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9 mars 2014 7 09 /03 /mars /2014 22:45

CADTM

 

Source : cadtm.org

 

Série : Les banques et la doctrine « trop grandes pour être condamnées » (partie 1)

9 mars par Eric Toussaint


 

On connaît la maxime : « Trop grandes pour faire faillite » (’Too Big To Fail’). La manière dont les gouvernants ont géré la crise provoquée par les banques a débouché sur une nouvelle doctrine qui peut être résumée par : « Trop grandes pour être condamnées » |1|. Ou « Trop grandes pour être emprisonnées » si on traduit littéralement le nouvel adage qui fait florès aux États-Unis et au Royaume-Uni : « Too Big to Jail » |2| qui rime avec « Too Big to Fail ». En effet, alors que le gouvernement des États-Unis a laissé Lehman Brothers faire faillite en septembre 2008, aucune banque n’a été fermée |3| ou démantelée par décision de justice, aucun dirigeant de banque n’a été condamné à une peine de prison. L’unique exception dans le monde occidental concerne l’Islande où la justice a condamné à des peines de prison ferme trois dirigeants de banque. Larus Welding, principal dirigeant de la banque Glitnir, qui a fait faillite en 2008 quand elle était encore la troisième banque du pays, a été condamné fin décembre 2012 à 9 mois de prison. Sigurdur Einarsson et Hreidar Mar Sigurdsson les deux principaux dirigeants de la banque Kauphing |4| ont été condamnés respectivement à cinq ans et cinq ans et demi de prison en décembre 2013 |5|.

Pourtant, la justice des États-Unis et d’Europe est confrontée à de très graves délits commis par les plus grandes banques : escroquerie en bande organisée à l’encontre des clients, des (petits) actionnaires et des actionnaires publics, blanchiment d’argent du crime organisé, organisation systématique de la fraude fiscale à très grande échelle, manipulation en bande organisée des taux d’intérêts (Libor, Euribor…), manipulation en bande organisée des marchés de change, faux et usage de faux, délits d’initiés, destructions de preuves, enrichissement abusif, manipulation en bande organisée du marché des CDS, manipulation du marché physique des commodities, complicité dans des crimes de guerre |6|… La liste n’est pas exhaustive.

Eric Holder, procureur général des États-Unis, interrogé en juin 2013 par une commission du Sénat de son pays, a résumé clairement le fond de la doctrine « Trop grandes pour être condamnées ». Il a déclaré en substance à propos des grandes banques que « ces institutions sont si grandes qu’il est difficile de les poursuivre en justice, et si on le faisait, on se rendrait compte qu’effectivement, les inculper pour activités criminelles pourrait avoir des répercussions négatives pour l’économie nationale, voire mondiale » |7|.

Les retombées de cette position sont claires. Le fait que la spéculation et les crimes financiers ont causé la pire crise économique depuis le siècle dernier pèse fort peu dans la balance de la justice. Bien que de tels excès soient associés à une épidémie de fraudes |8|, à tous les niveaux des opérations des banques des États-Unis, ces institutions sont autorisées à poursuivre leurs opérations. Il leur suffit de passer un accord avec la justice afin de payer une amende pour éviter une condamnation. Imaginez la situation suivante : après un mois d’enquête, la police retrouve une personne qui a commis un vol d’un million d’euros. Au moment d’être appréhendée, la personne en question déclare au juge d’instruction et à la police : « Je propose de payer deux mille euros d’amende, vous me laissez en liberté et vous n’entamez pas de poursuite. D’accord ? ». Le juge et la police lui disent : « Ok, pas de problème, excusez du dérangement. Bonne continuation. Essayez de ne pas vous faire prendre une prochaine fois, ce serait dommage ». Le traitement de faveur auquel ont droit les banques responsables de délits et de crimes financiers n’est pas très différent de cette situation imaginaire et Bertold Brecht avait pleinement raison de poser la question : « Qui est le plus grand criminel : celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ? »usique de Kurt Weil), présentée pour la première fois le 31 août 1928 au Theater am Schiffbauerdamm de Berlin, puis en version française le 14 octobre 1930 au théâtre Montparnasse.]].

Les conséquences directes des méfaits des banques sont particulièrement graves : 14 millions de familles aux États-Unis ont été expulsées de leur logement entre 2007 et 2013 (voir tableau ci-dessous), parmi elles, il est avéré qu’au moins 495 000 familles l’ont été de manière parfaitement illégale |9|, des millions de personnes ont perdu leur emploi, une partie d’entre elles sont tombées sous le seuil de pauvreté, le taux de suicides a augmenté parmi les personnes affectées, la dette publique a explosé et les fonds de pensions des pays développés ont perdu près de 5 400 milliards de dollars |10|.

Saisies immobilières aux États-Unis et en Espagne États-UnisEspagne 2005 532 833 2006 717 522 2007 1 285 873 2008 2 330 483 49 848 2009 2 824 674 59 632 2010 2 871 891 81 747 2011 1 887 777 94 825 2012 1 836 634 76 724 Total 14 287 687 362 776

Source : Pour les États-Unis : http://www.realtytrac.com/content/foreclosure-market-report/2012-year-end-foreclosure-market-report-7547 ;
Pour l’Espagne : http://afectadosporlahipoteca.com/wp-content/uploads/2013/02/RETROSPECTIVA-SOBRE-DESAHUCIOS-Y-EJECUCIONES-HIPOTECARIAS-EN-ESPAÑA-COLAUALEMANY1.pdf

Le rôle des banques privées est manifestement si important et indispensable au système capitaliste que leur fonctionnement transcende les contraintes légales et constitutionnelles des sociétés modernes. Dès lors, la justice se voile la face devant les délits et crimes commis par les banques et leurs dirigeants afin de leur éviter de passer ne serait-ce qu’un jour en prison. En fin de compte, on ne peut tout de même pas poursuivre en justice un dirigeant d’une institution bancaire qui « ne fait que le travail de Dieu » |11| , pour citer Lloyd Blankfein, patron de Goldman Sachs.

La déclaration ci-dessus pourrait prêter à sourire si des transactions entre banques et autorités judiciaires ou de contrôle ne venaient pas régulièrement confirmer l’application de la doctrine « trop grandes pour être condamnées » des deux côtés de l’Océan Atlantique. Les affaires se suivent et la justice se borne à des amendes qui représentent bien souvent une maigre fraction des bénéfices issus d’activités illégales, sans qu’aucun dirigeant ne soit inquiété. Tout au plus comparaissent devant des tribunaux et sont condamnés des lampistes comme Jérôme Kerviel, jamais les patrons qui les ont poussés à augmenter les bénéfices de l’entreprise en utilisant toutes les entourloupes possibles et imaginables.

Six exemples suffisent pour témoigner de la situation actuelle : 1. les accords passés entre les banques des États-Unis et différentes autorités du pays afin d’éviter une condamnation en justice dans l’affaire des prêts hypothécaires abusifs et des expulsions illégales de logement (foreclosures) ; 2. HSBC (1e banque britannique) mise à l’amende aux États-Unis pour blanchiment d’argent des cartels mexicains et colombiens de la drogue ; 3. la manipulation des taux d’intérêt interbancaire et des taux sur les dérivés connue comme l’affaire du LIBOR ; 4. le scandale des « prêts toxiques » en France ; 5. les activités illégales de Dexia en Israël ; 6. l’évasion fiscale internationale organisée par la principale banque suisse UBS.

Dans cette série ces 6 exemples seront analysés.

Conclusion

Il apparaît clairement que les banques et autres grandes institutions financières de dimension mondiale, agissant souvent en bande organisée (en cartel), font montre d’un niveau rarement observé à ce jour de cynisme et d’abus de pouvoir. Aujourd’hui, après que les États aient mis l’argent public à disposition des entités financières dont les paris spéculatifs ont mal tourné, les magistrats en charge de faire appliquer la loi s’emploient à protéger les responsables de ces entités et banalisent ainsi, voire justifient a posteriori la conduite illégale ou criminelle dont ils se sont rendus coupables.

Un tel contexte, où règne l’impunité, encourage les dirigeants des firmes financières à davantage d’abus et de prises de risque. Les banques en tant qu’institutions ne sont pas condamnées, et le plus souvent ne sont même pas convoquées devant un tribunal.

Ces banques font porter l’entière responsabilité à des traders comme Jérôme Kerviel et quelques dizaines d’autres et obtiennent que la justice les condamne pour leur avoir porté préjudice.

La situation des principaux dirigeants des banques est bien différente : le montant de leurs bonus croît suite à l’augmentation des revenus de la banque (il n’est pas rare de voir que le bonus augmente même en cas de baisse de la rentabilité de la banque), indépendamment de l’origine illégale des ressources ou du fait qu’elles soient issues d’activités financières spéculatives extrêmement risquées. Dans le pire des cas, s’ils sont découverts, ils n’ont qu’à quitter l’institution (souvent avec un parachute doré), ils ne seront pas poursuivis par la justice et conserveront sur leurs comptes bancaires l’entièreté des bénéfices obtenus.

Tant que ce genre de dispositif pervers est maintenu, les abus et le pillage des ressources publiques de la part du système financier ne peuvent que se prolonger au fil du temps.

Au-delà des hauts dirigeants, il faut souligner l’impunité des banques elles-mêmes à qui les autorités appliquent la doctrine « Too Big To Jail ». Il s’agit surtout de la démonstration de l’imbrication étroite entre les directions des banques, leurs grands actionnaires, les gouvernants et les différents organes vitaux des États.

En cas de graves manquements, il faut mettre en pratique une solution radicale : retirer la licence bancaire aux banques coupables de crimes, bannir définitivement certaines de leurs activités, poursuivre en justice les dirigeants et les grands actionnaires. Il faut aussi obtenir des réparations de la part des dirigeants et des grands actionnaires.

Enfin, il est urgent de diviser chaque grande banque en plusieurs entités afin de limiter les risques, de socialiser ces banques en les plaçant sous contrôle citoyen, et de créer ainsi un service public bancaire qui donnera la priorité à la satisfaction des besoins sociaux et à la protection de la nature.

Notes

|1| L’auteur remercie Daniel Munevar, économiste du CADTM, qui a produit une première synthèse concise très utile sur le sujet et l’a autorisé à s’en inspirer librement. L’auteur a ensuite largement complété la recherche. Voir l’article original de Daniel Munevar, « La doctrine « trop grandes pour être condamnées » ou comment les banques sont au-dessus des lois », 20 septembre 2013, www.cadtm.org/La-doctrine-trop-grandes-pour-etre

|2| Les médias anglo-saxons utilisent régulièrement cette expression depuis 2 ans : voir par exemple : Abcnews, "Once Again, Is JPMorgan Chase Too Big to Jail ?", 7 Janvier 2014, http://abcnews.go.com/Blotter/madoff-ponzi-scheme-prosecutors-find-jpmorgan-chase-big/story?id=21448264 ou Forbes, "Why DOJ Deemed Bank Execs Too Big To Jail", 29 juillet 2013, http://www.forbes.com/sites/tedkaufman/2013/07/29/why-doj-deemed-bank-execs-too-big-to-jail/

|3| Autre manière d’écrire qu’aucune banque ne s’est vu retirer la licence bancaire. En effet, pour mener les opérations bancaires, une institution financière doit obtenir une licence bancaire.

|4| La faillite de sa filiale nommée Icesave au Royaume-Uni et aux Pays-Bas a provoqué une crise internationale entre ces deux pays et l’Islande. Cette crise se poursuit encore en 2014 car le R-U et les Pays Bas vont en appel contre la sentence de la cours d’arbitrage qui a donné raison à l’Islande en janvier 2013. Voir Financial Times, « Iceland premier repels Icesave lawsuit », 12 février 2014.

|5| Comme l’écrit le Financial Times : “Iceland, almost uniquely in the western world, has launched criminal cases against the men who used to lead its three main banks that collapsed after the global financial crisis in 2008 after collectively becoming 10 times the size of the island’s economy.” 13 décembre 2013. Voir : http://www.ft.com/intl/cms/s/0/eab58f7e-6345-11e3-a87d-00144feabdc0.html#axzz2thdbsViQ

|6| Voir plus loin l’action de Dexia dans les territoires palestiniens occupés par Israël.

|7| Huffingtonpost, “Holder admits some Banks too big to jail”, disponible sur : http://www.huffingtonpost.com/2013/03/06/eric-holder-banks-too-big_n_2821741.html Sur ce site, on peut voir et écouter la partie du témoignage du procureur général des États-Unis où il déclare : "I am concerned that the size of some of these institutions becomes so large that it does become difficult for us to prosecute them when we are hit with indications that if you do prosecute, if you do bring a criminal charge, it will have a negative impact on the national economy, perhaps even the world economy…". Durée de la vidéo : 57 secondes. Cela vaut la peine.

|8| Une étude récente sur les pratiques de crédits des banques aux États-Unis signale qu’en dépit de leur hétérogénéité, les irrégularités et les faux sont présents à divers degrés dans toutes les institutions financières analysées. Voir “Asset Quality Misrepresentation by Financial Intermediaries : Evidence from RMBS Market”, disponible sur : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2215422

|9| The New York Times, “Banks to pay $8,5 billion to speed up housing relief”, 7 janvier 2013, http://dealbook.nytimes.com/2013/01/07/banks-to-pay-8-5-billion-to-speed-up-housing-relief/?_php=true&_type=blogs&_php=true&_type=blogs&_r=1

|10| OECD (2010) “The Impact of the Financial Crisis on Defined Benefit Plans and the Need for Counter-Cyclical Funding Regulations”, http://www.oecd.org/pensions/private-pensions/45694491.pdf

|11| The Wall Street Journal, “Goldman Sachs Blankfein : Doing Gods work”, 9 novembre 2009, http://blogs.wsj.com/marketbeat/2009/11/09/goldman-sachs-blankfein-on-banking-doing-gods-work/

Éric Toussaint, maître de conférence à l’université de Liège, préside le CADTM Belgique et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est auteur des livres Procès d’un homme exemplaire, Editions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet du livre AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège, http://www.cadtm.org/Le-CADTM-recoit-le-prix-du-livre
Prochain livre à paraître en avril 2014 : Bancocratie chez ADEN, Bruxelles, http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/toussaint-eric/bancocratie,58547448.aspx
Cette étude prolonge la série « Banques contre Peuples : les dessous d’un match truqué ! » parue en 2012-2013 sur www.cadtm.org ainsi que sous une autre version, la série Et si on arrêtait de banquer ?, http://cadtm.org/Et-si-on-arretait-de-banquer

 

 

Source : cadtm.org

 

 

 

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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 22:39

 

Source : www.lemonde.fr

 

La bataille pour SFR signe le retour des dettes géantes

LE MONDE | 07.03.2014 à 11h27 | Par Isabelle Chaperon

 
 
Vivendi a reçu, mercredi 5 mars, deux offres de rachat de sa filiale de télécommunications SFR. L'une par le câblo-opérateur Numericable, l'autre par Bouygues.

Le robinet du financement est à nouveau ouvert en grand. Comme avant la crise. C'est la grande leçon de la bataille qui se joue entre le groupe de BTP Bouygues et le câblo-opérateur Numericable pour le rachat de l'opérateur mobile SFR. Altice, la maison mère de Numericable, a réuni un financement de 15 milliards d'euros auprès d'une dizaine de banques internationales, dont JPMorgan et Morgan Stanley, ses banques conseil.

Bouygues, de son côté, a obtenu une garantie de 10,5 milliards d'euros émanant du seul HSBC : un montant colossal pour une seule institution financière, certes assise sur 125 milliards d'euros de fonds propres. Chez le britannique, on l'imagine bien, la décision d'accorder dans des délais très courts une facilité aussi conséquente a été prise au plus au niveau.

Car ces montants ne se voient pas tous les jours. Ils se placent dans le trio de tête des financements accordés à des groupes européens en quête d'acquisition depuis 2009, loin derrière le rachat du roi américain de la bière Anheuser-Busch par le belge InBev en 2008 et la tentative d'OPA hostile du géant minier BHP sur Potash Corporation of Saskatchewan en 2010. Ces deux transactions avaient nécessité la mise en place d'un crédit de 45 milliards de dollars (32,5 milliards d'euros). Mais Bouygues et Altice ont rassemblé plus que Sanofi qui, pour mettre la main sur le laboratoire américain Genzyme en 2011, avait bénéficié d'un soutien de 15 milliards de dollars de la part de ses banques.

 

*L’accès à la totalité de l’article est reservé aux abonnés du journal "lemonde.fr"

 

 

 

Source : www.lemonde.fr

 

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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 22:08

 

Source : www.lemonde.fr

 

 

Julian Assange dénonce "l'occupation militaire" du Web

Le Monde.fr | 08.03.2014 à 21h16 • Mis à jour le 08.03.2014 à 22h39 | Par Luc Vinogradoff   (Austin, envoyé spécial)

 
 
Le co-fondateur de WikiLeaks était à South by Southwest, via Skype depuis son refuge à l'ambassade d'Equateur à Londres. L'occasion pour lui de décrire comment Internet est définitivement devenu un « espace politique » que les gouvernement occidentaux, via leurs agences de surveillance, veulent s'accaparer.

Depuis l'ambassade d'Equateur à Londres, où il est réfugié depuis « 650 jours », le co-fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a pris la parole, samedi 8 mars au festival « South by Southwest » (SXSW), consacré aux nouvelles technologies à Austin (Texas), pour parler du thème central de l'édition 2014 de cette conférence : la surveillance du Web par les gouvernements et les moyens dont les citoyens disposent pour se protéger.

Assange, légèrement messianique devant un écran blanc, a préféré évoquer la première partie de cette problématique, décrivant une guerre entre des activistes, des journalistes et la société civile d'un côté, les agences de surveillances – la NSA américaine, le GCHQ britannique et leurs équivalents dans les autres pays occidentaux – qui sont désormais « hors de tout contrôle », de l'autre. Le théâtre des opérations de cette guerre est le Web, « où toute notre vie, toutes nos interactions »existent.

Pour Assange, Internet est devenu un « espace politique » à part entière. Les révélations de l'ex-consultant de la NSA Edward Snowden, qui ont commencé il y a 9 mois, n'ont fait que conforter sa position. « Le Web s'est à tel point rapproché du monde réel que les deux sont désormais liés, explique-t-il. Les lois du Web s'appliquent à la société civile. Ce qu'il se passe aujourd'hui est donc une occupation militaire de cet espace civil par les gouvernements occidentaux, et c'est très grave ».

Cette « occupation militaire » a été progressive, et s'est accélérée à mesure que l'implication numérique de chaque citoyen, dans sa vie personnelle ou professionnelle, a augmenté. Ce processus, prédit-il, est irréversible. Il s'agit désormais pour les citoyens de tenter de le contrôler« Internet a été coopté par ce complexe mêlant les espions, les militaires, les gouvernement et les prestataires privées pour devenir un outil de surveillance totalitaire », lance-t-il, avant de nuancer : « Pas dans le sens de Staline, mais dans le sens où il est total, l'individu ne peut pas s'en extraire ». Mais il maintient que « ce qui se passe est un hold-up énorme, opéré par les gens qui ont déjà acquis le pouvoir ».

 LE TEMPS OÙ « L'ON POUVAIT SE CACHER INDIVIDUELLEMENT  » EST RÉVOLU

Face à ce diagnostic particulièrement lugubre, l'assistance, et les dizaines de milliers de personnes qui suivaient à distance, ont voulu des réponses. Comment lutter ? Comment s'organiser ? Assange n'a pas pu faire autrement que se montrer vague, expliquant que le temps où « l'on pouvait se cacher individuellement et espérer passer entre les mailles du filet » était révolu. « On doit se confronter aux comportements des gouvernements avec cet échange latéral d'informations que l'on maîtrise. Il faut que nous fassions quelque chose, chacun d'entre nous, nous n'avons plus le choix ».

Entre des digressions alambiquées et des phrases parfois toutes faites, Assange croit quand que la lumière au bout du tunnel n'est pas forcément un train. Et que c'est en utilisant les moyens de communication disponibles en ligne – « C'est comme ça que je suis ici avec vous aujourd'hui » – que l'on peut faire une différence. Il prend les exemples de certains journalistes et activistes, ces « nouveaux réfugiés » actuellement en « exode » aux quatre coins de la planète, qui se sont élevés contre la mainmise des Etats, et l'ont fait en ligne.

  • Edward Snowden, réfugié en Russie depuis juin 2013 après avoir fui les Etats-Unis via Hongkong.

 Lire tous nos articles, analyses et décryptages sur les révélations des documents Snowden

  • Glen Greenwald, journaliste américain ayant eu accès aux documents de Snowden, actuellement au Brésil

 Lire notre portrait de Glenn Greenwald, le blogueur derrière les révélations sur les écoutes de la NSA

  • Laura Poitras, journaliste américaine ayant eu accès aux documents de Snowden, actuellement à Berlin.
  • Sarah Harrison, journaliste britannique ayant aidé Edward Snowden à se rendre à Moscou, actuellement à Berlin.
  • Jacob Applebaum, fondateur du projet TOR et collaborateur de WikiLeaks, actuellement à Berlin.

Même dans son cas, la résidence forcée à l'ambassade équatorienne s'est révélée bénéfique : « Je peux continuer à travailler. Je suis hors de portée de la police et des citations à comparaître. C'est une situation idéale pour quelqu'un qui se bat contre les agences de surveillance ». Il conclut en soulignant que :

« Ces exils se sont révélés contre-productifs pour les Etats-Unis et leurs alliés car de nouveaux noyaux de résistance se sont crées dans ces pays, où les débats et les inquiétudes sur l'espionnage des Etats-Unis sont forts. Avant, tous ces journalistes auraient pu être écrasés et ne plus travailler. Aujourd'hui, ils profitent des nouveaux moyens de communication ».

Lire (édition abonnés) : Assange reclus mais pas vaincu

Face aux réactions « extrêmement agressives des différents gouvernement et agences occidentales » et à la passivité de la plupart des médias, Julian Assange applaudit l'initiative de Pierre Omidyar, fondateur d'eBay, et de Glen Greenwald, qui ont récemment lancé un nouveau média en ligne, The Intercept. C'est aussi un signe, selon lui, que « même les individus extrêmement fortunés, pesant plus de 8 milliards de dollars, pouvant faire tout ce qu'ils veulent grâce à la sécurité financière, ne se sentent plus en sécurité face à la surveillance des gouvernements ».

Toujours bon vendeur, Assange promet un futur "leak" qui sera « important », mais ne veux pas en dire plus, pour de pas donner un quelconque « avantage » à celui ou ceux qui sont concernés. Mais vous pouvez lui demander directement. Entre deux problèmes techniques pendant la séance, les personnes présentes, et ceux qui ont bénéficié de l'échange "latéral" d'informations qui lui est si cher, ont appris que son pseudo sur Skype était "Bruce Willis".

Lire tous nos articles sur le festival « South by Southwest »

Luc Vinogradoff   (Austin, envoyé spécial)
Journaliste au Monde.fr

 

Source : www.lemonde.fr

 



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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 21:31

 

Source :  www.bastamag.net

 

 

Aides aux entreprises

Pacte de responsabilité : la France va-t-elle faire pire que les Etats-Unis ?

par Ivan du Roy 7 mars 2014

 

 

 

A l’heure où les crédits d’impôts et les allègements de « charges » se multiplient en France, au nom de la lutte pour l’emploi, quels sont les montants et les conséquences de ces cadeaux fiscaux et de ces subventions à l’embauche aux États-Unis ? L’organisation civique américaine Good Jobs First a lancé, fin février, un « traqueur » de subventions : une base de données récapitulant toutes les aides directes (subventions) et indirectes (allégements de charges, exonérations d’impôts et de taxes, prêts publics très avantageux…) dont ont bénéficié les entreprises implantées aux États-Unis depuis les 15 dernières années.

Ces aides profitent principalement aux grands groupes. 965 multinationales et leurs filiales ont ainsi reçu au moins 63 milliards de dollars de subventions et d’avantages fiscaux, sur un total de 110 milliards de dollars d’aides aux entreprises identifiées par Good Jobs First. Boeing arrive largement en tête, avec un total de plus de 13 milliards de subventions. Les groupes français en profitent également : Nissan (Renault) a perçu près de 1,8 milliard, 1,34 milliard pour ArcelorMittal, principalement pour son aciérie dans l’Alabama, 357 millions pour Michelin et ses 46 filiales, 290 millions pour Areva et ses 13 filiales, principalement pour un projet d’usine de traitement d’uranium dans l’Idaho, 158 millions pour Airbus (EADS), 49 millions pour Sanofi ou encore 22,7 millions pour BNP-Paribas…

456 000 dollars par emploi

« Notre traqueur de subventions peut désormais démontrer que la plus grande part des subventions accordées par l’État et les gouvernements locaux au nom de la création d’emplois se retrouve entre les mains d’un nombre restreint d’entreprises », commente Philip Matera, directeur de recherche au sein de Good Jobs First. En juin dernier, l’organisation avait étudié les 240 megadeals passés entre les pouvoirs publics états-uniens et des grandes entreprises, avec des aides publiques supérieures à 75 millions de dollars. Le montant de ces aides a ensuite été rapporté au nombre d’emplois créés : soit une dépense de 456 000 dollars en moyenne par emploi !

Une base de données dont la France aurait bien besoin, alors que le « pacte de responsabilité » repose sur une nouvelle « baisse de charges et de fiscalité » pour les entreprises en échange d’un « engagement sur des objectifs et des ambitions en terme d’emploi et de qualité de l’emploi, de dialogue social et d’investissement ». Ce pacte de responsabilité vient s’ajouter au « crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi » (CICE) déjà mis en œuvre. Celui-ci devrait coûter 20 milliards d’euros aux dépenses publiques en 2014, selon le ministère de l’Économie et des Finances. Des allègements dont la contrepartie est, en théorie, la création de « 300 000 nouveaux emplois » prévus d’ici 5 ans.

Comment mesurer l’efficacité de ces cadeaux ? La question risque de demeurer sans réponse au regard de ce qui se passe pour le crédit impôt recherche (CIR). Celui-ci devrait coûter environ 6 milliards d’euros en 2014. « L’efficacité du CIR au regard de son objectif principal – l’augmentation de la dépense de recherche et développement des entreprises –, est à ce jour difficile à établir », pointait la Cour des comptes en juillet 2013, « faute de données avec un recul suffisant, mais aussi d’un accès des chercheurs aux données disponibles ». Résultat : « L’évolution qu’a connue la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises n’est pas à ce jour en proportion de l’avantage fiscal accordé aux entreprises », relevait la Cour. A quand la transparence des aides directes et indirectes dont profitent les entreprises ?

Ivan du Roy, avec l’Observatoire des multinationales

 


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Source :  www.bastamag.net

 

 

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 17:35

 

Source : www.mediapart.fr

Avastin et Lucentis : la gabegie continue en France, pas en Italie

|  Par Michel de Pracontal

 

 

Novartis et Roche viennent d'être condamnés en Italie pour entente illicite à propos des traitements de la DMLA, une maladie des yeux. En France, le traitement de référence, le Lucentis de Novartis, coûte 400 millions d'euros par an à l'assurance maladie, alors que l'Avastin de Roche est 20 fois moins cher. Le député Gérard Bapt réclame une enquête de la Commission européenne.

Depuis juillet 2012, la direction générale de la santé (DGS) a imposé, pour soigner la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), l’utilisation du traitement de référence, le Lucentis, alors qu’il existe un autre médicament, équivalent en termes d’efficacité et de sécurité, mais vingt fois moins cher, l’Avastin (voir notre article ici). La DMLA est une maladie de l’œil qui affecte environ un million de personnes en France et qui est la première cause de cécité après 50 ans. D’après les données de l’assurance maladie, les remboursements du Lucentis, commercialisé par Novartis, se sont élevés, en 2012, à 402 millions d’euros, et à 438 millions en 2013, ce qui en fait l’une des spécialités pharmaceutiques les plus coûteuses pour la Sécurité sociale.

Ce sont donc des centaines de millions d’euros qui auraient pu être économisés si la DGS n’avait pas, dans une circulaire du 7 juillet 2012, interdit l’utilisation de l’Avastin, anticancéreux vendu par Roche, pour le traitement de la DMLA. Le député Gérard Bapt, qui s’était déjà élevé contre ce gaspillage, vient d’adresser une lettre au directeur général de la santé, dans laquelle il demande le retrait de la circulaire de juillet 2012, jugeant « inacceptable de continuer à tolérer la rente de situation organisée par deux laboratoires capitalistiquement liés, au détriment des assurés sociaux français ».

La décision de la DGS était motivée par une interprétation réglementaire (l’Avastin n’a pas d’indication pour la DMLA dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché, AMM), mais elle avait suscité les protestations de plusieurs services hospitaliers d’ophtalmologie : ces derniers, notamment celui du groupe hospitalier Cochin-Hôtel-Dieu, à Paris, et celui des Hospices civils de Lyon, avaient traité depuis des années leurs patients en utilisant l’Avastin plutôt que le Lucentis. D’après leur expérience, les deux produits étaient également efficaces et aussi bien tolérés l’un que l’autre.

Depuis, l’étude Gefal, menée par le CHU de Lyon et dirigée par le professeur Laurent Kodjikian, a confirmé que les deux traitements étaient équivalents (ce que démontraient déjà deux autres essais, CATT aux États-Unis et IVAN en Grande-Bretagne). À l’automne 2012, le gouvernement semblait avoir enfin pris la mesure du problème : Marisol Touraine, ministre de la santé, s’apprêtait à remédier à ce gâchis grâce à une modification législative figurant dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Il s’agissait, schématiquement, de contourner l’absence d’indication dans l’AMM par une « RTU », ou recommandation temporaire d’utilisation, qui aurait permis de continuer à utiliser l’Avastin pour la DMLA.

Mais le décret qui aurait dû mettre en œuvre cette mesure n’est toujours pas passé. Le directeur général de la santé, le professeur Vallet, a indiqué à Gérard Bapt qu’« une méta-analyse réalisée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) montre que les données actuellement publiées (…) ne permettent pas, dans l’immédiat, d’envisager favorablement l’emploi d’Avastin en hors AMM ». Cette position s’oppose pourtant aux conclusions de la littérature scientifique qui montre que l’Avastin n’entraîne pas plus de risques que le Lucentis et présente la même efficacité.

Gérard Bapt estime que le problème n’est plus seulement médico-scientifique mais relève d’une entente entre les deux laboratoires producteurs, Novartis et Roche. Ces deux laboratoires bâlois ont une longue histoire commune et des liens financiers.

L’autorité italienne de la concurrence, qui enquête depuis février 2013, estime qu’une entente illicite existe : « Les preuves accumulées montrent que depuis 2011, Roche et Novartis se sont entendus pour créer une différenciation artificielle entre produits et prétendre qu’Avastin est plus dangereux que Lucentis en vue d’influencer les prescriptions et les services de santé », affirme l’autorité italienne. Elle vient d’infliger aux deux laboratoires des amendes de 182,5 millions d’euros pour « entente illicite ».

L’autorité italienne considère que « les deux groupes ont conclu un accord illicite pour empêcher l’utilisation d’un médicament très bon marché, l’Avastin, qui traite la maladie de la vue la plus répandue parmi les personnes âgées ainsi que d’autres sérieux problèmes oculaires », afin de favoriser la prescription d’un produit beaucoup plus coûteux, le Lucentis. Cette entente aurait coûté 45 millions d’euros au système de santé italien en 2012.

Gérard Bapt demande que la Commission européenne mène une enquête pour « entrave à la concurrence ». Il a également appelé l’Autorité française de la concurrence à se saisir de l’affaire « afin de rendre un avis sur les pratiques potentiellement anticoncurrentielles des laboratoires Novartis et Roche ».

 

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Source : www.mediapart.fr

 


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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 15:17

 

Source : www.mediapart.fr

 

Sarkozy, un homme en bande organisée

|  Par Fabrice Arfi

 

 

 

Jamais sous la Ve République un système présidentiel n'aura été cerné de si près par des juges anticorruption. Conseillers, collaborateurs, ministres, amis, magistrats, grands flics, hommes d’affaires… et désormais avocat. Toute la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy a eu affaire à la justice et à la police ces deux dernières années. Inventaire.

Tout est toujours dans les livres : « Pour la première fois depuis très longtemps dans l’histoire politique française, les affaires sortent (…). Nous sommes en train de purger le système. Il devrait en résulter une plus grande confiance dans nos institutions. Y a-t-il une autre solution ? Non, il n’y en a pas. Il fallait que la démocratie affronte cette réalité. » Ces paroles de fer sont de… Nicolas Sarkozy.

L’extrait, tiré d’un ouvrage oublié, Au bout de la passion, l’équilibre (Albin Michel), date de 1995. À l’époque, Nicolas Sarkozy est ministre du budget et porte-parole du premier ministre Édouard Balladur. Déjà, la chronique française était rythmée par le fracas des affaires qui frappaient de plein fouet aussi bien la droite (Carignon, Noir, Longuet, HLM de Paris…) que la gauche (Urba, Pechiney…). Aucune ne touchait directement Sarkozy.

Près de vingt ans plus tard, les choses ont changé, offrant une nouvelle réalité que la démocratie doit « affronter » : jamais sous la Ve République, ni par l’ampleur et la diversité des faits mis au jour, ni par le nombre des personnes inquiétées, un système présidentiel n'aura été cerné de si près par des juges indépendants. La liste des affaires du sarkozysme s'étalant sur deux décennies (1993-2013) paraît aujourd'hui interminable : Karachi, Bettencourt, Tapie, Takieddine, Kadhafi, affaires des sondages, de la BPCE, espionnage des journalistes…

Ce n’est pas seulement l’histoire d’un homme, c’est aussi celle d’une petite bande soudée par amitié, intérêts ou idéologie, parfois les trois, autour de lui. La « purge du système » aurait-elle donc commencé ? Car il faut bien prendre la mesure de ce qui se joue. Conseillers, collaborateurs, ministres, amis, magistrats, grands flics, hommes d’affaires… : toute la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy, quand ce n’est pas l’ancien président lui-même – voir par exemple sa mise en examen, suivie d'un non-lieu, dans le dossier Bettencourt –, a eu affaire au cours des deux années écoulées à la police (pour des gardes à vue ou des perquisitions) et à des juges (pour des auditions ou, pire, des mises en examen).

Si ce n’est pas une opération mains propres à la française qui se joue actuellement sans le dire à l’ombre de quelques cabinets d’instruction de juges anticorruption, cela y ressemble drôlement. Et le portrait de groupe que donne aujourd’hui à voir la photographie judiciaire du sarkozysme, au-delà des responsabilités pénales éventuelles des uns et des autres, pourrait tout entier se résumer à la formule de Jean Gabin, soufflée par Audiard, dans Le Président (1961) : « Ce n’est pas un parti, c’est un syndicat d’intérêts. » Revue de détail.  

  • Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence de la République. 
  • Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence de la République. © Reuters
  • CLAUDE GUÉANT
    [Lien avec Sarkozy : directeur de cabinet au ministère de l'intérieur (2002-2004/2005-2007) et au ministère de l'économie (2004-2005), directeur de la campagne présidentielle de 2007, secrétaire général de la présidence de la République (2007-2011), ministre de l'intérieur (2011-2012)]

Il est celui que la presse surnommait « le Cardinal » ou « le Vice-Président » du temps des splendeurs élyséennes. Son nom traverse aujourd’hui de nombreuses affaires. Dans toutes, il apparaît comme la doublure du président. Claude Guéant a longtemps traîné la réputation du grand commis de l’État, droit et rigoureux. Un peu gris comme la couleur de ses costumes. C’est le portrait d’un homme beaucoup moins convenable que brossent aujourd’hui diverses instructions en cours à Paris.

Dans l’affaire Kadhafi, les soupçons sont lourds. Après plusieurs mois d’enquête préliminaire, le parquet de Paris a décidé d’ouvrir en avril dernier une information judiciaire, confiée aux juges Serge Tournaire et René Grouman, pour « corruption active et passive », « trafic d'influence, faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « blanchiment, complicité et recel ». Cette longue litanie de délits potentiels vise directement les incestueuses relations franco-libyennes tissées dès 2005 par le ministre de l’intérieur Sarkozy avec le régime Kadhafi, et poursuivies à partir de 2007 par le même devenu président.

Deux hommes, inséparables à cette époque, ont été les artisans actifs de ce rapprochement sur fond de diplomatie parallèle et de contrats lucratifs : le marchand d’armes Ziad Takieddine, vieille connaissance de la Sarkozie, et Claude Guéant. Le même couple improbable sera à l’œuvre en 2008 lors de l’idylle franco-syrienne entre Nicolas Sarkozy et Bachar al-Assad.

Dans le dossier libyen, aucune des initiatives de Takieddine n’a été engagée sans l’aval de Guéant. Aucune des décisions du second n’a été prise sans les conseils du premier. Mais selon plusieurs témoignages et documents aujourd’hui entre les mains des juges, la lune de miel Sarkozy/Kadhafi est allée beaucoup plus loin. La justice enquête ouvertement désormais sur des soupçons de financement par la dictature libyenne au moment de l’élection présidentielle de 2007. Un ancien dignitaire du régime, Mohamed Ismail, chef de cabinet de Saïf al-Islam Kadhafi, a même décrit le circuit de l’argent noir dans un document qui citait Claude Guéant et Ziad Takieddine.

C’est dans le cadre de ce dossier que Guéant a d’ailleurs été perquisitionné, le 26 février, par les policiers de la Division nationale des investigations financières et fiscales (Dniff). Outre des échanges réguliers avec Takieddine au sujet de la Libye, les enquêteurs ont fait ce jour-là d’étonnantes découvertes bancaires : ici, la réception en 2008 de 500 000 euros cash (correspondant à la vente de tableaux, d’après Guéant, mais ils sont introuvables) ; là, un versement inexpliqué de 25 000 euros en provenance de la Jordanie. Sans compter de très nombreuses dépenses en espèces et un train de vie inadapté aux émoluments officiels du personnage.

Rien n’indique que ces éléments aient un lien avec le dossier libyen, mais ils sont venus jeter une lumière crue sur les pratiques personnelles du « Cardinal » quand il était en fonctions.  

Parallèlement, dans l’affaire Tapie, Claude Guéant apparaît de plus en plus au fil des investigations des juges Guillaume Daïeff, Serge Tournaire et Claire Thépaut comme celui qui a piloté depuis le Château le dossier qui a abouti, en juillet 2008, au dédommagement à hauteur de 405 millions d’euros (sur deniers publics) du célèbre homme d’affaires dans le cadre de son litige avec le Crédit lyonnais. Cette décision, qui a été rendue en faveur de Bernard Tapie par un tribunal arbitral (c’est-à-dire privé), est aujourd’hui qualifiée d’« escroquerie en bande organisée » par la justice, tant le jugement semble correspondre davantage à un arrangement inavouable qu’à une décision impartiale.

Et pour l’ami du président, aucune faveur ne semblait pouvoir être refusée. Ainsi que l’a révélé Mediapart, un enregistrement audio, versé au dossier judiciaire, montre que Bernard Tapie négociait à cette époque en direct avec le secrétaire général de l’Élysée des privilèges fiscaux en marge de son affaire. C’est pour toutes ces raisons que Claude Guéant a également été perquisitionné par la police dans le cadre de cette affaire, le 26 février dernier. Soit le même jour que sa perquisition dans le dossier libyen…

  • BORIS BOILLON
    [Lien avec Sarkozy : conseiller diplomatique au cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur en 2006, conseiller technique à la présidence de la République chargé du Proche et Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, entre 2007 et 2009, ambassadeur en Irak (2009-11) et en Tunisie (2011-12)]

Il est 16 h 30, ce 31 juillet 2013. Les douaniers de la gare du Nord contrôlent des passagers prêts à monter dans le train Thalys, direction Bruxelles. Parmi eux, un homme athlétique, vêtu d’un jean et d’un polo. Les agents ne le reconnaissent pas, mais il s’agit de Boris Boillon, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée et ex-ambassadeur de France en Irak et en Tunisie. Ils lui demandent s’il transporte des devises. Boillon nie, mais la fouille est concluante. Dans son sac, les douaniers découvrent des « enveloppes contenant des billets de banque de 500 euros ».

Selon le procès-verbal établi par les douaniers, Boris Boillon transporte ce jour-là 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide. Ces sommes correspondent à 3 190 billets de 100 euros, 32 billets de 500 euros, 100 billets de 50 euros et 50 billets de 200 euros, ainsi qu'à 400 billets de 100 dollars. Il n’a sur lui ni pièce d’identité ni téléphone portable, mais trois cartes bleues à son nom. L'homme jure que l'argent transporté – illégalement – provient de ses activités de conseil avec l'Irak, sans apporter toutefois d'éléments probants.

Dans le premier cercle diplomatique de Nicolas Sarkozy depuis 2006, Boris Boillon a été l'un des principaux protagonistes de la lune de miel entre l'ancien président français et le dictateur Mouammar Kadhafi, qui l'appelait, de son propre aveu, « mon fils ».

  • Brice Hortefeux au Parlement européen. 
  • Brice Hortefeux au Parlement européen. © Reuters
    BRICE HORTEFEUX
    [Lien avec Sarkozy : collaborateur à la mairie de Neuilly (1986-1994), chef de cabinet au ministère du budget (1993-1995), conseiller au ministère de l'intérieur et de l'économie (2002-2005), ministre aux collectivités territoriales (2005-2007), ministre de l'immigration (2007-2009), ministre du travail (2009), ministre de l'intérieur (2009-2011), conseiller politique pour la campagne présidentielle de 2012. Parrain de son fils Jean]

Il est « l’ami de toujours », selon l’expression de Nicolas Sarkozy. Brice Hortefeux n’a rien raté de l’irrésistible ascension – et de la chute – de son mentor, de la mairie de Neuilly à l’Élysée, en passant par tous les ministères (budget, économie, intérieur…).

Dans l’affaire Karachi, la plus ancienne de toutes, les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire enquêtent depuis bientôt trois ans sur le financement illicite de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur de 1995 grâce à l’argent détourné des ventes d’armes de son gouvernement avec le Pakistan et l’Arabie saoudite. Le principal intermédiaire mis en cause, Ziad Takieddine (déjà lui), a reconnu les faits récemment sur procès-verbal, alors que les preuves s’accumulent sur les bureaux des magistrats.

Or, selon le trésorier de la campagne, René Galy-Dejean, une partie des fonds occultes qui ont alimenté les équipes de Balladur provenait de la « cellule meetings ». « C'est M. Hortefeux qui dirigeait la cellule meetings », a soufflé aux juges René Galy-Dejean, le 10 mai 2011, après avoir précisé qu’il avait reçu les fonds en liquide de cette même cellule, fonds qui lui étaient livrés dans de « petits cartons ». À l’époque, Brice Hortefeux occupait également le poste de chef de cabinet du ministre du budget Nicolas Sarkozy, lui-même impliqué à divers titres dans le dossier (voir ici et ).

Comme en témoignent plusieurs photos publiées par Mediapart, Brice Hortefeux a également entretenu à partir du début des années 2000 une relation continue et personnelle avec Ziad Takieddine, tandis que ce dernier devenait incontournable pour le cabinet du ministre Sarkozy. Selon l’ex-femme du marchand d’armes, Nicola Johnson, cette relation n’était pas désintéressée. Le 9 décembre 2011, elle a témoigné devant les juges d’au moins une remise d’espèces en 2005 en faveur de Brice Hortefeux lors d’une visite au domicile de Takieddine, avenue Georges-Mandel, à Paris. Ce que l’intéressé dément.  

 

Brice Hortefeux et Ziad Takieddine, en 2005 
Brice Hortefeux et Ziad Takieddine, en 2005 © dr

De l’affaire Kadhafi, Brice Hortefeux n’est pas non plus absent. Non seulement l’homme a multiplié les contacts discrets entre 2005 et 2007 avec Takieddine, quand celui-ci était chargé de la diplomatie parallèle avec la Libye pour Sarkozy, mais son nom est également apparu dans d’éventuels montages financiers suspects.

D’après une note de la fin 2006 rédigée par un correspondant des services secrets français, Jean-Charles Brisard, proche de la DCRI, les « modalités de financement de la campagne » de Nicolas Sarkozy avaient été « réglées lors de la visite Libye NS + BH » le 6 octobre 2005. « BH », pour Brice Hortefeux. Cette visite officielle avait été activement préparée par Ziad Takieddine, comme en attestent ses notes à Claude Guéant, qui figurent au dossier d’instruction.

Selon cette même note, le financement libyen prévu s’élevait au total à 50 millions d’euros – promesse confirmée par un document officiel de l’ancien régime Kadhafi, qui cite également Brice Hortefeux. Ce dernier, récemment entendu par des juges dans le cadre d'une plainte déposée contre Mediapart pour « faux et usage de faux », a réfuté avoir rencontré des officiels libyens à la date indiquée dans le document libyen en question. Mais il a reconnu avoir participé à une réunion, en décembre 2005, à Tripoli, avec l'ancien chef des services secrets intérieurs libyen, Abdallah Senoussi, en présence de... Ziad Takieddine. Selon lui, il a surtout été question de flux migratoires durant cet échange resté secret jusqu'ici.

Devant les juges, Hortefeux a également juré n'être allé qu'une seule fois en Libye. Seulement voilà : selon Charlie Hebdo, Philippe Vannier, le P-DG d'une société de surveillance électronique, Amesys, qui a vendu du matériel d'espionnage à Kadhafi avec l'aval des autorités françaises en 2006 et 2007, a affirmé devant des policiers, en juillet 2013, avoir organisé « deux fois » la visite à Tripoli « de Guéant, Hortefeux et Sarkozy ».

  • CHRISTIAN FLAESCH
    [Lien avec Sarkozy : a été nommé, le 12 juillet 2007, au début du quinquennat Sarkozy, patron de la police judiciaire parisienne ]

Il fut l'un des "grands flics" de l'ère Sarkozy. Patron opérationnel de la police judiciaire parisienne, l'un des postes plus sensibles au ministère de l'intérieur, Christian Flaesch a été débarqué en décembre 2013. Des écoutes téléphoniques ont montré qu'il avait préparé Brice Hortefeux à une audition à venir par les juges dans l'affaire de la plainte de Sarkozy contre Mediapart.

Le policier indiquait à son ancien ministre de tutelle quel type de questions allaient lui être posées et quels documents il devait apporter pour bien répondre au juge. Le policier demandait aussi à Brice Hortefeux, qui avait été placé sur écoute par les juges de l'affaire du financement libyen, de ne rien dire aux magistrats de ces appels... Il n'en a pas eu besoin.

  • Thierry Gaubert, un intime de Nicolas Sarkozy depuis Neuilly. 
  • Thierry Gaubert, un intime de Nicolas Sarkozy depuis Neuilly. © DR
    THIERRY GAUBERT
    [Lien avec Sarkozy : chargé du journal municipal de Neuilly-sur-Seine lors de l'élection de 1983, secrétaire général de la mairie (1984), responsable de la communication du maire (1983-1993), chef de cabinet adjoint au ministère du budget (1993-1995)]

Avec Hortefeux, il est l’autre pilier de la bande des jeunes années Sarkozy. L’autre dépositaire de ses premiers secrets. Responsable de sa communication à la mairie de Neuilly-sur-Seine, il devient un proche conseiller au ministère du budget entre 1993 et 1995, période durant laquelle Nicolas Sarkozy autorisera, contre l’avis de son administration, le versement anticipé de commissions occultes au réseau de Takieddine dans plusieurs marchés d’armement suspects. L’argent sera retiré immédiatement en espèces par l’intermédiaire à Genève, ville qu’il fréquentait alors avec Thierry Gaubert.

D’après les aveux récents de Ziad Takieddine devant la justice, laquelle détient déjà de nombreuses preuves du système de détournement d’argent sur les ventes d’armes mis en place par les balladuriens, plusieurs valises d’espèces ont été remises à Thierry Gaubert, quand il travaillait sous l’autorité directe de Nicolas Sarkozy, pour le financement de la campagne d’Édouard Balladur. Thierry Gaubert est aujourd’hui mis en examen pour « recel d’abus de biens sociaux » et « blanchiment aggravé » dans ce dossier.

Au fil de leurs investigations, les policiers et les juges ont aussi découvert l’ampleur des avoirs occultes de Thierry Gaubert au travers de sociétés offshore et de comptes bancaires non déclarés – il en détient plusieurs en Suisse. Parmi ses biens cachés figure notamment un petit palais perdu dans la forêt colombienne, que Mediapart avait retrouvé en novembre 2011. Le financement de cette propriété luxueuse, où l’on compte notamment un lac artificiel construit ex nihilo, a été assuré pour partie par Ziad Takieddine.

Sur place, dans le petit village de Nilo, situé à 150 kilomètres de Bogota, Thierry Gaubert menait la vie grand train et a développé, par le truchement de sociétés offshore, une activité pour le moins étrange : l’ouverture de deux bars aux noms fleuris, le Nichon et le Nibar. Des photos obtenues par Mediapart ont par ailleurs montré que le député UMP Olivier Dassault ou le chef d’entreprise Alexandre Juniac, tous deux proches de Sarkozy, s'étaient rendus en Colombie à l’invitation de Gaubert. Tout comme Ziad Takieddine et sa famille…

Alors que Nicolas Sarkozy affirme avoir cessé de fréquenter Thierry Gaubert à la fin des années 1990 à cause de ses premiers démêlés judiciaires dans une affaire immobilière (voir ici), des mails saisis par les policiers montrent qu’il n’en est rien, en réalité. Il est apparu en effet que Nicolas Sarkozy a continué pendant de longues années à gérer depuis le ministère de l’intérieur les affaires de son cabinet d’avocats, via Thierry Gaubert, qu’il continuait de voir. À cette époque, Gaubert occupait le poste de directeur de cabinet du président des Caisses d’épargne, Charles Milhaud.

Le 8 juillet 2011, trois jours après une perquisition chez Gaubert, Hortefeux avait appelé son vieil ami pour s’inquiéter des enquêtes de Mediapart en cours. « Alors je te signale que y a Mediapart qui cherche beaucoup sur Ziad (Takieddine) », lui dit-il dans une conversation enregistrée par la police. « C’est très étonnant ce qu’ils ont comme éléments d’information (…). Je ne sais pas comment ils font les mecs, hein. Je ne sais pas comment ils font », s'étonnera l’ancien ministre de Sarkozy.

Quelques semaines plus tard, juste avant sa mise en examen le 21 septembre 2011, Thierry Gaubert recevra un autre coup de téléphone de Brice Hortefeux pour le prévenir que la justice accumulait, elle aussi, des informations compromettantes à son encontre.

  • Nicolas Bazire, l'autre Nicolas des années Balladur. 
  • Nicolas Bazire, l'autre Nicolas des années Balladur. © Reuters
    NICOLAS BAZIRE
    [Lien avec Sarkozy : directeur de cabinet du Premier ministre Édouard Balladur quand Sarkozy était ministre du budget (1993-1995), directeur de la campagne présidentielle de 1995 quand Sarkozy en était le porte-parole (1995). Témoin de son mariage en 2008]

En 1994, la journaliste Ghislaine Ottenheimer publiait un livre très informé sur la « machine Balladur ». Il avait pour titre Les Deux Nicolas (Plon). Le premier était Nicolas Sarkozy. Le second, Nicolas Bazire. Directeur de cabinet de l’ancien premier ministre, avant de devenir celui de sa campagne présidentielle, Nicolas Bazire est un intime de Sarkozy. Au point d’avoir été en 2008 son témoin de mariage avec Carla Bruni.

Comme Thierry Gaubert, Nicolas Bazire est mis en examen dans le volet financier de l’affaire Karachi. Poursuivi pour « complicité d’abus de biens sociaux », il lui est reproché d’avoir été en amont, depuis Matignon, l’un des chefs d’orchestre de la mise en place du réseau Takieddine dans les marchés d’armement incriminés et en aval, au QG de campagne, le destinataire final des sommes perçues illégalement.

Les archives officielles de Matignon et de différents ministères ont montré que Nicolas Bazire n’a pas compté ses heures quand il a fallu qu’il s’investisse personnellement dans toutes les décisions politiques, voire financières, liées aux contrats suspects.

Et d’après les récents aveux de Ziad Takieddine, c’est Nicolas Bazire qui lui a présenté en décembre 1993 Thierry Gaubert. Le message était clair : récupérer de l’argent à tout prix pour financer les ambitions présidentielles d’Édouard Balladur. À l’époque, le premier ministre était parti en campagne sans le soutien de son parti, le RPR, tout entier (caisses comprises) dévolu à Jacques Chirac. Mais il avait un atout majeur dans sa manche, la commande publique, et deux soutiens de poids dans son gouvernement, Nicolas Sarkozy, au Budget, et François Léotard, à la Défense. Une bande décidément bien organisée.

  • Eric Woerth, trésorier et ministre de Sarkozy. 
  • Eric Woerth, trésorier et ministre de Sarkozy. © Reuters
    ÉRIC WOERTH
    [Lien avec Sarkozy : trésorier national de l'UMP sous la présidence de Sarkozy (2004), créateur du “Premier Cercle”, trésorier de la campagne présidentielle de 2007, ministre du budget (2007-2010), ministre du travail (2010)]

Pendant longtemps, il n’eut pour toute défense qu’une lapalissade : « Est-ce que j’ai une tête à couvrir la fraude fiscale ? » De toute évidence, les juges de l’affaire Bettencourt, Jean-Michel Gentil, Valérie Noël et Céline Ramonatxo, n’ont pas raisonné ainsi. Ministre phare de Sarkozy (au Budget, puis au Travail) après avoir été le trésorier de sa campagne en 2007, Éric Woerth a été renvoyé, en juillet dernier, devant le tribunal correctionnel pour « trafic d’influence » par les trois juges de Bordeaux. Il est par ailleurs toujours mis en examen dans un autre volet de l’affaire pour recel de « numéraires », soutirés à Liliane Bettencourt au moment de la campagne de 2007.

Le scandale fut à double détente pour Éric Woerth. Il y eut d’abord la révélation par Mediapart, en juin 2010, des enregistrements du majordome des Bettencourt qui mettait au jour l’intenable conflit d’intérêts de l’ancien ministre du budget et trésorier de l’UMP. Voici un homme qui, à main gauche, devait être le garant du respect de la loi fiscale et, à main droite, fit embaucher sa femme par le gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, qui s’est avéré être l’organisateur en chef de la fraude fiscale de l’héritière de L’Oréal. Voici le même homme, chargé de faire rentrer le maximum d’argent dans les caisses de son parti, qui fut financé personnellement par l’employeur de sa femme, auquel il a remis la Légion d’honneur début 2008 en tant que ministre du budget.

Il y eut ensuite le témoignage accablant de la comptable des Bettencourt, Claire Thibout, qui a raconté le bal des enveloppes bourrées d’espèces en faveur, entre autres, de Nicolas Sarkozy et d’Éric Woerth. Témoignages, agendas, retraits d’argent liquide en Suisse, journaux intimes : au fil de leur enquête, les juges ont accumulé les indices graves et concordants qui ont justifié la mise en cause judiciaire de l’ancien homme fort du système Sarkozy.

Interrogé en février 2012 sur la mise en examen de son ancien ministre, l’ex-chef de l’État a eu pour seule réponse : « J’ai pas envie de parler de ça. Écoutez, on est en démocratie, et on a bien le droit de ne pas répondre aux questions. Vous avez le droit de les poser, j’ai le droit de ne pas y répondre. »

  • GILBERT AZIBERT
    [Lien avec Sarkozy : secrétaire général du ministère de la justice (2008-2010)]

C'est la dernière révélation en date. Une écoute téléphonique de Nicolas Sarkozy, réclamée par les juges de l'affaire libyenne, laisse entendre selon Le Monde que Gilbert Azibert, haut magistrat de la Cour de cassation, a tuyauté l'ancien chef de l’État et son avocat Thierry Herzog sur la procédure Bettencourt, en échange d'un appui pour une nomination à Monaco. Une enquête pour « trafic d'influence » après la découverte de ces écoutes a été ouverte au pôle financier du tribunal de Paris. L'avocat de Nicolas Sarkozy a été perquisitionné mercredi 5 mars dans ce dossier. 

Étiqueté clairement à droite, Gilbert Azibert a occupé de hautes fonctions sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Il a notamment dirigé l’Administration pénitentiaire (de 1996 à 1999), l’École nationale de la magistrature (ENM, de 2002 à 2005), le parquet général de la cour d’appel de Bordeaux (de 2005 à 2008), avant d’être bombardé secrétaire général du ministère de la justice de 2008 à 2010. Homme de réseaux, en lice pour succéder à Jean-Louis Nadal à la tête du parquet général de la Cour de cassation en 2011, il a finalement été supplanté par son grand rival, Jean-Claude Marin.

  • Christine Lagarde, la ministre qui voulait un « guide ». 
  • Christine Lagarde, la ministre qui voulait un « guide ». © Reuters
    CHRISTINE LAGARDE
    [Lien avec Sarkozy : ministre de l'économie et des finances (2007-2011)]

« Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting. Si tu m’utilises, j’ai besoin de toi comme guide. » Ces quelques mots sont de Christine Lagarde, ministre de l’économie, à l’adresse de Nicolas Sarkozy. Cette lettre d’allégeance, dont on ne sait si elle a été envoyée à son destinataire, a été saisie par les juges de l’affaire Tapie. Intéressante pour l’enquête, elle montre l’état de servitude volontaire dans lequel l’ancienne avocate d’affaires semblait s’être mise vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. Au point de jouer contre les intérêts de l’État ?

Dans les faits, Christine Lagarde est celle qui a signé la décision d’interrompre le cours de la justice ordinaire pour saisir un tribunal arbitral dans l’affaire Tapie. Seulement voilà, les faits potentiellement délictueux commis lors de son passage à Bercy ne sont pas passibles d’un tribunal classique, mais d’une cour d’exception, la Cour de justice de la République, qui juge les fautes pénales commises par des ministres dans le cadre de leurs fonctions. Et tandis que les mises en examen s’accumulent dans le volet non ministériel du dossier, Christine Lagarde s’en sort bien pour le moment devant la CJR.

Pourtant accusée par l’ancien procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, d’avoir fait constamment « échec à la loi » dans l’affaire Tapie, Christine Lagarde n’a pas été mise en examen par les juges de la CJR. Entendue pendant près de deux jours, après avoir été perquisitionnée, l’actuelle patronne du Fonds monétaire international (FMI) a été placée sous le statut de témoin assisté, un statut intermédiaire entre simple témoin et mis en examen. En droit français, “témoin assisté” signifie qu’il y a à l’encontre de la personne ainsi désignée des indices permettant de considérer qu’elle n’est pas extérieure au délit recherché, mais que ceux-ci ne sont pas suffisamment graves et concordants pour justifier une mise en examen.

En revanche, son ancien directeur de cabinet, Stéphane Richard, un autre proche de Sarkozy qui cultive aussi de solides amitiés au PS (Valls, Moscovici, DSK…), a été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée ». Tout comme Bernard Tapie, son avocat Maurice Lantourne, l’arbitre Pierre Estoup ou le haut fonctionnaire Jean-François Rocchi.

Le 23 octobre 2006, alors qu’il lui remettait la Légion d’honneur en tant que ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy a laissé éclater son admiration pour Stéphane Richard lors de son discours public : « Tu t’es fait tout seul et tu as réussi seul contre tous. Un jour, je serai aussi riche que toi. »

  • Philippe Courroye, l'étouffeur de Nanterre. 
  • Philippe Courroye, l'étouffeur de Nanterre. © Reuters
    PHILIPPE COURROYE
    [Lien avec Sarkozy : nommé procureur de Nanterre, le fief de Nicolas Sarkozy, en 2007. A reçu des mains de l'ancien président l'ordre national du Mérite en 2009]

Le 3 avril 1914, le garde des Sceaux d’alors, un certain Aristide Briand, eut ce mot célèbre à la Chambre : « Ah ! La magistrature manque d’indépendance ! Ce procureur sous sa robe rouge et son hermine n’a pas eu la conscience assez haute pour résister ? Mais que se passe-t-il donc dans les ministères ? J’y suis allé, dans les ministères, et dans celui de la justice. La nomination de magistrats, leur avancement, leur carrière, leur vie est toute entre nos mains… » Ce portrait-robot du magistrat soumis existe toujours un siècle plus tard. Sous Sarkozy, un plus que tout autre l’a incarné : le procureur Philippe Courroye. Un pion central de la bande organisée.

Nommé en 2007, contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, à Nanterre, c’est-à-dire dans le fief de la Sarkozie, Philippe Courroye a déployé une énergie considérable entre 2007 et 2012 pour que rien ne sorte de dérangeant contre le chef de l’État. La démonstration la plus caricaturale de cette situation aura été sa gestion de l’affaire Bettencourt à l’été 2010. Faisant mine de mener tambour battant une enquête impartiale, le procureur Courroye a en réalité multiplié les actes d’allégeance judiciaire pour le bon plaisir de l’Élysée. Comme Le Monde le rapportera, il se rendra discrètement au Château à chaque moment clé de son enquête.

Le procureur, honoré de l’ordre national du Mérite par Sarkozy en 2009, n’a pas hésité à intimider les témoins gênants ou à placer sous surveillance téléphonique plusieurs journalistes du Monde un peu trop bien informés du contenu de certains procès-verbaux embarrassants pour le pouvoir.

Philippe Courroye et son adjointe avaient été mis en examen début 2012 par une juge parisienne, Silvia Zimmermann, pour « collecte illicite de données à caractère personnel » et « violation du secret des correspondances ». Mais la cour d’appel de Paris avait annulé ces mises en examen deux mois plus tard pour des raisons de forme, estimant que les deux magistrats ne pouvaient être poursuivis tant que les actes en cause n’avaient pas été définitivement annulés par la justice. Comme un serpent juridique qui se mord la queue.

  • Squarcini, patron de la brigade du chef. 
  • Squarcini, patron de la brigade du chef. © Reuters
    BERNARD SQUARCINI
    [Lien avec Sarkozy : nommé préfet de police de la région PACA (2004), directeur de la DST (2007), directeur de la DCRI (2008-2012)]

La justice était sous contrôle, il fallait que la police le fût aussi. À la tête de la police nationale, Nicolas Sarkozy avait placé un ami d’enfance (Frédéric Péchenard). Les services secrets intérieurs, eux, sont revenus à un policier dévoué, Bernard Squarcini, qui a réussi à faire de la DCRI une redoutable brigade du chef.

Ainsi que plusieurs médias l’ont rapporté, le service a été mobilisé à plusieurs reprises pour placer sous surveillance les journalistes un peu trop remuants, notamment ceux de Mediapart. Dans un livre précis et sourcé paru en 2012, L’Espion du président (Robert Laffont), les journalistes Christophe Labbé et Olivia Recasens (du Point) et Didier Hassoux (du Canard enchaîné) ont publié un témoignage accablant pour celui qui était surnommé « Le Squale ». Il émanait de Joël Bouchité, ancien conseiller sécurité de Sarkozy.

« Squarcini, confiait à nos confrères ce haut fonctionnaire policier reconverti dans la préfectorale, a recréé à son côté une petite cellule presse. Des mecs chargés de se rancarder sur ce qui se passe dans les journaux, les affaires qui vont sortir, la personnalité des journalistes. Pour cela, comme pour d’autres choses, ils usent de moyens parfaitement illégaux. Leur grand truc, c’est de voler des adresses IP, la carte d’identité des ordinateurs. Ils épient les échanges de mails, les consultations de sites. Ils sont alors au parfum de tout. Si nécessaire, ils doublent en faisant des fadettes. » Le témoin affirmait également que le même Squarcini a conservé « des camions d’archives » visant « notamment des personnalités politiques et des journalistes ».

Mis en examen pour « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite », Bernard Squarcini a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris, en juin dernier, par la juge Zimmermann, pour l’espionnage illicite d’un journaliste du Monde.

Le Canard enchaîné, qui avait affirmé en novembre 2011 que le “Squale” pilotait au sein de la DCRI une cellule d'espionnage des journalistes (notamment de Mediapart), avait été poursuivi pour diffamation. Condamné en première instance, l'hebdomadaire a été relaxé, le 20 février 2014, par la cour d'appel de Paris.

  • Patrick Buisson, théoricien et homme d'affaires... 
  • Patrick Buisson, théoricien et homme d'affaires... © Reuters
    PATRICK BUISSON
    [Lien avec Sarkozy : conseiller au ministère de l'intérieur (2005-2007), conseiller sans fonction officielle à l’Élysée (2007-2012), contractuel de la présidence de la République pour la vente de sondages, conseiller politique pour la campagne présidentielle de 2012. Décoré de la Légion d'honneur en 2007 par l'ancien président]

L’extrême-droitisation de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, c’est lui. Ancien directeur de l’hebdomadaire Minute, Patrick Buisson est le fantôme du sarkozysme. Conseiller occulte de Nicolas Sarkozy, il fut également sous sa présidence un homme d’affaires avisé. La justice s’intéresse de très près à ses activités sondagières.

Patron de la société de conseil Publifact, Buisson avait signé en 2007 une juteuse convention avec la présidence de la République sans le moindre appel d’offres. La Cour des comptes s’était étonnée en 2009 de ce contrat passé sans qu'« aucune des possibilités offertes par le code des marchés publics pour respecter les règles de la mise en concurrence (...) n’ait été appliquée ». Les sommes en jeu avaient été jugées « exorbitantes » par la Cour : 1,5 million d’euros !

Le bureau et le domicile parisien de Patrick Buisson ont été perquisitionnés en avril dernier dans le cadre d’une information judiciaire ouverte dans l’affaire des sondages. Le 13 octobre 2009, lors d’une audition devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Frémont, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, avait admis une « anomalie » dans le contrat accordé à Patrick Buisson. C’est le moins que l’on puisse dire.

Oiseau de malheur pour le sarkozysme, Patrick Buisson est aujourd'hui au banc des pestiférés à l'UMP depuis la diffusion par la presse d'extraits d'enregistrements clandestins qu'il a réalisés, à l’Élysée, sous le règne de Sarkozy.

 

  • François Pérol, le banquier de l'Elysée. 
  • François Pérol, le banquier de l'Elysée. © DR
    FRANÇOIS PÉROL
    [Lien avec Sarkozy : directeur de cabinet adjoint au ministère de l'économie et des finances (2004-2005), secrétaire général adjoint de la présidence de la République (2007-2009)]

Il est discret, c’est un banquier. Ancien haut fonctionnaire au ministère de l’économie, François Pérol est passé par la banque Rothschild entre 2005 et 2007 avant de rejoindre Nicolas Sarkozy à l’Élysée, au poste de secrétaire adjoint de la présidence de la République, où il était chargé de toutes les grandes questions économiques. Les deux hommes avaient brièvement travaillé ensemble à Bercy quand Sarkozy était ministre des finances.

À l’Élysée, parmi les dossiers que François Pérol a eu à traiter, figurait l’épineuse fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires pour créer un géant bancaire, la BPCE. Quand il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir : sitôt le rapprochement des deux banques entériné en février 2009, François Pérol est parti en prendre la tête. Un “pantouflage” en bonne et due forme, qui vaut aujourd’hui à ce proche de Sarkozy d’être au cœur d’une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts » menée par le juge Roger Le Loire.

L’enquête vise à établir si François Pérol, dont le nom est également cité dans l'affaire Tapie, a contrevenu aux dispositions du code pénal qui interdisent à toute personne ayant disposé de l’autorité publique sur une entreprise privée de passer ensuite à son service. Il a été mis en examen en février dernier.

 

 

Lire aussi

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 22:26

CADTM

 

Source : cadtm.org

 

La dette, une arme de destruction massive dirigée contre les peuples

4 mars par Pascal Franchet

 

 


Dans le cadre de la journée de débat et de dialogue organisée par le groupe français d’Antarsya à l’École Nationale Supérieure, rue d’ULM à Paris le 2 mars 2014, sur le thème :
« La gauche face à la crise capitaliste et l’union européenne, l’expérience grecque ».
Ont participé à cette rencontre des militants syndicalistes (CGT, FSU) des associations (Ligue des Droits de l’Homme, MRAP) des militants politiques (Syriza, PCF, PG, Ensemble, NPA). Pascal Franchet,vice-président du CADTM France, est intervenu au cours de l’atelier intitulé :
« l’Union Européenne et la crise capitaliste contemporaine », voici son intervention.

Le CADTM a fait de l’annulation des dettes illégitimes et odieuses l’axe principal de ses activités depuis maintenant plus de 20 ans. L’expérience que nous avons des pays du Sud, de la crise de la dette de 1982 et des plans d’ajustement structurel qui ont suivi, nous a prédisposés à construire des réponses alternatives à la crise de la dette que connaissent à des degrés divers les pays du Nord depuis 2009.

Il y a toutefois une différence déterminante entre la crise de la dette des pays du Sud et celle que nous connaissons aujourd’hui en Europe.

Bien que née aux États-Unis en 2007, la crise frappe plus durement le continent européen que les USA. L’ampleur particulière de la crise en Europe tient en la primauté donnée aux intérêts du capital industriel et financier ainsi qu’à la mise en compétition au sein de l’espace européen d’économies tout à fait inégales.

Cela se traduit par la casse des services publics, la mise en concurrence des salariés et le refus d’harmoniser par le haut les systèmes de protection sociale et le droit du travail. Tout cela répond à un objectif précis : celui de permettre l’accumulation maximum des profits, notamment en mettant à disposition du Capital une main d’œuvre la plus flexible et précaire possible.

Cette crise agit comme un révélateur !

Elle démontre que le projet néolibéral pour l’Europe n’est pas soutenable. Ce dernier était fondé sur le présupposé que les économies européennes étaient plus homogènes que ce n’est le cas en réalité.
Les différences entre pays se sont au contraire accentuées selon leur insertion dans le marché mondial et leur sensibilité au taux de change de l’euro.

Le mark a été volontairement sous-évalué lors de la création de l’euro. Le salariat allemand a connu une des plus fortes baisses mondiales de la part qui leur revenait dans la valeur ajoutée produite par le travail. Les exportations allemandes sont ainsi devenues encore plus compétitives sur le marché européen, creusant les déficits commerciaux des économies importatrices les plus faibles.

Les taux d’inflation ont divergé, et les faibles taux d’intérêt réels ont favorisé les bulles financières et immobilières et ont intensifié les flux de capitaux entre pays.
Toutes ces contradictions, exacerbées par la mise en place de l’union monétaire, existaient avant la crise, mais elles ont explosé avec les attaques spéculatives contre les dettes souveraines des pays les plus exposés.

En gros, l’endettement des pays de la périphérie au sein de l’UE est essentiellement dû au comportement du secteur privé encouragé par les gouvernements depuis les années 1980.

L’Union européenne est le maillon faible du capitalisme mondial et sa nature même est un facteur d’amplification de la crise

Maillon faible au sens où l’Union européenne n’est pas un État fédéral doté d’une économie intégrée avec une fiscalité commune, une monnaie commune, un droit du travail commun, une protection sociale commune.

Elle est une construction d’inégalités et de concurrences, érigées en dogmes rois (traités) et visant à privilégier les entreprises des pays dominants (situées en Allemagne et en France pour les principales) au détriment des économies de pays dominés, principalement situés au Sud de l’Europe et dans l’ex-Europe de l’Est, PECO inclus.

L’UE, un facteur d’amplification de la crise

Sa constitution et son mode de gouvernance, où la démocratie la plus élémentaire est écartée d’emblée, en font un terreau idéal du néolibéralisme.

Loin d’apporter son soutien à un de ses membres en difficulté, l’Union européenne a inscrit dans sa constitution l’interdiction de prêter aux États membres pour financer des politiques publiques et choisit plutôt de venir au secours des responsables de la crise financière, les banques privées.

En réponse à la crise causée par des pratiques spéculatives hasardeuses, ce ne sont ni les entreprises qui ont opté pour la financiarisation de leurs actifs et portent la responsabilité de la crise économique, ni les banques et les spéculateurs, fauteurs de la crise financière, qui ont payé la facture.

Au lieu de cela, la classe dominante a imposé aux populations européennes une politique d’austérité sans précédent, s’en prenant aux droits sociaux, y compris les pensions et la législation du travail, avec une virulence particulière dans 4 pays (la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal). Il ne s’agit en aucun cas de réduire la dette publique ou d’apporter des réponses structurelles aux causes de la crise, mais de garantir le paiement des créanciers et de construire un modèle de société dans la droite ligne de la pensée néolibérale.

Le « laboratoire grec » a vocation à être le modèle de ce qui doit s’appliquer dans les autres pays européens, tout comme le Chili de Pinochet fut, il y a un peu plus de 40 ans, le terrain grandeur nature de l’expérimentation des thèses de l’école de Chicago.

Main dans la main avec le FMI, la Commission européenne a contourné l’article 125 du Traité de Lisbonne en octroyant, via le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité, des prêts à certains États membres de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal et Chypre) pour garantir le paiement des banques privées des pays les plus forts de l’UE.

Ces 2 structures empruntent sur les marchés financiers. En contrepartie, sont exigés : des privatisations, des baisses des salaires et des retraites, des licenciements dans les services publics, la réduction des dépenses publiques en général, sociales en particulier. La Grèce s’est engagée auprès de ses créanciers (UE, BCE et FMI), à procéder à environ 11 500 licenciements en 2014 dans le secteur public après 3 500 déjà effectués en 2013 pour réduire les dépenses publiques et bénéficier de la poursuite des prêts internationaux. 20 000 fonctionnaires ont été déjà placés au chômage partiel ces dernières années, l’objectif étant 25 000 d’ici fin 2014.

La Troïka porte en fait ce que les sociétés transnationales et les firmes financières veulent voir appliqué en Europe. Au coût avéré du capital, elle oppose un coût supposé du travail.

Un traité constitutionnel élastique (3 exemples) !

1) De par son statut, la BCE ne prête pas aux États, mais elle prête aux banques privées. Elle prête à un taux très bas (0,25 à 0,50 %) aux banques privées bénéficiant d’apports directs ou de garanties des États. Ces dernières prêtent ensuite aux ménages et aux entreprises à 3,4 ou 6 %, faisant ainsi jusqu’à 20 fois la culbute. Idem pour les entreprises transnationales du secteur automobile comme PSA (Peugeot) qui, par l’intermédiaire de sa Banque PSA Finances, bénéficie depuis fin 2013 de garanties de l’État français à hauteur de 6,5 Mds d’€ financés par l’augmentation de la TVA (donc par les ménages). La banque PSA Finances prête ensuite aux particuliers à des taux pouvant atteindre jusqu’à 6 % et investit dans des opérations spéculatives. Dans le même temps, le groupe PSA supprime des milliers d’emplois et ferme des entreprises.

2) Les prétextes constitutionnels sont tout sauf rigides. Refusant, au nom de son statut, de financer les politiques publiques, la BCE n’en a pas moins procédé à un rachat d’obligations grecques, irlandaises, espagnoles, portugaises et italiennes dans le cadre du Programme pour les marchés de titres (PMT).

Au 31/12/2013, elle détenait pour près de 190 Mds d’€ de titres de ces pays. Dans un communiqué en date du 20/02/2014, elle indique avoir perçu 962 millions d’€ d’intérêts (contre 1,108 Md€ en 2012). Dont 437 millions d’euros (contre 555 millions en 2012) ont été générés par les avoirs de la BCE en obligations de l’État grec acquises au titre du PMT.

3) Le fameux dogme du seuil de la dette à 60 % du PIB est bafoué depuis son institution. La crise de la zone euro et les orientations institutionnelles et socio-économiques adoptées, soi-disant pour juguler la spéculation des marchés, ont fait des dettes publiques le vecteur de politiques d’austérité qui doivent se traduire en “règles d’or” dans les constitutions nationales, y compris pour les futurs candidats à l’Union.

Pourtant ces dettes publiques sont, en Europe du Sud-est (et de l’Est, en général), bien inférieures à celles de la “Vieille Europe ». Les dettes publiques demeurent très largement en dessous de la moyenne de l’UE28 (environ 85 % du PIB), tout en dépassant 50 % en Serbie, au Monténégro et en Albanie, contre un niveau d’environ 6 % particulièrement bas au Kosovo.

Quelles réponses ?

Les causes de la dette publique sont pourtant clairement identifiées, il s’agit pour l’essentiel :
des « cadeaux fiscaux » accordés aux ménages les plus riches et aux grandes entreprises ;
des privilèges fiscaux « illégaux » : évasion fiscale, corruption, paradis fiscaux. Pour ces derniers et à titre indicatif, le montant des avoirs européens détenus en Suisse dépassent en 2013 les 1 000 Mds €. Pour la France, la perte de recettes fiscales annuelles est estimée à 17 Mds € /an en moyenne depuis 25 ans ce qui, cumulé, représente un tiers du stock de la dette de l’État (480 Mds € /1500 au 31/12/2013).
des plans de sauvetage des banques depuis l’éclatement de la crise ;
de la dette créée par la dette elle-même, par l’effet boule de neige créé par la différence entre les taux d’intérêt et les taux de croissance des ressources chargées de la financer (1/4 du stock de la dette de l’État en France).

Les dettes qui découlent des budgets rendus ainsi déficitaires ont pour partie une dimension légale mais n’ont servi en rien l’intérêt général, mais l’intérêt d’une infime partie de la population, ce qui leur confère un statut d’illégitimité permettant leur remise en cause et leur annulation.

Les annulations de dettes publiques ne sont en rien un phénomène extraordinaire ou exorbitant. Elles ont jalonné toute l’histoire depuis plus de 5000 ans, à l’initiative des gouvernements ou des mobilisations populaires (147 totales ou partielles depuis la Libération, des milliers selon le FMI depuis 8 siècles).

L’annulation des dettes des États est aussi inscrite dans le droit international qui affirme la souveraineté nationale face aux traités. C’est le rapport de forces qui détermine l’application du droit. C’est tout l’enjeu posé aujourd’hui.

La primauté doit cette fois être donnée à la satisfaction des besoins fondamentaux définis dans les textes de l’ONU. La dette qui rémunère les nantis ne doit pas être payée tant que les besoins fondamentaux de la population ne sont pas satisfaits.

Un gouvernement de gauche devrait dire :
« Nous ne pouvons pas payer la dette en ponctionnant les salaires et les pensions, et nous refusons de le faire. » Après la mise en place d’un moratoire (on arrête de payer), il devrait organiser un audit citoyen afin d’identifier la dette illégitime à annuler qui correspond en général aux 4 éléments déjà cités.
Les causes de cette dette, à quoi elle a servi et à qui elle a profité et profite encore, doivent être rendues publiques pour que les citoyens décident du sort des dettes illégitimes. Pour notre part, nous prônons leur annulation pure et simple. La question des réparations reste ouverte.

Un tel gouvernement devrait aussi profiter de cet audit citoyen pour dresser un cadastre des détenteurs des titres de la dette, chose totalement interdite aujourd’hui. L’identité des créanciers est tenue secrète de par la loi. Les parlementaires qui votent le budget et les intérêts à servir ignorent à qui ces intérêts sont versés. Ce sont les chambres de compensation (Euroclear, Clearstream) qui distribuent l’argent public.

Enfin, le système financier a fait la preuve de sa nocivité sociale. Il faut exproprier toutes les banques ainsi que les autres organismes financiers, les nationaliser et les placer sous contrôle citoyen. Ce contrôle citoyen (ou socialisation) des institutions financières peut se faire efficacement en lien avec les organisations syndicales des salariés des banques et du ministère des finances.
Ce serait également un moyen supplémentaire pour un gouvernement d’assurer un contrôle sur le crédit et sur les flux financiers.

Cette question du contrôle et de l’audit citoyen est pour nous une question centrale.

Pour répondre à la question « Qui doit à qui et pour financer quoi ? », les salariés et la population doivent se réapproprier les politiques publiques au moyen de la démocratie directe.

Les créanciers de nos dettes nationales sont, eux, unis. Ils sont partie intégrante de cette classe sociale pour qui est faite cette Europe.

Contre cette Europe à 2 vitesses, contre cette Constitution au service exclusif de la classe dominante, nous opposons la nécessaire construction de la solidarité internationale pour refonder dans les luttes sociales une nouvelle Europe, en rupture totale avec celle-ci, démocratique, sociale et écologique, une Europe des peuples.

Il y a urgence à unifier les mobilisations sociales à l’échelle du continent et tout particulièrement celles ayant trait à la remise en cause des dettes illégitimes.
Cette solidarité internationaliste doit s’appliquer tout pareillement en faveur de l’annulation des créances européennes envers les pays du Sud.

Pascal Franchet, CADTM France, le 2 mars 2014

 

 

Source : cadtm.org

 

 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 18:03

 

Source : www.mediapart.fr

 

Les détails du pacte de responsabilité

|  Par Rachida El Azzouzi

 

 

Mediapart publie le « relevé de conclusions » sur le pacte de responsabilité, signé mercredi soir entre le patronat et les syndicats, sans la CGT et FO. Il pose les jalons du deal entre les patrons et François Hollande pour relancer l'emploi en échange de trente milliards d'euros de baisse d'impôts et de cotisations pour les entreprises.

« Le patronat, c'est prends l'oseille et tire-toi ! » Ainsi résume Stéphane Lardy, le secrétaire confédéral de Force ouvrière, la deuxième séance de négociation autour des contreparties du pacte de responsabilité. Elle a abouti ce mercredi 5 mars au soir, dans un climat houleux, à un accord entre les organisations patronales (Medef, UPA, CGPME) et trois syndicats (CFDT, CFTC et CFE-CGC). Comme attendu, ni FO ni la CGT, opposés au principe même du pacte qui vise à accroître la compétitivité des entreprises en baissant le coût du travail, n’ont paraphé ce « relevé de conclusions » qui doit encore être soumis aux instances dirigeantes des organisations.

Mediapart le publie dans ses deux versions (à retrouver ci-dessous). Écrit par un Medef sans concession, cet accord pose les jalons du deal entre les patrons et François Hollande pour relancer l'emploi en échange de trente milliards d'euros de baisse d'impôts et de cotisations pour les entreprises. Il ne chiffre pas les créations d'emplois espérées mais détaille les dispositifs qui seront mis en place au niveau des branches professionnelles « pour aller vers des objectifs quantitatifs et qualitatifs en termes d'emplois ».

Aucune sanction ferme en revanche n'est prévue si le patronat ne tient pas ses engagements. Et c'est tout le courroux de la CGT et FO qui ont déjà prévu de descendre dans la rue le 18 mars contre « ce texte scélérat qui donne un chèque en blanc au patronat », dénoncent Marie-Laurence Bertrand et Mohamed Oussedik, négociateurs pour la centrale de Montreuil. La CFDT estime, elle, avoir obtenu « les points clés demandés, sur l'emploi, la classification (grille des salaires) et l'investissement », selon sa chef de file, Véronique Desacq. Le patronat lui-même n'a pas réussi à se mettre d'accord sur un texte de compromis, la CGPME refusant tout chiffrage des créations d'emplois. « Cela a été compliqué entre nous », a reconnu Jean-François Pilliard, le chef de file du Medef.

Pour François Hollande qui n'a pas su tenir son pari d'inverser la courbe du chômage en 2013, cet accord tombe à point. Sous pression de Bruxelles qui a placé le même jour la France sous « surveillance renforcée », notamment pour son « manque de compétitivité », il doit donner des gages rapidement à la Commission et mise tout sur ce pacte de responsabilité, son arme ultime pour faire reculer le chômage et restaurer sa crédibilité. Il avait d'ailleurs demandé aux partenaires sociaux de conclure avant fin mars et veut ensuite engager sa responsabilité devant le Parlement sur ce projet.

 

Le relevé de conclusions final :

 

Le relevé de conclusions initial : 

 

 

 

 

 

 

Source : www.mediapart.fr

 


 

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 17:42

 

 

Source : www.mediapart.fr

Comment Jean-Claude Gaudin a vendu Marseille aux promoteurs

|  Par Louise Fessard et Jean-François Poupelin (le Ravi)

 

 


À l'heure de faire son bilan et, peut-être, de rempiler pour six ans, le sénateur-maire UMP de Marseille peut se vanter d'avoir coulé sa ville dans le béton. Une histoire politique et de petits arrangements entre gens bien introduits. En partenariat avec le mensuel Le Ravi.

Une enquête de Jean-François Poupelin (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)

« Je n’ai jamais été inquiété par la justice », se vante régulièrement Jean-Claude Gaudin, notamment en période électorale. Une rengaine écornée par l'ouverture début 2014 par le parquet de Marseille d'une enquête préliminaire pour des soupçons de favoritisme visant un des satellites de la ville suite à un signalement de la chambre régionale des comptes. Comme l'a révélé La Provence, les magistrats financiers se sont étonnés de la générosité de la société d’économie mixte Marseille Aménagement, bras armé immobilier de la ville, envers une famille d’entrepreneurs marseillais. Les faits se déroulent à la Capelette, un ancien quartier ouvrier de l’est de Marseille où le départ des industries a laissé des friches béantes. En 2003, Marseille Aménagement rachète sur cette zone d’aménagement concerté (ZAC) un terrain pour y construire un palais de la glisse. Le terrain est squatté par Laser Propreté, une société de nettoyage industriel appartenant à la famille Lasery, dont la convention d’occupation est pourtant résiliée depuis 1998. Jackpot : fin 2004, Marseille Aménagement indemnise Laser Propreté à hauteur de 2 millions d’euros, alors que le bail prévoyait une indemnité maximale de 193 000 euros (et même seulement 153 000 euros selon l’évaluation du service des domaines) !

 

Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille depuis 1995 
Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille depuis 1995 © Rémi Leroux

En décembre 2011, Marseille Aménagement revend de gré à gré le terrain voisin et une partie de celui indemnisé (dépollué et en partie aménagé à ses frais en 2013) à un groupe de promoteurs qui souhaite y construire le centre commercial Bleu Capelette. Il s’agit d’Icade (filiale de la Caisse des dépôts et des consignations) et de Sifer, une société dirigée par Éric Lasery, l’un des associés de Laser Propreté, qui n'a pourtant aucune expérience dans le domaine. À en croire les déclarations d’un cadre d’Icade, les deux affaires semblent avoir été négociées à peu près à la même période. « Il y a dix ans maintenant, nous avons imaginé un centre commercial avec une composante loisirs importante à l’entrée est de Marseille », a indiqué Antoine Nougarède, directeur de l’immobilier commercial chez Icade, dans La Provence en avril 2013. D’où les soupçons de favoritisme. Contacté, Éric Lasery parle d’« extrapolations ». « Le seul reproche de la CRC [qui concerne Sifer, ndlr] est de ne pas avoir mis en concurrence, mais ça il faut demander à Marseille Aménagement », rectifie-t-il. Avant de lâcher : « Tous les terrains sont vendus à Marseille sans concurrence, donc il n’y a pas eu d’exception pour nous. »


Le projet Bleu capelette, un des futurs centres commerciaux à l'entrée est de la ville. 
Le projet Bleu capelette, un des futurs centres commerciaux à l'entrée est de la ville. © Belu capelette

L’entourage du candidat Jean-Claude Gaudin a aussitôt ouvert le parapluie. « La mairie nʼa rien à voir, directement, avec cette affaire, nous a répondu Claude Bertrand, son directeur de cabinet (voir l'intégralité de sa réponse sous l'onglet Prolonger). En 2013, la Chambre régionale des comptes est intervenue sur Marseille Aménagement et non sur la Ville. En tant que société d’économie mixte, elle assumait la maîtrise d'ouvrage de ses opérations. » C'est oublier que ce sont des élus UMP, dont Gaudin, qui ont présidé la SEM, récemment absorbée par une nouvelle SPL (Société publique locale). Ancien conseiller de Jean-Claude Gaudin, « Boumendil, le directeur de Marseille aménagement (de 1998 à 2013, ndlr) prenait ses ordres chez Loisel (directeur de cabinet adjoint du sénateur et maire UMP, décédé en 2011, ndlr) et Bertrand », précise d’ailleurs un observateur avisé.

L’affaire est symptomatique du fonctionnement opaque de la ville lorsqu'il s'agit d'immobilier. Dans son rapport sur Marseille Aménagement, la CRC a également épinglé la réhabilitation du centre-ville, confiée au privé à travers trois périmètres de rénovation immobilière (PRI) créés entre 1993 et 1995. Près de vingt ans et 60 millions d’euros de dépense communale plus tard, « 40 % des logements qui devaient être réhabilités dans les PRI Centre-ville et Thubaneau, n’avaient toujours pas fait l’objet de travaux à la date du 31 décembre 2009 », manque de s'étouffer la juridiction financière. Qui dresse un panorama aussi prévisible que désastreux de ces opérations : préemption des immeubles et revente à des investisseurs de gré à gré sans aucune transparence, défiscalisations massives et subventions à gogo sans contrôle de la réalité des travaux de rénovation.

Dès 2000, l’association « Un centre-ville pour tous » avait documenté ces dérives de façon très étayée. Sans effet. Devant l’atonie des élus (majorité comme opposition), des citoyens, proches de l’association, ont décidé de se saisir de ce rapport explosif de la CRC. Sept courriers recommandés ont atterri mi-février 2014 dans la boîte aux lettres de Jean-Claude Gaudin pour lui demander de recouvrer les « sommes indûment versées » signalées par les magistrats. Dans le viseur : des dépenses engagées par Boumendil (pour sponsoriser un congrès de vieilles voitures ou encore une réception lors de la remise de sa Légion d’honneur), un code des marchés publics malmené, des employés licenciés avec de fortes indemnités et repris comme consultants, etc.

 

Derniers travaux du Mucem, au printemps 2013. 
Derniers travaux du Mucem, au printemps 2013. © LF

Depuis 1995, Marseille s’est certes embellie : le Vieux-Port a été en partie rendu aux piétons, une nouvelle façade maritime a surgi autour du Mucem, prolongée par le quartier d’affaires de la Joliette, ses docks rénovés et la tour CMA CGM. Mais en réalité, toute une partie de son territoire échappe à la Ville, qui n’est pas pour grand-chose dans la plupart de ces métamorphoses. Le chantier géant d’Euroméditerranée ? Une opération d’intérêt national, lancée en 1995 par Vigouroux et en majeure partie pilotée par l’État. Avec des urbanistes désignés par des concours internationaux, hors de toute emprise de la mairie, qui reconstruisent « la ville sur la ville » sur un terrain de jeu de 480 hectares ! « C’est le préfet qui délivre les permis de construire », précise le promoteur Marc Pietri. L’autre plus grand aménageur de la ville est l’Anru (agence nationale de rénovation urbaine). Via un groupement d’intérêt public, l'agence nationale pilote 14 opérations dans les cités marseillaises avec un investissement total d’un milliard d’euros, un record en France.

Et là où la Ville a les mains libres, le bilan est souvent catastrophique.

Autre exemple, les ZAC. On n’y envisage souvent la création des réseaux nécessaires, des transports en commun et des équipements publics qu’après coup, une fois les programmes commercialisés. « En gros ils construisent, puis ils viennent nous voir pour les réseaux, se plaint un cadre de MPM. Derrière on a des pressions pour assurer le pluvial, l’assainissement, la gestion de la voirie, les espaces publics. C'est une sorte de rouleau compresseur qui nous met devant le fait accompli. » Les seules infrastructures de transport construites depuis 1995 l'ont été dans le centre-ville (12,5 km de tramway et quatre nouvelles stations de métro), en évitant soigneusement les quartiers nord

« Le problème de fond à Marseille est qu’il n’y a ni vision, ni projet, regrette Valérie Décot, nouvelle présidente du syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône. Lyon, Bordeaux, Lille ont pris en main leur destin. Les maires se sont entourés de professionnels compétents pour retisser des liens entre les centres-villes et les quartiers défavorisés. Pas ici. » La ville a, par exemple, attendu janvier 2014 pour se doter d’un architecte conseil et n’a pas d’adjoint à l’urbanisme (mais un simple conseiller municipal délégué). Elle a également usé cinq directeurs de l’urbanisme depuis 1995 et a beaucoup tardé à se constituer une réserve foncière. « Quand je m’occupais du foncier à la ville, il ne restait presque plus rien à vendre, se souvient Jean Canton, directeur de l'urbanisme de Gaudin de 2002 à 2009, qui roule désormais pour Pape Diouf. Si une entreprise recherchait 5 ou 10 hectares, ça n’existait pas, en dehors des friches dont il faut s’occuper. Et l’absence de planification coûte cher à la ville : les prix ont doublé en 10-12 ans (de 2000 à 4000 euros le mètre carré). »

Du coup, les promoteurs, à l’affût des opportunités, ont souvent un coup d’avance et débarquent dans les services avec des projets clés en main. « Ils ont rempli toutes les dents creuses », reconnaît le promoteur Marc Pietri, qui ajoute cependant que Claude Gaudin a été « le pape de la paix sociale ». « Cette ville en 1995 aurait dû exploser, rappelle le PDG de Constructa.  Quand il arrive, il faut absolument produire du logement car il n’y a rien. Peut-être qu’on a un peu trop construit ici ou là… » Le sénateur et maire UMP leur a également offert en pâture les dernières réserves foncières de la ville, comme les 350 hectares du domaine bastidaire de Sainte-Marthe (14e arrondissement). Mais c’est un ancien cadre de la Ville qui résume le mieux la philosophie de l’équipe Gaudin : « Il faut construire beaucoup de logements, ne mettre aucun obstacle, tout cela fera du mouvement et Dieu reconnaîtra les siens. »

« La porte ouverte à tous les arrangements »

 

A Sainte-Marthe, l'une des dernières réserves foncières de la ville dans le 14e 
A Sainte-Marthe, l'une des dernières réserves foncières de la ville dans le 14e © LF

L’objectif politique est plus ou moins avoué : maintenir un électorat ou changer celui d’un secteur. Longtemps l’obsession de Jean-Claude Gaudin fut de ramener « les habitants qui paient des impôts » dans un « centre envahi par la population étrangère ». Et donc faire du logement haut de gamme. « Puis ils se sont rendu compte qu’une partie de leur électorat, la petite classe moyenne, ne pouvait plus se loger, donc ils ont essayé de faire baisser la fièvre », décrypte William Allaire, journaliste spécialiste du BTP. Avec une confiance dans le privé qui laisse pantois certains professionnels. « À Montpellier à partir de dix logements, il faut faire 25 % de logements sociaux, compare Nicolas Masson. À Marseille, rien ! » Enfin si, depuis juin 2013, le PLU impose 25 % de logements sociaux aux promoteurs, mais à partir de 120 logements. Résultat : seulement 3,7 % de HLM dans le très chic 6e arrondissement, quand le 14e et le 15e en comptent plus de 40 % ! « Du fait que Marseille est une ville pauvre, on est prêt à faire beaucoup de concessions, sur la qualité architecturale, les logements sociaux, les espaces publics, etc. », estime un architecte du cru. « Le directeur régional d’un groupe national, qui a fait de beaux projets à Bordeaux, m’a expliqué qu’on ne lui demande rien à Marseille, confirme Jean Canton. Donc on construit les mêmes logements qu’il y a vingt ans. »

« On » est aussi prêt à quelques libéralités. Comme celle qui vaut à Marseille Aménagement son enquête préliminaire. Lancer des appels à projet avant de céder des terrains à des promoteurs ? Une « complexification parfaitement inutile », balaie Dominique Vlasto, adjointe au maire Jean-Claude Gaudin qui lui a succédé à la tête de Marseille Aménagement. « Mettre les terrains aux enchères, ce serait dramatique car le coût des logements exploserait », prétend de son côté Yves Moraine, porte-parole de campagne de Jean-Claude Gaudin et président de la Soleam, la SPL qui a remplacé Marseille Aménagement. « Cette façon de faire, sans mise en concurrence sur la qualité du projet et sans contrepartie en création d’espaces publics, c’est la porte ouverte à tous les arrangements », critique Valérie Décot.

La ville s’est d'ailleurs fait taper plusieurs fois sur les doigts par le tribunal administratif pour sa générosité avec des promoteurs. Les plus récentes : une ristourne de 300 000 euros à Kaufman & Broad sur la vente d'un terrain (2011) et une aide économique de 2,5 millions d'euros à Axa pour la transformation de l’hôtel Dieu en un cinq-étoiles (2012). Sans que cela n'affole l'hôtel de Ville. Le 7 octobre 2013, Jean-Claude Gaudin a fait voter la cession du seul espace public du quartier Corderie (7e arrondissement) pour 3,4 millions d’euros à une filiale de Vinci, qui veut y construire 109 logements depuis dix ans. Avec une discrète ristourne d’un million d’euros pour racheter le volume nécessaire à l‘édification une sortie d’école supprimée par le projet. Le projet est attaqué au tribunal administratif par le CIQ (Comité d’intérêt de quartier) du coin et une poignée de riverains. Le même jour, le sénateur-maire UMP a glissé dans les derniers rapports de la séance l’acquisition au groupe Eiffage de neuf étages d’un bâtiment à construire. Coût : 37,6 millions d’euros. « Un soutien au démarrage d’Euroméditerranée 2 », s’est à l’époque justifié l’adjoint aux finances, qui rappelle le geste d’Eugène Caselli, président PS de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), envers la tour La Marseillaise de Marc Pietri.


 
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Il y a aussi plus subtil. « Une petite poignée d'architectes se partagent le marché local », dénoncent des gens du métier. Parmi les heureux élus, qui se tapent régulièrement le haut de l’affiche dans les programmes privés comme sur les marchés publics, Didier Rogeon, Tangram, Roland Carta, etc. Le premier, qui a coréalisé L’Alcazar (bibliothèque municipale à vocation régionale), la nouvelle station d’épuration Géolide et nombre de programmes résidentiels à Marseille, est ainsi l’un des architectes associés à la rénovation du stade Vélodrome, un PPP (partenariat public-privé) attribué en 2010 par Jean-Claude Gaudin à Arema (Bouygues). Avec, à la clef, la réalisation d’un quartier entier autour du stade : 100 000 m2 de bureaux, hôtels, commerces et habitations ! « De quoi faire travailler son cabinet dix ans », note un confrère envieux. Didier Rogeon avait également fait une très belle affaire en juin 2011 : la Ville lui avait cédé, à l’issue d’une consultation très restreinte, un immeuble proche de l’Hôtel Dieu (rénové par Tangram) pour y installer son cabinet. « Mesquineries entre architectes, balaie Claude Bertrand, directeur de cabinet de Gaudin. Les exemples des cabinets marseillais que vous citez sont parmi les plus gros de Marseille, voire de France. Il est donc probablement assez normal que ces agences soient plus visibles dans notre Ville. »

« Lorsqu’un promoteur veut construire, on lui demande le nom de l’architecte », accuse pourtant un « mesquin ». « S’il ne convient pas, on lui donne une liste de 5 ou 6 noms. » Comme lui, plusieurs architectes installés à Marseille ont même carrément renoncé à y travailler et préfèrent faire des projets ailleurs dans la région. Claude Bertrand dément et assure ne jamais intervenir sur les permis de construire. « Il n’y a pas de short list », assure également Roland Carta, architecte bien en cours à droite comme à gauche (qui dit faire 40 % de son chiffre d’affaires en région Paca). En 2012-2013, son cabinet a enchaîné les (co)réalisations à Marseille : Musée d’histoire de Marseille, Mucem, Silo, Fort Saint-Jean, Hôpital européen, rue de la République, siège de la SNCM, etc. L’architecte, grand copain de Marc Pietri, reconnaît quand même à demi-mot que « le promoteur cherche un architecte avec qui il va pouvoir s’entendre et concomitamment il va faire valider le nom. Voir s’il n’y a pas de difficultés ».

Encore plus discrètes, les relations d'affaires entre l'équipe Gaudin et les promoteurs. À commencer par l’ex-directeur de Marseille aménagement Charles Boumendil, ancien du groupe Bouygues, qui a présidé en 2011 l’association « Architecture et maîtres d’ouvrage ». Un « cercle restreint de professionnels et de responsables régionaux » qui rassemble, pour des visites de chantier ou des cocktails en catamaran, donneurs d’ordre, industriel du bâtiment et architectes, dans le but vertueux de « favoriser la qualité architecturale ». Et plus si affinités…

 

 
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Autre exemple, en mai 2013, La Marseillaise révèle par exemple que Philippe Berger, ancien adjoint au sénateur-maire UMP de Marseille, délégué à la prévention des risques et qui « a vu défiler les demandes de permis de construire déposées par le promoteur Progéréal », a créé en 2011 une entreprise qui travaille notamment pour... Progéréal. Promoteur dont les programmes marseillais connaissent bien des soucis : éboulis, glissements de terrain et malfaçons rendent plusieurs de ses bâtiments inhabitables.

De son côté, Roland Blum, premier adjoint et député jusqu'en 2012, spécialisé dans le droit de la construction, a beaucoup plaidé à l'Assemblée nationale contre « les recours abusifs » contre les permis de construire. Encore mieux, José Allegrini, successeur de Philippe Berger à la prévention des risques, intervient dans un contentieux immobilier à 3,2 millions d'euros entre la ville de Marseille et la Deutsche Bank, garant d’un promoteur poursuivi pour escroquerie (Le Canard enchaîné, 26/02). Il assure n'être qu'une « simple boîte aux lettres pour un confrère parisien ».

Tout aussi désintéressé, Yves Moraine. Le cabinet du nouveau dauphin de Gaudin apparaît dans la même affaire. Mais aussi dans celle qui a opposé Vinci et Eiffage à Marseille Provence Métropole (MPM) à propos du tunnel Prado Sud, comme l'a révélé le mensuel Bons baisers de Marseille. Les deux géants du BTP ont obtenu une rallonge de 24 millions d'euros – ils demandaient 81 millions d'euros – pour des travaux non prévus au contrat. La rallonge fait l'objet d'un recours amiable. À sa décharge, Yves Moraine n’a pas voté la délibération concernée. « Je m'occupe de contentieux commercial et de droit social, je n'ai pas de clientèle avec mon activité politique », se défend le maire des 6e et 8e arrondissements. Et de jurer la main sur le cœur : « Mon associé est avocat de la fédération du BTP et de grands groupes (du BTP, ndlr), mais il pâtit de mon activité politique. » Ce qui n'est pas visible à première vue...

« Les grands groupes ont pris des habitudes », se désespère un cadre de MPM, qui voit revenir Vinci par la fenêtre. La multinationale a obtenu en début d'année le droit de défendre son projet de prolongement du très lucratif tunnel Prado Sud – estimé à une quarantaine de millions d'euros –, alors que deux études des services de la collectivité ont conclu à son inutilité...

Demain, suite de notre série avec un éclairage sur Sainte-Marthe (14e), l’ancien domaine bastidaire de Marseille, où les promoteurs ont longtemps eu carte blanche.

 

Source : www.mediapart.fr

 



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5 mars 2014 3 05 /03 /mars /2014 16:17

 

 

Source : www.mediapart.fr

Comment une filiale de la SNCF a viré son lanceur d'alerte

|  Par Dan Israel

 

 

Cadre dirigeant d'une filiale de la SNCF, Geodis BM, Loïc R. a été licencié en 2009. Quatre ans plus tard, les prud'hommes ont jugé qu'il avait été écarté pour avoir dénoncé des pratiques illégales. Et l'on découvre les coulisses peu reluisantes du transport routier, dumping social, sociétés au Luxembourg...

Jusqu’au bout, il a espéré que sa loyauté paierait. Ou qu’elle lui permettrait au moins de faire cesser les pratiques tolérées par ses supérieurs. Il n’en a rien été. Loïc R. (qui souhaite garder l’anonymat, voir notre boîte noire) a été licencié en décembre 2009, après avoir alerté sa direction sur plusieurs pratiques illicites au sein d’une agence alsacienne de Geodis BM, une filiale de la SNCF spécialisée dans le transport routier. Il y était cadre dirigeant depuis un an. Avant de le virer, ses supérieurs avaient admis connaître ces dérives, mais officiellement, ni Geodis, ni la SNCF ne reconnaissent que ce lanceur d’alerte avait raison, et qu’il a été écarté pour avoir dit la vérité.

Début 2010, Loïc R. avait pourtant alerté la direction de l’éthique de la SNCF. Sans résultat. En février 2013, il reprend espoir : le conseil des prud’hommes de Strasbourg condamne Geodis, jugeant que son licenciement « ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ». Pour les juges, « le lien de causalité » entre les alertes lancées par l’ancien cadre et le début de sa procédure de licenciement « est manifeste ». Fort de ce jugement, Loïc R. tente de renouer le contact avec la direction de la SNCF, par courrier et par téléphone, pour lui exposer une fois de plus les faits. La réponse arrive, en juin 2013, sous la forme d’une lettre menaçante du DRH de Geodis, qui se déclare « surpris par le ton employé dans [son] courrier et les graves accusations qu’il comporte ».

 

 

« Votre licenciement n’est aucunement en rapport avec vos insinuations sur les pratiques frauduleuses que vous dénoncez, assure le courrier. En effet, la décision que nous avons prise à votre endroit repose sur une insuffisance professionnelle caractérisée. » Une argumentation que les prud’hommes avaient justement balayée quatre mois plus tôt ! Depuis, rien ne bouge. La position de la SNCF et de sa filiale reste celle qui a été arrêtée dans ce courrier : les accusations de Loïc R. seraient « à la fois déplacées, iniques et mensongères ». C’est ce que des représentants de la SNCF et de Geodis ont confirmé à Mediapart, qui les a sollicités à plusieurs reprises.

Officieusement, on fait savoir que ce dossier est celui d’un ex-salarié pas à la hauteur, qui a tenté de masquer ses insuffisances en agitant des accusations. Officiellement, personne ne souhaite s’exprimer, car le cas va être examiné en appel aux prud’hommes. Et pourtant, ce n’est pas l’ex-employeur qui a fait appel, mais Loïc R. lui-même, estimant que son ancienneté à la SNCF, où il travaillait depuis 2001, n’a pas été prise en compte et que les quelque 32 000 euros qui lui ont été accordés ne sont pas à la hauteur de son préjudice.

 

Marc Vollet, directeur des opérations 
Marc Vollet, directeur des opérations © L. Zylberman - Geodis BM

Mais devant l’insistance de Mediapart, un des dirigeants de Geodis BM a fini par concéder que les accusations de l’ancien cadre reposent bien sur des faits réels. Après plusieurs sollicitations, Marc Vollet, directeur des opérations de la société et membre de son comité exécutif, a en effet indiqué dans un e-mail : « Comme vous le savez, les "situations illicites" que vous citez étaient très localisées et ont été traitées comme il se doit. » Une victoire pour Loïc R., certainement. Mais pas une surprise, loin de là…

« Contrairement aux dénégations de Geodis lors du procès aux prud'hommes, Marc Vollet m’avait indiqué dès 2009 qu’il était au courant des situations illicites, voire frauduleuses, sur lesquelles je souhaitais l'alerter afin d'y mettre un terme, explique le cadre licencié. Il l’a reconnu, tout comme le DRH de l’époque David Chomel, lors de la réunion que nous avons tenue à trois le 29 octobre 2009, au siège de Geodis BM, en Savoie. »

Ce jour-là, Loïc R. a rendez-vous avec ses deux supérieurs pour évoquer la relation tendue qu’il entretient avec son responsable hiérarchique direct, Gérald Wissemberg, directeur régional Est de Geodis BM, qui a quitté l’entreprise depuis. Outre des comportements de son « N+1 » qu’il estime relever du harcèlement moral envers ses équipes, Loïc R. veut aussi pointer les pratiques mises en place sous la supervision du directeur régional, contraires à la législation et qu’il a découvertes au fur et à mesure pendant un an.

Le cadre licencié a gardé des traces précises de cette réunion, où il a notamment évoqué l’usage illicite d’un sous-traitant allemand pour transporter des marchandises en France. Autre point signalé : un système interne de création de fausses provisions, censées correspondre à des transports de marchandises effectués par des sous-traitants, mais qui n’ont en fait jamais existé. L’entourloupe, qui concerne au moins les régions Alsace et Lorraine, permettait de faire baisser fictivement les résultats, et de faire réapparaître des bénéfices quelques années plus tard, lorsque les résultats étaient moins bons.

« Marc Vollet et David Chomel ont reconnu que ce que je racontais était une réalité, mais ils m'ont fait comprendre que ça n'évoluerait pas, se remémore le cadre. Entre les lignes, ils m’ont proposé un départ négocié. Je ne m’y attendais pas du tout. » Le directeur des opérations lui explique en effet pendant la réunion que bien que l’entreprise « respecte très fortement la légalité », « effectivement il y a des choses où on dépasse, par moment, la ligne jaune ». Et pas seulement en Alsace, puisqu’il assure que dans « d'autres régions où il y a [un] sentiment de confiance », « ça arrive, ça se passe ». Jugeant toutefois que « globalement par rapport à ce que je connais sur le marché, on est bien plus rigoureux ». Après ces déclarations, il lui était logiquement difficile de rester silencieux face aux questions de Mediapart.

« Dans le transport, parfois on s'arrange »

Le DRH de l’époque, lui, s’est plaint amèrement au téléphone qu’on le dérange pour évoquer cette vieille histoire, et n’a pas répondu à nos questions. Pourtant, lors de la réunion, il avait reconnu couvrir les actions illicites, et avait même adressé des reproches à Loïc R. : « C’est ton approche légaliste. Elle est peut être poussée à l’extrême, et dans ce cas, tu vas être déçu, dans le transport, tu vas être déçu ! Moi quand j'ai vu Olivier Mélot [directeur général de Geodis BM à l’époque, ndlr] pour le recrutement, pendant l’entretien il m'a dit : “Dans le transport, parfois on s'arrange, il y a des choses qui ne sont pas toujours forcément nickel, etc.” (…) Moi je l'ai accepté. »


 
© Geodis BM

Le premier « arrangement » évoqué lors de la réunion concerne le cabotage. Un terme technique qui désigne l’autorisation temporaire, pour un transporteur étranger, de faire rouler ses camions en France. Pour éviter tout dumping social, la loi veut que le cabotage soit autorisé seulement lorsque le camion arrive d’un pays étranger pour apporter une marchandise dans l'Hexagone. Or, chez Geodis BM, un sous-traitant allemand effectuait des transports exclusivement en France, depuis le siège alsacien d’un fabricant de cuisines jusqu’à Rennes, Marseille et Toulouse. Treize rotations hebdomadaires, au moins de novembre 2008 à juillet 2009.

À cette date, l’entreprise allemande se fend d’un courrier pour signaler qu’elle vient d’apprendre qu’elle était hors la loi, et qu’elle comptait arrêter la collaboration, car « les amendes ne seraient pas supportables » en cas de contrôle. Ce qui n’empêche pas la direction régionale de continuer à réfléchir à haute voix, notamment lors d’une réunion de septembre 2009, à remplacer des chauffeurs permanents par des Tchèques ou des Polonais, moins chers, même pour des transports franco-français.

« C’était une politique bien plus qu’une erreur », estime aujourd’hui Loïc R, qui affirme que les seules rotations du sous-traitant allemand « rapportaient environ 10 000 euros par mois de marge ». La pratique a été reconnue par Marc Vollet lors de la réunion d’octobre 2009 : « Le coup du cabotage… Oui, je vais pas cautionner, [mais] je dis oui, à certains endroits, à certains moments, on l'a fait. Maintenant il ne faut pas que ça dure dans le temps », déclarait alors le directeur des opérations.

L’autre point est tout aussi embarrassant, car il relève de la présentation de comptes annuels inexacts, infraction passible au maximum de cinq ans de prison et d'une amende de 375 000 euros. Le détail est expliqué par Loïc R., qui dispose de documents appuyant ses dires : « En 2007-2008, Geodis dépassait ses objectifs. Tous les mois, avant la clôture des comptes, si les résultats étaient trop bons, il était possible de créer dans les comptes une ligne simulant un transport qui n’avait jamais eu lieu, afin de créer une dette fictive de sous-traitance. Bien sûr, la facture du sous-traitant imaginaire ne venait jamais. Au bout de deux ans, des règles opportunément inscrites dans le fonctionnement du groupe rendaient possible la réintégration de ces “provisions” pour fausses dettes dans les comptes de l'entreprise, et de ressortir ainsi les bénéfices cachés. »

Ces faits ont aussi été reconnus par le directeur des opérations lors de la réunion fatidique : « À certains moments, et pour des raisons au niveau du groupe, (…) on est éventuellement amenés (…) à faire de-ci de-là... pas des fausses factures, mais un bout de provisions. À dire : “Tant que je gagne, on en met un petit peu de côté pour pouvoir à un moment où c'est plus compliqué le ressortir”. »

Les tripatouillages des comptes n’étaient pas réellement cachés, puisque les fausses provisions pour sous-traitance (signalées par le sigle « SST ») étaient mentionnées dans les tableaux de résultats de la direction générale, accessibles via l’intranet par tous les dirigeants de sites. « Mais le lendemain de la réunion, ces tableaux ont été retirés du site », assure Loïc R.

La liste des étranges pratiques de l'époque de Geodis BM dans l’Est ne s’arrête pas là. Mediapart a ainsi mis la main sur un courrier très sévère de la section transport de la direction départementale du travail de Moselle. Datée du 28 janvier 2009, la lettre fait suite à deux contrôles, des 21 et 26 janvier 2009. L’inspecteur du travail qui la signe s’étonne que les trois directeurs de Geodis BM Lorraine, à Metz, soient officiellement employés par une filiale luxembourgeoise de l’entreprise. Tout comme une vingtaine de conducteurs, officiellement luxembourgeois, mais opérant en fait dans l’Hexagone.

Une filiale luxembourgeoise bien pratique

« Le coût des charges sociales et fiscales étant inférieur au Luxembourg, ce prêt de main-d’œuvre est donc effectué dans un but lucratif », indique le courrier, pour qui la société a « commis l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié pour non-déclaration de ces salariés aux organismes de sécurité sociale française ». Quant à la filiale luxembourgeoise, elle « effectue sur le territoire français une activité de transport intérieur de façon habituelle, continuelle et régulière sans être inscrite au registre des transporteurs, ce qui constitue un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Selon ses statuts, cette filiale luxembourgeoise, BM Lux SA, a été constituée le 23 décembre 2003, et comptait parmi ses premiers administrateurs Marc Vollet, mais aussi un autre cadre, Olivier Royer, qui est aujourd’hui le directeur général de Geodis BM. « En 2008-2009, c’était la ruée vers le Luxembourg dans la région, presque tous les transporteurs lorrains l’ont fait », relativise un inspecteur du travail très au fait de ces pratiques. À notre connaissance, ce courrier n’a eu aucune conséquence juridique, mais la fausse domiciliation des salariés a cessé. « Nous avons vite remis les choses d’aplomb, se rappelle un des cadres concernés. Le retour en France a été un peu douloureux au niveau des coûts. Pour nous, le Luxembourg permettait de maintenir la compétitivité de l’entreprise, puisque d’autres y étaient. Mais l’inspection du travail se doit de préserver les emplois français, c’est logique. »


 
© Geodis BM

Dans ce contexte, on imagine l’embarras de la direction lorsqu’un de ses cadres tente d’attirer son attention sur ces irrégularités. D’autant plus s'il les met par écrit… Après la réunion du 29 octobre, Loïc R. a en effet envoyé à plusieurs dirigeants de la société une lettre reprenant les anomalies qu’il avait constatées. « Ces lettres sont parvenues à destination le 2 novembre. Le 4, j’avais une réunion avec le DRH, détaille-t-il. Il était en rage, il m’a dit que mes écrits étaient une déclaration de guerre. Il m’a proposé une nouvelle fois de partir, contre paiement de six mois de salaire. J’ai refusé. » Moins de 24 heures après son refus, sa lettre de convocation pour entretien préalable à un licenciement était envoyée.

Manifestement, le cadre rétif gêne : sa lettre de convocation est assortie d’une mise à pied conservatoire lui interdisant l'accès aux locaux de l'entreprise. Et dans la foulée, on annonce son « indisponibilité » à ses équipes. Mais la mise à l’index n’est pas terminée. Lors de l’entretien préalable, « le délégué syndical CGC qui m’accompagnait est sorti avant que je détaille les anomalies que j'avais constatées, raconte Loïc R. Je n’avais jamais vu ça. Il m’a dit que s’il “savait” officiellement, il aurait des problèmes. D’autres syndicalistes, proches de la Direction, le lui avaient fait savoir quelques heures avant la tenue de l'entretien. »

Aux prud’hommes, l’ancien cadre viré a aussi produit une attestation étonnante. Abdelkader O., un ancien délégué syndical qu’il connaissait, y raconte qu’un autre syndicaliste lui a suggéré de se renseigner sur les informations exactes détenues par le lanceur d’alerte. « À la mi-novembre [2009], j’ai été contacté téléphoniquement par mon ex-délégué syndical central (…). Lors de cet entretien, il me demandait d’utiliser mes bonnes relations avec Monsieur Loïc R., afin de connaître quelles étaient les preuves que pouvait détenir celui-ci sur des affaires évoquées avec la Direction générale concernant BM Alsace, écrit l'ancien syndicaliste. L’existence de ces preuves pouvait embarrasser Monsieur Gérald Wissemberg (Direction générale) et donc par extension, Olivier Mélot. » Abdelkader O. n' pas donné suite à cette étrange demande.

Finalement, Loïc R. sera bien licencié, le 7 décembre 2009. L’entreprise lui fait grief de toute une série d’insuffisances professionnelles. « Avant ces accusations, je n’avais eu aucune remarque en ce sens, au contraire, constate-t-il. Jusqu’à l’été, j’avais récolté plusieurs félicitations officielles, et mon entretien annuel n’avait fait apparaître aucun souci. En mai, lors d’un CE, Gérald Wissemberg avait même fait mon éloge. » Les prud’hommes ont logiquement jugé cette version de l’incompétence professionnelle fort peu crédible, mais elle est encore aujourd’hui officiellement défendue par Geodis.

Loïc R. cherche toujours à faire reconnaître qu’il a agi de façon loyale, conformément au code de déontologie de la SNCF et de ses filiales, qui préconise d’informer sa hiérarchie de pratiques illégales. « Déjà entre décembre 2009 et janvier 2010, j’ai rencontré trois fois des représentants du contrôle interne de la SNCF, rebaptisée depuis direction de l’éthique. Lors d'une de ces réunions, j'étais accompagné d'un témoin confirmant les manipulations financières. Mais il n’y a eu aucune suite, rappelle-t-il. J’ai laissé toute latitude à l’entreprise de régler la situation. Je ne voulais pas qu’elle soit entachée à cause de dérives d’une de ses filiales si elle n’était pas au courant. Aujourd’hui, je ne peux que constater que je ne suis pas écouté. »

 

Source : www.mediapart.fr

 


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