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31 décembre 2013 2 31 /12 /décembre /2013 19:19

 

Source : www.rue89.com

 

 

Etiquette 31/12/2013 à 12h32
Pas de répit dans l’exploitation des ouvriers du textile d’Asie
Charlotte Cieslinski | Journaliste

 

Non, nous n’avons pas décidé de vous culpabiliser par rapport à ce jean ou ce pull « made in Bangladesh » ou Cambodge reçu à Noël. C’est juste que la question des conditions de travail de ceux qui fabriquent les objets de nos désirs reste au premier plan de l’actualité, même si celle-ci n’a que peu d’écho dans la presse et parmi les consommateurs.

Neuf mois après l’effondrement du Rana Plaza, cet immeuble vétuste qui abritait des ateliers textiles près de Dacca, au Bangladesh, les familles des 1 130 morts et les nombreux blessés attendent toujours d’être indemnisés. Et, du Cambodge au Vietnam, des grèves de plus en plus bruyantes appellent au changement dans les conditions de travail.


Un sauveteur devant les ruines de l’usine à Dacca, le 12 mai 2013 (A.M. Ahad/AP/SIPA)

Le drame de Dacca, d’une ampleur sans précédent, a certes marqué les esprits, mais n’a pas changé d’un iota les conditions de production dans les autres usines et ateliers du continent asiatique devenu la « machine à coudre des pays riches ». L’Asie du Sud-Est a bâti une partie de son essor économique sur l’industrie textile.

Aujourd’hui, un jean sur dix dans le monde provient du seul Bangladesh. Frénétique, cette phase de croissance s’est faite au détriment d’une classe ouvrière surexploitée et peu considérée. La réalité des ateliers de confection n’est pas rose : c’est ce qu’illustre l’oubli dans lequel ont sombré les victimes du Rana Plaza.

Peu de candidats au fonds d’indemnisation

Le 24 décembre dernier, un fonds d’indemnisation de 40 millions de dollars a été constitué, avec le soutien jusqu’ici de seulement quatre multinationales.

Neuf mois plus tôt, lorsque l’immeuble de neuf étages s’est effondré sur ses occupantes, les ateliers de confection qu’il hébergeait fabriquaient les vêtements pour le compte de 29 grands groupes internationaux de l’habillement, parmi lesquels C&A, Mango, ou Walmart par exemple.

Officiellement, seuls l’irlandais Primark, l’espagnol El Cortes, le canadien Loblaw et le britannique Bonmarché ont annoncé leur participation au fonds d’indemnisation.

Dans le meilleur des cas, les paiements commenceront à être versés en février, mais le montant alloué par chaque firme reste encore à déterminer.

Selon le New York Times, qui cite des officiels engagés dans les négociations, les familles des défunts devraient recevoir 25 000 dollars de dédommagement en moyenne. Les blessés bénéficieront de compensations.

En dépit des maigres aides du gouvernement bangladais, et du fonds d’urgence débloqué par Primark dans les mois qui ont suivi le drame, de nombreuses familles sont aujourd’hui à la rue. Rendus orphelins, certains enfants ont été contraints d’abandonner l’école pour aller travailler.

Le silence embarrassé des Français

Walmart, Iconix, JC Penney, Dress Barn, Cato Fashions, Children’s Place... Le New York Times égrène la liste des grands groupes américains qui sous-traitaient dans le Rana Plaza et fait remarquer qu’aucun d’entre eux ne s’est engagé à dédommager les victimes, ou les familles des défunts.

Les entreprises françaises ne sont pas en reste. Les étiquettes des vêtements retrouvés dans les décombres de l’immeuble effondré montrent que les français Auchan, Carrefour, Camaïeu ou Teddy Smith recouraient aux ateliers de confection du Rana Plaza.

Embarrassés, ces quatre groupes ont adopté une communication de crise quasi similaire : après avoir feint la surprise, ils ont estimé que la présence d’étiquettes ne constituait pas de preuve suffisante et se sont enfermés dans le mutisme.

Numéro un du textile en France, Carrefour a dans un premier temps déclaré ne pas savoir d’où venaient les étiquettes Tex brandies par les ONG et a annoncé une enquête interne sur son circuit de fournitures. Même son de cloche chez Auchan qui, pour s’être dit victime de ce cas de sous-traitance sauvage, a reçu le prix Pinocchio « Mains sales, poches pleines », décerné par plusieurs ONG le 19 novembre.

Camaïeu, s’est quand à lui engagé en juin dernier à indemniser les victimes du Rana Plaza après la publication de son enquête interne. Pour autant, la amrque n’a pas encore rallié officiellement le fonds d’investissement et continue de traiter avec son fournisseur bangladais pris en faute.

Quelques semaines après le drame du Rana Plaza, les ONG et les syndicats ont impulsé un accord sur la sûreté dans les usines. Parmi les 31 signataires, Carrefour est le seul français.

Ce n’est pas la première fois que des entreprises françaises sont accusées de laxisme avec leurs sous-traitants textiles.

Asie en grève, maisons mères sous pression

Sur un T-shirt vendu 29 euros en Occident, l’ouvrier asiatique qui l’a fabriqué gagne 18 centimes, estime l’ONG Fair Wear Foundation.

Les grèves des ouvriers textiles qui ont agité le sud du continent en 2013 étaient motivées par une meilleure redistribution des profits.

Au Cambodge, une grève nationale a réuni le 27 décembre des dizaines de milliers d’ouvriers du textile qui exigeaient le doublement de leur salaire mensuel : 80 dollars (environ 110 euros) actuellement.

Ils ont dressé des barrages à Phnom Penh et exprimé leur colère devant le ministère du Travail. Un responsable gouvernemental leur a répondu qu’il serait impossible d’instituer un tel salaire minimum avant 2018, rapporte notre partenaire Global Voices.


« Redistribuer et optimiser la richesse de la nation mieux avec 160 dollars » (@oudomnimith via Global Voices Online)

De crainte que ces mouvements de grosse ampleur n’entachent leur image, les maisons mères du prêt-à-porter réclament parfois aux pays dans lesquels ils sous-traitent d’augmenter le salaire minimum.

Il est rare que ces requêtes aboutissent pleinement : les ouvriers bangladais par exemple, devront se contenter de 68 dollars par mois alors qu’ils en réclamaient 100. Les liens opaques qui unissent les propriétaires des usines de sous-traitance et les élus politiques locaux sont éclairants, explique Le Monde Diplomatique :

« Au Bangladesh, il est difficile de trouver des hommes de pouvoir qui ne soient pas liés au monde du textile. Officiellement, sur 300 députés, 29 possèdent une usine textile. En réalité, si l’on tient compte de ceux qui s’abritent derrière un prête-nom, ils sont beaucoup plus nombreux. »

Sohel Rana, le propriétaire du Rana Plaza, entretenait des liens étroits avec les élus de Savar, la banlieue de Dacca dans laquelle son usine était implantée, ainsi qu’avec la pègre locale qu’il embauchait pour la sécurité. En prison depuis l’effondrement de son immeuble, il attend d’être jugé.

Les responsables occidentaux liés aux unités de production du Rana Plaza se sont quant à eux évaporés dans la nature et ne seront sans doute jamais poursuivis. C’est le cas par exemple de l’espagnol David Mayor, explique le New York Times : propriétaire partiel de Phantom Tac qui occupait plusieurs étages du Rana Plaza, il y supervisait la production de vêtements pour Mango.

 

 

Source : www.rue89.com

 


 

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31 décembre 2013 2 31 /12 /décembre /2013 17:23

 

 

Source : www.rue89.com

 

 

Le grand entretien 27/10/2012 à 17h25
« La gratuité, c’est ce qui a le plus d’importance dans nos vies »
Sophie Caillat | Journaliste Rue89

 

Co-auteur d’un essai sur l’expérience de gratuité des transports publics à Aubagne, le philosophe et dramaturge Jean-Louis Sagot-Duvauroux réfléchit au sens de la gratuité comme alternative à une société de plus en plus marchande.

 


Une personne déchirant un billet d’un dollar (Images Money/Flickr/CC)

 

Jean-Louis Sagot-Duvauroux passe une bonne partie de son temps comme dramaturge au sein d’une compagnie de théâtre malienne, Blonba.

Il est aussi, en tant que philosophe, le co-auteur de « Voyageurs sans ticket. Liberté Egalité Gratuité. Une expérience sociale à Aubagne » (éd. Au diable Vauvert).

Depuis la chute du système communiste, cet auteur de nombreux essais (notamment le best-seller « On ne naît pas noir, on le devient », Albin Michel) cherche « les vraies transformations qui ne produisent pas de la tyrannie ».

Electeur assumé du Front de gauche, il aimerait surtout que la gauche française « se pose un peu plus la question de l’alternative réelle au système capitaliste en place ».

 


Jean-Louis Sagot-Duvauroux (Gilles Perrin)

 

Rue89 : Pour commencer, une question qui peut ressembler à un sujet de bac philo : quelle est la valeur de la gratuité ?

Jean-Louis Sagot Duvauroux : La gratuité, c’est ce à quoi on accorde le plus d’importance dans nos vies. Par exemple, si je suis père de famille et enseignant, le fait de s’occuper des enfants des autres aura moins de valeur que de s’occuper du mien.

Ce qui est sans prix a plus d’importance que ce qui est évaluable financièrement. C’est brouillé par une obnubilation du marché. On a l’impression que ce qui n’est pas payant est sans valeur, mais en fait le sens de notre existence est sans prix.

Quand les gens se suicident au travail, ce n’est pas parce qu’ils ont des petits salaires, mais parce que leur activité n’a plus de sens. Si on supprime le sens, on supprime la vie. Les aspects essentiels de l’existence (l’amour, la santé, la haine...) ne s’évaluent pas monétairement.

Pourtant, la gratuité n’est pas dans l’air du temps, écrivez-vous....

La gratuité nous entoure en permanence : le trottoir, le lampadaire, l’école, les parcs, la PMI... tout cela est gratuit au sens de « chacun selon ses besoins » (et non selon ses moyens). Disons que l’accès à ces biens est sorti du rapport marchand.

En anglais, on dit « free », libre. Mais en français le mot « gratuit » a un sens étymologique religieux : c’est « Dieu nous a donné la grâce », la vie, sans demander de rétribution.

La gratuité recule aujourd’hui dans l’école ou la santé …

Mais la partie inaliénable du temps humain, le temps libre, est plus important que jamais. Des lois (congés payés, 35 heures) ont acté cela, c’est un progrès considérable.

Le libéralisme dominant défend l’idée que le marché est la meilleure façon possible de gérer des biens. Les ultralibéraux disent même que la police pourrait être un bien marchand, cherchent à mordre sur la part gratuite relativement importante de nos existences.

Si intérieurement, on sait se servir en permanence de la sphère marchande et non-marchande, les actions de la sphère marchande ont pris une valeur obnubilante.

A Aubagne, des élus communistes ont décidé de mener une action un peu anti-sarkozyste, en instaurant la gratuité des transports en commun. En pleine époque du « travailler plus pour gagner plus », c’était totalement à contre-courant...

Les élus ont en effet voulu trancher avec le système, à la différence de la vingtaine d’autres collectivités qui ont instauré cette mesure, et l’avaient fait plutôt pour des raisons techniques.

On constate que quand on sort du rapport marchand aux transports publics, on lève les freins à la hausse de la fréquentation.

Partout où les transports sont gratuits, la fréquentation des transports en commun augmente, ça crée de la productivité. Sans compter que l’investissement public a diminué par deux, un déplacement coûtait 4 euros à la collectivité, il en coûte un peu plus de 2 euros maintenant.

La gratuité, en provoquant la disparition du contrôle, a-t-elle modifié le rapport entre les gens dans l’espace public ?

 


Couverture du livre

 

Oui et c’est un élément très important. Trop souvent, les politiques abordent les questions de sécurité de façon binaire : il y a des délinquants, il faut des caméras et des policiers. Mais les caméras n’ont jamais fait baisser la délinquance !

La gratuité des transports en commun a rendu le travail du chauffeur beaucoup moins angoissant : il n’a plus de caisse à garder, il n’a plus qu’à faire l’essentiel, transporter ses concitoyens d’un endroit à un autre, leur rendre service.

Quand le Syndicat des transports en Ile-de-France (Stif) instaure le dézonage le week-end, cela crée un sentiment de liberté et fait baisser la délinquance.

Quand les gens sont rendus à eux mêmes, on voit que globalement ils ne sont pas si méchants qu’on veut bien le dire.

Alors que quand un gamin passe sans payer devant le chauffeur, il y a quelque chose d’humiliant pour le chauffeur, de désagréable pour tout le monde. Si vous supprimez ça, l’espace public devient plus agréable et convivial. Ça ne résoud pas tous les problèmes mais on constate que globalement, les tensions intergénérationnelles à Aubagne ont été supprimées.

Aujourd’hui, on voit que l’école est de moins en moins gratuite.

L’école est surtout confrontée au problème de la ségrégation sociale et du coup, l’école publique est gratuite pour les pauvres, elle devient une école sociale, et non plus l’école de tous, où pauvres et riches ont le même avantage. Quand l’école devient une école de seconde catégorie, ceux qui ont de l’argent vont dans dans une école non gratuite.

La gauche critique parfois l’expérience d’Aubagne en disant qu’il n’y a pas de raison d’avantager les riches. Moi je réponds : il faut des endroits dans la société où il n’y a plus de différence entre riches et pauvres. La gratuité, c’est de donner aux gens un droit. Ensuite libre à eux de l’exercer selon leur bon vouloir. On pourrait imaginer un droit au téléphone, par exemple.

Va-t-on vers une extension des zones de gratuité d’après vous ?

Le mouvement global va contre la gratuité, et pourtant, la gratuité est rentrée dans le champ social et politique. On voit le succès d’audience de Paul Ariès, et de certaines de ses propositions comme la gratuité de l’eau vitale.

Je trouve intéressante l’idée d’une sécurité sociale du logement qui permettrait, en cas de perte d’emploi ou de dépression, de ne pas être chassé de son logement.

Certaines villes proposent la gratuité des obsèques, et je trouve qu’éviter aux gens de négocier la qualité du cercueil quand ils viennent de perdre un proche, c’est très humain et civilisant.

Comment à travers la gratuité favoriser des comportements plus écologiques (en rendant payants les mésusages, comme le suggère Paul Ariès) ?

L’idée qu’on a le droit de vivre dans une planète qui ne se flingue pas (et que peut-être il faut préférer mettre de l’argent dans les transports en commun) se met dans les têtes peu à peu. Cela a surgi à la conscience les vingt dernières années, et rejoint d’autres milieux sociaux.

Aubagne est une expérience très localisée mais qui donne à penser au niveau beaucoup plus large. « Think globally, act locally », disent les altermondialistes.

Si beaucoup d’actions se font comme ça, droite et gauche devront en tenir compte.

 

MERCI RIVERAINS ! Pierrestrato
Source : www.rue89.com

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30 décembre 2013 1 30 /12 /décembre /2013 21:21

 

 

Source : www.mediapart.fr

2013, le jeu des sept faillites de la gauche

|  Par Stéphane Alliès

 

 

Dans le rétroviseur d’une première année pleine et entière au pouvoir, la gauche gouvernementale désespère son électorat, et l’hypothèse pour l'heure peu probable d’une alternative, comme d’un changement de cap, n’enthousiasme pas davantage. Retour sur sept faillites qui ne laissent guère optimiste sur 2014.

Après le désenchantement, le néant. Si depuis son arrivée à l’Élysée, le nouveau pouvoir socialiste n’a de cesse de tester les bas-fonds de son impopularité, de reculades en renoncements, d’absences de courage en cadeaux aux entreprises, la situation n’est guère plus brillante dans les autres allées de la gauche. Et c’est peut-être la plus grande réussite du début de quinquennat Hollande : à force d’organiser la déception et d’agencer la résignation, personne ne semble aujourd’hui en mesure de venir lui contester son austère et amer magistère. Pourtant si nombreuses, les oppositions dans son propre camp paraissent démunies, contraintes d’observer et de se lamenter sur le champ de ruines des idéaux de la gauche française et du mouvement social en décrépitude…

Comme anesthésiées par dix ans de droite, et d’une prétendue droitisation de la société qui arrange bien les plus conservateurs (lire ici), désireux de continuer à tracer les contours du cercle de la raison dont il ne faudrait surtout pas sortir, les gauches françaises ne sont plus à la recherche du peuple, mais bien du côté de la continuité de l’État et de la haute fonction publique qui leur dicte quoi faire. Quant aux gauches qui s’opposent, faute de stratégie d’alternative crédible ou de courageuses et tangibles recherches de convergences, elles en sont réduites à commenter et contempler l’ampleur du désastre. Sous Jospin, bon an mal an, la gauche était plurielle. Sous Hollande, la gauche n’est plus rien. Et en 2013, sa désintégration a pris le tour d’un déprimant jeu des sept faillites.

 

Bruno Le Roux, président du groupe PS à l'Assemblée. 
Bruno Le Roux, président du groupe PS à l'Assemblée. © Reuters

 

  • L’hypo-parlement

Déjà un an et demi que l’hémicycle est installé et l’on peine encore à trouver les nouveaux Peillon et Montebourg de 1997, jeunes députés ayant biberonné à autre chose que la vie interne (l’un était professeur de philosophie, l’autre avocat) et se saisissant de leurs pouvoirs parlementaires pour enquêter de façon offensive sur la situation des tribunaux de commerce ou sur les paradis fiscaux. Des initiatives, telle la lutte contre la fraude fiscale ou quand il s’est agi d’améliorer le texte de loi sur le contrôle bancaire, ont sorti certains élus de leur tétanie. Mais le quotidien parlementaire reste en 2013 plus marqué par la caporalisation que par l’autonomie conquérante face à l’exécutif. Même au moment d’émettre la bien peu audacieuse possibilité de voter l’entrée en guerre (au moment de l’épisode syrien), les parlementaires se sont montrés impuissants face aux prérogatives du chef des armées de l’Élysée. L’exemple anglais et américain a davantage renvoyé à la France son parlementarisme potiche. Et depuis, les forces françaises se sont engagées en Centrafrique, sans que personne s’insurge de l’absence d’aval de l’Assemblée.

Question moralisation et rénovation de la vie publique, la “force tranquille” est toujours de rigueur, surtout si l’on compare les timides travaux législatifs de l’année 2011 à ceux des parlements anglo-saxons (par exemple, la condamnation de députés à de la prison ferme en Angleterre, dans l'affaire des notes de frais). La commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac a montré la faiblesse d’un camp incapable de se prononcer sur ses propres turpitudes (voir notre émission), allant même jusqu’à désigner comme rapporteur un ancien trésorier du PS, Alain Claeys, quand le financement politique du parti socialiste était l’un des enjeux sous-jacents de la commission. Sur le cumul des mandats, la résistance sénatoriale a montré l’archaïsme d’une partie des socialistes (essentiellement des proches de François Hollande). Quant à la loi sur le non-cumul, après avoir vu son application reportée à 2017, son extension à l’idée d’un non-cumul dans le temps (trois mandats consécutifs maximum) a sèchement été évacuée par le groupe socialiste (lire ici), malgré un vote majoritaire des députés de gauche en commission.

 

Réunion à l'Assemblée nationale, où plusieurs "clubs" et courants socialistes ont réclamé une réforme fiscale, le 2 juillet 2013 
Réunion à l'Assemblée nationale, où plusieurs "clubs" et courants socialistes ont réclamé une réforme fiscale, le 2 juillet 2013 © S.A

 

En creux, c’est le constat le plus désolant : trop heureux de retrouver la majorité, les socialistes se sont lovés dans la culture d’acquiescement législatif que chérit d’habitude la droite. Résultat, à quelques rares exceptions près – dont la principale demeure le mariage pour tous (mais avec l'assistance médicale à la procréation abandonnée en route) –, on ne trouve pas trace d’un texte voté par l’ensemble de la gauche, au Sénat et à l’Assemblée. Une majorité introuvable, faute de se donner la peine de penser des convergences. L’exemple le plus chimiquement impur a été celui de la proposition de loi sur l’amnistie sociale. Après un compromis entre communistes, écologistes et socialistes au Sénat, avec la bienveillance de Christiane Taubira, c’est un enterrement qui s’ensuivit à l’Assemblée, avec la malveillance de Manuel Valls. Symbolique, ce refus socialiste d’accéder aux demandes du reste de la gauche s’est répété lors de la proposition de loi écologiste sur les ondes électro-magnétiques, puis sur le texte radical instituant une liste électorale unique aux européennes.

Quant aux voix divergentes internes à la majorité parlementaire, quand elles s’expriment, c’est souvent à titre individuel et sans grande coordination. Ainsi Malek Boutih au moment de la démission de Delphine Batho, Pouria Amirshahi après l’affaire Léonarda (lire ici), Isabelle Attard après le vote de la réforme des retraites (lire ici)… Souvent mentionnée dans les discussions de coulisses, l’hypothèse d’une scission du groupe socialiste, lui enlevant sa majorité absolutiste (il suffirait d’une quinzaine de départs) et obligeant à prendre en compte les avis divergents, reste d’actualité pour 2014. Mais une telle tentative court le risque de voir le groupe socialiste restant transiger avec les députés centristes, davantage que sur sa gauche. Alors cela prend pour l'instant la forme de conférences de presse occasionnelles, entre différentes nuances de gauche (durable, populaire, forte, etc.), comme en juillet dernier. Revendication commune alors : une réforme fiscale consacrant la fusion de la CSG avec l'impôt sur le revenu. Six mois plus tard, le bilan de la démarche est mitigé : si une « remise à plat fiscale » a été annoncée, on n'en connaît pas encore les contours, et elle devrait s'étaler sur tout le quinquennat…

  • La disparition du PS… et de l’aile gauche socialiste

Aubry l’avait sorti du coma, il y est retombé, étouffé sous l’édredon hollandais. Comme redouté au regard de ses états de service, l’heureux désigné, Harlem Désir, n’est pas parvenu à briser son armure d’apparatchik rentré dans le rang solférinien. Inaudible et démuni face aux atermoiements d’un pouvoir qu’il soutient coûte que coûte, il a paru être investi d’une mission impossible. Quand il a fait preuve d’audace (en demandant un référendum institutionnel ou quand il exprima sa volonté de voir rentrer Léonarda et sa famille en France), il a fini de creuser sa tombe, sévèrement recadré par des éléphants aux attentes contradictoires. De plus petit dénominateur commun, il est désormais devenu un simple détonateur, fusible évident en cas de déroute confirmée aux prochaines européennes.

Dans les actes, le plus grand de ses échecs à la tête du parti est la façon dont il a “fossoyé” la plus intéressante des innovations du PS de ces dernières années : la primaire citoyenne. En organisant a minima sept consultations municipales en tout et pour tout sur le territoire, il a cassé l’élan modernisateur de la compétition présidentielle, qui avait réussi à impliquer enfin des sympathisants socialistes lassés des obscurs jeux de courant dans des sections socialistes volontairement réduites au plus petit nombre, histoire d’être le plus verrouillées possible. En préférant l’expérimentation à la généralisation, le PS d’Harlem Désir a “gadgétisé” l’outil primaire, le réduisant à un “clientélisme à ciel ouvert” à Marseille, atténuant sa légitimité au Havre, ou rendant carrément inopérant son résultat à La Rochelle (lire ici et ici). Avec le sentiment que, définitivement, ce parti socialiste préférera toujours les petits arrangements entre quelques dizaines de milliers de militants, répartis en une dizaine d’écuries, à l’ouverture audacieuse à la société mobilisée.

Harlem Désir 
Harlem Désir © Reuters

Quant aux ailes gauches du PS, c’est l'hallali. Benoît Hamon et les siens, pourtant charnière essentielle dans le dispositif actuel (un ministre et une vingtaine de députés), ont mis la tête dans le sable, fidèles à une stratégie édictée lors du congrès de Toulouse : on joue la légitimité du pouvoir en place et on attend des jours meilleurs, afin de prendre le PS, et des villes (comme Montreuil ou Saint-Denis) ou la présidence de la région Île-de-France. Un pari à long terme, qui pourrait même passer par une alliance pragmatique avec Manuel Valls, à l’autre bord de l’échiquier socialiste.

De son côté, Arnaud Montebourg est lui aussi totalement rentré dans le rang, et ne fait plus entendre sa musique particulière qu’au moment de critiquer les orientations de l’Union européenne. Tout occupé à consolider son “alliance des producteurs”, et donc à parfaire son réseau patronal et syndical en vue d’échéances futures, le héraut de la rénovation socialiste, de la démondialisation et de la VIe République, se satisfait aujourd’hui sans gêne des archaïsmes institutionnels et fait avec la mondialisation, tout occupé à sa volonté réindustrialisatrice du pays, souvent synonyme jusqu’ici d’anti-écologisme parfois primaire.

Le courant Maurel/Lienemann, enfin, n’en finit plus de commenter les renoncements et de conter l’éloignement progressif du pouvoir vis-à-vis des valeurs de gauche, quitte à s’accommoder de la déprime et du fatalisme qu’elle peut engendrer. Jouant le strict jeu du parti, “Maintenant la gauche” se résout à ce que ce soit plus tard, et bataille poliment pour gagner des positions en interne. Avec un succès mitigé, Emmanuel Maurel n’étant investi qu’en deuxième position de la liste du Grand-Ouest aux européennes.

 

Marie-Noëlle Lienemann et Pierre Laurent, à l'assemblée des gauches, le 12 décembre 2012 
Marie-Noëlle Lienemann et Pierre Laurent, à l'assemblée des gauches, le 12 décembre 2012 © Antoine Pesch

 

  • Le Front de gauche en capilotade

C’était l’année de tous les dangers pour le rassemblement de l’autre gauche. Pour la première fois, il n’y avait pas d’élection pour mobiliser, et la double divergence stratégique qui la traverse depuis ses débuts en 2009 avait tout pour prospérer et faire des dégâts dans ses rangs. Cette double divergence, autour du rôle et du poids des élus locaux, ainsi qu’autour de sa finalité existentielle : prendre le pouvoir par la révolution citoyenne ou l’influencer en pesant sur la majorité et en la tirant à gauche, a fini par le faire – momentanément ? – imploser.

Bien que dans les textes la proximité programmatique entre les différentes forces du Front de gauche ait été réaffirmée en début d’année, la progressive personnalisation de la rivalité entre Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon a mis en danger la pérennité d’un regroupement touchant les limites du cartel électoral. La préparation des municipales à Paris a symbolisé le désaccord, entre la volonté acharnée de la direction communiste à passer un accord dès le premier tour avec le PS et les surenchères verbales contreproductives de Mélenchon à l’encontre de son allié (lire ici).

 

Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, à Grenoble, le 25 août 2013 
Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, à Grenoble, le 25 août 2013 © S.A

 

Seule bonne nouvelle cette année pour le Front de gauche, la constitution d’un troisième pôle (Ensemble), regroupant communistes unitaires, alternatifs et fractions diverses du NPA et de la LCR. Avec l’espoir de sortir la gauche de gauche du face-à-face Laurent/Mélenchon, devenu aujourd’hui davantage un obstacle qu’un marche-pied à la résurrection du mouvement social. Mais rien ne dit encore que son émergence garantira la pérennité du Front de gauche.

La dynamique militante paraît sérieusement entamée, et les choix stratégiques des uns et des autres n’ont pas recueilli les résultats escomptés. L’alternative via une alliance majoritaire au cœur de la gauche, souhaitée par le PCF, s’est résumée à des assises citoyennes sans lendemain (lire ici). L’alternative via la rue et la révolution citoyenne, défendue par le PG et mise en branle le 5 mai et le 1er décembre dernier, n’a mobilisé qu’un noyau militant certes encore soudé, mais bien loin des marées citoyennes espérées.  

Les élections européennes à venir pourraient alors devenir le vrai test de survie pour la gauche antilibérale post-référendum européen, qui risque de voir resurgir le spectre de la division sur fond de désaccord irrémédiable entre Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon (lire ici). En jeu : un retour au début des années 2000, où chacun se compte en dessous des 5 %, ou le maintien d'un attelage encore fragile, mais permettant d'obtenir plus de 10 % des suffrages.

  • L’écologie “désarmée”

Si les couacs et désaccords gouvernementaux auront été multiples en 2013, seule la ministre de l’écologie aura été démise de ses fonctions. Outre son alerte sur l’austérité en cours, le message de la ministre sortie au début de l’été, Delphine Batho, notamment sur le poids des lobbies dans l’entourage élyséen, aurait dû faire événement, à tout le moins débat. Il n’en fut rien, les socialistes regardant ailleurs, et les écologistes préférant se ranger derrière le successeur Philippe Martin, alors jugé plus compétent en matière environnementale, et ses promesses de transition écologique à venir.

Une rentrée habilement placée par Pierre Moscovici sous le signe du « ras-le-bol fiscal », et voilà que tous les espoirs écolos se sont fracturés, et pas même de façon hydraulique... La fiscalité écologique puis l’écotaxe ont réduit les ministres et parlementaires d’EELV, jusqu’ici fiers d’être arrivés si nombreux à ce niveau de pouvoir, au rôle de vulgaires taxeurs, punitifs des plus pauvres. Le nucléaire ne s’est jamais aussi bien porté, et l’objectif d’une réduction de la part de nucléaire à 50 % du mix énergétique en 2025 jamais aussi bien enterré. Notre-Dame-des-Landes n’a jamais été aussi proche de connaître la pose de la première pierre de son aéroport. Même les gaz de schiste sont encore dans le paysage médiatique, protégés par un moratoire fort fragile. Seul espoir des écolos : que le détail de la transition énergétique, annoncé pour le printemps 2014 par l'exécutif, soit à la hauteur des promesses passées.

 

Cécile Duflot et Delphine Batho, à l'Assemblée nationale 
Cécile Duflot et Delphine Batho, à l'Assemblée nationale © Jacky Naegelen / Reuters

L’écologie défensive (lire ici) est devenue l'occupation d’un parti qui, faute de marges de manœuvre externes, préfère s’anéantir dans les manœuvres internes, faites de rivalités et de rancœurs recuites. Après l’éviction de son secrétaire national, Pascal Durand, au terme d’une illisible révolution de palais (lire ici), puis d’un congrès pathétiquement incompréhensible (lire ici), c’est à Emmanuelle Cosse d’assumer le flambeau d’EELV (lire ici). Ou plutôt de la flammèche, tant la dynamique et l’attractivité du parti écologiste se résument aujourd’hui à ses seuls élus, quasiment aussi nombreux que ses militants mobilisés.

 

  • Les quartiers populaires abandonnés

Si l’on repense à la marche pour l’égalité de 1983, les critiques en récupération de l’époque (adressées à SOS-Racisme et au PS de Mitterrand) pourraient faire sourire aujourd'hui. Tant il y aurait fort à parier qu’une mobilisation similaire serait aujourd’hui traitée comme un soulèvement djihadiste ou anti-républicain, mettant en danger la laïcité et prônant un insidieux communautarisme.

L’abandon de l’électorat des quartiers populaires, qui s’était fortement mobilisé derrière François Hollande en 2012, n’a eu de cesse de s’amplifier en 2013. Mesures principales du programme de Hollande, en tout cas les seules concernant les banlieues françaises, le droit de vote des étrangers et le récépissé de contrôle d’identité (lire ici) ont été sabordés sans le moindre scrupule par la majorité socialiste et écologiste. Cet été, d'Argenteuil à Trappes, des contrôles policiers d’identité sur des femmes en niqab ont dégénéré. Et à chaque fois, l'État s’est rangé derrière l’ordre républicain, sans autre réponse sur la lutte contre les discriminations (lire ici).

 

 

Même l’intégration n’apparaît plus que comme un problème. Dernière preuve en date, l’invraisemblable polémique autour des rapports commandés par Matignon (lire ici), qui ont provoqué un tollé à droite, mais aussi à l’intérieur du gouvernement. La gauche au pouvoir n’a tellement plus de courage ou de convictions pour affronter ces questions, qu’elle s’interdit même d’en débattre. Quant à la politique de la ville, celle-ci s’éloigne des banlieues dans ses critères (lire ici), et le rapport Mechmache/Bacqué (lire ici), prônant une participation citoyenne et une reconnaissance accrues des habitants des quartiers populaires, est d’ores et déjà rangé dans les tiroirs.

Le principe de laïcité a toujours plus été instrumentalisé au détriment de la seule religion musulmane, faisant monter une islamophobie de plus en plus radicalisée, dont les conséquences ont été le plus souvent niées pour les pouvoirs publics. Le gouvernement Hollande/Ayrault n’assume pas encore tout à fait dans ses discours sa conception d’une laïcité de fer anti-musulmane, mais il encourage vivement, par ses ministres Manuel Valls et Vincent Peillon, à interdire aux femmes voilées de travailler dans des crèches ou d’accompagner leurs enfants dans des sorties scolaires (lire ici).

  • Le non-idéal européen

C’était l’une des promesses emblématiques de Hollande candidat. Lui président, il ferait entendre une autre voix dans le concert européen, et incarnerait un pôle de résistance à la majorité libérale-conservatrice de l’Union. Si sa promesse de renégociation du TSCG a été dévoyée dès l’été 2012, l’année 2013 fut surtout marquée par l'absence de résultats pour la gauche française. Union bancaire au rabais, passivité face au scandale Prism, refus d’asile d’Edward Snowden, ouverture des négociations du grand marché transatlantique, conséquences de la directive sur les travailleurs détachés

Comme toujours, l’Europe a aussi servi d’alibi pour justifier les inactions et les passivités coupables (par exemple, en mettant « le problème rom » sur le dos des accords de Schengen). En revanche, aucune proposition de relance concrète de la dynamique institutionnelle européenne n’a été faite par la France, qui semble s’être résolue à prendre les conseils européens les uns après les autres, sans ambitions à long terme.

 

Angela Merkel et François Hollande avec, au centre, le Belge Elio Di Rupo, le 15 mars 2013 à Bruxelles. ©CE. 
Angela Merkel et François Hollande avec, au centre, le Belge Elio Di Rupo, le 15 mars 2013 à Bruxelles. ©CE.

Dans un paysage social-démocrate européen à la dérive (lire ici), l’étrange pas de deux vis-à-vis de l’Allemagne merkelienne dit beaucoup de la confusion qui règne dans les têtes socialistes, dès qu’il s’agit d’orientation européenne. Certains lâchent leurs coups contre la chancelière, comme Claude Bartolone ou Arnaud Montebourg. Mais François Hollande fait dans le même temps l’éloge du réformisme de Gerhard Schroeder, à la tribune du congrès du SPD, et sous les yeux d’Angela Merkel (lire ici). Le PS français se range avec entrain derrière l’eurodéputé SPD Martin Schultz pour la présidence de la commission, pendant que le SPD fait grande coalition avec la droite allemande, même si les désaccords restent profonds.

Le débat interne du PS sur l’Europe, en juin dernier, dit bien tout le désintérêt des ténors socialistes sur le sujet. Escamoté par la grâce d’un tripatouillage dont seul le PS a le secret (lire ici), il s’est finalement réduit à une négociation sémantique nocturne, entre gauche et droite du parti, avant qu’une sombre convention nationale dévoile un texte indolore convenant à tout le monde (lire ici). Ultime illustration de cette débandade à gauche : la constitution des listes pour les européennes à venir. Le PS bricole et s’en remet à Édouard Martin, arbre magique cachant la forêt grisouille des investitures bureaucratiques. Les écolos reconduisent des sortants méritants mais ayant laissé la dynamique société civile de 2009 aux vestiaires. Le Front de gauche attend les municipales de mars pour voir s’il peut encore tenir debout aux élections de mai. Pierre Larrouturou tente bien l’aventure de la novation (avec Nouvelle donne, lire ici), propice à un tel scrutin, mais rien ne dit que ses candidatures iront au bout, au risque de rejoindre les autres coups sans lendemain tentés par le héraut des 32 heures.

 

Pierre Moscovici, le 7 mai 2012 
Pierre Moscovici, le 7 mai 2012 © Reuters

 

  • L’économie comme seul dogme intellectuel

Un premier semestre 2013 marqué par l’austérité et les pleins pouvoirs donnés aux entreprises, un second par le « ras-le-bol fiscal », formule initiée en propre par le ministre des finances, Pierre Moscovici, dont l'influence sur la marche du pouvoir reste une énigme (lire ici). En 2013, ceux qui rêvaient encore de « rêve français » en ont été pour leurs frais, découvrant à la place le « bricolage pragmatique », déjà revendiqué par Hollande dès 1984 (lire ici), et la République des comptables à lunettes (lire ici).

Ainsi que Mediapart l’a longuement documenté (ici et ici), pour que l’invention soit au pouvoir sous Hollande, il faudrait que les intellectuels soient dans ses arcanes. Or, point d’idéologues dans les entourages de l’État socialiste, juste des hauts fonctionnaires, obsédés par la continuité de l’État et effrayés par tout pas de côté vers l’inconnu. L’exécutif gère le tout-venant, ne voyant pas plus loin que l’horizon de la réduction des dépenses publiques et l’inversion de la courbe du chômage. Et la gouvernance socialiste de l’État s’est peu à peu résumée en une « auto-régulation exigeante » des entreprises (autre remarquable formule de Pierre Moscovici) et en des reculades en tout genre face à ceux qui refusent l’impôt.

À côté de cet économicisme forcené, privilégiant les chiffres et statistiques comme lecture première de la société, aucune idée neuve n’a surgi. Aucun grand discours élyséen n’a accompagné les réformes de l’éducation ou de la justice. Simplement des questionnements sur les compétences personnelles d’un ministre (Vincent Peillon) ou la mise en image de la rivalité entre deux autres (Manuel Valls et Christiane Taubira). Même la réforme fiscale a été annoncée dans un grand cafouillage, où le plus important semblait de savoir si le premier ministre voulait sauver sa peau, plutôt que, là encore, de mettre en scène la thématique de l’égalité, qui était pourtant le socle de la campagne électorale de François Hollande.

Cette croyance en l’économie se double d’une révérence envers la haute administration, origine de tous les maux, à en croire nombre d’élus désorientés par la situation actuelle. « Il y a trop peu de ministres qui font de la politique et ils se font bouffer par les technos », entend-on sans cesse dans les bouches socialistes. La technostructure bénéficie d’une confiance telle, qu’elle en devient intouchable. Ainsi le très sarkozyste directeur du Trésor, Ramon Fernandez, est toujours en poste, deux mois après que Jean-Marc Ayrault a annoncé son départ. La citadelle de Bercy semble plus que jamais inébranlable. À l'inverse du doute dans l'électorat de gauche, à la veille de 2014.

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

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30 décembre 2013 1 30 /12 /décembre /2013 17:02

 

Source :  www.mediapart.fr

 

Comment le Luxembourg s'est construit en trou noir de la finance mondiale

|  Par Dan Israel

 

 

Au cœur de la zone euro, le Luxembourg est aujourd'hui un paradis fiscal qui gère les fortunes cachées et les évasions de capitaux d'une partie du monde. La santé de ce petit pays dépend de sa « place financière », et il y est impossible de critiquer la finance et ses dérives. Le Grand-Duché vient de lâcher du lest sur le secret bancaire, mais le nouveau gouvernement n'entend pas dévier de la ligne fixée pendant dix-huit ans par Jean-Claude Juncker.

De notre envoyé spécial au Luxembourg

C’est encore un rapport qui épingle le Luxembourg et le décrit comme un agent actif de l’évasion fiscale dans le monde. Et c’est encore un rapport qui, comme ses – nombreux – prédécesseurs, restera sans écho dans ce petit pays fondateur de l’Union européenne, coincé entre France, Allemagne et Belgique. Car au Luxembourg, dans les rues de la capitale du Grand-Duché, au milieu des marchés de Noël des communes disséminées aux alentours, dans les centres de décision rassemblés dans les bâtiments de verre et de métal du plateau du Kirchberg, ou même au sein de la société civile, le poids et le rôle exact de la « place financière », qui fait vivre tout le pays, sont un sujet qui ne se discute pas. Un tabou que bien peu se risquent à briser.

 

 

Le réseau Eurodad (the European Network on Debt and Development) a fait travailler quinze ONG européennes pour évaluer les politiques de treize États en matière de lutte contre les flux illicites de capitaux. Publié à la mi-décembre, ce rapport intitulé Donner d’une main, et reprendre de l’autre pointe la responsabilité du Luxembourg, qui dépense pourtant 1 % de son PIB (soit 310 millions d’euros) dans l’aide au développement.

Les motifs sont connus depuis des années : dans le système financier mondial, l’évaporation de milliards d’euros vers des paradis fiscaux a des impacts très négatifs pour les pays en développement ; et le Luxembourg est un acteur essentiel de ce système. Ou plutôt sa « place financière », un terme unanimement repris pour désigner l’ensemble de l’industrie des services financiers du pays.

« Au lieu de défendre le statu quo, l'industrie financière du Luxembourg doit reconnaître que nous avons un problème mondial très grave, et coopérer en se transformant en un centre financier moderne et transparent, qui profite de son professionnalisme et de sa crédibilité, pas de son secret », déclare Tove Maria Ryding, la représentante d’Eurodad. L’ONG demande au gouvernement local de confier une analyse d’impact à un organisme indépendant pour vérifier les effets réels de son action sur les pays en développement.

Contrairement à d’autres acteurs luttant pour la transparence et la fin du secret fiscal, le réseau Eurodad a pris bien soin de ne pas qualifier le pays de paradis fiscal, un terme qui braque aussitôt les autorités du pays et empêche toute discussion. Et pourtant, le rapport n’a suscité aucune réaction publique et aucun échange. Fin décembre, l’opinion publique luxembourgeoise s’indignait bien plus volontiers du jugement très clément d'un automobiliste qui, pour avoir tué un jeune de 17 ans en décembre 2012, écopait en tout et pour tout de 2 000 euros d’amende et d’un retrait de permis avec sursis.

Tout aussi significatif, aucune ONG luxembourgeoise ne signe le rapport d’Eurodad, même si le Cercle de coopération, qui réunit la petite centaine d’associations existant dans le pays, a accepté d’y apposer son logo et de publier l’étude sur son site. Pourtant, dans ce pays riche en donateurs et encore très marqué par la charité chrétienne, plusieurs associations sont très actives dans le secteur de l’aide au développement.

« Ici, la place financière pèse dans les mentalités, et on la défend sans réfléchir, témoigne Mike Mathias, qui a travaillé une vingtaine d’années dans le secteur associatif et animé le Cercle de coopération pendant huit ans. C’est très clair dans le discours ambiant : ce qui est bon pour la place financière est bon pour le pays. » Ce socio-économiste, assistant parlementaire des Verts luxembourgeois depuis trois ans, est un fin observateur du rôle et du poids des services financiers sur le territoire. Et sa vision n’est guère optimiste : « Très peu de gens osent élever la voix pour critiquer l’impact de cette politique sur le pays. Il n’y a pas de courage politique face au poids du lobby financier. »


Mike Mathias 
Mike Mathias © D.I.

Un poids écrasant. Dans ce pays de 525 000 habitants, le secteur financier pèse 12 % de l'emploi, un quart du PIB, et presque un tiers des recettes fiscales ! Le Luxembourg compte 144 banques sur son tout petit territoire. Il est le second marché mondial des fonds communs de placement (derrière les États-Unis), et le second lieu de domiciliation des hedge funds au monde. Il abrite le plus gros marché de captives de réassurance d’Europe. Et il est surtout le premier pays de la zone euro dans le domaine de la gestion de fortune, avec 300 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Soit la moitié de ce que gèrent les banques suisses.

Les habitants sont bien conscients que c’est cette industrie qui leur permet de toucher des salaires souvent deux à trois fois supérieurs à ceux de leurs voisins français et allemands, à poste et qualification égaux. « La finance, c’est la richesse du pays, ce sont les emplois. On en parle peu entre nous, il y a une méconnaissance de la réalité des activités des financiers dans le pays. Et on n’en parle pas aux journalistes ! » témoigne un militant, sous le sceau de l’anonymat (voir notre Boîte noire). Il n’est pas le seul à ne pas vouloir se dévoiler en pleine lumière. Aucune association n’a accepté d’apparaître officiellement dans notre article. « Depuis 2009, avec l’augmentation de la pression internationale sur les paradis fiscaux, on peut parler en se cachant un peu moins, mais c’est toujours un tabou, explique un adhérent. Ce n’est pas de l’ordre de la discussion publique, même dans les milieux progressistes. Il est considéré que la critique de la finance fera inévitablement baisser notre niveau de vie. Et nous faire revenir cent ans en arrière, quand nous étions tous ouvriers ou cultivateurs de pommes de terre. »

« C’est comme être contre le pétrole en Arabie saoudite ! »

 

David Wagner, porte-parole du parti Déi Lénk. 
David Wagner, porte-parole du parti Déi Lénk. © D.I.

David Wagner, le porte-parole du parti d’extrême gauche Déi Lénk (La Gauche), décrit ces réactions comme typiques d’une « mentalité d’anciens pauvres » : « Nous vivons depuis vingt ans une opulence jamais connue, mais nous sommes conscients que c’est très fragile et les gens ont peur de tout perdre. » Le parti de David Wagner, qui pèse entre 5 et 10 % des voix, est le seul à critiquer explicitement le fonctionnement de l’industrie financière. « Mais nous devons marcher sur des œufs, explique-t-il. C’est comme être contre le pétrole en Arabie saoudite ! Nous essayons de développer un plan de sortie sur plusieurs années, comme on peut en envisager un pour sortir du nucléaire en France. »

Des années, il en faudrait au pays pour se sortir de l’emprise de la finance, tant elle s’est rapidement ancrée sur son territoire. Certes, le statut de holding, qui permet à des groupes internationaux de gérer leurs filiales depuis le Grand-Duché en étant exonérés de presque tous les impôts, date de 1929 (il a été supprimé en 1998), mais jusque dans les années 1960, le Luxembourg était avant tout un pays de sidérurgie, dont ArcelorMittal est aujourd’hui l’héritier. L’impressionnant siège du groupe est d’ailleurs toujours à Luxembourg, où il occupe tout un pâté de maisons.

L’explosion du centre financier date de 1963, année où le pays a autorisé l’émission et l’utilisation d’Eurobonds, ce type d’obligations émises dans la devise de leur choix par des grandes entreprises qui souhaitent se dégager des contraintes, ou des obligations légales, liées à leur monnaie nationale. C'est notamment ce que raconte en détail le journaliste et écrivain Nicolas Shaxson, auteur d’un brillant livre sur les paradis fiscaux. Dans les années 1970, la sidérurgie est en crise, puis en déclin rapide. Le Grand-Duché se tourne alors vers la finance comme nouveau pourvoyeur de richesse nationale. Avec succès. Les lois ménageant l’accueil le plus chaleureux possible aux multinationales se multiplient. Le secret bancaire devient une valeur garantie par la loi en 1981. Attirer les fonds d’investissement et les hedge funds à coup d’exemptions fiscales, devient une priorité. Pour toute la gamme des services de la finance offshore, la régulation est peu à peu conçue pour être la plus légère possible. Et cela fonctionne.

Selon le rapport sénatorial français sur le rôle des banques dans l’évasion fiscale (dont nous parlions ici), le Luxembourg est le troisième centre offshore à attirer le plus de capitaux, juste derrière les îles Caïmans et l’Irlande. Le Comité catholique contre la faim et pour le développement, CCFD-Terre solidaire, a, lui, établi que la plupart des 50 plus grandes entreprises européennes ont installé des filiales au Luxembourg (qui compte à peine moins de ces filiales que la Chine).

Le magazine Alternatives économiques invite quant à lui à s’intéresser à un éclairant indicateur : l'écart entre le produit intérieur brut par habitant, c'est-à-dire la richesse qui est censée avoir été produite dans un pays, et le revenu national brut par habitant. Au Luxembourg, l’écart est de plus d’un quart : un quart de la richesse censément produite ne revient pas aux habitants. « Le soupçon est alors très fort que cette production de richesse soit en réalité largement fictive et ne relève que des jeux d'écritures destinés à localiser des profits dans un paradis fiscal », analyse le magazine.

Dans son récent livre, La Richesse cachée des nations, l’économiste Gabriel Zucman a justement établi que le tiers des 1 800 milliards d’argent caché en Suisse est investi dans des fonds de placement hébergés au Luxembourg, et masqué par des sociétés-écrans. Car l’opacité joue elle aussi à plein. Le pays, nous a-t-on expliqué officiellement, est d'ailleurs incapable de mesurer exactement quelle est la part d'argent suisse investi dans ses fonds, « puisqu’il s’agit là d’informations à valeur commerciale évidente, détenue par les gestionnaires des fonds ». Le Luxembourg est classé deuxième, entre la Suisse et Hong Kong, dans l’index 2013 de l’opacité financière établi par le Tax justice network, que nous avons largement détaillé.

Gabriel Zucman estime qu’aucun pays n'est allé aussi loin dans « la commercialisation de sa souveraineté », en laissant les entreprises négocier les taxes et les règles auxquelles elles sont soumises. Très sévère, il va jusqu’à évoquer une exclusion du Luxembourg de l'Union européenne, le réduisant à « une plateforme hors sol pour l’industrie financière mondiale ». Et il est certain qu’un tour d’horizon des scandales et autres entourloupes fiscales dans lesquels le Luxembourg est cité, donne vite le tournis. Une simple plongée dans les archives de Mediapart offre un aperçu vertigineux du rôle que le pays s’est forgé au cœur de l’Europe : un trou noir de la mondialisation, très accueillant pour les riches Européens et les entreprises résolues à esquiver contraintes légales ou impôts de tous ordres.

 

Cette tour, l'un des emblèmes du Luxembourg, n'est pas celle du château grand-ducal, mais celle de la Caisse d'épargne... 
Cette tour, l'un des emblèmes du Luxembourg, n'est pas celle du château grand-ducal, mais celle de la Caisse d'épargne... © D.I.

1. Le trou noir de la finance mondiale

Les exemptions fiscales et un ensemble de règles fort accommodantes permettent aux multinationales qui y installent leur centre financier ou leur quartier général de ne payer quasiment aucun impôt, comme nous l’avons démontré concernant ArcelorMittal. D’autres jouent des filiales luxembourgeoises pour rémunérer discrètement les dirigeants de leur entreprise, sans en avertir le fisc. C’est ce qu’a mis en place pendant des années, et à plusieurs reprises, Wendel, ex-géant de la sidérurgie converti en fonds de placement, sous la supervision de l’ancien patron du Medef, Ernest-Antoine Seillière, avant de se faire pincer.

On peut aussi utiliser ces filiales en guise de paravent, comme l’illustrent à merveille notre enquête sur la face cachée du groupe Bolloré et sa myriade de filiales, ou le récit du rachat du Printemps par le Qatar au groupe Pinault, via plusieurs groupements financiers du Grand-Duché. Selon Pierre Condamin-Gerbier, l’ancien salarié de la banque Reyl, témoin clé de l’affaire Cahuzac, l’homme d'affaires Alexandre Allard a lui aussi usé et abusé de la filière luxembourgeoise pour masquer le montant réel de sa fortune, qui s'élève à plusieurs centaines de millions d’euros.

Il est encore possible de jouer sur la réglementation financière assez souple concernant les placements financiers. Ce qu’avait bien compris Bernard Madoff : c’est à partir d’une Sicav luxembourgeoise, Luxalpha, que l’instigateur de l’escroquerie à 65 milliards de dollars a arrosé toute l’Europe de gains bidon. Nous avons longuement expliqué en quoi Luxalpha n’était pas conforme à la réglementation de presque toute l’Europe… sauf du Luxembourg, et pourquoi les autorités de contrôle locales ont négligé de s’interroger sur ce fonds de placement pourri.

Le pays est par ailleurs bien connu des politiques français ou de leurs proches. Au cœur de l’affaire Karachi, on trouve ainsi Heine, la société-écran montée au Luxembourg avec l’aval de Nicolas Sarkozy, selon la police grand-ducale, pour abriter les commissions occultes de la vente au Pakistan des sous-marins du contrat Agosta. Et ils sont nombreux à être soupçonnés d’avoir utilisé le Luxembourg comme un coffre-fort, d’Alexandre Guérini, frère de Jean-Noël Guérini, sénateur et président PS du conseil général des Bouches-du-Rhône, à la maire de Puteaux Joëlle Ceccaldi-Reynaud, en passant par l’entourage d’un maire UMP de l’Essonne.

Face à ce paysage pour le moins problématique, l’OCDE n’affiche pas d’opinion aussi tranchée que celle de Zucman. Mais fin novembre, le club des pays riches, qui supervise le Forum mondial sur la fiscalité, a néanmoins porté un coup très rude au Grand-Duché, en le classant parmi les territoires « non conformes » à ses règles de transparence financière. Après une analyse soignée, il a été conclu que l’État, qui a pourtant pris toutes les mesures législatives pour rendre possible l’échange d’informations fiscales, ne jouait pas le jeu. Lorsque d’autres pays, dont la France au premier chef, demandent des informations sur leurs contribuables soupçonnés de cacher de l’argent au fisc, en général, les réponses arrivent, mais tellement vagues qu’elles sont à peine exploitables.

Il est peu de dire que cette notation sévère a été mal reçue dans le pays, habitué à être le bon élève de la construction européenne et de la rigueur budgétaire. « Cela illustre un des gros problèmes du pays, assure un journaliste local : il existe un écart significatif entre les discours officiels et la réalité. » « Nous allons tout faire pour satisfaire aux critères de l’OCDE et corriger ce qui doit l’être, affirme de son côté Nicolas Mackel, le dirigeant de Luxembourg for finance, l’agence de promotion de la place, créée en partenariat par l’industrie financière et l’État. Mais il y a un acharnement contre le Luxembourg. Notre pays présente des qualités tout à fait différentes de celles que le monde politico-médiatique, surtout français, présente à longueur d’articles. »

À entendre les représentants de la finance luxembourgeoise, tout comme les responsables politiques, leur succès se fonde avant tout sur une grande stabilité politique et sociale, sur un cadre réglementaire « moderne constamment adapté aux évolutions des marchés », et sur la compétence de ses salariés. « Pour un entrepreneur qui a des intérêts dans plusieurs pays, l’agence de Limoges de la BNP est moins pertinente que l’agence de Luxembourg, qui a développé une expertise multi-pays, assure Mackel. Ici, nous avons tout, à commencer par la pratique des langues. » Le français, l’allemand et le luxembourgeois sont en effet les langues officielles du pays, et l’anglais est parlé couramment sur la place.

 

Sur le plateau du Kirchberg, la Maison de la finance rassemble les lobbyistes du secteur. 
Sur le plateau du Kirchberg, la Maison de la finance rassemble les lobbyistes du secteur. © D.I.

« Le Luxembourg est dans une situation particulière : nos clients ne sont pas luxembourgeois. Nous exportons des services financiers, comme les Allemands exportent des voitures et les Français du vin », rappelle pour sa part Jean-Jacques Rommes, le président de l’Association des banques et banquiers (ABBL). Selon lui, cette réussite créerait des jalousies très fortes. D'après le représentant des banquiers, c’est la France qui a multiplié les demandes d’information fiscale et qui a décrit à l’OCDE les renseignements obtenus comme peu convaincants. « La France nous a dénoncé et maintenant elle se réjouit du résultat. Bien sûr, puisque cela sert ses intérêts. »

2. Le pays a abandonné le secret bancaire

Nicolas Mackel et Jean-Jacques Rommes, comme tous ceux qu’ils représentent, balayent avec indignation l’image de paradis fiscal qui colle au Grand-Duché. Certes, en 2009, il a été brièvement inscrit sur la liste noire du G20. Mais il a bien vite décidé de se régulariser pour rentrer dans le rang. Et à en croire nombre de représentants officiels, tout a changé en quatre ans. Point d’orgue de cette nouvelle politique : l’annonce, en mars 2013, par le ministre des finances Luc Frieden, que son pays se plierait à partir du 1er janvier 2015 à l’échange automatique d’informations sur les intérêts de l’épargne avec tous les pays de l’Union européenne. Une pratique qui est en place depuis 2005, mais dont le Luxembourg et l’Autriche avaient obtenu d’être exemptés, contre des versements d’argent aux pays concernés.

Et c’est effectivement une révolution, l’échange automatique étant considéré comme la méthode la plus drastique contre l’évasion fiscale : chaque pays s'engage à livrer à ses homologues, une fois par an, des informations bancaires concernant les comptes ouverts sur son sol par leurs contribuables. C’est la fin effective du secret bancaire, déjà actée en avril par l’accord luxembourgeois de signer avec les États-Unis l’accord Fatca. Voté en 2010 et imposé partout dans le monde par le géant américain échaudé par les révélations sur la façon dont UBS organisait la fraude fiscale sur son territoire, Fatca devrait entrer en vigueur dans les mois qui viennent. Le texte impose aux banques l’échange automatique d’informations pour toutes les données concernant les résidents américains.

Pour enfoncer le clou, le Luxembourg a également signé en mai la convention multilatérale de l’OCDE sur la coopération fiscale, s’engageant de facto à répondre à toutes les demandes d’une grosse soixantaine de pays. Il a également annoncé qu’il adopterait dès sa mise en place le nouveau standard d’échange automatique promu par l’OCDE… « Nous n’attachons aucun espoir quel qu’il soit quant au maintien du secret bancaire. C’est fini. C’est inévitable, commente Jean-Jacques Rommes. Celui qui n’a pas compris, ça ne passera pas les deux prochaines années. »

Quel impact pour cette révolution copernicienne ? En novembre, Statec, l’office national des statistiques, a évalué le manque à gagner dans les années à venir aux alentours de 1 % du PIB national, avec un impact négatif tournant autour de 5 % de la rentabilité de la place financière. Officiellement, quelque 2 000 emplois pourraient être menacés. D’autres sont bien plus pessimistes. En avril, un avocat fiscaliste réputé s’attendait à voir disparaître la moitié des banques du pays, au motif que « la plus grande partie de la clientèle des banques luxembourgeoises a de l'argent non déclaré ».

Le gouvernement veut imiter la Belgique

En privé, un haut responsable luxembourgeois, qui évolue depuis plus de vingt ans dans les sphères financières, ne se cache pas derrière son petit doigt. « Il est clair que le secret fiscal a longtemps été utilisé comme argument commercial pour attirer la clientèle non résidente, reconnaît-il. Nous avons toujours exploité les opportunités qui nous sont offertes, nous sommes dans une logique de marché. Et vu notre petite taille, nous n’avons pas le choix si nous voulons nous développer. » Ce spécialiste s’attend à ce que « la tempête » emporte environ le quart des actifs gérés par la place. « Mais même si 50 banques devaient disparaître, ce ne serait pas un risque systémique », anticipe-t-il.

Car au Luxembourg, la « gestion privée » de capitaux n’est pas le nerf de la guerre. Elle représente environ 20 % des revenus de l’industrie financière, bien loin de la gestion des fonds de placement et de l’assurance-vie, qui constituent le cœur de la machine. Et c'est peut-être pour cette raison qu'après un grand pas en direction de la transparence sur les revenus des comptes bancaires simples, le pays bloque à nouveau lorsqu’il s’agit d’élargir le champ des données qui seront bientôt échangées (cette attitude ambiguë sera l’objet du second volet de notre enquête).

« Les petits épargnants, comme le dentiste belge, qui est constamment cité en exemple chez nous, tous ces gens qui bénéficiaient d’un système simple et traité de façon presque industrielle, quittent le pays, car le secret bancaire les concerne au premier chef, convient Mike Mathias, des Verts. Mais les banques savaient depuis plus de dix ans que cela arriverait. Elles se sont préparées. » Ainsi, le Luxembourg a légiféré il y a un an sur l’activité de « family office », réservant à des professionnels réglementés cette gestion de la fortune et de la vie privée des plus fortunés de la planète, en espérant les attirer toujours plus. Une loi autorisant la création de fondations privées, permettant de masquer l’identité du bénéficiaire final, est aussi en discussion. De même, un port franc est en cours de construction près de l’aéroport, comme le racontait Der Spiegel. Pensé pour concurrencer celui de Genève, il devrait prochainement abriter quantités d’œuvres d’art, en toute opacité et sans que les fiscs européens puissent savoir ce qu’il cache.

Enfin, pour continuer à attirer les entreprises (une politique à laquelle sera consacré le troisième volet de notre enquête), le tout nouveau gouvernement envisage d’importer de Belgique le concept d’« intérêts notionnels » : lorsqu’une entreprise se finance par ses fonds propres, elle peut déduire fiscalement un montant équivalent à ce que lui aurait coûté un prêt bancaire ! Une prime aux plus riches, que le premier ministre Xavier Bettel, assermenté le 4 décembre, n’exclut pas de mettre en place, comme il le confirme dans une interview au mensuel paperJam. Et ce alors même que la Belgique est dans le collimateur de la Commission européenne sur ce sujet précis…


3. Mélange des genres

Autant dire que le nouveau gouvernement ne semble pas vouloir quitter la ligne de ses prédécesseurs. Et pourtant, les dernières élections, le 20 octobre, auraient pu provoquer un tremblement de terre. Convoqués après le départ anticipé de l’indéboulonnable Jean-Claude Juncker, englué dans une affaire d’espionnage, les électeurs ont porté au pouvoir une coalition du parti libéral (dont Bettel est le leader), des socialistes (déjà au pouvoir dans plusieurs gouvernements précédents) et des Verts. Poussé vers la sortie, Juncker aura été à la tête du gouvernement depuis 1995, après avoir été ministre des finances pendant six ans. Quant à son parti, le CSV, « chrétien social », il a dirigé le pays sans interruption depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, hormis une parenthèse de 1974 à 1979.

Juncker ne devrait cependant pas être trop contrarié par son successeur. Bettel a nommé au ministère des finances Pierre Gramegna, lui aussi membre du parti libéral, et jusqu’alors directeur général de la chambre de commerce de Luxembourg. Pas vraiment un ennemi de la libre entreprise. Et pour son premier discours, lors du raout annuel organisé par les assureurs luxembourgeois, Gramegna a tout fait pour rassurer le milieu financier, promettant notamment « beaucoup de continuité, pas seulement dans les mots, mais dans les faits ».

 

Luc Frieden et Pierre Gramegna 
Luc Frieden et Pierre Gramegna © DR

L’occasion de vérifier une fois de plus qu’une des particularités du pays, selon un argumentaire élaboré par l’association des banquiers, est « l’accès facile aux décideurs », et la « paperasserie limitée »… Interrogez sur ce point un responsable luxembourgeois et il vous renverra à la figure l’exemple français, que Mediapart n’est pourtant pas le dernier à critiquer. « Au Luxembourg, tout le monde se connaît, c’est vrai. C’est un microcosme à peine plus grand que le milieu parisien ! » ironise ainsi Jean-Jacques Rommes.

Dans Les Échos,en janvier 2013, un associé du cabinet d’audit Deloitte estimait tout de même que si « en France, c'est la haute administration qui élabore les réglementations, au Luxembourg, c'est la profession elle-même qui suggère les textes ». En octobre dernier, la nomination par l’ancien ministre des finances Luc Frieden de sa conseillère, Sarah Khabirpour, à la commission de surveillance du secteur financier, avait aussi fait hausser les sourcils jusqu’au Financial Times. Mais à la même période, c’est un autre mélange des genres qui a fait tousser dans les rangs des partis politiques : lors des négociations pour la formation du nouveau gouvernement, la délégation du parti libéral accueillait le dirigeant luxembourgeois du cabinet d’audit Ernst & Youg, Alain Kinsch…

« Les Luxembourgeois ont un certain mépris pour la banque »

Cette interpénétration des mondes financiers et politiques explique aussi le consensus national sur la question de l’industrie financière. Car au besoin, les avertissements peuvent se faire explicites. C’est ce qui est arrivé, l'été 2009, au Cercle de coopération des ONG à propos du rapport sur l'évasion fiscale commandé au journaliste et économiste allemand Rainer Falk.

 

L’étude, disponible en allemand et dont le résumé en français est ici, établissait, pour la première fois aussi explicitement, que la gestion de fortune au Luxembourg faisait perdre aux pays en développement plus de cinq fois la somme dépensée par le Grand-Duché pour l'aide au développement. Elle rappelait aussi, noir sur blanc, que le pays offrait l'environnement idéal pour l'évasion fiscale des multinationales. Un point de vue qui n’a apparemment pas droit de cité au Luxembourg : le 29 juillet 2009, à la Chambre des députés, lors de la déclaration de politique générale de son nouveau gouvernement, Juncker s’en est pris avec des mots très durs à l'étude, la qualifiant de « primitive et primaire », l’accusant de nuire à l’image du pays, en reprenant notamment des arguments de l’ABBL.

Diverses pressions ont conduit le Cercle à retirer l’étude de son site internet. « Après cet épisode, l'association Etika avait monté un débat intitulé “(Ne) Parlons (pas) d’argent qui fâche”. Cette interpellation vaut toujours pour aujourd’hui », juge Jean-Sébastien Zippert, membre de plusieurs ONG, dont Attac, et observateur attentif des questions financières… Le plus ironique dans cette affaire est que Jean-Claude Juncker, de l’avis général, n’était pas un fervent admirateur de la place financière. « Juncker n’aime pas forcément ce monde, concède ainsi David Wagner du parti Déi Lénk. Son père était ouvrier, syndicaliste chrétien, et il est à l’image de nombreux Luxembourgeois nés avant l’explosion de la place financière. Ils n’aiment pas trop le bling bling et ont un certain mépris pour la banque. »

C'est une position paradoxale dans un pays qui vit de la banque. « Cette dynamique financière fait notre richesse, oui, mais l’afflux de capitaux pose aussi de sérieux problèmes, comme l’augmentation sans fin des loyers, tempère Mike Mathias. Et souvenez-vous que 70 % de la population active n’est pas de nationalité luxembourgeoise. » En effet, chaque jour, environ 150 000 frontaliers (dont 80 000 Français, comme nous le relations ici) viennent travailler chez leur voisin plus riche. À peu près autant d’étrangers résident et travaillent sur place. Quant aux Luxembourgeois réellement actifs dans leur pays, ils sont une grande majorité à être employés de la fonction publique, ces emplois leur étant réservés.

« La finance, ce n’est pas comme la sidérurgie, où nous avions tous un frère, un père ou un oncle, confirme le Luxembourgeois familier du milieu financier déjà cité. L’intégration sociale ne s'est pas faite. Nous avons besoin d’eux, nous reconnaissons leur importance, mais nous n’aimons pas beaucoup les banquiers. » D’autant que l’afflux financier n’a pas empêché les inégalités de se creuser, comme le résume cet excellent rapport de la chambre des salariés, qui recense 10 % de travailleurs pauvres et souligne que l’écart de richesse entre les 5 % les plus pauvres et les 5 % le plus riches a presque doublé de 1985 à 2010.


4. La complicité de la France et de l'Allemagne

Finalement, s’accordent tous les acteurs et observateurs rencontrés au Luxembourg, leur pays n’aurait pas pu développer ses activités sans la complicité, au moins tacite, de ses grands voisins. Pour le militant Jean-Sébastien Zippert, « le Luxembourg est juste un rouage ». « Il est évident que le Luxembourg travaille beaucoup à rester attractif pour les acteurs du monde financier, et même qu’il entretient l’ambiguïté sur l’avenir. Mais il est tout aussi évident que son positionnement profite aux industriels français et aux particuliers allemands », signale Mike Mathias.

L’économiste vert explique que dans les années 1960, les banques allemandes ont « découvert » le Luxembourg : alors que la régulation commençait à devenir importante dans leur pays et qu’elles cherchaient à se développer, elles ont vite compris qu’avec sa poignée de banques, à l’époque, le pays n’avait pas encore établi de règles strictes dans de nombreux secteurs pointus. « Un territoire germanophone, proche de l’Allemagne, où l’accès aux dirigeants n’était pas trop compliqué du fait de sa petite taille, c’était parfait, résume Mathias. Aujourd’hui encore, les banques allemandes sont majoritaires. »


Le siège de la BGL-BNP, à Luxembourg. 
Le siège de la BGL-BNP, à Luxembourg. © D.I.

Sur les quelque 140 banques recensées aujourd’hui, seules 5 sont luxembourgeoises. Selon le décompte de la commission de surveillance du secteur financier, 39 sont allemandes, 14 françaises et 11 belges. D'après le CCFD-Terre solidaire, le Luxembourg est la première destination offshore pour les actifs gérés par les banques françaises, et 18 % des profits du groupe Deutsche Bank proviennent de quatre filiales luxembourgeoises.

Sur place, la BNP, fusionnée en 2008 avec la Banque générale du Luxembourg (BGL), est, avec ses 4 000 salariés, le second employeur du pays, derrière ArcelorMittal. Autre exemple, le Crédit communal de Belgique, l’ancêtre de Dexia, s’est lancé dès 1990 dans la gestion de fortune au Luxembourg, alors qu’il s’agissait d’un établissement public, dont les communes belges étaient actionnaires. « Je dis souvent qu’il n’y a pas de place financière luxembourgeoise, mais qu’il y a une place financière au Luxembourg, dit David Wagner. Et la nuance est de taille. »


Cliquez sur l'image pour l'afficher en gros plan. 

Dans les milieux dirigeants, on ne se prive pas de fustiger l’hypocrisie de la France et de l’Allemagne sur ces dossiers. Dernier exemple, le rapport publié en toute discrétion par l’OCDE sur la façon dont ses 34 membres luttent contre la fraude fiscale et le blanchiment. Certes, le Luxembourg est classé dans les cinq derniers pour la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (Gafi), l’instance qui coordonne la lutte internationale contre les « flux illicites ». Mais la France et l’Allemagne sont à peine mieux placées, en 22e et 24e positions. Chacun a de quoi balayer devant sa porte, et le Grand-Duché continuera de faire passer le message par tous les canaux disponibles. 

 

 

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29 décembre 2013 7 29 /12 /décembre /2013 17:10

 

 

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ISF : le conseil constitutionnel censure le bouclier fiscal

|  Par Laurent Mauduit

 

 

 

Le conseil constitutionnel a censuré le plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) prévu dans la loi de finances 2014. Nous republions un parti-pris publié début décembre, qui mettait en garde contre les méfaits du retour du « bouclier fiscal ».

Le conseil constitutionnel a censuré le plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dans le cadre de son examen du projet de loi de finances 2014 (lire l'intégralité de sa décision publiée dimanche). Au total, les sages, qui avaient été saisis par le groupe UMP de l'assemblée nationale, ont bloqué 24 des 236 articles du projet de loi 2014 et de la loi de finance rectificative de 2013. Ils ont en revanche donné leur feu vert à la taxation à 75% sur les hauts revenus, dont ils avaient bloqué une première mouture l'an dernier. Nous republions le parti-pris de Laurent Mauduit sur les dangers d'un retour du « bouclier fiscal », publié le 5 décembre 2013.

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S’il y a un dispositif qui symbolise le quinquennat de Nicolas Sarkozy et les injustices qu’il a générées, c’est assurément celui du bouclier fiscal. À juste titre, c’est ce que n’a cessé de faire valoir la gauche en général et les socialistes en particulier : ce mécanisme qui faisait obligation à l’État de rendre des millions d’euros aux contribuables les plus fortunés assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était assurément très emblématique de la politique conduite à l’époque par le « président des riches ».

Eh bien voilà que le symbole fonctionne aujourd’hui en sens contraire. Car depuis que François Hollande, sitôt arrivé au pouvoir, a décidé de conduire une politique d’austérité budgétaire et salariale, de relever le plus inégalitaire des impôts qu’est la TVA, d’apporter 20 milliards d’euros aux entreprises sous forme de crédit d’impôt sans la moindre contrepartie, de flexibiliser encore davantage le marché du travail, de renier sa promesse faite aux ouvriers de Florange, de conduire une réforme des retraites qui épargne le capital et accable le travail, il est apparu au fil des mois qu’il ne restait plus grand-chose qui distinguât sa politique économique et fiscale de celle impulsée par son prédécesseur. Il ne restait plus guère précisément que la suppression de ce fameux bouclier fiscal, si vivement et si justement dénoncé par la gauche.

Eh bien non ! Même cette différence n’en est plus une. Et la droite va pouvoir, à bon droit, se moquer d’une gauche qui, après lui avoir fait un procès en injustice fiscale, pratique exactement la même politique fiscale qu’elle, y compris dans le cas de l’ISF. C’est ce qui transparaît très clairement des statistiques sur l’ISF que le président (UMP) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, est arrivé après bien des difficultés à obtenir du ministre des finances, Pierre Moscovici. Évoqués jeudi matin par le quotidien Les Échos, les chiffres livrés par Bercy font en effet très clairement apparaître que le gouvernement socialiste a mis au point un dispositif très proche de ce fameux bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy. Dans le cadre de la loi de finances pour 2013, il a instauré un mécanisme de plafonnement permettant de limiter à 75 % des revenus l’ensemble des impôts payés, ISF compris. Du même coup, 7 630 contribuables assujettis à l’ISF ont bénéficié en 2013 de ce plafonnement, ce qui a diminué le montant de leur impôt de 730 millions d’euros.

Par un courrier en date du 24 septembre, Gilles Carrez avait en effet demandé aux ministres des finances et du budget de lui transmettre des données sur les effets du nouveau plafonnement à 75 % instauré pour 2013, et qui a donc pris effet pour l’ISF payable cette année, au plus tard le 15 juin dernier. Les deux ministres ont visiblement traîné des pieds puisqu’ils n’ont transmis une réponse que le 3 décembre. À la lecture du document, on comprend le peu d’empressement de Bercy, tant les chiffres sont embarrassants pour le gouvernement.

Voici les documents transmis par les deux ministres à Gilles Carrez :

640 millions € pour 2 674 contribuables

Des deux tableaux transmis, c’est le second qui apparaît comme le plus important :

 

 

Ce tableau fait apparaître que sur les quelque 300 000 contribuables assujettis à l’ISF (pour un rendement l’an passé de près de 5 milliards d’euros), une infime minorité, soit 7 630 contribuables, ont profité d’un cadeau de 730 millions d’euros, du fait de ce plafonnement. C’est même encore plus spectaculaire que cela ! Ce sont 2 674 contribuables, ceux qui disposaient d’un patrimoine net taxable supérieur à 10 millions d’euros, qui se sont partagé l’essentiel du magot, soit 640 des 730 millions.

En somme, exactement comme sous les années Sarkozy, ce sont les ultrariches qui ont bénéficié de ce cadeau. À preuve, pour ces 2 674 contribuables chouchoutés par le gouvernement socialiste, la minoration d’ISF induite par le plafonnement a été en moyenne de 237 663 euros.

Sous Nicolas Sarkozy, ce n’était certes pas exactement le même dispositif. Les contribuables payaient leur ISF, et ensuite, c’était l’administration fiscale qui leur restituait le trop-perçu, si la somme de tous les impôts payés par le contribuable dépassait 50 % de ses revenus. Mais en vérité, il n’est pas certain que le dispositif inventé par les socialistes soit moins critiquable. C’est même exactement l’inverse. Au moins, sous Sarkozy, c’était l’administration fiscale qui faisait le calcul du trop-perçu, tandis qu’en 2013, ce sont les contribuables, lors du paiement de l’ISF, qui ont eux-mêmes arrêté le cadeau qu’ils se faisaient à eux-mêmes. Et puis, sous Nicolas Sarkozy, les effets du bouclier fiscal étaient… moins spectaculaires. Pour l’année 2010, le journal Le Monde avait par exemple révélé que 14 443 contribuables avaient au total profité du bouclier, pour un montant total de 591 millions d’euros. Le nombre de contribuables avait donc été supérieur à celui de l’année 2013, mais le cadeau fait par Nicolas Sarkozy avait été nettement inférieur à celui décidé par François Hollande. La seule chose qui, d’un quinquennat à l’autre, n’a pas changé, c’est la clientèle la plus chouchoutée. Sous le quinquennat précédent, c'étaient aussi les ultrariches qui avaient été les plus choyés, un peu moins de 1 000 contribuables assujettis à l’ISF se partageant 352 millions d’euros de restitution d’impôt.

Gilles Carrez fait donc remarquer, à bon droit, que le dispositif si critiqué de Nicolas Sarkozy avait au moins le mérite d’être plus transparent que celui inventé par les socialistes – sur le modèle de ce que Pierre Bérégovoy avait institué à la fin du second septennat de François Mitterrand. Au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, les services de Bercy étaient en effet dans l’obligation de rendre public le montant des restitutions, ce qui n’est plus le cas. Et l’on parvenait ainsi à savoir parfois, avec un peu de pugnacité, le montant du chèque fabuleux que le Trésor public faisait à certains contribuables. Mediapart avait ainsi révélé que pour 2008 Liliane Bettencourt avait perçu un chèque de restitution de 30 millions d’euros (lire Liliane Bettencourt : cherchez l’impôt !). Mais pour 2013, quel a été le gain offert par le gouvernement à la même milliardaire ? Mystère et boule de gomme…

Ce cadeau apparaît d’autant plus spectaculaire qu’il n’est pas le seul et surtout qu’il est en contradiction totale avec les engagements pris par François Hollande. Pendant la campagne présidentielle, le candidat socialiste mène en effet la charge contre le « président des riches » et promet qu’il supprimera le bouclier fiscal et rétablira un ISF vidé de sa substance. La promesse est consignée dans la plate-forme du candidat (elle est ici) – c’est sa proposition n° 17 : « Je reviendrai sur les allègements de l’impôt sur la fortune institués en 2011 par la droite, en relevant les taux d’imposition des plus gros patrimoines. »

Mais François Hollande n’a pas, ensuite, honoré son engagement. S’il a rétabli des taux d’imposition progressifs pour l’ISF, il a porté le taux marginal à seulement 1,5 %, pour les patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros, comme on peut le constater dans le tableau ci-dessous, qui présente les tranches d'imposition en vigueur pour 2013.

 

 

Mais, sans que personne ne le remarque et sans que cela ne fasse débat, François Hollande n’a en fait pas honoré totalement son engagement, car au tout début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, le taux marginal de l’ISF était non pas de 1,5 % mais de 1,8 %.

Pourquoi Hollande ne paie pas l'ISF

Et puis surtout, il y a eu une autre reculade. Pendant son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait en effet décidé que la première tranche d’imposition à l’ISF commencerait à partir de 800 000 euros de patrimoine comme par le passé, mais à la condition – et c’était cela la mesure de Nicolas Sarkozy – que le contribuable dispose d’un patrimoine d’au moins 1,3 million d’euros. En clair, le barème de l’impôt  était resté inchangé, mais le seuil de déclenchement de l’impôt avait été relevé de 800 000 euros de patrimoine à 1,3 million d’euros. On trouvera ici, sur le site internet de l’administration des impôts, les détails du mécanisme.

Or, sans tambour ni trompettes, cette mesure pour transformer l’ISF en gruyère, avec plein de trous permettant aux contribuables d’y échapper, a été maintenue par François Hollande. Et précisément, le seuil de déclenchement de l’ISF a été maintenu à 1,3 million d’euros, et non pas rabaissé à 800 000 euros, comme on aurait pu le penser au vu de la promesse du candidat.

Pour la petite histoire – mais n’est-ce que la petite histoire ? –, on peut d’ailleurs relever qu’il y a un contribuable qui n’a sans doute pas à se plaindre de ce choix : c’est… François Hollande lui-même ! Si l’on en croit sa déclaration de patrimoine (elle peut être consultée ici), le président socialiste dispose d’un patrimoine total de 1,17 million d'euros, constitué pour l'essentiel par des biens immobiliers. Officiellement, il n’est donc pas redevable de l’ISF, compte tenu des contours actuels de l’ISF. Mais sans doute le serait-il s’il avait choisi d’honorer sa promesse.

Pour qui connaît François Hollande, ce stupéfiant conservatisme fiscal n’est, en vérité, pas très surprenant. Déjà lors d’un face-à-face enregistré en vidéo par Mediapart le 28 janvier 2011 avec l’économiste Thomas Piketty (lire Hollande – Piketty : confrontation sur la révolution fiscale), François Hollande avait fait montre de beaucoup de prudence sur l’ISF.

 

Et, dans une drôle de formule (à écouter vers 12’00’’), il avait fait comprendre le bonheur qu’il y avait à être propriétaire : « L'ISF pour l'essentiel est un impôt immobilier, ce qui n'est d'ailleurs pas choquant dès lors qu'une façon de vivre sa richesse est de la connaître dans l'immobilier. »

Mais par-delà sa situation personnelle de contribuable, il y a quelque chose de beaucoup plus choquant : avec François Hollande, l’un des rares symboles qui subsistaient encore pour distinguer une politique économique hollandaise d’une politique économique de droite s’est d’un seul coup effondré. Le premier ministre a beau appeler de ses vœux une « remise à plat de la fiscalité », le constat malheureusement saute aux yeux : de différence, il n’y en a presque plus aucune. Alors que François Hollande avait, bien avant le Front de gauche, plaidé pour une « révolution fiscale », c’est aujourd’hui, avec la hausse de la TVA ou le plafonnement de l'ISF, une contre-révolution qui est en cours…

 

 

Lire aussi

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 22:24

 

 

Source : www.agoravox.fr

 

par olivier cabanel (son site) vendredi 27 décembre 2013 -  
 
La fable du « ruissellement »

 

Cette vielle théorie, chère aux libéraux et aux capitalistes de tout crin, qui voudrait que « plus les riches s’enrichiront, moins les pauvres le seront  », le débordement de la richesse leur étant bénéfique, a fait son temps…

 

Cette théorie aurait été imaginée par un certain Will Rogers, acteur dans de nombreux westerns, qui déclara, au sujet des baisses d’impôts décidées par le Gouvernement d’Herbert Hoover, en 1928 : «  on a mis tout l’argent en haut de l’échelle, en espérant qu’il finisse par ruisseler vers les nécessiteux. Monsieur Hoover (…) ne savait pas que l’argent ruisselle toujours vers le haut  ». lien

On sait aujourd’hui, et depuis un certain temps, ce qu’il en est, puisque la France d’aujourd’hui regorge de riches de plus en plus riches, des pauvres toujours plus pauvres, entrainant dans leur chute la classe moyenne.

L’année 2013 a été l’occasion de faire ce constat accablant, révélé en juillet 2013 par la revue Challenges publiant le classement des 500 plus grosses fortunes de France (lien) prouvant que l’écart entre riches et pauvres n’en finit pas de se creuser, illustré par le film de Michel Munz « ah ! Si j’étais riche  » : dans un échange savoureux : « finalement, quand on est riche, ça ne s’arrête jamais ? Rassurez-vous, c’est pareil quand on est pauvre ». lien  

Aujourd’hui, 500 français se partagent un gâteau de 350 milliards, et 2013 compte 10 milliardaires de plus qu’en 2012, portant leur nombre à 55…

Si la moitié du patrimoine des 500 plus grosses fortunes françaises était distribués aux 2,7 millions d’enfants qui vivent dans les familles pauvres, ils recevraient chacun 61 000 euros.

En 1996, le capital des 10 français les plus riches représentaient 25% du patrimoine des 500 plus grosses fortunes…en 2013, il en représente 40%...

Etonnante situation sous une présidence se prétendant socialiste, avec à la tête de l’état un homme qui affirmait, droit dans ses bottes, avant son investiture : «  mon adversaire, c’est le monde de la Finance  ». lien

On ne demande qu’à le croire, mais quasi au 1/3  de son mandat, on serait en droit de douter de la parole présidentielle.

Rien ne l’empêche aujourd’hui de légiférer sur la séparation des banques de dépôt, et des banques d’affaires…ni de décider, comme il le voulait, une échelle de salaire qui ne dépasse pas de 1 à 20 alors qu’elle est aujourd’hui de 1 à 400lien

Et quid de la taxe à 75% sur les plus hauts salaires, de la fin des stock-options, de la limitation des bonus, du plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques, et de l’encadrement de celles des patrons d’entreprises privées ?

On attend en vain des idées neuves, comme celle de mettre en place un revenu de base, quasi seule solution pour remettre l’égalité, la fraternité, au cœur de la République, faisant reculer la misère, et relancer la consommation.

Il voulait renégocier le traité européen, mais a finalement abandonner l’idée…

Pourtant récemment, une grande avancée aurait été réalisée au niveau bancaire européen, s’il faut en croire Michel Barnier ou Pierre Moscovici, évoquant l’un après l’autre « un changement révolutionnaire dans le secteur financier européen" et « un accord historique » affirmant que l’Europe vient de prendre une décision capitale, destinée, parait-il à organiser le contrôle des banques…

C’est sans compter sur l’analyse lucide qu’a fait le 23 décembre, l’économiste (et jésuite) Gaël Giraud, chercheur en économie au CNRS, et auteur de « lire l’économie » (éditions de l’atelier-prix lycéen du livre).

Il a qualifié cet accord « d’union de façade qui ne garantit aucune sécurité pour le secteur bancaire européen  ».

En principe cet accord devait casser le lien entre les banques et les états, afin de ne pas faire payer les erreurs des banques aux contribuables comme ça a été le cas jusqu’à présent, et même si un fond européen de résolution des banques a été décidé, « ça n’est pas suffisant » a-t-il déclaré.

Ce fond sera, dans 10 ans, à la hauteur de 55 milliards d’euros, et même si la somme parait considérable, elle est largement insuffisante.

Comme le rappelle l’économiste, l’actif au bilan de BNP-Paribas, c’est plus de 2000 milliards aujourd’hui, et lors de l’épisode Dexia, la France avait mis en garantie plus de 80 milliards…quant au fond de résolution français il ne contient que 2 ridicules milliards, et si la loi bancaire envisagée par Moscovici prévoit de le faire monter à 20 milliards c'est seulement dans 10 ans, donc beaucoup trop tard… si des problèmes surgissent, ce qui est probable, les citoyens seront une fois de plus mis à contribution.

Comme les banques savent qu’en cas de pépin, ce seront de nouveau les contribuables qui seront mobilisé pour les sauver, elles ont tout fait pour limiter le montant de l’accord.

De plus, cette loi protège les créanciers et les actionnaires, puisqu’elle fixe pour leur éventuelle contribution un plafond de 8% sur le passif de la banque, et comme les fonds de résolution sont trop modestes, c’est une fois de plus le contribuable qui sera sollicité.

L’objectif de cette loi était donc bon, mais le résultat final est pour le moins décevant, malgré les félicitations que se sont partagés les décideurs européens.

De plus, ce nouveau choix donne a la Banque Centrale Européenne, la mission de superviser les banques européennes, et pour Gaël Giraud, avant tout ça, il aurait fallu mettre en place toute une série de réformes.

S’il est évident qu’il faudrait avancer vers un véritable fédéralisme européen, aujourd’hui on retire aux états le contrôle de leur secteur bancaire, on le donne à la BCE, qui n’a pas de mandat démocratique, qui est très soumise à la pression et aux lobbys bancaires, et qui va devoir constamment arbitrer entre sa fonction de régulatrice de l’inflation, et sa fonction de supervision du secteur bancaire, se décrédibilisant en ayant ses deux mandats.

Aujourd’hui donc, cet accord dépossède les états d’un droit de regard légitime sur leurs secteurs bancaires, mais aussi de tous les attributs de leur souveraineté.

Giraud rappelle qu’une banque ne dira jamais quand elle va mal, tout comme la BCE, car si elle refusait l’opacité, elle pourrait mettre en faillite une partie du secteur bancaire européen…comme le dit avec humour l’économiste, « le ciel est bleu même quand il pleut  », ajoutant que les stress test mis en place par la BCE ne sont pas crédibles, et qu’ils seront calibré, afin que la casse soit minimale, ce qui permettra d’épargner les banques françaises et allemandes, les pertes n’étant déclarées que pour les pays déjà naufragés comme l’Espagne, la Grèce, le Portugal... lien

Pas étonnant dès lors que les bonnets rouges en France et les fourches en Italie soient de sortie…

Car si la naissances des bonnets rouges à une origine au départ plutôt corporative, le peuple des Fourches italien rassemble maintenant des chômeurs, des étudiants, des syndicats, alors qu’à sa création en Sicile en 2012, ce n’était qu’un mouvement corporatiste, dans lequel on ne trouvait que des agriculteurs, des pécheurs, et des routiers en colère contre l’austérité du gouvernement de technocrates de Mario Monti. lien

Ce « mouvement des fourches » prend de l’ampleur, multiplie les manifestations, et promet de marcher sur Rome en 2014, soutenu qu’il est par le « mouvement 5 étoiles  », lequel avait crée la surprise lors des dernières élections, emportant un joli nombre de sièges.

En France, on le sait, les bonnets rouges ont été à l’origine lancés en Bretagne pour lutter contre l’écotaxe, voulue par de pseudo-écolos, en manque d’imagination, portés par la volonté de pénaliser les poids lourds, sans imaginer une seconde qu’elle n’enlèverait que peu de camions sur les routes, et qu’au final, c’est le consommateur qui serait pénalisé.

Alors, en 2014, allons-nous assister à la mutation de ce mouvement, tout comme en Italie, puisque récemment Christian Troadec, l’un des leaders, maire de Carhaix et animateur du festival des vieilles charrues, à décidé de rejoindre la lutte de Notre Dame des Landes ? lien

En tout cas, devant l’acharnement d’Ayrault à imposer son inutile et dévastateur aéroport à NDDL (lien) il ne serait pas impossible que la colère se propage…d’autant que les grands projets inutiles, comme le « Lyon Turin » et d’autres, se multiplient, avec l’accord du premier personnage de l’état. lien

Alors si Hollande n’est pas le Père Noel que l’on attendait pour la France, braqué sur son illusoire inversion de courbes du chômage (lien) on sait au moins qu’il est le Père Noel de sa bonne ville de Tulle, qui constate que, depuis 2012, les subventions pleuvent généreusement. lien

Devant l’exaspération citoyenne de voir appliquer de mauvaises solutions à des problèmes réels, ces colères ne devraient pas être une surprise.

En continuant d’augmenter les taxes, impôt injuste puisqu’il pénalise toujours plus les pauvres, François Hollande ne semble pas avoir dans sa boite à outils ni les moyens de réparer les erreurs commises…ni les outils pour combattre celui qu’il prétend désigner comme son adversaire… le monde de la finance…

Comme dit mon vieil ami africain : « celui qui rame dans le sens du courant fait rire les crocodiles  ».

L’image illustrant l’article vient de « herboyves.blogspot.fr »

Merci aux internautes de leur aide précieuse

Olivier Cabanel

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Signer la pétition pour la séparation des banques : ici

 

 

Source : www.agoravox.fr

 

 


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28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 22:02

 

Source : www.bastamag.net

 

 

Spéculation financière

Le trading haute fréquence : « Un choix idéologique et politique »

par Anthony Laurent 23 décembre 2013

 

 

 

 

 

6 mai 2010, krach éclair à Wall Street. En moins de 10 minutes, près de 1 000 milliards de dollars se sont envolés. Du jamais-vu. Un bug informatique en serait à l’origine. De plus en plus d’opérateurs boursiers effectuent leurs transactions financières via des ordinateurs et des algorithmes ultra-sophistiqués. Véritable « boîte noire » de l’économie moderne, ce système, dénommé trading haute fréquence représente 40% des ordres passés en Europe – 50% sur le CAC 40 – et près de 75% aux États-Unis. Quels sont les nouveaux risques liés à ces techniques ? Entretien avec Gérard Paul, ancien cadre bancaire.

Basta ! : Le trading haute fréquence, c’est quoi ?

Gérard Paul [1] : Le trading haute fréquence (THF) consiste en l’exécution à grande vitesse de transactions financières pilotées par des algorithmes, dit le dictionnaire. Il s’agit d’une modalité du trading automatique. Les opérateurs de marché virtuels peuvent exécuter des opérations sur les marchés boursiers à l’échelle de la microseconde (0,000001 seconde). La vitesse de transaction du THF était encore de 20 millisecondes à la fin de la décennie 2010. Elle est passée à 113 microsecondes en 2011 (une vitesse 181 fois supérieure, ndlr). A partir de ces moyens techniques, les opérateurs de THF mettent en œuvre des tactiques de trading. Il vaut mieux, à mon sens, parler de « tactique » – à très court terme – plutôt que de stratégie, qui implique une vision de plus long terme.

L’informatique a pénétré les marchés financiers depuis quelques années déjà. En quoi le trading haute fréquence change-t-il la donne ?

On n’en sait strictement rien... Il me semble que le boursicoteur moyen n’a vu aucun changement concernant le mode traditionnel de fonctionnement des marchés boursiers. Je ne suis pas certain que les gérants de portefeuille, y compris les gérants de SICAV, aient vu changer fondamentalement les conditions de leurs propres transactions. A titre d’exemple, le développement du THF ne semble pas – je reste prudent – avoir généré des écarts de cours quotidiens, ou « intradays », supérieurs à ceux constatés au temps où les transactions s’effectuaient sur un mode plus traditionnel. Mais nous manquons cruellement d’études sur le sujet, tant empiriques que théoriques.

Quelles sont les conditions, techniques et politiques, qui ont permis l’essor du trading haute fréquence ?

La pratique du THF n’est pas contraire aux lois, elle est très peu réglementée. Elle repose sur des techniques informatiques et mathématiques parfaitement maîtrisées. Elle permet des gains réguliers et substantiels. Ceci suffit à expliquer son essor : on sait depuis longtemps que toute innovation technique sera mise en œuvre un jour ou l’autre. Sauf dans les cas où la rentabilité n’est pas au rendez-vous.

A qui profitent ces algorithmes ?

Le THF génère des gains. Pour un opérateur boursier, c’est un intérêt suffisant. C’est même la seule motivation. D’autant plus qu’à mon avis – mais, je le répète, nous manquons d’études – l’utilisation du THF à très court terme n’empêche nullement de faire également des profits sur des stratégies de moyen ou long terme. Ce ne sont pas nécessairement les mêmes opérateurs qui utilisent les deux modes d’intervention. De même qu’au sein d’une banque généraliste, on peut gagner de l’argent sur des opérations aussi différentes que le trading, les prêts immobiliers ou la gestion des cartes bancaires. Dans tous les cas, le moteur est le même : la recherche du profit.

Le Prix Nobel d’Économie Paul Krugman a fortement critiqué l’utilité sociale du trading haute fréquence [2]. L’utilité des places boursières est-elle encore davantage compromise par cette nouvelle technique ?

Il ne me semble pas que l’utilité sociale originelle de la Bourse – financer, partiellement, l’économie et faciliter les échanges d’actifs en assurant leur liquidité – soit fondamentalement compromise par le THF. Encore une fois, nous connaissons très insuffisamment l’impact du THF sur le fonctionnement des marchés. Mais je suis d’accord avec la critique de Paul Krugman, ou celle de l’économiste français Gaël Giraud : hormis les gains que peuvent en tirer les opérateurs, je ne crois pas que le THF apporte quoi que ce soit à la liquidité des marchés. La bonne question est : le THF est-il possiblement générateur de risques, de nuisances, voire de catastrophes ?

Justement, le 6 mai 2010, un « krach éclair » à Wall Street fait plonger l’indice boursier Dow Jones de près de 10% en moins de 10 minutes. Quels sont les risques concrets du THF ?

Cet épisode a été longuement analysé par les autorités de marché et par de nombreux économistes. Il est assez difficile de reconstituer exactement ce qui s’est passé, hormis évidemment le constat de la variation des cours et des indices au fil du temps : l’indice Dow Industrial a chuté en quelques minutes de 10% avant de remonter aussi brutalement de 7%. Ces événements sont survenus dans un contexte de marché à tendance nettement baissière. Les analyses sont bien entendu quelque peu divergentes. Toutefois, il me paraît à peu près certain que le trading automatique a joué un rôle dans l’accélération du phénomène. Mais les programmes informatiques sont présents tous les jours et sur tous les marchés, et tout le trading automatisé ne peut être ramené au THF, qui n’en est qu’une modalité.

Diriez-vous que les ordinateurs et leurs algorithmes ultra-sophistiqués ont pris le pouvoir sur les marchés financiers ?

Non. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas modifié – en partie seulement – le fonctionnement des Bourses. Mais partout sur les marchés, ce sont des hommes qui sont à la manœuvre. Il y a d’abord et avant tout la tendance à la financiarisation de l’économie toute entière. Ensuite, parallèlement, la mainmise des mathématiciens sur la production d’instruments financiers et d’instruments d’analyse des tendances. Enfin, la mise en œuvre de stratégies et de tactiques de trading. Nous ne sommes en présence que de choix humains : idéologiques et politiques, puis techniques et opérationnels.

Des krachs boursiers graves, sinon gravissimes, se sont produits au 19ème siècle, en 1929, en 1974. Le THF n’existait pas. Et en 1974, je pense, sans l’avoir vérifié, que le trading informatisé en était à ses balbutiements. Je crois me souvenir que la « Corbeille » fonctionnait encore au Palais Brongniart (qui accueillait la Bourse de Paris, ndlr).

Le trading haute fréquence facilite-t-il les manipulations financières, comme le délit d’initié ?

La mise en œuvre des différentes tactiques de THF repose sur des analyses ultra-rapides des carnets d’ordres, analyses suivies de lancement d’ordres destinées à modifier le fonctionnement du marché. On peut en effet parler de manipulation. Mais l’effet sur la tendance profonde du marché et d’éventuels désagréments subis par les opérateurs « traditionnels » – pour autant qu’il en reste ! – ne me paraît pas évidente.

Concernant le délit d’initié, tout dépend de la définition qu’on lui donne. On peut dire que tout le THF repose sur « l’initiation » puisque les programmes informatiques analysent les carnets d’ordres avec quelques secondes d’avance, voire moins, sur d’autres opérateurs. La définition traditionnelle et juridiquement bien établie du délit d’initié n’inclut pas la pratique du THF : il s’agit, par exemple, de l’utilisation par des personnes – administrateurs, banquiers, hauts fonctionnaires, juristes, etc. – d’une information qu’elles devraient garder confidentielle, comme la décision de lancer une OPA (Offre Publique d’Achat, ndlr), la conclusion d’un marché important, un plan social, un avertissement sur résultats, etc. Verrons-nous un jour les techniques du THF mises au service de l’exploitation d’une information confidentielle ? Je ne sais pas en imaginer aujourd’hui les modalités. Mais ce qui me paraît certain, c’est que le délit d’initié serait, en tout état de cause, constitué en amont de l’utilisation du THF.

Le 21 octobre dernier, dans le cadre du débat sur la loi de finances 2014, les députés français ont refusé de renforcer la taxe sur le trading haute fréquence [3]. Que faut-il attendre des responsables politiques français ? Et des autorités européennes, alors que le Royaume-Uni et les Pays-Bas semblent réticents à toute forme de régulation ?

L’économie est largement globalisée, la finance encore davantage. Le problème est la concurrence internationale des places boursières et l’interconnexion des marchés. Sur le plan éthique, ou simplement sur les plans politique voire idéologique, les positions des différents États divergent. On peut interdire le THF en France. Plus difficilement dans toute l’Union Européenne. Quant à l’ensemble des places boursières, il suffit de voir la lenteur des processus de lutte contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale mondialisée...

Ceci étant, l’Italie a pris récemment des mesures unilatérales en instituant une taxe sur les transactions à haute fréquence [4]. J’espère que nous disposerons dans quelques temps d’analyses sur les effets de cette décision. Mais Milan n’est pas une place boursière de tout premier rang.

Quelles sont les solutions, techniques et politiques, pour contrecarrer l’expansion du trading haute fréquence ? Est-il même possible de le réguler – en mettant en place des « coupe-circuits » ou en instaurant des temps de latence d’au moins une demi-seconde, par exemple ?

Les coupe-circuits existent depuis longtemps, avant même que ne se développe le THF : il s’agit de la suspension des cotations. Par ailleurs, les autorités boursières ne sont pas dépourvues de moyens d’action, comme on l’a vu le 6 mai 2010, où toutes les transactions de la période litigieuse ont été annulées.

A court terme, en l’absence d’une meilleure connaissance des effets du THF sur le fonctionnement des marchés, il serait illusoire de fixer des temps de latence. Que fera-t-on lorsque les opérateurs disposeront demain d’ordinateurs deux fois plus puissants ? Le régulateur s’engagera-t-il dans une poursuite infinie ? On l’on surveille les risques intrinsèques du THF – en s’efforçant tout de même de les connaître un peu mieux qu’actuellement –, ou bien on interdit ces pratiques. Mon choix personnel est l’interdiction.

Selon Michael Kearns, chercheur en informatique à l’université de Pennsylvanie et ex-concepteur d’algorithmes pour Wall Street, « la finance est devenue une espèce de vaste système automatisé qu’aucune science ne peut décrire. » [5]. Le trading haute fréquence ne rend-il pas encore plus opaque le fonctionnement des marchés financiers ?

Bien sûr. Le THF participe à l’opacification des marchés. Mais à mon sens dans une mesure relativement faible. Je ne connais pas Michael Kearns, mais il pose une vraie question. Je mettrais volontiers entre parenthèses l’adjectif « automatisé ». Jacques Ellul [6] parlait fort justement de « système technicien ». C’est le titre d’un de ses livres. Si on élargit le questionnement du THF à la finance, ce n’est pas l’automatisation qui est l’élément principal puisque aujourd’hui tout est automatisé ou susceptible de l’être. Ce qui me paraît problématique, c’est le constat de Kearns : « un vaste système qu’aucune science ne peut décrire ». Il a raison. Ce qui me paraît tout aussi problématique est que le constat soit fait par un chercheur en informatique. Aujourd’hui, les analyses les plus pertinentes du fonctionnement de notre « système économique globalisé de capitalisme financiarisé » ne sont pas le fait d’économistes – ou en tout cas proviennent de personnes qui ne sont pas seulement économistes – mais de philosophes, anthropologues, biologistes, psychologues, etc. Il me paraît clair que la science économique est à reconstruire comme une science humaine pour devenir l’outil de description dont Kearns pointe le manque. Peut-être n’est-on encore que dans la phase de déconstruction d’une science économique dépassée, et devenue incapable d’embrasser son propre objet.

Propos recueillis par Anthony Laurent

Notes

[1Ex-conseiller bancaire, Gérard Paul est également co-éditeur d’ouvrages de Jacques Ellul, penseur critique de la technique du 20ème siècle.

[2Lire ici.

[3Christian Eckert (PS), rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a retiré l’amendement 240 – dont il était l’auteur – qui étendait le champ d’application de la taxe sur les transactions financières (TTF), de 0,2%, aux transactions dites « intraday », c’est-à-dire initiées, modifiées ou annulées dans la même journée. Lire ici.

[4Voir ici.

[5Voir le livre de Jean-Luc Porquet, Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu. Nucléaire, nanotechnologies, OGM, propagande, terrorisme..., Ed. Le Cherche Midi, janvier 2012, p. 211.

[6Jacques Ellul (1912-1994) était un historien du droit romain et des institutions, un théologien et un sociologue. Penseur de la technique dans le monde contemporain, il est l’auteur de trois ouvrages majeurs : La Technique ou l’enjeu du siècle (1954), Le système technicien (1977) et Le bluff technologique (1988).

 

 

Source : www.bastamag.net

 

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28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 21:39

 

Source : www.midilibre.fr

 

Smic, TVA, carte d'identité : ce qui change au 1er janvier
AFP
27/12/2013, 11 h 17 | Mis à jour le 28/12/2013, 11 h 33
Le taux normal de la TVA passera de 19,6% à 20% au 1er janvier 2014.
Le taux normal de la TVA passera de 19,6% à 20% au 1er janvier 2014. (Archive AFP/JACK GUEZ)

La liste des principaux changements qui surviendront le 1er janvier. 

Augmentation du Smic, hausse de la TVA, tabac et timbres plus chers, validité de la carte d'identité plus longue :  voici les principaux changements qui interviendront le 1er janvier.

  • SMIC : il passe de 9,43 à 9,53 euros brut de l'heure (+1,1%). En net pour un temps plein, le gain est de 12 euros environ par mois.
  • RETRAITE : les pensions complémentaires du privé (Agirc et Arrco) seront versées chaque mois et non plus chaque trimestre. Les cotisations acquittées par les entreprises et les salariés, augmentent, ainsi que celles du régime général de base. Les majorations de pension des retraités ayant eu au moins trois enfants sont désormais soumises à l'impôt.
  • TVA : le taux normal passe de 19,6% à 20%, le taux intermédiaire de 7% à 10% (hôtellerie, restauration, transports ...). Pas de changement pour le taux réduit (5,5%). Pour les tickets de cinéma, la TVA baissera de 7 à 5,5%, comme les livres et les spectacles vivants. Pour les centres équestres, elle augmente de 7 à 20% pour se conformer à la réglementation européenne. Par ailleurs, une taxe sur les boissons énergisantes (1 euro par litre) entre en vigueur.
  • QUOTIENT FAMILIAL : le plafond de ce dispositif réduisant l'impôt des familles en fonction du nombre d'enfants et des revenus baisse de 2 000 à 1 500 euros par demi-part.
  • RSA : le revenu de solidarité active "socle" augmente de 1,3% à 499 euros pour une personne seule, 749 euros avec un enfant.
  • PRESTATIONS FAMILIALES : les plafonds d'attribution pour les prestations familiales (allocation rentrée scolaire, prestation d'accueil du jeune enfant...) augmentent de 1,9%.
  • FONCTIONNAIRES: abrogation de la journée de carence, non indemnisée en cas d'arrêt maladie. En outre, les fonctionnaires les moins bien payés (catégorie C, 47% des agents) bénéficient d'un coup de pouce (au 1er février) de 4,6 euros à quelque 46 euros mensuels.
  • EMPLOI : la durée minimale des temps partiels passe à 24 heures hebdomadaires (pour les contrats en cours, les entreprises ont jusqu'au 1er janvier 2016 pour se conformer).
  • EMPLOI/UE : Les Bulgares et Roumains sont désormais libres de venir travailler en France, au nom du principe de la libre circulation des travailleurs européens. Ces deux pays sont membres de l'UE depuis 2007.
  • TIMBRE : les plus courants vont coûter 3 centimes de plus. La lettre verte passe à 0,61 euro et la lettre prioritaire à 0,66 euro. 
  • TABAC : à partir du 6 janvier, le paquet de cigarettes augmente de 20 centimes, portant le plus onéreux à 7 euros. Le tabac à rouler grimpe de 50 centimes.
  • ENERGIE : Les factures d'électricité devraient augmenter d'environ 2%, en raison d'une hausse de la Contribution au service public de l'électricité (CSPE), une taxe sur la facture d'électricité. En outre, les tarifs TTC de l'énergie vont répercuter les variations de TVA. Le gaz et l'électricité passent ainsi de 19,6 à 20%. Les abonnements restent au taux de 5,5%.
  • ENVIRONNEMENT : chacun pourra faire mesurer l'exposition aux ondes électromagnétiques dans les habitations et lieux publics. Il suffira d'en faire la demande à l'Agence nationale des fréquences.
  • TRANSPORTS EN COMMUN : les tarifs sont majorés de 3% en Ile-de-France. Deux exceptions: le ticket à l'unité reste à 1,70 euro et le pass mensuel Navigo des zones 1-5 est maintenu à 113,20 euros.
  • POLICE : policiers et gendarmes disposent d'un nouveau code de déontologie, qui préconise le vouvoiement, encadre les contrôles d'identité, la palpation des suspects, et prévoit que les forces de l'ordre portent sur leur uniforme un numéro permettant de les identifier.
  • CARTE D'IDENTITÉ : sa validité passe de 10 à 15 ans, sauf pour les mineurs.
  • JUSTICE : suppression du timbre fiscal à 35 euros. Depuis octobre 2011, il devait être acquitté par tout justiciable (sauf les éligibles à l'aide juridictionnelle) désirant saisir la justice pour un problème civil, commercial, prud'homal, social, rural ou la justice administrative.
  • JEUX : c'est désormais la chaîne privée TF1, et non plus France 2, qui retransmet les tirages du Loto (en direct) et d'Euro Millions (en différé).

 

 

Source : www.midilibre.fr

 

 

 

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28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 19:57

 

 

Source : www.reporterre.net

 

"La décroissance permet de s’affranchir de l’impérialisme économique"

Entretien avec Serge Latouche

samedi 21 décembre 2013

 

 

 

Dans un entretien avec Reporterre, Serge Latouche rappelle l’histoire de la décroissance, et prend ses distances avec la gauche.


Serge Latouche est professeur émérite d’économie et un des principaux inspirateurs du mouvement de la décroissance. On avait envie de le revoir, pour retracer les racines de la décroissance, entre Club de Rome, Illich et Gorz, et savoir où il en est par rapport au pouvoir, aux économistes altermondialistes, et à la gauche.

Reporterre - Quelle est l’histoire de la décroissance ?

Serge Latouche - L’histoire de la décroissance, en tant qu’étiquette, est très brève. Cette appellation a été inventée dans les années 2000 par des « casseurs de pub ». Elle a pour fonction de casser la langue de bois. Comme le dit Paul Ariès, c’est un « mot-obus ». Mais derrière ce mot, il y a tout un projet d’objection de croissance. Et ce projet a une assez longue histoire.

Elle débute en 1972 avec la publication du rapport au Club de Rome Les limites de la croissance. En tant que projet de société socialiste anti-productiviste et anti-industraliste, la décroissance est alors proche de l’écosocialisme qui apparaît dans les mêmes années avec André Gorz. Cette première phase de la décroissance est essentiellement une phase de critique de la croissance : on veut l’abandonner car elle n’est pas soutenable. C’est une phase « écologique ».

Mais un second courant, porté par Ivan Illich – qui a d’ailleurs refusé de participer au Club de Rome –, est apparu en disant que ce n’est pas parce que la croissance est insoutenable qu’il faut en sortir, mais parce qu’elle n’est pas souhaitable ! C’est la critique du développement – terme que l’on utilise dans les pays du Sud comme équivalent de la croissance au Nord –, c’est le mouvement post-développementiste. Personnellement, je me rattache à ce courant-là depuis que j’ai viré ma cuti au milieu des années 1960 alors que j’étais au Laos. La fusion de ces deux courants s’est opérée à l’occasion du colloque organisé en février-mars 2002 à l’Unesco « Défaire le développement, refaire le monde ».

Pourquoi la croissance n’est-elle pas souhaitable ?

Elle n’est pas souhaitable parce qu’elle est, comme le disait Illich, la destruction du vernaculaire. C’est la guerre aux pauvres. Une guerre qui transforme la pauvreté en misère. La croissance développe les inégalités, les injustices, elle détruit l’autonomie. Illich a développé cette thèse avec la critique des transports, de l’école, de la médecine, en analysant la façon dont les institutions engendrées par le développement et la croissance acquièrent un monopole radical sur la fourniture de ce qui permet aux gens de vivre et qu’ils se procuraient jusqu’alors par leurs propres savoir-faire traditionnels. Ayant travaillé sur le Tiers-Monde, j’ai effectivement vu, en Afrique, en Asie, comment le rouleau compresseur de l’occidentalisation détruisait les cultures.

Quel regard portez-vous sur les économistes ?

L’économie est une religion, et non pas une science. Par conséquent, on y croit ou on n’y croit pas. Les économistes sont des prêtres, des grands ou des petits, des orthodoxes ou des hétérodoxes. Même mes amis Bernard Maris ou Frédéric Lordon – les meilleurs d’entre eux. Les altermondialistes, par exemple, dont la plupart sont des économistes, ont tendance à réduire tous les malheurs du monde au triomphe du néo-libéralisme. Mais ils restent dans le productivisme et la croissance. Or le mal vient de plus loin. La décolonisation de l’imaginaire que je préconise vise précisément à extirper la racine du mal : l’économie. Il faut sortir de l’économie !

Quelle est votre définition de la décroissance ?

C’est très difficile de définir la décroissance car je considère que ce n’est pas un concept, c’est une bannière, un drapeau. Pour moi, c’est un mot d’ordre qui permet de rallier les objecteurs de croissance. C’est aussi un horizon de sens vers lequel chacun chemine comme il l’entend. La décroissance permet surtout de s’affranchir de la chape de plomb de l’impérialisme économique pour recréer la diversité détruite par l’occidentalisation du monde. Elle n’est pas à proprement parler une alternative, mais plutôt une matrice d’alternatives : on ne va pas construire une société décroissance de la même façon au Chiapas et au Texas, en Amérique du Sud et en Afrique... Il y a des histoires et des valeurs différentes.

Avec la décroissance, on n’est plus dans l’intérêt, l’égoïsme, le calcul, la destruction de la nature, dont l’homme serait maître et possesseur, ce qui définit le paradigme occidental. On veut vivre en harmonie avec elle et, par conséquent, retrouver beaucoup de valeurs des sociétés traditionnelles. On sort aussi de la vision « économiciste » de la richesse, de la pauvreté, de la rareté. D’où l’idée d’« abondance frugale », qui semble être un oxymore du fait de la colonisation de notre imaginaire, mais qui dit en réalité qu’il ne peut y avoir d’abondance sans frugalité et que notre société dite d’abondance est au fond une société de rareté, de frustration et de manque. La décroissance implique aussi évidemment une autre répartition des richesses, une autre redistribution, le changement des rapports de production, une démondialisation, pas seulement économique – à la Montebourg –, mais aussi culturelle. Il faut retrouver le sens du local et, naturellement, réduire notre empreinte écologique, réutiliser, recycler, etc., ce que l’on a définit par les « 8 R ».

Comment les idées décroissantes peuvent-elles avancer dans notre société ?

Pour moi, même si on a en face de nous à une énorme machine médiatique qui matraque et qui manipule, tous les terrains sont bons. Comme le terrain politique, par exemple. Je crois beaucoup, non pas à la politique de participation, mais à la politique d’interpellation. On ne veut pas le pouvoir. Le pouvoir est toujours mauvais, mais c’est une triste nécessité. On veut seulement que le pouvoir respecte nos droits. La décroissance doit être un mouvement d’interpellation du pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche.

 

*Suite de l'article sur www.reporterre.net

 

 

 

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27 décembre 2013 5 27 /12 /décembre /2013 19:27

 

 

Source : www.mediapart.fr

Notes de frais falsifiées : Londres bien plus ferme que Paris avec ses députés

|  Par Mathilde Mathieu

 

 

L'ancien député travailliste Denis MacShane vient d'être condamné à de la prison pour avoir présenté de fausses notes de frais au Parlement. C'est au moins le cinquième à subir le même sort. Cette fermeté british donne la chair de poule côté français.

La liste des parlementaires britanniques emprisonnés n’en finit plus de s’allonger. Quatre ans après le scandale des notes de frais, révélé en 2009 par The Daily Telegraph, le travailliste Denis MacShane, député de 1994 à 2012 et ancien ministre de Tony Blair, vient d’écoper cette semaine de six mois de prison (dont trois ferme) à cause de 15 000 euros de notes de frais « fantômes », réglées par la chambre des représentants sur la base de justificatifs fabriqués de toutes pièces entre 2005 et 2008 et correspondant à de prétendus travaux de « traduction » ou de « recherche ».

 

Le Palais de Westminster à Londres, où siègent la chambre des communes et la chambre des lords 
Le Palais de Westminster à Londres, où siègent la chambre des communes et la chambre des lords © Reuters

Malgré le faible préjudice financier (400 euros mensuels en moyenne remboursés depuis par MacShane), la cour britannique a décidé de sanctionner les dommages symboliques causés au Parlement, en particulier « la perte de confiance dans le précieux système démocratique ». En comparaison, la nation française apparaît bien frileuse face aux dérives de ses parlementaires, les polémiques s’étant multipliées ces derniers temps sur l’usage de « l’indemnité de frais de mandat » ou de « l’enveloppe collaborateurs » sans que la justice ne soit jamais saisie, sans que la moindre enquête interne ne soit même initiée.

 

J. Devine a été jugé en 2011 
J. Devine a été jugé en 2011 © Reuters

Ces dernières années, d’autres députés ont devancé MacShane derrière les barreaux britanniques, parfois pour des péchés véniels : le « faussaire » David Chaytor (18 000 euros de frais fictifs, 18 mois de prison), qui prétendait verser un loyer pour son pied-à-terre à Westminster alors qu’il en était propriétaire, auteur d’un contrat de bail bidon ; Jim Devine (10 000 euros, 16 mois de prison), qui présentait de fausses factures de ménage et de papeterie ; Elliot Morley (36 000 euros, 16 mois de prison), qui avait terminé de payer sa permanence électorale mais continuait de réclamer le remboursement de ses mensualités ; Eric Illsley (7 200 euros, 12 mois de prison), qui mentait sur le poids de ses impôts locaux pour grignoter une centaine d’euros par mois. Même la « haute chambre » a été frappée, avec l’embastillement de lord Taylor of Warwick ou du baron de Hanningfield.

Des leçons, surtout, ont été tirées avec la création d’une autorité administrative autonome (l’IPSA) qui scanne désormais toutes les factures et publie le détail des frais député par député (30 000 pièces mises en ligne entre juin 2012 et janvier 2013). Un « Compliance officier » indépendant a surtout été chargé d’enquêter sur la réalité des dépenses déclarées et leur légitimité – aiguillonné par les saisines des citoyens. Récemment, la conservatrice Nadine Dorries a ainsi été priée de rembourser 3 600 euros de trajets entre Westminster et sa circonscription, qu’elle s’était fait payer alors qu’ils étaient strictement liés à des obligations familiales.

En France, pourtant, ce dispositif fondé sur le double contrôle du public et de l’administration passe pour un contre-modèle. Dans un rapport rendu public fin novembre, la déontologue de l’Assemblée nationale, qui s’est déplacée outre-Manche en octobre, se dit non seulement rebutée par le coût (7 millions d’euros par an et 67 personnes mobilisées), mais aussi par le principe de la « transparence maximale » : « La précision des informations (…) permet la publication dans la presse de statistiques agrégées potentiellement dommageables pour l’image des parlementaires », écrit Noëlle Lenoir (par ailleurs avocate d’affaires).

À l’appui de sa démonstration, elle cite un article du tabloïd The Sun de mai 2013, ayant rapporté que les députés avaient acheté pour 320 000 euros d’alcool sur une seule année – des révélations qu’elle juge visiblement déplacées. De même qu’elle raille le « projet de ranger parmi les dépenses non remboursables l’achat des biscuits accompagnant la tasse de thé que (les députés) offrent à leurs visiteurs »« La transparence totale ne met pas fin à la suspicion, tranche Noëlle Lenoir. Elle peut même l’entretenir en ouvrant la voie à des commentaires aussi désobligeants qu’absurdes. » Bizarrement, son rapport ne fait aucune allusion aux élus pris la main dans le sac grâce à l’IPSA.

En France aussi, de fausses factures de restaurant

Fort de ces conclusions, le bureau de l’Assemblée ne devrait pas importer de sitôt le système britannique. Il faut dire que le français a le mérite de la simplicité : les députés encaissent chaque mois une « indemnité de frais de mandat » de 5 700 euros censée couvrir leurs charges professionnelles (IRFM), sans qu’aucun contrôle ne soit jamais déclenché sur leur destination réelle. Comme le rappelle Noëlle Lenoir, « son utilisation est réputée conforme à son objet » (sic).

 

Un dessin paru dans The Telegraph lors du procès de l'ancien député travailliste David Chaytor en 2011 
Un dessin paru dans The Telegraph lors du procès de l'ancien député travailliste David Chaytor en 2011 © DR

Aucune vérification n’est jamais entreprise non plus sur le travail des assistants dont le salaire est pris en charge par l’Assemblée (jusqu’à 9 500 euros par député), malgré la persistance de contrats de complaisance, voire d’emplois fictifs. Les parlementaires ne connaissent pas la peur du gendarme puisqu’il n’existe pas.

Cet automne, personne n’a par exemple bougé le petit doigt à l'Assemblée après nos informations sur l’emploi possiblement fictif de l’épouse de Bruno Le Maire, rémunérée pendant des années aux frais du contribuable

 

Une photo du couple parue en 2011 dans Paris Match 
Une photo du couple parue en 2011 dans Paris Match © DR

Si l’association anticorruption Anticor réfléchit à l'opportunité de déposer plainte pour « détournement de fonds publics » à la prochaine affaire d’IRFM utilisée à des fins personnelles, les seules plaintes récemment enregistrées ont visé non pas les parlementaires suspectés d’abuser de l’argent public, mais les lanceurs d’alerte qui ont alimenté les révélations de presse.

Ainsi le député Pascal Terrasse (PS) avait-il déposé plainte en 2012 pour « vols de relevés bancaires », après la publication par Mediapart de pièces prouvant qu'il réglait des vacances en famille ou des places de cinéma avec son IRFM. Le parquet de Privas avait aussitôt ouvert une enquête préliminaire susceptible d’aboutir à l’identification de nos sources. Recontacté en septembre dernier pour savoir où en étaient les investigations, Pascal Terrasse nous a heureusement déclaré avoir « retiré sa plainte ». Mais il n’aura jamais été inquiété, ni par la justice, ni par la questure de l’Assemblée (les services financiers). 

 

 

De même, en 2011, après une série de révélations de Mediapart sur le train de vie des sénateurs (lire ici ou ), le Palais du Luxembourg avait déposé plainte pour « vol de documents » et « abus de confiance » dans le seul but de traquer et tarir nos sources, sans même envisager une seconde d'attaquer le sénateur Jean-Marc Pastor (PS), dont nous venions de révéler qu’il avait fabriqué deux fausses factures de restaurant pour empocher 2 500 euros. Lui non plus n’a jamais été poursuivi – tout juste nos articles l’ont-ils contraint à reconnaître une « erreur d’appréciation » et à rembourser.

Pendant ce temps, le fait pour un parlementaire de fournir une fausse note de frais est devenu une infraction à part entière au Royaume-Uni, punie d’un an de prison. 

 


Source : www.mediapart.fr

 

 

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