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18 février 2014 2 18 /02 /février /2014 14:22

 

 

Source : sniadecki.wordpress.com

 

San Francisco contre la Silicon Valley

17 février 2014  


Depuis le mois de décembre 2013, des habitants de la ville de San Francisco (Californie, USA) manifestent contre les bus qui emmènent les « techies », ces employés des entreprises high-tech de la Silicon Valley, sur leurs lieux de leur travail.

Les autobus privés de Google, de Facebook, Genentech, Apple, Yahoo et d’autres sociétés sont un outil de travail, permettant de prolonger la journée de leurs employés : tous sont très confortables et proposent tout l’équipement pour travailler connecté pendant les longues heures de trajets dans une métropole où la circulation est difficile.

Pour les manifestants, ils sont le symbole de la gentrification de San Francisco. Celle-ci se fait d’abord au détriment du transport public, car ces autobus empruntent les lignes de bus publiques, s’arrêtent aux mêmes arrêts, ce qui a des effets d’engorgement sur le reste du réseau. Ensuite elle se traduit par l’accroissement des différences sociales, notamment à travers la hausse spectaculaire des loyers et la multiplication des expulsions (+25% en 2012) et les saisies, avec son lot de drames humains.  

Il faut dire que les techies sont particulièrement bien payés (« Le salaire moyen à San Francisco est de 46 000 dollars, dans la high-tech, cela grimpe à 130 000 dollars. ») et les propriétaires veulent profiter de cette manne : les loyers, à proximité des arrêts des navettes augmentent plus vite qu’ailleurs. Dans les quartiers populaires les plus prisés, les projets de résidence haut de gamme se multiplient. Les restaurants et cafés de luxe chassent le petit commerce local.

La tenancière d’un café réputé où les promoteurs y amènent leurs clients quand ils veulent montrer à quel point le quartier est pittoresque déclare :

« Je n’ai rien contre les jeunes techies. Je n’ai pas grand-chose de commun avec eux non plus. Ils parlent comme des robots. »

Pourquoi s’obstinent-ils à vouloir habiter San Francisco alors que leur mode de communication (messages plutôt que contact direct) est si étranger à la culture locale ? La tenancière explique :

« Ils veulent les bars, le jazz, l’exacte culture qu’ils détruisent sans s’en rendre compte. »

Pourquoi la colère se déchaîne-t-elle contre les bus ? La législation de San Francisco interdit aux bus privés d’utiliser le réseau d’arrêt public (une loi prévoit même une amende de 271$). Depuis que ces navettes ont commencé à utiliser le réseau, elles ont surtout montré un grand déni de la réglementation en vigueur. Non seulement la ville a permis pendant longtemps à ces entreprises de violer la loi, mais elle vient de régulariser la situation à leur avantage, puisqu’elle vient de décider que les bus privés devraient payer 1$ par arrêt utilisé et par navette. «Faire payer 1 dollar par bus quand un seul ticket en coûte 2, c’est une blague», a réagi la porte-parole de la San Francisco League of Pissed-Off Voters [Ligue des Electeurs de San Francisco qui en ont Ras-le-Bol], l’une des associations de citoyens en colère. De fait, la dime imposée à Google est plus que symbolique quand on sait que la firme a engrangé plus de 10 milliards de dollars de profits en 2012.

C’est clairement une politique à deux vitesses, car les populations ouvrières et de couleurs sont les premières victimes de la chasse à la fraude dans le transport public : un jeune homme a même été abattu par la police récemment pour avoir pris la fuite sans produire son ticket de transport. Ce programme de chasse aux resquilleurs coûteux (9,5 millions de dollars par an) a surtout généré un climat de peur et de méfiance des usagers des autobus, notamment des plus pauvres. Pour une journaliste de San Francisco :

« D’un côté les usagers du transport en commun se sentent comme des criminels dans leur propre ville alors que de l’autre, celle-ci ferme les yeux sur les infractions commises par les bus privés. […] Le Google Bus est l’incarnation d’un système qui subventionne les sociétés alors qu’il ne cesse de criminaliser et punir les individus. Google et ses semblables ont toujours su qu’ils pouvaient contourner la loi jusqu’à être invité à en faire de nouvelles. »

Bien que certains qualifient les manifestations de « Google Bus Riots » (émeutes contre les bus Google), les blocages sont pacifiques : les manifestants déploient des banderoles « Fuck off Google », distribuent des tracts et tentent de discuter avec des techies qui, dans l’ensemble font semblant de ne pas être sur la défensive (cf. “A San Francisco, les techies sur la défensive à l’arrêt de bus”, Le Monde, 1er février 2014).

Une chanson de rap les ridiculise : « J’ai laissé ma Porsche à la maison pour prendre le Google Bus ». Des affichettes sont apparues : «Google, Twitter: dehors!». Le journal Business Insider qualifie les techies d’« arrogants » (cf. Courrier International n°1200, 31 octobre 2013, dossier “Google, Facebook, Apple… Le pire des mondes. Pourquoi la Silicon Valley ne fait plus rêver”).

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Tract distribué par les manifestants à West Oakland

Au cas où vous vous demandez ce qui se passe, nous serons extrêmement clair.

Les gens à l’extérieur de votre bus Google vous servent le café, gardent vos enfants, ont des relations sexuelles avec vous pour de l’argent, préparent vos repas, et sont chassés de leurs quartiers. Pendant que vous vivez comme de gros porcs avec vos buffets gratuits permanents, tout le monde en est à racler le fond de son porte-monnaie, vivotant dans ce monde onéreux que vous et vos potes avez contribué à créer.

Vous n’êtes pas des victimes innocentes. Sans vous, les prix des logements ne seraient pas à la hausse et nous ne serions pas menacés d’expulsion. Vous, vos employeurs, et les spéculateurs immobiliers sont à blâmer pour cette nouvelle crise, encore plus terrible que la précédente. Vous vivez votre vie, entourés par la pauvreté, le déracinement et la mort, apparemment inconscients de ce qui se passe autour de vous, a fond dans vos gros salaires et le succès. Mais regardez autour de vous, voyez-vous la violence et la destruction ? C’est le monde que vous avez créé, et vous êtes clairement du mauvais côté.

De manière prévisible, vous pensez certainement que les technologies que vous créez servent le mieux-être de tous les humains. Mais en réalité, ceux qui bénéficient de ces développements technologiques sont les publicitaires, les riches, les puissants, et les analystes de la NSA et leur réseau de surveillance des e-mails, des téléphones, et des médias sociaux.

Si vous voulez une région de la baie de San Francisco où les ultra-riches affrontent des centaines de milliers de pauvres, continuez à faire ce dont vous avez l’habitude. Vous obtiendrez une jolie révolution à votre porte. Mais si vous ne voulez pas de ça, alors vous devriez quitter votre job, encaisser vos primes, et aller vivre une vie qui ne pourri pas entièrement celle des autres.

Et foutez le camp d’Oakland! (décembre 2013)

Source : <http://blogs.kqed.org/newsfix/2013/12/20/google-bus-protesters-manifesto-get-o/&gt;


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En décembre 2013, Greg Gopman, ancien patron d’une start-up installée en ville, mettait de l’huile sur le feu en postant sur Facebook un message contre ces autochtones antigeeks « qui urinent, vendent de la drogue et se comportent comme si San Francisco leur appartenait ». Dans une ville jusque-là réputée calme et tolérante, ce post a été perçu comme une preuve suplémentaire de l’arrogance de la nouvelle élite high-tech : faudra-t-il rétablir l’obligation de faire la révérence devant les bourgeois ? ou simplement le chapeau-bas ?

Fin janvier, des manifestants se sont installés devant l’antenne de Google Engineer, à Berkeley. Sur une banderole on pouvait lire « Gentrification & Eviction Technologies OUT » (« technologies d’embourgeoisement et d’expulsion : DÉGAGE ») en lettres imitant le graphisme du logo de Google.

D’autres cherchent à donner un tour plus politique à leurs actions de blocage en dénonçant le numérique et le « monde inadmissible de surveillance, de contrôle et d’automatisation » que les techies contribuent à construire. Ils ont effectuée une enquête très détaillée sur un développeur de Google X, le secteur “innovation et prospective” de Google, comme une sorte de reflet aux données que Google accumule sur chacun d’entre nous, pour mieux dénoncer les transformations sociales répressives et ségrégationnistes auxquelles il participe.

Ci-dessous le communiqué qui raconte leur blocage, puis le texte du tract distribué à ce techie et aux personnes sur place :

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Manifestation devant la maison d’un développeur de Google X

San Francisco, 21 janvier 2014.

« Dialectiquement … un certain antagonisme [counterforce] aurait dû se produire. »
- Thomas Pynchon, 1973.

 

Maison d'Anthony Levandowski 

Anthony Levandowski
construit un monde inadmissible de surveillance, de contrôle et d’automatisation.
C’est aussi votre voisin.

À 7 heures ce matin, un groupe de gens se sont pointé à la maison d’Anthony Levandowski, un développeur de Google X. Sa maison est un fastueux palace minimalement décoré avec deux lions de pierre qui gardent l’entrée. Après avoir sonné à sa porte pour le prévenir de la manifestation, une bannière fut levée face à sa maison qui disait: « Le futur de Google s’arrête ici » et des tracts d’information sur sa personne furent distribués dans le voisinage. Ces tracts décrivent son travail avec l’industrie de la défense et ses plans de développement de condos de luxe à Berkeley.

À un moment, sa voisine est sortie de chez elle. Elle affirma être au courant de sa collaboration avec l’Armée mais insista sur le fait qu’il est « une personne sympa » [nice person]. Nous ne voyons aucune contradiction ici. C’est fort probable que Levandowski, qui développe des robots de guerre pour l’armée et bâtit une infrastructure de surveillance, est un agréable voisin. Et puis après ?

À la suite des précédentes actions contre les autobus de Google, plusieurs commentateurs ont prétendu que les individus employés par Google ne sont pas à blâmer. Prenant la chose profondément à cœur, nous avons choisi de bloquer le transport-navette personnel de Anthony Levandowski. Nous sommes ainsi respectueusement en désaccord avec cette critique : nous ne voyons pas que la première action soit meilleure que l’autre ! Tous les employés de Google devraient être empêchés d’aller travailler. Toute infrastructure de surveillance devrait être détruite. Pas un seul condo de luxe ne devrait être bâti. Personne ne devrait être expulsé de son logement.

Après avoir distribué des tracts dans le voisinage et bloqué l’entrée de sa cour durant environ 45 minutes, le groupe est descendu dans le centre-ville et a bloqué un autobus de Google à la station BART de Ashby. Ce blocage a duré environ 30 minutes et s’est dispersé quand les flics de la BPD [Berkeley Police Department] sont arrivés. Plusieurs discussions ont eu lieu avec des employés de Google.

Heureusement, les défections ont déjà commencé. Hier, une personne plutôt « sympa » employée par Google nous a révélé les « éléments de langage » [talking points] envoyés par la compagnie a ses employés dans l’attente d’un prochain conseil municipal de San Francisco ou dans l’éventualité de nouvelles perturbations des autobus de Google. La rhétorique de ce mémo présente les employés de Google comme des contributeurs positifs à l’environnement dans lequel ils vivent. Il ne fait nullement mention des expulsions qu’ils causent, de la présence policière qu’ils amènent avec eux et de la large classe de gens qui travaillent pour soutenir leurs styles de vie extravagants et déconnectés ; et qui sont leur soutien technique à leur existence.

Nous ne nous laisserons pas prendre en otage par la menace qu’agite Google des quantités massives de CO2 qui seraient relâchés dans l’atmosphère si le service d’autobus était interrompu. Notre problème est Google lui-même, ses capacités de surveillance invasive dont la NSA fait usage, les technologies qu’ils développent, et la gentrification que ses employés engendrent dans toutes les villes qu’ils occupent. Mais notre problème ne s’arrête pas à Google. Il s’étend à toutes les autres compagnies des hautes technologies, à tous les autres développeurs et à tous les autres gens qui bâtissent ce nouvel État de surveillance : on s’occupera de vous bientôt !

The CounterForce [L’Antagonisme]


La voiture sans chauffeur de Google:
construite pour l’industrie de la défense

« Conduite sans les mains, des voitures qui se garent elles-mêmes, une voiture sans pilote dirigée par un moteur de recherche ? Nous avons déjà vu ce film. Il se termine par des robots qui utilisent notre corps pour produire de l’énergie. » [Référence au film Matrix]
- Publicité pour les automobiles Dodge, 2011.

« Ma fiancée est une danseuse dans l’âme. Je suis un robot. »
- Anthony Levandowski.

Anthony Levandowski est actuellement l’ingénieur qui dirige le programme de développement de la voiture sans chauffeur de Google. Le projet a progressé rapidement et il y a déjà des États, dont la Californie, qui ont légalisé ces véhicules autonomes.

Il a également été l’un des architectes de Google Streetview – le projet de cartographie du monde réel qui a envoyé les voitures pour documenter et photographier chaque bâtiment le long de toutes les rues. Ces voitures ont également enregistré des adresses IP (qui identifient des réseaux informatiques) et les adresses MAC (qui identifient des éléments spécifiques de matériel). Ce projet de surveillance massive a rencontré occasionnellement des oppositions : ces voitures ont été bloquées, vandalisées et, dans un cas, l’une d’entre elle a attaquée par un homme de 70 ans avec une hache.

« Don’t be evil » [littéralement, « Ne soyez pas malveillants » ; c’est le sixième point du “décalogue philosophique” de Google qui stipule : « Il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable ».] est la devise de Google et, comme de juste, ils ont une vision utopique de notre futur. Absent de leur utopie, les travailleurs dans les usines de Foxconn – où des filets ont été installés récemment pour éviter les suicides réguliers provoqués par les conditions de travail. Absentes de leur vision, les familles payées quelques centimes par jour à recycler de petites quantités de métaux précieux à partir de vastes décharges électroniques. Même le Googleplex (le parc de bureaux de Google à Mountain View) reproduit une division similaire : les employés à badge rouge – qui nettoient les salles de bains, préparent des expresso, cuisinent des repas gastronomiques et essuient les miettes des tables de ping-pong – n’ont aucun des avantages et des privilèges du techie [diminutif qui désigne les salariés des entreprises high-tech de la Silicon Valley] à Badge blanc.

Ce n’est pas la naïveté qui pousse les chefs de Google et des gens comme Anthony Levandowski à aller de l’avant dans le développement des technologies qui ne font que renforcer la domination existant dans la société. Google collabore activement avec l’industrie de la défense, une industrie qui met de plus en plus l’accent sur la répression de la dissidence sociale.

Google vient d’acquérir Boston Dynamics, un entrepreneur militaire qui a créé une douzaine de robots de guerre. Le plus inquiétant d’entre eux a pour nom WildCat [chat sauvage], un robot qui ressemble à un sanglier, pouvant courir 30 miles à l’heure et se redresser rapidement après être tombé. Ce robot de guerre a été parrainé par la Defense Advanced Research Projects (DARPA), l’organisation même qui a inventé l’Internet.

La voiture sans chauffeur est l’autre projet favori de la DARPA depuis de nombreuses années. Elle parraine régulièrement un Grand Challenge [grand défi] rassemblant les personnes qui conçoivent les véhicules sans chauffeur, en espérant que l’un d’entre elles parviendra à mettre au point cette nouvelle technologie. Anthony Levandowski est l’un des enfants terribles qui se précipite à chacun de ces concours, avide d’un diplôme fédéral et de gloire. Maintenant, avec Google qui lui donne plus d’argent qu’il ne pourrait jamais rêver, Levandowski travaille de longues heures à concrétiser ce rêve des militaires.

Les espaces gardés des Condos de luxe de Levandowski

Anthony Levandowski tente actuellement de créer sa propre utopie cyber-capitaliste dans la grande ville de Berkeley. Après avoir grandi dans la banlieue aisée de Marin, il a commencé sa carrière dans la ville en 1998, sur les bancs de l’Université de Berkeley. Avant cela, il avait déjà monté une petite entreprise de technologie qui a permis à Petco [société de vente de fournitures et d’aliments pour animaux domestiques] de vendre ses produits par Internet, par payement avec une carte de crédit.

Alors qu’il poursuivait ses études en science pour sa maîtrise, Levandowski a créé une entreprise qui a mis au point des tablettes informatiques conçues pour afficher des plans sur les chantiers de construction. L’idée avec cette entreprise est que la mise à jour et l’impression des nouveaux plans prend quelques jours et ralenti le temps de construction. Avec ce nouveau produit, les entreprises de construction pourraient créer des condominiums [immeubles dont les appartements sont vendus séparément et gérés en copropriété], des centres commerciaux, etc. dans les délais les plus brefs possibles et avec un maximum de profit. Comme éloge de son sens prodigieux des affaires, le journal de l’administration de l’université de Berkeley a publié un article sur lui en 2003, lui décernant le titre de champion pour sa capacité à gagner de l’argent et sa contribution à la bulle immobilière qui commençait tout juste à se développer.

Revenons brièvement à ce qui se passe aujourd’hui. Levandowski a acheté une maison pour sa femme et ses enfants près de College et Ashby. En plus de cette affaire confortable de deux étages, Levandowski a aussi acheté une propriété à l’angle de Dwight et Fulton, à seulement un pâté de Shattuck Avenue. À cet endroit, il a engagé le Groupe de Nautilus pour un projet de construction d’immeuble de 77 logements, appelé Garden Village – car il y a des jardins sur les toits – avec la surveillance 24 heures sur 24, une sécurité privée et une flotte de véhicules électriques en stationnement dans un garage souterrain. Les résidents auront la possibilité de louer ces voitures quand ils le veulent pour faire un saut à la plage et se baigner.

Le Groupe Nautilus est composé d’architectes et de constructeurs qui ont créé des installations militaires, des centres commerciaux et des hôpitaux. Levandowski est en train d’apporter sa contribution à la poursuite de la stérilisation et de l’embourgeoisement [gentrification] du centre-ville de Berkeley et de Shattuck Avenue .

Ce projet est un témoignage de l’arrogance, de la déconnexion de la réalité, et du luxe de la classe dirigeante. Faire pousser des légumes dans le jardin sur le toit et les vendre à des riches permet, en quelque sorte, de prétendre que la planète n’est pas en train d’être ravagée par la même économie qui est à l’origine de leur richesse, de leur confort et de leur sécurité.

Les habitants de Garden Village habiteront un micro-monde dans lequel leurs mouvements seront constamment surveillés et encadrés par le personnel de sécurité. Les étudiants fortunés ou les professionnels bien rémunérés vivront dans de petites boîtes reliées par des passerelles. Sept de ces unités seront consacrés au logement social. Ces unités n’ont pas été ajoutées parce que Levandowski ou Nautilus le désiraient, mais parce que la loi de la ville de Berkeley leur en fait l’obligation. Nul doute que, dans le plan de développement de cet immeuble, la surveillance et la sécurité est dirigée vers ces résidents autant que vers les autres.

Développement et surveillance vont de pair. L’omniprésence de la surveillance dans le milieu urbain est implicite dans le Garden Village de Levandowski. Ces objectifs sont explicites dans d’autres programmes, comme le domaine Awareness Center à Oakland et le programme international de surveillance TrapWire [logiciel prédictif conçu par une société nommée également TrapWire, pour repérer des ensembles d’expressions et de mots clefs circulant sur Internet et susceptibles de signaler une attaque terroriste]. Surveillance et contrôle sont au cœur de l’avenir technologique proposé par Google et les autres futuristes pro-tech.

L’antagonisme

Berkeley a longtemps souffert sous l’emprise de la police de Berkeley et le système de communications unifiées. L’administration de l’université et la police ont réprimé la rébellion, harcelé les sans-abri et facilité le développement des affaires depuis des décennies. Dans les années 1960 et 70, des milliers de personnes ont été entraînés dans diverses rébellions, du Free Speech Movement [mouvement de contestation étudiant du campus de l’université de Berkeley, né durant l’année scolaire 1964-1965, contre l’interdiction faite par l’administration de l’université d’exercer des activités politiques sur le campus ; il a été un moment charnière dans le mouvement des libertés civiles aux USA] jusqu’aux aux communes et aux groupes armés quelques années plus tard. À cette époque, l’université était un phare de la recherche nucléaire, de la collaboration avec l’armée et de la répression ouverte contre la dissidence intérieure. Des jeunes gens se sont révoltés contre l’ordre de la société, face à des monstres comme Ronald Reagan, le FBI et la Garde nationale.

A quelques pâtés de maisons d’Ashby et de la maison de Levandowski se trouve l’ancien site où un ensemble de communes existaient dans les années 1960 et 70. Dans une de ces maisons communales, un groupe de rebelles, des monstres [freaks], des communistes et des amoureux ont écrit le Programme de Libération de Berkeley. En voici un extrait :

« La civilisation du béton et du plastique sera mise à bas et les choses naturelles respectées. […] Nous allons transformer cette machine meurtrière qui vole notre terre et viole nos esprits, ou bien nous arrêteront son fonctionnement. […] La révolution concerne nos vies. Nous lutterons contre la domination du style de vie de riches de Berkeley, contre l’égoïsme et l’apathie sociale – et aussi contre l’individualisme complaisant qui se déguise derrière le “doing your own thing” [littéralement « fait ton propre truc » ; ou « fait ce qu’il te plait »]. »

Afin d’honorer la mémoire de tous ceux qui sont morts, sont devenus fous, ou ont disparu dans les rues de Berkeley, nous souhaitons démasquer Anthony Levandowski et le mal qu’il apporte dans ce monde.

Lors de la préparation de notre manifestation, nous avons pu observer Levandowski sortant de chez lui. Il avait des Google Glasses [les lunettes connectées à Internet, dont les verres servent d’écran] sur les yeux, portait son bébé dans un bras, et une tablette dans sa main libre. En descendant l’escalier avec son enfant, ses yeux étaient fixé sur la tablette à travers les verres de ses Google Glasses, pas sur la vie contre sa poitrine. Il apparaissait alors exactement comme le robot qu’il admet être.

Il y a des hommes et des femmes au Congo qui triment dans des mines géantes afin d’en extraire l’or et autres métaux précieux de la terre. Cet or est utilisé dans les téléphones et les tablettes fabriqués par des sociétés comme Google, Apple et Microsoft. Anthony Levandowski ne travaillera jamais dans une mine, pas plus que son enfant. Les gens comme lui ne connaissent pas ces formes d’exploitation et de travaux dégradant. Ainsi, il peut, de manière désinvolte, regarder fixement ses écrans comme s’il n’y avait pas de sang humain pour rendre ces technologies possibles ; comme s’il n’y avait pas une vie entre ses mains.

Levandowski vit sa vie normale, en construisant sa famille nucléaire, pendant qu’une indicible horreur se déroule. Tout ce qu’il construit contribuera uniquement à faire durer un peu plus longtemps ce système économique désastreux. La voiture sans chauffeur permettra a ses usagers de gagner une heure de sommeil, de parlent sur leur téléphone dans la voiture, et de continuer à ce que l’économie tourne.

Une vidéo promotionnelle pour la voiture sans chauffeur de Google montre un aveugle qui va là où il veut avec cette nouvelle technologie. Dans cette vidéo, l’homme décide d’aller à Taco Bell [chaîne de restauration rapide américaine, leader mondial sur le secteur des restaurants à thème mexicain]. Une autre vidéo promotionnelle pour les Google Glasses montre un utilisateur qui achète des produits, qui acheter des choses, puis qui en achète encore plus. À la toute fin de la vidéo, l’utilisateur découvre son père étendu sur le sol, atteint d’une crise cardiaque. L’homme appelle les pompiers avec ses Google Glasses et sauve son père. Cette surprise émotionnelle de la fin est destinée à mettre dans la tête du spectateur que le produit est indispensable et bon.

L’aveugle qui va à Taco Bell et le consommateur qui sauve son père sont les héros de cette utopie technologique. Les mineurs sont ignorés et les travailleurs des usines oubliés. Tant que le capitalisme fonctionne, tout ce qui lui est liée sera empoisonné par sa maladie. Des gens comme Levandowski participent à l’embourgeoisent des quartiers, inondent le marché avec des produits nuisibles, et créent les infrastructures d’un totalitarisme inimaginable. Ce sont toutes ces nuisances que nous voulons chasser de nos vies.

Nous sommes la force antagoniste, et vous pouvez en être. Désengagez-vous de l’économie capitaliste du mieux que vous pouvez. Créez des zones autonomes où les lois et les injonctions du capitalisme sont ignorées. Ne vous laissez pas séduire par ce qui brille. Développez des relations avec vos voisins. Défendez la terre. Utilisez votre place dans la société, que ce soit en tant que criminel, barman, immigrant ou quel que soit votre expérience, comme point de départ pour votre révolte contre elle. Ayez du courage. Trouvez d’autres personnes qui partagent vos sentiments et bloquez un bus de techies. Volez les techies dont vous gardez les enfants. Abattez les caméras de surveillance. Allons-y : c’est le moment.

Combattez le mal.

Rejoignez la révolution.

The CounterForce

Source : Demonstration at Home of Google Developer.


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Les réactions ne se sont pas fait attendre :

La gauche prépare-t-elle sa Nuit de cristal ?

C’est depuis l’épicentre de la pensée progressiste aux Etats-Unis, San Francisco, que je veux attirer l’attention sur les parallèles entre d’une part l’Allemagne nazie et sa guerre contre ses “1%” – à savoir les Juifs – et d’autre part la guerre de la gauche contre les 1% de l’Amérique – à savoir les riches.

Du mouvement Occupy à la diabolisation des riches qui transpire dans le moindre mot de notre quotidien local, The San Francisco Chronicle, je sens monter une vague de haine contre ces 1% qui réussissent. L’opinion est scandalisée par les navettes Google qui transportent les employés du secteur high-tech de San Francisco vers les sociétés [de la Silicon Valley] qui les emploient.

Il y a de l’indignation également contre la hausse des prix de l’immobilier, qu’alimente le pouvoir d’achat de ces “techno-geeks”.

C’est là une très dangereuse dérive de la pensée américaine. La Nuit de cristal était impensable en 1930 ; le radicalisme “progressiste” qui en est issu est-il impensable aujourd’hui ?

Tom Perkins, courrier des lecteurs, The Wall Street Journal, le 24 janvier 2014.

Source : Courrier International n°1214, 6 février 2014.

Alors que les nazis désignaient à la vindicte populaire les juifs afin de détourner les ouvriers de la lutte des classes, le richard Tom Perkins reprend le même procédé de détournement en se faisant passer pour une victime innocente d’une « lutte des races » (entre riches et pauvres ? sachant le rôle qu’accorde la pensée ultra-libérale américaine au déterminisme génétique ?) alors qu’il s’agit justement et de manière très explicite d’une lutte des classes. Quoi qu’il en soit, ce parallèle est en tout point ignoble (et surfe sur les clichés anti-sémites : car, c’est bien connu, tous les juifs sont riches…).

Quoiqu’il en soit, l’économie du virtuel, qui repose sur une innovation sans emplois – en tout cas sans emplois intermédiaires – tant elle est automatisée et algorythmisée, ne va pas se dérouler sans conflits. Car si cette froide inégalité est l’avenir de l’Amérique et du monde, alors il n’est pas sûr que grand monde la souhaite.

« Quand les financiers affirment qu’ils font le travail de Dieu en fournissant un crédit bon marché et que les pétroliers se disent des patriotes qui permettent l’indépendance énergétique du pays, personne ne les prend au sérieux : c’est une chose acquise que leur motivation est avant tout le profit. Mais quand les entrepreneurs de la technologie décrivent leurs nobles objectifs il n’y a aucun sourire ou clin d’oeil amusé. »

Le temps de l’émancipation par l’informatique et des utopies autour d’Internet sont terminés. La Silicon Valley n’a pas réduit les inégalités sociales ni diminué le pouvoir des puissants, au contraire, elle les a renforcés dans des proportions inimaginables.

« Lorsque l’Internet est partout, la politique n’est nulle part. Ce qui est à l’œuvre  ce n’est pas une révolution technologique, mais les effets d’une politique néolibérale. »

Les rêves des pionniers sont bien morts.

Ned Ludd


Cette chronique de Ned Ludd est réalisée à partir de la compilation des articles suivants :

Hubert Guillaud, “Ce que l’Internet n’a pas réussi: renverser les inégalités”, InternetActu, 5 février 2014.

Corine Lesnes, “San Francisco contre la Silicon Valley”, Le Monde, 1er février 2014.

Corine Lesnes, “A San Francisco, les techies sur la défensive à l’arrêt de bus”, Le Monde, 1er février 2014.

Yann Perreau, “Google met le feu aux loyers”, Libération, 2 février 2014.

Traduction des tracts américains inédite.

 

 

 

Source : sniadecki.wordpress.com

 

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17 février 2014 1 17 /02 /février /2014 18:09

 

Source : www.bastamag.net

 

 

Protection sociale

Les handicapés, ces « assistés » que les conservateurs britanniques veulent remettre au travail

par Ivan du Roy 17 février 2014

 

 

 

 

 

Sous prétexte de coupes budgétaires, le Royaume-Uni recourt à des sociétés privées pour sous-traiter des missions auparavant réalisées par son administration publique. La société française Atos s’est vue confier la tâche de mettre en œuvre la réforme des pensions que perçoivent invalides et handicapés. Et d’évaluer leur aptitude au travail. Résultat : malgré des pathologies lourdes, plusieurs dizaines de milliers de bénéficiaires ont été recalés et exclus de ce système de protection sociale. Les recours se multiplient et la colère gronde contre les méthodes d’Atos.

Evaluer l’aptitude au travail des personnes invalides et handicapées. Telle est la mission que le gouvernement britannique a confiée à l’entreprise française Atos, dirigée par l’ancien ministre de l’Economie Thierry Breton, à l’occasion d’une réforme de cette protection sociale, entamée en 2011. Les 2,6 millions de personnes qui bénéficiaient de ces différentes pensions d’invalidité et d’aides aux handicapés basculent dans un nouveau système de prise en charge, l’Employment and Support Allowance (ESA), censé simplifier et unifier l’ensemble de ces aides.

Ce n’est donc plus à l’administration britannique de vérifier que les bénéficiaires des anciennes aides ne sont vraiment pas en mesure de travailler, à cause de leur état de santé ou de leur handicap, et de leur attribuer une pension en conséquence. Mais à Atos. Si une personne est jugée apte, elle n’aura plus le droit de percevoir cette allocation – d’un montant moyen de 500 euros mensuels pour une personne de plus de 25 ans. Elle sera alors considérée comme demandeur d’emploi. Et pourra seulement prétendre à une aide de 350 euros pendant six mois. Elle coûtera donc moins cher à la sécurité sociale britannique... Gestion des prestations sociales, du droit d’asile, des prisons (lire notre article), du système de justice : le Royaume-Uni fait figure de pionnier européen pour confier la sous-traitance des services publics à des sociétés privées.

 

Trier les aptes et les inaptes au travail

Réaliser ce tri entre aptes et inaptes pour le compte du Département du travail et des retraites britannique (Department of Work and Pensions, DWP) rapporterait 134 millions d’euros par an à Atos. Qui s’est attelé à la tâche avec zèle depuis 2011, d’autant que tout doit être terminé cette année. Ses « évaluateurs » examinent plus de 700 000 dossiers d’allocataires chaque année, sur la foi d’une méthodologie de plus en plus contestée, l’« évaluation d’aptitude au travail » (Work Capacity Assessment, WCA). Celle-ci consiste à noter le niveau d’invalidité des demandeurs avec un système de points, qui déterminera le montant de la pension. Une note trop faible, et vous basculez dans la catégorie demandeur d’emploi. Résultat : plus de la moitié des demandes seraient désormais refusées. Les témoignages de personnes invalides subissant ces contrôles ou confrontées à la lenteur administrative d’Atos font désormais régulièrement la une des journaux britanniques. Et les histoires tragiques se multiplient : des personnes handicapées « évaluées » se sont suicidées, d’autres sont jugées « aptes au travail » alors qu’elles agonisent sur un lit d’hôpital.

« J’ai reçu l’instruction de modifier mes dossiers, et de réduire le nombre de points dont auraient pu bénéficier les ayant droits. Cela m’a semblé une faute, professionnellement et éthiquement », raconte Greg Wood, ex-évaluateur chez Atos, dans un documentaire diffusée par la BBC [1]. « Une autre lanceuse d’alerte, Joyce Drummund, ancienne infirmière chez Atos, a raconté à un journal écossais, le Daily Record, avoir reçu l’instruction de réduire la note d’ayant droits dont elle savait qu’ils étaient inaptes au travail », relate Jennifer Kennedy, contributrice du site OpenDemocracy [2]. « Nulle part dans le système il n’y a d’objectifs chiffrés [de réduction des allocations] », avait démenti l’ancien ministre de l’Emploi, le conservateur Chris Grayling. Mais l’intégralité du contrat d’externalisation passé entre le gouvernement et Atos n’a pas été dévoilé.

Protestation de la British Medical Association, rapport très critique d’une commission d’enquête parlementaire en 2013, reportages accablants, rien n’y fait, les évaluations continuent. Les radiations massives aussi. Et les recours d’allocataires lésés contre Atos se multiplient. Les Citizen Advice Bureaux, des associations qui assistent les citoyens britanniques dans leurs démarches administratives, déclarent avoir traité un demi-million de contestations liés à l’allocation handicap depuis trois ans et la mise en place du nouveau système d’évaluation.

 

Mauvaises décisions

42% des procédures en appel aboutissent, contredisant les décisions d’Atos de reclasser des invalides en demandeurs d’emploi. Une marge d’erreur impressionnante, surtout quand elle pénalise la vie de dizaines de milliers de citoyens. « Je ne peux plus supporter le stress, la douleur et la fatigue qu’Atos n’arrête pas de m’occasionner... Il n’y a absolument aucun doute sur le fait que j’ai droit à cette allocation, même Atos a admis dans une de ses réponses qu’ils avaient assez d’attestations dès le départ pour confirmer que j’étais inapte au travail. On ne peut que se demander pourquoi ils font tout ça », témoigne une personne invalide.

Selon des chiffres dévoilés par le Parti travailliste, les frais judiciaires liés aux procédures ont triplé en quatre ans, passant de 21 à 66 millions de livres (de 25,5 à 80 millions d’euros). « Le système actuel produit trop de mauvaises décisions, qui occasionnent inévitablement des coûts supérieurs pour le contribuable », accuse, en août dernier Sarah Lambert, responsable des politiques publiques pour la National Autistic Society (NAS, Société nationale pour l’autisme).

Le gouvernement britannique et la firme française viennent de répondre à leur manière à la multiplication de ces contestations en justice. Selon The Independent, les demandeurs qui feraient appel à la décision d’Atos se verront désormais privés de leur allocation durant toute la durée de la procédure. Et contraints de faire réévaluer l’ensemble de leur dossier avant de pouvoir saisir les Citizen Advice Bureaux. Pour le directeur général de ces structures d’appui aux citoyens, ces nouveaux obstacles « signifient que des milliers de gens seront forcés de se débrouiller tout seuls, sans source de revenus. Le meilleur moyen de réduire le nombre et le coût des appels est de s’assurer que les décisions prises sont bonnes au premier coup, plutôt que de les forcer à passer par des étapes supplémentaires inutiles et stressantes. » Pour le porte-parole de l’entreprise, « les appels se font contre les décisions [de l’administration britannique], pas contre Atos. » Une journée nationale d’action est prévue outre-Manche le 19 février prochain, soutenue par des organisations de défense des personnes handicapées, des mouvements sociaux, des syndicats et des partis politiques (Verts, Labour).

Ivan du Roy, avec l’Observatoire des multinationales

Photo : CC James Clear

 

Notes

[1Intitulé Disabled or Faking it ? (« Handicapé pour de vrai ou pour de faux ? »), diffusé en 2012.

 

 


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Source : www.bastamag.net

 

 

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17 février 2014 1 17 /02 /février /2014 18:02

 

Source : www.mediapart.fr

 

CIPAV : ce que la Cour des comptes ne dit pas

|  Par Philippe Riès

 

 

Dans sa démolition de la gestion de la CIPAV, principale caisse de retraites des “libéraux”, la Cour des comptes dénonce mais n'explique guère. Et ignore la responsabilité de la tutelle étatique. Pour le gouvernement, il est urgent d'attendre.

Dans ses critiques et ses recommandations, le chapitre du Rapport général 2014 de la Cour des comptes consacré à la CIPAV, principale caisse de retraites des professionnels libéraux, est accablant puisqu’il dénonce « une gestion désordonnée », une gouvernance défaillante et « un service aux assurés déplorables ». Mais les magistrats de la rue Cambon, selon une tradition assez contestable, se gardent bien de désigner nommément ceux qu'ils jugent responsables de cette situation et d’en expliquer les origines.

Avec la CIPAV, ses dysfonctionnements et ses dérives, on est en fait au cœur du système institutionnel français dans lequel des organismes dits « privés », jaloux de leur « autonomie », sont autorisés à gérer des monopoles « obligatoires » (illégaux au regard du droit européen) par délégation aveugle de l’État et du législateur. État et législateur qui multiplient les obligations et modifient les règles, au gré de leurs objectifs politiques et contraintes financières, sans en mesurer ou en assumer les conséquences. Une conception très hexagonale et tout à fait singulière du « libéralisme ».

 

J. Escourrou, président de la CIPAV 
J. Escourrou, président de la CIPAV © CIPAV

Des noms, donc. Au sommet de la pyramide, Jacques Escourrou, de son état architecte à Mazamet. M. Escourrou est non seulement président de la CIPAV, de très loin la plus importante des quatre caisses regroupées dans le « groupe Berri », du nom de cette rue des beaux quartiers parisiens où cette nébuleuse avait son siège social, avant de se lancer dans des opérations immobilières dont la Cour des comptes critique sévèrement le coût et la gestion. Mais M. Escourrou est aussi président de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), institution qui gère la retraite dite « de base » et coiffe les nombreuses caisses de retraites complémentaires des professions libérales (dont la CIPAV), éparpillement qui serait justifié par la diversité et l’hétérogénéité des catégories affiliées. Mais la CIPAV gère aussi le régime de base, par délégation de la CNAVPL. 

Cette ubiquité de M. Escourrou donne une dimension étrange à la réponse à la Cour de la ministre des affaires sociales et de la santé. Marisol Touraine, résolument tournée vers l’avenir radieux promis par une nouvelle législation, y affirme en effet que « la loi confie à ce titre à la CNAVPL les missions et les pouvoirs propres à lui permettre de redresser les dérives aujourd’hui constatées au sein du groupe Berri, dérives dont elle sera personnellement responsable auprès de l’État… ». En somme, c’est de Escourrou Jacques que la ministre attend qu’il remette dans le droit chemin… Jacques Escourrou.

Interrogé par Médiapart, M. Escourrou se demande d’ailleurs « si la Ministre est au courant du dossier ». Et souligne que les caisses sont autonomes, que la nouvelle loi n’y changera rien. « La tutelle, c’est le directeur de la Sécurité sociale, Thomas Fatome, et ses services », destinataires de toutes les délibérations du conseil d’administration, explique-t-il. Selon lui, cette tutelle (curieusement absente du rapport de la Cour des comptes) n’a jamais rien trouvé à redire à une gestion qu’il « assume ». Comme à l'habitude, la Cour publie les réponses argumentées des personnes mises en cause. 

Autre cumulard dans le système CIPAV, Jean-Pierre Espagne. Architecte également, à Saint-Flour. Activité qui, accuse l’Association des victimes de la CIPAV (son site ici), lui laisse le loisir d’exercer à la CIPAV la fonction de médiateur, celle de président de la commission de recours amiable et de président de la commission des invalidités. Autrement dit, si un adhérent s’estime victime de certains des dysfonctionnements identifiés dans le rapport de la Cour des comptes (retraites non versées ou avec un retard se comptant en mois ou années, cotisations abusives, absences de réponses aux courriers ou appels téléphoniques, etc.), il peut s’adresser en première instance à Jean-Pierre Espagne, médiateur, et en appel à Espagne Jean-Pierre, président. Même chose pour les décisions d’invalidité.

Cette présentation est formellement contestée par M. Espagne, également interrogé par Mediapart. « Les gens fantasment sur le rôle du médiateur de la CIPAV, qu’ils confondent avec celui de la République. » Selon lui, ce rôle, établi en 2008 et qu’il partage avec Michel Brun, consiste à faciliter les rapports, parfois difficiles, entre les adhérents et les services de la CIPAV, débordés par une crise de croissance qui a vu les effectifs passer en quelques années de 80 000 adhérents à 250 000 (sans compter le cas particulier des auto-entrepreneurs). Le médiateur, dit-il, ne prend aucune décision sur le fond des dossiers. Quant à la commission de recours amiable, dont il a la signature sans être formellement président, elle opère selon le code de la sécurité sociale, sous le contrôle de l’État, en l’occurrence Charlie Suedile, auditeur de l’antenne de Paris de la Mission nationale de contrôle et d’audit des OSS (organismes de sécurité sociale). S’agissant enfin des invalidités, la commission, est, selon M. Espagne, « dans 97 % des cas, une chambre d’enregistrement des décisions du médecin-conseil de la caisse », un praticien indépendant.

Jean-Marie Saunier, lui, n’est pas architecte, mais statisticien. Après son parachutage en 2010 sur la planète « Berri » depuis le cabinet d’Éric Woerth, ministre du budget de Nicolas Sarkozy, il a connu une trajectoire ascensionnelle mais controversée. De simple conseiller technique chargé des relations avec le Parlement, il est devenu directeur délégué de la CAVEC, une des quatre caisses du groupe Berri, et directeur des trois autres (CIPAV, Cavom et IRCEC). Comme « directeur du groupe Berri » (c’est la Cour des comptes qui le désigne ainsi), il fut notamment responsable du vaste chantier de refonte de l’informatique. Une bérézina technique et financière, affirme la Cour, dont le diagnostic serait cependant loin de traduire l’ampleur du désastre. La Cour mentionne un décuplement du coût prévu initialement, qui bondira de 2,5 millions d’euros budgétés en 2005 à 24 millions dépensés en 2013. Des sources internes (notamment un ancien administrateur) évoquent une dépense totale de 96 millions d’euros, résultant d’une conduite du chantier incohérente, avec 48 intervenants différents. Depuis, M. Saunier a été propulsé à la direction générale de la CNAVPL.

Selon M. Escourrou, M. Saunier « a fait du bon boulot à la CIPAV » et a été choisi pour diriger la caisse nationale à l’unanimité des présidents des caisses représentés au conseil d’administration de la CNAVPL. Les difficultés informatiques résulteraient avant tout, selon lui, de la légèreté du législateur qui a décidé en 2004 de faire de la CIPAV, parce qu’elle était déjà « interprofessionnelle », l’organisme de prise en charge de toutes les professions libérales non réglementées. Des professionnels empruntant souvent tardivement la voie libérale et présentant des profils de carrière irréguliers et bien plus complexes à gérer que ceux des salariés ou des membres de professions réglementées. C'est ce système informatique qui aurait été laissé en déshérence par le précédent directeur général.

Un régime électoral censitaire

Cependant, la Cour des comptes ne limite pas ses critiques à la gestion financière, immobilière ou informatique. Quand il s’agit du respect des règles de la commande publique, à commencer par la mise en concurrence par appels d’offres, la Cour des comptes parle de « refus délibéré ». Un des principaux bénéficiaires de ce mépris est celui qu’un fondateur de l’Association des victimes qualifie de « plus vieil ami de la CIPAV », l'étude des huissiers de justice Nocquet Salomon Flutre. Depuis des lustres, ces messieurs, sis avenue de l’Opéra à Paris, jouissent du monopole des procédures engagées par la CIPAV. Ce qui, compte tenu du désordre et de l’arbitraire qui président à l’établissement et au recouvrement des cotisations, selon la Cour des comptes, constitue une véritable rente : 32 000 mises en demeure en 2011. La Cour, sans nommer l'étude, met en cause cette situation. Cette absence de mise en concurrence, curieuse s’agissant de « libéraux » (mais nous sommes en France), aboutirait à une performance désastreuse. Toujours en 2011, 38 000 débiteurs, affirme la Cour, ont échappé aux griffes de la CIPAV « souvent pour une absence de mise à jour des adresses ». Ce qui ne surprendra que ceux qui ignorent la manière archaïque de travailler des huissiers, une des professions « réglementées » (et protégées) dont la France a le secret. Fin 2012, affirme la Cour, la CIPAV détenait pour 92 millions d’euros de créances douteuses.

Mais à la CIPAV, messieurs Nocquet, Salomon et Flutre ne font pas que courir après l’argent que les assujettis refusent (parfois à bon droit) de verser. Ils certifient également le bon déroulement des élections au conseil d’administration. Ils gèrent la boîte postale permettant aux adhérents de voter, assurent le dépouillement électronique et valident le résultat. Les victimes de la CIPAV affirment que les élections de 2011 ont été l’objet d’une fraude significative. « Je ne suis pas au courant. Je ne me suis jamais occupé des élections », affirme à Mediapart M. Escourrou. Mais il ajoute que le monopole de Nocquet Salomon Flutre a vécu. « Nous avons lancé une adjudication par appel d’offres, pour une période de trois ans. » À suivre.

Autre sujet de curiosité, la composition du corps électoral, qui est organisé pour donner une prime à la catégorie professionnelle à laquelle appartient le président, comme le dénonce l’Association des victimes. Le conseil d’administration de la CIPAV est composé de 26 membres, élus pour six ans. Dont 12 réservés au groupe 1, celui de… M. Escourrou. Ce groupe, lors des élections de 2011, a élu un administrateur pour 2 654 adhérents. Contre un administrateur pour 28 291 adhérents chez les prestataires, manifestement les « intouchables » de ce système de caste à quatre étages. Là, Jacques Escourrou est au courant et assume. « C’est moi qui ai fait le partage en collèges, en prenant en compte le niveau et la durée des cotisations. » Les professions du « bâti » sont les plus anciennes à la CIPAV, développée à partir d’une caisse initialement réservée aux architectes, la CAVA. 

On comprend peut-être mieux pourquoi les dirigeants de la CIPAV ont vu débarquer les auto-entrepreneurs, par dizaines de milliers, comme des chiens dans un jeu de quille. Le mauvais traitement des auto-entrepreneurs par la CIPAV est d’ailleurs un des thèmes majeurs du rapport de la Cour des comptes, qui parle de « refus d’intégration » et d’exclusion du corps électoral pour les plus modestes. Selon les « libéraux » de la CIPAV, les auto-entrepreneurs seraient avant tout une charge puisqu’ils contribuent insuffisamment, imposant aux autres professions, même modestes, comme les infirmières, de cotiser pour eux et menaçant à terme l’équilibre financier des caisses. « La caisse poubelle, c’est ainsi que les autres caisses qualifient aujourd'hui la CIPAV », s’indigne son président.  

À noter, comme le fait la Cour des comptes, que la CIPAV n’avait toutefois pas attendu l’apparition récente de cette nouvelle catégorie d’assujettis pour réduire drastiquement le taux de rendement de son régime complémentaire, tombé de 14,5 % à 8,81 % entre 2002 et 2012, puis 7,90 % en 2013. Ce qui a permis un doublement des réserves, à 2,1 milliards d’euros, selon la Cour (3,4 milliards, dit Jacques Escourrou). La gestion en était, jusqu’à très récemment, confiée en très grande partie à un seul opérateur privilégié (comme pour les huissiers), la société de gestion Oddo AM. Ce que la Cour des comptes critique.  

Le 24 mars 2010, Jacques Escourrou avait eu l’occasion de dire tout le mal qu’il pensait des auto-entrepreneurs devant la Commission des finances du Sénat, présidée par Jean Arthuis (expert comptable dans la Mayenne et ancien ministre des finances), animée par l’incontournable Philippe Marini, pilier du RPR de l’Oise (et mentor d’Éric Woerth), dont le dialogue badin avec M. Escourrou vaut le détour, en présence du ministre libéral Hervé Novelli, créateur du statut d’auto-entrepreneur. Où l’on apprend, de la bouche même du président de la CIPAV, que lui-même détourne ce statut tant décrié afin de faire travailler à bon compte un dessinateur industriel et des stagiaires dans son entreprise d’architecture (la vidéo est ici) !

Tout ce folklore hexagonal serait risible si la gestion de la CIPAV ne débouchait pas sur certaines situations personnelles difficiles, voire dramatiques. En conclusion de son rapport, la Cour des comptes recommande la nomination d’un administrateur provisoire au cas où la CIPAV ne mettait pas en œuvre, « sans délai », un plan de redressement de sa gestion. Marisol Touraine répond que « si toutefois un constat d’échec devait être réalisé, le Gouvernement prendra les mesures propres à pallier les carences du groupe Berri (…) le cas échéant par la nomination d’un administrateur provisoire ». Autrement dit, il est urgent d’attendre.

Qualifiant le rapport de la Cour de « scandaleux » et ignorant des réformes déjà mises en œuvre, Jacques Escourrou y voit surtout un règlement… de comptes, la CIPAV ayant eu dans un passé récent le tort de licencier après quelques mois un directeur général issu de ce grand corps de l’État, « tellement il était bon ! ». Mais le président de la CNAVPL va plus loin. « L’enjeu, ce sont les réserves des caisses des libéraux, 24 milliards d’euros au total », dit-il, suggérant que l'État impécunieux aurait des visées sur cette cagnotte.

Conclusion (provisoire) : le cas de la CIPAV est révélateur de l’épuisement d’un « modèle » de protection sociale qui mélange, dans le désordre et l’opacité, assurance et solidarité, monopoles étatiques et gestion privée, le tout sous la tutelle défaillante d’un État débordé par la diversité et la complexité des sociétés contemporaines. Et, tout particulièrement dans le cas des professions dites « libérales », un système hérité des corporations et des ordres nés sous le régime de Vichy, mâtiné du dirigisme égalitaire de la Libération. Ce n’est pas d'un administrateur provisoire qu'ont besoin la CIPAV et plus généralement la protection sociale en France. C’est d’entrer dans le XXIe siècle.

 

 

Source : www.mediapart.fr

 


 

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17 février 2014 1 17 /02 /février /2014 17:52

 

Source : www.lalibre.be

 

 

GDF Suez conteste des accusations d'évasion fiscale en Belgique

Belga   Publié le dimanche 16 février 2014 à 10h26 - Mis à jour le lundi 17 février 2014 à 16h16

 


Actualité "La fraude est importante et doit être rectifiée", estime Geert Bourgeois.

 

 

 

Le groupe français GDF Suez a vivement contesté dimanche des informations de presse l'accusant d'évasion fiscale en Belgique via sa filiale Electrabel.

Dans son édition du week-end, le journal économique l'Echo indique que la Commission de régulation de l'électricité et du gaz (Creg) a rédigé un rapport confidentiel selon lequel GDF Suez aurait en 2012 facturé plusieurs centaines de millions de trop à sa filiale belge pour ses fournitures de gaz.

Après transmission du rapport aux autorités compétentes, l'Inspection spéciale des impôts (ISI) a ouvert une enquête, assure l'Echo.

"GDF Suez s'étonne des articles publiés et en conteste formellement le contenu", a assuré le groupe dans un communiqué. "GDF Suez n'a aucune connaissance d'une éventuelle enquête auprès de l'inspection spéciale des impôts. Si une telle enquête devait s'ouvrir, comme à son habitude GDF Suez offrirait sa pleine et entière collaboration aux enquêteurs".

Selon l'Echo, citant le rapport, les surfacturations auraient amputé le bénéfice imposable d'Electrabel de quelque 500 millions d'euros, soit une perte de près de 170 millions d'impôts pour l'Etat belge, au profit des actionnaires de GDF Suez.

Elles auraient aussi privé les communes belges associées à Electrabel dans ECS (Electrabel Customer Solutions), filiale spécialisée dans la fourniture d'électricité et de gaz, d'une participation à hauteur de 40% à ce bénéfice, sur le dos des clients particuliers et PME.

Cependant, le quotidien prévient que des spécialistes émettent des réserves sur la méthodologie employée par le gendarme de l'énergie, qui n'a pas eu accès à tous les contrats passés par GDF Suez. "L'entrée en jeu de l'ISI (...) devrait permettre d'affiner, de confirmer ou d'infirmer ces chiffres", ajoute l'Echo.

A trois mois des élections législatives en Belgique, ces informations ont suscité des réactions de l'opposition. "Si ces faits sont avérés, c'est hallucinant, nous pouvons parler de tromperie", a déclaré le ministre flamand des Affaires intérieures, le nationaliste (N-VA) Geert Bourgeois. Les écologistes ont réclamé la clarté et la "transparence".

 

Geert Bourgeois : "Les communes sont elles aussi dupées"

Dans une réaction aux informations révélées samedi par L'Echo et De Tijd selon lesquelles l'Inspection spéciale des Impôts (ISI) a ouvert une enquête pour évasion fiscale à l'encontre de GDF Suez et de sa filiale belge Electrabel, le ministre flamand des Affaires intérieures Geert Bourgeois (N-VA) a conseillé aux communes d'entreprendre des actions si les faits sont avérés. "Outre le fisc et les consommateurs, les communes sont elles aussi dupées. Je leur conseille, en tant qu'actionnaires, de réclamer des explications lors de l'assemblée générale extraordinaire d'Electrabel Customer Solutions" (ECS, la filiale belge spécialisée dans la fourniture d'électricité et de gaz au sein de laquelle sont associés Electrabel et les communes), déclare-t-il.

"La fraude est importante et doit être rectifiée", estime Geert Bourgeois. "Il s'agit ici d'importantes sommes d'argent qui ne sont pas versées aux communes. Si j'examine la période 2009-2012, on parle pour la plus mauvaise année de 9 millions d'euros" de dividende. Les autres années, ce montant a atteint environ 50 millions d'euros.

 

 

 

 

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Source : www.lalibre.be

 

 

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16 février 2014 7 16 /02 /février /2014 18:52

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

Tentative de putsch chez Veolia, saison 3

|  Par martine orange

 

 

 

Depuis sa nomination à la tête de Veolia, Antoine Frérot fait l’objet d’un procès permanent en illégitimité. Cette fois-ci, c’est la famille Dassault, actionnaire du groupe, qui mène l’attaque. Elle veut profiter du renouvellement de son mandat pour imposer à sa place le président de l’APE, David Azéma. Objectif : faire remonter le cours de la Bourse pour pouvoir mieux vendre.

Cela a commencé par une rumeur dans le petit monde parisien des affaires, comme d’habitude : les jours d’Antoine Frérot, P-DG de Veolia, seraient comptés, répétait-on d’un air de conspirateur. « Cela fait une dizaine de jours que le bruit circule. Son départ a l’air d’être considéré comme acquis, tout comme celui de Luc Oursel chez Areva d’ailleurs », commente un des habitués du microcosme parisien. Jeudi, le Point rendait publique la rumeur, en révélant le projet d’évincer le P-DG de Veolia pour le remplacer par David Azéma, qui dirige aujourd’hui l’agence des participations de l’État (APE).

C’est presque une question d’habitude pour Veolia. Depuis qu’Antoine Frérot, numéro deux d’Henri Proglio pendant plus de dix ans, lui a succédé à la tête du groupe de services aux collectivités locales, quand ce dernier a pris la direction d’EDF, il fait régulièrement l’objet d’un procès en illégitimité. Ni inspecteur des finances, ni polytechnicien, il n’a pas, de l’avis du petit monde du CAC 40, la stature pour diriger un groupe dont l’influence fait fantasmer le monde des affaires et politique depuis que son dirigeant historique, Guy Dejounay, l’a érigé en puissance tutélaire et mystérieuse.

 

© Reuters

Son ancien président, Henri Proglio, a lui-même intenté le procès d’Antoine Frérot lorsque celui-ci, héritant d’un groupe croulant sous les dettes, a commencé à remettre en cause la stratégie passée. Les deux amis d’hier sont devenus alors les pires ennemis. Le P-DG d’EDF a tenté de le débarquer par un putsch éclair, en faisant nommer à sa place l’ancien ministre de l’environnement, Jean-Louis Borloo. Échec (lire notre article : « Alain Minc m’a tué »). Par la suite, des discussions sur un éventuel rapprochement entre Suez environnement et Veolia ont fuité dans la presse. Le président de Veolia y a vu une nouvelle tentative de déstabilisation de son prédécesseur (lire À Veolia, la guerre Frérot-Proglio repart de plus belle).

Cette fois, de l’avis des connaisseurs du dossier interrogés, ce n’est pas lui qui est à la manœuvre même si, en coulisses, il a pu donner quelque avis. « Il a essayé de renverser Antoine Frérot, il n’y est pas parvenu. Depuis, il a décidé de se tenir à l’écart, même s’il n’en pense pas moins », dit un connaisseur du dossier. « Henri Proglio veut obtenir son renouvellement à la présidence d’EDF en octobre. Il sait que s’il se mêle à nouveau des affaires de son ancien groupe, cela ne peut que lui être défavorable », explique un de ses proches.

Mais la famille Dassault a pris le relais et est passée à l’attaque. Troisième saison de tentative de putsch chez Veolia. Entrée au capital de Veolia en 2008 à l’invitation d’Henri Proglio, elle est devenue un des premiers actionnaires du groupe avec 6,3 % du capital. La famille, cependant, n’est pas contente de son investissement : la valeur de sa participation – de 600 millions d’euros environ – a fondu comme neige au soleil : le cours de Veolia était à 22 euros quand la famille Dassault est entrée, il n’est plus qu’à 12. Même si elle a reçu, chaque année, entre 25 et 35 millions de dividendes, le compte n’y est pas du tout pour elle. 

S’il y a une chose que la famille Dassault déteste, c’est perdre de l’argent. Mais elle ne plaisante plus du tout quand il s’agit de l’argent de la famille. Car la participation dans Veolia est portée directement par le groupe industriel Marcel Dassault (GIMD), la holding familiale de tête qui contrôle l’empire. Déçue, elle voudrait bien maintenant sortir de Veolia. Mais à une condition : ne pas perdre d’argent, voire en gagner si possible. Ce qui pourrait prendre encore du temps. Et la famille, alors que Serge Dassault vieillit, que les difficultés judiciaires s’accumulent autour de lui, sans parler d’une succession qui n’est toujours pas réglée, est pressée. Elle a donc décidé de prendre les choses en main.

Même si la famille Dassault n’est qu’un actionnaire minoritaire chez Veolia, elle se considère un peu comme propriétaire en titre, comme à chaque fois où elle siège dans un conseil. Comme elle l’a fait chez Thalès, où elle a imposé par deux fois un nouveau dirigeant, elle pense qu’un nouveau président, plus attentif à ses intérêts et à ses vues, serait le bienvenu.

D’autant qu’une occasion rêvée se présente, qui peut permettre un changement naturel : le mandat d’Antoine Frérot arrive à expiration lors de la prochaine assemblée générale du groupe en juin. Un conseil d’administration est prévu le 12 mars sur la gouvernance du groupe. À cette date, les administrateurs doivent se prononcer sur le renouvellement ou non d’Antoine Frérot, ou sur le nom d’un autre candidat à présenter lors de l’assemblée générale. Il serait dommage de rater une telle occasion.

Selon nos informations, la famille Dassault a passé plusieurs semaines à consulter amis et proches pour trouver le candidat idéal. Ils ont finalement jeté leur dévolu sur David Azéma. À plusieurs occasions, notamment lors de la deuxième succession chez Thales justement et lors de la renégociation du pacte d’actionnaire chez EADS – Dassault était indirectement partie prenante puisque EADS détient 48 % du groupe, en place de l’État français –, ils ont pu apprécier les qualités du dirigeant de l’APE. Il n’a rien fait qui puisse les gêner. Au contraire, il a veillé à ce que l’État continue à se porter garant de la stabilité du groupe Dassault.

L’ancien directeur financier de la SNCF, nommé à ce poste par la gauche dès l’élection présidentielle, fait de toute façon l’unanimité chez les patrons. Tous félicitent ce haut fonctionnaire pour son pragmatisme et sa compréhension du monde des affaires. « Il comprend les problèmes. Il sait parler au marché », disent-ils. Ce qui dans la bouche des dirigeants n’est pas un mince compliment, bien que sa fonction première, en tant que représentant de l’État actionnaire, n’est peut-être pas de savoir parler au marché.

Le choix de David Azéma est aussi présenté comme une politesse faite au gouvernement de gauche par la famille Dassault. « Alors qu’il n’y a plus beaucoup de postes disponibles. À part la RATP, car Pierre Mongin ne va pas être reconduit, il ne reste quasiment rien. Choisir un haut fonctionnaire, marqué à gauche, est une façon d’envoyer un signal amical à l’Élysée », explique un connaisseur du dossier. Mais qu’aurait donc de plus à demander la famille Dassault, elle qui vit en concubinage notoire avec l’État depuis des décennies ? Une clémence judiciaire alors que le dossier de Corbeil-Essonnes devient de plus en plus explosif pour Serge ? (Voir notre dossier : le scandale Dassault.)

Courant janvier, David Azéma a été approché pour se voir proposer le poste de P-DG de Veolia en remplacement d’Antoine Frérot. Après avoir refusé, il aurait finalement accepté il y a une dizaine de jours, selon nos informations. La présidence de Veolia ne se refuse pas. Nous avons tenté de vérifier ces informations auprès de lui. Il n’a pas répondu.

Selon nos informations, l’Élysée aurait aussi été informée du possible départ du président de l’APE et n’aurait pas fait d’objection à ce qu’un membre de son équipe parte aussi rapidement. Interrogé, Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui est présenté comme celui qui aurait supervisé cette affaire, répond : « L’Élysée n’a pas à donner de feu vert sur ce sujet. L’État n’est pas actionnaire de Veolia. »

Perte d'influence politique

Le fait qu’un haut fonctionnaire navigue entre public et privé ne semble poser de problème à personne : le pantouflage fait désormais partie des usages bien établis de notre

 

Charles Edelstenne et Serge Dassault  
Charles Edelstenne et Serge Dassault © Reuters

oligarchie républicaine. La commission de déontologie, selon les défenseurs de sa candidature, ne devrait mettre aucune objection à ce départ de Veolia. David Azéma n’a jamais eu à traiter un dossier concernant l’entreprise privée.

Pourtant, en dépit des assurances des uns et des autres, la situation est un peu plus complexe. David Azéma siège au conseil d’administration d’EDF en tant que représentant de l’État. À ce titre, il a eu à se prononcer sur le partage de Dalkia, la société commune entre EDF et Veolia dans la gestion de l’énergie. À l’issue de négociations compliquées, les deux groupes ont entériné leur divorce : EDF a récupéré les activités de la société en France, Veolia celles à l’international. De même, difficile de croire qu’il ait été complètement exclu des dossiers de la SNCM (transports maritimes entre la Corse et le continent), dont Veolia est actionnaire ou de Transdev, la filiale commune de transports entre le groupe privé et la Caisse des dépôts. Sans parler de la gestion des participations conjointes entre l’État et la famille Dassault dans l’industrie de défense.

Mais tout cela ne sont que broutilles, à entendre les uns et les autres. Il n’y a que les suspicieux qui voient des conflits d’intérêts partout.

Dès l’accord de David Azéma, les administrateurs représentant la famille Dassault – Thierry Dassault et surtout Olivier Costa de Beauregard – se sont mis en action pour fomenter leur coup d’État au sein du conseil. Mais cela s’est fait de façon si voyante et si bruyante que tout Paris l’a su. Comme le raconte le Point, un déjeuner, censé être secret, a été organisé avec certains membres du conseil dans un grand restaurant parisien. Des démarches ont aussi été entreprises auprès des administrateurs les plus influents afin de les convaincre de débarquer Antoine Frérot et du bien-fondé de la candidature de David Azéma.

« C’est un conseil qui ne ressemble à rien, tiraillé entre diverses parties. Chacun a son agenda, son candidat », résume un grand connaisseur du dossier, pour expliquer les querelles et les tentatives de débarquement à répétition de son président. « L’ennui pour ceux qui veulent renvoyer Antoine Frérot – et ils ne semblent pas être la majorité –, est qu’ils ne savent pas comment justifier ce débarquement. Antoine Frérot a rempli tous les objectifs que le conseil lui avait fixés », poursuit-il.

En moins de trois ans, Veolia a réduit son endettement de plus d'un tiers. Il a abandonné des métiers comme le transport, cédant progressivement sa participation dans Transdev à la Caisse des dépôts. Dans les autres activités, Antoine Frérot a mis un terme à la vieille culture du groupe, cultivant l’expansion tous azimuts et les baronnies locales. Conscient que la rente de l’eau est en voie d’épuisement, il a imposé un nouvel modèle économique : le groupe s’internationalise et vise désormais les marchés de services à l’environnement (eau, gestion des déchets, gestion énergétique) auprès de grands groupes industriels. Avec un certain succès. Veolia vient de remporter plusieurs grands contrats auprès de Shell ou Novartis. C’est exactement ce que le conseil réclamait.

Tout ceci ne se fait pas sans heurt, ni sans sacrifice. Pour la première fois de son histoire, Veolia a réduit son expansion en France, réduit ses coûts et supprimé des effectifs. Un plan social de 1 600 personnes, dont 700 départs volontaires et départs naturels, a été imposé à la filiale eau française. Un choc. En décembre, l’intersyndicale du groupe (CFDT, CFE-CGC, CGT et FO) a violemment contesté la gestion du groupe. « Sachez qu'il nous faudra bien plus que des mots, mais bien des éléments économiques chiffrés, étayés et vérifiables, pour nous démontrer que l'entreprise est contrainte d'en passer par là pour garantir sa pérennité », avaient-ils écrit dans une déclaration commune. Ils demandaient à la direction de privilégier la mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois « avant d’envisager tout licenciement », avant de réclamer la démission d’Antoine Frérot.

Aujourd’hui, les administrateurs représentant la famille Dassault s’appuient sur cette contestation sociale pour justifier le remplacement d’Antoine Frérot. « Si les salariés savaient ce que demandait Serge Dassault ! Il réclamait 4 000 suppressions d’emplois en France. "Moi, je supprime 10 % des effectifs au Figaro chaque année, Veolia peut bien en faire autant", expliquait-il », selon un membre du conseil.

De même, les partisans du remplacement d’Antoine Frérot mettent en avant sa gestion du dossier SNCM, la société qui assure la liaison entre la Corse et le continent. Matignon, expliquent-ils, n’aurait pas apprécié les rapports orageux avec le patron de Veolia dans la gestion du dossier. Et ce serait lui qui aurait demandé son remplacement. Matignon a démenti toute intervention dans Veolia. « Antoine Frérot a hérité d’un dossier pourri. Henri Proglio n’aurait jamais dû répondre à la demande de Dominique de Villepin (alors premier ministre) et engager Veolia dans cette aventure. Maintenant, il essaie de s’en sortir le moins mal possible. Mais si l'on avait écouté les représentants de Dassault, Veolia déposait le bilan de la SNCM en juin brutalement, sans mesure d’accompagnement. Vous imaginez le désastre », poursuit cet administrateur.

Au bout du compte, si les représentants de Dassault ont un reproche à faire à Antoine Frérot, c’est de ne pas aller assez vite, assez fort dans la restructuration du groupe. Des économies partout, des plans sociaux importants sont des signaux appréciés en Bourse. Cela fait remonter le cours.

À cela s’ajoute un autre grief, plus difficile à exprimer à haute voix : certains administrateurs critiquent la gestion des relations avec les collectivités locales de la nouvelle direction. Veolia n’aurait plus la même intimité, le même rapport d’influence avec les maires. Antoine Frérot ne saurait pas y faire avec les élus, expliquent-ils à voix basse. Bref, Veolia serait en train de changer d’ADN et de se dépolitiser. Il y a encore du chemin à faire dans ce sens (voir Marseille : les 350 millions de cadeau de Gaudin à Veolia). Mais ils y voient un grand risque pour le groupe de perdre de sa valeur et de son influence.

La nomination de David Azéma permettrait de rattraper cette dérive. Lui sait ce que sont les relations avec les collectivités locales : il a été dirigeant de la SNCF. Il connaît le monde politique. Ainsi, tout pourrait redevenir comme au bon vieux temps.

 

Lire aussi

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 20:13

 

Source : collectiflieuxcommuns.fr

 

Contre la Constituante (1/2)
La démocratie directe sans le peuple ?
jeudi 6 février 2014
par  Collectif
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ContreLaConstituante

« C’est ainsi qu’avance l’histoire, en se bouchant la mémoire comme on se bouche les oreilles. (…)
Mais quoi ? l’histoire n’est amère qu’à ceux qui l’attendent sucrée...
 »

Sandor Krasna, Sans Soleil, Chris Marker, 1983

 

Depuis quelques années, le relatif regain d’intérêt pour la démocratie directe a en­gendré une multi­tude d’ini­tiatives, essentiellement par l’intermédiaire de sites web, de blogs, de forums ou de listes de diffusion indépen­dants des groupuscules et partis politiques. Ces individus ou collec­tifs, issus ou non du mouvement des « indi­gnés » français du printemps 2011, pourraient à l’avenir former un milieu politique fertile, à condition de rompre leur isolement réciproque pour éprouver leurs positions [1].
Depuis peu s’y développe un courant d’idées bien par­ticulier, gravitant autour d’une idée cen­trale : la voie vers la démocratie directe passerait par la convocation d’une assemblée Constituante composée de personnes tirées au sort parmi la population et chargées d’établir une nouvelle constitution française.
Cette approche rompt, salutairement mais sans le dire, avec de nombreux présupposés idéologiques hérit­és des mouvement politiques qui ont ravagés le XXe siècle et qui visaient, eux aussi, un changement radi­cal de so­ciété. Mais c’est, nous semble-t-il, pour retomber dans d’autre illusions. C’est donc à la discussion de celles-ci que ce texte voudrait inviter.

Le courant pro-Constituante

La nébuleuse dont il est ici question paraît large­ment s’inspirer d’Étienne Chouard. Celui-ci s’est poli­tisé et fait connaître lors du référendum pour le Traité Constitutionnel Européen de 2005. Il avait alors pré­senté un contre-argumentaire qui avait rencontré un écho important. Prenant acte de la victoire du « non », et à re­bours du vide politico-intellectuel contempo­rain, il a depuis entrepris une réflexion visant à avan­cer une alternative à l’Europe techno-bureaucratique. Cela l’a amené, de manière très cohé­rente et en décou­vrant l’histoire politique de la Grèce Antique, à cette proposition de Constituante tirée au sort, moyennant un blog prolifique (« Le plan C ». Peu-à-peu, d’autres initiatives lui ont emboîté le pas (« Le Mes­sage », «  Gentils Virus », etc) ou s’en sont inspiré plus ou moins explicitement (« Vraie démocratie », « Ob­jectif dé­mocratie », « La Constituante en marche », « La démocratie », « Les citoyens constituants », etc).
Ce courant nous est proche à trois égards : d’abord, il part d’une critique du régime actuel, du mode élec­toral et du gouvernement représenta­tif, per­çus comme l’expression politique de l’oligarchie qui domine la société. Cette contestation se fait dans des termes très proches de ceux que nous employons depuis des an­nées. De même, sa référence à la Grèce Antique lui fait très clairement concevoir la démocratie directe à travers des notions ou­bliées : assemblées générales souveraines, mandats impératifs, destitution des délégués, tirage au sort, rotation des siège ou reddi­tion des comptes. Enfin, son approche détone d’avec l’encombrant héritage marxiste-léniniste qui imbibe toujours, mezzo voce, les franges gauchisantes rêvant d’un Grand Soir organisé pour porter au pouvoir quelques déten­teurs de la Vérité Historique — ou d’avec son symétrique, un spontanéisme anarchisant misant angéliquement sur le surgissement soudain de rapports sociaux harmonieux et apaisés. Ces formes de messianisme allant de pair avec le fait de re­mettre toujours à plus tard la conception d’une autre organi­sation de la société, leur refus permet donc — à nous comme au courant pro-Constituante — l’ouverture de véritables chantiers politiques.

Projet et critiques

Pour autant, à l’examen, le projet de ces militants pro-Constituante présente une multitude de lacunes, d’inco­hérences ou de contradictions — que les contre­-argumentaires proposés ne font qu’approfondir et multiplier — et qui ne peuvent que discréditer leurs porteurs et notre visée politique. Ce sont elles que nous allons pointer en sui­vant, étape par étape, le proto-scénario que l’on peut déduire de leurs écrits. Résumons ce­lui-ci en quelques mots :
1) La Constituante est convoquée par un moyen ou un autre (référendum, initiative du Chef de l’État...) ; 2) les délégués sont tirés au sort parmi la population ; 3) ils travaillent durant un temps déterminé à l’élabo­ration d’une nouvelle constitution française instaurant la démocratie directe ; 4) cette Constitution est sou­mise à ratifi­cation par référendum.

Voilà le projet, tel qu’il se présente dans sa version la plus répandue, et la plus sérieuse.

Mais avant d’entrer dans le détail, livrons d’emblée l’axe principal de notre critique : Les pro-Consti­tuantes veulent la démocratie directe mais sans l’acti­vité foisonnante d’un peuple visant une transformation sociale, idée à laquelle ils associent sans doute le dé­chaînement de la violence, alors que nous y entendons tout autre chose : l’auto-organisation des gens, c’est-à­-dire la formation d’institutions autonomes locales se substituant aux pyra­mides hiérarchiques actuelles. Ce refus du soulèvement populaire et de l’élaboration d’une autre société par les premiers concernés amène paradoxalement les pro-Constituante à évincer de leur scénario le principal acteur : le peuple. Option sans doute renforcée par la conscience, ou du moins l’intui­tion, que les aspirations de nos contemporains sont sensiblement éloignées de ces visés.
Cette éviction tacite des gens ordinaires porte donc les pro-Constituante à viser une action uniquement insti­tutionnelle, légaliste et technique, sans qu’il ne soit jamais exigé du peuple, relégué au statut d’entité abstraite, autre chose qu’une adhésion for­melle à l’idée surplombante d’une Constituante tirée au sort [2]. Jamais, nulle part, n’est envisagée sérieusement une pratique autonome des gens telle qu’elle a pu se déployer dans toutes les révolutions depuis deux ou trois siècles, en s’opposant à d’autres forces sociales. C’est pourtant par ce processus constituant que la collectivité invente une autre organisation sociale, et se crée elle-même en tant que sujet politique. En ne citant qu’à titre d’illustration l’histoire, l’héri­tage et l’expérience de la démocratie directe légué théoriquement par les Lumières, puis pratiquement par les révolutions, le mouvement ouvrier et ses suites, nos pro-Constituante en évacuent le trait essentiel : la praxis, ce lien indissoluble entre la pensée et l’action politique populaire, qui fonde la légi­timité de chacun à s’occuper des affaires de tous. Leur approche, on le verra, ne protège des crises et de la violence qu’au prix de l’échec et de la récupération politique. Elle s’interdit de penser réellement une auto-transforma­tion ra­dicale de la société, qui ne peut demeurer à cette heure, faut-il le préciser, qu’une interroga­tion ou­verte.

Avant d’avancer quelques pistes en conclusion, nous évoquerons les soubassements idéologiques de cette mouvance qui prône une « révolution par le haut », à l’instar des tenants du « revenu garanti », qui apporte­ront quelques éléments de compréhension quant à l’aveuglement d’É. Chouard et de ses plus proches défen­seurs vis-à­-vis des milieux d’extrême droite ou complotistes [3].

1 — Processus de convocation de la Constituante

Tel que le présente les pro-Constituante, le proces­sus amenant à la formation de l’assemblée Consti­tuante est très flou : il est question de « pression popu­laire » et/ou de l’élection d’un Président de la Répu­blique qui s’enga­gerait à convoquer ladite Consti­tuante, sans plus de détail, comme beaucoup l’ont fait depuis (Mélenchon, Montebourg,...). Un peu plus conséquents et sérieux, des sites évoquent, mais par des processus identiques, l’établis­sement préliminaire de Référen­dums d’Initia­tives Po­pulaires, consul­tations initiées par une part significa­tive de l’électorat, dont le mo­dèle suisse est le plus connu.

Improbabilité du Référendum d’Initiative Popu­laire (RIP)
Ce 19 novembre 2013, l’Assemblée Nationale a bel et bien adopté le RIP... mais en le rendant totalement in­applicable [4] ! Cet épisode laisse entrevoir ce qu’une telle initiative peut devenir dans le contexte actuel, avec d’un côté un pouvoir en panne de légitimité et de l’autre une population marquée par le chacun-pour-soi et qu’aucun projet commun ne rassemble plus. Les domi­nants seront d’autant plus enclins à récupérer ce type de consultation que dans les années qui viennent, les réactions de la population vont aller croissant face à la dégradation permanente de ses condi­tions de vie. Ces référendums ne seront alors qu’un moyen d’acheter momentané­ment la paix sociale au prix de quelques concessions, au coup par coup et sans remettre en question l’ordre social existant. Cela peut aussi de­venir un moyen effi­cace de s’allier la population par un chantage à « l’una­nimisme républicain » face aux mul­tiples crises qui convergent et commencent à faire sentir leurs effets très concrète­ment. De son côté, une population conserva­trice et pa­niquée peut transformer ce genre de consultation po­pulaire en instrument au service du maintien de ses privilèges ou à l’adoption de mesures réactionnaires. L’exemple suisse, sans être univoque, est tout de même instructif.
C’est pourquoi faire du RIP un fétiche est particu­lièrement mal venu. L’essentiel ici est moins le dispo­sitif en lui-même que l’état d’esprit de la population, qui s’en empare (ou pas) pour en faire en fait (ou pas) un ins­trument dé­mocratique au service du bien commun.

Improbabilité d’un référendum sur une Consti­tuante tirée au sort
Mais passons sur les modalités de déclenchement d’un tel référendum, et abordons la question des résis­tances que pourrait soulever une question référendaire portant sur rien moins qu’un changement de régime poli­tique.
Il semble évident que toute initiative met­tant sérieusement en cause les échelles de souveraineté en place verra se mobiliser contre elle l’État et tous ses services officiels ou secrets, tous les lobbys écono­miques internationaux, les médias et les per­sonnalités et bien entendu tous les appareils politiques et syndi­caux qui ne peuvent être qu’oligarchique par essence [5]. Si jamais une campagne de référendum pour la dési­gnation d’une as­semblée Constituante tirée au sort a lieu, elle subira une offensive de dénigrement telle qu’on en a rarement vu dans l’histoire, renouant avec des pratiques immémoriales mais oubliées des euro­péens repus (à noter que la so­ciété est à ce point déla­brée qu’il suffirait même au pouvoir de suspendre simplement ses activités de maintien de l’ordre pour voir s’ins­taurer une terreur par en bas et susciter une panique sociale). A moins qu’elle ne subisse un escamotage ulté­rieur : l’expé­rience, inaugurale pour certains, du référendum de 2005 sur la constitution européenne finalement impo­sée deux ans plus tard par le parlement est édifiante. Que la population se révolte alors et le pays se retrouvera dans une situation de crise politique in­édite. Son issue est prévisible : L’oligarchie en sortira par la voie royale ouverte par les contestataires eux­-mêmes en convoquant effectivement une Consti­tuante, mais com­posée cette fois de personnalités nommées par élections.
C’est ce que propose par exemple actuellement le Par­ti de Gauche, qui y trouvera l’occasion d’y placer de nouvelles têtes fraîchement encartés et fermement tenues par la nomenklatura. Rien n’en sortira hormis la consolidation du pouvoir de quelques-uns. L’exemple, tant van­té, de « la révolution islan­daise », et notamment sa Constituante invali­dée en 2011 après trois mois de travail, devrait servir de leçon tant le feuilleton des forfaiture des briscards de la politique y est paradigmatique.

2 — Désignation des délégués

Mais admettons que le principe initial d’une Constituante tirée au sort soit finalement adopté. Un tel mode de désignation, résolument novateur dans la France d’aujourd’hui, pose un certain nombre de pro­blème, et notam­ment celui de la représentativité, qui est pourtant le principal argument de ses partisans.

L’auto-sélectivité des délégués
Soit ce tirage se fait a priori au sein du corps élec­toral, soit il se fait parmi une liste de volontaires. Pla­çons-nous dans le second cas (ou dans les deux en ad­mettant le refus de siéger serait scrupuleusement res­pecté et qu’il sera un recours d’autant plus utilisé que chacun saura qu’il s’agit d’une magistra­ture absolu­ment dé­terminante pour l’histoire du pays et que chacun sera au centre de toutes les atten­tions) : le filtre de l’auto­-désignation sera un biais inévitable. Nous retrouve­rons donc ces biais déjà biens connus par les ju­rés d’assises, mais démulti­pliés au cen­tuple : ne siégeront que ceux qui considèrent leurs opinions présentables et s’estiment apte à siéger, c’est-à­-dire à faire partie de l’élite qui de facto dessinera l’avenir pour des décen­nies. Faut-il alors préciser que l’assemblée sera en ma­jorité composée par la classe moyenne, masculine, blanche, éduquée, insérée, va­lide, ci­tadine, etc. [6] ? Les exceptions seront ramenées à leurs statuts de déviants lors des toutes premières délibérations solennelles par les mé­canismes bien connus de disqualification et de conformisme groupal. Telle est la société actuelle et telle sera l’assemblée Constituante, si aucun processus ne vient bousculer au sein du peuple lui-même les représentat­ions sociales qui maintiennent l’organisation sociale telle qu’elle est.

Représentativité problématique
Mais faisons momentanément fi de ces considéra­tion psycho-sociologiques, et admettons que les quelques milliers de délé­gués seront « représentatifs » de la société actuelle, au pourcentage près — on atten­dra pour sa­voir les cri­tères de cette « représentativi­té ».... Ils compterons alors, comme le pointe par exemple très perti­nemment « Objectif Démocratie » sans y répondre convenablement, 7 % d’illettrés et près de 30 % ne maîtrisant pas la lecture, facteurs qui ne disqualifient certainement pas à l’exercice démo­cratique mais qui rend éminem­ment probléma­tique un travail constitutionnel de type parlementaire. Bien plus : la Consti­tuante sera, à l’image du pays, profon­dément et irrécus­ablement divisée entre classes sociales, classes d’âge, affiliation idéologiques voire appartenances religieuses ou ethniques, corpora­tions, lobbys, etc.

Sans aucun rema­niement des opinions provoqué, comme en Mai 68, par la créativité collective d’un bouillonnement social de la société , d’un peuple ex­périmentant et mettant à l’épreuve par son action même les idées, les principes et les affiliations les plus diverses, sans l’immense effort popu­laire nécessaire pour sortir des impasses idéologiques en inventant des idées nouvelles et en se réappropriant les expériences du passé, les dé­bats de l’assemblée Constituante ne pourront que s’embourber dans tous les faux clivages contemporains ou en créer de nouveaux dans lesquels la population ne se reconnaîtra pas.

3 — Travail de la Constituante

Mais passons outre une fois de plus : voilà nos dé­légués lambda assis sur leurs sièges de l’assemblée, tra­vaillant pour le bien du peuple, mais sans aucun contrôle de celui-ci... La situation rappelle celle dénoncée : Car on retrouve ici intacte l’idée selon la­quelle le pou­voir de décision repose toujours entre les mains de quelques-uns, tandis que le peuple est invité à per­durer dans sa passivité, selon le prin­cipe fondamental du système représentatif [7].

Des délégués incontrôlables
Car que la population se passionne pour ces débats ou en attende patiemment des solutions à ses pro­blèmes, elle n’a rien à en dire, ces tirés au sort étant absolument souverains de leur jugement, s’informant, dé­libérant et décidant en leur for intérieur. Il faut être clair : Ils ont été nommés, eux, pour élaborer une nou­velle constitu­tion, et on ne voit pas au nom de quoi ils auraient des comptes à rendre quant à leurs choix, ni à qui, pendant leur mandat comme après. Certes, cer­tains parlent « d’ateliers constituants lo­caux » compo­sés de ci­toyens chargé d’épauler les délégués dans leur travail. Mais si ces délégués décident sous influence, alors ces « ateliers », qu’ils soient de gauche ou d’extrême-droite, seront de bien peu de poids face aux pressions extraordinaires auxquelles seront soumis nos élus, de la part de tout ce que l’oligarchie compte de think tanks, de groupes d’intérêts, de ré­seaux d’influence, de lobbys plus ou moins officiels, de circuits de corruption, de pressions mafieuses, etc. C’est, très exactement, ce qu’ont vécu les tunisiens, ou même les français devant le spectacle régulier de l’ascension hiérarchique dans l’entreprise ou dans les institutions républicaines... A moins d’isoler totale­ment les délégués de toute in­fluence, donc de les couper radicalement d’une vie sociale qui faisait d’eux autre chose que des profes­sionnels de la poli­tique.

Une constitution enfin démocratique ?
Ces quelques milliers de personnes chargées d’écrire « seules » une constitution pour la France ont été désignées parce qu’elles ne sont jus­tement pas spécialistes de la poli­tique. Sans aucune prépara­tion et provenant d’un peuple vivant dans l’apathie depuis des générations, sans aucune expé­rience du pou­voir réelle­ment démocratique, ni même de pratiques sociales ou politiques un tant soit peu dé­gagées de la mentalité oligar­chique, elles auront à fixer l’organisation de la vie politique d’un pays habité par 70 millions d’habitants et comptant parmi les dix grandes puissances mondiales. En­fants de De Gaulle, de Mitterrand et de Sarkozy, on voit mal nos délégués systématiser l’amateurisme en politique, instituer des assemblées sou­veraines, et dé­manteler l’État comme organe séparé du corps social, re­quisit minima pour parler raisonnablement de démo­cratie di­recte.
Il y a fort à pa­rier que nos repré­sentants ne façonneront qu’une constitution qui ressemblera fort à celles que nous avons connues, sans doute agré­mentée de quelques organes consultatifs ou contre­-pouvoirs citoyens — c’est d’ailleurs la perspective ex­plicite d’E. Chouard lui-même [8].

(.../...)

Voir la seconde partie

 

[1] On lira à ce propos l’Introduction générale dans la brochure Démocratie directe : principes, enjeux perspectives, première partie : Contre l’oligarchie, ses fondements politiques, sociaux et idéologiques, Avril 2013, disponible sur note site : https://collectiflieuxcommuns.fr/sp...

[2] On lira par exemple « Objections contre une Assemblée Constituante Tirée au Sort » http://projetgentilsvirus.ouvaton.o...

[3] Même sans avaliser l’hystérie collective des prétendus « anti­fascistes » qu’unit la haine gauchiste pour les réalités popu­laires, il est difficile d’admettre que l’inté­ressé refuse explici­tement de clarifier ses positions vis-à-vis de gens tels qu’Alain Soral, Robert Mé­nard, Yvan Blot ou en­core Robert Faurisson, par exemple.

[4] Cf. l’article de Hélène Bekmezian dans Le Monde du 19.11.13 (repris sur notre site : https://collectiflieuxcommuns.fr/sp...), sobrement intitulé : « Le référendum d’initiative partagée, trop com­pliqué pour être vraiment efficace », et celui de Ro­seline Letteron du site Contrepoints.org] dont l’intitulé est plus évoca­teur : « Adoption du référendum d’initiative popu­laire, sans initiative populaire ». La nou­velle n’a étrange­ment pas été re­layée sur les sites en question.

[5] Voir l’inusable R. Michels Les partis politiques - Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, (1914, Flam­marion, 1971), dont un chapitre est disponible sur notre site.

[6] On lira par exemple avec intérêt « La Cour d’assises en exa­men. Réflexion-témoignage d’un juré sociologue » d’André­-Marcel d’Ans, paru dans la revue Droit et Société n° 54, 2003, pp. 403 — 432, consultable ici : http://www.reds.msh-­paris.fr/publ...

[7] On nous pardonnera de renvoyer les pro-Constituantes à leur bible, Principes du gouvernement représentatif de B. Manin (1995, Flammarion 1996), qui, rappelons-le, comporte plu­sieurs parties, dont certaines traitant de « la marge d’indépen­dance des gouver­nements ».

[8] « Les grands principes d’une bonne Constitution, qui prou­veraient la guérison de notre démocratie », octobre 2005 — 2007, pp. 7 sqq. consultable ici : http://etienne.chouard.free.fr/Euro.... Ou alors, comme l’intéressé l’envi­sage, nos délégués n’auront pas à se « renseigner » eux­-mêmes sur toutes ces questions, mais seront « conseillés » par « des parlementaires et ministres » (id.)... Est-ce sérieux ?

 

 

Source : collectiflieuxcommuns.fr

 

 

 

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 17:54

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

Croissance : la gueule de bois des déclinistes

|  Par Hubert Huertas

 

 

 

Les économistes officiels disaient donc des âneries. Ils s’étranglaient avec des mines de fossoyeurs excédés, en assurant que la France était à la traîne de l’Europe, et que le différentiel avec l’Allemagne ne cessait de se creuser. Ils ont tout faux depuis ce matin, après la publication des chiffres de la croissance.

À entendre la plupart des économistes, la sagesse et le réalisme conduisent à engager “la réforme structurelle”, c’est-à-dire à imposer des mesures de rigueur, comme en Allemagne. Or la France ne se porte pas bien, mais pas plus mal que son voisin, et même un peu mieux que la moyenne de l’Europe. Ce n’est pas le modèle français qui est en cause, c’est celui de l’austérité.

Tous ces savants ont donc la gueule de bois. Depuis le temps qu’ils se saoûlaient à la mauvaise nouvelle, les résultats de 2013, pourtant fragiles, leur font l’effet d’une douche glacée.

Quelle catastrophe, il n’y a pas de catastrophe !

Ils rament donc pour trouver des raisons d’espérer, c’est-à-dire de désespérer.

Dans le Nouvelobs.com, Philippe Crevel, économiste chez l’assureur Generali, met en garde comme la plupart de ses collègues contre un “risque de stagnation”, et souligne que « si le résultat est supérieur aux attentes du gouvernement, il est tout de même inférieur à sa prévision initiale, qui était de 0,9 % en janvier ».

Ouf !

Ne lui dites pas qu’en Allemagne la prévision initiale était de 1,8 % pour 2013, avant d’être ramenée à 0,8 cet automne, puis à 0,4... Il croit que la France est un cas unique en Europe.

D’ailleurs, il précise sa pensée : si la France a surpris positivement, c’est « grâce à la politique européenne » qui aurait accordé un délai pour réduire le déficit. Ne lui dites pas que les vingt-huit pays de l’Union européenne ont affronté une récession moyenne de - 0,4, donc que la France fait partie des moins malades sur un vieux continent anémique.

Dans le journal La Tribune, un éditorialiste du marché des changes a mis en ligne ses prévisions et commentaires, une heure avant la publication de l’Insee. Il annonçait « une croissance atone de 0,1 % et un résultat qui aurait pu être bien pire s’il n’y avait eu un léger mieux au niveau de la consommation des ménages ». Il a dû faire la grimace en apprenant que l’investissement des entreprises était redevenu positif après deux ans de régression, et que le nombre d’emplois salariés avait un peu progressé au dernier trimestre 2013.

Pas de quoi pavoiser, certes, et Pierre Moscovici, bien que légèrement euphorique, s’efforçait à la modestie. Mais il y a comme un contraste : quand on prédit le désastre à longueur d’éditos, comme Nicolas Baverez, une annonce à peine passable a l’air d’être une bonne nouvelle…

Au-delà de l’anecdote, c’est-à-dire de la bisbille politicienne entre un gouvernement qui essaiera de s’attribuer les mérites d’un timide redémarrage, et une opposition qui voudra les minimiser, cette modeste embellie met en avant l’une des questions les plus politiques du moment, et sans doute les plus taboues.

Le déclin de la France est devenu un discours obsédant. Une espèce d’évidence officiellement technique. Un raisonnement de bon sens, implacable dans l’énumération des faits et des réalités. Ne pas y croire, et ne pas s’y soumettre, est une forme de sacrilège. Il faudrait « ouvrir les yeux », et admettre que la France « a pris du retard », notamment vis-à-vis de l’Allemagne, en refusant de mener à bien les fameuses « réformes structurelles » qui auraient permis à notre voisin d’outre-Rhin de résister à la crise et de connaître une croissance remarquable.

Selon cette « évidence », la France devrait faire du Gerhard Schröder. Le chœur des économistes le dit, le Medef aussi, la droite le répète, et François Hollande le confirme. Pour faire court (mais à peine…), il faudrait s’attaquer à l’État-providence, en réduisant le nombre de fonctionnaires, en limitant les services, en sabrant dans les allocations (chômage, santé, ou retraites par exemple)...

Officiellement, ce programme de “réformes” pieusement dissimulé sous l’expression de “Réduction des dépenses de l’État” ne serait pas politique, mais simplement comptable. Ce serait la seule voie possible pour équilibrer le budget, réduire l’endettement, rendre aux entreprises leur dynamique, et au pays sa souveraineté. S’y opposer serait un acte idéologique et antipatriote, une manière de condamner la France. Il faudrait accepter les sacrifices, les boulots à un euro, la précarité, l’écart croissant entre les riches et les pauvres, ce serait un investissement, la preuve : l’insolente réussite de l’Allemagne !

Il se trouve que depuis trois ans, contrairement au catéchisme ambiant, l’écart ne se creuse pas entre le pays qui n’a pas su faire “la réforme”, et celui qui a su. En 2010, le différentiel de croissance entre la France et son modèle était de deux points, en 2013 il n’est plus que de 0,1 point !

Il se trouve aussi que la France n’est pas la seule à stagner, et que son fameux modèle social, ce damné, ce galeux, dénoncé comme un conservatisme et une antiquité, n’est pas un problème majeur. Le problème fondamental dont nous souffrons court à travers tous les pays d’Europe, Allemagne comprise. Ce n’est pas un “modèle social”, c’est une politique européenne qui ne ferait pas de politique mais seulement de l’économie…

La croissance mondiale repart, l’Europe est à la traîne, mais le problème viendrait de ce que la France est trop frileuse, et qu’elle ne taille pas, ou pas encore, à la Gerhard Schröder, dans ses services publics et son système de protection sociale !

Si les chiffres publiés par l’Insee ne sont pas une victoire pour le gouvernement français, ils sont une défaite cinglante pour tous ceux qui brandissent l’Allemagne comme un modèle absolu, et la France comme un repoussoir.

Se tairont-ils enfin, ces prédicateurs d’apocalypse, ou se montreront-ils modestes ? Ils parleront encore plus fort, comme d’habitude. Le désastre économique et financier de 2008, qu’ils n’ont pas vu venir, n’a fait qu’amplifier leurs demandes de “réformes” libérales, et leur mépris pour les États qu’ils ont appelés au secours.

La preuve de l’échec de leur orthodoxie ne fera donc que les galvaniser. Déjà, ce soir, ils expliquent que compte tenu de la démographie française, la croissance de 0,3 rapportée au nombre d’habitants est en fait une récession !

Sauvés, nous sommes perdus !

Déjà, ils admettent que l’Allemagne a calé en 2013, mais se tournent vers 2014, et s’enthousiasment avec une statistique toute chaude : notre pays ferait du surplace tandis que son partenaire frôlerait les 2 %.

Quand on veut tuer sa France, on dit qu’elle a l’Allemagne ! Si cette controverse officiellement économique n’est pas une immense bataille politique, une vraie guerre 14-18, c’est que Newton a capturé sa pomme au lasso, et qu’Archimède a inventé l’aéroplane.

 

Source : www.mediapart.fr

 


 

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 17:29

 

Source : www.marianne.net

 

"Le néolibéralisme ne tiendra plus très longtemps"
Samedi 15 Février 2014 à 05:00

 

RICHARD SENNETT

 

Auteur du "Travail sans qualités", le philosophe américain, qui fut l'élève d'Hannah Arendt, revient avec un nouveau livre, "Ensemble", réflexion sur la faillite de la coopération dans les sociétés libérales avancées
. Sébastien Lapaque l'a rencontré à Paris.

"Le néolibéralisme ne tiendra plus très longtemps"
Ensemble est le deuxième volume d'une trilogie dont le sociologue et historien des idées Richard Sennett avait annoncé le plan dans son précédent livre, Ce que sait la main, la culture de l'artisanat (Albin Michel, 2010). Après s'être penché sur le goût du travail bien fait et sur l'élan spontané de solidarité, Richard Sennett s'intéresse au sentiment d'étrangeté. «Si grands sont les changements nécessaires pour modifier les rapports de l'humanité avec le monde matériel, explique-t-il, que ce seul sentiment d'être déplacé et étranger peut inspirer les pratiques effectives du changement et réduire nos désirs dévorants.» Ces «pratiques du changement» sont au cœur de son dernier livre. Comment faire en sorte que le bonheur et l'avantage d'être ensemble prennent le pas sur le repli tribal du «nous contre eux» ? Nous avons posé la question à ce phare de la pensée critique contemporaine, dont l'œuvre riche et variée est publiée en France depuis plus de trente ans.

Marianne : Au début de votre livre, vous évoquez la Politique d'Aristote : «L'homme est un animal social.» Ce retour à des choses très anciennes est-il une façon de rappeler que la coopération est une donnée anthropologique universelle ?

Richard Sennett : Oui. Je voulais d'abord montrer que la mise en relation de chaque individu avec des gens différents, et même étrangers, fonde l'expérience humaine. C'est une réalité qui a été occultée. Je suis un peu troublé par le sous-titre de la version française de mon livre : Pour une éthique de la coopération. Car il ne s'agit pas d'éthique, en fait ! Ce mot fait oublier que la coopération est une chose naturelle. Ce n'est pas un choix. Pour survivre, les animaux coopèrent, les hommes coopèrent... L'important, c'est de regarder comment ils coopèrent.

Et l'important, également, est de comprendre pourquoi ils ne coopèrent plus autant ?

R.S. : Pourquoi cette évolution contre nature ? A cette question, il n'y a pas une seule réponse, mais plusieurs réponses possibles. On ne peut pas se contenter de dire que c'est la faute du capitalisme. J'essaie de comprendre ce qui s'est passé en me souvenant de l'organisation sociale des Grecs et des Romains. Chez eux, la coopération était un devoir et un rituel interactif. A aucun moment, il n'était question de choix. C'est aujourd'hui que la coopération est devenue un choix.

Pourquoi vous intéressez-vous au socialisme français du XIXe siècle ?

R.S. : En France, aux XVIIIe et XIXe siècles, il existait, dans la société civile, un réseau riche et varié d'institutions coopératives, d'ateliers et de petites organisations qui constituaient une sorte de socialisme de fait, même si on n'employait pas alors ce mot-là. Je crois que c'est de là que vient la séparation, au début du XXe siècle, entre la gauche politique, celle des partis, et la gauche sociale, celle des syndicats. La chose qui m'étonne dans votre pays, la France, et que je ne comprends pas, c'est la raison pour laquelle ces institutions sociales et coopératives se sont brutalement effondrées.

Dans un chapitre intitulé «Le grand chambardement», vous esquissez une réponse : l'accroissement des inégalités. Selon vous, c'est ce phénomène qui explique le repli tribal auquel nous sommes confrontés ?

R.S. : Dans une certaine mesure, mais regardez comment étaient autrefois organisées les armées sur les champs de bataille. Il y avait à la fois des soldats et des officiers. Mais l'inégalité n'empêchait pas la coopération. Ce qui est nécessaire, pour que cela fonctionne, c'est une formule qui légitime les relations sociales. Ce que j'ai appelé le «triangle social», dont les trois côtés sont l'autorité acquise, le respect mutuel et la coopération. Le problème, c'est quand l'espace de légitimation est vide. A ce moment-là, l'inégalité est brute et la possibilité de coopération, détruite. C'est une observation pratique. On l'a vu dans les entreprises financières de Wall Street que j'ai étudiées au moment de la crise de 2008. Avec leur mentalité très agressive, très individualiste et très inégalitaire, beaucoup de ces entreprises se sont effondrées par manque de cohésion sociale. Au premier problème, tout le monde a fui. Il manquait le triangle social capable de soutenir l'ensemble. Je dis cela parce qu'on a tendance à le négliger. Nous sommes disposés à considérer que la compétition est plus fondamentale que la coopération. C'est une forme de romantisme. Car la coopération, mêlée avec la compétition individuelle, est nécessaire aux affaires humaines. L'idée que ce serait un choix ou un luxe, et non quelque chose de fondamental, est fausse.

C'est drôle que vous parliez de romantisme. Ne sommes-nous pas plutôt tentés de penser que c'est la morale de l'atelier qui est romantique ?

R.S. : Je ne suis pas d'accord. Regardez ce qui se passe en Asie avec la microfinance et les petites coopératives. Dans ce qu'on appelait autrefois le tiers-monde, on voit émerger tout un réseau de petits artisans extrêmement efficaces. Est-ce que cela va perdurer ? Est-ce que cela va réussir ? Je n'ai pas la réponse, mais on voit bien que c'est un moyen de développement qui suit exactement l'esprit des coopératives du XIXe siècle. Nous avons une réponse extraordinaire au néolibéralisme. Derrière le flux global se dessine un futur possible. Il y a des leçons à prendre dans l'organisation sociale du XIXe siècle et dans ces expériences contemporaines.

Vous parlez vous-même de «bête capitaliste». Comment pouvez-vous croire que cette bête qui privatise le vivant, prétend que les semences et l'eau lui appartiennent, va laisser prospérer des petites mutuelles agricoles ?

R.S. : Parce qu'elles sont trop petites ! Ces associations locales sont invisibles pour le capitalisme prédateur. Elles ne sont pas de taille à intéresser les gens qui travaillent en milliards de dollars. Certains pensent que je rêve, mais j'y crois absolument.

Dans votre livre, ce que vous dites du narcissisme contemporain, notamment à propos de Facebook, des comportements sociaux négatifs, de la «comparaison envieuse», de l'impossibilité, voire de l'interdiction du travail bien fait dans les sociétés libérales avancées, ne laisse-t-il pas l'impression d'un saccage culturel qui rend impossible le retour aux solidarités concrètes ?

R.S. : Pour les autres, oui, mais pas pour moi ! C'est vrai que, parmi les jeunes, les déçus de la gauche politique se sentent vraiment écrasés. Il y a peu de jeunes gens qui croient que l'action politique peut être efficace dans la vie. Mon espoir est dans les associations, les coopératives et les syndicats. Je crois qu'il existe aujourd'hui une alternative pour la gauche, et je ne crois pas que, pour vous, ce soit François Hollande.

Vous évoquez la conversion de la gauche politique au marché et parlez de la puissance d'intégration culturelle du néolibéralisme. Ne faut-il pas discerner quelque chose d'implacable, peut-être même de totalitaire, dans l'évolution actuelle du monde et de la vie ?

R.S. : Peut-être que le néolibéralisme sera une chose très courte dans l'histoire des hommes. Ce n'est pas un système viable. Je persiste à croire qu'il est mauvais pour l'individu, destructeur de soi et des autres. Je suis persuadé que tout cela ne durera pas. Très court, je vous dis. Comptez. Depuis combien de temps vivons-nous sous ce régime ? Trente ans, quarante ans ? C'est restreint. C'est presque fini. Cela ne va pas durer beaucoup plus longtemps. Même le capitalisme va s'épuiser et se détruire. Nier la profondeur du social n'a aucun avenir. Je n'aime pas le mot «naturel», mais c'est bien à cela que nous avons affaire : la négation des dispositions naturelles des individus. Maintenant, le problème sociologique fondamental à résoudre, c'est de comprendre comment deux phénomènes peuvent exister en même temps : l'inégalité et le respect mutuel. Il a existé des sociétés dans lesquelles c'était possible. Pourquoi cela serait-il devenu impossible ? C'est en me posant cette question que je me dis que le néolibéralisme est vraiment à court terme. On voit bien qu'il lui manque quelque chose, que tout cet édifice est fragile et impossible politiquement.

C'est peut-être ici que vous allez me parler d'Hannah Arendt, dont vous avez été l'élève. Ce qui manque aux sociétés humaines, c'est l'autorité ?

R.S. : Je dirais plutôt la légitimité. Et je tiens cela de ma lecture de Max Weber. C'est un de ses principes fondamentaux : un système de pouvoir brut, sans principe de légitimité, est impossible. Voyez ce qu'on observe en ce moment en Afrique, avec des guerres civiles qui éclatent sans cesse. C'est la même chose dans l'entreprise capitaliste moderne. On voit bien qu'il est impossible de se passer de légitimité.

Comment expliquez-vous le fait que le management contemporain, que vous avez longuement étudié dans le Travail sans qualités, a aujourd'hui autant de partisans ? A lire vos livres, par exemple Ce que sait la main, on a vraiment l'impression qu'il est destructeur et contre-productif. Comment éclairer sa permanence dans une société obsédée par le profit et la productivité ?

R.S. :J'y reviens toujours. Cela s'explique directement par le manque d'autorité. Aujourd'hui, le commandement n'est plus un moyen, même pas un but. C'est devenu un objet. Il n'a plus aucun lien avec l'autorité. Pour Hannah Arendt, c'est là qu'on observe la banalité du mal. C'est parce qu'on s'habitue à ne pas y penser que l'absurde est possible. Mais, dès lors qu'il y a une réflexion critique, tout s'effondre et on peut s'en sortir. Je le remarque aujourd'hui chez les jeunes, en France, en Espagne, en Grèce, en Italie, et cela me donne beaucoup d'espoir. Il est impossible d'obéir longtemps sans avenir, sans raison et sans aucune chance d'améliorer son sort. Il est impossible de ne pas penser. Et, dès lors qu'on se met à penser, la proposition néolibérale est finie. Elle n'a tenu jusque-là que parce qu'elle est sans critique.

En valorisant la coopération, n'êtes-vous pas à la recherche d'une organisation sociale qui tiendrait à égale distance le profit, dont on peut bien voir qu'il est négateur de toutes les architectures sociales, et le don, un peu utopique ?

R.S. : C'est vrai que la coopération est différente du don. Contrairement au don, ce n'est pas une expérience totalisante. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi dans mon livre l'exemple du guanxi, ce système de réseaux de solidarité et de coopération qui existe en Chine entre les individus, bien au-delà du cercle familial. Et le problème, avec l'idée de l'échange, c'est qu'on veut toujours quantifier ce qui est donné et reçu. La coopération est un phénomène plus complexe et plus ambigu, comme je l'observe chez les Chinois. Et en même temps quelque chose de très efficace. Si je vous aide aujourd'hui, peut-être que vos fils ou vos petits-fils aideront mes fils ou mes petits-fils. C'est pourtant un système qui ne repose sur aucune obligation. Mais je crois que c'était le même système dans la chrétienté d'avant la Réforme.

On en revient donc à Aristote, qui explique dans l'Ethique à Nicomaque que l'altruisme n'est rien d'autre qu'un intérêt personnel bien compris ?

R.S. : Non. Le mutualisme, l'association, la participation, ce n'est pas de l'altruisme. C'est une quête de cohésion sociale. Dépendre des autres, pouvoir les aider n'est ni une chance, comme dans le don, ni un signe de faiblesse. Cela ouvre simplement la possibilité d'un vivre-ensemble où le «combien tu me dois» n'existe plus.


repères bio

1943 naissance à Chicago, le 1er janvier.

1979 les Tyrannies de l'intimité (Seuil).

1980 traduction en français de sa thèse de sociologie intitulée la Famille contre la ville. Les classes moyennes de Chicago à l'ère industrielle (1872-1890), publiée en France par les éditions Encres, avec une préface de Philippe Ariès.

1982 sortie aux Etats-Unis du premier de ses trois romans, The Frog Who Dared To Croak, traduit en français sous le titre les Grenouilles de Transylvanie.

1998 publication aux Etats-Unis de The Corrosion Of Character, livre à l'audience internationale, traduit en français sous le titre le Travail sans qualités (Albin Michel, 2010).

2010 Ce que sait la main (Albin Michel).

2014 Ensemble, pour une éthique de la coopération (Albin Michel).
 

 

 

Source : www.marianne.net

 

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 17:09

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

« Bullshit » 15/02/2014 à 10h40
La micro-croissance de 2013 n’éloigne pas le risque de méga-déflation
Pascal Riché | Cofondateur Rue89

 

 


Une scène du film « Dr Jekyll And Mr Hyde » (REX FEATURES/SIPA)

Une « bonne nouvelle », selon Jean-Marc Ayrault. Le témoignage d’une « confiance retrouvée », selon François Hollande. Le signe que « l’économie repart », renchérit Najat Vallaud-Belkacem... Wow, wow, wow, stop, doucement, de quoi parlent-ils ?

Des chiffres de la croissance en 2013, si on peut appeler cela une croissance. Elle a été de 0,3% sur l’année, un dixième de poil plus que prévu. « Je ne m’en satisfais pas », a déclaré Pierre Moscovici, jouant les modestes. S’il l’avait été vraiment été, modeste, il aurait dit :

« Bullshit, ce chiffre ne veut rien dire, la vérité c’est que la croissance est à plat depuis six ans et qu’on est incapables de la requinquer. »

Un si petit chiffre ne fait pas le printemps

Voici un graphique fourni par Philippe Waechter – directeur des études économiques chez Natixis – qui résume ce qui se passe en France. Le décrochage est très net en 2008, et le redémarrage attendu vers 2009 fait long feu... Et il est difficile d’être béat en contemplant la fin de la courbe violette : les fameux +0,3% présentés par le gouvernement avec autant d’emphase que s’il s’agissait des quarantièmes rugissants.


La croissance en France (Natixis)

La France ne devrait pas se réjouir trop vite. La zone euro est loin d’être sortie de l’ornière où elle s’est mise en 2008. Au quatrième trimestre, la croissance a été dans cette zone de 0,3%, selon un communiqué publié vendredi [PDF].

« La reprise se confirme », en conclut-on déjà : sonnez hautbois, résonnez musettes. Pourtant, là encore, un si petit chiffre ne fait pas le printemps. Même si la zone euro est « techniquement » sortie de la récession, elle reste au bord d’un gouffre, celui de la déflation.


La croissance dans la zone euro (Natixis)

Un économiste sur deux craint la déflation

La Banque centrale européenne affirme qu’elle ne croit pas à la déflation, bien qu’elle soit incapable d’atteindre son objectif d’inflation de 2% (on est sur une pente de 1%) et que les prix baissent même dans certains pays (en Grèce : -1,8% sur un an). Après la dernière réunion de son conseil, le 6 février, le président de la banque centrale, Mario Draghi a déclaré :

« Nous ne sommes clairement pas en situation de déflation, mais sur une inflation faible pour une période prolongée. »

Mais il a ajouté un post-scriptum, assez inquiétant quand même de la part d’un responsable de banque centrale :

« La déflation reste un risque en soi qu’il ne faut pas ignorer, ce qui suppose une attention particulière de la part de la BCE ».

A la suite de quoi l’agence de presse financière Reuters a posé la question à 46 économistes de divers pays entre le 7 et le 23 février. Le résultat de ce pointage a été publié jeudi : 22 d’entre eux, soit près de la moitié, considèrent que la menace de déflation dans la zone euro est « sérieuse » ou « assez sérieuse ». Quatorze jugent qu’elle n’est « pas sérieuse » et seulement deux sont persuadés qu’elle n’existe pas. Conclusion de Reuters :

« La menace de déflation dans la zone euro est plus sérieuse que la Banque centrale européenne ne le dit, l’austérité imposée aux pays périphériques se traduisant déjà par une baisse des prix ».

Pourquoi la déflation serait un cauchemar

La déflation (baisse des prix et des salaires) est à la désinflation (ralentissement de l’inflation) ce que Mr Hyde est au Dr Jekyll. La seconde est ennuyeuse mais parfois nécessaire ; la première est un cauchemar absolu.

La déflation est en effet un phénomène qui, lorsqu’il se déclenche, a des effets ravageurs. Les Japonais, qui ont connu plus de dix ans de déflation, et qui en sortent tout juste, en savent quelque chose :


L’inflation au Japon et dans la zone euro

La France, elle, a réussi à éviter la baisse des prix depuis les années 30, comme le montre ce graphique proposé par Olivier Berruyer.


Les prix en France depuis 1900 (capture d’ecran/Olivier Berruyer)

Pourquoi la déflation est si redoutée ? Pour deux raisons :

  • les gens et les entreprises reportent toutes leurs décisions économiques. Pourquoi acheter une auto, une machine, réserver un hôtel si l’on pense que les prix vont baisser dans trois mois ? Résultat : l’économie se grippe complètement ;
  • les ménages et les entreprises endettés sont asphyxiés. Car si les prix et salaires baissent, ce n’est pas le cas du montrant des dettes à rembourser.

La spirale de la déflation

La déflation salariale du sud se diffuse

Il y a près d’un an, l’OFCE avait titré sa note de conjoncture annuelle « Le Commencement de la déflation » [PDF]. Xavier Timbeau, directeur du Département analyse et prévision écrivait alors :

« La poursuite de cette stratégie d’austérité budgétaire porte en elle le germe de la déflation salariale dans les pays les plus touchés. [...] cette déflation n’est pas subie, mais encouragée, avec pour objectif la restauration de la compétitivité des pays en crise. Mais, puisque la zone euro est un espace de change fixe, cette déflation salariale ne pourra que se transmettre aux autres pays. »

Xavier Timbeau cherche le titre pour la note 2014 qu’il prépare. Peut-être « La Continuation de la déflation », dit-il. Car selon lui, la situation n’a guère changé :

« Les mécanismes déflationnistes se sont confirmés. La déflation salariale que l’on constate dans les pays du sud, en Espagne, au Portugal, en Grèce ont tendance à se diffuser. Elle induit un renchérissement en termes réels des dettes privées et entretient les effets récessifs. »

En France, l’inflation reste très basse. Hors prix du pétrole, l’augmentation des prix ne dépasse pas 0,5% par an depuis plus de deux ans. La France, certes, est épargnée d’une baisse des salaires, pour l’instant (même si les génies de Goldman Sachs suggère déjà de baisser les salaires de 30% !) Mais la déflation venue du sud n’est pas sans effets, selon l’économiste :

« Si les salaires baissent dans les autres pays, la compétitivité des entreprises française est menacée. Le pacte de responsabilité, qui vise à baisser le coût du travail, est une première réaction à cette situation. »

Les salaires minimum ne sont pas des freins

Si ces pressions déflationnistes se poursuivent, il faudra changer du tout au tout la façon dont les politiques raisonnent. Il faudra qu’ils comprennent qu’il faut :

  • mettre l’accent sur la coopération plus que sur la compétition des pays ;
  • arrêter de considérer les salaires minimum comme des freins à l’économie : ce sont des remparts contre la déflation (la création d’un tel salaire minimum en Allemagne est une bonne nouvelle) ;
  • arrêter l’austérité fiscale et budgétaire généralisée, la marche forcée vers l’équilibre budgétaire (qui, même sur le plan purement comptable, n’a pas donné de résultats brillants) ;
  • enfin, pousser la Banque centrale européenne à aller beaucoup plus loin qu’elle ne l’a fait en matière de mesures « non conventionnelles », afin d’alléger les taux d’intérêt, notamment ceux qui sont pratiqués dans les pays du sud.

Dans le contexte actuel, on voit mal les gouvernants accepter ces recommandations. Mais si la zone euro continue à s’enfoncer dans le chômage, elles s’imposeront. Ou alors, c’est l’euro qui explosera.

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

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14 février 2014 5 14 /02 /février /2014 22:29

 

Source : emploi.blog.lemonde.fr

 

Pôle emploi va continuer de recourir aux cabinets de placement privés

 

 

 

Une agence Pôle emploi (AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN)

Une agence Pôle emploi (AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN)

Malgré les polémiques, Pôle emploi a décidé de continuer à recourir aux cabinets privés de placement pour suivre certains chômeurs. Dans une délibération adoptée mercredi 12 février en conseil d'administration, et que Le Monde s'est procuré, l'organisme a choisi de maintenir pour les prochaines années à 130 millions de euros son budget annuel de dépenses en opérateurs privés de placement (OPP).

En 2012, 240 000 chômeurs sont passés par ces organismes privés pour un ou plusieurs mois. Les OPP se chargent de suivre les chômeurs de façon renforcée, et sont souvent rémunérés aux résultats, en fonction du nombre de chômeurs placés.

Depuis le début du recours au privé, en 2007, la démarche est critiquée par certains syndicats. Les OPP affichent en effet des résultats moins bons que ceux des agents de Pôle emploi pour placer les chômeurs, selon les études de l'organisme. Par ailleurs, plusieurs OPP ont fait faillite ces dernières années après avoir rapidement grossi. Dernier exemple en date : le placement en redressement judiciaire d'une des sociétés de C3 consultants, un des plus gros acteurs du marché.

>> Lire (en zone abonnés) : "Le naufrage du marchés des cabinets de placement"

Selon les informations du Monde, Pôle emploi a ainsi accepté mercredi 5 février de verser 3,5 millions d'euros d'avance sur marchés à son prestataire pour lui éviter la liquidation. "On ne pouvait pas laisser les chômeurs sans suivi", plaide une source au sein de la direction. C3 Consultants a pourtant fait l'objet de sanctions de la part de l'Etat en raison de soupçons de fraude sur plusieurs marchés en Seine-Saint-Denis.

>> Lire : Soupçons de fraude sur les contrats aidés en Seine-Saint-Denis

Auparavant, deux autres entreprises, Claf et Initiative, avaient eux aussi mis la clef sous la porte après avoir été sanctionnés par Pôle emploi pour non respect du cahier des charges. Malgré ces critiques, les défenseurs du recours au privé estiment que Pôle emploi a besoin de ces organismes, notamment pour digérer la forte hausse du nombre de demandeurs d'emplois ces dernières années.

"Le privé est plus flexible que Pôle emploi pour faire face à la variation du nombre de chômeurs", défend un membre du conseil d'administration. Les prestations privées sont bien souvent une soupape pour les conseillers qui peuvent orienter les chômeurs vers ces OPP à défaut d'offres d'emploi suffisantes.

Pour éviter que se reproduisent les ratés de ces dernières années, Pôle emploi a toutefois décidé mercredi de rendre ses prochains appels d'offres moins contraignants administrativement pour les OPP. "Les cahiers des charges seront allégés et moins prescriptifs. En contrepartie, le contrôle qualité des prestations sera renforcé", assure ainsi la délibération. Les OPP critiquent régulièrement la forte variation du nombre de chômeurs envoyés par Pôle emploi. Ils justifiaient ainsi leur recours massif aux CDD pour recruter leurs conseillers. "On va leur donner de la visibilité en s'engageant sur des flux minimum de chômeurs", assure un membre de la direction.

>> Lire (en zone abonnés) : "On est des précaires recrutés pour accompagner des chômeurs"

Par ailleurs, Pôle emploi devrait dorénavant envoyer vers les OPP les chômeurs les moins en difficultés, contrairement aux pratiques actuelles. "L'accompagnement renforcé des chômeurs les plus éloignés de l'emploi est notre cœur de métier", explique un membre de la direction. Les prestataires privés seront surtout utilisés pour suivre les "chômeurs les plus autonomes" ou ceux ayant "des besoins spécifiques", précise la note. Les cadres devraient ainsi devenir les principaux bénéficiaires de ces prestations privées.

Côté financier, la rémunération des OPP sera moins liée aux résultats, ce qui poussait certains opérateurs à tricher. La délibération parle ainsi "d'une rémunération forfaitaire", y compris en cas d'"abandons" des chômeurs pendant la prestation et surtout d'un "allongement" des appels d'offres. Les OPP étaient en effet souvent contraints à de coûteux investissements immobiliers pour accueillir les chômeurs, et n'avaient pas le temps de les rentabiliser avant la fin du marché.

 

Source : emploi.blog.lemonde.fr

 

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