Source : Eurostat 2012
Il existe autant de modèles que de pays en Europe, et certaines réalités rendent toute comparaison difficile voire hasardeuse |1| : régimes variables selon les secteurs de travail, reconnaissance ou non de la pénibilité du travail, usage de décotes et de surcotes ou non, certains concepts – comme la retraite à taux plein – existants ou inexistants, diversité des types de prestations (nature/espèces) et base de calcul de celles-ci, aspects obligatoires ou facultatifs, etc. Mais certaines données centrales sont ici présentées et de grandes tendances comparées. La pertinence de cette comparaison reste entière afin de mieux défendre ensemble l’outil subversif que représentent les pensions.
Historiquement, deux grands modèles d’organisation des régimes de retraite se sont développés en Europe. Le premier, dit bismarckien – du nom de l’ancien homme politique prusso-allemand qui le mit en place en 1889 – est celui du salaire socialisé. Il finance les pensions par les cotisations sociales et se gérait par des Institutions hors État (organisations des travailleurs et employeurs). Dans ce modèle, les travailleurs reçoivent une pension plus ou moins proportionnelle aux montants de leurs cotisations. Il s’applique plutôt dans les pays continentaux de l’Union (France, Italie, Allemagne, etc.). Le second, dit beveridgien – du nom de l’ancien homme politique britannique qui l’inspira avec un rapport rédigé en 1942 – est celui de l’assurance publique. Il finance les pensions par les impôts et se gérait par l’État providence. Dans ce modèle, toutes les catégories de travailleurs reçoivent une pension universelle minimum, indépendamment des cotisations. Il s’applique plutôt dans les pays nordiques (Danemark, Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède) |2|.
A la sortie de la guerre, le droit à la pension (avec la sécurité sociale) se généralise. Aujourd’hui |3|, la majorité des systèmes européens sont constitués d’un mélange de régimes par répartition (historique) et par capitalisation (depuis les années 1990). L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg et le Portugal sont plutôt basés sur un système par répartition, tandis que le Danemark, l’Islande, le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas ont développé un système par capitalisation important.
Une grosse partie du travail de comparaison se trouve dans ce tableau joint à l’article (voir tout en bas)
Avec le vieillissement de la population, les réformateurs se sont dotés d’un argument phare pour déconstruire nos systèmes de pension : le (prétendu) taux de dépendance
Avec le vieillissement de la population, les réformateurs se sont dotés d’un argument phare pour déconstruire nos systèmes de pension : le (prétendu) taux de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de pensionnés et le nombre de personnes en âge de travailler augmente considérablement (de 25 % aujourd’hui à 53 % en 2050 d’après l’OCDE), les dépenses de retraites vont donc exploser et le système actuel est invivable |4|. Solution : il faut augmenter l’âge légal de départ à la retraite et baisser les montants des pensions, mais aussi favoriser le développement de piliers dits complémentaires |5|. En deux mots : privatiser et/ou détruire les système de pensions. Ou dit avec d’autres mots : quand est-ce que le travail non-subordonné au capital doit-il être valorisé via le pensions ? Le plus tard possible. Comment doivent-elles être financées ? De moins en moins par les pensions publiques |6|. Pour appliquer ces contre-réformes, les États européens ont choisi de modifier certains aspects de leurs systèmes ou de les changer radicalement (Italie, Lettonie, Pologne et Suède avec les régimes de comptes notionnels |7|). Mais, toujours, ils ont utilisé plusieurs leviers : régime de financement, annuités de cotisations nécessaires, âge de départ légal à la retraite, modes de calcul, etc. Les effets des réformes sont très étalés dans le temps, ce qui rend parfois difficile leur observation (et plus facile leur acceptation). Depuis les années 1990 (et encore plus depuis 2007), celles-ci se sont succédées et multipliées |8|.
Officiellement, le premier volet de ces contre-réformes (diminution des pensions et augmentation de l’âge légal de départ à la retraite) servirait à augmenter le taux d’emploi des seniors afin de diminuer le prétendu taux de dépendance dans la société – et tant pis pour leur non-employabilité, et tant pis pour les taux de chômage catastrophiques chez les jeunes en Europe. Dans la réalité, il sert à sortir ces personnes du temps de travail libéré – car rémunéré alors qu’il n’est pas au service d’employeurs – pour les ramener sur le marché du travail capitaliste. Tous les pays européens se dirigent vers un âge légal de départ à la retraite de 65 ou 67 ans. L’âge réel moyen de départ à la retraite est lui de 62 ans |9|. Un exemple flagrant d’écart entre les objectifs officiels et réels de ces mesures tient dans le nombre de départs forcés à la préretraite en échange d’indemnités de départ très incitatives qui accompagnent les vagues de licenciements actuelles en Europe. Pour ne prendre que la période la plus récente post-2007, voici quelques exemples : la dernière réforme italienne (2011) a mené l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans et aboli les retraites dites d’ancienneté (droit à la retraite à partir de 60 ans si on avait déjà cotisé pendant 35 ans) ; l’espagnole (2011) à 67 ans ; l’allemande (2007) à 67 ans ; la française à 67 ans ; l’anglaise (2007) à 68 ans ; la polonaise (2012) à 67 ans et supprimé la retraite anticipée ; le Portugal à 66 ans et supprimé la retraite anticipée ; etc. Plusieurs pays (Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Norvège) ont lié (ou vont lier) cet âge à l’espérance de vie, ce qui dans certains cas l’amènera a bien plus que 67 ans. L’indexation des pensions a également été remise en cause : la Hongrie, la Norvège et la République Tchèque ne les indexent plus sur l’inflation, tandis que l’Espagne, la Grèce, le Portugal et la Slovénie l’ont gelé. De même, plusieurs pays ont développé des pénalités pour les personnes qui partent à la retraite trop tôt (Danemark, Italie, Pologne, Portugal) ou des récompenses pour celles qui travaillent plus tard (Espagne, France, Irlande, Suède). Enfin, le calcul des montants des prestations ont évolué et dépendent maintenant, par exemple, de l’ensemble de la carrière plutôt que du dernier niveau de rémunération (Grèce) ou des meilleures années (Norvège) |10|.
Officiellement, le deuxième volet de ces contre-réformes (inciter le développement des régimes par capitalisation) servirait à palier aux manques de ressources de la sécurité sociale en laissant celle-ci assurer le minimum vital aux pensionnés qui devront compléter leurs retraites par des régimes complémentaires (privés, et donc plus efficaces). Dans la réalité, il a été démontré que les régimes privés sont moins efficaces que le système par répartition, et la sécurité sociale ne manque de ressources que parce que l’État l’a organisé (baisse continue des cotisations patronales rebaptisées « charges sociales », exonérations non compensées |11|). Mais, surtout, ces différents régimes sont tout sauf complémentaires. Les dépenses de retraite |12| représentent 13 % du PIB européen, soit plus ou moins 1.650 milliard d’euros par an. Dans la réalité, l’intérêt du secteur privé est de s’approprier ces ressources immenses qui lui échappent en retournant aux travailleurs. La financiarisation des pensions permet déjà à ce secteur privé de gérer chaque année des milliards et des milliards d’euros que les travailleurs et leurs entreprises lui versent à travers les 2e et 3e piliers, pourquoi ne pas augmenter ce montant ? Les États mettent du zèle à développer les régimes dits complémentaires (par de nombreux avantages fiscaux, entre autres) au détriment du régime par répartition. Pour tenter d’illustrer comment la place de ces différents régimes sont le fruit d’un rapport de force entre le travail et le capital : aux États-Unis, le système par répartition avait été instauré après la crise de 1929 dans le package du New Deal de Roosevelt car elle avait mis en défaut le système par capitalisation ; en Allemagne il avait vu le jour suite à une crise d’hyperinflation ; l’Argentine, qui avait développé la capitalisation dans les années 1990 également, est revenue à un système par répartition au moment de la crise ; etc.
Aujourd’hui, le premier pilier reste majoritaire, le deuxième se développe et le troisième est généralement réservé à une partie aisée de la population.
Aujourd’hui, le premier pilier reste majoritaire, le deuxième se développe et le troisième est généralement réservé à une partie aisée de la population. Les jeunes, les femmes et les personnes à faibles revenus sont moins affiliés aux régimes dits complémentaires. Les données permettant de différencier les régimes publics et privés sont encore tout à fait insuffisantes |13|, cependant plusieurs peuvent ici être mises en avant.
Les régimes privés (professionnels ou individuels) sont obligatoires ou quasi-obligatoires dans une quinzaine de pays du tableau joint. Concernant la population couverte par ces régimes, nous voyons dans les deux tableaux qui suivent que cela varie énormément en fonction du pays concerné.
Source : OCDE, 2012
L’Estonie, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède et la Suisse ont des taux de couverture de la population dite active par les régimes privés allant jusqu’à 70 %, voire plus. En Pologne, où des politiques de régimes obligatoires ont également été développées, mais arrêtées par la suite, ce taux atteint 55 %. Dans certains pays où ces dispositifs ne sont pas obligatoires le taux flirt tout de même autour des 40 % (Belgique, Irlande, Royaume-Uni) voire plus (Allemagne, République Tchèque). Enfin, dans d’autres pays il est tout à fait moindre (Autriche, France, Grèce, Hongrie, Italie, Portugal, Espagne) |14|.
Pour la proportion des prestations versées par les régimes obligatoires, nous voyons que le pilier public reste prépondérant, à part dans plusieurs pays qui ont misé sur la primauté du secteur privé (Danemark, Islande, Pays-Bas).
Source : OCDE, 2012
Pour ce qui est des prestations dans leur ensemble (obligatoires ou non) on voit que la place du secteur privé reste négligeable, à l’exception des pays suivants : Danemark, Irlande, Islande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse. D’après les données disponibles de l’OCDE, les versements de pensions émanant des 2e et 3e piliers représenteraient un cinquième des dépenses du régime public (et dans certains cas, les allègements d’impôts pour ces régimes représenteraient la moitié, voire l’entièreté, de leurs prestations...). Il faut garder à l’esprit que beaucoup des dispositifs privés obligatoires ont été mis en place dans les années 1990 et que leurs effets pourraient se faire ressentir d’avantage dans le futur avec l’évolution du nombre d’affiliés.
Source : OCDE, 2012
Dans la plupart des pays, ce sont bien les versements publics qui représentent la principale source de revenus des plus de 65 ans. En ce qui concerne les pays de l’OCDE, la moyenne des revenus tirés des transferts publics s’élève à 60 %, alors que les revenus tirés du travail (généralement nécessaire parce que le senior n’a pas cotisé suffisamment pour avoir droit à sa retraite à taux plein) représentent en moyenne 23 % et ceux tirés du capital (principalement des pensions privées) 17 %.
Source : OCDE, 2012
Ici encore, les situations varient énormément en fonction des pays et de leurs politiques. En Autriche, Belgique, Finlande, Hongrie et au Luxembourg, les retraites versées par les régimes publics constituent au moins 80 % du revenu des personnes âgées. Mais elles n’en représentent que 50 % ou moins au Danemark, en Islande, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. La part des revenus provenant des capitaux y est évidemment très élevée (de 30 à 45 %) puisqu’ils utilisent fortement les systèmes de pensions privées. De manière générale, les personnes âgées les plus pauvres tirent leurs revenus exclusivement des régimes publics, tandis que les plus aisées en tirent une grande partie de revenus du travail ou de pensions privées |15|.
Grâce à ces données nous pouvons nous faire une idée des pays qui ont été plus ou moins agressifs dans leurs mises en place de contre-réformes et de ceux qui ont fortement privilégié le développement des 2e et 3e piliers. Ceci-dit, certains cas emblématiques méritent de s’y attarder en quelques mots |16|.
Le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni est un des pays où le système par capitalisation est le plus important et le plus ancien. Le système par répartition verse de faibles retraites de base : 464€ par mois. Les régimes dits complémentaires sont donc inévitables (même si une seconde pension d’État, sous conditions de ressources, est versée à ceux qui ne bénéficient pas de fonds de pension en entreprise). La plupart des salariés sortent d’ailleurs de la partie facultative du premier pilier existant dans ce pays pour souscrire aux nombreux types de régimes privés disponibles (qui représentent 40 % des revenus des retraités). L’âge pour percevoir la retraite minimum d’État passera à 66 ans en 2020, 67 ans en 2028 et 68 ans en 2040. Le travail au-delà de l’âge légal est motivé par des surcotes, ainsi que le cumul d’un emploi et d’une pension |17|.
L’Allemagne. Moins plébiscité que le modèle suédois, l’expérience allemande reçoit toutefois également les faveurs de nos prétendus représentants : le taux d’emploi des 60-65 ans y atteint un niveau record. Ce qu’on nous dit moins, c’est que les fameux mini-jobs allemands se multiplient chez les retraités de 65 et plus... Avant les années 1990, le taux de remplacement était de plus ou moins 70 % et il y avait de nombreuses options de départs à la retraite anticipés. Mais depuis, une dizaine de réformes ont été mises en place et ont entraîné la création et le développement du régime par capitalisation (par des incitations fiscales, entre autres), la disparition du taux de remplacement garanti (une baisse de 25 % est attendue), la restriction d’accès aux départs anticipés et l’application de décotes, une augmentation de l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans d’ici 2029, etc. Cette logique pénalise les seniors qui ne peuvent se maintenir dans l’emploi et le report de l’âge légal est donc une mesure de baisse des pensions |18| (la part des retraités qui subissent une décote est passée de 12 % en 2000 à 60 % en 2008) |19|.
L’Italie. Même si les régimes dits complémentaires y sont minoritaires, ceux-ci se développent avec le temps. Ils ont vu leur nombre d’affiliés augmenter de 6 % en 2011 et leurs bénéfices augmenter de 8 % en 2012. La réforme Amato de 1992 est celle qui a fait naître les a fait naître, tout en faisant passer l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 65 ans pour les hommes, et de 55 à 60 ans pour les femmes, tandis que le nombre d’années de cotisations nécessaires passait de 15 à 20 ans. Trois ans plus tard, la réforme Dini a fait passer ce chiffre à 35 ans et a instauré des primes (surcotes) pour les personnes ne partant pas avant 67 ans. Enfin, la réforme du gouvernement technique de Monti a fait passer l’âge légal de départ à 66 ans (pour les hommes comme pour les femmes) et l’annuité de cotisations à 42 ans, en instaurant des pénalités (décotes) pour les personnes partant en retraite anticipée. Depuis, la déconstruction du système par répartition amène l’État a parler, comme en France, de « dette sociale » puisque l’Institut de sécurité sociale a un trou de 23 milliards d’euros et ne pourra en théorie plus faire face au paiement des pensions à partir de 2015. |20|
La Suède. Le modèle Suédois actuel a vu le jour à la fin des années 1990, après plus de 10 ans de débats entre État, syndicats et patronat. Après le modèle Chilien, c’est à son tour d’être vanté et prisé. Pourquoi ? Parce qu’il assure désormais un équilibre automatique des recettes et des prestations. En effet, pas besoin de faire de réformes toutes les x années puisque cet équilibre est atteint par la baisse des pensions. Aucun taux de remplacement n’est garanti, le montant de la pension dépendra du revenu moyen du parcours entier du salarié (et non plus des 15 meilleures années), de l’espérance de vie moyenne (la plus élevée d’Europe) et de la croissance économique. Rassurés ? On sait ce qu’on verse, on ne sait pas ce qu’on recevra. L’État garantit une pension minimum de plus ou moins 900€ avec le système par répartition (taux de cotisation immuable de 16%), complété par un système de capitalisation individuelle (taux de cotisation de 2,5%), qui reste donc minoritaire en termes de prestations mais couvre près de 90 % des salariés. Il faut donc travailler le plus tard possible (le droit de départ est ouvert à 61 ans mais l’âge de départ moyen est de 64 ans et demi)
L’indice de progressivité conçu par l’OCDE montre le lien entre la pension de retraite et le revenu perçu durant la vie. Il a une valeur négative en Suède, ce qui signifie que le système de pension est régressif.
L’indice de progressivité conçu par l’OCDE montre le lien entre la pension de retraite et le revenu perçu durant la vie. Il a une valeur négative en Suède, ce qui signifie que le système de pension est régressif. En 1997 le taux de risque de pauvreté chez les plus de 65 ans était de 8 %, il dépasse aujourd’hui les 17 %... Enfin, il faut souligner le rôle distributif des services publics (éducation, santé, garde des enfants, prise en charge des personnes âgées, logement social, etc.) sans lesquels le système de pension serait très certainement plus invivable encore. Ces services accroissent en moyenne de 28,8 % le revenu des ménages dans les pays de l’OCDE, alors que cela monte à 41 % en Suède |21| (or, on sait que les services publics profitent davantage à la population âgée qu’à la population en âge de travailler) |22|.
L’Europe de l’Est. Certains pays d’Europe centrale ont décidé de remettre en question la « complémentarité » des différents régimes et de réorienter l’argent qui alimentait les fonds privés vers le secteur public. En Hongrie, fin 2010, le gouvernement a progressivement supprimé le deuxième pilier obligatoire et a transféré les fonds vers le premier pilier (14,6 milliards de dollars en un an). Avant cette contre-contre-réforme, plus ou moins 3 millions de personnes (plus de 70 % de la population dite active) étaient affiliés au secteur privé, le 31 décembre 2011 ils n’étaient plus que 102.000. En Pologne, le gouvernement a décidé de faire passer progressivement les cotisations versées aux régimes privés de 7,3 à 3,5 % et d’augmenter celles versées au pilier public. En Slovaquie, le gouvernement a décidé en juin 2009 de supprimer l’aspect obligatoire des régimes privés pour revenir au régime par répartition. Cependant, cette mesure a fait long feu puisqu’en 2012 les piliers complémentaires ont été de nouveau rendus obligatoires |23|. Les raisons pour lesquelles ces gouvernements ont mené ces opérations ne reflètent pas forcément un progrès politique et social |24| (tout comme le cas portugais où le gouvernement a permis aux fonds de pensions privés d’acheter plus de dette souveraine), mais ils démontrent qu’il est tout à fait possible d’inverser la tendance de privatisation des pensions et de récupérer des fonds destinés à celles-ci.
Cette citation de l’OCDE en dit long sur le sujet : Il y a lieu, aussi, de renforcer les systèmes de pension privés pour s’assurer qu’ils contribuent effectivement à apporter un revenu suffisant aux retraités. L’épargne retraite a été frappée, dans un premier temps, par la crise financière mondiale mais, maintenant, les actifs et les niveaux de solvabilité des fonds de pension se sont en grande partie rétablis. Néanmoins, [...] l’enthousiasme a faibli pour les dispositifs privés par capitalisation dans certains pays d’Europe centrale : la Hongrie et la Pologne, par exemple, ont aboli ou notablement réduit leurs systèmes de pension privés obligatoires. [...] Même en Allemagne, où l’épargne retraite individuelle privée est fortement encouragée et aidée, on s’interroge sur le point de savoir s’il est judicieux que la puissance publique soutienne les pensions privées. L’idée est parfois avancée que l’argent public devrait plutôt servir à soutenir les systèmes publics par répartition |25|
Il ne faudrait pas oublier que derrière ces chiffres, il y a des souffrances. Nous sommes en train de créer et d’alimenter une peur collective quant au vieillissement de la population et à son soi-disant coût collectif, d’exacerber des tensions intergénérationnelles dans nos sociétés et de diminuer les moyens mis à disposition de la dignité des personnes âgées (provoquant, entre autres, leur maltraitance) |26|. Le vieillissement de l’armée de main d’œuvre qu’est la population ferait exploser la dette publique et mettrait en danger notre économie toute entière |27|. Cette présentation nie le fait que la dette publique croît, non sous les effets d’une augmentation des dépenses publiques (exceptés les récents sauvetages bancaires et autres dépenses illégitimes) mais de la baisse des recettes publiques. Elle nie totalement le fait qu’une économie soutenable ne dépend pas de la pyramide des âges de sa population mais du nombre de personnes qui travaillent (dans et hors l’emploi), de la productivité de leur travail (qui n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui) et, surtout, de la répartition des richesses produites par ce travail |28|. Si l’on regarde l’évolution de ces richesses, nous avons tout à fait de quoi financer les pensions, et y partir bien plus tôt ! De plus, cette présentation n’a de sens que si l’on admet que les pensionnés ne créent aucune richesse (même s’ils créent des biens et services...) parce qu’ils le font hors de l’emploi capitaliste |29|. La question à se poser reste : qui doit à qui ? Qui a une dette sociale envers qui ?
une économie soutenable ne dépend pas de la pyramide des âges de sa population mais du nombre de personnes qui travaillent (dans et hors l’emploi), de la productivité de leur travail (qui n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui) et, surtout, de la répartition des richesses produites par ce travail.
Mais ces questions, les détenteurs de capitaux et leurs chiens de garde (gouvernements en tête) ne veulent pas qu’on se les pose. À l’inverse, face à ce problème créé du vieillissement de la population, c’est – qui l’eut cru – le marché tout puissant qui est érigé comme solution. Ce n’est pas pour rien que c’est depuis l’offensive néolibérale que l’on nous propose les fonds de pensions privés et l’attaque sur les conditions d’accès à la pension elle-même. Ce n’est pas pour rien non plus que ces contre-réformes nous soient à nouveau présentées comme techniques et non politiques... Il s’agit d’ôter leur légitimité aux régimes de ressources (service public ou salaire socialisé) qui subvertissent la forme capitaliste de la subordination du travail et de réactiver cette dernière en associant une partie des salariés à l’accumulation financière |30|.
Le marché va donc beaucoup mieux gérer nos pensions. Qu’est-ce que cela représente ? Aujourd’hui déjà, des montants considérables. En 2011, le total des actifs des fonds de pension des pays de l’OCDE |31| représentaient 74 % du PIB, soit plus de 20.000 milliards de dollars, dont un peu plus de la moitié aux États-Unis où les fonds de pensions ont saturé le marché avant de se répandre en Europe (plus ou moins 5.300 milliards d’actifs, soit 42 % du PIB européen) et ailleurs. Ils ont d’ailleurs augmenté partout leurs poids relatif, mais diminué là-bas. Au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, ils pèsent respectivement 2.300 milliards et 1.100 milliards de dollars, c’est-à-dire près de 2/3 de leur poids total en Europe |32| (qui pourrait tendre vers la création d’un marché commun pour les fonds de pension) |33|.
Source : OCDE 2012
Source : OCDE 2012
Les sommes en jeu sont donc immenses, elles sont investies en bourse et dans des obligations d’entreprises et d’État (voir le graphique qui suit). Or, suivant la logique dominante de développement de ces régimes, de plus en plus de personnes en dépendent pour leurs pensions. Lorsque tout va bien (sans même avoir ici de considérations pour les activités dans lesquels ces fonds investissent...), les « petits pensionnés » entretiennent les actionnaires, qui n’utiliseront pas les rendements |34| pour faire des réserves qui assureraient le paiement de leurs pensions mais pour augmenter leurs profits. Lorsque tout va mal, comme on l’a vu durant la crise, les « petits pensionnés » sont souvent en première ligne et assument les risques inhérents à la financiarisation et à ce marché particulièrement volatil (cela dépend évidemment des législations nationales).
Bizarrement, les libéraux parlent très peu de cette réalité mais n’hésitent pas à agiter le spectre de la perte des épargnes des « petits pensionnés » en cas d’annulations de dettes publiques. En effet, les institutions financières des 2e et 3e piliers faisant partie des zinzins (investisseurs institutionnels) qui achètent des obligations souveraines, ne pas rembourser celles-ci les mettraient en difficulté et, donc, leurs affiliés. Premièrement, nous pouvons regarder où est placée l’épargne des personnes âgées de 65 ans ou plus et si elle est grandement exposée par ces piliers. Cela ne répond pas entièrement à la question mais le graphique ci-dessous montre que, à part en France où les régimes de retraite facultatifs et l’assurance-vie représentent une part très importante de ces épargnes (48%), les actifs détenus par les personnes âgées sont plutôt liées à d’autres placements |35|.
Source : OCDE 2012
Deuxièmement, essayons de regarder dans quels produits les fonds de pension investissent.
(1) La catégorie « Autres actifs » comprend les prêts, les terrains et constructions, les contrats d’assurance non imputés, les fonds d’arbitrage, le capital-investissement, les produits structurés et les autres investissements.
Ces données donnent très peu d’information |36| quant à savoir si une annulation de dettes souveraines entraînerait de fortes pertes au niveau de ces fonds privés car, si une partie importante de leurs investissements vont aux obligations, elles n’indiquent rien sur la distinction entre obligations d’entreprises et d’État. Quoiqu’il en soit, les fonds de pensions privés peuvent toujours être affectés par leurs investissements dans les dettes souveraines, ne serait-ce que par une perte de leur valeur sur les marchés ; il est possible que des investissements indirects via les organismes de placements collectifs engagent également les fonds de pension ; les compagnies d’assurances et les banques du 3e pilier font également partie des créanciers de ces dettes publiques, comment savoir si elles (ne) feraient (pas) supporter le coût d’une éventuelle annulation sur leurs épargnants-pension ; etc. En Belgique, on a vu que les fonds de pension ne détiennent qu’une infime partie de la dette publique |37|. Au Royaume-Uni, par contre, les sociétés d’assurance et les fonds de pension détiendraient une part importante de la dette publique (30 %) |38|. Quoiqu’il en soit, les chiffres Belges ne veulent pas dire qu’un défaut de paiement n’aurait aucune conséquence sur les pensionnés cotisants au secteur privé (de Belgique comme d’ailleurs). Cela veut dire qu’on dégagerait des sommes incroyables qui aujourd’hui plombent les budgets des États et qu’on devrait décider de qui faire payer en priorité.
Cela veut dire qu’on dégagerait des sommes incroyables qui aujourd’hui plombent les budgets des États et qu’on devrait décider de qui faire payer en priorité.
Certains diront que les épargnes aisées du 3e pilier ne seraient garanties qu’à hauteur de tel ou tel montant ; d’autres diront que les fonds de pension du 2e pilier devront alors être socialisés et retourner au système par répartition en faisant supporter le coût sur le patrimoine des plus gros actionnaires et en reprenant dans le secteur public les futurs pensions qui seront garanties à hauteur de tel ou tel montant ; évidemment d’autres diront que les pertes doivent être assumées par les affiliés et qu’il faut garder l’efficacité incroyable des piliers privés...
Tout cela dépendra de si ce défaut de paiement se fera démocratiquement, par un audit sous contrôle citoyen, ou par le pouvoir en place qui protège les intérêts des détenteurs de capitaux. Actuellement, on travaille de plus en plus longtemps pour continuer à enrichir cette minorité de la population et à rembourser une dette illégitime, tout en étant de plus en plus nombreux au chômage et incapables de faire face aux désastres écologiques qui s’annoncent pour nous. Loin du contrôle de nos propres caisses de sécurité sociale, nous sommes aujourd’hui obligés de jouer indirectement aux capitalistes en investissant dans le secteur privé afin de lui laisser la responsabilité d’assurer nos vieux jours. Les piliers dits complémentaires restent minoritaires aujourd’hui, mais comme on l’a vu leur taux de couverture va de 40 à 60 % dans les pays de l’OCDE et celle-ci va augmenter au fur et à mesure que de nouveaux salariés y adhéreront dans les prochaines années et décennies. Il faut arrêter cette tendance à financiariser nos droits à la pension |39| et reprendre d’urgence le contrôle des richesses collectivement produites.