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17 janvier 2015 6 17 /01 /janvier /2015 15:27

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

Les économistes atterrés tentent de dessiner une autre politique économique

|  Par martine orange

 

 

 

Les économistes atterrés dénoncent dans un nouveau manifeste les ravages des politiques libérales imposées en Europe. D’autres voies sont possibles, assurent-ils. Allant de l’écologie à la finance en passant par l’Europe, ils avancent des propositions, moins convaincantes que leurs analyses.

 

C’était en 2010. Hallucinés par ce qu’ils voyaient et entendaient, des économistes s’étaient retrouvés dans un collectif pour faire le constat de la crise financière de 2008 et essayer de comprendre les mécanismes fous qui avaient conduit le monde au bord de l’explosion économique. Ils avaient pris le nom d’atterrés, pour dénoncer les dogmes d’une science économique qui avait totalement dérivé, le catéchisme d’un néolibéralisme dont la faillite était patente.

Quatre ans après la publication de leur premier manifeste, les économistes atterrés reprennent la plume, avec le même sentiment de consternation. Aucune leçon n’a été tirée de la crise financière de 2008. « Les décideurs n’ont rien appris, ou voulu apprendre, de la crise. Les économistes bien en cour se montrent d’autant plus arrogants que leurs préceptes sont invalidés. Les lobbies financiers demeurent d’autant plus avides qu’ils n’ont pas eu à payer le prix de leurs errements », écrit le collectif.

 

 

Entre-temps, les faits ont largement corroboré leurs diagnostics. L’éclatement de la bulle pétrolière comme la guerre des devises viennent prouver que les États n’ont toujours pas repris le contrôle de la finance et que le monde reste à la merci de leur puissance. Les élections grecques, tout comme le marasme européen, soulignent combien les politiques d’austérité imposées dans toute l’Europe ont échoué, n’amenant avec elles que la déflation, le chômage stratosphérique et les ruptures sociales, comme ils l’avaient prédit.

« D’autres politiques sont possibles », assurent-ils dans ce nouveau manifeste, qui entend être un outil politique pour engager une reconquête intellectuelle. Quinze courts chapitres passent en revue les grands problèmes, en dressent le constat et cherchent à esquisser des propositions et des solutions.

Un certain nombre d’associations avaient reproché aux économistes atterrés d’avoir privilégié une vision productiviste, lors de la parution de leur premier manifeste. Leurs critiques ont été entendues, alors que le changement climatique, l’épuisement des ressources, la dégradation de la nature, deviennent chaque jour plus manifestes. C’est donc par la question écologique que les économistes atterrés ont décidé de commencer leur manifeste. Leur constat ne prête guère à discussion. Comment être opposé à des modes de production plus soutenables, à des modes de consommation plus sobres ? De même, comment ne pas être d’accord quand ils insistent sur le fait que l’écologie, notre bien commun, ne peut être laissée aux mains des marchés et doit revenir sous contrôle démocratique ?

Mais une fois cette question centrale posée, le manifeste semble avoir du mal à tirer toutes les conclusions de cette rupture, d’envisager vraiment des schémas différents (comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs). Bien sûr, les économistes atterrés insistent sur la nécessité d’abandonner le modèle de l’agriculture productiviste. Bien sûr, ils soulignent dans un autre chapitre l’importance de mesurer la richesse des nations à partir d’autres critères que le seul PIB. Bien sûr, ils disent que la puissance publique doit reprendre la main sur cette question et donner des impulsions majeures. Mais leurs propositions prioritaires pour clore ce chapitre – transposer dans la loi des objectifs de transition écologique, engager un plan dans le bâtiment pour la rénovation énergétique, mettre en place des circuits de financements privilégiés pour les projets de transition énergétique – paraissent convenues. Tout cela est-il vraiment à la hauteur des enjeux ?

C’est un peu le reproche général qui pourrait être adressé à ce nouveau manifeste. Les économistes atterrés sont indubitablement plus à l’aise dans l’analyse des dysfonctionnements que dans l’esquisse du futur. Désireux de faire de ce manifeste un outil de reconquête intellectuelle, ils déconstruisent avec brio les discours libéraux sur la dette, la dépense publique, la fiscalité, la finance. Ils rappellent comment la mise à bas de tout le système fiscal et de redistribution a abouti à un creusement des inégalités jamais vu depuis le début du XXe siècle et à une violence sociale inouïe.

Mais lorsque vient le moment des propositions, beaucoup semblent nous renvoyer au passé antérieur. Que signifie le keynésianisme dans un  monde ouvert à tous les vents, bousculé par les technologies comme par la révolution internet ? Cet impensé traverse plusieurs chapitres et donne à certaines de leurs propositions un caractère poussiéreux. Affirmer que le plein emploi doit être l’objectif premier de la politique économique ne peut que rallier tous les suffrages. Mais comment y parvenir ? Que vaut le travail au moment où l’intelligence artificielle fait des progrès insoupçonnés, où les robots prennent la place des hommes ? Quel nouveau contrat social faut-il passer ?

Les économistes atterrés ne pouvaient passer sous silence dans leur nouveau manifeste une question qui les divise depuis des mois : l’Europe et l’euro (voir Les économistes atterrés se divisent sur les vertus du fédéralisme européen). Tous se retrouvent pour dénoncer la politique suicidaire de la commission européenne, qui entre two pack et six pack, règle d’or et traité de stabilité financière, n’est plus qu’un catéchisme néolibéral. Tous dénoncent l’étrange statut de la banque centrale européenne qui préfère sauver les banques mais laisser les États à la merci des marchés. Tous se retrouvent sur le constat d’une construction mal faite de l’euro, qui mène l’Europe du Sud à la ruine. Mais après ? Faut-il conserver cette monnaie unique ou en partir ? Faut-il faire le grand saut du fédéralisme européen ou revenir à l’État-nation ?

Le chapitre sur l’euro reprend les deux thèses. D’un côté, il met l’accent sur la nécessité de changer les traités européens, de fixer d’autres objectifs à la construction européenne. Avant de constater l’impossibilité de changer : « Ce scénario se heurte aujourd’hui à l’opposition de certains pays notamment l’Allemagne qui veulent insérer les politiques économiques dans le carcan des traités européens actuels et surtout les subordonner à la volonté des classes dirigeantes européennes et nationales. » De l’autre, il souligne que les populations, les Grecs notamment, ne veulent pas abandonner l’euro mais pourraient y être contraintes par accident. Cette sortie risquerait de provoquer un bouleversement immense mais ne serait pas insurmontable, pour les partisans de l’abandon de l’euro.

Tous se retrouvent, finalement, sur la même analyse : les Européens doivent mettre en pièces la tunique de Nessus du libéralisme qui les enferme. « Avec ou sans l’euro, il faut mettre fin à une situation qui conduit les peuples à se combattre les uns les autres en rivalisant par des baisses de salaire et de protection sociale au nom de la compétitivité. »

 Nouveau manifeste des économistes atterrés – 15 chantiers pour une autre économie. Les liens qui libèrent. 10 euros

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 


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16 janvier 2015 5 16 /01 /janvier /2015 17:43

 

 

Source : www.reporterre.net

 

 

Le préfet employé par un trust immobilier dicte la loi contre l’environnement

Marie Astier (Reporterre)

vendredi 16 janvier 2015

 

 

 

Pendant que tout le monde regarde ailleurs, le projet de loi dit Macron avance tranquillement à l’Assemblée nationale. Plusieurs de ses dispositions visent à affaiblir la réglementation protégeant l’environnement. En s’appuyant sur le travail d’un haut fonctionnaire employé par le troisième groupe mondial de l’immobilier commercial...


C’est un simple article, qui pourrait à lui seul bouleverser le droit de l’environnement. Plus précisément, il s’agit de l’article 28 du projet de loi Macron.

Son objectif est une « modernisation du droit de l’environnement », dit le gouvernement dans l’exposé des motifs du projet de loi. Surtout, il voudrait réduire le délai d’obtention d’un permis de construire à moins de cinq mois, pour relancer les secteurs de l’immobilier et du bâtiment.

Une modernisation urgente, apparemment, puisque l’article prévoit qu’elle se fera par ordonnance. Le procédé autorise le gouvernement à écrire des lois sans passer par le Parlement.

Que contiendront ces ordonnances ? L’étude d’impact de la loi nous renseigne sur le sujet. Dans l’explication de l’article 28, il est précisé qu’il servira à mettre en œuvre, entre autres, les mesures conseillées par « la mission sur l’accélération des projets de construction. » Une mission « confiée au Préfet Jean-Pierre Duport », ajoute le texte.

L’ancien préfet travaille pour Unibail-Rodamco

Ce haut fonctionnaire a un CV bien fourni : il a été préfet de Seine-Saint-Denis puis de Paris, président de Réseau Ferré de France, directeur de cabinet de Chevènement quand il était à l’Intérieur, etc.


- Jean-Pierre Duport -

Surtout, fort de cette expérience dans l’urbanisme public, il est désormais conseiller spécial du Président d’Unibail-Rodamco.

Cette entreprise est le « premier groupe européen côté d’immobilier commercial », indique-t-elle sur son site internet. C’est aussi le troisième groupe mondial du secteur : il gère des centres commerciaux, des centres des congrès et des immeubles de bureau.

Parmi les projets en développement, on trouve la rénovation du forum des Halles à Paris, ou, tiens, le projet de centre commercial de Val Tolosa, dont Reporterre vous a déjà parlé. Les opposants à Val Tolosa ont même été invités lors de notre rencontre sur les grands projets inutiles.

Celui qui va être le principal inspirateur de la réforme du droit de l’environnement est donc salarié de l’un des principaux promoteurs et gérant d’immobilier commercial en Europe. Un exemple de plus des conflits d’intérêt qui infestent la haute fonction publique, et rappelle, entre autres, l’exemple du préfet Hagelsteen devenu employé de luxe chez Vinci.

La participation du public supprimée ?

Les promoteurs immobiliers ont bien fait en recrutant M. Duport. Car l’article 28 du projet de loi Macron pourrait effectivement leur simplifier la vie. Concrètement, il pourrait par exemple aboutir à ce que, pour certains projets immobiliers, il ne soit plus possible de faire appel une fois d’un décision du tribunal administratif. Par ailleurs, pour les permis de construire, en cas de recours, le dossier serait transmis au préfet alors qu’actuellement c’est le maire qui prend les décisions.

Mais surtout, le processus des enquêtes publiques serait modifié... « Dans certains cas, la participation du public pourrait être tout bonnement supprimée  », craint l’avocat Arnaud Gossement, qui a consacré plusieurs articles de son blog à l’article 28. La consultation publique pourrait notamment être limitée « quand le projet est déclaré d’intérêt public », explique l’avocat.

Mais surtout, ce qui met le juriste en colère, c’est que « cette réforme n’est pas née au ministère de l’Ecologie, elle est née à Matignon, quand Manuel Valls est arrivé. (…) Elle est totalement démagogique, elle dit aux constructeurs échaudés par la loi ALUR [loi Duflot – pour l’accès au logement et un urbanisme rénové - NDLR] ’vous voyez on va faire quelque chose’. Sauf que le gouvernement oublie que 85 % du droit de l’environnement est fait par l’Union européenne. »

Les députés n’ont pas pu lire le rapport... qui fonde le projet de loi

Outre le contenu de la réforme, la procédure choisie par le gouvernement fait aussi grincer des dents. Le procédé des ordonnances pose un vrai « problème démocratique », déplore Arnaud Gossement. Car le rapport de M. Duport n’a pas été encore rendu. Certains le croient prévu pour avril, d’autres pour mars. Ce qui est certain, c’est qu’il sortira après l’examen du projet de loi par les parlementaires, qui a déjà commencé en commission et devrait se poursuivre fin janvier en séance publique.

Pour le juriste, cela revient à demander aux parlementaires de voter un texte dont ils ne connaissent même pas le contenu : « Le gouvernement veut un chèque en blanc pour traduire le rapport Duport en mesures juridiques. » Le procédé pourrait même être anticonstitutionnel. « Les ordonnances sont normalement réservées à des domaines techniques et doivent être très précises », poursuit-il. Or l’article 28, au contraire, ratisse large.

La député socialiste Sabine Buis s’insurge elle aussi de la méthode choisie par le gouvernement. Elle a déposé un amendement demandant la suppression de cet article du projet de loi. « On ne peut pas s’asseoir sur la démocratie ! Je suis gênée de savoir qu’il n’y aura pas de débat parlementaire alors que ceux qui prennent les coups sur le terrain, dans ces projets, ce sont les élus  », insiste la représentante du département de l’Ardèche...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : www.reporterre.net

 

 

 

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16 janvier 2015 5 16 /01 /janvier /2015 17:26

 

Source : blogs.mediapart.fr/blog/samy-johsua


 

Cœur qui saigne, regards vers Athènes

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15 janvier 2015 4 15 /01 /janvier /2015 17:48

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

Antiterrorisme : les mesures de Valls passées au crible

|  Par Michel Deléan et Louise Fessard et Mathilde Mathieu

 

 

 

Pour répondre à « la menace de l'intérieur », Manuel Valls veut créer une unité de renseignement au sein de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi qu'un fichier des personnes condamnées pour terrorisme. Et entend créer des quartiers spéciaux pour les détenus radicalisés. Les spécialistes sont dubitatifs sur l'efficacité ou la seule possibilité d'appliquer ce nouveau train de mesures.

À chaque attentat, sa nouvelle loi. En la matière, les tueries de Paris n'ont pas fait exception. Alors que les enquêteurs de la brigade criminelle de Paris et de la sous-direction antiterroriste cherchent toujours les éventuels complices des frères Kouachi et de Coulibaly, le conseil des ministres a déjà examiné mercredi 14 janvier une série de mesures pour répondre à « la menace de l'intérieur ».

Manuel Valls a donné huit jours aux ministres de la justice et de l’intérieur pour réfléchir à la création d'une unité de renseignement au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi qu’à un nouveau fichier concernant les personnes condamnées pour terrorisme. Il entend aussi créer en prison des quartiers pour détenus « radicalisés ».

  • Un nouveau fichier antiterroriste, pour quoi faire ?

Manuel Valls a parlé mardi d'un fichier destiné à « connaître en permanence l’ensemble des terroristes condamnés, connaître leur lieu de vie, contrôler leur présence ou leur absence ». Si les spécialistes reconnaissent que des défaillances sont apparues à la lumière des derniers attentats, cette mesure les laisse cependant dubitatifs.

« Les gens connus pour des faits de terrorisme, par définition, on les connaît déjà ! » réagit ainsi le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic, sollicité par Mediapart. « Les fichiers, ce n’est pas vraiment ce qui manque. On reçoit, par exemple, des fiches de surveillance de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). L’idée de créer un nouveau fichier supposerait déjà de savoir qui on veut faire rentrer dedans. Le problème, c’est que les djihadistes, les terroristes, ce sont toujours des inconnus ! »

Céline Parisot, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats (majoritaire), ne trouve pas l’idée absurde, « car il existe déjà un tas de fichiers pour des actes moins graves ». Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), créé en 2004, oblige par exemple les auteurs de certaines infractions sexuelles ou violentes déjà condamnés à justifier de leur adresse une fois par an et en cas de déménagement dans les quinze jours. Cette obligation de pointage, qui s’apparente à un contrôle judiciaire, peut aller jusqu’à 30 ans pour les infractions les plus graves.

Le fichier est géré par le ministère de la justice, mais les préfets et certaines administrations peuvent y avoir accès, de même que les magistrats et les officiers de police judiciaire. Ce fichier est censé prévenir la récidive. « Il permet surtout de loger rapidement un délinquant sexuel », souligne Céline Parisot. Quel serait son intérêt en matière de terrorisme, les terroristes condamnés étant déjà enregistrés par la DGSI dans son fichier Cristina et pouvant faire l’objet d’un signalement au fichier des personnes recherchées (FPR) ? « Le seul intérêt est de mettre en alerte s’ils disparaissent, par exemple parce qu'ils sont partis à l'étranger sans prévenir, estime le parquetier Olivier Janson, secrétaire national de l’USM. C’est un signal d’alerte supplémentaire. Sous surveillance administrative, les intéressés n’ont aucune obligation de signaler leur changement d’adresse. »

Pour Marc Trévidic, la question essentielle qui se pose actuellement est plutôt celle des moyens. « J’étais très favorable aux derniers projets de loi qui ont été adoptés à l’automne sur l’apologie du terrorisme et le départ au djihad. On a voté beaucoup de choses à l’Assemblée, mais certaines ne sont pas encore appliquées, notamment pour ce qui concerne les interdictions de sortie du territoire. Le problème, en France, c’est qu’à chaque événement on veut voter une loi. Je rappelle ainsi que certaines dispositions de la loi Loppsi 2 pour renforcer la sécurité intérieure, qui date de 2011, je pense à l’espionnage des ordinateurs par exemple, ne sont toujours pas entrées en application. »

Selon le juge antiterroriste, le système est engorgé par manque de policiers spécialisés. « Le problème concret, aujourd’hui, c’est qu’on manque d’enquêteurs pour creuser les dossiers une fois que les types sont arrêtés. Il n’y a plus personne de disponible pour les dossiers d’instruction. Tous les effectifs sont mobilisés pour les enquêtes de flagrance à effectuer, les procès-verbaux à rédiger... le système ne peut plus fonctionner. »

La saignée des effectifs policiers n’y est pas pour rien. « Le département judiciaire de la DCRI a été saigné à blanc, ils ont perdu la moitié de leurs effectifs quand il ne se passait rien, entre 2008 et 2012, jusqu’à l’affaire Merah », estime aujourd’hui Marc Trévidic.

Paradoxal aussi d’imaginer un nouveau fichier alors que le portail informatique Cheops, qui permet depuis 2001 d’accéder à l’ensemble des fichiers de police, est déjà saturé sous le poids des données et des connexions. Ce système national, à la « technologie obsolète » selon le ministre de l'intérieur, est régulièrement hors service.

  • Des éducateurs transformés en agents de renseignement ?

 Manuel Valls a annoncé que les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) recevraient une formation « de haut niveau » pour « comprendre le parcours de radicalisation » des jeunes. Il entend également créer, au sein de la direction de la PJJ, « une unité de renseignement, à l’instar de ce qui est fait dans l’administration pénitentiaire ». C'est cette dernière annonce, très éloignée de la mission éducatrice de la PJJ, qui provoque le plus d'étonnement. Ces éducateurs suivent des mineurs délinquants en milieu ouvert, en foyer ou en prison. Leur travail consiste à démêler l'écheveau de vies compliquées, parfois entre délinquance et maltraitance, et de s'assurer du suivi des mesures ou de la peine prononcées par le juge des enfants.

Les deux syndicats de la PJJ contactés, qui n’ont pas été consultés avant cette annonce, la jugent « complètement à côté de la plaque » et même « dangereuse ». « Ça nous évoque la création d’une instance en collaboration avec la police, commente Maria Inès, secrétaire générale du SNPES-PJJ. Ça nous paraît très dangereux, à chacun sa mission, nous sommes chargés de l’éducation. » Les éducateurs en milieu ouvert, qui travaillent dans les quartiers, redoutent de plus de passer pour des balances. « Cela ne va pas nous faciliter le travail auprès des jeunes », remarque Alain Dru, secrétaire général du syndicat CGT-PJJ.

Malgré la médiatisation importante des cas de départs en Syrie, les deux syndicalistes soulignent l’« extrême rareté » des mineurs concernés. Selon Libération, la direction de la PJJ dispose déjà d’un outil de veille autour du phénomène de radicalisation des mineurs et seuls une trentaine de cas lui sont remontés ces six derniers mois. Et lorsqu’un jeune semble se radicaliser, être récupéré par un réseau ou déclare vouloir aller faire le djihad, une procédure habituelle existe déjà. Son éducateur le signale au juge des enfants qui lui a confié le mineur et propose une mesure de prise en charge. « Je vois mal un éducateur de la PJJ qui constate qu’un mineur suivi tombe sous la coupe de personnes dangereuses garder ça pour lui. Il avertit systématiquement ou le juge des enfants ou le parquet (le procureur de la République) », remarque un magistrat perplexe.

En cas de doute, les parents ou proches peuvent également alerter les autorités via un numéro vert mis en place en avril 2014 dans le cadre du plan de lutte contre les filières djihadistes vers la Syrie. Enfin, pour les contenus Internet manifestement illicites du style apologie du terrorisme, n’importe quel internaute peut en informer la plateforme de signalement Pharos, gérée par des cyberflics.

Cette future unité de renseignement risque de plus d’être « inopératoire ». « Cela suppose qu’on puisse facilement repérer des jeunes qui pourraient partir en Syrie, mais ces jeunes-là nous échappent, ils sont pris dans des réseaux », dit Maria Inès. Plusieurs documentations du genre b. a.-ba sur l’islam et les mouvements terroristes circulent au sein de la PJJ comme celle ci-dessous. « Je suis bien incapable après 40 ans de travail dans les quartiers de savoir si un jeune est capable de passer à l’acte ou s’il a une pratique religieuse normale », dit Alain Dru qui pointe de nombreux cas de « pure provocation, avec des jeunes qui se laissent pousser la barbe juste pour nous faire peur, et reviennent rasés la semaine d’après ».

 


 

Documentation de base sur l'islam et le terrorisme qui circule à la PJJ

Ratiboisée par la Révision générale des politiques publiques (RGPP), cette vaste entreprise de "rationalisation" des moyens décidée sous Nicolas Sarkozy, la protection judiciaire de la jeunesse a perdu ses antennes dans les cités. Les foyers ont été regroupés « pour faire des économies, comme on a supprimé la police de proximité et fermé les centres sociaux ». « Il faut retourner au charbon dans les quartiers, lâche Alain Dru. Quand j’étais à Cergy, on sentait quand le quartier était en train de vibrer, de gronder. Les émeutes de 2005, nous les avons vus arriver. »

De même que Mehdi Nemmouche, les frères Kouachi, adolescents en déshérence, ont été en contact avec les institutions de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Comme Mediapart l’a raconté, les auteurs du massacre à Charlie Hebdo, orphelins, ont été placés dans un centre éducatif de Corrèze géré par la Fondation Claude-Pompidou. Mais c’est après leur "lâchage" dans la nature à l’âge de la majorité qu’ils semblent s’être radicalisés. « Le problème qui se pose, c’est qu’après 18 ans, on dit au revoir aux jeunes, souligne Alain Dru. Entre 18 et 25 ans, ils n’ont plus aucun suivi éducatif et pas non plus le droit au RSA jusqu’à 25 ans. C’est là qu’il faudrait agir. »

  • Des détenus radicaux regroupés  ?

Le bon sens loin de chez vous. Alléchante sur le papier, l’idée d’isoler les détenus « radicalisés » dans des quartiers spécifiques des prisons françaises a été validée mercredi en conseil des ministres. Le gouvernement, à l’entendre, aurait « tiré les enseignements de l’expérimentation conduite » à la maison d’arrêt de Fresnes. Celle-ci n’a pourtant « pas été évaluée puisqu’elle a été lancée en novembre », souligne Sarah Dindo, une responsable de l’Observatoire international des prisons (association qui défend les libertés en détention). « À ce stade, nous avons des échos contradictoires, rapporte-t-elle. L’expérimentation a été lancée à l’initiative du chef d’établissement sans réflexion institutionnelle. Il fallait attendre pour constater ou non d’éventuels effets pervers, c’est complètement précipité de l’étendre. »

En octobre dernier, alors que la députée FN Marion Maréchal-Le Pen l’avait interpellée pour promouvoir le "concept", Christiane Taubira avait pourtant freiné des quatre fers. La ministre de la justice avait répondu, à l’époque, que les détenus « se manifestant par un prosélytisme abusif » pouvaient très bien « faire l'objet de sanctions disciplinaires, voire être transférés dans un établissement où (…) leur influence sur le reste de la population pénale sera limitée » ; elle semblait privilégier une « politique d’accompagnement » et une « prise en charge adaptée visant à un désendoctrinement » ; elle vantait surtout les moyens supplémentaires accordés aux aumôniers musulmans. Mais les attentats de Paris sont passés par là.

« J’appuie la décision de Manuel Valls », déclare ainsi le député socialiste Joaquim Pueyo, tout à la fois président du groupe d’études sur les prisons à l’Assemblée nationale, membre de la commission d’enquête sur les filières djihadistes et ancien directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. « Le gouvernement demande de créer ces zones pour la fin de l’année, précise l’élu. À ce moment-là, on aura pu évaluer Fresnes. »

En l’écoutant, on décèle toutefois une nuance avec l’approche du premier ministre, telle qu’elle a été comprise. « Le code de procédure pénale autorise d’ores et déjà à prendre des mesures d’isolement à l’encontre des détenus les plus radicaux, de tous ceux qui appellent à la haine, qui s’autoproclament imams et qui agissent comme des gourous », souligne Joaquim Pueyo. À ses yeux, « des quartiers spécifiques peuvent donc être utiles sous réserve d’une prise en charge pluridisciplinaire par des psychologues, des travailleurs sociaux et des aumôniers, avec un vrai programme de dé-radicalisation, s’ils sont destinés à des détenus en capacité de réfléchir et d’être amendés ». En clair, pas forcément les plus radicaux.

Sur les bancs adverses, une sénatrice UMP, Nathalie Goulet, qualifie catégoriquement l’annonce de Manuel Valls de « très mauvaise idée ». « Mettre les gens tous ensemble, créer de la promiscuité, c’est l’inverse du contingentement, soutient l’élue, présidente de la commission d’enquête sénatoriale sur les réseaux djihadistes. Les gardiens ne sont pas plus formés que le commun des mortels pour différencier le musulman très pratiquant du radicalisé. On risque de les mélanger, que la mauvaise graine contamine la bonne. »

Son collègue Guillaume Larrivé (UMP), qui réclamait ces « unités spécialisées » dans un rapport d’octobre dernier, devrait au contraire applaudir des deux mains. Pour ce sarkozyste pur jus, elles devront s’adresser aux individus revenus « du djihad dans la zone irako-syrienne » (au nombre de « cinquante-trois », écrivait-il). En cas de refus d’un « programme de dé-radicalisation », il réclame des sanctions (perte « de crédits de réduction de peine »).

Parmi les revenants de Syrie, le sociologue Farhad Khosrokhavar, auteur de L’Islam en prison (2004) et Radicalisation (2014), appelle expressément à distinguer trois catégories : les « endurcis », les « déçus » et les « traumatisés ». Les deux dernières, surtout, n’auraient rien à faire dans des quartiers spécialisés (ça « revient à les remettre sous l’influence des djihadistes endurcis », tranche Farhad Khosrokhavar dans Le Monde). Lui prône plutôt « une humanisation des maisons d’arrêt, qui sont des lieux de ressentiment très profond pour les détenus et inhumains pour les surveillants », et puis insiste sur les détenus atteints de « troubles psychiques majeurs », « prédisposés à se djihadiser ». Le chercheur estime que « la prison n’est pas faite pour eux ».

À l’OIP, Sarah Dindo rappelle enfin que les stratégies d’isolement des groupes quels qu’ils soient « ont toujours des effets pervers », parce que ces « logiques ultra-sécuritaires génèrent de la solidarité et de la surenchère ». « Si le gouvernement veut faire quelque chose, qu’il commence par accorder une véritable rémunération aux aumôniers, conclut-elle. Ceux qui interviennent nous expliquent souvent qu’ils perdent de l’argent. Or ce sont eux les plus compétents pour repérer les détenus qui basculent. »

Alors que les aumôniers musulmans (169 sur les 1 391 autorisés en milieu carcéral) sont d’ores et déjà nommés après agrément du préfet, le compte-rendu du conseil des ministres évoque seulement « une révision des conditions de recrutement et de formation des imams ».

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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15 janvier 2015 4 15 /01 /janvier /2015 17:36

 

Source : www.politis.fr

 

Par Thierry Brun - Suivre sur twitter - 15 janvier 2015
Pour ne plus perdre sa vie à la gagner !

 

 

La reprise, aujourd’hui, de la négociation sur la modernisation du dialogue social dans les entreprises inquiète les opposants au texte du Medef. Une vingtaine d’organisations syndicales (dont la CGT, la FSU et Solidaires), associatives et de chercheurs spécialistes de la santé au travail appellent à une mobilisation et à l’organisation d’états généraux pour défendre et améliorer les droits collectifs des salariés en matière de santé au travail.

La santé au travail est une question de santé publique. Or chaque semaine qui passe voit se multiplier les attaques du patronat et du gouvernement contre les droits sociaux, notamment en matière de santé au travail. Pourtant, la situation est alarmante : au nom d’une soi-disant "rationalisation" des coûts, les logiques organisationnelles aujourd’hui à l’œuvre au sein des entreprises, dans l’industrie comme dans les services, dans le secteur privé comme dans le public, contribuent à aggraver l’exploitation des corps et à dégrader de manière profonde la santé de nombreux travailleurs. Résumer la situation actuelle à une crise de l’emploi revient à dissimuler ces autres dérives de notre système productif. Mais certaines des mesures récemment adoptées, comme plusieurs de celles qu’envisagent aujourd’hui le gouvernement ou les organisations patronales vont plus loin : un à un, les différents acteurs de la chaîne de prévention voient leurs prérogatives ou leur marge d’action se réduire et, avec elles, ce sont les instruments de la prévention des risques et de la protection des salariés qui se trouvent remis en cause.

Affaiblir les droits collectifs des travailleurs

La négociation collective engagée depuis septembre, à la demande du gouvernement, autour d’un projet de réforme des seuils sociaux s’affiche comme visant à « faciliter la vie des entreprises et les aider à embaucher ». Celle-ci se révèle en fait l’occasion d’une attaque en règle du patronat qui veut limiter toute possibilité de représentation du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés et faire table rase des droits existants au-delà, en invoquant une instance unique aux missions vagues et dépossédée des principales prérogatives des IRP actuelles.

Cette nouvelle attaque fait suite aux réorganisations imposées à l’inspection du travail (remise en cause de son indépendance, réduction de ses moyens en effectif de contrôle) ainsi qu’à celles des Conseils de Prud’hommes (suppression de l’élection, restrictions budgétaires, diminution des délais de prescription, manque de personnel de greffe, etc.).

Le projet de loi Macron présenté en conseil des Ministres le 10 décembre 2014 enfonce le clou en prévoyant de rendre plus difficile la possibilité pour la justice pénale de sanctionner les employeurs délinquants.

Supprimer les CHSCT ?

Plus ou moins masquée parmi ces multiples attaques, s’exerce la tentative du patronat de remettre en cause l’existence même des CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) dont les prérogatives ont été déjà affaiblies par les dispositions introduites par la loi sur la « sécurisation de l’emploi » transcrivant l’ANI du 11 janvier 2013.

Or les CHSCT constituent un outil collectif fondamental pour permettre aux travailleurs de s’exprimer et d’agir sur leurs conditions de travail. C’est d’ailleurs parce qu’ils permettent de rendre visibles les manquements des directions d’entreprises en matière de santé et sécurité au travail, que le patronat veut les supprimer.

Instaurés depuis 1es lois Auroux de 1982 dans les entreprises de plus de 50 salarié-e-s, les CHSCT ont largement démontré leur utilité dans la défense de la santé et l’amélioration des conditions de travail des salarié-e-s. Il en est de même s’agissant de leur capacité à mettre en cause de manière forte les choix organisationnels dans les atteintes au travail lui-même (défauts, dysfonctionnements, impossibilité de bien faire son travail) et à la santé physique et psychique des travailleurs.

Grâce aux moyens d’action des représentants du personnel comme le droit d’alerte, le droit d’enquête, le droit d’expertise, cette instance permet de proposer et d’obtenir des améliorations des conditions de travail, et au besoin d’agir directement en justice, pour prévenir des mises en danger ou faire interdire des formes d’organisation à risques ou pathogènes. Elle permet aussi d’aider à la reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs.

Il est donc crucial d’œuvrer plutôt à lever les obstacles qui entravent encore trop souvent le fonctionnement de cette instance. Il s’agirait notamment de permettre aux travailleurs qui, de droit ou de fait, en sont encore privés (en raison de la taille de l’entreprise, de la dispersion des salariés sur des sites multiples, ou encore des différences de statuts et des effets de la sous-traitance en cascade..., autant de situations trop souvent utilisées par les employeurs pour contourner le droit et diviser les salariés) de pouvoir eux aussi en bénéficier.

Dans la même logique, le fait d’offrir un véritable statut protecteur contre le licenciement aux salariés usant de la faculté de leur droit de retrait en raison d’un danger grave et imminent permettrait de passer d’un droit théorique à un droit réel.

Une médecine du travail en miettes

La médecine du travail est en grand danger et avec elle la santé de tous les salariés. Fin octobre, F. Hollande présentait 50 nouvelles mesures destinées à « simplifier l’activité des entreprises face à la lourdeur administrative. » Parmi elles, une première entend revoir les notions d’aptitude et d’inaptitude afin de « sécuriser » les employeurs qui sont « soumis » à des avis médicaux avec réserves trop contraignants. Cette mesure vise à empêcher le médecin du travail d’émettre des préconisations d’aménagement des postes de travail dans l’intérêt des salariés, à supprimer l’obligation de reclassement qu’ont les employeurs et à favoriser le licenciement des salariés ayant des restrictions d’aptitude.

Une seconde mesure prévoit de simplifier les règles sur les visites médicales des salariés au motif que "la visite médicale obligatoire n’est réalisée que dans 15% des cas", du fait notamment d’un manque d’effectifs médicaux. Ce chiffre de 15 % est fantaisiste car en réalité ce sont plus de 70% de ces visites qui sont actuellement assurées ! Cette mesure empêcherait l’accès à la visite médicale et au suivi de santé individualisé pour certaines catégories de salaries jugés non exposés à des risques. Alors que l’on assiste à l’explosion des TMS et des RPS, cette vision est inacceptable.

Nous rappelons que les médecins du travail sont les seuls médecins à disposer d’une formation sur les risques professionnels et qu’ils sont les seuls à bénéficier d’un statut protecteur garantissant indépendance et protection vis-à-vis des employeurs. Ils ont un libre accès au poste de travail qui leur permet de disposer d’une connaissance des risques et du travail réel. En s’attaquant ainsi à la visite médicale, c’est à la médecine du travail toute entière que le gouvernement s’en prend et aux droits des salarié-es.

En affaiblissant une nouvelle fois la médecine du travail et plus largement les services de santé au travail (SST), le patronat et le gouvernement favorisent la fragilisation des travailleurs confrontés à des conditions de travail et d’emploi de moins en moins soutenables. Il conviendrait au contraire de donner aux SST tous les moyens d’assurer leur « mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail » (art. L.4622-2 du code du travail), en élargissant et en confortant notamment leur indépendance vis-à-vis des employeurs.

L’urgence d’agir et de s’unir

La santé au travail est au cœur de l’activité de tous les acteurs impliqués dans la prévention des risques et l’amélioration des conditions de travail. Dans le contexte actuel, tous devraient voir leurs conditions d’intervention favorisées et améliorées : CHSCT, médecins du travail, inspecteurs du travail, contrôleurs Carsat, experts CHSCT, intervenants en prévention de la mutualité, tous interagissent de façon complémentaire au sein d’un ensemble devenu cohérent, celui de notre système de prévention. C’est lui qui, morceau par morceau, est progressivement défait depuis quelques années ; c’est lui que nous voulons préserver et renforcer.

Nous acteurs du mouvement syndical et de la santé au travail (syndicats, représentants du personnel au CHSCT, médecins du travail, inspecteurs du travail, experts CHSCT, psychologues du travail, ergonomes, chercheurs en santé au travail, etc.) appelons à une mobilisation et à l’organisation d’états généraux pour défendre et améliorer les droits collectifs des travailleurs en matière de santé au travail. … Pour ne plus perdre sa vie à la gagner !

Nota Bene :

Premiers signataires :

Annie Thébaud Mony, Directrice de recherches honoraire à l’INSERM, Danièle Linhart, sociologue, directrice de recherches émérite au CNRS, Eric Beynel, porte parole de l’union syndicale Solidaires, Christophe Godard, secrétaire national de l’UGFF-CGT (responsable Santé-Travail), Jean-Michel Sterdyniak président du syndicat national professionnel de la santé au travail (SNPST), Dominique Huez pour l’Association Santé Médecine du Travail, Alain Carré, syndicat CGT des médecins du travail des industries électriques et gazières (SMTIEG-CGT), Arnaud de Broca, secrétaire général de l’Association des accidentés de la vie (FNATH), Julien Lusson, Attac France, Louis-Marie Barnier, Fondation Copernic, les syndicats CGT, FSU et SUD de l’inspection du travail Un collectif de 27 cabinets, experts CHSCT ou intervenants en santé au travail, Les associations Henri Pezerat, Ban Asbestos et Robin des toits.

 

 

Source : www.politis.fr

 

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 16:18

 

Source : blogs.rue89.nouvelobs.com/deja-vu

 

 

Un Patriot Act ? Excellente idée, Mme Pécresse. Les Romains appelaient ça la dictature
Antonin Benoit
Doctorant en Histoire
Publié le 14/01/2015 à 11h11

 

 

 

Le bal des propositions sécuritaires a commencé chez les politiques, avec son lot d’idées idiotes, moyennes ou passables ; mais la plus stimulante revient sans doute à l’ancienne muse des universités, Valérie Pécresse, qui a déclaré sans fard au micro d’Europe 1 :

« Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française. »

Pourquoi stimulante ? Parce que Valérie Pécresse commence là à dresser un parallèle historique avec la réponse judiciaire américaine aux attentats du 11 septembre (qui, en très bref, permet une suspension des conditions normales d’enquête et de détention en cas de soupçon de terrorisme).

Autrement dit : elle suggère qu’une réponse appropriée au terrorisme est de créer une sphère d’exception dans la loi, qui suspend le processus démocratique et judiciaire normal pour lutter contre le danger en question.

Valérie Pécresse ne remonte qu’au Patriot Act (qui est relativement récent), mais on pourrait lui suggérer une série d’autres parallèles à placer, qui seraient autrement plus chic, mais pourraient aussi donner à réfléchir sur la pratique de l’état d’exception.

1 Les références classiques : Athènes et Rome

Du côté de la démocratie athénienne, on peut réussir à trouver quelques épisodes d’apparition d’« hommes forts », à qui de grands pouvoirs sont confiés par le peuple en cas de danger de la cité ;

  • notamment Solon, à qui les Athéniens laissent totalement carte blanche pour éviter la guerre civile en 594-593 avant notre ère (et qui, ironiquement, livre un code de loi qui organise le bon fonctionnement de la démocratie),
  • ou Alcibiade qui est élu « stratège autocrator » avec les pleins pouvoirs en -407 (au moment où Athènes est en train de perdre la guerre du Péloponnèse) – ce qui ne dure pas très longtemps, puisqu’il est destitué dès -406.

Mais comme on le voit, globalement la référence classique pour penser la démocratie moderne ne permet pas vraiment les parallèles en termes de suspension de la vie publique face au danger (c’est d’ailleurs peut-être pour ça que c’est la référence classique).

 

C’est en revanche nettement différent dans la Rome antique, qui a une institution totalement consacrée à ça : la dictature.

 

Celle-ci est créée au moment de la chute de la monarchie et de la création de la république romaine (début du VIe siècle avant notre ère), et donne les pleins pouvoirs (l’imperium, ce qui suspend toutes les autres magistratures et permet de condamner à mort sans procès) à un citoyen.

Elle s’applique dans les situations d’urgence militaire (la dictature apparaît en -501, devant la menace des Sabins) ou même civile, lorsqu’il faut absolument procéder à une élection ou à un rite religieux, par exemple le temps de planter un clou en -361 :

 

« [...] comme les antiques traditions des annales rapportaient qu’autrefois, lors des sécessions de la plèbe, le dictateur avait planté un clou, et que cette solennité expiatoire avait ramené à la raison les esprits des hommes aliénés par la discorde, on s’empressa de créer un dictateur pour planter le clou. On créa Cn. Quinctilius, qui nomma L. Valerius maître de la cavalerie. Le clou planté, ils abdiquèrent leurs fonctions. »

— Tite-Live, Histoire romaine, VIII, 18

 


Statue de Jules César par Ambrogio Parisi, jardin des Tuileries à Paris (Nan Palmero/Wikimedia Commons/CC)

 

Car la beauté de la fonction est qu’elle est limitée dans ses pouvoirs (le dictateur doit se trouver un adjoint, le maître de cavalerie, pour ne jamais être le seul magistrat), et dans le temps : six mois au maximum… sauf lorsque cela dérape, par exemple en -46, lorsque César, seul maître à Rome, se fait attribuer la dictature pour un an, puis dix, puis à vie.

 

Ce qui se termine assez mal pour lui comme pour la république romaine, preuve que le danger dans les mesures d’exception arrive assez vite lorsqu’elles se prolongent dans le temps.

2 La référence légitime : la Révolution française

C’est la référence majuscule, l’élément fondateur de notre démocratie moderne, qui peut être mobilisée, car si même les révolutionnaires l’ont fait… sauf que la suspension des pouvoirs parlementaires est plutôt associée aux éléments moins bien perçus de la période, à savoir la Terreur et le coup d’Etat de Bonaparte.

 

Ainsi, le grand épisode du genre arrive en 1793, dans un contexte de grand danger intérieur comme extérieur pour l’Etat révolutionnaire (énormes insurrections face à la levée de troupes, crise du ravitaillement des armées, formation d’une coalition européenne contre la France, etc…), avec la création le 1er janvier du Comité de défense générale, qui allait rapidement devenir le fameux Comité de salut public dominé d’abord par Danton, puis par Robespierre.

 

On connaît particulièrement ce comité pour avoir suspendu la Constitution de l’an I en octobre 1793 et dirigé le gouvernement révolutionnaire, mais aussi et surtout pour avoir été à la baguette de la Grande Terreur (de juin 1794 jusqu’à la chute de Robespierre en juillet) autour de la loi antiterroriste (tiens donc) du 22 prairial, qui se justifiait par des attentats manqués contre Collot d’Herbois et Robespierre.

 

On lui doit notamment sur le plan judiciaire la suspension de l’interrogatoire, de la défense et des témoins, et celle-ci déboucha donc en bonne logique sur environ 1 300 condamnations à mort en un mois et demi à Paris (une trentaine par jour).

 

Le procédé ainsi entré dans la modernité était d’ailleurs appelé à se reproduire, comme le souligne Giorgio Agamben, en commençant par le coup d’Etat de Bonaparte le 18 brumaire puis tout au long du XIXe siècle (et Napoléon III notamment proclama à plusieurs reprises l’état de siège pour pouvoir manœuvrer sans encombre), puis du XXe, notamment au moment des deux guerres mondiales (par exemple avec le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain en juillet 1940, ce qui lui permit de mettre en place le régime de Vichy).

 

Mais il vaut peut-être mieux éviter ces exemples-là.

3 Le cousin un peu trop voyant : le régime nazi

Il serait mieux d’éviter de recourir à celui-ci aussi, mais le problème est qu’il est quand même assez incontournable quand on parle de régime d’exception justifié par un danger terroriste (il est récent, et quand même assez exemplaire).

 

En effet, Hitler à la conquête du pouvoir n’avait pas particulièrement l’intention de s’encombrer des accessoires naturels d’une démocratie (des élections, un parlement, la séparation des pouvoirs, etc.), et l’un de ses objectifs essentiels dès son arrivée au pouvoir (en janvier 1933) fut donc de réussir à se faire attribuer les pleins pouvoirs.

 

Heureusement pour lui, la Constitution de la République de Weimar lui laissait une belle marge de manœuvre de ce point de vue-là, et notamment l’article 48 qui permettait simplement au président de la République de « suspendre tout ou partie des droits fondamentaux » en cas de « perturbation de la sécurité et de l’ordre public ». Il avait été assez largement utilisé par les premiers gouvernements conservateurs de Weimar (ce qui fut très pratique dans le milieu des années 1920 pour emprisonner des militants communistes par milliers et les faire juger par des tribunaux spéciaux).

 

La faille existant, elle fut donc exploitée à travers l’incendie du Reichstag dans la nuit du 27 au 28 février 1933 (orchestré par les nazis pour le mettre sur le dos des communistes), ce qui permit à Hitler de faire valoir le risque terroriste et se faire ainsi voter les pleins pouvoirs le 28 février ; et ainsi préparer confortablement les élections de mars 1933, lesquelles donnèrent un Parlement qui confirma définitivement ces pleins pouvoirs le 23 mars.

4 Le grand frère : le Patriot Act

On pourrait laisser celui-ci à Valérie Pécresse, qui a l’air assez calée dessus.

 

Soulignons simplement que, à la base relativement mesuré (autorisant une détention arbitraire pendant sept jours seulement), il est surtout défini par la quantité de compléments et de prolongations qui s’y sont ajoutés, et permet depuis novembre 2001 la détention arbitraire de suspects de terrorisme sans limite de durée et la possibilité de les juger par des tribunaux spéciaux – ce qui les met dans une non-catégorie juridique inédite (comme l’a remarqué un avocat de la Navy américaine, Charles Swift, « Guantanamo bay is the legal equivalent of outer space – a place with no law »).

 

Rappelons aussi que c’est le texte qui fournit notamment un cadre légal à la plupart des écoutes de la NSA dans le monde entier, et que c’est ainsi l’un des textes de lois les plus dénoncés au monde, par exemple par Amnesty international (ici ou ici), ou encore par la très importante American Civil Liberties Union (ici, soulignant notamment qu’il « n’existe pas grand-chose pour soutenir l’idée que le Patriot Act a rendu l’Amérique plus protégée face au terrorisme »).

 

Enfin bon, si elle veut changer d’exemple, elle a le choix.

Infos pratiques
A lire

Giorgio Agamben, Etat d »exception, homo sacer, Le Seuil, 2003

 

 

Source : blogs.rue89.nouvelobs.com/deja-vu

 

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 16:12

 

Source : www.lemonde.fr/les-decodeurs

 

 

« Charlie », Dieudonné… : quelles limites à la liberté d'expression ?

Le Monde.fr | 14.01.2015 à 07h46 • Mis à jour le 14.01.2015 à 14h57 | Par Damien Leloup et Samuel Laurent

 
 

image: http://s2.lemde.fr/image/2015/01/14/534x267/4555681_3_1702_des-couvertures-du-journal-satirique-charlie_c34835e5333a3552cb96b60e4da3c953.jpg

Des couvertures du journal satirique "Charlie Hebdo".

« Pourquoi Dieudonné est-il attaqué alors que Charlie Hebdo peut faire des “unes” sur la religion » ? La question est revenue, lancinante, durant les dernières heures de notre suivi en direct de la tuerie à Charlie Hebdo et de ses conséquences. Elle correspond à une interrogation d'une partie de nos lecteurs : que recouvre la formule « liberté d'expression », et où s'arrête-t-elle ?

  1. La liberté d'expression est encadrée
  2. La particularité des réseaux sociaux
  3. Le cas complexe de l'humour
  4. Charlie, habitué des procès
  5. Dieudonné, humour ou militantisme ?

1. La liberté d'expression est encadrée

La liberté d'expression est un principe absolu en France et en Europe, consacré par plusieurs textes fondamentaux. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi »,  énonce l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789.

Le même principe est rappelé dans la convention européenne des droits de l'homme :

« Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. »

Cependant, elle précise :

« L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

La liberté d'expression n'est donc pas totale et illimitée, elle peut être encadrée par la loi. Les principales limites à la liberté d'expression en France relèvent de deux catégories : la diffamation et l'injure, d'une part ; les propos appelant à la haine, qui rassemblent notamment l'apologie de crimes contre l'humanité, les propos antisémites, racistes ou homophobes, d'autre part.

Les mêmes textes encadrent ce qui est écrit sur le Web, dans un journal ou un livre : l'auteur d'un propos homophobe peut être théoriquement condamné de la même manière pour des propos écrits dans un quotidien ou sur sa page Facebook. L'éditeur du livre ou le responsable du service Web utilisé est également considéré comme responsable. En pratique, les grandes plates-formes du Web, comme YouTube, Facebook, Tumblr ou Twitter, disposent d'un régime spécifique, introduit par la loi sur la confiance dans l'économie numérique : ils ne sont condamnés que s'ils ne suppriment pas un contenu signalé comme contraire à la loi dans un délai raisonnable.

C'est la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, qui est le texte de référence sur la liberté d'expression. Son article 1 est très clair : « L'imprimerie et la librairie sont libres », on peut imprimer et éditer ce qu'on veut. Mais là encore, après le principe viennent les exceptions. La première est l'injure (« X est un connard »), puis viennent la diffamation ou la calomnie, c'est-à-dire le fait de porter atteinte à l'honneur d'une personne (diffamation, par exemple « X a une mauvaise haleine et ronfle »), ou d'imputer à quelqu'un des actions qu'il n'a pas commises, le tout dans le but de lui faire du tort (calomnie, par exemple « X a volé dans la caisse de l'entreprise »).

Les articles 23 et 24 de cette même loi expliquent que « seront punis comme complices d'une action qualifiée de crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics », en font l'apologie, et liste les propos qui peuvent faire l'objet d'une condamnation :

« - les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

- les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal ;

- l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ;

- l'apologie (…) des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.

- (Le fait d'inciter à des) actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.

- La provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers des personnes “en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée”, ou encore “leur orientation sexuelle ou leur handicap” ».

Dernier cas particulier : l'apologie du terrorisme, plus durement sanctionné depuis la loi de novembre 2014 sur la lutte contre le terrorisme. Le texte, mis en application ces derniers jours, prévoit que des propos d'apologie du terrorisme puissent être condamnés en comparution immédiate, renforce les peines encourues, et considère comme un fait aggravant le fait que ces propos soient tenus sur Internet. La même loi introduisait également la possibilité d'un blocage administratif - c'est à dire sans validation a priori par un juge - des sites de propagande djihadiste, une mesure fortement dénoncée par les défenseurs de la liberté d'expression.  

En résumé, la liberté d'expression ne permet pas d'appeler publiquement à la mort d'autrui, ni de faire l'apologie de crimes de guerre, crimes contre l'humanité, ni d'appeler à la haine contre un groupe ethnique ou national donné. On ne peut pas non plus user de la liberté d'expression pour appeler à la haine ou à la violence envers un sexe, une orientation sexuelle ou un handicap.

Le droit d'expression est sous un régime « répressif » : on peut réprimer les abus constatés, pas interdire par principe une expression avant qu'elle ait eu lieu. Mais si une personne, une association ou l'Etat estime qu'une personne a outrepassé sa liberté d'expression et tombe dans un des cas prévus dans la loi, elle peut poursuivre en justice. En clair, c'est aux juges qu'il revient d'apprécier ce qui relève de la liberté d'expression et de ce qu'elle ne peut justifier. Il n'y a donc pas de positionnement systématique, mais un avis de la justice au cas par cas.

2. La particularité des réseaux sociaux

Le droit français s'applique aux propos tenus par des Français sur Facebook ou Twitter. Mais ces services étant édités par des entreprises américaines, ils ont le plus souvent été conçus sur le modèle américain de la liberté d'expression, beaucoup plus libéral que le droit français. Aux Etats-Unis, le premier amendement de la Constitution, qui protège la liberté d'expression, est très large. De nombreux propos condamnés en France sont légaux aux Etats-Unis.

Les services américains rechignent donc traditionnellement à appliquer des modèles très restrictifs, mais se sont adaptés ces dernières années au droit français. Twitter a ainsi longtemps refusé de bloquer ou de censurer des mots-clés antisémites ou homophobes, avant de nouer un partenariat avec des associations pour tenter de mieux contrôler ces propos.

De son côté, Facebook applique une charte de modération plus restrictive, mais les propos qui y sont contraires ne sont supprimés que s'ils sont signalés par des internautes, et après examen par une équipe de modérateurs.

Lire : Quels risques juridiques pour les utilisateurs de réseaux sociaux ?

3. Le cas complexe de l'humour

La liberté d'expression ne permet donc pas de professer le racisme, qui est un délit, de même que l'antisémitisme. On ne peut donc pas imprimer en « une » d'un journal « il faut tuer untel » ou « mort à tel groupe ethnique », ni tenir ce genre de propos publiquement. Néammoins, les cas de Dieudonné ou de Charlie Hebdo ont trait à un autre type de question, celle de l'humour et de ses limites.

La jurisprudence consacre en effet le droit à l'excès, à l'outrance et à la parodie lorsqu'il s'agit de fins humoristiques. Ainsi, en 1992, le tribunal de grande instance de Paris estimait que la liberté d'expression « autorise un auteur à forcer les traits et à altérer la personnalité de celui qu'elle représente », et qu'il existe un « droit à l'irrespect et à l'insolence », rappelle une étude de l'avocat Basile Ader.

Néammoins, là encore, il appartient souvent aux juges de décider ce qui relève de la liberté de caricature et du droit à la satire dans le cadre de la liberté d'expression. Un cas récent est assez éclairant : le fameux « casse-toi, pauv' con ! ». Après que Nicolas Sarkozy a lancé cette formule à quelqu'un qui avait refusé de lui serrer la main, un homme avait, en 2008, acueilli l'ancien chef de l'Etat avec une pancarte portant la même expression.

Arrêté, il avait été condamné pour « offense au chef de l'Etat » (délit supprimé depuis). L'affaire était remontée jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme. En mars 2013, celle-ci avait condamné la France, jugeant la sanction disproportionnée et estimant qu'elle avait « un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des questions d'intérêt général ».

Plus proche des événements de la semaine précédente, en 2007, Charlie Hebdo devait répondre devant la justice des caricatures de Mahomet qu'il avait publiées dans ses éditions. A l'issue d'un procès très médiatisé, où des personnalités s'étaient relayées à la barre pour défendre Charlie Hebdo, le tribunal avait jugé que l'hebdomadaire avait le droit de publier ces dessins :

« Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre à la liberté d'expression et de communication des pensées et des opinions (…) ; attendu qu'ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal “Charlie Hebdo”, apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d'offenser directement et gratuitement l'ensemble des musulmans ; que les limites admissibles de la liberté d'expression n'ont donc pas été dépassées (…) »

On peut donc user du registre de la satire et de la caricature, dans certaines limites. Dont l'une est de ne pas s'en prendre spécifiquement à un groupe donné de manière gratuite et répétitive.

Autre époque, autre procès : en 2005, Dieudonné fait scandale en apparaissant dans une émission de France 3 grimé en juif ultrareligieux. Il s'était alors lancé dans une diatribe aux relents antisémites. Poursuivi par plusieurs associations, il avait été relaxé en appel, le tribunal estimant qu'il restait dans le registre de l'humour.

En résumé, la loi n'interdit pas de se moquer d'une religion - la France est laïque, la notion de blasphème n'existe pas en droit - mais elle interdit en revanche d'appeler à la haine contre les croyants d'une religion, ou de faire l'apologie de crimes contre l'humanité – c'est notamment pour cette raison que Dieudonné a régulièrement été condamné, et Charlie Hebdo beaucoup moins.

4. « Charlie », habitué des procès

Il faut rappeler que Charlie Hebdo et son ancêtre Hara-Kiri ont déjà subi les foudres de la censure. Le 16 novembre 1970, à la suite de la mort du général de Gaulle, Hara-Kiri titre : « Bal tragique à Colombey : 1 mort », une double référence à la ville du Général et à un incendie qui avait fait 146 morts dans une discothèque la semaine précédente. Quelques jours plus tard, l'hebdomadaire est interdit par le ministère de l'intérieur, officiellement à l'issue d'une procédure qui durait depuis quelque temps. C'est ainsi que naîtra Charlie Hebdo, avec la même équipe aux commandes.

L'hebdomadaire satirique était régulièrement devant la justice à la suite à des plaintes quant à ses « unes » ou ses dessins : environ 50 procès entre 1992 et 2014, soit deux par an environ. Dont certains perdus.

5. Dieudonné, humour ou militantisme ?

Dans le cas de Dieudonné, la justice a été appelée à plusieurs reprises à trancher. Et elle n'a pas systématiquement donné tort à l'humoriste. Ainsi a-t-il été condamné à plusieurs reprises pour « diffamation, injure et provocation à la haine raciale » (novembre 2007, novembre 2012), ou pour « contestation de crimes contre l'humanité, diffamation raciale, provocation à la haine raciale et injure publique » (février 2014).

Lorsqu'en 2009 il fait venir le négationniste Robert Faurisson sur scène pour un sketch où il lui faisait remettre un prix par un homme déguisé en détenu de camp de concentration, il est condamné pour « injures antisémites ». Mais dans d'autres cas, il a été relaxé : en 2004 d'une accusation d'apologie de terrorisme, en 2007 pour un sketch intitulé « Isra-Heil ». En 2012, la justice a refusé d'interdire un film du comique, malgré une plainte de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).

En plaidant pour l'interdiction de ses spectacles fin 2013, le gouvernement Ayrault avait cependant franchi une barrière symbolique, en interdisant a priori une expression publique. Néanmoins, le Conseil d'Etat, saisi après l'annulation d'une décision d'interdiction à Nantes, lui avait finalement donné raison, considérant que « la mise en place de forces de police ne [pouvait] suffire à prévenir des atteintes à l'ordre public de la nature de celles, en cause en l'espèce, qui consistent à provoquer à la haine et la discrimination raciales ». « On se trompe en pensant qu'on va régler la question à partir d'interdictions strictement juridiques », estimait alors la Ligue des droits de l'homme.

 


 

 

 

 
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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 15:54

 

Source : www.bastamag.net

 

 

 

Le jour d’après

Après l’émotion et la mobilisation, quels défis pour la société française et la défense des libertés dans le monde ?

par Agnès Rousseaux, Ivan du Roy 13 janvier 2015

 

 

 

 

 

 

Difficile de trouver les mots après les événements tragiques des derniers jours et l’immense mobilisation citoyenne. La solidarité, l’émotion collective, la détermination, succèdent à l’horreur. L’agacement aussi parfois, la peur, les amalgames, les hypocrisies, les tentatives de récupération. Face à la complexité de la situation et de ses implications, l’analyse n’est pas simple : nous avons donc choisi quelques thèmes pour tenter de comprendre ce qui se joue ici. Pour tenter d’extraire du sens de cette avalanche de commentaires, d’analyses, d’expressions, de polémiques en devenir. Pour jouer aussi notre rôle de veilleurs, vigilants sur les conséquences de ces événements, sur ce que sera la France, le jour d’après.

Plus de trois millions de Français sont descendus dans la rue dimanche. Une mobilisation sans précédent. A Paris, deux millions de personnes ont marché en hommage aux victimes des attaques terroristes. Ils étaient 300 000 à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 110 000 à Grenoble, 70 000 à Clermont-Ferrand, 115 000 à Rennes, et un nombre impressionnant aussi dans les petites villes et villages… Une cinquantaine de chefs d’État étaient présents aux côtés de François Hollande dans les rues de Paris [1].

Une mobilisation inédite, où l’on aura vu la foule applaudir au passage des fourgons de police. Où l’on aura défilé contre le terrorisme, pour la liberté de la presse, la liberté d’expression, en hommage à des journalistes, à des policiers, à la mémoire des victimes d’un crime antisémite. En pensant aussi à tous ceux qui demain devront supporter les conséquences de ces événements. En premier lieu les musulmans, qui, dans le grand bazar des amalgames, sont déjà la cible de plusieurs actes islamophobes un peu partout sur le territoire (lire notre article). Difficile de trouver les mots pour décrire cette mobilisation. Entre émotion face aux événements tragiques et à ce réveil citoyen, et agacement face à un unanimisme construit par nos dirigeants. Entre un événement qui laisse sans voix, et qui suscite pourtant une avalanche de commentaires, le besoin de parler, discuter, échanger, analyser.

Une question est sur toutes les lèvres : « Et demain ? ». Que sera la France, le jour d’après ? Voici quelques mots pour tenter de comprendre. Et pour inviter à la vigilance.

Peur. Une phrase circule, reprise un peu partout. Celle de Fabian Stang, maire d’Oslo, après la tuerie de l’île Utøya perpétrée par le néo-nazi Anders Breivik en 2011, qui a fait 69 morts : « Nous allons punir le coupable. La punition, ce sera plus de générosité, plus de tolérance, plus de démocratie. » Dimanche, dans les mobilisations, un message fort : « Nous n’avons pas peur », la peur ne passera pas. Saurons-nous transformer cela en une exigence de plus de démocratie et de tolérance en France ? Ou verrons-nous une énième loi liberticide être votée au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme ?

Terrorisme. Certains comparent cet évènement au 11 septembre 2001, une raison de plus pour s’interroger sur la façon dont les États-Unis ont répondu à cet événement en instaurant le Patriot Act. Évitons de reproduire les mêmes erreurs.

Patrick Viveret, philosophe : « L’extension du terrorisme alimenté par le fanatisme qu’exprime aujourd’hui Daesh est en effet une conséquence directe de la politique conduite par l’administration Bush en réponse aux attentats du 11 septembre. Le désastre de cette politique est patent tant à l’extérieur des États-Unis qu’à l’intérieur. D’un côté c’est le double échec de l’intervention militaire en Afghanistan qui conduit aujourd’hui au retour en force des talibans, et, plus encore, en Irak dont la désagrégation a permis la création d’un État terroriste qui instrumente l’Islam pour habiller ses crimes d’une justification prétendument religieuse.

De l’autre, à l’intérieur, ce sont les atteintes majeures aux libertés organisées par le Patriot Act, les crimes contre l’humanité commis dans les camps de torture organisés par la CIA, les logiques de peur et de repli identitaires qui conduisent aux régressions racistes malgré la présence historique d’un président noir à la maison blanche. Autant dire que ce sont les valeurs fondamentales de l’Amérique qui sont aujourd’hui menacées beaucoup plus efficacement par les conséquences de la politique de Bush que par l’attentat organisé par Ben Laden. Il en serait de même si, par malheur, une France saisie par ce que Wilhem Reich nommait "la peste émotionnelle", se laissait embarquer dans une double logique de guerre extérieure et intérieure, la première alimentant d’autant plus la seconde. » (…) « une logique de peur et de repli identitaire faciliterait encore davantage la lepénisation des esprits. Ce serait pour nos amis de Charlie une seconde mort » [2].

Alors que le gouvernement annonce déjà vouloir étudier de nouvelles mesures législatives, La Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, avertit : « Depuis 1986 chaque acte terroriste a été suivi d’une loi antiterroriste, lesquelles entraînent systématiquement un recul des libertés fondamentales au prétexte de la sécurité. Aujourd’hui, la dernière loi votée en novembre n’est même pas encore entrée en application que le gouvernement en annonce déjà de nouvelles, sans prendre le moindre temps de réflexion ou de mise à l’épreuve de la réalité, des effets ou de l’efficacité de ces lois. »

Guerre. Si la portée d’un acte terroriste se mesure à la réaction de la victime, par ces mobilisations, nous donnons aussi de la puissance à cet acte. Mais il ne s’agit pas de tomber dans les délires de ceux qui y voient une déclaration de guerre. Ceux qui voudraient nous entrainer sur le terrain de la guerre de civilisation. Ceux qui emploient des formules toute faites pour empêcher de penser, « renvoyant de manière calamiteuse aux déclarations de George Bush et des faucons américains au lendemain du 11-Septembre » (Médiapart). Un attentat perpétré par des fous au nom de la religion, par quelques individus au nom d’une idéologie, ne peut être assimilé à une guerre. « Les frères Kouachi, Coulibaly, comme Merah, ne sont pas plus musulmans qu’islamistes. Ils sont des Français, passés par la délinquance et la case prison avant de s’enfermer dans une radicalisation terroriste habillée de quelques minables oripeaux idéologiques », analysent François Bonnet et Edwy Plenel.

 

 

Prisons. Chérif et Saïd Kouachi, Amédy Coulibaly, mais aussi Mohamed Merah – qui a assassiné sept personnes, dont trois enfants de confession juive et trois militaires (dont deux de confession musulmane) –, Mehdi Nemmouche – auteur présumé de l’attaque contre le Musée juif de Belgique qui a tué quatre personnes le 24 mai 2014 à Bruxelles – et Khaled Kelkal – membre du Groupe islamique armé (GIA) algérien et impliqué dans la vague d’attentats qui touche la France en 1995 et fait dix morts (huit victimes lors de l’attentat à la bombe du RER B à Saint-Michel, un imam et son assistant assassinés dans le 18ème arrondissement) et 200 blessés – se sont tous radicalisés en prison, au contact de militants islamistes, après avoir sombré ou flirté avec la petite délinquance.

Cela pose crûment la question du rôle de l’institution carcérale dans la société française. La prison est considérée comme la réponse pénale prioritaire face à la petite délinquance, à ceux qui récidivent. Fin décembre, 67 105 personnes étaient incarcérées en France, dont une sur quatre n’ont pas encore été jugées (17 526 prévenus). Pourquoi est-elle le lieu privilégié de la radicalisation menant à de dramatiques passages à l’acte ? Comment l’éviter ? Comment ouvrir d’autres horizons que cette radicalisation à des jeunes gens condamnés pour des délits de droit commun, alors que les actions de prévention et de luttes contre la récidive, autre que l’emprisonnement, ont été décriées depuis tant d’années ?

Désolidarisation. Le jour même de l’attentat contre Charlie Hebdo, certains enjoignent les Français de confession musulmane à réaffirmer leur attachement aux valeurs de la République. Comment ne pas voir la violence de cette injonction à la désolidarisation ? Comme si, parce qu’on est musulman, on pouvait être a priori solidaire de cet attentat. Demande-t-on aux Français de confession chrétienne, à tous les Français, de se désolidariser des actes islamophobes perpétrés depuis quelques jours ? Sans compter l’absurdité qu’il y a à renvoyer publiquement des citoyens français à leur islamité, alors qu’on leur demande chaque jour de mettre cette part de leur identité en sourdine, de ne l’exprimer que dans l’intimité. Une telle injonction à la désolidarisation fait bien sûr le jeu de l’extrême droite, mais aussi de l’islamisme, par les amalgames qu’il génère, la souffrance ou l’exaspération légitime qu’il provoque chez ceux qui sont visés, sommés de donner des gages de leur appartenance à la communauté française, de leur citoyenneté.

« Comment les musulmans pourraient-ils se dissocier d’actes auxquels ils ne se sont jamais associés ? Pourquoi les musulmans auraient-ils à se dissocier de leurs bourreaux ? », écrivent des responsables de collectifs et réseaux citoyens des quartiers populaires et de lutte contre les discriminations. Le fait que plusieurs victimes soient de confession musulmane renforce l’absurdité de cette injonction.

« Peut-être que la plupart des musulmans sont pacifiques, mais jusqu’à ce qu’ils reconnaissent et détruisent leur cancer djihadiste, ils doivent être tenus pour responsables », ose affirmer le milliardaire états-unien Rupert Murdoch le 10 janvier sur Twitter. En réponse à ces propos islamophobes, J.K. Rowling, auteur de la série Harry Potter, rétorque : « Je suis née chrétienne. Si cela me rend responsable de ce que dit Murdoch, je m’auto-excommunie. »

Amalgame. Tout cela nourrit l’amalgame. En témoigne la stigmatisation que subissent les jeunes de Seine-Saint-Denis, pointés du doigt lors de quelques perturbations de la minute de silence, organisée le 9 janvier en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo.

Marie, enseignante en Seine-Saint-Denis : « Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.
Pas d’amalgame, dit-on. Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître.
Oui, il y a des connards en Seine Saint-Denis. Oui, il y en a qui sont bien contents que Charb se soit pris une balle dans la tête. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas pour ces attentats. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas d’accord avec l’intégrisme islamiste. C’est même le contraire. Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu « Liberté » de Paul Eluard en sanglotant.
En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne. Pendant ce temps-là, des Musulmans et des Musulmanes se font agresser. Des mosquées sont incendiées, taguées, injuriées. »
(Pour mes élèves de Seine Saint-Denis, 10 janvier 2015).

Démocratie. Certains commentateurs soulignent l’importance de continuer à débattre. A dire qu’on peut ne pas être d’accord avec les positions de Charlie, à trouver certaines caricatures malvenues. Car la démocratie, c’est cela : la possibilité de la critique, du débat, de l’engueulade, du désaccord.

 

 

Abdelkrim Branine, rédacteur en chef de Beur FM : « Pour la petite minorité de crapules qui disent que Charlie Hebdo a pu mériter ce qui est arrivé, je laisse faire la justice. Ceux qui disent « Je ne suis pas Charlie » le font parfois de façon maladroite, mais il faut les écouter. Il ne faut pas faire de chantage intellectuel et dire comme le président George W. Bush : « Vous êtes avec nous ou contre nous ». Ils veulent simplement dire qu’ils n’étaient pas d’accord avec Charlie Hebdo, sa manière de traiter l’islam et les musulmans. Plus que le fait, réputé sacrilège, de caricaturer le prophète Mahomet, c’est un dessin le montrant avec une bombe dans son turban qui a choqué [en fait un dessin du quotidien danois Jyllands-Posten, republié en 2006]. Il s’apparentait à de l’islamophobie en liant islam et terrorisme. Mais ces désaccords, dans le cas de la tuerie qui a touché Charlie Hebdo, ne comptent pas. Et on n’a pas besoin de dire « Je suis Charlie » pour partager la peine des familles. » [3]

Solidarité internationale. Afghanistan, Algérie, Égypte, Irak, Kurdistan, Mali, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie… Les fronts où la bataille politique se mène contre le totalitarisme islamiste sont nombreux. Des mouvements sociaux y luttent de manière non violente pour les droits et l’émancipation. Et leurs ennemis sont multiples : les groupes armés se réclamant du djihad et de l’islam fondamentaliste mais aussi des dictatures, des régimes autoritaires, des lois répressives, des troupes d’occupation militaire. Il n’y a qu’à constater la périlleuse situation des médias et blogs indépendants du Moyen Orient qui tentent, malgré les risques d’assassinats, d’emprisonnements, de tortures, de châtiments corporels, d’informer – lumières vacillantes en faveur de la liberté d’expression.

Nombre de ces mouvements sont en contact avec des associations et des ONG françaises et européennes. Et ont besoin de leur soutien, comme l’a montré le rôle important qu’a joué l’organisation du Forum social mondial à Tunis en 2013 (lire notamment ici), après le renversement de la dictature Ben Ali, et qui se tiendra à nouveau dans la capitale tunisienne fin mars 2015. Mais ce combat, ces engagements, ces solidarités concrètes ne sont pas suffisamment visibles. Ni la bataille contre le totalitarisme fondamentaliste qui doit être érigé en priorité au même titre que d’autres indispensables combats, y compris sur le sol européen.

Vivre-ensemble. Lorsque l’émotion sera retombée, que les esprits seront un peu apaisés, il faudra prendre le temps de l’analyse de ce qui nous a amenés à ça. Une auto-critique lucide et sans complaisance, le bilan de ces années de démission politique. Pourquoi des gamins paumés aujourd’hui en France se font embrigader ? Pourquoi des jeunes partent faire le djihad en Syrie ? Faire le bilan de ces corps intermédiaires qui se délitent, des associations qui n’ont plus les moyens de faire leur travail sur le terrain. Se demander pourquoi, parfois, nous ne sommes plus capables de penser le vivre-ensemble, de manière sereine. Il ne s’agit pas seulement d’embrigadement religieux, mais aussi comprendre pourquoi tant de jeunes choisissent de se fourvoyer dans des idéologies basées sur la négation de l’autre et le rejet de son humanité, notamment à l’extrême-droite.

Catherine Robert, Isabelle Richer, Valérie Louys et Damien Boussard, professeurs en Seine-Saint-Denis : « Si les crimes perpétrés par ces assassins sont odieux, ce qui est terrible, c’est qu’ils parlent français, avec l’accent des jeunes de banlieue. Ces deux assassins sont comme nos élèves. Le traumatisme, pour nous, c’est aussi d’entendre cette voix, cet accent, ces mots. Voilà ce qui nous a fait nous sentir responsables. Évidemment, pas nous, personnellement : voilà ce que diront nos amis qui admirent notre engagement quotidien. Mais que personne, ici, ne vienne nous dire qu’avec tout ce que nous faisons, nous sommes dédouanés de cette responsabilité. Nous, c’est-à-dire les fonctionnaires d’un État défaillant, nous, les professeurs d’une école qui a laissé ces deux-là et tant d’autres sur le bord du chemin des valeurs républicaines, nous, citoyens français qui passons notre temps à nous plaindre de l’augmentation des impôts, nous contribuables qui profitons des niches fiscales quand nous le pouvons, nous qui avons laissé l’individu l’emporter sur le collectif, nous qui ne faisons pas de politique ou raillons ceux qui en font, etc. : nous sommes responsables de cette situation. Ceux de Charlie Hebdo étaient nos frères : nous les pleurons comme tels. Leurs assassins étaient orphelins, placés en foyer : pupilles de la nation, enfants de France. Nos enfants ont donc tué nos frères. Tragédie. Dans quelque culture que ce soit, cela provoque ce sentiment qui n’est jamais évoqué depuis quelques jours : la honte. » (...)

« Personne, dans les médias, ne dit cette honte. Personne ne semble vouloir en assumer la responsabilité. Celle d’un État qui laisse des imbéciles et des psychotiques croupir en prison et devenir le jouet des pervers manipulateurs, celle d’une école qu’on prive de moyens et de soutien, celle d’une politique de la ville qui parque les esclaves (sans papiers, sans carte d’électeur, sans nom, sans dents) dans des cloaques de banlieue. Celle d’une classe politique qui n’a pas compris que la vertu ne s’enseigne que par l’exemple. »  [4]

Récupérations. Nous ne sommes pas tous Charlie. Certains aimeraient se convaincre qu’ils le sont. En témoigne la présence dans la manifestation dimanche de dictateurs venus défiler au nom de ce qu’ils bafouent chaque jour. Reporters sans frontières « s’indigne de la présence à la “marche républicaine” à Paris de dirigeants de pays dans lesquels les journalistes et les blogueurs sont systématiquement brimés, tels l’Egypte, la Russie, la Turquie, l’Algérie et les Émirats arabes unis. Au classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respectivement 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180 ». Willem, un des dessinateurs de Charlie Hebdo, ironisait dans un journal néerlandais : « Ça me fait bien rien rire. Nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, disent être nos amis. »


 

Hypocrisie. Le communiqué absurde du ministère des affaires étrangères du Maroc, annonçant sa présence à la manifestation, qui précise : « Au cas où des caricatures du Prophète — prière et salut sur Lui —, seraient représentées pendant cette marche, le ministre des affaires étrangères et de la coopération ou tout autre officiel marocain ne pourraient y participer ». L’Arabie Saoudite, qui dénonce la « couardise » de ces assassinats, alors que débute la flagellation du blogueur libéral Raïf Badawi, condamné à 1000 coups de fouet pour avoir critiqué le clergé wahhabite.

Karim Émile Bitar, directeur de rechercher à l’IRIS : « Il est pour le moins ironique de voir une cinquantaine de chefs d’État, dont une belle brochette de chantres de l’autoritarisme, venir honorer des journalistes issus pour la plupart d’un courant de pensée de la gauche radicale, anarchiste et libertaire, hostile à toutes les formes d’État et d’autorités. Tristement ironique également d’assister depuis quelques jours à ce festival de tartufferies, qui aurait donné la nausée, ou peut-être aussi amusé, les victimes de la tuerie. »

Efforts. Non, tous les médias ne sont pas Charlie. Beaucoup de médias proclament qu’ils n’arrêteront pas le combat. Mais quel combat ? Celui pour la liberté de la presse ? Le combat pour faire vivre des médias indépendants des pouvoirs économiques et politiques ? Comment être à la hauteur de l’insolence de Charlie, de sa liberté de ton, de son irrévérence ? Alors que défilent des millions de personnes pour défendre la liberté de la presse, les médias sauront-ils se saisir de cet attachement renouvelé pour s’interroger, loin de la course au scoop, de la priorité à l’émotion et au spectaculaire, des commentaires stériles sur l’actualité ? Sauront-ils demain être à la hauteur de l’attente aujourd’hui suscitée ? A quoi sert la liberté de la presse si elle est mal utilisée ?

Conscience. Si nous sommes Charlie, citoyens debout pour la défense des libertés, nous ne pouvons rester indifférents à ce qui se joue dans le monde. Notamment au Nigeria, là où les massacres perpétrés par le groupe Boko Haram se sont multipliés ces derniers jours et ont plongé le pays dans l’horreur. Une quinzaine de villages ont été attaqués en quelques jours, « des centaines de corps jonchant le sol », décrivent les rares survivants. Si nous sommes Charlie, en conscience, nous ne pouvons pas fermer les yeux. Et faire comme si rien, ici, n’avait changé. Notre indignation, notre colère, notre mobilisation, ne peuvent pas être sélectives.

Agnès Rousseaux et Ivan du Roy

@AgnèsRousseaux
@IvanduRoy

Photos : CC Roel Wijnants (une) / CC Emilien Etienne (11 janvier à Paris) / CC Gwenaël Piaser (11 janvier à Paris) / CC Valentina Media (7 janvier à Bruxelles)

 

Notes

[1La chancelière Angela Merkel, le Britannique David Cameron, l’Espagnol Mariano Rajoy, l’Italien Matteo Renzi, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita...

[2Source, Libération, 11 janvier 2015.

[3Source : « Il faut écouter ceux qui disent “Je ne suis pas Charlie” », Le Monde.

[4Source.


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Source : www.bastamag.net

 

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 15:18

 

 

  Source : www.mediapart.fr

 

Dialogue social : le droit du travail est en péril

|  Par Laurent Mauduit

 

 

À l'occasion d'une ultime séance de négociations avec les syndicats, les 15 et 16 janvier, le Medef aimerait faire entériner un projet qui démantèlerait le système actuel de représentation des salariés au sein des entreprises, comme le suggérait dès 2008 le rapport Attali-Macron, largement repris par le projet Macron examiné au Parlement.

Si d’aventure le Medef parvient à ses fins, ce qui est loin d’être improbable, compte tenu du soutien dont il profite actuellement jusqu'au sommet de l’État, ce sera une régression sociale majeure : dans le cadre de ses négociations avec les syndicats sur la modernisation du dialogue social, qui reprennent les jeudi 15 et vendredi 16 janvier, le patronat défend un projet qui vise à mettre à bas tout le système actuel de représentation des salariés au sein des entreprises, organisé autour des délégués du personnel, des comités d’entreprise (CE) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), pour y substituer une instance unique, le conseil d’entreprise. La réforme, si elle aboutit, aurait des incidences majeures sur la démocratie sociale au sein des entreprises, sur le droit des salariés et de leurs représentants, mais bafouerait aussi certains des principes fondateurs de la République.

Pour l’heure, il est encore impossible de savoir si cette ultime séance de négociation entre les partenaires sociaux a des chances d’aboutir. Car même si certaines confédérations, dont la CFDT, semblent disposées à avaliser cette régression sociale majeure, en contrepartie de modestes compensations, le mouvement syndical est divisé sur la question. Et au sein même du patronat, toutes les organisations ou fédérations ne parlent pas d’une même voix. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la réunion, qui devait initialement se tenir les 18 et 19 décembre, a été reportée aux 15 et 16 janvier, le temps pour le patronat de mettre de l’ordre dans ses rangs et de trouver un consensus, notamment sur la question de la représentation des salariés dans les entreprises de moins de 11 salariés, qui est l’une des pommes de discorde.

Mais enfin ! Le Medef sait qu’avec ce gouvernement socialiste – qui conduit une politique économique et sociale par bien des aspects beaucoup plus à droite encore que celle impulsée par Nicolas Sarkozy sous le précédent quinquennat –, il profite de circonstances politiques exceptionnelles pour dynamiter les règles anciennes du dialogue social au sein des entreprises. Car ce projet de refonte du dialogue social s’intègre à une politique d’ensemble, qui vise à démanteler, sous le faux prétexte d’une meilleure compétitivité des entreprises, des pans entiers du Code du travail.

Avant d’examiner les coups de boutoirs successifs qui ont été portés depuis 2012 au Code du travail, voyons ce que contient ce projet du Medef. Voici sa dernière mouture, en date du 11 décembre 2014. On peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :

 

 

À la lecture de ce document, on comprend d'emblée que le projet du Medef contient effectivement une disposition majeure, affichée en son article 2 : « Le conseil d’entreprise est l’instance unique de représentation du personnel. » En clair, cette nouvelle instance unique reprend « les prérogatives et moyens des délégués du personnel » dans les entreprises qui comprennent entre 11 et 490 salariés, comme le précise l’article 2.1.3.

Et pour les entreprises qui comprennent plus de 50 salariés et sont actuellement soumises, dès qu’elles franchissent ce seuil des 50, à l’obligation de créer un comité d’entreprise et un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ce serait un véritable big bang. Ce conseil d’entreprise se substituerait aux trois institutions actuelles de représentation du personnel que sont les délégués du personnel, les CE et les CHSCT. Et si ce projet devait aboutir, il s’agirait d’une révolution majeure. Ou plutôt d’une contre-révolution sociale sans précédent dans l’histoire contemporaine du mouvement social en France.

L’intitulé même de cette nouvelle institution, le « conseil d’entreprise », résume la philosophie du projet. Il s’agit de remettre purement et simplement en cause le principe démocratique selon lequel les salariés peuvent disposer d’institutions qui les représentent au sein des entreprises pour reléguer ces institutions à une simple fonction de « conseil ». C’est ce qu’explique très bien un avocat spécialiste du droit du travail, Me Samuel Gaillard, dans un remarquable point de vue, publié par Miroir social. On peut le consulter ici : Enjeu des négociations sur la modernisation du dialogue social : une déflagration sans précédent.

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 remis en cause

Dans le cas des comités d’entreprise, qui seraient donc supprimés, la loi actuelle définit de manière très précise les fonctions qu'ils doivent assumer. Le Code du travail, notamment dans son article L2323, alinéas 1 à 5, stipule en particulier que le comité d’entreprise a donc non pas une fonction de conseil, mais, dans une logique radicalement opposée, qu'il « a pour objet d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ».

En somme, le Code du travail entérine le fait qu’employeurs et salariés n’ont pas nécessairement des intérêts communs, et que ces derniers, les salariés, ont en tout cas des intérêts spécifiques, sinon même opposés – et qu'ils peuvent donc légitimement avoir des institutions propres qui les représentent. D’où tous les pouvoirs qui sont conférés par le Code du travail aux comités d’entreprise, et qui sont présentés de manière didactique sur Service public, le site internet officiel de l’administration française. Lisons ce que rappelle ce site : « Le CE assure l'expression collective des salariés. Il permet la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la vie dans l'entreprise. » Le Code du travail codifie aussi de manière très stricte les obligations auxquelles sont soumis les employeurs en matière d’information et de consultation des CE, lesquels peuvent aussi, en cas de situation de difficultés de l’entreprise, exercer un droit d’alerte et demander des explications à l’employeur – qui est obligé de les fournir –, une expertise auprès des tribunaux, ou encore la récusation des commissaires aux comptes, sans parler des missions sociales et culturelles des mêmes CE.

Avec le projet du Medef, c’est donc la philosophie même du Code du travail qui serait bouleversée. Et tous ces droits attachés aux comités d’entreprise seraient anéantis. Me Gaillard en conclut donc, et il a malheureusement raison, que ce sont les valeurs mêmes de la République qui seraient mises en cause : « C’est ainsi que tout l’esprit du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 vole en éclats et que l’on assiste à un retour en arrière à la IIIe République », déplore-t-il. Les articles du Code du travail qui sont directement menacés par le projet patronal ne sont en effet que la retranscription de l’article 8 de ce préambule de la Constitution du 27 septembre 1946, qui édicte ce principe qui a valeur constitutionnelle : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »

On pourrait d’ailleurs tout autant observer que ce projet patronal constituerait aussi une remise en cause de nombreux autres textes fondateurs. À l’évidence, il est ainsi également en contradiction avec l’article 21 et plus encore avec l’article 22 de la Charte sociale européenne (que l’on peut consulter ici), qui garantit « l'exercice effectif du droit des travailleurs de prendre part à la détermination et à l'amélioration des conditions de travail et du milieu du travail dans l'entreprise ». Comme il constituerait une remise en cause d’une importante directive européenne, celle du 11 mars 2002, que l’on peut consulter ici.

En quelque sorte, ce projet vise à nier que les salariés puissent avoir des intérêts spécifiques à défendre – et profiter de garanties légales pour pouvoir le faire. Vieux projet réactionnaire qui fleure bon l’association capital-travail qui, depuis des lustres, a ses défenseurs dans les milieux patronaux – et pas seulement !

Une autre disposition du projet vient confirmer qu’il s’agirait bel et bien d’une régression sociale majeure, si le Medef parvenait à ses fins. Il s’agit de la disposition qui conduit à la quasi-disparition des CHSCT. Comme le rappelle le site internet du ministère de l’emploi (on peut le consulter ici), la constitution d’un CHSCT est une obligation légale dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Ce sont les lois Auroux, en 1982, qui ont apporté ces nouveaux droits aux salariés. Une haut fonctionnaire y avait à l’époque beaucoup contribué : il s’agissait de la directrice du travail de l’époque, une dénommée… Martine Aubry.

La mise à mort programmée des CHSCT

Or, dans le projet du Medef, les CHSCT ne résulteraient plus d’une obligation légale dans les entreprises de plus de 50 salariés mais seraient seulement facultatifs et ne disposeraient pas de leurs prérogatives actuelles. C’est consigné à l’article 2.1.4.1 du projet du Medef : « Le conseil d’entreprise ou d’établissement peut constituer en son sein une commission chargée de l’assister pour l’exercice de ses attributions liées aux questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. Dans les établissements entre 50 et 500 salariés, cette commission est mise en place par accord d’établissement ou d’entreprise. Dans les établissements de 500 salariés et plus, la commission est constituée si plus de la moitié des membres du conseil le demande. »

La formule utilisée dit bien ce qu’elle veut dire. Si une telle commission est mise en place dans les établissements qui comptent entre 50 et 500 salariés « par accord d’établissement ou d’entreprise », cela veut dire clairement que l’existence d’une telle commission dépendrait de la volonté de l’employeur d’approuver un tel accord. Disons les choses de manière plus abrupte : si l’employeur ne veut pas d’une telle commission, elle n’a aucune possibilité de voir le jour.

Or il faut bien mesurer que les CHSCT jouent depuis plus de trente ans un rôle social majeur et que leur disparition aurait des répercussions gravissimes. Au fil des ans, les CHSCT sont devenus au sein des entreprises l’acteur majeur de prévention des risques professionnels et doivent être obligatoirement consultés, notamment, comme le rappelle le site du ministère du travail, « avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, par exemple : avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail ; avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; sur le plan d’adaptation lors de la mise en œuvre de mutations technologiques importantes et rapides ; sur le projet d’introduction et lors de l’introduction de nouvelles technologies sur les conséquences de ce projet ou de cette introduction sur la santé et la sécurité des travailleurs ».

Les CHSCT peuvent aussi « recourir, aux frais de l’employeur, à un expert agréé : 1-lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; 2- en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8 du Code du travail, c’est-à-dire, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ».

La mise à mort des CHSCT, voulue par le Medef, serait donc socialement très préoccupante. « Faut-il rappeler l’explosion des cas de harcèlements, d'épuisement professionnel, d’astreintes jour et nuit et de sous-traitance ? Faut-il rappeler les problématiques récurrentes de TMS, de produits cancérigènes, d’incendies, de bruits, d’agressions physiques, d’accidents de transports, de déménagements effectués pour dégraisser à bon compte les effectifs ? » s’inquiète l’avocat.

L’utilité sociale des CHSCT est méticuleusement décrite par un autre professeur de droit de renom, Pierre-Yves Verkindt (Paris I – Sorbonne) qui, à la demande du ministre du travail, a réalisé un long rapport sur le sujet, rendu public en février 2014. Ce rapport, on peut le télécharger ici ou le consulter ci-dessous :

 

 

Dans ce rapport, le professeur de droit formulait 33 propositions pour rendre l’institution des CHSCT plus démocratique, pour améliorer leur fonctionnement ou la formation de ses membres ou encore mieux encadrer les expertises qu’ils peuvent commanditer. Mais s’il fait toutes ces propositions, qui résonnent comme autant de critiques, c’est précisément parce qu’il juge très précieuse leur existence même. L'ambition du rapport était donc de renforcer les CHSCT et surtout pas de les… supprimer ! Pour comprendre l'importance des CHSCT, on peut également se référer au point de vue récent du directeur général du cabinet Technologia, Jean-Claude Delgènes, publié également par Miroir social : Coup de torchon magistral sur les CHSCT.

Alors, pourquoi le Medef veut-il leur disparition ? La bonne explication, c’est Me Samuel Gaillard qui la donne : « C’est l’arrêt Snecma du 5 mars 2008, la bête noire des employeurs, qui est à l’origine de la volonté du Medef de faire disparaître le CHSCT. » Et il explique : « Par cet arrêt, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel le juge pouvait suspendre la mise en œuvre d’une réorganisation lorsqu’elle était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés, obligation dite de résultat. Il s’agit là d’une jurisprudence essentielle qui, pour la première fois, posait le principe selon lequel le pouvoir de direction de l’employeur, jusqu’ici sans aucune limite, était désormais subordonné au principe d’ordre public de la santé et de la sécurité des salariés. Les décisions d’annulation sont en réalité fort rares, mais il est certain que le CHSCT dispose ainsi, par cet arrêt, d’un réel pouvoir de contrainte vis-à-vis des employeurs, afin d'obliger ceux-ci à respecter leurs obligations de santé et de sécurité des salariés qui sont issues du droit européen. »

L'onde de choc de l'arrêt Snecma

Et l’avocat ajoute : « Le droit européen étant apparemment difficile à changer pour le Medef et les magistrats de la Chambre sociale de la Cour de cassation, il fallait alors supprimer le CHSCT et c’est ce que ce texte vise, d’abord et de manière explicite pour les entreprises de 50 à 500 salariés. Pour les établissements de plus de 500 salariés, c’est une simple commission du conseil d’entreprise qui est prévue par le texte du Medef, mais qui est cantonnée à un rôle croupion “d’assistance” au conseil d'entreprise. Au passage, toutes les prérogatives du CHSCT en matière notamment d’enquête et de danger grave et imminent, qui constituent l'un des socles essentiels de contrôle par le CHSCT de l’activité de l’employeur, sont balayées d’un trait de plume. Désormais, en matière de danger grave et imminent, la procédure n’est pas enclenchée d’office au seul constat d’un danger grave et imminent par un membre du CHSCT. Il faut que le conseil d’entreprise se réunisse et qu’il charge la commission d’effectuer une enquête dans un tel cas. »

Pour quiconque veut comprendre plus avant la grande importance de cet « arrêt Snecma » qu’évoque Me Gaillard, on peut se référer au décryptage qu’il en avait fait à l’époque dans Miroir social (et que l’on peut télécharger ici). L’arrêt lui-même peut être téléchargé ici ou être consulté ci-dessous :

La volonté du patronat de reléguer la représentation des personnels à une fonction purement supplétive est confirmée par une dernière suggestion de son projet, celle qui vise à remettre en cause la possibilité ouverte actuellement aux CE ou CHSCT de recourir à des expertises indépendantes, financières ou sociales. Cette régression est consignée à l’article 4.3.5.2 du projet : « Le choix de l’expert, ainsi que la nature, l’étendue de sa mission et le montant de ses honoraires se font d’un commun accord entre l’employeur et les membres élus du conseil, le cas échéant après un appel d’offres si les délais dans lesquels le conseil doit rendre son avis le permettent. »

Dans cette formulation, chaque mot à son importance. Si le choix se fait « d’un commun accord » entre l’employeur et les membres du conseil d’entreprise, cela veut donc dire là encore, c’est une lapalissade, que l’accord… de l’employeur est nécessaire. En clair, c’est la remise en cause des expertises indépendantes. Plus de rapports indépendants pointant des jongleries financières ! Plus de rapports indépendants pointant des souffrances sociales que l’employeur ne veut pas reconnaître ! Ce serait effectivement une régression sociale considérable.

Et puis, ce projet aurait une autre grave conséquence potentielle. Le remplacement des trois institutions actuelles (DP, CE et CHSCT) par une seule, le conseil d’entreprise, aurait pour conséquence mécanique de réduire de manière spectaculaire le nombre des personnes qui, au sein des entreprises, bénéficient du statut de salarié protégé, un statut très protecteur qui est méticuleusement encadré par le Code du travail.

Alors qu’adviendrait-il de tous les salariés qui ont actuellement une fonction de représentation des salariés dans les entreprises et qui pourraient perdre leur statut de salarié protégé ? Qu’adviendrait-il de tous ceux qui, du fait de ces fonctions, se sont opposés dans le passé, parfois âprement, à leurs patrons ? Il n’est guère besoin d’être grand clerc pour deviner que le projet a aussi ce dessein caché : permettre, dans la foulée, une purge syndicale…

Reste donc une question majeure : comment serait-il concevable qu’un tel nouveau coup de boutoir contre le droit du travail puisse voir le jour ? En fait, il y a deux réponses. La première est que le front syndical ne sera pas forcément uni pour faire capoter le projet patronal. La CFDT, pour ne pas la nommer, pourrait-elle par exemple accepter la philosophie du projet patronal, en contrepartie de garanties, même mineures, sinon illusoires, pour améliorer la représentation des salariés dans les très petites entreprises ?

Mais surtout, le Medef sait sans doute qu’il peut une nouvelle fois compter sur le gouvernement pour qu’il appuie, ouvertement ou en sous-main, son projet. Depuis plusieurs mois, celui-ci ne s’est en effet pas privé de faire valoir que la remise en cause, au moins provisoire, des obligations sociales liées au franchissement des seuils légaux n’était plus pour lui un tabou. À peine installé au ministère du travail, François Rebsamen avait, le premier, donné le ton, à l’occasion d’un entretien avec Le Bien public, le 28 mai 2014 : « Gardons le principe des seuils, à 10 pour créer des délégués du personnel, et à 50 pour le comité d’entreprise, mais suspendons leur enclenchement pendant trois ans (…) Si cela crée de l’emploi, tant mieux, sinon, on remettra les seuils en vigueur et on n’entendra plus l’argument patronal. » Manuel Valls, puis François Hollande, lui avaient emboîté le pas. Dans une interview au Monde, le 20 août, le chef de l’État insistait : « Chacun doit admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous et de réduire les effets de seuil » (lire : Supprimer les seuils sociaux n’aura « aucun effet sur l’emploi »).

Ce projet visant à créer des conseils d'entreprise n'est d'ailleurs pas une lubie récente du patronat : il s'inscrit dans une histoire ancienne qu'il faut connaître pour comprendre pourquoi le Medef semble si sûr de son fait. C'est qu'en fait, le projet était l'une des mesures phares du rapport rédigé en janvier 2008 pour Nicolas Sarkozy par Jacques Attali et son rapporteur… Emmanuel Macron (lire Aux origines de la loi Marcron: un projet néolibéral concocté pour Sarkozy). Dans ce rapport (que l'on peut télécharger ici), il était fait ce commentaire, dans un sous-chapitre intitulé « Assouplir les seuils sociaux » : « Les seuils sociaux constituent aujourd’hui un frein à la croissance et à la création d’emploi. À titre d’exemple, le passage de 49 à 50 salariés entraîne actuellement l’application de 34 législations et réglementations supplémentaires dont le coût représente 4 % de la masse salariale. » Suivait aussitôt la proposition 37 du rapport, ainsi énoncée : « Mettre en place une représentation unique dans toutes les PME de moins de 250 salariés, sous la forme d’un conseil d’entreprise exerçant les fonctions du comité d’entreprise, des délégués du personnel, des délégués syndicaux et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ce conseil d’entreprise serait le lieu privilégié de la négociation. »

Le projet du Medef n'est donc que le décalque de cette proposition du rapport Attali-Macron.

Le projet de loi Macron conforte le projet du Medef

Cette stupéfiante convergence de vue n’est pourtant pas pour surprendre. Car voilà maintenant longtemps que le gouvernement fait valoir que les droits sociaux des salariés sont un frein à la compétitivité des entreprises. C’est la raison pour laquelle il a déjà lourdement pesé pour que les partenaires sociaux entérinent le fameux accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 « sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi » (on peut le télécharger ici). Cet accord avait déjà porté de très violents coups de boutoir contre le Code du travail en facilitant grandement les procédures de licenciement, en échange de contreparties dérisoires.

À l’époque, cet accord dit de flexi-sécurité avait mis en émoi une bonne partie de la gauche, y compris dans les rangs socialistes. C’est dire si le nouveau projet qui se profile, beaucoup plus grave encore que le précédent, risque de faire des vagues, car il accélère brutalement la déréglementation sociale déjà engagée par le gouvernement depuis 2013.

D’autres signes attestent d’ailleurs que le gouvernement travaille dans le même direction. Complétant le projet du Medef qui veut limiter les droits de recours des salariés, François Hollande a ainsi donné son accord à une mesure de très grande importance, la dépénalisation du délit d’entrave. Lors du dernier « Conseil stratégique de l'attractivité », qui se tenait dimanche 19 octobre 2014 à l'Élysée, et auquel avait été conviée une ribambelle de grands patrons étrangers, François Hollande a annoncé la suppression de la peine de prison en cas de délit d'entrave. Actuellement, le Code du travail, en son article L483-1, prévoit une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans pour « toute entrave apportée, soit à la constitution d'un comité d'entreprise, d'un comité d'établissement ou d'un comité central d'entreprise, soit à la libre désignation de leurs membres, soit à leur fonctionnement régulier ».

La disposition visant à remplacer les peines d’emprisonnement par de simples sanctions financières a donc été instillée dans le projet de loi concocté par le ministre l’économie, Emmanuel Macron, dont le Parlement va dans les prochains jours commencer l’examen.

Et puis, dans ce même projet de loi Macron, si controversé, qui arrive devant les députés, a aussi été instillé une autre disposition visant à faciliter encore un peu plus les licenciements collectifs, dans le prolongement des premières dispositions de déréglementation prises exactement dans le même domaine par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, accord qui avait abouti à la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (lire Dans la foulée de l'ANI, la loi Macron veut faciliter les licenciements collectifs).

En somme, il y a une grande cohérence entre les plans du Medef et ceux du gouvernement. Ils s’emboîtent les uns dans les autres et s’inscrivent dans une seule et même philosophie sociale : démanteler le Code du travail au nom de la recherche d’une compétitivité accrue. Le seul problème, pour la gauche, c’est que cette philosophie est à l’exact opposé de celle qu’elle a le plus souvent défendue tout au long de sa longue histoire, comme l’a souligné avec force Pierre Joxe, à l’occasion d’une émission récente « en direct de Mediapart » (lire Pierre Joxe : « Je suis éberlué par cette politique qui va contre notre histoire »).

  Source : www.mediapart.fr

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 14:07

 

Source : blog.mondediplo.net

 

 

Charlie à tout prix ?

mardi 13 janvier 2015, par Frédéric Lordon

Ce texte est tiré d’une intervention à la soirée « La dissidence, pas le silence ! », organisée par le journal Fakir à la Bourse du travail à Paris le 12 janvier 2015.

Lorsque le pouvoir de transfiguration de la mort, ce rituel social qui commande l’éloge des disparus, se joint à la puissance d’une émotion commune à l’échelle de la société tout entière, il est à craindre que ce soit la clarté des idées qui passe un mauvais moment. Il faut sans doute en prendre son parti, car il y a un temps social pour chaque chose, et chaque chose a son heure sociale sous le ciel : un temps pour se recueillir, un temps pour tout dire à nouveau.

Mais qu’on se doive d’abord à la mémoire de ceux qui sont morts n’implique pas, même au plus fort du traumatisme, que toute parole nous soit interdite. Et notamment pour tenter de mettre quelque clarification dans l’inextricable confusion intellectuelle et politique qu’un événement si extrême ne pouvait manquer, en soi, de produire, à plus forte raison sous la direction éclairée de médias qui ne louperont pas une occasion de se refaire la cerise sur le dos de la « liberté d’expression », et de politiques experts en l’art de la récupération.

Disons tout de suite que l’essentiel de cette confusion se sera concentré en une seule phrase, « Je suis Charlie », qui semble avoir tout d’une limpide évidence, quand tant d’implicites à problème s’y trouvent repliés.

« Je suis Charlie ». Que peut bien vouloir dire une phrase pareille, même si elle est en apparence d’une parfaite simplicité ? On appelle métonymie la figure de rhétorique qui consiste à donner une chose pour une autre, avec laquelle elle est dans un certain rapport : l’effet pour la cause, le contenu pour le contenant, ou la partie pour le tout. Dans « Je suis Charlie », le problème du mot « Charlie » vient du fait qu’il renvoie à une multitude de choses différentes, mais liées entre elles sous un rapport de métonymie. Or ces choses différentes appellent de notre part des devoirs différents, là où, précisément, leurs rapports de métonymie tendent à les confondre et à tout plonger dans l’indistinction.

Charlie, ce sont d’abord des personnes humaines, privées – par bonheur, on s’est aperçu rapidement que dire simplement « Charlie » pour les rassembler faisait bon marché de deux policiers, un agent de maintenance, un malheureux visiteur de ce jour là, et puis aussi de cinq autres personnes, dont quatre juives, tuées les deux jours d’après. Sauf à avoir rompu avec toute humanité en soi, on ne pouvait qu’être frappé de stupeur et d’effroi à la nouvelle de ces assassinats.

Mais l’émotion n’a été si considérable que parce qu’il était perceptible à tous que ce qui venait d’être attaqué excédait évidemment les personnes privées. Et voici donc le deuxième sens possible de « Charlie » : Charlie comme métonymie des principes de liberté d’expression, des droits à exprimer sans craindre pour sa sécurité, tels qu’ils sont au cœur de notre forme de vie.

On pouvait donc sans doute se sentir Charlie pour l’hommage aux personnes tuées – à la condition toutefois de se souvenir que, des personnes tuées, il y en a régulièrement, Zied et Bouna il y a quelque temps, Rémi Fraisse il y a peu, et que la compassion publique se distribue parfois d’une manière étrange, je veux dire étrangement inégale.

On pouvait aussi se sentir Charlie au nom de l’idée générale, sinon d’une certaine manière de vivre en société, du moins d’y organiser la parole, c’est-à-dire au nom du désir de ne pas s’en laisser conter par les agressions qui entreprennent de la nier radicalement. Et l’on pouvait trouver qu’une communauté, qui sait retourner ainsi à l’un de ses dénominateurs communs les plus puissants, fait une démonstration de sa vitalité.

Mais les choses deviennent moins simples quand « Charlie » désigne – et c’est bien sûr cette lecture immédiate qui avait tout chance d’imposer sa force d’évidence – quand « Charlie », donc, désigne non plus des personnes privées, ni des principes généraux, mais des personnes publiques rassemblées dans un journal. On peut sans la moindre contradiction avoir été accablé par la tragédie humaine et n’avoir pas varié quant à l’avis que ce journal nous inspirait – pour ma part il était un objet de violent désaccord politique. Si, comme il était assez logique de l’entendre, « Je suis Charlie » était une injonction à s’assimiler au journal Charlie, cette injonction-là m’était impossible. Je ne suis pas Charlie, et je ne pouvais pas l’être, à aucun moment.

Je le pouvais d’autant moins que cette formule a aussi fonctionné comme une sommation. Et nous avons en quelques heures basculé dans un régime de commandement inséparablement émotionnel et politique. Dès ses premiers moments, la diffusion comme traînée de poudre du « Je suis Charlie » a fait irrésistiblement penser au « Nous sommes tous américains » du journal Le Monde du 12 septembre 2001. Il n’a pas fallu une demi-journée pour que cette réminiscence se confirme, et c’est Libération qui s’est chargé de faire passer le mot d’ordre à la première personne du pluriel : « Nous sommes tous Charlie » — bienvenue dans le monde de l’unanimité décrétée, et malheur aux réfractaires. Et puis surtout célébrons la liberté de penser sous l’écrasement de tout dissensus, en mélangeant subrepticement l’émotion de la tragédie et l’adhésion politique implicite à une ligne éditoriale. Ceci d’ailleurs au point de faire à la presse anglo-saxonne le procès de se montrer hypocrite et insuffisamment solidaire (obéissante) quand elle refuse de republier les caricatures. Il fallait donc traverser au moins une mer pour avoir quelque chance de retrouver des têtes froides, et entendre cet argument normalement élémentaire que défendre la liberté d’expression n’implique pas d’endosser les expressions de ceux dont on défend la liberté.

Mais cette unanimité sous injonction était surtout bien faite pour que s’y engouffrent toutes sortes de récupérateurs. Les médias d’abord, dont on pouvait être sûr que, dans un réflexe opportuniste somme toute très semblable à celui des pouvoirs politiques dont ils partagent le discrédit, ils ne manqueraient pas pareille occasion de s’envelopper dans la « liberté de la presse », cet asile de leur turpitude. A l’image par exemple de Libération, qui organise avec une publicité aussi ostentatoire que possible l’hébergement de Charlie Hebdo. Libération, ce rafiot, vendu à tous les pouvoirs temporels, auto-institué dernière demeure de la liberté d’expression ! — peut-être en tous les sens du terme d’ailleurs. Et combien de la même farine derrière Libé pour faire de la surenchère dans le Charlisme ?

« Si cet homme qui, dit-on, riait de tout revenait en ce siècle, il mourrait de rire assurément », écrit Spinoza dans une de ses lettres. Et c’est vrai qu’il y a de quoi rire longtemps à voir ainsi les organes de la soumission à l’ordre social entonner avec autant de sincérité l’air de l’anticonformisme et de la subversion radicale. Rire longtemps... enfin pas trop quand même, car il faudra bien songer un jour à sortir de cette imposture.

Ce sera sans l’aide du pouvoir politique, qui n’a jamais intérêt au dessillement, et à qui l’union nationale a toujours été la plus fidèle des ressources. Union nationale, et même internationale en l’occurrence, dont une version carabinée nous aura été administrée. Fallait-il qu’elle soit incoercible la pulsion récupératrice de François Hollande de se faire reluire à la tête de Paris « capitale du monde » pour convier, de proche en proche, jusqu’à Orban, Porochenko, et puis Netanyahu, Lieberman, etc. de hautes figures morales, connues pour se partager entre défenseurs de la liberté de la presse et amis du dialogue interconfessionnel [1].

Par bonheur, il s’est déjà trouvé suffisamment de voix pour s’inquiéter des usages, ou plutôt des mésusages, que ce pouvoir ne manquera pas de faire d’une mobilisation de masse qu’il s’empressera de considérer comme un mandat.

Espérons qu’il s’en trouvera également pour recommander à quelques éditorialistes un court séjour en cellule de dégrisement, et pour leur apporter le café salé. Dans la concurrence pour être à la hauteur de l’Histoire, et même – pente aussi fatale que grotesque de l’information en continu – pour être les premiers à « annoncer » l’Histoire, il était logique que tous criassent à l’Histoire et à l’Historique à propos de la manifestation d’hier. S’il est permis d’en rire, on dira que, historique, elle l’a sans doute été sous quelque rapport, au moins pour être la première du genre où le comptage de la police avait une chance d’être supérieur à celui des organisateurs. On ne sache pas cependant qu’il soit resté grand-chose des manifestations monstres de Carpentras et du 1er mai 2002, effusions collectives qui avaient déjà hystérisé le commentariat, mais dont on doit bien reconnaître que la productivité politique aura été rigoureusement nulle.

On aimerait beaucoup qu’il en aille autrement cette fois-ci, mais on ne peut pas s’empêcher de poser en toute généralité la question de savoir s’il n’y a pas un effet de substitution entre le degré de l’unanimité et sa teneur politique possible. Par construction, arasant toute la conflictualité qui est la matière même de la politique, la masse unie est tendanciellement a-politique. Ou alors, c’est que c’est la Révolution – mais il n’est pas certain que nous soyons dans ce cas de figure…

Il y aurait enfin matière à questionner la réalité de l’« union nationale » qu’on célèbre en tous sens. Tout porte à croire que le cortège parisien, si immense qu’il ait été, s’est montré d’une remarquable homogénéité sociologique : blanc, urbain, éduqué. C’est que le nombre brut n’est pas en soi un indicateur de représentativité : il suffit que soit exceptionnellement élevé le taux de mobilisation d’un certain sous-ensemble de la population pour produire un résultat pareil.

Alors « union nationale » ? « Peuple en marche » ? « France debout » ? Il s’agirait peut-être d’y regarder à deux fois, et notamment pour savoir si cette manière de clamer la résolution du problème par la levée en masse n’est pas une manière spécialement insidieuse de reconduire le problème, ou d’en faire la dénégation. A l’image des dominants, toujours portés à prendre leur particularité pour de l’universel, et à croire que leur être au monde social épuise tout ce qu’il y a à dire sur le monde social, il se pourrait que les cortèges d’hier aient surtout vu la bourgeoisie éduquée contempler ses propres puissances et s’abandonner au ravissement d’elle-même. Il n’est pas certain cependant que ceci fasse un « pays », ou même un « peuple », comme nous pourrions avoir bientôt l’occasion de nous en ressouvenir.

Il y a une façon aveuglée de s’extasier de l’histoire imaginaire qui est le plus sûr moyen de laisser échapper l’histoire réelle — celle qui s’accomplit hors de toute fantasmagorie, et le plus souvent dans notre dos. Or, l’histoire réelle qui s’annonce a vraiment une sale gueule. Si nous voulons avoir quelque chance de nous la réapproprier, passé le temps du deuil, il faudra songer à sortir de l’hébétude et à refaire de la politique. Mais pour de bon.

Notes

[1] Lire Alain Gresh, « D’étranges défenseurs de la liberté de la presse à la manifestation pour “Charlie Hebdo” », Nouvelles d’Orient, 12 janvier 2015.

 

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