dit, plutôt que d’attaquer frontalement les mesures écologiques, la stratégie du scepticisme s’efforce de montrer qu’elles sont inutiles. La méthode consistera donc à jeter le doute sur le changement climatique, à relativiser son importance, à contester son caractère anthropogénique, à mettre en avant d’autres causes de variations climatiques, comme l’effet de l’activité solaire, etc.

     

    La version originale des "Marchands de doute".  
    La version originale des "Marchands de doute".

    Cette rhétorique est construite sur le modèle mis au point par l’industrie du tabac, qui a usé de multiples arguments pour nier ou minimiser le lien entre cigarette et cancer, en le présentant comme une maladie multifactorielle, associée à de multiples causes et en mettant l’accent sur l’importance du style de vie, du niveau économique, et ainsi de suite. La filiation entre la rhétorique des cigarettiers et celle des climato-sceptiques est très clairement analysée dans le livre d’Erik Conway et Naomi Oreskes, Marchands de doute (Éditions Le Pommier) (voir notre article ici).

    À partir des années 1990, les think tanks conservateurs sont devenus le centre névralgique du système climato-sceptique. À travers des conférences, des reportages, des interviews diffusés sur les médias sympathisants, ou des campagnes publicitaires, ils assurent la promotion de la conception néo-libérale de l’environnement. Competive Enterprise Institute a aidé l’administration Bush à entraver le développement d’une politique climatique. En 2012, une campagne d’affiches lancée par le Heartland Institute assimilait les scientifiques du Giec au terroriste Unabomber, Ted Kaczynsky, dont les bombes artisanales ont fait, de 1978 à 1996, trois morts et 23 blessés…

    Les think tanks ont aussi une activité importante dans l’édition de livres : une étude de Riley Dunlap et Peter Jacques montre que sur 108 livres climato-sceptiques publiés en anglais depuis le début des années 1980, 78, soit 72 %, ont bénéficié d’un financement par un think tank. À noter que deux de ces livres ont été écrits par des auteurs français, Christian Gerondeau et Marcel Leroux.

    Le financement : l’industrie du pétrole et du charbon, mais pas seulement

    Les compagnies pétrolières et l’industrie du charbon ont bien sûr compris d’emblée l’enjeu que représentait pour elles le changement climatique, dès lors que l’utilisation des combustibles fossiles était identifiée comme la principale source des émissions de gaz à effet de serre. Assez logiquement, l’industrie des combustibles fossiles a financé dès le début les campagnes climato-sceptiques, notamment en soutenant des think tanks et des scientifiques « dissidents ».

    L’un des premiers scientifiques à nier le réchauffement planétaire a été Patrick Michaels, climatologue à l’université de Virginie, qui, dès 1989, critiquait ce qu’il appelait « l’environnementalisme apocalyptique », qu’il qualifiait de « religion la plus populaire depuis le marxisme ». Michaels a été sponsorisé par la Western Fuels Association, consortium lié au charbon, et a reconnu en 1995 avoir reçu 165 000 dollars de l’industrie. Il est aujourd’hui « directeur du centre pour l’étude de la science » au Cato Institute, le think tank fondé par Charles Koch.

     

    Une raffinerie d'Exxon Mobil. 
    Une raffinerie d'Exxon Mobil. © Reuters

    Travailler pour un think tank offre un statut plus respectable qu’afficher un lien direct avec l’industrie, même si ce n’est souvent qu’une façade. D’après un rapport de Greenpeace USA, entre 1998 et 2012, ExxonMobil a versé un total de 27,4 millions de dollars à une soixantaine de think tanks, dont le Cato Institute, le Heartland Institute et la Fondation Heritage. Selon Dunlap et McCright, ExxonMobil a longtemps été le premier sponsor des think tanks et associations climato-sceptiques, mais aurait réduit sa contribution au cours des dernières années, craignant que cette pratique nuise à son image. La compagnie charbonnière Peabody Energy a également beaucoup contribué au climato-scepticisme, de même que des associations industrielles comme l’Institut américain du pétrole.

    En dehors de l’industrie des combustibles fossiles, le climato-scepticisme a été soutenu par des sociétés du secteur de l’énergie comme Southern Company (compagnie d’électricité), des producteurs d’acier, des forestiers, des mines ou des constructeurs d’automobiles (Chrysler, Ford, General Motors). On peut aussi mentionner la Chambre de commerce des États-Unis. Au début des années 1990, un grand nombre d’entreprises américaines était ainsi alliée contre la science du climat et la politique environnementale. Le Giec apparaissant comme la cible centrale de la coalition industrielle.

    Cette dernière va pourtant se fracturer au moment du deuxième rapport du Giec, en 1995, et de l’adoption du protocole de Kyoto. De grandes firmes comme BP annoncent qu’elles ne contestent plus la réalité du réchauffement anthropogénique. Plusieurs compagnies pétrolières et d’autres grandes firmes se lient à des organisations environnementales pour former le US climate action Partnership, groupe dont l’objectif est d’encourager une action publique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. À la fin des années 1990, une part importante de l’industrie américaine semble prête à accepter la réalité du changement climatique et la nécessité de politiques de réductions des émissions. Mais cela ne durera pas : avec l’arrivée au pouvoir en janvier 2001 de George Bush qui insititutionnalise « le déni du changement climatique au sein du gouvernement fédéral », selon McRight et Dunlap, l’industrie des combustibles fossiles n’a plus grand-chose à craindre.   

    L’élection de Barack Obama et d’une majorité démocrate aux deux Chambres a remis au goût du jour la limitation des émissions carbonées, d’où « un énorme lobbying industriel pour s’opposer ou atténuer les mesures introduites par la Chambre des représentants ou le Sénat aussi bien que les tentatives internationales », notamment la conférence de Copenhague de 2009. « Ce lobbying s’est accompagné d’une escalade des attaques contre la science climatique et les scientifiques aussi bien que contre le Giec, avec un soutien considérable d’ExxonMobil et d’associations comme la Chambre de commerce des États-Unis », rapportent Dunlap et McCright. En somme, malgré certaines divisions, une part significative de l’industrie américaine continue d’alimenter le climato-scepticisme.

    « La plus grande mystification jamais perpétrée »

    À côté de cette coalition industrielle, un soutien très important vient de riches donateurs qui, par l’intermédiaire d’organisations à but non lucratif, financent anonymement le climato-scepticisme. Ainsi, deux organisations associées, Donors Trust et Donors Capital Fund, ont distribué aux think tanks climato-sceptiques un total de près de 150 millions de dollars entre 2002 et 2011 (d’après le rapport de Greenpeace USA). Ces organisations sont liées aux frères Koch, deux des principaux sponsors de think tanks climato-sceptiques. Le financement « philanthropique » pourrait donc être encore plus élevé que le soutien direct de l’industrie. Dunlap et McCright estiment que « dans les années récentes, les fonds versés par les familles Scaife et Koch pour financer les acteurs du déni du changement climatique et leurs actions ont pu dépasser l’apport d’ExxonMobil ».

    Les « groupes paravent »

    Ces organismes ont un rôle complémentaire de celui des think tanks. Ils fournissent aux entreprises une façade leur permettant de mener des actions sans apparaître directement. Un des premiers exemples est le Global Climate Coalition, créé en 1989 en réaction à la mise en place du Giec, et financé par des compagnies pétrolières (ExxonMobil, Texaco et BP), des constructeurs d’automobiles (Chrysler, Ford, GM), l’Institut américain du pétrole, etc. Le GCC a joué un rôle très actif dans l’opposition à la ratification du protocole de Kyoto par les États-Unis, notamment en diffusant des publicités télévisées et en menant des campagnes pour discréditer le Giec.

    Le groupe Information council on the Environment (ICE) a été créé en 1991 par des entreprises du charbon et des compagnies d’électricité. Avec l’aide de scientifiques sceptiques comme Patrick Michaels, déjà cité, il a lancé une campagne médiatique pour dénigrer la notion de réchauffement global et critiquer l’accord des États-Unis pour la réduction des émissions carbonées lors du sommet de Rio de 1992.

    En 1997, est apparu un autre groupe, la Cooler Heads Coalition (CHC), qui n’émane pas de l’industrie mais de plusieurs think tanks (CFACT, Heartland, CEI ou Competitive Entrerprise Institute). Ce groupe et son directeur, Myron Ebell, ainsi que le CEI ont joué un rôle crucial dans la promotion du « climategate » et les campagnes de dénigrement du Giec.

    Les politiciens conservateurs

     

    James Inhofe 
    James Inhofe © DR

    Dès le départ, aux États-Unis, le climato-scepticisme est associé à l’idéologie néo-libérale conservatrice. Il est fortement politisé, comme l’illustre la succession de basculements entre les présidences républicaines et démocrates. L’un des personnages les plus connus à cet égard est James Inhofe, sénateur républicain de l’Oklahoma, célèbre pour avoir affirmé dans un discours au Sénat que le réchauffement global était « la plus grande mystification jamais perpétrée contre le peuple américain ». Inhofe a été président du Comité pour l’environnement et les travaux publics, dont il a fait une tribune ouverte aux contestataires du changement climatique. Il a notamment employé Marc Morano, membre du CFACT et animateur du site climatedepot.com. Morano a aussi travaillé avec l’animateur de radio conservateur Rush Limbaugh, et a fait campagne contre John Kerry lors de la présidentielle de 2004.

    Plus récemment, un autre politicien républicain, membre du Tea Party, Ken Cuccinelli, procureur général de Virginie, s’est illustré dans la guerrilla anticlimatologues : il a lancé en 2010 une enquête sur les recherches de Michael Mann, climatologue connu qui a été professeur à l’université de Virginie (il travaille actuellement à l’université de Pennsylvanie).

    Sous prétexte de contrôler que l’argent public n’avait pas été gaspillé en finançant les travaux de Mann, Cuccinelli a usé d’une procédure appelée Civil investigative demand pour exiger que l’université de Virginie fournisse tous les documents dont elle disposait ayant un rapport direct ou indirect avec les recherches de Mann, notamment toutes les correspondances entre le chercheur, l’université et 39 autres scientifiques, de 1999 à 2010… 

    Sachant que cette procédure ne nécessite pas d’engager des poursuites, il est difficile de la considérer autrement que comme une forme de harcèlement administratif. Ce que la justice a d’ailleurs reconnu deux ans plus tard, en considérant que Cuccinelli n’avait pas autorité à demander les documents. En 2013, Cuccinelli a fait campagne pour l’élection au poste de gouverneur de Virginie. Et a perdu, le 6 novembre, face au démocrate Terry McAuliffe…

    Même si Cuccinelli a perdu, l’épisode illustre la stratégie climato-sceptique qui fait feu de tout bois pour empêcher que le débat sur le réchauffement soit jamais tranché. Cette stratégie a jusqu'ici permis à l’industrie américaine des combustibles fossiles et à ses alliés politiques conservateurs d’éviter ce qu’elle redoute par-dessus tout : la reconnaissance du réchauffement global comme un problème grave qui justifie des mesures contraignantes pour réduire les émissions carbonées. Pour le mouvement climato-sceptique, le danger n’est pas la dégradation de l’environnement, c’est la remise en cause du dogme de la croissance économique sans freins.

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