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14 novembre 2014 5 14 /11 /novembre /2014 17:41

 

Source : www.marianne.net

 

Et si les sociétés autoroutières passaient au péage ?
Vendredi 14 Novembre 2014 à 05:00

 

Régis Soubrouillard
Journaliste à Marianne, plus particulièrement chargé des questions internationales En savoir plus sur cet auteur

 

Dénonçant la rente concédée aux sociétés d'autoroute par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, le think tank Terra nova propose une sortie fiscale pour obliger ces sociétés à renégocier les concessions. Il est ainsi proposé de taxer les excédents bruts d'exploitation énormes engrangés par les maisons-mères. Une menace qui, bien sûr, n'a pas tardé à faire réagir le lobby autoroutier.

 

XAVIER VILA/SIPA
XAVIER VILA/SIPA

« Récupérer la rente autoroutière par le biais de l’impôt », c’est l’hypothèse formulée par Terra nova, dans un rapport rendu public récemment.  Le think tank — pas toujours bien inspiré — proche du PS avance, cette fois, une idée intéressante. Du moins, aura-t-elle eu le mérite de faire se crisper les sociétés d'autoroutes.

 

Depuis plusieurs mois, les propositions se multiplient pour récupérer un peu du magot généreusement concédé par Dominique Villepin, alors Premier ministre, en 2005. Un trésor qui, depuis dix ans, avec le désengagement progressif de l’Etat, fait la fortune de sociétés telles que Vinci ou Eiffage. Emmanuel Macron avait déjà consenti que « la privatisation des autoroutes engagée en 2005 a été une mauvaise affaire pour l'Etat », chiffrant à plusieurs milliards, sans plus de précisions, le manque à gagner. Dans la foulée de la suspension de l’écotaxe, Ségolène Royal expliquait, de son côté, que sa « priorité » était « le prélèvement du profit des autoroutes ». Enfin, Manuel Valls disait souhaiter un accord « gagnant-gagnant » entre l’Etat et les sociétés autoroutières avant la fin de l’année. Restait à trouver la clé de ce coffre-fort bien verrouillé.

Il y a peu, l’autorité de la concurrence se penchait, elle aussi, sur l’hypothèse d’une renationalisation. Très critique contre les sociétés, l’autorité avouait alors néanmoins que le parcours était semé d’embûches compte tenu des concessions en béton armé négociées par les sociétés autoroutières et maintes fois dénoncées par Marianne.

 

Alors, comment casser la rente autoroutière ?

 

« Cette rente est le produit d’une grave défaillance de la gouvernance du secteur. Non seulement les pouvoirs publics n’ont pas obtenu le meilleur prix possible lors de la privatisation des sociétés autoroutières mais ils se sont engagés contractuellement dans des rapports asymétriques avec ces dernières » constate Terra nova qui tente « le pas de côté, » ou « la bretelle » en langage autoroutier. Ecartant l’idée d’une renationalisation temporaire des concessions, trop onéreuse pour les finances publiques, le think tank préconise notamment de renégocier les contrats de plan en utilisant l’outil fiscal, par l’introduction d’une taxe exceptionnelle sur l’excédent brut d’exploitation des sociétés d’autoroutes. Une façon d'obliger les sociétés autoroutières à s'arrêter, une fois n'est pas coutume, au péage.  


Le lobby autoroutier fâché par les propositions de Terra nova
  

La rentabilité des sociétés autoroutières atteint en effet des niveaux sans équivalent dans le secteur concurrentiel, avec un bénéfice brut d’exploitation supérieur à 70 % du chiffre d’affaires. « L’excédent brut d’explotation de Vinci autoroutes et d’Eiffage bondit de plus de 1,5 milliard d’euros sur la période 2005-2013 (+48 %) pour atteindre 4,7 milliards d’euros. Dans le même temps la hausse du trafic n’atteint pas les 10 % sur leur réseau. Si bien que la rentabilité au kilomètre parcouru progresse de près de 40 % sur la période » écrit Romain Perez. Une hausse très largement due à l’augmentation des tarifs des péages autoroutiers mais aussi aux économies, surtout en termes de main d’œuvre réalisée par ces sociétés. Trois mille emplois ont ainsi été détruits en moins de dix ans (15 % des effectifs). 

 

Selon Terra nova, la taxation des surprofits d’exploitation au niveau des maisons-mères des sociétés autoroutières permettrait de modifier radicalement les rapports de force entre le régulateur et les concessionnaires autoroutiers. 

 

Constatant que le réseau est aujourd’hui « pratiquement amorti », Terra nova évoque deux autres pistes : la rémunération des sociétés autoroutières doit être réduite aux seuls coûts de maintenance et les péages doivent, eux, être supprimés et remplacer par un système de vignettes forfaitaires, selon l’exemple Suisse.

 

« Si la puissance publique parvient à se défaire à moindre coût des contrats asymétriques qui la lient aux sociétés autoroutières, une baisse de l'ordre de 50 % des tarifs autoroutiers est ainsi envisageable ». Optimiste ? Sans doute. Il n’empêche que la voie des sociétés d'autoroutes qui semblait tracée en ligne droite commence à présenter quelques chicanes et nids de poule. Et celles-ci n’ont pas tardé à réagir sitôt le rapport publié sur le site de Terra nova. Les propositions de la fondation ont été démontées par l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA) qui dénonce « des raisonnements orientés fondés sur des hypothèses fausses ».

 

L’AFSA qui récuse l'existence d'une « rente autoroutière » souligne que les sociétés concessionnaires « n’ont nul besoin d’un rapport de forces, mais seulement d’un Etat fort et fiable ». Le message est clair : laissez nous profitez en paix. Quant à instaurer une taxe spécifique sur les maisons-mères, les sociétés du secteur considèrent que celle-ci serait « probablement inconstitutionnelle ».

 

« Transformer l’impôt en une arme pour forcer le contractant à renoncer à son contrat est une option bien dangereuse », estime l’association. Tout comme transformer le réseau autoroutier d’un Etat stratège, en quête d’argent frais, en un robinet à profits sans fin de multinationales du béton était une option suicidaire.

 

 

 

Source : www.marianne.net

 

 

 

 

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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 21:46

 

 

Source : www.lemonde.fr

 

 

Fonds européen de résolution bancaire : les citoyens ne doivent pas payer pour les banques !

Le Monde.fr | 13.11.2014 à 12h18 • Mis à jour le 13.11.2014 à 12h31 | Par Eric Alauzet (Député EELV), Eva Sas (Députée de l'Essonne (EELV)), André Gattolin (Sénateur EELV) et Eva Joly (Députée européenne EELV)

 
 

 

La grande arche de la Défense.

 

L'Assemblée nationale s’apprête à examiner, dans la cadre du vote du budget 2015, un amendement écologiste déjà adopté en commission des finances. Son objectif est simple: faire économiser à l'État français près de 5 milliards d'euros dans le cadre de la prévention du risque bancaire systémique.

A près la crise de 2008, l'Union Européenne s'est accordée pour créer un fonds unique de résolution, dans le but d'éviter la propagation à l'ensemble du système financier de l'éventuel défaut d'une banque. Ce fonds, bientôt mis en place, doit être alimenté par des contributions des principales banques européennes sur une durée de 8 ans.

Or, en l'état, pour les banques françaises, ces contributions sont déductibles de l'impôt sur les sociétés. Si l'on retient l'annonce faite par Michel Sapin d'une contribution « française » à hauteur de 15 milliards d'euros (soit 27% du montant du fonds), ce sont donc près de 5 milliards d'euros (625 millions d'euros par an) de manque à gagner fiscal que pourrait coûter à l'État la mise en place de ce fonds, pourtant censé préserver les finances publiques des erreurs privées.

 

PRENDRE TOUJOURS PLUS DE RISQUES

L’enjeu est de taille et dépasse la seule question du déficit public. Les réformes trop peu ambitieuses n'ont pas mis fin aux déséquilibres qui menacent la stabilité du système bancaire européen. L'addiction des plus grosses banques aux subventions implicites et explicites de l'État perdure. Partant en effet du principe que, quoi qu'il arrive, la puissance publique leur viendra en aide, ces dernières sont incitées à s'endetter et à prendre toujours plus de risques, sans pour autant servir l'économie réelle. Les principales banques françaises sont championnes en la matière.

Et puisque l'on sent déjà poindre l'argument massue, nous pouvons l'affirmer : le stress test réalisé par la BCE, bien qu'utile et plus sérieux que le précédent, ne vaut pas satisfecit. Partiel et laissant aux banques une marge d'auto-évaluation, il ne dit pas tout. Le modèle d'affaire des plus grandes banques européennes – et notamment françaises- n'a en effet fondamentalement pas changé. Les mégabanques européennes ne répondent toujours pas aux exigences de base en matière de gestion des risques financiers et d'utilité sociale.

Alors, aujourd'hui, nous ne pouvons pas accepter cette déductibilité fiscale. Intenable pour nos finances publiques, contraire à l'esprit qui a porté l'élection d'une nouvelle majorité en 2012, le message envoyé irait à contre-sens des batailles que les écologistes et l'ensemble des progressistes sincères mènent en France et au sein des institutions européennes pour que cesse l'économie casino.

  • Eric Alauzet (Député EELV)
     
  • Eva Sas (Députée de l'Essonne (EELV))
     
  • André Gattolin (Sénateur EELV)
     

Eva Joly (Députée européenne EELV)

 

 

Source : www.lemonde.fr

 

 


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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 18:37

 

Source : www.lemonde.fr

 

 

Pas de hausse d'impôt ? Un vœu pieux déjà trahi

Le Monde.fr | 13.11.2014 à 17h53 • Mis à jour le 13.11.2014 à 18h10 | Par Mathilde Damgé

 
 
Difficile pour l'exécutif de tenir la promesse de François Hollande. Le secrétaire d'Etat au budget, Christian Eckert, a fait mercredi des déclarations contradictoires sur la possibilité de hausses d'impôt l'an prochain.

Invité d'une émission « Face aux Français » le 6 novembre, le président François Hollande s'était engagé en matière de fiscalité :

« A partir de l'année prochaine, il n'y aura pas d'impôt supplémentaire sur qui que ce soit. »

Une semaine plus tard, le secrétaire d'Etat chargé du budget, Christian Eckert, a annoncé qu'il pourrait y avoir de nouvelles hausses d'impôts en 2015. Une affirmation qu'il a lui-même nuancée, voire contredite, par la suite.

M. Eckert a d'abord avancé qu'il pourrait « y avoir des baisses d'impôt supplémentaires [d'ici la fin du quinquennat], ceci n'est pas exclu, c'est d'ailleurs un objectif ».

Faisant notamment allusion à la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, il a souligné que cet impôt allait baisser en 2015 pour 9 millions de ménages. Reste que, dans un premier temps, une partie du manque à gagner lié à la suppression de la première tranche sera compensée par le relèvement du taux des tranches supérieures. Et donc une augmentation pour les foyers les plus aisés.

Lire notre décryptage : Quatre questions sur la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu

 

 

Une promesse ambiguë

« Face aux Français », le président de la République avait déjà joué l'ambiguïté, en ajoutant la phrase suivante à son annonce : « Au-delà de ce qui a été annoncé, il n'y aura rien. » Mais difficile de savoir à quoi correspondait ce « déjà annoncé »...

Parmi les mesures fiscales inédites qui prendront effet l'an prochain figure la taxation des résidences secondaires. Annoncée le 4 novembre, elle autorise les communes à relever de 20 % la taxe d'habitation sur certains logements meublés dans des zones tendues et pourrait rapporter jusqu'à 150 millions d'euros aux collectivités concernées.

Lire notre décryptage : Qui sera concerné par la nouvelle taxe sur les résidences secondaires ?

Autre hausse fiscale déjà décidée, celle de la redevance audiovisuelle (+ 3 euros en métropole). François Hollande a d'ailleurs prôné, le 2 octobre, « une assiette plus large et plus juste » de la redevance audiovisuelle, sous-entendant la possibilité de l'élargir aux possesseurs d'ordinateurs, de tablettes ou de smartphones.

Citons encore le renchérissement de 2 centimes par litre de diesel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui devrait générer 800 millions de recettes pour l'Etat, afin de compenser le manque à gagner lié à l'abandon de l'écotaxe.

Un large éventail de ressources fiscales

Par ailleurs, la fiscalité ne se limite pas à l'impôt sur le revenu et sur le patrimoine des particuliers, ou à l'impôt sur les sociétés.

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un autre levier important de rentrées fiscales. C'est un impôt « direct » puisqu'il est payé par le consommateur-contribuable. De même, la CSG (contribution sociale généralisée) est prélevée sur le patrimoine et les revenus de remplacement comme les allocations-chômage.

La TVA pénalise particulièrement les ménages aux revenus modestes qui consomment proportionnellement davantage et épargnent moins que les ménages plus aisés.

Un autre moyen d'augmenter la pression fiscale consiste à supprimer ou réduire les niches fiscales. Ces réductions d'impôt en tous genres peuvent aussi bien prendre la forme d'une TVA réduite pour certains secteurs d'activité, que de déductions d'impôts pour l'emploi d'une nounou à domicile. On en comptait 460 en 2014 ; leur nombre doit passer à 453 en 2015.

La fin de certains crédits d'impôt, dégrèvements ou prêts à taux zéro constitue une autre fenêtre de tir que peut envisager le gouvernement dans les années à venir. Cela a déjà été anticipé avec plusieurs taxes versées par le secteur bancaire et les compagnies d'assurances, qui ne seront plus déductibles de l'impôt sur les sociétés.

En outre, le gouvernement ne s'est pas engagé (et il ne peut pas le faire) sur les éventuelles hausses d'impôt des collectivités territoriales. Ni sur celles décidées par le Parlement. Un amendement, déposé par des élus centristes, a été adopté mercredi au Sénat : il propose d'augmenter à partir du 1er janvier de 30 % à 45 % la taxe sur les retraites chapeau les plus généreuses.

Utiliser le module interactif : Impôt sur le revenu : allez-vous moins payer en 2015 ?

Lire aussi (en édition abonnés) : Suppression de la première tranche d'impôt sur le revenu, hausse de la taxe sur le gazole...

 Mathilde Damgé
De l'éco, du décryptage et une pincée de data

 

 

Source : www.lemonde.fr

 

 


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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 18:27

 

Source : cadtm.org

 

CADTM

 

Situation internationale et dette, au Sud et au Nord, de 2000 à 2014

13 novembre par Eric Toussaint

 

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Cet article passe en revue une série d’évolutions qui ont eu lieu entre 2000 et 2014 en ce qui concerne la dette, la crise internationale sous différents aspects |1|, les institutions financières internationales, l’ampleur des attaques contre les droits économiques et sociaux… et les priorités du CADTM.

Plusieurs changements ont eu lieu depuis la fin des années 1990.

1. Plusieurs pays du Sud ont pris leur distance avec le néolibéralisme.

Après plus de vingt années de politiques néolibérales et de résistances multiples à celles-ci, à la fin des années 1990, début des années 2000, plusieurs peuples d’Amérique latine, se sont débarrassés de présidents néolibéraux, grâce à d’importantes mobilisations sociales, et ont élu des chefs d’État qui ont mis en place des politiques plus conformes aux intérêts populaires. Ces peuples voulaient se libérer des mesures prises en application du « consensus de Washington » dicté par le FMI et la Banque mondiale (privatisations, réduction des services publics, ouverture commerciale laissant sans protection les petits producteurs locaux, marchandisation forcée, précarisation des emplois, abandon des subventions aux aliments de base et à des services comme l’eau, l’électricité, le gaz, les transports…). Ces politiques étaient mises en pratiques au prétexte de rembourser la dette publique, dont une grande partie était illégitime ou illégale. C’est notamment le cas du Venezuela, de l’Équateur, de la Bolivie |2|… Le gouvernement de l’Équateur a pris une initiative remarquable et très positive en 2007-2008 en réalisant, avec la participation active de délégués des mouvements sociaux, un audit intégral de la dette |3|. Sur la base de cet audit, il a suspendu le remboursement d’une partie de la dette identifiée comme illégitime et a imposé à ses créanciers une importante réduction de la dette |4|. Cela lui a permis d’augmenter fortement les dépenses sociales. Malheureusement, cette initiative n’a pas eu l’effet boule de neige que l’on aurait pu escompter, les autres pays de la région n’ayant pas suivi l’exemple.

Côté positif, les gouvernements de ces trois pays ont également augmenté les impôts prélevés sur les revenus des grandes sociétés privées étrangères qui exploitent leurs ressources naturelles. Cela a augmenté de manière importante les recettes fiscales et permis d’augmenter les dépenses sociales.
En outre, les citoyens de ces trois pays ont adopté au cours d’un processus démocratique de nouvelles Constitutions qui prévoient notamment la révocabilité de tous les mandataires publics à mi-mandat.

Ajoutons enfin que la Bolivie en 2007, l’Équateur en 2009 et le Venezuela en 2012, ont pris une très bonne décision en se retirant du tribunal de la Banque mondiale en matière de litige sur les investissements (Centre international de règlement des différends sur les investissements – CIRDI-).

Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)

Créé en 1966, l’objet du CIRDI est d’offrir des moyens de conciliation et d’arbitrage pour régler les différends relatifs aux investissements opposant des États contractants à des ressortissants d’autres États contractants. En termes plus simples, il s’agit d’un Tribunal arbitral international agissant en cas de conflit entre un investisseur privé d’un État partie et l’État du siège dudit investissement. La compétence du Centre (article 25) s’étend aux différends d’ordre juridique entre un État contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu’il désigne au Centre) et le ressortissant d’un autre État contractant, différends en relation directe avec un investissement.
Le Centre est en général désigné comme étant compétent en matière de litiges dans le cadre des accords bilatéraux sur les investissements. C’est ainsi que presque 900 traités bilatéraux sur la promotion et la protection des investissements nomment explicitement le Centre comme instance de règlement des différends entre un investisseur privé d’une partie contractante, d’une part, et l’État du siège des investissements en question, d’autre part. La sentence arbitrale du Centre est obligatoire et ne peut être l’objet d’aucun appel ou autre recours (article 53). Le CIRDI est membre du Groupe de la Banque mondiale, mais en tant qu’institution, il est une organisation internationale autonome dont l’action est de compléter le cadre de la Banque.
Le recours au CIRDI pour une conciliation ou un arbitrage est totalement volontaire. Mais une fois les parties engagées, aucune ne peut renoncer unilatéralement à l’arbitrage du CIRDI. À partir du moment où le CIRDI a pris une décision, tous les pays signataires de la convention, même s’ils ne sont pas en cause dans le différend, doivent reconnaître et appliquer la décision. Depuis 1978, le champ des compétences du CIRDI s’est élargi : un ensemble de règles lui permet d’intervenir dans des cas qui ne relèvent pas du champ de la convention. Il peut ainsi intervenir dans des procédures d’arbitrage lors de différends mettant en cause un État ou un investisseur d’un État non signataire de la convention ; il peut aussi être sollicité pour réaliser des constats.
En pratique, dans la plupart des cas, le CIRDI rend des sentences favorables aux grandes sociétés privées et condamnent les États à leur verser des dommages et intérêts.

La toile d’araignée de la Banque mondiale

La Banque mondiale a développé ses filiales (Association internationale pour le développement – AID, Société financière internationale - SFI, Agence multilatérale de garantie des investissements - AMGI, Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements - CIRDI) de manière à tisser une toile dont les mailles sont de plus en plus serrées.
Prenons un exemple théorique pour indiquer les effets de cette politique. La Banque mondiale octroie un prêt aux autorités d’un pays à condition que le système de distribution et d’assainissement de l’eau soit privatisé. En conséquence, l’entreprise publique est vendue à un consortium privé dans lequel on retrouve la SFI, filiale de la Banque mondiale. Quand la population affectée par la privatisation se révolte contre l’augmentation brutale des tarifs et la baisse de la qualité des services et que les autorités publiques se retournent contre l’entreprise transnationale prédatrice, la gestion du litige est confiée au CIRDI, à la fois juge et partie. On en arrive à une situation où le groupe Banque mondiale est présent à tous les niveaux : (1) imposition et financement de la privatisation (Banque mondiale via BIRD et AID) ; (2) investissement dans l’entreprise privatisée (SFI) ; (3) garantie accordée à cette entreprise pour la couvrir contre les risques politiques (AMGI) ; (4) jugement en cas de litige (CIRDI).

2. Augmentation du cours des matières premières et des réserves de change

À partir de 2003-2004, le cours des matières premières et des produits agricoles a connu une augmentation |5|. Cela a permis aux pays en développement |6| exportateurs de ces produits sur le marché mondial d’augmenter leurs revenus en devises fortes (dollars, euros, yens, livres sterling…). Certains d’entre eux, trop peu nombreux, ont profité d’une partie importante de ces revenus supplémentaires pour augmenter les dépenses sociales. La majorité des PED ont surtout accumulé des réserves de change |7| et ont accru les achats de bons du Trésor des États-Unis. En d’autres mots, ils ont augmenté leurs prêts à la principale puissance économique mondiale, ce qui contribue à assurer le maintien de sa domination car cela lui donne les moyens de vivre largement à crédit et de maintenir un important déficit commercial. Explication : les États-Unis s’endettent fortement auprès des pays qui sont prêts à acheter les titres de sa dette (bons du Trésor des États-Unis - US Treasury Bonds-).

Le graphique ci-dessous indique les volumes des US Treasury Bonds et autres bons du Trésor détenus en mars 2014 par une série de pays en développement. La Chine à elle seule prête aux États-Unis 1 270 milliards de dollars (qu’elle puise dans ses réserves de changes accumulées grâce à son commerce avec les États-Unis) ; elle détient ainsi plus du quart de la dette publique externe des États-Unis.

Pays en développement créanciers des États-Unis : valeurs des bons du Trésor des États-Unis (en milliards de dollars US) détenus en mars 2014 |8|

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Le rendement sur les US Treasury Bonds et autres titres de la dette est de l’ordre de 0 à 2,57 % selon que l’échéance soit d’un mois (0,01 %) ou de 10 ans (2,57 %) |9|. Compte-tenu de l’inflation aux États-Unis, le rendement réel est fort bas, voire simplement négatif. Cela permet aux États-Unis de se financer à un coût très faible.

3. Baisse du pouvoir de la Banque mondiale et du FMI à l’égard de certains pays en développement

L’augmentation des réserves de change et la décision de certains gouvernements du Sud d’utiliser une partie de celles-ci pour augmenter les dépenses sociales et les investissements en infrastructure ont contribué à réduire l’emprise du FMI, de la Banque mondiale et des pays les plus industrialisés sur un certain nombre de pays en développement |10|. Cette perte d’influence provient également du fait que la Chine et d’autres pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), en particulier le Brésil, ont multiplié les prêts à certains pays en développement.

4. La Chine comme puissance créancière

Un autre facteur a renforcé ce phénomène : la Chine en pleine expansion s’est transformée en atelier du monde et accumule d’énormes réserves de change (surtout des dollars US). En décembre 2013, le volume des réserves de change de la Chine atteignait 3 821 milliards de dollars |11|. Elle a augmenté fortement ses échanges internationaux, notamment avec les pays en développement des différents continents. Elle a également augmenté de manière très importante ses crédits aux pays africains, latino-américains et à une partie importante de l’Asie. Dès lors, les crédits et les investissement de la Chine sont venus concurrencer les prêts et les projets de la Banque mondiale, du FMI, d’autres institutions financières multilatérales et des gouvernements des pays les plus industrialisés. Cela a diminué le pouvoir de pression de ces institutions et des pays du Nord à l’égard d’un certain nombre de pays en développement. Il convient d’être fort attentif à la quantité importante de dettes qu’un certain nombre de pays en développement accumulent à l’égard de la Chine. Cette dernière, nouvelle puissance capitaliste, ne fait pas de cadeaux et ses investissements visent à assurer son contrôle sur les sources de matières premières dont elle a besoin et sur les marchés vers lesquels elle exporte des biens manufacturés.

5. Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont annoncé en 2014 la création d’une banque multilatérale qui leur appartiendra |12|.

Cette banque, si un jour elle entre en activité (ce qui n’est pas garanti), ne constituera pas un organisme capable d’offrir une alternative positive pour les pays en développement car les gouvernements qui la fondent cherchent à se doter d’une banque qui servira directement leurs intérêts (assurer des sources d’approvisionnement en matières premières et des débouchés pour leurs exportations), et non ceux des peuples.

6. Augmentation de la dette publique interne

Au cours des 20 dernières années, la dette publique interne a fortement augmenté. Dans un nombre significatif de pays en développement, elle est devenue plus importante que la dette publique externe (voir le tableau ci-dessous qui concerne l’Argentine, le Brésil, la Colombie, l’Équateur et le Mexique). C’est vrai pour tous les pays en développement les moins pauvres, en particulier pour les économies dites émergentes.

Comparaison entre la dette publique externe et la dette publique interne (en milliards de dollars US et en % de la dette totale) pour quelques pays d’Amérique latine durant la période 2000-2013 |13|

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Néanmoins, il ne faut pas être dupe : souvent, les banques domestiques qui prêtent en monnaie locale aux pouvoirs publics de leur pays ne sont que des filiales des banques étrangères et les emprunts en monnaie locale sont, dans un nombre important de cas, indexés sur une devise forte (généralement le dollar US). Cela signifie qu’en cas de dévaluation de la monnaie locale ou d’appréciation de la devise forte, le montant à rembourser augmente considérablement |14|. Cela signifie également que de grandes banques étrangères tirent profit de la dette publique interne. Par exemple, Santander, la principale banque espagnole, tire d’énormes profits des prêts que ses filiales au Brésil |15| et dans d’autres pays d’Amérique latine octroient aux pouvoirs publics en leur achetant des titres de la dette interne. C’est vrai également pour d’autres banques comme Citigroup/CitiBank très présente au Mexique par exemple, ou l’espagnole BBVA, présente dans plusieurs économies latino-américaines, sans oublier la britannique HSBC, particulièrement active en Asie.

7. Crise alimentaire et crise climatique

En 2007-2008, les populations des pays en développement ont été confrontées à une augmentation très forte du prix des aliments. Cela a provoqué des émeutes de la faim dans 18 pays. Le nombre de personnes affamées qui atteignait environ 900 millions avant la crise, a augmenté de près de 120 millions et a donc dépassé 1 milliard en 2009. Cette crise dramatique est à mettre en relation avec les autres facteurs de la crise globale et le « système dette ». Une chose est certaine : la hausse des prix des aliments et l’augmentation du nombre d’êtres humains souffrant de la faim ne sont pas le résultat d’un manque de ressources alimentaires à l’échelle de la planète. Parmi les facteurs qui ont causé la crise alimentaire et qui maintiennent de manière permanente un être humain sur huit dans la sous-alimentation, on peut citer la spéculation sur les aliments (et les combustibles) sur les marchés de gré à gré des pays du Nord, la promotion des agro-combustibles dans les pays du Nord et dans certains pays du Sud - à commencer par le Brésil -, l’accaparement des terres, l’ouverture commerciale imposée aux pays du Sud, l’abandon des subventions aux aliments de base et aux producteurs des pays du Sud, la priorité donnée aux cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières… |16|
Les effets de la crise climatique en cours sont eux aussi de plus en plus dramatiques dans les pays en développement. Ici aussi les politiques conduites par la Banque mondiale en particulier, et plus généralement par le système capitaliste productiviste, font partie du problème et non de la solution |17|.

8. La dette est au centre des préoccupations dans les pays du Nord, comme conséquence de la crise qui y a éclaté en 2007-2008.

La crise causée par les grandes banques privées aux États-Unis et en Europe a entraîné une forte augmentation de la dette publique des pays concernés. La dette privée et la dette publique sont devenues une préoccupation centrale dans les pays du Nord, en particulier au sein de l’Union européenne et aux États-Unis. C’est pourquoi le CADTM a renforcé son travail d’analyse et son action dans ces pays, sans délaisser pour autant son activité dans les pays du Sud. Les enseignements tirés par le CADTM des événements des années 1980-1990 ont été très utiles pour lui permettre de comprendre et d’intervenir dans la période qui a suivi l’éclatement de la crise en 2007-2008 |18|. Les pays du Nord où les peuples ont été jusqu’ici les plus touchés sont la Grèce, l’Irlande, l’Islande, le Portugal, l’Espagne, Chypre, la Roumanie, la Hongrie, les Républiques baltes, la Bulgarie, et l’Italie. Ce sont les mêmes politiques qui ont été imposées aux peuples du Sud par les créanciers qui ont provoqué et instrumentalisé la crise de la dette du tiers-monde initiée dans les années 1980, qui sont aujourd’hui progressivement imposées dans les pays les plus industrialisés.

9. Relations de domination Centre/Périphérie à l’intérieur de l’Union européenne

L’existence d’une zone économique, commerciale et politique commune permet aux transnationales européennes et aux économies du Centre de la zone euro de tirer profit de la crise de la dette des pays de la Périphérie (Espagne, Grèce, Portugal, Irlande, Chypre, pays d’Europe centrale et Balkans) ainsi que de l’Italie pour renforcer la profitabilité des entreprises et marquer des points en termes de compétitivité par rapport à leurs concurrents nord-américains et chinois. L’objectif des pays du Centre de la zone euro, au stade actuel de la crise, n’est pas de relancer la croissance et de réduire les asymétries entre les économies fortes et celles plus faibles de l’UE.

Les dirigeants européens considèrent en outre que la débâcle du Sud de l’Europe va se traduire par des opportunités de privatisations massives d’entreprises et de biens publics à des prix bradés. L’intervention de la Troïka et la complicité active des gouvernements de la Périphérie les y aident. Les classes dominantes dans les pays de la Périphérie sont favorables à ces politiques car elles comptent bien elles-mêmes obtenir une part d’un gâteau qu’elles convoitaient depuis des années. Les privatisations en Grèce et au Portugal préfigurent ce qui va arriver en Espagne et en Italie où les biens publics à acquérir sont beaucoup plus importants vu la taille de ces deux économies.

Le lien étroit entre les gouvernants et le grand Capital n’est même plus dissimulé. À la tête de plusieurs gouvernements, placés à des postes ministériels importants et à la présidence de la BCE, se trouvent des hommes directement issus du monde de la haute finance, à commencer par la banque d’affaires Goldman Sachs |19|.

10. La crise en général et l’augmentation de la dette publique sont instrumentalisées pour lancer la plus grande offensive contre les droits humains en Europe depuis la seconde guerre mondiale.

Pour avancer dans la plus grande offensive menée depuis la seconde guerre mondiale à l’échelle européenne contre les droits économiques et sociaux de la majorité de la population, les gouvernements et le patronat utilisent plusieurs armes : l’augmentation très importante du chômage, le remboursement de la dette publique qui a fortement augmenté, la recherche de l’équilibre budgétaire comme prétexte à des coupes sévères dans les dépenses sociales et les services publics, la quête de l’amélioration de la compétitivité des États membres de l’UE les uns par rapport aux autres ainsi que par rapport aux concurrents mondiaux.

Pour le Capital, il s’agit d’accroître encore davantage la précarisation des travailleurs, de réduire radicalement leur capacité de mobilisation et de résistance, de diminuer les salaires et différentes indemnités sociales tout en maintenant les énormes disparités entre les travailleurs au sein de l’UE afin d’augmenter la compétition entre eux et de les précipiter dans le piège de la dette.

Le rapport « Safegarding human rights in time of economic crises » (sauvegarder les droits humains en temps de crises économiques) de Nils Muiznieks, commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe (publié le 3 décembre 2013), dresse un bilan sans appel des conséquences des politiques de rigueur mises en œuvre actuellement en Europe. Éducation, santé, emploi, justice, logement, eau, alimentation : autant de secteurs qui voient les populations pâtir des méfaits de ces politiques. Nils Muiznieks souligne l’inefficacité et le caractère contre-productif des plans d’austérité, notamment en matière de santé, générant de lourdes conséquences à long terme, avec pour corollaire l’augmentation des dépenses publiques pour y faire face |20|.

Voici un extrait de l’introduction de cet important rapport : « Ce qui a démarré comme une crise du système financier mondial en 2008 s’est transformée en une politique d’austérité qui menace plus de 60 années de solidarité sociale et d’extension de la protection des droits de l’Homme à travers les États membres de l’Europe. Une grande partie de ces mesures d’austérité - caractérisées par des coupes dans les dépenses sociales, des hausses d’impôts régressives, une diminution de la protection des travailleurs et des réformes des pensions - ont exacerbé les conséquences humaines déjà graves de la crise économique marquée par des niveaux records de taux de chômage. L’éventail complet des droits humains fondamentaux a été touché - depuis le droit à un travail décent, à un niveau de vie adéquat et à la sécurité sociale, jusqu’au droit à la justice, à la liberté d’expression, à la participation et à la transparence. Des franges vulnérables et marginalisées de la population ont été frappées encore plus durement, de façon disproportionnée, repoussant les limites pré-existantes de la discrimination dans les sphères politiques, économiques et sociales. La pauvreté, y compris les privations infantiles, s’est aggravée et devrait avoir des effets sur le long terme. »

11. Au niveau mondial, il s’agit d’une offensive du Capital contre le Travail.

Ce que vivent aujourd’hui les salariés, les retraités et les allocataires sociaux de Grèce, du Portugal, d’Irlande, d’Espagne, de Chypre… a été imposé aux travailleurs des pays en développement pendant la crise de la dette des années 1980-1990. Au cours des années 1980, l’offensive a également visé les travailleurs en Amérique du Nord à partir de la présidence de Ronald Reagan, en Grande-Bretagne sous la férule de Margaret Thatcher, la « Dame de fer », et chez ses émules sur le vieux continent. Les travailleurs de l’ex-bloc de l’Est ont également été soumis au cours des années 1990 aux politiques brutales imposées par leurs gouvernements et le FMI. Selon le Rapport mondial sur les salaires 2012-2013 publié par l’OIT : « En Russie, par exemple, la valeur réelle des salaires s’est effondrée dans les années 1990 à moins de 40 % de la valeur qu’ils avaient et il a fallu une autre décennie pour qu’ils retrouvent leur niveau initial » |21|. Ensuite, d’une manière certes nettement moins brutale que celle qui a affecté les peuples du tiers-monde (des pays les plus pauvres jusqu’aux économies dites émergentes), l’offensive a pris pour cible les travailleurs d’Allemagne à partir de 2003-2005. Les effets néfastes pour une partie significative de la population allemande se font sentir encore aujourd’hui, même si les succès des exportations allemandes et l’explosion du travail à temps partiel limitent le nombre de chômeurs et qu’une partie de la classe ouvrière n’en ressent pas directement les conséquences.

L’offensive qui s’est accélérée depuis 2007-2008 a donc démarré au niveau mondial au début des années 1980. L’OIT centre son analyse sur une période plus courte (1999-2011) et fait ce constat édifiant : « Entre 1999 et 2011, l’augmentation de la productivité du travail moyenne dans les économies développées a été plus de deux fois supérieure à celle des salaires moyens. Aux États-Unis, la productivité du travail réelle horaire a augmenté de 85 % depuis 1980, tandis que la rémunération horaire réelle n’a augmenté que de 35 %. En Allemagne, la productivité du travail a augmenté de presque un quart sur les deux décennies écoulées tandis que les salaires mensuels réels n’ont pas bougé » |22|. Plus loin, l’OIT note : « La tendance mondiale a entraîné un changement dans la distribution du revenu national, la part des travailleurs baissant tandis que les parts du capital dans le revenu augmentent dans une majorité de pays. Même en Chine, pays où les salaires ont approximativement triplé durant la décennie écoulée, le PIB a augmenté plus rapidement que la masse salariale totale – et la part du travail a donc baissé. » |23|

Évolution en pourcentage de la participation des salaires dans le PIB mondial (1980-2011) |24|

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Cette tendance lourde au niveau mondial est la manifestation de l’augmentation de la plus-value extraite du Travail par le Capital.

12. Les dettes « individuelles » illégitimes

Un nouveau champ d’analyse et d’intervention du CADTM s’est ouvert dans le domaine du « système dette ». Alors que les peuples en tant que sujets collectifs sont directement victimes du « système dette », les individus le sont aussi : paysans indiens surendettés et poussés au suicide (plus de 270 000 paysans indiens se sont suicidés entre 1995 et 2011 en espérant libérer leur famille du fardeau de la dette |25|) ; familles dépossédées par millions de leur logement par les banques créancières, principalement aux États-Unis (depuis 2007, 14 millions de familles incapables de poursuivre le remboursement de la dette hypothécaire ont été expulsées de leur logement par les banques), en Espagne (il s’agit ici d’environ un demi-million de familles |26|), en Irlande, en Islande, dans plusieurs pays d’Europe centrale et des Balkans ; femmes (hommes aussi) victimes d’un système de microcrédit prédateur dans les pays du Sud ; étudiants nord-américains, britanniques ou chiliens surendettés plongés dans le besoin ou carrément la misère (le montant total de dettes étudiantes aux États-Unis dépassent 1 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de la dette publique externe de l’Amérique latine et de l’Afrique subsaharienne réunies)…

En réalité, si l’on va au-delà des apparences, il ne s’agit pas d’une collection de cas individuels victimes d’injustice. Ces individus font partie des classes sociales exploitées et spoliées par le capitalisme : la petite paysannerie des pays du Sud, le prolétariat urbain et rural des pays du Nord et du Sud, les jeunes scolarisés provenant des classes populaires… Parmi les victimes, les femmes sont les plus exposées à l’exploitation de classe et de genre : capitalisme et patriarcat vont de pair pour pérenniser le système d’oppression et d’exploitation.

13. La baisse des taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe a réduit le coût de la dette au Sud. Cela crée une dangereuse impression de sécurité.

La baisse des taux d’intérêt décidée par les banques centrales des pays les plus industrialisés à partir de 2007-2008 |27|, afin de venir en aide à leurs grandes banques privées en particulier et aux entreprises capitalistes en général, a entraîné une baisse du coût de refinancement de la dette pour les pays en développement. La conjonction de bas taux d’intérêt et de revenus élevés tirés de l’exportation de matières premières créent une dangereuse impression de sécurité pour les gouvernements des pays en développement. Or la situation peut se retourner dans les années à venir : les prix des matières premières pourraient baisser et les taux d’intérêt finir par remonter |28|.
Il convient d’être très attentif à cela en exigeant des gouvernements qu’ils profitent de la conjoncture relativement favorable à leur pays en développement pour mettre en place des politiques au service de la satisfaction des droits humains et du respect de la Nature. Il s’agit de rompre radicalement avec le modèle de développement actuel.

14. Les dettes publiques et privées ont augmenté au niveau mondial. La BRI elle-même parle du « piège de la dette ».

Les dettes privées et publiques ont augmenté de manière incontrôlée et extrêmement dangereuse depuis le début des années 2000. Au début, il s’est agi d’une augmentation énorme de la dette privée (celles des sociétés financières - les banques en particulier -, des sociétés non financières et des ménages), principalement dans les pays les plus industrialisés. Ensuite, comme conséquence de la gestion de la crise au profit des capitalistes, la dette publique a littéralement explosé. Dans les pays les plus développés, la dette publique a augmenté d’environ 40 % depuis 2007 |29|. De son côté, la dette des sociétés non financières a augmenté de 30 % sur le plan mondial. La dette des ménages a baissé (face aux attaques contre leur pouvoir d’achat, leur emploi, leur conditions de vie en général, ceux « d’en bas » se désendettent). Les dettes des sociétés financières (grandes banques privées en particulier) restent les plus élevées (elles dépassent de très loin les dettes publiques) car leur bilan n’a pas été réellement assaini malgré les discours rassurants des autorités. La Banque des Règlements internationaux (BRI), qui réunit les principales banques centrales de la planète, lance elle-même l’alerte dans son rapport annuel publié en juin 2014 en évoquant le « piège de la dette » ! Évidemment, on n’est pas étonné de constater que la BRI recommande de poursuivre les politiques néolibérales |30| alors qu’il faudrait au contraire rompre radicalement avec celles-ci.

15. La dette des pays en développement qui représente une infime portion des dettes à l’échelle mondiale a également augmenté.

Il faut souligner que la dette totale des pays en développement tant interne qu’externe, qu’elle soit publique ou privée, représente environ 5 % des dettes à l’échelle mondiale. Les dettes publiques et privées dans les pays les plus industrialisés où vivent 15 % de la population planétaire représentent 95 % des dettes au niveau mondial. La dette publique externe de l’ensemble des pays en développement (environ 1 800 milliards de dollars US), où vivent 85 % de la population mondiale représente à peine 1 % des dettes mondiales. C’est dire à quel point sur le plan technique, il est facile de l’annuler.

En réalité, plus que jamais, les pays en développement sont les créanciers financiers nets des économies les plus développées. Cela sans compter les « créances écologiques et historiques » que les peuples des pays en développement pourraient réclamer aux classes dominantes des pays les plus développés (et aux classes dominantes des pays en développement, complices de celles du Nord).

Jetons un coup d’œil à l’évolution de la dette publique.

Évolution de la dette publique externe des pays en développement entre 1980 et 2012 (en milliards de dollars US) |31|

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* PECOT = pays d’Europe centrale et orientale + Turquie

On constate que la dette publique externe a continué d’augmenter entre 2000 et 2012, en particulier en Amérique latine, dans les pays d’Europe centrale et orientale + Turquie (PECOT) et en Asie du Sud.

Évolution de la dette externe des pays en développement et des ressources destinées à son remboursement entre 1980 et 2012 (en milliards de dollars US) |32|

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On peut constater une augmentation constante du volume total de la dette externe. Du côté des remboursements, entre 2005 et 2012, ce sont surtout ceux effectués par les entreprises privées qui ont augmenté. Cela signifie que les entreprises privées (industrielles, commerciales, bancaires…) se sont très fortement endettées à l’égard de l’étranger et qu’en cas de crise, il y a un très grand risque que ces dettes soient mises à charge des pouvoirs publics, comme cela s’est produit à de nombreuses reprises par le passé.

16. Des pays pauvres émettent et vendent des titres de leur dette externe sur les marchés internationaux.

Le Rwanda et le Sénégal, deux pays pauvres très endettés, ont vendu des titres de leurs dettes publiques sur les marchés financiers du Nord. Du jamais vu au cours des 30 dernières années. La Côte d’Ivoire, sortie d’une situation de guerre civile il y a à peine quelques années, a également émis des titres alors qu’elle fait également partie des pays pauvres très endettés. Le Kenya et la Zambie ont aussi émis des titres de la dette. Cela témoigne d’une situation internationale tout à fait particulière : les investisseurs financiers du Nord disposent d’énormément de liquidités et face à des taux d’intérêt très bas dans leur région, ils sont à l’affût de rendements intéressants. Le Sénégal, la Zambie et le Rwanda promettent un rendement de 6 à 8 % sur leurs titres ; du coup, ils attirent des sociétés financières qui cherchent à placer provisoirement leurs liquidités même si les risques sont élevés. Les gouvernements des pays pauvres deviennent euphoriques et tentent de faire croire à leur population que le bonheur est au coin de la rue alors que la situation peut dramatiquement se retourner. Ces gouvernants sont en train d’accumuler des dettes de manière tout à fait exagérée, et quand la situation économique se détériorera, ils présenteront la facture à leur peuple.

De plus, les titres qu’ils émettent sont liés à des contrats dont les clauses peuvent constituer de véritables bombes à retardement. Cela nécessite d’obtenir que le contenu des contrats soit rendu public par les autorités.

17. Quand la Réserve fédérale des États-Unis provoque une déstabilisation des économies émergentes ?

À partir de mai 2013, quand la Fed a laissé entendre qu’elle allait progressivement commencer à modifier sa politique, les effets négatifs sur les économies des pays dits émergents se sont faits immédiatement sentir. Quels étaient les changements envisagés ? (1) Réduire les achats de titres toxiques |33| qu’elle réalise auprès des banques des États-Unis afin de les décharger de ce fardeau ; (2) Réduire les acquisitions de bons du Trésor US qu’elle achète également aux mêmes banques afin de leur injecter des liquidités |34| ; (3) Commencer à augmenter les taux d’intérêt (aujourd’hui le taux est très faible, de l’ordre de 0,25%).

Cette seule annonce a amené les grandes sociétés financières des États-Unis et d’autres pays (les banques et leurs satellites du shadow banking ; fonds de placement, etc.) à retirer des pays émergents une partie des liquidités qu’elles y avaient placées, ce qui a provoqué une déstabilisation de ces économies : chute des marchés boursiers et du cours de la monnaie de ces pays (Indonésie, Turquie, Brésil, Inde, Afrique du Sud…) |35|. Explication : les bas taux d’intérêts pratiqués aux États-Unis et en Europe combinés à l’injection massive par les banques centrales de liquidités dans l’économie ont amené les sociétés financières à la recherche de rendement maximum à placer une partie de leurs moyens financiers dans les pays en développement qui offrent de meilleurs rendements que les pays du Nord. Le reflux des investissements financiers des pays en développement vers les économies les plus industrialisées s’explique notamment par le fait que les sociétés financières ont considéré qu’elles pourraient trouver des rendements intéressants au Nord au moment où la Fed allait augmenter les taux d’intérêt |36|. Ces sociétés financières ont pensé que les autres « investisseurs » allaient eux-mêmes retirer leurs capitaux de ces pays et qu’il valait mieux les précéder. Cela a provoqué un véritable mouvement moutonnier et ce qui correspond à une prophétie auto-réalisatrice. Finalement, la Fed n’a pas augmenté les taux d’intérêts et a attendu la fin de l’année 2013 pour réduire les achats aux banques de produits structurés et de bons du Trésor. Un certain retour au calme s’est opéré.

Ce que montre ce qui s’est passé en juin 2013 donne une idée de ce qui se passera quand la Fed augmentera significativement les taux d’intérêt. C’est ce que dit la BRI à sa manière : « Les flux de capitaux pourraient s’inverser rapidement lorsque les taux d’intérêt dans les économies avancées finiront par repartir à la hausse ou lorsque la situation économique perçue dans les économies destinataires se détériorera. En mai et juin 2013, la simple éventualité que la Réserve fédérale commence à ralentir le rythme de ses achats d’actifs a suffi à provoquer des sorties immédiates de fonds investissant dans des titres d’économies émergentes (…) » (BRI, Rapport annuel, 2014, p. 84-85).

La BRI souligne une évolution préoccupante : les sociétés financières qui placent une partie de leur moyens financiers dans les économies en développement le font à court terme. Elles peuvent retirer très vite leurs fonds si elles trouvent que c’est plus rentable d’aller ailleurs. Voici ce qu’en dit la BRI : « Une plus forte proportion d’investisseurs à court terme dans la dette des économies émergentes pourrait amplifier les chocs en cas de détérioration de la situation mondiale. L’importante volatilité des flux vers les économies émergentes indique que certains investisseurs considèrent leurs investissements sur ces marchés comme des positions à court terme plutôt que comme des placements à long terme. Ceci est confirmé par la désaffection progressive pour les fonds de placement traditionnels, à capital fixe ou variable, au profit des fonds négociables en bourse (exchange-traded funds ou ETF), qui représentent désormais environ un cinquième du total de l’actif net des fonds en actions et en obligations spécialisés dans les économies émergentes, contre environ 2 % il y a 10 ans. Les ETF s’achètent et se vendent sur les marchés pour un coût modeste, du moins en temps normal, et les investisseurs s’en servent pour convertir des titres peu liquides en instruments liquides. » (BRI, op.cit., p. 85).

Ce qu’il faut retenir de ce qui s’est passé en 2013 : la santé des économies des pays en développement reste très dépendante de la politique qui est menée dans les économies les plus industrialisées (en particulier aux États-Unis, en Europe et au Japon). Une augmentation des taux d’intérêts aux États-Unis peut entraîner un reflux important des capitaux volatils qui se sont déplacés vers les pays en développement à la recherche de rendements élevés.

Il faut y ajouter le phénomène suivant : « environ 10 % des titres de dette arrivant à échéance à partir de 2020 sont remboursables par anticipation, et une proportion inconnue du total est assortie de clauses contractuelles [dénommées clauses d’accélération] autorisant les investisseurs à exiger un remboursement accéléré si la situation financière de l’emprunteur se dégrade. » (BRI, op.cit., p. 84). Cela signifie que des sociétés financières qui ont acheté des titres de la dette dont l’échéance paraît relativement lointaine (2020 ou au-delà) peuvent en cas de difficulté d’un pays exiger un remboursement anticipé et complet. De toute évidence, cela ne peut que provoquer l’aggravation de la situation d’un pays endetté : il verra tous les robinets se fermer en même temps. Selon le CADTM, c’est un argument supplémentaire pour que les populations des pays en développement prennent conscience des graves dangers que fait peser sur leur pays l’endettement public. Il faut remettre en cause le paiement de la partie illégitime des dettes.

Parmi les facteurs supplémentaires qui peuvent provoquer une nouvelle crise aiguë de la dette des pays en développement : la baisse des revenus des exportations de matières premières due à la réduction des importations massives que réalise la Chine, grande consommatrice de biens primaires qu’elle transforme en produits manufacturés. Une chute du prix des matières premières peut être fatale à la santé économique des pays en développement qui dépendent principalement de leurs exportations de matières premières. De ce point de vue, une augmentation des taux d’intérêt appliquée par la Fed peut également provoquer une chute du prix des matières premières car cela réduira la spéculation qui contribue aux prix élevés.

Si la conjoncture combine une hausse des taux d’intérêts et une baisse des prix des matières premières, on pourrait se retrouver dans une situation qui ne sera pas sans rappeler ce qui s’est passé au début des années 1980 quand a éclaté la crise de la dette des pays en développement.

18. La dette publique est devenue la cible des stratégies spéculatives de « créanciers procéduriers », connus sous le nom de « fonds vautours » |37|.

Fonds d’investissement privés, pour la plupart implantés dans les paradis fiscaux, ceux-ci se spécialisent dans le rachat de titres de dette d’États en défaut ou proches du défaut de paiement. Ils portent ensuite ces États devant les tribunaux anglo-saxons, les obligeant à rembourser leurs créances à leur valeur nominale, augmentée des intérêts, des pénalité de retard et des frais de justice. Contrairement aux créanciers classiques, ils refusent de participer à toute négociation et opération de restructuration, privilégiant l’arrangement judiciaire et, en cas de non-paiement, la saisie d’avoirs du débiteur (propriétés diplomatiques, recettes d’exportations et divers avoirs placés à l’étranger). Depuis les années 2000, plus d’une vingtaine d’États parmi les plus endettés de la planète ont fait les frais de ces stratégies, en Amérique du Sud (Argentine, Nicaragua, Honduras, Pérou), et en Afrique (Sierra Leone, République du Congo, Ouganda), au cours de grandes batailles juridico-financières toujours en cours aujourd’hui. Depuis 2007, le phénomène se développe à l’encontre de pays d’Europe du Sud (Grèce, Espagne, Portugal). Les stratégies vautours risquent de prospérer à l’avenir au Sud comme au Nord : les dettes nouvellement émises continuent à être placées sous le droit américain ou britannique, favorable aux créanciers, certains pays s’endettent à nouveau sur les marchés internationaux de capitaux et privilégient l’endettement auprès de la Chine, favorisant les futures opérations de rachat de dette sur les marchés secondaires.

L’Argentine a ainsi été sous le feu des projecteurs de l’actualité en cette année 2014, lorsque la Cour suprême des États-Unis a rejeté le recours de l’État argentin pour donner raison aux fonds vautours, la condamnant à payer 1,33 milliards de dollars aux fonds vautours NML et Aurelius. Le pays vient par ailleurs d’adopter une loi le 10 septembre 2014 en vue de se doper d’un mécanisme de défense contre les fonds vautours. Le CADTM rappelle toutefois que la meilleure défense contre ces derniers consiste à refuser la compétence de tribunaux étrangers dans le règlement des litiges avec les créanciers et à insérer une clause dans les contrats qui stipule la compétence de la juridiction locale en la matière.

19. Des audits citoyens se sont développés dans différents pays et permettent d’identifier des dettes illégitimes, odieuses et/ou illégales

Les audits citoyens en cours dans plusieurs pays |38| ont généré des réflexions très riches et intéressantes qui permettent de clarifier ce qu’il faut considérer comme des dettes publiques qui ne doivent pas être honorées. Sans prétention d’être exhaustif et d’avoir le dernier mot, on peut avancer les définitions suivantes :

a. Dette publique illégitime : dette contractée par les pouvoirs publics sans respecter l’intérêt général ou au préjudice de l’intérêt général.

b. Dette illégale : dette contractée en violation flagrante de l’ordre juridique en vigueur.

c. Dette publique odieuse : crédits qui sont octroyés à des régimes autoritaires ou qui le sont en imposant des conditions qui violent les droits sociaux, économiques, culturels, civils ou politiques des populations concernées par le remboursement.

d. Dette publique insoutenable : dette dont le remboursement condamne la population d’un pays à un appauvrissement, à une dégradation de la santé et de l’éducation publique, à une augmentation du chômage, voire à des problèmes de sous-alimentation. Autrement dit, une dette dont le remboursement empêche les pouvoirs publics de garantir les droits humains fondamentaux.

La réalisation d’un audit de la dette publique conduit par les citoyens ou sous contrôle citoyen, combinée, dans certains cas, avec une suspension unilatérale et souveraine du remboursement de la dette publique, permettra d’aboutir à une annulation/répudiation de la partie illégitime, odieuse, insoutenable et/ou illégale de la dette publique et de réduire fortement la part restante. Il s’agit également de mettre un frein à ce type d’endettement pour le futur.

20. En guise de conclusion : l’impact du « système dette », plus que jamais d’actualité

Le « système dette » implique l’utilisation de ressources publiques pour payer les créanciers, au détriment de la satisfaction de besoins et de droits fondamentaux de la population. Aussi, la relation entre créanciers et débiteurs est terriblement déséquilibrée en faveur des premiers. Un élément commun entre la crise de la dette externe en Amérique latine qui a éclaté en 1982 et la crise de l’euro à partir de 2010 est que dans les deux cas, la première réaction a été de nier l’évidence et de ne rien faire. Ensuite, les mesures mises en place se sont réalisées en faveur des intérêts des créanciers. Pour essayer d’inverser le déficit public et de garantir ainsi le paiement de la dette, des politiques d’ajustement ou d’austérité sont appliquées, quel qu’en soit le prix à payer par les populations victimes de la crise. Les créanciers, soutenus par les élites locales, exigent le remboursement de la dette et les ajustements qui permettent d’assurer la priorité de ce paiement sur toute nécessité sociale, portant ainsi

atteinte aux droits les plus élémentaires de la population. De plus, les mesures mises en place se révèlent contre-productives car elles ne font qu’aggraver le problème. Du coup, la situation d’endettement excessif devient structurelle.

Le « système dette » aggrave les inégalités. La dette permet à une minorité privilégiée d’accaparer une série de revenus financiers qui lui permet d’augmenter son patrimoine de manière permanente. En conséquence, l’État perd des ressources nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux de la population. Les plus riches accumulent de la richesse, les inégalités s’amplifient et le pouvoir accru de quelques uns leur permet d’exercer une plus grande pression sur les pouvoirs publics dans l’élaboration des politiques. L’augmentation de la dette et la concentration de celle-ci en peu de mains engendrent une redistribution des revenus vers les membres les plus riches de la société, ce qui à son tour est à la fois cause et conséquence d’une plus forte exploitation de la main d’oeuvre et des ressources naturelles. Face à cela, le CADTM, aux côtés d’autres organisations, pose la nécessité de réaliser des audits de la dette sous contrôle citoyen, afin de clarifier son origine et de déterminer la partie qui doit être considérée comme illégitime et/ou illégale afin de l’annuler.

C’est toutefois le système dette dans son ensemble que le CADTM entend dénoncer. Ce sont en effet les mêmes mécanismes de domination et d’exploitation qui régissent dettes publiques et dettes individuelles illégitimes, asservissant respectivement les peuples en tant que sujet collectif et les individus des classes populaires (paysans endettés, familles expulsées de leur logement par les banques, femmes acculées par le système du micro-crédit au Sud, étudiants surendettés...).

Bien sûr, l’annulation de toute les dettes illégitimes doit être complémentaire à d’autres mesures : socialisation du secteur des banques et des assurances afin de le transformer en service public, réforme radicale du système de taxation en faveur de l’écrasante majorité de la population, expropriation du secteur de l’énergie et transformation en service public, réduction radicale du temps de travail combinée à des embauches ainsi qu’à l’augmentation des salaires et des allocations sociales, amélioration et extension des services publics, amélioration des systèmes de retraite par répartition, réalisation effective de l’égalité hommes-femmes, réformes politiques radicales passant par des processus constituants... Il s’agit d’inscrire ces mesures dans un vaste plan de transition sociale, écologique et politique afin de sortir du système capitaliste dévastateur. La lutte contre le « système dette » dans sa globalité, plus nécessaire que jamais, au Sud et au Nord de la planète, s’inscrit dans la lutte beaucoup plus large pour un monde libéré de toutes les formes d’oppression et d’exploitation.

Notes

|1| Par manque d’espace, certains aspects de la crise sont laissés de côté ou simplement mentionnés (la crise climatique). Ce texte n’a pas la prétention d’aborder l’ensemble de la situation internationale.

|2| Voir Éric Toussaint, Banque du Sud et nouvelle crise internationale, CADTM/Syllepse, Liège/Paris, 2008. Disponible en ligne : http://cadtm.org/Banque-du-Sud-et-n.... On peut ajouter la mobilisation massive et victorieuse du peuple argentin en décembre 2001 pour se débarrasser du gouvernement néolibéral de Fernando De la Rua.

|3| Le CADTM a participé directement à la commission présidentielle qui a conduit l’audit de la dette équatorienne. Voir Éric Toussaint, « An III de la révolution citoyenne en Équateur », 22 octobre 2009, http://cadtm.org/An-III-de-la-revol...

|4| Voir Éric Toussaint, « Les leçons de l’Équateur pour l’annulation de la dette illégitime », publié le 29 mai 2013, http://cadtm.org/Les-lecons-de-l-Eq.... Plus récemment, les autorités de l’Équateur semblent revenir à une politique traditionnelle en matière d’endettement : emprunts auprès de la Chine, premier emprunt (depuis 2005) auprès de la Banque mondiale en 2014, nouvelle émission de titres équatoriens sur les marchés financiers sous la conduite de Citibank et du Crédit suisse. C’est inquiétant.

|5| Il s’agit d’un renversement de tendance : grosso modo, les prix des matières premières ont baissé fortement à partir de 1981 et ont été maintenus à un niveau bas jusqu’à la date mentionnée de 2003-2004.

|6| Note terminologique : Dans le texte qui suit, lorsque nous utilisons les termes « pays en développement » (PED) et « pays développés », nous ne faisons que reprendre les dénominations utilisées par les institutions internationales – étant donné que la plupart des données analysées proviennent de ces mêmes institutions. Le vocabulaire pour désigner les pays auxquels la BM destinait ses prêts de développement a évolué au fil des années : au départ on a employé le terme « régions arriérées », puis on est passé à « pays sous développés » pour arriver au terme « pays en développement » dont certains sont appelés « pays émergents ». Force est néanmoins de rappeler la connotation idéologique et occidentalo-centrée de cette terminologie. En effet, celle-ci ne prend essentiellement en compte que la dimension économique du développement et sous-entend qu’il existerait un seul modèle de développement (le modèle capitaliste industriel et extractiviste occidental) et des pays « en retard » qui devraient rattraper d’autres pays « avancés » sur la même lignée. Le CADTM rejette avec force cette vision du monde. De même, lorsque nous avons recours aux termes « pays du Sud » et « pays du Nord », nous sommes conscients qu’ils renvoient à une réalité géographique erronée. Mentionnons enfin que le générique masculin est utilisé sans aucune discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.

|7| Voir Banque des règlements internationaux (BRI), 84e Rapport annuel 2014, Bâle, juin 2014, p. 73, tableau annexe V.1. « Réserves de change : variation annuelle ».

|8| Source : Élaboration du CADTM sur la base des données du Département du Trésor des États-Unis, Major Foreign holders of treasury securities, mars 2014, http://www.treasury.gov/ticdata/Pub...

|9| Voir les rendements publiés par le Trésor des États-Unis sur : http://www.treasury.gov/resource-ce... (consulté le 24 septembre 2014 )

|10| Le FMI a toutefois réussi à redevenir un acteur de premier plan en Europe occidentale avec la crise qui a touché très durement les pays les plus faibles de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal, Chypre, Slovénie, et deux Républiques baltes : Estonie et Lettonie).

|11| Source : Banque des règlements internationaux (BRI), 84e Rapport annuel 2014, op.cit.

|12| Voir la critique qu’en fait Daniel Munevar (économiste, CADTM), « BRICS Bank : Is it an alternative for development finance ? », publié le 28 juillet 2014, http://cadtm.org/BRICS-Bank-Is-it-a.... Voir également : Benito Pérez/Éric Toussaint, « La Banque du Sud est une alternative, pas celle des BRICS », interview d’Éric Toussaint, Le Courrier, 19 août 2014. Disponible sur http://cadtm.org/Eric-Toussaint-La-...

|13| Source : Banque interaméricaine de développement (BID), Latin American Macro Watch Data Tool. http://www.iadb.org. Les données pour la dette de l’Argentine correspondent à 2012 et non à 2013.

|14| C’est ce qui s’est passé entre mai et décembre 2013 pour des pays comme la Turquie, l’Indonésie, le Brésil…

|15| Dans le cas du Brésil, en 2014, les pouvoirs publics empruntent aux banques privées à du 11 % alors que le taux d’inflation est de 6,5 %, cela procure un très solide rendement aux banquiers.

|16| Voir Éric Toussaint, « Une fois encore sur les causes de la crise alimentaire », publié le 9 octobre 2008, http://cadtm.org/Une-fois-encore-su... ; Damien Millet, Éric Toussaint, « Pourquoi une faim galopante au XXIe siècle et comment l’éradiquer ? », publié le 24 avril 2009, http://cadtm.org/Pourquoi-une-faim-... ; Éric Toussaint, « Les banques spéculent sur les matières premières et les aliments », publié le 10 février 2014, http://cadtm.org/Les-banques-specul...

|17| Eric De Ruest, Renaud Duterme, La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, Bruxelles, 2014, http://cadtm.org/La-dette-cachee-de.... Voir également : Damien Millet, Éric Toussaint, La Crise, quelles crises ?, Aden/Cetim/CADTM, Bruxelles, 2009, chapitre 9.

|18| Voir Éric Toussaint, « Du Sud au Nord : crise de la dette et programmes d’ajustement », publié le 4 juin 2014, http://cadtm.org/Du-Sud-au-Nord-cri...

|19| Voir Éric Toussaint, « Bancocratie : de la République de Venise à Mario Draghi et Goldman Sachs », publié le 10 novembre 2013, http://cadtm.org/Bancocratie-de-la-...

|20| https://wcd.coe.int/com.instranet.I...

|21| OIT, Rapport mondial sur les salaires 2012-2013, Genève, décembre 2012.

|22| OIT, ibidem, Résumé analytique, pp. VI-VII.

|23| OIT, ibidem, p. VII. Le même rapport souligne également l’augmentation de l’écart entre les salaires les plus élevés et les salaires les plus bas dans chaque pays.

|24| Source : CNUCED, Rapport sur le commerce et de le développement 2013, Nations Unies, New York et Genève, 2013, p.15. Disponible sur http://unctad.org/fr/PublicationsLi...

|25| Selon la loi indienne, en principe, si le chef de famille endetté décède, la dette ne peut pas être transmise à sa famille. C’est une des raisons pour lesquelles des paysans indiens se suicident avec l’espoir que leurs dettes soient annulées, ce qui ne se vérifie pas nécessairement en pratique. Une des méthodes courantes utilisées pour se suicider : ingurgiter des pesticides. Notons également qu’au-delà de l’Inde, en Europe, et en particulier en France, les paysans sont touchés par ce fléau du suicide de manière inquiétante.

|26| Éric Toussaint, « Les banques et la nouvelle doctrine "Too Big to Jail" », publié le 9 mars 2014, http://cadtm.org/Les-banques-et-la-... ; « Les-États-Unis : Les abus des banques dans le secteur immobilier et les expulsions illégales de logement », publié le 4 avril 2014, http://cadtm.org/Etats-Unis-Les-abu...

|27| En novembre 2014, le taux d’intérêt directeur de la Réserve fédéral des États-Unis est de 0,25 %, celui de la Banque centrale européenne est de 0,05 %, de la Banque d’Angleterre est de 0,5 %. Le taux de la banque centrale japonaise est de 0 % depuis que le pays est entré en crise dans les années 1990.

|28| Pour ce qui est du cours des matières premières, le prix du baril de pétrole a fortement baissé entre mai et novembre 2014. Alors que j’écris ces lignes le 9 novembre 2014, je relève que le prix du baril de pétrole Brent s’élevait à 105 dollars US le 1er mai 2014 et qu’il a atteint son niveau le plus bas depuis 13 ans le 7 novembre 2014 en atteignant 83 dollars. Quant aux taux d’intérêts, la Réserve fédérale des États-Unis annonce depuis juin 2014 une prochaine remontée de ceux-ci. C’est à suivre de près ; pour le moment, le taux de la Fed est très bas : 0,25 %. Voir à ce propos le point 17 concernant ce qui s’est passé en 2013 avec une détérioration forte pour certaines économies dites émergentes

|29| C’est l’estimation fournie par la Banque des Règlements internationaux (BRI) : 84e Rapport annuel, op.cit., p. 10, Graphique I.1. (publié en juin 2014)

|30| Voir notamment : Banque des Règlements internationaux (BRI), Ibidem, page 17.

|31| Source des données : Banque mondiale, International Debt Statistics, http://databank.banquemondiale.org

|32| Source : Banque mondiale, op.cit. Le service de la dette représente le remboursement des intérêts et l’amortissement du capital.

|33| Jusque novembre 2014, la Fed a acheté massivement aux banques des États-Unis des produits structurés hypothécaires (Mortgage Backed Securities). Entre 2008 et début 2014, elle en a acheté pour un peu plus de 1 500 milliards de dollars US. En 2012-2013, elle a acheté chaque mois aux banques et aux agences immobilières qui garantissent les crédits hypothécaires pour 40 milliards de dollars de ces produits largement toxiques, afin de les soulager de ce fardeau. Fin 2013, elle a commencé à réduire ces achats qui s’élevaient en mars 2014 à 35 milliards de dollars par mois. En octobre 2014, la Fed détenait 1 700 milliards de dollars de MBS, soit environ 21 % du volume total de ces produits toxiques. C’est énorme. Début novembre 2014, la Fed a stoppé ce type d’achat.

|34| En octobre 2014, la Fed détenait des titres du Trésor des États-Unis pour un montant de 2 450 milliards de dollars. Attention, contrairement à une idée largement répandue, la Fed n’achète pas les bons du Trésor au Trésor directement, elle les achète via des opérations d’open market aux banques privées qui les ont acquises préalablement. Voir la législation des États-Unis en la matière : http://www.federalreserve.gov/about...

|35| La BRI décrit la situation de la manière suivante : « Le premier épisode, de nature brutale et généralisée, s’est caractérisé par de vives fluctuations des prix des actifs qui ont mis fin à une période de relative stabilité des taux d’intérêt et des cours de change. Lorsque la vague de liquidation s’est propagée des économies avancées vers les économies émergentes, ces dernières ont connu un brusque renversement des flux de portefeuille, surtout en juin 2013. Leurs actions ont baissé de 16 %, avant de se stabiliser en juillet, tandis que les rendements des obligations souveraines bondissaient de plus de 100 points de base, sous l’effet de préoccupations croissantes concernant le risque souverain. Dans un premier temps, le désengagement, indifférencié, a touché simultanément de nombreuses monnaies des économies émergentes, entraînant des dépréciations corrélées dans un contexte de forte volatilité. (…) Pendant ce premier épisode, les monnaies de l’Afrique du Sud, du Brésil, de l’Inde, de l’Indonésie et de la Turquie se sont dépréciées de plus de 10 % par rapport au dollar ; le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et la Russie ont tous perdu plus de $10 milliards de réserves pendant cet épisode. Les pays connaissant une rapide expansion du crédit, une forte inflation ou un lourd déficit des paiements courants, et considérés à ce titre comme plus vulnérables, ont vu leur monnaie se déprécier plus encore. » (BRI, op.cit., 2014, p. 30).

|36| Pour une analyse de ce qui s’est passé en 2013, voir Daniel Munevar, « Inestabilidad en los mercados emergentes : El fin de un ciclo ? », 19 mars 2014 (partie I), 6 avril 2014 (partie II), http://cadtm.org/Inestabilidad-en-l... y http://cadtm.org/Inestabilidad-en-l...

|37| L’auteur tient à remercier Louise Abellard pour sa contribution à ce paragraphe.

|38| Brésil, Espagne, Portugal, Grèce, France, Belgique…

Éric Toussaint, docteur en sciences politiques, est porte-parole du CADTM international. Il est auteur des livres Bancocratie, Aden, 2014, http://cadtm.org/Bancocratie ; Procès d’un homme exemplaire, éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010.

 

Source : cadtm.org

 

 

 

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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 17:51

 

Source : www.bastamag.net

 

 

Corruption

La mafia infiltrée dans le chantier franco-italien de la ligne Lyon-Turin

par Sophie Chapelle 13 novembre 2014

 

 

 

 

« Il faut attaquer les réseaux de la mafia au portefeuille ». Cet engagement de Manuel Valls en 2013, alors ministre de l’Intérieur, est foulé du pied comme le révèle un reportage du magazine d’investigation Vox Pop [1]. Diffusée le 10 novembre sur Arte, l’enquête pointe la manière dont la mafia s’est infiltrée dans le projet de ligne à grande vitesse qui doit relier Lyon et Turin à l’horizon 2030 (Lire nos précédents articles sur le sujet). C’est en passant notamment par des contrats de sous-traitance « souvent moins surveillés », que quatre sociétés liées à la criminalité organisée se sont immiscées sur ce chantier chiffré à 26 milliards d’euros. « Toutes les procédures qui doivent garantir la sécurité des citoyens, la santé des citoyens ainsi que la transparence des marchés publics et des appels d’offre sont perpétuellement violés et piétinés », dénonce Lucia Giunti, du mouvement No TAV.

Une information confirmée par le Canard Enchaîné paru le 12 novembre. Le journal satirique pointe notamment la société Italcoge Spa en contact avec la Ndrangheta, une organisation mafieuse originaire de la région de Calabre, au Sud de l’Italie. Cette société a été missionnée par Lyon Turin Ferroviaire (LTF), l’entreprise maitre d’ouvrage, pour fournir et poser des portes grillagées métalliques anti-intrusion. Mais selon des photos que s’est procurées le Canard, « les portes à peine posées sont déjà rouillées »... Le magazine Politis s’était dès décembre 2012, interrogé sur la présence d’entreprises sous-traitances « douteuses », et plus largement sur la gestion du grand projet Lyon Turin [2]. « Comment se fait-il que pour la galerie de Venaus en Italie l’on passe de 4,3 millions d’euros à 6,5 millions de coûts directs entre 2005 et 2006 alors que le chantier est abandonné en 2005 ? », questionne le journaliste Thierry Brun, après l’examen des rapport financiers de Lyon Turin Ferroviaire.

Les dirigeants de LTF pouvaient-ils ignorer la situation de ces entreprises italiennes, lesquelles ont perçu des fonds publics ? La société Lyon Turin Ferroviaire se défend en invoquant la signature d’un protocole daté du 11 septembre 2012, visant à prévenir des infiltrations criminelles dans les marchés des travaux publics entre les pouvoirs publics italiens et les organisations syndicales du BTP. L’association des Amis de la Terre, peu convaincue par l’argument de LTF, a décidé de nominer la société aux Prix Pinocchio dans la catégorie « Mains sales, poches pleines ». Les votes sont ouverts jusqu’au 17 novembre. Le grand projet Lyon - Turin est considéré comme un « grand projet inutile ».

@Sophie_Chapelle
.

 

Notes

[1Voir ici

[2Voir ici


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Source : www.bastamag.net

 

 

 

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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 17:41

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

Les comptes suisses de trois parlementaires UMP

|  Par Mathilde Mathieu

 

 

 

La Haute Autorité pour la transparence a saisi la justice des cas de trois parlementaires qui ont dissimulé des avoirs en Suisse et ont rempli de fausses déclarations de patrimoine. 

– • Le député Lucien Degauchy (UMP) a rapatrié son compte en 2014 après trois décennies à Genève. « J'ai essayé d'être d'une honnêteté sans pareille », nous répond-il. 

– • Le sénateur Bruno Sido (UMP) a hérité d'un compte ouvert par son père dans les années 1990, dont il a entamé la régularisation en 2013 seulement. « Il fallait que j'en discute avec mes frères et sœurs », dit-il.

– • Le député Bernard Brochand (UMP) aurait détenu un compte à l'UBS.

Jérôme Cahuzac n'est pas un cas isolé. Plusieurs parlementaires français ont détenu un compte en Suisse non déclaré pendant des années, voire des décennies, sans que les autorités ne se soient donné les moyens de les débusquer jusqu'ici. Les cas des députés Bernard Brochand (UMP) et Lucien Degauchy (UMP), ainsi que du sénateur Bruno Sido (UMP), ont été signalés à la justice par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), l'instance chargée depuis cette année d'éplucher les déclarations de patrimoine des élus, qui l'a fait savoir jeudi 13 novembre dans un communiqué.

Présidée par Jean-Louis Nadal, cette autorité indépendante qui collabore étroitement avec l'administration fiscale a saisi le parquet de Paris, non pas de soupçons de « fraude fiscale » (seul Bercy pouvant porter plainte en la matière), mais pour signaler le fait que ces trois parlementaires ont probablement menti dans leurs déclarations de patrimoine, en omettant de mentionner leurs avoirs détenus outre-Léman. Dans un communiqué publié jeudi soir, elle évoque « un doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations ».

Or, depuis les lois sur la transparence de 2013, toute « omission » peut valoir aux délinquants en col blanc et cravate jusqu'à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende, possiblement alourdis d'une interdiction des droits civiques et d'exercer une fonction publique.

Sachant que des avoirs ont été dissimulés au fisc pendant des années, rien n'empêchera évidemment le parquet, une fois saisi, d'élargir ses investigations à des soupçons de « blanchiment de fraude fiscale », s'il le juge nécessaire. Saisi le 7 novembre des cas de Bruno Sido et Lucien Degauchy, il a d'ores et déjà ouvert des enquêtes préliminaires, confiées à l'Office anti-corruption de Nanterre.

En septembre, arguant d'une nécessaire exemplarité des élus, nombre de parlementaires UMP avaient appelé Thomas Thévenoud à renoncer à son siège de député, lui qui ne déclarait pas correctement ses impôts. Alors qu'il s'agit cette fois d'évasion fiscale, combien vont remettre en cause les mandats de messieurs Brochand, Degauchy et Sido ? Certains vont sans doute se dépêcher d'attendre.

Car la HAT devrait tirer d’autres salves. Alors qu'elle n'a pas tout à fait terminé de contrôler les déclarations de patrimoine des parlementaires (bientôt consultables en préfecture), des saisines pourraient suivre pour des cas d’évaluations immobilières outrageusement minorées – le signalement relatif à Lucien Degauchy s'appuie aussi sur une "sous-déclaration" de ses biens immobiliers estimée à 50 % environ par la HAT. À ce stade, elle se refuse à tout commentaire.

En attendant, la Haute Autorité a sélectionné trois premiers dossiers peu "risqués", difficilement récusables, comme pour se faire les dents.

  • Bruno Sido (UMP), sénateur et président du conseil général de Haute-Marne :

Cet agriculteur de métier a longtemps été l'ayant droit d'un compte suisse ouvert par son père au milieu des années 1990 à la banque cantonale vaudoise, comme il l'a reconnu auprès de Mediapart. « C'est un héritage, je n'ai jamais alimenté moi-même ce compte dormant », déclare Bruno Sido, en précisant qu'il contenait environ 150 000 euros.

 

Le sénateur Bruno Sido (UMP) 
Le sénateur Bruno Sido (UMP) © DR

L'élu affirme avoir lancé une procédure de régularisation en juillet 2013, qui aurait débouché sur un rapatriement effectif des fonds en France « à la fin 2013 ». « De mémoire, j'ai payé 26 000 ou 28 000 euros de pénalités », assure-t-il. Pourquoi donc avoir attendu si longtemps ? « J'ai d'abord considéré que je l'avais en nue-propriété, jusqu'à la mort de mon père en 2002. Puis il fallait que j'en discute avec mes frères et sœurs... »

Quand il a rempli sa déclaration de patrimoine pour la HAT début 2014, Bruno Sido a certes mentionné cette procédure et les montants concernés. Mais pendant toutes les années antérieures, il a remis de fausses déclarations à l'ancêtre de la Haute autorité, ne pipant mot de ses avoirs dissimulés en Suisse. En particulier en 2011, après sa réélection au Sénat.

C'est cette « omission » qui fait aujourd'hui l'objet d'un signalement au parquet. « Il ne s'agit pas d'argent public, insiste Bruno Sido. Et ça ne concerne en rien mes mandats locaux. »

Par le passé, ce baron local, sénateur discret dans l'hémicycle mais poids lourd à la tête du groupe des présidents de conseils généraux de droite et du centre, mobilisé contre la suppression des départements, a déjà été épinglé par France Soir pour son train de vie.

En 2011, le quotidien passait tout en revue : son surnom de « roi Sido » ; le contrat d'assistante parlementaire de son épouse, qui cogère par ailleurs sa société agricole (il est toujours en cours) ; les subventions européennes de la PAC empochées par son exploitation (« 133 700 euros en 2009 pour 400 hectares de céréales ») ; son choix de résider dans « un hôtel particulier de deux étages appartenant au conseil général », avec « personnels de maison » requis pour l'occasion, « potager et serre personnels » entretenus par les jardiniers de la collectivité, etc. « Il n'y a eu aucune remarque de la chambre régionale des comptes », avait alors répliqué Bruno Sido. En 2013, sa collègue socialiste Laurence Rossignol lui a par ailleurs décerné « la palme du misogyne » du Sénat.

  • Bernard Brochand (UMP), député des Alpes-Maritimes :

L'ancien maire de Cannes, que nous n'avons pas réussi à joindre à ce stade, est soupçonné d'avoir dissimulé d'importants avoirs en Suisse à la banque UBS. Le parquet de Paris évoque un montant dépassant possiblement le million d'euros. Jeudi soir, le député a cependant affirmé, par communiqué, que « les dépôts d’argent, gagnés légalement par mon travail, effectués sur ce compte dans les années 70 ont été soumis à l’impôt français. Ma situation est donc claire, légale et honnête. Que la Haute Autorité fasse son travail est normal, en revanche, que je sois jeté en pâture et victime d’amalgame avec des fraudeurs est honteux, je ne l’accepte pas. Je demande donc que les vraies informations soient communiquées. »

 

Bernard Brochand 
Bernard Brochand © Reuters

Dans un autre dossier, un juge cannois a déjà demandé en avril la levée de son immunité, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte notamment sur des soupçons de « corruption passive et active », pour l’entendre sous le régime de la garde à vue. Une levée refusée. Plusieurs personnes de l’entourage de Bernard Brochand, qui ne s’est pas représenté aux dernières municipales, ont été mises en examen.

En pleine affaire Cahuzac, l'élu avait publié une tribune sur son site internet, pour s'élever contre la publication du patrimoine des parlementaires (ils sont uniquement consultables) : « Cela ne ferait que dresser les Français les uns contre les autres en rappelant des heures sombres de notre histoire. »

  •  Lucien Degauchy (UMP), député de l'Oise :

Comme il l'a déjà admis dans Le Monde du 23 octobre, Lucien Degauchy, ancien horticulteur de 77 ans, cinq mandats de député au compteur, a été l'ayant droit d'un compte en Suisse ouvert par ses parents pendant trois décennies, jusqu'au lancement d'une procédure de régularisation à l'été 2013. Mais le député UMP de l'Oise, voisin de circonscription d'Éric Woerth, a quelque peu enjolivé l'histoire narrée au quotidien du soir.

D'après nos informations, l'argent stocké sur son compte avant le rapatriement s'approcherait en fait des 200 000 euros. « C'est faux », nous rétorque Lucien Degauchy, qui ne s'accroche certes plus à la somme de « 100 000 euros » indiquée au Monde, mais parle désormais de « 138 000 ou 148 000 euros ».

« C'est le compte que mes parents commerçants ont racheté à un ami banquier à l'arrivée de François Mitterrand (ndlr, en 1981), insiste le député, aujourd'hui assujetti à l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune). Parce qu'ils pensaient qu'ils étaient fichus en France. » En réalité, l'opération daterait de quelques années plus tard.

À l'en croire, s'il n'a pas signalé d'avoirs en Suisse dans sa déclaration de janvier à la HAT, « c'est que le compte était clôturé, que j'attendais les fonds », souffle Lucien Degauchy. D'après nos informations, la procédure de rapatriement n'aurait pourtant abouti qu'à l'été 2014… De toute façon, ce n'est pas d'une fausse déclaration de patrimoine qu'il s'agit, mais d'une multitude : depuis sa première élection comme conseiller général en 1985, jamais ses avoirs en Suisse n'ont été mentionnés.

« Je ne me sentais pas propriétaire de ce compte, sur lequel je n'ai jamais déposé un centime, se justifie-t-il aujourd'hui. Ce sont mes parents qui l'ont alimenté, en me faisant promettre que l'argent irait à leurs petits-enfants. À la mort de mon père, il y a une quinzaine d'années, c'est devenu un compte dormant. Pour moi c'était un fardeau, une épée de Damoclès. Je n'y étais pour rien, bon Dieu ! »

Pourquoi a-t-il décidé de régulariser en 2013 seulement ? « Cette année-là, les serres de mon fils horticulteur ont été ravagées par la grêle et ma fille a divorcé. J'ai vu l'occasion de respecter les dernières volontés de mes parents en dépannant mes enfants, tout en profitant de la circulaire Cazeneuve (des pénalités atténuées pour les évadés fiscaux se présentant spontanément à l'administration, ndlr). J'ai tout fait le plus légalement possible, j'ai donné pouvoir au cabinet spécialisé Francis Lefebvre, j'ai payé les pénalités ! Pourquoi devrait-on me traiter comme un bandit ? Si j'avais fait comme tout le monde, si j'avais payé un scooter en Suisse pour rapatrier l'argent comme tout le monde, vous auriez dit quoi ? Toute ma vie, j'ai essayé d'être d'une honnêteté sans pareille ! »


Lucien Degauchy 
Lucien Degauchy © Site du député

Après des décennies sans bouger le petit doigt, l'argumentaire convainc difficilement. Lucien Degauchy a eu moult occasions de se mettre en règle plus vite avec le fisc, en particulier en 2011. Comme le député le détaille lui-même, sa banque l'a prié à l'époque de transférer son argent dans un autre établissement, jugeant trop risqué de conserver un parlementaire français dans ses listings (une « personnalité exposée politiquement » dans le jargon des banquiers suisses). « Ils avaient des fuites ou je ne sais pas quoi, nous confie Lucien Degauchy. Ils ne pouvaient pas me garder, j'ai dû virer l'argent dans une autre banque à eux. » À l'entendre, il serait presque victime dans cet épisode : « Ça n'est pas vraiment moi qui ai changé de banque, ça s'est fait d'autorité. »

De 2007 à 2010, alors que son collègue et voisin Éric Woerth était ministre du budget, bien placé pour lui expliquer comment procéder discrètement, le député n'avait pas davantage régularisé sa situation. « J'y ai bien pensé, rétorque Lucien Degauchy. Mais je ne voulais pas, vis-à-vis de lui. Je ne voulais pas qu'on dise que je profitais d'Éric Woerth pour rapatrier. »

En mars 2013, en tout cas, le parlementaire a jugé opportun en pleine affaire Cahuzac de signer une proposition de loi pour « la mise en place d'un dispositif d'amnistie fiscale » à l'intention des évadés fiscaux français. « À l’heure où le gouvernement français cherche de nouvelles recettes fiscales, il est urgent d’imaginer des mesures fortes afin de rapatrier les capitaux indispensables à la relance de notre économie », pouvait-on lire dans ce texte, qui proposait d'instaurer une « taxe forfaitaire » de 5 % seulement sur les avoirs ainsi rapatriés ! « Selon certaines estimations, le montant des seuls avoirs français placés en Suisse atteindrait près de 45 milliards d’euros », insistait à juste titre la proposition de loi.

« Je ne me souviens plus, relativise aujourd'hui Lucien Degauchy. J'en signe vingt par jour des propositions de loi que mon groupe politique me demande de signer. Quand il n'y a pas de contre-indication, je signe ! » En l'espèce, il n'en a pas vu.

Il faut dire que le député a une drôle de conception du travail parlementaire, qui se reflète dans ses interventions en séance publique : huit entre 2007 et 2012, quatre depuis. Et encore, sur son dernier mandat, ne s'agit-il que de participations aux questions au gouvernement télévisées. En commission, où se joue l'essentiel, Lucien Degauchy n'a pas dit un mot depuis 2012.

Sa dernière question remonte au 26 juin 2014 et concernait « les orages de grêle » inhabituels qui se sont abattus sur l'Oise, avec « des hectares de serres et de vérandas pulvérisés », dont celles de son fils. Ce jour-là, Lucien Degauchy s'est attiré les railleries de ses collègues en pointant l'éventuelle responsabilité « d'expériences anti-(orage) menées notamment à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ». Balayant cette « rumeur » sans fondement, le secrétaire d'Etat aux transports ne s'est pas privé, en réponse, de dévoiler que Lucien Degauchy lui avait « fait parvenir une revue de presse tout à fait éloquente sur les différents villages touchés ainsi que sur l'état des serres massacrées par la tempête », « notamment des serres Degauchy ». On n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Hollande : « Je ne veux pas (...) un responsable public qui ne soit pas en ordre »

Ces signalements de la HAT interviennent alors que son président, Jean-Louis Nadal, vient d'être chargé par François Hollande de rédiger « un état des lieux de la législation française » en matière d’exemplarité de la vie publique, assorti de « recommandations » sur « les moyens dont dispose la HAT ». En clair, le chef de l’Etat semble partant pour confier plus de pouvoirs à la Haute autorité.

« Si elle pouvait signaler quelques empêchements ou difficultés pour accéder à l’information (...), alors je prendrai en compte les observations ou les propositions du président de cette haute autorité, a déjà indiqué François Hollande, lors de sa conférence presse de rentrée. Parce que je veux aller jusqu’au bout. Je ne veux pas que l’on puisse penser, au terme de mon quinquennat, qu’il y a un parlementaire, un ministre, un responsable public qui ne soit pas en ordre. »

Comme Mediapart l’a récemment expliqué, la HAT fait aujourd'hui l’objet d’une contre-offensive. Certains de ses détracteurs ont saisi l'occasion de récentes fuites dans la presse sur des parlementaires, en particulier nos révélations sur le probable redressement fiscal du député Gilles Carrez, pour tenter de la déstabiliser, elle qui commence sérieusement à gêner – y compris quelques hauts fonctionnaires de Bercy soucieux de conserver la main sur leurs données fiscales et leur usage, au nom d’une expertise incomparable. Là voilà qui prouve définitivement son utilité.

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

 

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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 17:33

 

 

Source : www.bastamag.net

 

SNCF

Accident de Brétigny : comment l’exigence de rentabilité a eu raison de la sécurité ferroviaire

par Ivan du Roy 13 novembre 2014

 

 

 

 

Une nouvelle expertise, demandée par les représentants du personnel de la SNCF suite au déraillement de Brétigny en 2013, pointe de graves défaillances dans la sécurité ferroviaire. En cause : un réseau que l’Etat a laissé se dégrader, des cheminots débordés par l’urgence et la multiplication des réparations à réaliser, des pénuries d’effectifs, des alertes et des surveillances de moins en moins prises en compte... Autant d’éléments, hérités de l’ouverture à la concurrence du trafic ferroviaire, qui mettent en péril la sécurité des cheminots et des usagers.

Basta ! a pu se procurer en intégralité le nouveau rapport d’expertise portant sur l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, présenté à la direction de la SNCF ce 12 novembre. Et ce qu’on y trouve est plutôt surprenant, voire même alarmant. L’expertise de 272 pages a été réalisée par le cabinet Apteis à la demande de salariés et de représentants du personnel de la SNCF [1]. Ce n’est donc pas un rapport technique, comme il y en a déjà eu, mais une analyse du travail, de son organisation et de ses contraintes, qui détaille la manière dont interviennent les cheminots pour assurer l’entretien des voies.

Premier fait marquant : l’expertise, réalisée en 2014, constate que les délais pour réparer des anomalies sur les voies ferrées se sont... allongés depuis l’accident de Brétigny ! Pour un défaut sur les voies devant être réparé en urgence, le délai d’intervention est passé de « immédiat » à dix jours maximum. Pour des anomalies « affectant à court terme la sécurité ou ayant un fort impact sur la régularité des circulations », le délai de « remise en conformité » est passé d’un mois à trois mois. Comme si le grave accident de Brétigny le 12 juillet 2013, qui a coûté la vie à sept personnes, n’avait eu aucune incidence. « Dans le contexte actuel (accident, installations vieillissantes), il est surprenant de voir que ces délais ont été significativement allongés », pointe l’expertise. La direction de la SNCF n’a pas été en mesure d’expliquer ce changement de prescriptions.

 

Comment surveille-t-on l’état des voies ferrées ?

Comment les voies ferrées sont-elle contrôlées par la SNCF et Réseau ferré de France ? Comment un éventuel problème est-il détecté ? Il y a d’abord les tournées à pied : les rondes régulières qu’effectuent des cheminots spécialisés dans l’entretien de voies. Environ 11 500 agents ont ainsi pour mission de surveiller, et réparer le cas échéant, 51 200 km de rails. Un réseau ferré dont la moitié des lignes supporte un trafic chargé, et considéré comme très vieillissant. En 2005, un audit commandé par la SNCF et réalisé par l’École polytechnique fédérale de Lausanne constatait « les prémices d’une dégénérescence » du réseau. « La fiabilité des composants du système ferroviaire décroît lentement mais sûrement. La poursuite de cette situation ne peut qu’augmenter la fragilité du réseau ferré et menacer la pérennité du réseau classique », concluait l’audit. Un jugement sévère qui, sur le terrain, n’a surpris personne : « Ce que dit [l’audit], tout le monde le savait ; mais au plus haut niveau, on n’en tenait pas compte », confie un cheminot.

C’est dans ce contexte que le contrôle et la maintenance des voies s’exercent. Autant la surveillance d’une voie unique sur plusieurs kilomètres est chose plutôt aisée. Autant suivre l’évolution des matériels là où les rails, les aiguillages, les intersections, les passages à niveau, les ponts et le trafic des trains se multiplient, mérite beaucoup plus d’attention. C’est le cas aux abords des grandes agglomérations, en Île-de-France en particulier, où 6 200 trains circulent quotidiennement. « La surveillance à pied joue un rôle crucial dans le dispositif de prévention des défauts ou des anomalies de la voie », explique l’expertise. Les agents signalent les éventuelles anomalies et usures des matériaux et, avec leur hiérarchie, évaluent l’urgence des travaux à réaliser. Une voie où circulent de nombreux trains fait ainsi l’objet d’une ronde de surveillance au moins tous les mois, voire tous les 15 jours.

Brétigny : 1 500 boulons à contrôler

Le cheminot a une foule de choses à vérifier : d’éventuelles ruptures de rail ou d’éclisses (comme c’était le cas à Brétigny), la menace d’éboulements sur la voie, l’état des canalisations en cas d’intempéries, la tenue des joints et des boulons, la réaction des rails au passage d’un train, l’état des caténaires et des signalisations, les passages à niveau... Bref, plus de 26 critères et éléments doivent être contrôlés et scrupuleusement notés en cas d’anomalie ! Dans le cas de Brétigny, rien que sur le double aiguillage où l’accident s’est produit, on compte pas moins de 76 boulons et 222 attaches à inspecter. Et comme cinq aiguillages de ce type sont présents sur cette zone, l’agent « a près de 1500 boulons et attaches à contrôler, en plus des tire-fonds, traverses, rails, et autres composants qui constituent sa tournée ».

Mais encore faut-il que les anomalies relevées soient prises en compte. Dans le cas de Brétigny, le dépouillement des compte-rendus des tournées d’inspection révèle que, sur le double aiguillage – techniquement appelé « traversée jonction double » (TJD) – en cause dans l’accident, les problèmes sont récurrents. Et ce, depuis 2001. Cet appareillage, posé en 1991, comporte une durée de vie théorique de 25 ans. Il devait donc être remplacé en 2016. Mais « il n’y a aucune règle écrite nulle part en la matière : certains appareils tiennent 50 ans sans problème ; d’autres deviennent intenables au bout de 10 ans. Tout dépend ce qu’on fait rouler dessus et surtout à quelle vitesse on roule dessus », précise un cheminot. A Brétigny, les trains sont nombreux. Certains, comme le corail qui a déraillé, circulent à plus de 100 km/h.

Des effectifs en baisse de 20%

La dernière tournée d’inspection a été réalisée huit jours avant l’accident, le 4 juillet 2013, alors qu’au moins un boulon de la fameuse éclisse était déjà manquant. Mais, faute d’effectifs disponibles, la tournée n’a été réalisée que par un seul agent. Pour des raisons de sécurité, en l’absence d’un collègue qui signale l’arrivée des trains, un agent seul ne peut s’engager sur les voies, surtout quand elles sont multiples et que la circulation y est intense. L’éclisse et les boulons défaillants de l’aiguillage étant invisibles du bord des voies – il faut être à la verticale du rail, donc au milieu de cinq voies pour les apercevoir –, il était alors impossible de constater les défauts qui ont provoqué l’accident. « On ne peut pas faire une tournée correctement si on assure sa propre sécurité. Il y a forcément un moment où on va rater quelque chose », témoigne un cheminot.

Pour surveiller un réseau ferré très sollicité, et dégradé, encore faut-il que les effectifs suivent. C’est le deuxième enseignement de l’expertise : en dix ans, les effectifs dédiés à la surveillance des voies ont baissé de 20%. 4 400 agents de moins alors alors que le réseau continue de vieillir, nécessitant de plus en plus de contrôles et de réparations. Un réseau qui, de plus, s’est agrandi avec un millier de kilomètres supplémentaires de lignes à grande vitesse. Chaque « brigade » chargée des tournées à pied a perdu un agent sur cinq. Peu à peu, les personnels se sont adaptés à cette pénurie. « Il y a plein de choses qu’on faisait avant et qui n’étaient écrites nulle part, mais qu’on faisait quand même, à commencer par de la surveillance, on faisait des petites rondes en plus ici ou là... Et au fur et à mesure tout ça a disparu ; on ne fait plus que de l’urgence », entend-on à la SNCF.

Un « recul inexorable des compétences »

Dans l’Essonne, ces baisses d’effectifs sont encore plus frappantes. En 1985, environ 150 agents contrôlaient le secteur Brétigny – Dourdan – Étampes. Trente ans plus tard ils ne sont plus que 44. Les gains de productivité et les améliorations technologiques réalisés pendant cette période n’expliquent pas une réduction d’effectifs d’une telle ampleur, alors que le trafic s’accroît et que la charge de travail augmente. A Brétigny, rien que sur la dernière décennie, les effectifs de la « brigade » ont été divisés par deux, passant de 16 salariés à 8. La direction a bien été interpellée par les délégués du personnel. La réponse est laconique : « L’effectif actuel de l’établissement correspond à la charge de travail de l’établissement. » Et de toute manière, il y a les intérimaires et les sous-traitants. « Je ne conteste pas les baisses d’effectifs, mais elles sont exagérées dans le rapport », a de son côté réagi le directeur général de SNCF Infra (qui gère désormais les infrastructures), Claude Solard, suite à la présentation de l’expertise ce 12 novembre. « Ce sont pourtant les chiffres qu’ils nous ont eux-mêmes donnés », s’étonne Nicolas Spire, l’un des auteurs de l’étude.

Un « recul inexorable des compétences » accompagne aussi ces baisses d’effectifs. Des recrutements ont bien eu lieu en Île-de-France. A cause de l’intensité du trafic, les travaux de maintenance y sont beaucoup plus abondants. Mais à cause du coût de la vie, les agents qui acquièrent de l’ancienneté sont plus nombreux à demander leur mutation en province. Les « brigades » franciliennes, « se retrouvent par conséquent avec des agents plus jeunes ou moins expérimentés ». Embaucher des jeunes, c’est bien. Encore faut-il les former et leur transmettre la connaissance des installations. « Les jeunes agents manquent de formation sur le terrain ; il faut qu’on puisse prendre du temps pour leur montrer des choses, mais il faut des disponibilités pour ça et que je puisse libérer mes agents », explique ainsi un cadre. Une tâche d’autant difficile que la banalisation des interventions d’urgence, pour pallier les défaillances d’un réseau vieillissant, nuit à cette transmission des savoirs ferroviaires.

« On ne répare rien, on bricole »

Il n’y a pas que les humains qui surveillent la voie. C’est également la mission d’un train très spécial : la voiture « Mauzin ». En circulant sur les voies, elle mesure la géométrie des rails, leur écartement ou leurs variations. Et ce, dans les conditions réelles du passage d’un train et de sa vitesse. Ce système de contrôle fait autorité chez les cheminots. Surtout sur un réseau qui se dégrade : tous les problèmes et les anomalies géométriques sont enregistrés. « Quand le Mauzin passe, le train trépasse… On sait qu’après le passage du Mauzin, il y aura des limitations de vitesse ou un arrêt des circulations. C’est systématique », prévient un cheminot. Les cheminots se rendent sur place, corrigent le défaut, le signalent une nouvelle fois puis attendent une réaction de leur hiérarchie.

La voiture Mauzin est-elle un outil infaillible ? Pas dans la situation actuelle du réseau ferré français et du manque de moyens des équipes de maintenance. Car vu la multitude des anomalies signalées par cette surveillance mécanisée, les cheminots se concentrent sur les problèmes les plus graves, affectant directement la sécurité. Et délaissent les anomalies plus légères, qui poseront cependant des problèmes plus graves les mois suivants. « Quand le Mauzin passe, c’est la panique. Mais ça ne fait pas du bon travail. On intervient en urgence, (...) et on fait semblant de croire que ça va tenir, mais on n’est pas dupe : on ne répare rien, on bricole, on sait que ça va revenir », illustre un agent. A Brétigny, le Mauzin est passé le 23 mai 2013, un peu moins de deux mois avant l’accident. Pour le Bureau d’enquêtes sur les accidents du transport terrestre, qui a réalisé un rapport sur l’accident, les enregistrements du Mauzin ne relevaient pas d’anomalies criantes au passage du double aiguillage.

Des alertes qui n’ont pas été entendues

L’analyse de cette nouvelle expertise est bien différente : un défaut de géométrie sur les rails de l’aiguillage a bien été enregistré. Un défaut qui s’accroît même entre novembre 2012 et mai 2013. Mais il n’a pas été considéré comme assez grave pour nécessiter une intervention des cheminots. Sur une voie voisine, un défaut un peu plus important (de 5 mm...) avait obtenu la priorité, plusieurs rails et traverses ayant dû être changés. L’urgence s’est banalisée. « Les retards de maintenance autant que la prégnance et les volumes des interventions d’urgence empêchent les équipes de secteur de faire du Mauzin et de ses résultats un véritable instrument éclairant les choix et les orientations de maintenance au quotidien », estime l’étude. A quoi cela sert-il de disposer de système d’alerte efficace si les alertes ne sont plus écoutées ? Si les écarts entre la réalité et les normes de sûreté sont tolérés, pour des raisons de coûts et d’économies budgétaires ? « Ce qu’on fait aujourd’hui, c’est même plus du bricolage, c’est du rafistolage (…), juste pour que ça tienne jusqu’au renouvellement. Voir le réseau se dégrader comme ça, ça fait mal au cœur », déplore un cheminot.

Les alertes des conducteurs eux-mêmes ne sont plus entendues. Ils doivent signaler quand ils sentent que le train « tape », à cause d’un choc anormal lié à une avarie ou un défaut des voies. « Au Poste F [là où a eu lieu l’accident], ça tape tout le temps. Au début ça surprend et après on s’habitue. On est résignés », confie un conducteur. Pourquoi cette indifférence ? En cas de choc anormal, le conducteur est censé arrêter son train, émettre une alerte radio, descendre pour disposer des drapeaux rouges qui signalent l’arrêt, éviter que des voyageurs ne descendent et rechercher l’origine de l’anomalie. Tout cela « prend une heure » et entraîne non seulement le retard du train mais la perturbation de toute la ligne. Énervement des usagers, nécessité de les indemniser, mauvaise image de la SNCF, augmentation des taux de retard... autant de conséquences lourdes à gérer. Et pour le conducteur le risque d’une récrimination de sa hiérarchie. « Alors, pour éviter se voir reprocher après-coup un excès de zèle, " d’en avoir trop fait ", alors que pèse sur leurs épaules la responsabilité des voyageurs qu’ils transportent, des [agents de conduite] – conscients des enjeux en termes de sécurité – préfèrent contourner la procédure en modérant d’eux-mêmes leur vitesse à l’approche de certaines zones », pointe l’expertise. « La zone de Brétigny, on la connaît. On a déjà soulevé le problème. Il y a certains mécanos qui limitent leur vitesse à 100km/h », témoigne l’un d’eux.

« Gains de productivité » et austérité budgétaire

La cause de cette situation ? L’imbroglio organisationnel issu de la séparation de la SNCF, en tant qu’entreprise ferroviaire utilisatrice du réseau, d’un côté, et Réseau ferré de France (RFF), en tant que propriétaire du réseau de l’autre. Une séparation réalisée en 1997 qui répond aux exigences de l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire. Et au choix du gouvernement de l’époque, dont le Premier ministre est Alain Juppé, de transférer la dette de la SNCF, équivalente à 20 milliards d’euros, à RFF nouvellement créé qui déléguera à la SNCF l’entretien du réseau...

« En refusant de compenser ou de reprendre à son compte une dette pourtant issue d’investissements relevant de l’intérêt général, l’État plaçait de fait, et pour longtemps, l’ensemble du système ferroviaire français dans une situation économiquement fragile », rappelle l’expertise. Plombé par sa dette, RFF ne raisonne alors qu’en terme de « gains de productivité » et « sobriété des politiques d’entretien », laissant vieillir le réseau tout en accordant moins de moyens à sa maintenance. Dans cette situation d’austérité budgétaire, la parole des cheminots ne faisait pas le poids. Sera-t-elle, désormais, davantage entendue ? Elle ne l’a en tout cas pas été lors de la grève de juin dernier, quand ils pointaient le besoin d’une véritable refonte du service public ferroviaire face à la poursuite de la libéralisation. Pire, leur parole avait même alors été largement dénigrée.

Ivan du Roy

Photo : CC Bladsurb

 

Notes

[1Rapport du cabinet Apteis (Analyse pluridisciplinaire du travail, études et interventions sociales) à la demande d’un Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) de l’« Infrapôle Sud-Ouest Francilien » de la SNCF.


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Source : www.bastamag.net

 

 

 

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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 17:02

 

Source : www.mediapart.fr

 

Le travail le dimanche servira d'abord les intérêts des grandes enseignes

|  Par martine orange

 

 

L’ouverture des magasins le dimanche devrait créer des milliers d’emplois, affirme le gouvernement. Pourtant, le travail le dimanche se révèle n'être ni rentable ni créateur d’emplois. Il favorise en revanche les grands groupes contre les petits commerces. Décryptage de cette mesure et de ses enjeux cachés. Chiffres à l’appui.  

La valse des promesses a recommencé. Face aux critiques de Martine Aubry dénonçant le coût politique, social et économique du travail le dimanche, les défenseurs du projet multiplient les annonces. « On sait déjà que l’on créera forcément de l’emploi, des milliers d’emplois », a répliqué le ministre de l’économie Emmanuel Macron, au micro de RTL, le 19 octobre. Le président du Medef, Pierre Gattaz, s’est fait encore plus précis le 28 octobre sur France Inter. Le travail le dimanche devrait permettre, selon lui, de créer « entre 40 000 et 50 000 emplois ». Pas plus que pour le million d’emplois promis avec le pacte de responsabilité, le président du Medef ne dit d’où proviennent ces estimations. L’important est d’avancer des chiffres en prévision de la bataille à venir.

Car la bataille est déjà inscrite, souhaitée même. Le ministre de l’économie a présenté une communication sur l’assouplissement du travail le dimanche mais aussi de nuit – les deux sont liés dans l’esprit du gouvernement – au conseil des ministres le 15 octobre. Ce texte devrait être présenté officiellement en décembre et discuté au Parlement au début de l’année prochaine. 


 

Cette question du travail du dimanche, qui devait au départ n’être que la clarification d’une législation illisible, s’est transformée en un axe majeur de la politique économique et sociale du gouvernement. Depuis cet été, les séminaires ministériels en parlent systématiquement. C’est Laurent Fabius qui, au nom de sa responsabilité sur le commerce extérieur, milite pour supprimer tous les obstacles du code du travail pour transformer la France en une vaste zone touristique. C’est Emmanuel Macron, qui voit dans les verrous réglementaires une survivance des vieilles lunes qui brident l’économie. C’est Manuel Valls, qui annonce à Londres, en guise de démonstration de sa politique « pro-business », que « les commerces à Paris seront ouverts tous les dimanches ».

Il fut un temps, en avril 2012, où un candidat socialiste à la présidence de la République annonçait : « Le combat de 2012, c’est de préserver le principe du repos dominical, c’est-à-dire de permettre aux travailleurs de consacrer un jour de leur semaine à leur famille, au sport, à la culture, à la liberté. Et j’y veillerai. » Comment le gouvernement en est-il arrivé à défendre l’opposé ? Le travail le dimanche se révèle pourtant n'être ni rentable ni créateur d’emplois. Décryptage de cette mesure et de ses enjeux cachés. Chiffres à l’appui.

Que dit la réglementation sur le travail le dimanche ?

Le dimanche est reconnu comme le jour de repos hebdomadaire dans le code du travail, article L3132-3. Toutefois, certaines entreprises peuvent ouvrir le dimanche, sans autorisation préalable, « dans les secteurs nécessaires à la continuité de la vie économique et sociale », comme la santé, l’énergie, les transports, certaines activités industrielles qui ne s’arrêtent jamais, l’hôtellerie et la restauration.

Les commerces alimentaires bénéficient d’une certaine souplesse et peuvent ouvrir jusqu’à 13 heures le dimanche. Parallèlement, les commerces peuvent ouvrir cinq dimanches par an, selon les autorisations données par le maire ou par la préfecture à Paris.

Ce cadre réglementaire a été constamment attaqué. « À chaque fois qu’une dérogation est accordée, le jour suivant il y a de nouvelles atteintes à la loi », constate Karl Ghazi, responsable de CGT-commerce et du Clic-P, l’intersyndicale (CGT, CFDT, Sud, CGC et Unsa) qui luttent pour le respect de la loi, le respect du travail dominical et du travail de nuit dans la région parisienne.

D’abord, il y a eu les autorisations pour les chaînes d’ameublement – loi Ikea – afin de leur permettre d’ouvrir leurs surfaces commerciales le dimanche. Puis cela a continué avec la loi Virgin, autorisant l’ouverture du magasin sur les Champs-Élysées au motif qu’il vendait des produits culturels. Tous les magasins de l’avenue se sont engouffrés dans la brèche. Cela s’est poursuivi avec les zones touristiques élargies, autorisées à ouvrir tous les dimanches de l’année.

Enfin, il y eut la loi Mallié. En 2009, Richard Mallié, député UMP de Gardanne (Bouches-du-Rhône) et donc concerné au premier chef par l’illégalité de la vaste zone commerciale de Plan de campagne (voir Plan de Campagne, le Far West du travail dominical), proposa un nouveau texte dérogatoire, confirmant l’ouverture le dimanche pour les commerces de détail dans toutes les communes touristiques et les zones touristiques d’exception. Surtout, la loi autorisa l’ouverture des commerces le dimanche dans les « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE), où il existe déjà de véritables habitudes, anciennes, de consommation dominicale. Toutes les grandes zones commerciales ont ainsi été légalisées.

Cette nouvelle loi créant des distorsions de concurrence entre certaines enseignes de bricolage – Bricorama en particulier –, le gouvernement a pris un nouveau décret en avril 2014, autorisant l’ouverture le dimanche pour le secteur du bricolage.

Ces dérogations incessantes ont créé un état législatif et réglementaire illisible. Le droit a été remplacé par la politique du fait accompli, une volonté assumée par les grandes enseignes de se mettre en contravention par rapport à la loi. Ces violations réglementaires n’ont jamais été sanctionnées par les pouvoirs publics. « Les autorités qui sont en charge de faire respecter la réglementation sont les premières à soutenir les contrevenants », remarque Me Vincent Lecourt, qui ne compte plus le nombre de procès, de recours, qu’il a dû déposer au nom des syndicats salariés devant toutes les juridictions pour rappeler la loi. Lors du procès sur l’ouverture de Plan de campagne devant le tribunal administratif, le rapporteur général, Frédéric Dieu, n’avait pas eu lui non plus de mots assez durs pour dénoncer « la complicité des autorités publiques » qui avaient permis à cette zone commerciale de prospérer en toute illégalité pendant quarante ans.

Etat de carence

 

 

La connivence des pouvoirs publics qui refusent de faire respecter la loi, pire parfois, qui mettent tout en œuvre pour protéger les contrevenants, est constante et finit par poser question. Quelques exemples au hasard. En 2008, les syndicats poursuivaient devant le tribunal administratif l’autorisation donnée par la préfecture de Paris à LVMH, très en pointe sur ce dossier depuis des années, d’ouvrir son magasin Louis Vuitton sur les Champs-Élysées. La veille de l’audience, le préfet, Michel Gaudin, annula l’arrêté. Le procès n’avait donc plus lieu d’être. Le lendemain de l’audience, il reprit le même arrêté confirmant l’autorisation d’ouverture du magasin Louis Vuitton sur les Champs-Élysées.

En 2012, le préfet de la Seine-Saint-Denis, Christian Lambert, donna l’autorisation d’ouvrir le dimanche au nouveau centre commercial Millenium, situé dans la Plaine Saint-Denis. Pour compliquer les recours, il prit deux arrêtés, l'un le 14 novembre, qu’il annula par la suite pour reprendre rigoureusement le même le 17 novembre. Pour faire casser l’autorisation par le tribunal administratif, il fallait attaquer les deux arrêtés. Entre-temps, même si le tribunal administratif a cassé la décision, le préfet a classé la zone commerciale en périmètre d’usage de consommation exceptionnel, estimant qu’il s’était créé des habitudes de consommation dominicale.

Jugeant que la multiplication des procédures et des condamnations ne semblait avoir aucun effet, que les autorités publiques ne semblaient toujours pas décidées à faire respecter la loi, le syndicat FO a porté l’affaire plus haut. Il a engagé une procédure auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT) contre l’État français pour « carence effective » à faire respecter le repos dominical. L’OIT a déjà rappelé à l'ordre à plusieurs reprises sur le sujet les pouvoirs publics. Elle devrait dire dans les prochaines semaines si elle instruit ou non le dossier.

 Que propose le projet de loi Macron ?

En décembre 2013, Jean-Paul Bailly, ancien président de La Poste, avait remis un rapport au gouvernement sur les ouvertures commerciales le dimanche. Reprenant en partie les propositions de ce rapport, le projet de loi devrait prévoir la possibilité pour les commerces d’ouvrir douze dimanches au lieu de cinq dans l’année.

La possibilité d’ouvrir tous les dimanches, accordée jusqu'ici aux commerces en zones touristiques, serait fortement élargie. Les commerces pourraient ouvrir le dimanche lorsqu’ils sont situés dans les « zones touristiques à fort potentiel économique ». Cette disposition, qui vise en priorité Paris, devrait permettre aux grands magasins du boulevard Haussmann (Printemps, Galeries Lafayette) d’ouvrir enfin le dimanche, ce qui leur a été jusqu’à présent refusé. La disposition risque cependant de créer de nombreux conflits. « Inévitablement, cette mesure va produire des effets de seuils. D’autres quartiers vont demander à être inclus dans le dispositif. À terme, c’est tout Paris qui va se retrouver classé comme zone touristique », pronostique Karl Ghazi.

Le gouvernement souhaite aussi accorder l’ouverture le dimanche dans les gares. Ce sujet n’avait jamais été mentionné jusqu’à présent. Mais il est vrai que la SNCF s’est transformée entre-temps en aménageur commercial et a cédé en concession ses plus importantes gares pour les transformer en centres commerciaux. Toutes les concessions ou presque sont aux mains d’Unibail, groupe puissant et occulte, qui est en situation oligopolistique dans les centres commerciaux et d’exposition parisiens.

Enfin, pour faire bonne mesure, le gouvernement prévoit que le « travail en soirée » pourra être autorisé « sur décision de l’État », dans les « zones à haut potentiel économique » et moyennant des majorations de salaires. Avec cette proposition, le gouvernement vole au secours  du groupe LVMH, condamné pour ouverture illégale après 21 heures de sa boutique Sephora (maquillage) sur les Champs-Élysées. Il s’assoit en même temps sur les décisions prises par les plus hautes autorités judiciaires sur le sujet. Après le Conseil constitutionnel qui avait rappelé que le travail de nuit devait rester l’exception, la Cour de cassation avait souligné fin septembre que « le travail de nuit n’était pas inhérent à l’activité de Sephora », et avait donc jugé que rien ne justifiait de dépasser les horaires légaux. 

 

 

L’argumentation du gouvernement sur ce point reprend celle développée par Sephora et LVMH devant les tribunaux, aux mots près, relève Karl Ghazi. « C’est à l’occasion du procès Sephora  qu’est apparue l’expression de travail en soirée utilisée par les avocats de LVMH. Un bel  habillage pour parler du travail jusqu’à minuit, qui a été repris par le Medef et maintenant par le gouvernement. Mais dans la loi, le travail en soirée n’existe pas. Il y a le travail de nuit et il commence à neuf heures du soir », explique-t-il.

Ces projets vont à l’encontre des décisions de la municipalité de Paris. En 2010, celle-ci avait refusé l’élargissement des zones touristiques, en invoquant notamment l’hostilité des riverains. Une mission d’information et d’évaluation, placée sous la présidence de Bernard Gaudillère, examine à nouveau le dossier sur le travail du dimanche et de nuit à Paris. Elle doit remettre ses conclusions le 16 décembre. Mais que se passera-t-il si elle s’oppose à nouveau à une libéralisation des zones touristiques ? Qui l’emportera, l’État ou Paris ?

La déclaration de Manuel Valls à Londres semble laisser entendre qu’il juge le problème réglé. Il annonçait alors que tous les commerces à Paris, à l’avenir, seraient ouverts le dimanche comme à Londres. À une différence près cependant : les magasins anglais ont le droit d’ouvrir le dimanche, mais les horaires d’ouverture sont limités à six heures, du type 10 heures-16 heures ou 12 heures-18 heures. Le projet de loi français ne prévoit aucune limitation par rapport aux autres jours. Mieux, les magasins pourront ouvrir le dimanche jusqu’à minuit.

Travailler le dimanche et la nuit pour quelles contreparties ?

Le travail le dimanche et de nuit ne pourra se faire que sur la base du volontariat, assure le gouvernement. Dans les établissements comptant plus de onze personnes, les salariés qui accepteront de travailler avec ces horaires décalés devront recevoir « une compensation importante ». Le chiffre de 200 % du salaire normal, calqué sur la législation actuelle, est donné comme la référence en cas de travail le dimanche ou la nuit. Le projet de loi, toutefois, semble vouloir laisser aux accords d’entreprise ou de branches le soin de fixer le montant des majorations.

 

 

Pour l’intersyndicale regroupant les salariés du commerce, ces compensations annoncées sont des miroirs aux alouettes. Pour les syndicats, le volontariat comme les majorations salariales risquent d’être très vite oubliés. Ils redoutent que le travail de nuit et le dimanche ne se généralise sans aucune compensation.

À l’appui de leur doute, les syndicats citent déjà les textes existants. Alors que le gouvernement et le patronat agitent la perspective d’un salaire augmenté de 200 % pour convaincre l’opinion publique du bien-fondé de faire sauter les verrous législatifs sur le travail le dimanche, ils rappellent que les majorations n’existent plus pour les salariés travaillant dans les zones touristiques mais sont comprises dans le salaire général. « La loi n’impose pas de contrepartie pour les salariés travaillant le dimanche dans les communes touristiques. Elle se contente de poser une obligation de négocier », rappelait la direction régionale des entreprises et de la concurrence du Calvados en mars 2014 dans un différend entre salariés et commerce à Deauville.

Pour les autres cas, c’est encore plus compliqué. Le commerce est un des secteurs où le travail est en miettes. Contrats précaires, assortis d’obligations de disponibilité qui ne sont pas loin des contrats zéro heure anglais, horaires décalés, temps de travail allongé, heures supplémentaires non reconnues, travail semi-déclaré ou au noir: les formes de salariat les plus « flexibles » y sont toutes expérimentées depuis des années.

Les rares salariés – ils ne sont plus qu’une minorité dans le commerce – qui travaillent pour de grandes enseignes avec des contrats à durée indéterminée, connaissent par expérience les pratiques du travail le dimanche. Certes, leurs salaires sont majorés de 200 % lorsqu’ils travaillent le dimanche, les cinq fois autorisées dans l’année. Mais les majorations sont calculées sur le fixe et non sur la totalité du salaire qui inclut souvent des primes. Résultat : la prime de 200 % n’est en fait que de 100 %, voire de 50 %. Un dimanche travaillé qui devait rapporter plus de 150 euros ne rapporte en fait que 55 euros.

La situation pour les autres salariés est encore plus médiocre. S’appuyant sur les précédents législatifs, le projet de loi stipule que les majorations s’appliqueront pour les établissements comportant plus de onze salariés. Un grand nombre de commerces ne sont pas dans ce cas. Les grandes enseignes ont pris l’habitude depuis longtemps de créer autant d’entités juridiques que de points de vente. Certaines comme Franprix sont connues pour veiller scrupuleusement à ne pas dépasser ce seuil fatidique. « Les conseils des grandes enseignes vont s'empresser de leur recommander de créer des filiales pour éviter le seuil des 11 salariés, si elles ne l'ont déjà fait », dit l’avocat Vincent Lecourt.

De plus, dans nombre de grands magasins, des espaces sont loués à des marques qui ont leurs propres démonstrateurs – trois ou quatre, rarement plus. Ceux-ci dépendent directement de la marque et sont souvent sous contrats précaires et ne peuvent en aucun cas prétendre à être inclus dans les conventions collectives. Pour eux, les majorations pour le travail de nuit ou le dimanche pourraient n’être qu'un rêve.

Ouvrir le dimanche, une pratique non rentable

Le patron de Bricorama, Jean-Claude Bourrelier, en avait fait une question de principe : ses magasins de bricolage devaient pouvoir ouvrir le dimanche, comme ceux de ses concurrents, Leroy-Merlin ou Castorama. Il a fini par avoir gain de cause. Pourtant, aujourd’hui, il déchante : « L'analyse des chiffres montre qu'au cumul, depuis le début de l'année, nous n'avons reçu que le même nombre de clients qu'en 2013 alors que nous avons le bénéfice de l'ouverture du dimanche », écrit-il dans une revue interne. Il attribue cette chute à une perte de clientèle partie à la concurrence, qu’il ne parvient pas à récupérer. Tous les salariés de l’enseigne sont appelés à faire des efforts. En d’autres termes, à travailler le dimanche quand même, car l’enseigne de bricolage ne se voit par fermer à nouveau le dimanche, mais sans majoration de salaire.

Le cas n’est pas isolé. Alors que les grandes enseignes et le gouvernement mettent en avant un boom de la consommation, une envolée des chiffres d’affaires pour justifier l’ouverture le dimanche, les chiffres ne viennent pas toujours confirmer les arguments avancés. Le dimanche est souvent un mauvais jour pour le commerce. Ainsi, lors des derniers soldes d’été au Printemps, alors que pour attirer les clients, le grand magasin à Paris consentait 20 % de rabais supplémentaires ce jour-là, il réalisa le premier dimanche des soldes son chiffre d’affaires le plus bas, inférieur de plus de 40 % à celui du samedi. Les habitudes de consommation ne se modifient pas comme cela.

De plus, ouvrir le dimanche impose des charges fixes supplémentaires. Non seulement il faut payer les salariés – avec ou sans majoration –, mais il y a aussi les frais d’électricité, de chauffage, de sécurité. L’addition finit par être très lourde pour un chiffre d’affaires qui n’est pas au rendez-vous. Cela risque surtout de dégrader les marges. « Quel que soit le nombre de dimanches accordés, cela ne changera rien aux chiffres d’affaires des commerces : les consommateurs n’ont pas plus d’argent à dépenser et les magasins feront le même chiffre sur 7 jours que sur 6.  (…) Côté commerçant, cela va rendre plus difficile la rentabilité de l’entreprise qui, en ouvrant le dimanche, devra doubler ses charges, y compris salariales »remarque Christophe Rollet, directeur général de Point S, spécialisé dans l’entretien auto, qui a renoncé à ouvrir le dimanche depuis plusieurs années.

Des commissions pour attirer les touristes

 

 

Dans l’esprit du gouvernement, l’ouverture du dimanche est moins destinée à relancer la consommation intérieure qu’à offrir un attrait supplémentaire à destination des touristes. Dès le printemps, Laurent Fabius, qui a réussi à arracher le dossier du commerce extérieur à Bercy pour le rapatrier au Quai d’Orsay, insistait sur la nécessité d’ouvrir le dimanche et le soir afin d’attirer les touristes. Le ministre visait particulièrement les touristes chinois qui, depuis 2012, sont de plus en plus nombreux à visiter l’Europe et la France. « Plus de 1,2 million de touristes chinois se sont rendus en France l'an dernier et ces chiffres sont appelés, nous l'espérons, à augmenter massivement dans les prochaines années », expliquait-il. Mais pour les séduire, il convient, selon lui, de lever tous les verrous : « Le touriste qui trouve porte close le dimanche ou à 19 heures n’attend pas le jeudi suivant », insistait-il.

Le mythe du touriste chinois qui ne rêverait que d’arpenter les grands magasins et les enseignes des Champs-Élysées, était lancé. Dans les faits, le touriste chinois, prétexte à la mise en pièces du droit social, sert de couverture à des pratiques peu avouables et peu rentables, comme l’ont raconté des syndicalistes du commerce lors de leur audition devant la mission parlementaire d’information et d’évaluation, le 18 septembre. 

Si les touristes chinois piétinent devant les portes des Galeries Lafayette ou du Printemps dès 9 heures le matin pour y faire des achats, ce n’est pas parce qu’ils considèrent les grands magasins du boulevard Haussmann comme un passage obligé à Paris au même titre que le Louvre et la tour Eiffel, mais parce que tout a été organisé pour les y amener.

Les grandes enseignes paient chèrement des intermédiaires pour faire partie du programme de visite. Selon les chiffres cités devant la mission d’information et d’évaluation, le Printemps a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 295 millions d’euros avec cette clientèle chinoise. Mais, pour les faire venir, le groupe a versé une rémunération de 32,8 millions d’euros à des intermédiaires.

La somme est énorme. Elle équivaut aux frais de personnel de tout le Printemps Haussmann sur une année. Déduction faite de toutes les charges et des frais fixes, la marge nette du grand magasin réalisée grâce à la clientèle chinoise est estimée à 4,1 millions, soit 1,38 % du chiffre d’affaires réalisé. Les marges des grands magasins se situent en général autour de 3 % à 4 %.

Le résultat est à peu près identique aux Galeries Lafayette. La direction a d’ailleurs trouvé que ces opérations étaient tellement peu intéressantes qu’elle a baissé, semble-t-il, le montant de ses commissions. Elle s’inquiète aussi de l’effet d’éviction provoqué auprès de la clientèle française, qui commence à déserter les grands magasins, considérant qu’ils ne s’adressent plus à eux.

Les enjeux cachés de l’ouverture le dimanche

Pourquoi les grandes enseignes font-elles pression sur le gouvernement pour obtenir d'ouvrir le dimanche, alors que tout semble prouver que ce n'est pas rentable ? Les organisations syndicales du commerce ont une vue très arrêtée sur le sujet. Selon elles, le processus s’inscrit dans une guerre commerciale menée par les grandes enseignes et la grande distribution. « La bataille sur l’ouverture du dimanche, c’est d’abord une bataille de parts de marché dans une période de crise », résume Karl Ghazi. 

Avec la crise, le commerce vit des heures sombres. La baisse des prix, les rabais, les soldes qui ne disent pas leur nom sont devenus des pratiques quotidiennes, afin d’attirer les clients. Le nombre de magasins qui mettent la clé sous la porte est en croissance exponentielle.  De plus en plus de boutiques sont vides dans les centres commerciaux.

 

 

Au-delà de la chute de la consommation, les habitudes des consommateurs changent. Les clients désertent les grandes zones commerciales au-dehors des villes, leur préférant les commerces de proximité et les achats en ligne. Ces changements mettent sous pression les grandes enseignes. Pour ces dernières, les centres-villes sont devenus un enjeu de taille où il importe de se développer ou de se renforcer. Les petits commerces sont un obstacle dans leur marche. Ce sont eux qu'elles visent en priorité pour assurer leur position. Dans ce contexte, l’ouverture le dimanche ou le soir est une arme contre les commerces indépendants : ceux-ci ne peuvent pas assurer des ouvertures sans limite. Les grandes enseignes espèrent ainsi capter leurs clients et les mettre à terre.

Il suffit de voir les réactions des uns et des autres pour comprendre l’ampleur de la bataille. Les grands magasins, les grandes enseignes de vêtements et de marques, qui saturent déjà totalement l’offre commerciale, ont tous pris position en faveur de l’ouverture le dimanche et le soir. Même s’ils y perdent de l’argent momentanément, ils sont persuadés d’en sortir gagnants.

Sans attendre, les groupes de la grande distribution demandent eux aussi de pouvoir bénéficier de l’ouverture dominicale pour toute la journée – et non plus jusqu’à 13 heures – pour tous les supermarchés de moins de 1 000 mètres carrés dans les villes de plus de 50 000 habitants. C'est ce créneau, sur lequel ils se sont le plus développés depuis la loi sur la modernisation de l’économie en 2008, qui leur a permis de conquérir les centres-villes sans autorisation préalable et d’éliminer la plupart des commerces indépendants.

À l’inverse, les commerçants indépendants sont vent debout contre l’ouverture le dimanche. « Les commerçants n’auront pas la possibilité de payer double leurs salariés. Ils fermeront leurs portes et créeront du chômage », a déjà protesté Gérard Atlan, président du conseil du commerce de France. Le président de la fédération de l’habillement, Bernard Morvan, s’est lui aussi élevé contre l’ouverture le dimanche. « C’est une menace pour les commerçants indépendants », prédit-il, soulignant qu’à Paris, 80 % des commerces parisiens sont des commerces indépendants de proximité, fruits d’une politique commerciale d’urbanisme assumée depuis plus de trente ans. Au-delà de la promotion de la diversité et de la proximité, ce dernier défend aussi les intérêts de sa fédération : la disparition des petits commerces priverait toute la filière de l’habillement de débouchés au profit de grandes marques mondialisées.

Le gouvernement mesure parfaitement les risques de déstabilisation que peut provoquer l’ouverture le dimanche dans le commerce et les filières industrielles qui en dépendent étroitement. Pourtant, il semble décider à poursuivre dans cette voie. La volonté du gouvernement de « libéraliser » le commerce répond aussi à des visées à plus long terme.

En commençant par le commerce, il s’attaque au secteur le plus faible, le plus désarticulé socialement. La précarisation du travail y est désormais la norme et les salariés sont sans moyens. L’ouverture du dimanche comme le travail la nuit, censés être des repères forts dans le Code du travail, vont créer des précédents. Il sera plus facile par la suite de s’attaquer à d’autres tabous sociaux, comme le contrat de travail, le temps de travail ou les salaires.

 

Lire aussi

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

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12 novembre 2014 3 12 /11 /novembre /2014 15:33

 

Source : www.bastamag.net

 

 

Greenwashing

Comment la finance « verte » détruit l’Amazonie

par Olivier Petitjean 12 novembre 2014

 

 

 

Financer des projets peu polluants, investir dans des énergies renouvelables, ne pas contribuer au réchauffement climatique... De plus en plus d’investisseurs recherchent des placements profitables mais respectables. Les obligations « vertes », un nouvel outil financier présenté comme plus écolo, sont là pour les séduire. Mais peut-on vraiment s’y fier ? L’exemple de GDF Suez, de ses grands projets de barrages en Amazonie, et des critères plus que flous qui entourent ce type d’investissement, montrent que ces financements « responsables » pourraient servir à « tout et n’importe quoi ».

La transition énergétique, tout le monde en parle mais peu la finance. Face à la défaillance des pouvoirs publics, empêtrés dans leurs politiques d’austérité, les regards se tournent vers le « secteur privé » et les marchés financiers. Un nouvel outil financier est en train d’émerger pour donner corps à ces espoirs d’un monde moins pollué : les « obligations vertes » (green bonds ou climate bonds en anglais).

Cette année, l’entreprise énergétique française GDF Suez a battu tous les records en levant 2,5 milliards d’euros grâce à une émission obligataire « verte » [1]. Le principe ? Comme dans le cadre d’une obligation traditionnelle, l’entreprise lève de l’argent auprès des investisseurs, qu’elle devra rembourser à une échéance fixée d’avance, généralement éloignée, ce qui lui permet d’investir sur le long terme. Mais pourquoi ces outils financiers seraient-ils plus « verts » que d’autres ? L’argent collecté est censé servir exclusivement à financer des projets d’énergies renouvelables ou d’efficacité énergétique. Le succès a été au rendez-vous pour GDF Suez, puisque son « obligation verte » a attiré trois fois plus d’acheteurs que ce qui était prévu. Près des deux tiers des souscripteurs ainsi séduits étaient des investisseurs éthiques ou « socialement responsables ». Donc soucieux de placer leur argent au service de causes environnementales ou sociales respectables.

Opération de communication

Tout irait-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? L’énergie éolienne ou solaire va t-elle détrôner les centrales à charbon et au gaz de GDF Suez ? Pas pour plusieurs associations écologistes françaises et internationales qui dénoncent une vaste opération de « greenwashing » et ont nominé l’entreprise au prix Pinocchio, un concours ouvert au vote des internautes de la pire multinationale en matière d’environnement. La communauté financière impliquée dans la promotion des obligations vertes craint même que les controverses suscitées par GDF Suez ne pèsent sur le développement futur de leur « produit ».

Que reproche-t-on exactement au géant énergétique français et à son « obligation verte » ? Tout d’abord, l’entreprise continue de développer massivement les énergies fossiles, donc très polluantes. Outre ses activités gazières traditionnelles, elle gère des centrales au charbon – la source d’énergie la plus néfaste pour le climat – partout sur la planète. GDF Suez s’apprête même à en construire de nouvelles, en Afrique du Sud, au Maroc, en Turquie, en Allemagne et ailleurs [2]. Ouvrir une niche d’énergie verte pour mieux soigner son image, attirer des investisseurs « socialement responsables » tout en poursuivant ses investissements massifs dans les énergies très polluantes… Une bonne affaire !

« Si GDF Suez était réellement soucieux de contribuer à la transition énergétique, [elle] mettrait un terme à ses investissements dans les énergies fossiles. En l’état actuel de [ses] projets et de leur mix énergétique, l’émission verte de mai 2014 apparaît moins comme l’outil mis en place par GDF Suez pour lutter contre les changements climatiques que comme une opportunité de lever des financements à des termes plus avantageux », dénoncent les Amis de la terre et Amazon Watch dans une lettre à l’entreprise [3].

Déforestation, émeutes et travail esclave

Mais il y a plus : l’obligation verte de GDF Suez pourrait être utilisée pour financer des projets dans le solaire ou dans l’éolien, mais aussi des grands barrages hydroélectriques. Et pas n’importe lesquels : ceux que l’entreprise construit ou projette d’édifier au beau milieu de l’Amazonie, à commencer par l’un des plus controversés au monde, celui de Jirau. Projet énergétique phare de GDF Suez (auquel l’Observatoire des multinationales a consacré une longue enquête), ce mégabarrage situé sur le rio Madeira en Amazonie brésilienne, non loin de la frontière avec la Bolivie, s’est révélé un véritable désastre environnemental et humain.

Les populations traditionnelles de la région ont vu leurs moyens de subsistance détruits. Des tribus indigènes isolées ont été chassées de leurs territoires ancestraux. La déforestation a considérablement augmenté, à cause du chantier lui-même et de l’afflux de population qu’il a entraîné. Le chantier a été le théâtre de deux émeutes ouvrières massives, et des cas de travail esclave y ont été identifiés. Les conséquences à plus long terme sur les écosystèmes font l’objet de toutes les craintes, notamment parce que les études d’impact initiales ont été délibérément minimisées. Début 2014, la région a été frappée par des inondations historiques, dont beaucoup de riverains ont rendu responsable le barrage de GDF Suez. Suite à ces événements, un juge a ordonné à l’entreprise de refaire toutes ses études d’impact et d’indemniser les victimes de l’inondation.

Malgré ces graves critiques, le barrage de Jirau a bien été mentionné comme l’un des projets « finançables » par les obligations vertes, lors des « présentations aux investisseurs » organisées par GDF Suez. Au-delà de Jirau, l’obligation pourrait également servir à financer d’autres grands barrages, comme ceux du rio Tapajós, l’une des seules régions encore préservées de l’Amazonie [4].

Un grand barrage qui n’a rien de vert

L’inclusion de grands barrages dans le domaine de la finance « verte » ne va pas de soi. Ces grands projets entraînent souvent des atteintes aux droits humains et des conséquences environnementales et sociales dévastatrices. Malgré son image d’énergie « renouvelable », l’hydroélectricité à très grande échelle occasionne d’importantes émissions de gaz à effet de serre. D’une part, la construction de grands ouvrages au cœur de forêts primaires occasionne, directement ou indirectement, une déforestation plus vaste.

Ensuite, de plus en plus d’études scientifiques démontrent que les retenues des barrages tropicaux sont sources d’émissions de méthane (un gaz à effet de serre nettement plus puissant que le CO2), du fait de la décomposition de la végétation dans l’eau. Autant de raisons qui font que les grands barrages restent le plus souvent exclus du champ des énergies « vertes », même chez des acteurs que l’on peut difficilement soupçonner d’intégrisme écologique comme EDF ou la banque britannique Barclays [5].

Une agence de notation payée par ceux qu’elle note

Le barrage de Jirau est déjà quasi achevé. Les premières turbines sont en opération depuis septembre 2013. L’achèvement du chantier, commencé en 2008, est prévu pour 2015. Une obligation verte drainant l’argent des investisseurs éthiques pour financer des projets de grands barrages controversés... qui sont déjà édifiés ? On comprend que la pilule soit difficile à avaler, y compris chez certains partisans des obligations vertes. Pourtant, aucun document officiel de GDF Suez ne mentionne explicitement Jirau pour séduire les investisseurs. Et l’entreprise dénonce le « procès d’intention » qui lui est fait à l’occasion des prix Pinocchio [6]. Mais elle a néanmoins refusé d’apporter le démenti formel que lui demandaient une coalition d’organisations environnementalistes dans une lettre ouverte. Il faudra attendre l’allocation des fonds qui sera annoncée a posteriori, dans son rapport annuel, qui sera publié au printemps 2015.

En ce qui concerne l’impact environnemental et social des projets financés via son obligation verte, GDF Suez renvoie aux « critères d’éligibilité » qu’elle a défini en collaboration avec l’agence de notation sociale Vigeo. Ces critères relèvent de cinq grands principes : « La protection de l’environnement, la contribution au développement local et au bien-être des communautés locales, le respect des principes éthiques et d’équité envers les fournisseurs et sous-traitants, la gestion des ressources humaines et la gouvernance des projets sélectionnés ». Problème : comme souvent en matière de « responsabilité sociale d’entreprise », ces critères sont formulés de manière extrêmement floue [7].

« Le ground zero du greenwashing »

Côté conditions de travail et salaires, par exemple, l’un des critères se contente du respect de la législation en vigueur dans le pays concerné. En matière environnementale, il n’est question que d’ « évaluer » et « gérer » les impacts par des « mesures appropriées », sans plus de précisions. Et l’appréciation du respect de ces critères est laissée à Vigeo, rémunérée pour ce faire par GDF Suez, et qui s’appuiera exclusivement àsur des informations fournies par… GDF Suez. Comme toute agence de notation, elle est rémunérée par les « clients » qu’elle est censée noter de manière indépendante. Et certains de ces clients figurent parmi ses actionnaires, dont Suez, mais aussi Total, Airbus, ArcelorMittal ou Vinci. Lorsque l’on regarde la liste des entreprises notées positivement par Vigeo, on se demande quels dégâts sociaux ou environnementaux elles devraient réaliser pour ne pas y figurer [8] !

GDF Suez n’a pas ménagé ses efforts pour justifier son grand barrage amazonien, comme l’avait expliqué l’Observatoire des multinationales dans son enquête. Malgré des années de controverses, malgré la nomination de GDF Suez parmi les « pires multinationales de l’année » en 2010 [9] à cause de son implication dans Jirau, l’entreprise française n’a aucun scrupule à présenter son barrage comme un modèle de développement durable. Elle a influencé la création d’une certification « verte » taillée sur mesure pour les besoins de l’industrie des grands barrages, le Hydropower Sustainability Assessment Protocol, une certification moins exigeante que les normes internationales existantes. Elle a réussi à inclure Jirau dans le cadre du « Mécanisme de développement propre » du protocole de Kyoto – ce qui permet à GDF d’amasser des crédits carbone pour continuer tranquillement de polluer ailleurs.

« On peut faire financer n’importe quoi »

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? « Le cas de Jirau représente le ‘ground zero’ du greenwashing, dénonce Christian Poirier, de l’ONG Amazon Watch. Si GDF Suez parvient à inclure Jirau ou d’autres grands barrages tropicaux dans le périmètre de son obligation verte, il y a un risque de baisse généralisée des standards sociaux et environnementaux. Si GDF Suez parvient à faire financer Jirau par ce biais, c’est que l’on peut faire financer n’importe quoi. »

De nombreux acteurs, y compris chez les écologistes, placent beaucoup d’espoirs dans le développement des obligations vertes. Le marché représentait 4,5 milliards d’euros en 2012. On s’attend à ce qu’il atteigne les 28 milliards d’euros en 2014, et les 100 milliards en 2016. Des grandes entreprises mondiales comme EDF et GDF Suez, mais aussi Unilever ou Toyota, se lancent sur ce créneau, naguère réservé à une poignée d’institutions financières internationales comme la Banque mondiale. Quelques jours avant le Sommet sur le climat de l’Onu qui s’est tenu à New York en septembre dernier, le Secrétaire général de l’organisation Ban Ki-Moon a cité les « obligations vertes » comme l’un des rares domaines où l’on pouvait espérer des progrès à court terme.

En l’absence de normes suffisamment fortes et acceptées de tous, ce produit financier reste sujet à tous les abus et à toutes les manipulations Particulièrement si on le laisse entre les mains de multinationales, comme GDF Suez, qui ont tout intérêt au statu quo énergétique. Craignant une répétition du fiasco écologique et éthique des marchés carbone et du « Mécanisme de développement propre », 118 organisations de la société civiles ont adressé une lettre ouverte à Ban Ki-Moon pour lui demander de privilégier l’investissement public et le mettre en garde contre l’usage des « financements climatiques » pour payer des « énergies sales ».

Bientôt des obligations « vertes » pour le charbon ?

« Le marché des obligations vertes n’en est qu’à ses premiers pas, et on voit déjà des obligations prétendument ‘vertes’ mises en relation avec des barrages destructeurs, déplore Ryan Brightwell du réseau Banktrack. Même l’industrie du charbon se demande si les obligations vertes ne sont pas ‘une nouvelle frontière pour le secteur’. La réponse est clairement non. Pour que ce marché ait une quelconque crédibilité comme moyen de lutter contre le changement climatique, les émetteurs doivent respecter des critères clairs et fondés scientifiquement quant à ce que l’on peut considérer comme ‘vert’ – tenant compte de l’ensemble des impacts sociaux et environnementaux des projets financés, et avec un ‘reporting’ transparent et public. »

Avec son obligation verte, GDF Suez est encore très loin d’une telle manière de procéder. Les associations demandent toujours que l’entreprise exclut Jirau et tout autre grand barrage du périmètre de ses investissements, et qu’elle s’engage à mettre en œuvre une procédure transparente et contradictoire d’allocation des fonds. Pour soutenir ces demandes, rendez-vous sur le site des Prix Pinocchio. Les votes sont ouverts jusqu’au 17 novembre.

Olivier Petitjean

Photo : CC Ana Cotta

 

Notes

[1Le précédent record était tenu par une autre entreprise énergétique française, EDF, qui a levé 1,4 milliard d’euros par ce biais en novembre 2013.

[2Voir la cartographie élaborée par les Amis de la terre.

[3Accessible sur cette page.

[4Comme EDF, GDF Suez est présente dans la zone via sa participation au Groupe d’études Tapajós (lire l’article de l’Observatoire des multinationales) et est candidate pour construire et exploiter le futur barrage de São Luiz do Tapajós, le plus important prévu dans la région, dont les enchères doivent se tenir dans quelques mois.

[5EDF, lors de sa propre émission obligataire, a choisi, au contraire de sa concurrente GDF Suez, de restreindre son usage au solaire et à l’éolien, alors qu’elle est elle aussi impliquée dans le secteur des grands barrages amazoniens. De leur côté, la banque Barclays et l’entreprise de services financiers MSCI sont sur le point de lancer un « indice des obligations vertes » (green bond index excluant les ouvrages hydroélectriques supérieurs à 25 MW. Jirau en fera 3750…

[6Lire sa réponse complète ici.

[7Ils sont consultables ici.

[8L’indépendance et la crédibilité de Vigeo est régulièrement mise en cause par les associations environnementalistes et la presse (lire par exemple cet article de Basta !)

[9Les prix Pinocchio 2010 et les « Public Eye Awards ».


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Source : www.bastamag.net

 


 

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12 novembre 2014 3 12 /11 /novembre /2014 15:23

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

 

Enquête 10/11/2014 à 18h37
La France préfère payer (deux fois) pour les articles de ses chercheurs
Pierre-Carl Langlais | wikipedien
Rayna Stamboliyska | Chercheuse indépendante, experte open data

 

Au lieu de donner à tous l’accès aux travaux de ses scientifiques – qu’elle a financés –, la France choisit de verser 172 millions d’euros à un éditeur néerlandais. Rue89 dévoile le texte de cet incroyable marché.

 


Des fioles (Erlenmeyer), dans une classe de science (Lokesh Dhakar/Flickr/CC)

La France n’a plus d’argent pour ses universités. Mais elle en a pour les éditeurs.

 

Voir le document

(Fichier PDF)

 

Tandis que les présidents d’université apprennent que leur dotation est amputée de 400 millions d’euros, le ministère de la Recherche s’engage, dans le plus grand secret, à payer 172 millions d’euros au leader mondial de l’édition scientifique, Elsevier.

Rue89 dévoile en exclusivité le contenu de cet accord [PDF]. Son objectif : racheter pendant cinq ans des publications déjà payées par le contribuable pour les rendre accessibles... à leurs auteurs.

Le travail de bénévoles

Le marché de l’édition scientifique est un secteur peu commun : ceux qui créent de la valeur ne sont jamais rémunérés ; au contraire, ils paient souvent pour voir leurs productions publiées. Les auteurs ne touchent rien sur leurs articles ; l’évaluation par les pairs est réalisée bénévolement.

Ce travail considérable est indirectement financé par l’argent public. L’écriture d’articles et la participation à des comités de lecture font partie des activités attendues des chercheurs et donnent lieu à des crédits de recherche, financés par le contribuable.

La publication scientifique est organisée autour de quelques maisons d’édition privées. Elles tiennent les journaux où les résultats des recherches sont publiés. Chaque journal a un comité éditorial, recevant les potentielles contributions ; celles-ci sont ensuite envoyées à des scientifiques bénévoles qui effectuent la revue par les pairs. C’est sur la base de leurs commentaires et retours que l’on décide si un article sera finalement publié ou rejeté et renvoyé à ses auteurs. En cas d’acceptation de l’article, ses auteurs doivent souvent s’acquitter d’une somme donnée afin que la publication se fasse.

Des marges énormes

Ces revues sont rarement accessibles gratuitement. Les éditeurs vendent l’accès à ces mêmes articles aux bibliothèques universitaires et aux laboratoires de recherche. Les ressources financières pour la publication proviennent des crédits de recherche accordés aux laboratoires ; les accès aux revues sont achetés au niveau de l’institution. Dans les deux cas, les subventions sont publiques.

Les principaux acteurs de l’édition scientifique dégagent des bénéfices considérables. Le secteur est en effet dominé par un oligopole. Quatre « grands » se partagent l’essentiel du gâteau mondial :

Ils en tirent des marges énormes : de 30% à 40% de bénéfice annuel net pour Elsevier ou Springer.


Bénéfices des principaux éditeurs scientifiques en 2011, en euros (Chiffres de Heather Morrison, mis en forme par Of Storks and Germs)

Ces quatre grands revendent donc chèrement aux universités un contenu qu’elles ont elles-mêmes produit.

Dans ce marché entièrement cloisonné, la libre concurrence n’existe pas et l’entente préalable est la règle : les prix des abonnements ne cessent de s’envoler depuis trente ans, alors que les frais de production, à l’ère de l’édition électronique, n’ont jamais été si bas. Par exemple, l’abonnement annuel à la revue Brain Research d’Elsevier coûte la bagatelle de 15 000 euros.

Une politique assumée

L’accord entre la France et Elsevier s’élève à 171 697 159,27 euros HT pour un périmètre de 476 universités et établissements hospitaliers.

Le premier versement (d’environ 34 millions euros d’argent public) a été entièrement déposé en septembre 2014. En contrepartie, 476 établissements publics pourront accéder à un corpus d’environ 2 000 revues.

Aussi bien les recherches publiées que ce droit de lire sont essentiellement financées sur fonds publics. Ces derniers auront donc été versés à Elsevier deux fois : une première fois pour publier, une deuxième fois pour lire.

Ce n’est pas un accident de parcours. L’accord avec Elsevier répond à une politique totalement assumée du gouvernement. En mars 2014, Geneviève Fioraso, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, spécifie à l’Académie des sciences les principaux axes de sa politique. Deux d’entre eux supposent les interactions privilégiés avec l’éditeur Elsevier. La négociation du droit de lire de centaines d’établissements publics d’enseignement et de recherche est ainsi gérée au niveau national, une première dans le domaine.

La « négociation » décidée d’avance

On pourrait arguer de la bienveillance du ministère vis-à-vis des établissements publics, dans la mesure où il prend en charge cet engagement vital pour la recherche. Ce serait ne pas voir, entre autres problèmes, l’absence totale de transparence quant au choix du fournisseur (pourquoi Elsevier en particulier ?) et la non-mise en concurrence du marché entre plusieurs acteurs (pour un tel montant, une ouverture de marché public est obligatoire).

Prisonniers d’un jeu aux règles fixées d’avance, les négociateurs (le consortium Couperin et l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur ou Abes) n’ont pas pu négocier grand-chose. Comme nous l’évoquions plus haut, la libre concurrence n’existe pas. L’article 4 de l’accord est explicite :

« Marché de prestations de services sans publicité et sans mise en concurrence préalables, négocié avec un opérateur économique déterminé pour des raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité de distribution. »

Dans cette perspective, un curieux montage est mis en place pour que Elsevier conserve ses anciens clients à ses conditions. Les institutions ayant déjà un contrat avec l’éditeur ne peuvent rejoindre la licence nationale qu’en moyennant une majoration de la participation (de l’ordre de 2,5% à 3,5%). Celles n’ayant pas de contrats ne sont pas concernées (art. 10.1).

Combien d’accords de ce type ?

Pour faire grossir la note, Elsevier cède des corpus de revues (ses « revues phares ») : « Aucun titre considéré comme “ Revue phare ” (liste en annexe 5 du présent cahier) ne pourra être retiré du périmètre documentaire auxquels accèdent les abonnés. » (art. 6.2). Elles ne sont pas de qualité égale et, surtout, ne sont pas toutes également intéressantes.

Le prix final a été abaissé par rapport à la somme initialement évoquée en février, et sur Rue89 : on passerait de 188 millions à 172 millions d’euros. Seulement, de nombreuses institutions se sont retirées de l’accord : on passe de 642 à 476 institutions associées.

Il va sans dire que, si la situation est scandaleuse, il ne s’agit que d’un accord avec un seul éditeur. Un récent rapport de l’Académie des sciences [PDF] évoquait une dépense de 105 millions d’euros par an pour l’acquisition des publications scientifiques. Ce chiffre apparaît largement en-dessous de la réalité : pour un accord couvrant seulement une partie des universités et établissements de recherche français, Elsevier préempte 33 millions à 35 millions par an. Les coûts réels représentent probablement 200 à 300 millions.

Une alternative est tout à fait possible.

Ailleurs en Europe, pourtant...

Depuis une quinzaine d’années, un grand mouvement international s’est développé en faveur du libre accès aux publications. Il s’agit de les rendre accessibles et réutilisables à tous, non seulement aux chercheurs, mais à tout le monde.

Les chercheurs n’ont en effet aucun intérêt au maintien du système actuel. Ne donnant pas lieu à rétribution, le droit d’auteur n’est qu’une fiction pour perpétuer les droits de l’éditeur. Non seulement cette captation limite l’accès aux publications scientifiques ; elle empêche même le chercheur de réutiliser son propre travail, car il a cédé ses droits lors de la signature du contrat de publication.

Le principal blocage vient de l’Etat. Rien n’est fait pour que la recherche soit libérée de l’emprise des grands groupes éditoriaux. L’évaluation publique se focalise sur les revues dites qualifiantes (soit surtout des revues détenues par les grands éditeurs) : certaines sections universitaires vont jusqu’à considérer que les publications en libre accès ne sont, par défaut, « pas scientifiques ».

D’autres pays européens montrent la voie.

  • l’Allemagne a édicté l’année dernière une loi limitant les droits d’exclusivité de l’éditeur à un an : passé ce délai, la publication peut être rediffusée en libre accès ;
  • les Pays-Bas viennent d’interrompre avec fracas une négociation avec Elsevier. Le gouvernement néerlandais soutient en effet pleinement les revendications des chercheurs et des bibliothécaires, qui appellent à diffuser la totalité des productions scientifiques en libre accès.

C’est peut-être finalement la conséquence la plus grave de l’accord Elsevier : geler pour cinq ans toute politique de libre accès ambitieuse. Les citoyens français continueront de payer deux fois une recherche qu’ils ne pourront pas lire. Et leur gouvernement portera à bout de bras un système cloisonné et obsolète dont l’étendard est la barrière au droit de lire.

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

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