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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 16:32

 

Source : www.lemonde.fr


 

« SwissLeaks » : révélations sur un système international de fraude fiscale

LE MONDE | 08.02.2015 à 21h56 • Mis à jour le 09.02.2015 à 07h56 | Par Fabrice Lhomme et Gérard Davet

 

 



Les chiffres donnent le vertige. Le Monde publie le premier volet d’une enquête à la fois spectaculaire et inédite. Fruit d’investigations hors norme, menées entre Paris, Washington, Bruxelles ou Genève, elle dévoile les dessous d’un vaste système d’évasion fiscale accepté, et même encouragé, par l’établissement britannique HSBC, deuxième groupe bancaire mondial, par l’intermédiaire de sa filiale suisse HSBC Private Bank.

Le Monde, qui enquête sur l’affaire HSBC depuis son origine, est entré début 2014 en possession de données bancaires mondiales, portant sur la période 2005-2007 et établissant une gigantesque fraude à l’échelle internationale. Nous avons partagé ces données avec une soixantaine de médias internationaux, coordonnés par l’ICIJ, consortium de journalistes d’investigation. Leur révélation est susceptible d’embarrasser de nombreuses personnalités, de l’humoriste français Gad Elmaleh au roi du Maroc Mohamed VI en passant par l’acteur américain John Malkovich, mais surtout d’ébranler les milieux bancaires internationaux.

Selon les enquêteurs, 180,6 milliards d’euros auraient transité, à Genève, par les comptes HSBC de plus de 100 000 clients et de 20 000 sociétés offshore, très précisément entre le 9 novembre 2006 et le 31 mars 2007. Une période correspondant aux archives numérisées dérobées chez HSBC PB par Hervé Falciani, ancien employé de la banque.

En effet, à la fin de l’année 2008, cet informaticien français avait fourni aux agents du fisc français les données volées chez son employeur. Saisie de ces faits en janvier 2009, la justice française enquête depuis sur une toute petite partie des « listings Falciani », à savoir les quelque 3 000 ressortissants hexagonaux suspectés d’avoir dissimulé leur argent chez HSBC PB, et ce avec la complicité de la banque – de ce fait mise en examen comme personne morale pour « démarchage bancaire et financier illicite » et « blanchiment de fraude fiscale ».

Lire aussi : « SwissLeaks » : le dossier d’instruction vertigineux contre HSBC

Plus de 5,7 milliards d’euros auraient été dissimulés par HSBC PB dans des paradis fiscaux pour le compte de ses seuls clients français… Bercy a saisi la justice de soixante-deux cas seulement (dont celui de l’héritière de Nina Ricci, dont le procès doit s’ouvrir dans quelques jours à Paris), la plupart des contribuables hexagonaux « démasqués » par les listings Falciani ayant, il est vrai, régularisé entre-temps leur situation fiscale.

Le 28 janvier 2014, sous le titre « Listes HSBC : la saga d’une enquête explosive sur l’évasion fiscale », Le Monde publiait une première série d’articles dévoilant les dessous de l’enquête judiciaire française. Mais il manquait l’aspect mondial…

Quelques jours plus tard, une personne se présentait à l’accueil du journal, boulevard Auguste-Blanqui, à Paris. Cette source, dont nous protégeons l’anonymat, nous remit une clé USB contenant la totalité des fichiers établis à partir des « données Falciani », dans le plus grand secret, à compter de 2009, par les services fiscaux français, parfois en dépit des réticences du pouvoir politique.

Qui trouve-t-on sur ces listings – transmis par Bercy à plusieurs administrations étrangères –, et dont nous révélons les noms lorsqu’ils présentent un intérêt public ? Des trafiquants d’armes ou de stupéfiants, des financiers d’organisations terroristes, des hommes politiques, des vedettes du showbiz, des icônes du sport ou des capitaines d’industrie… Désireux, dans leur grande majorité, de cacher leur argent en Suisse. Et cela, bien sûr, très souvent, à l’instar des clients français, dans la plus parfaite illégalité. La disparité des profils des détenteurs de comptes est assez frappante. Les chirurgiens français désireux de blanchir leurs honoraires non déclarés y côtoient des diamantaires belges, des protagonistes de l’affaire Elf ou de nombreuses familles juives dont les avoirs avaient été mis en lieu sûr, en Suisse, au moment de la montée du nazisme en Europe

Le paravent de structures offshore

Nombre d’entre eux ont été illicitement démarchés en France par les gestionnaires de comptes de la banque. Tous ont été encouragés par le comité exécutif d’HSBC PB à mieux camoufler leur argent derrière le paravent de structures offshore, généralement basées au Panama ou dans les îles Vierges britanniques, et ce afin d’éviter certaines taxes européennes, notamment la taxe ESD, instituée en 2005. Les enquêteurs disposent désormais d’éléments matériels attestant ces différents délits.

Lire aussi : « SwissLeaks » : HSBC, la banque de tous les scandales

A affaire exceptionnelle, traitement exceptionnel : destinataire exclusif de ces informations explosives, Le Monde a décidé, au printemps 2014, afin d’en assurer le traitement le plus exhaustif et le plus rigoureux possible, de les partager avec des médias internationaux grâce à l’ICIJ, basé aux Etats-Unis, qui avait déjà collaboré avec Le Monde notamment lors des opérations « Offshore Leaks » (en 2013) et « LuxLeaks » (en 2014). Au total ont été mobilisés, dans la plus grande discrétion, 154 journalistes de 47 pays travaillant pour 55 médias (Le Guardian en Grande-Bretagne, le Süddeutsche Zeitung en Allemagne, l’émission « 60 minutes », de CBS, aux Etats-Unis…).

HSBC Private Bank comme les autorités politiques et judiciaires suisses contestent depuis le début de l’affaire aussi bien les chiffres établis par le fisc et la justice française que l’utilisation de ces données, au motif que ces dernières sont le produit d’un vol. Son auteur, Hervé Falciani, qui tenta de revendre ses fichiers avant de se raviser et de les fournir aux autorités françaises, a d’ailleurs été mis en accusation par le ministère public de la Confédération helvétique, le 11 décembre 2014, pour « espionnage économique », « soustraction de données » et « violation du secret commercial et bancaire ».

La Suisse, qui voit d’un très mauvais œil les investigations menées par la justice et le fisc français, considère surtout que les données initiales ont été trafiquées, ce que dément formellement l’enquête judiciaire française – de même que les investigations du Monde. Le 27 février 2014, les deux juges d’instruction français chargés de l’affaire concluaient d’ailleurs à propos des listings que leur « authenticité [avait] été vérifiée par les auditions de nombreux titulaires de comptes qui ont du reste transigé avec l’administration fiscale sur la base de ce fichier ». De son côté, HSBC PB semble prête à en faire de même avec la justice française afin d’éviter un procès ruineux – et pas seulement en termes d’image…

Lire aussi : « SwissLeaks » : révélations sur un système international de fraude fiscale

L'enquête SwissLeaks sur HSBC
Source : www.lemonde.fr


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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 14:57

 

Source : blog.mondediplo.net

 

Syriza cernée

 

vendredi 6 février 2015, par Frédéric Lordon

 

 

On savait que l’expérience Syriza serait une leçon de choses en politique, la mise à nu, toutes technicités juridico-financières envolées, des ressorts fondamentaux de la puissance et de la souveraineté. De ses confiscations dans des institutions aussi. Nous y sommes – et encore plus vite que prévu.

Comme on pouvait s’y attendre également, le lieu névralgique du rapport de force se trouve à Francfort, à la Banque centrale européenne (BCE). Ce qu’aucun article des traités européens ne permet juridiquement – mettre à la porte un Etat-membre – c’est la BCE, hors de toute procédure, par une opération entièrement discrétionnaire sans aucun contrôle démocratique, qui le peut. Et qui vient d’en donner l’avant-goût, dix jours à peine après l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement malséant, porté par un mouvement populaire ayant le front de réclamer la fin de l’absurde tourment auquel le pays a été soumis par notre chère Europe, un pays en situation de crise humanitaire [1] – au cœur de l’Union européenne (UE) et, plus encore, par l’Union ! –, un pays pour lequel, après quelques autres, il faudrait maintenant songer à formaliser juridiquement l’idée de persécution économique – et nommer les persécuteurs. Là contre, le peuple grec s’est donné un gouvernement légitime, mandaté pour faire cesser cet état de persécution. Un gouvernement souverain.

Lire aussi Serge Halimi, « La gauche grecque peut-elle changer l’Europe ? », Le Monde diplomatique, février 2015.Comme on le sait depuis longtemps, depuis le début en fait, à la question de la souveraineté, la réponse européenne est non. Saint Jean-Claude bouche d’or, qui ne loupe pas une occasion, a livré sa vision terminale de la politique : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » [2]. Et le peuple grec est invité à crever la gueule ouverte, mais démocratiquement, c’est-à-dire d’après les traités.

Il doit être assez clair maintenant que la leçon de choses a à voir avec deux conceptions radicalement différentes de la démocratie : la démocratie comme asservissement aux traités, contre la démocratie comme souveraineté populaire. Sous la formulation alternative de « passer sous la table ou la renverser », il s’agissait bien de nommer ce point de bifurcation qui verra, selon sa résolution, l’une ou l’autre de ces conceptions l’emporter. On s’y dirige à grande vitesse et, portant au jour la vérité hors-traité des traités, la BCE vient de montrer à tous de quel bois démocratique l’Union se chauffe.

Le chantage de la BCE, ou la nudité du rapport de force Retour à la table des matières

Ce que les opérations ordinaires de la politique monétaire ont usuellement pour propriété de voiler apparaît ici en pleine lumière : dans les procédures techniques du refinancement se trouve repliée toute une vision du monde et, comme toujours, c’est en situation de crise qu’elle se révèle pleinement. Couper la ligne du refinancement aux banques grecques n’admet ici aucune justification proprement monétaire. N’était-ce pas d’ailleurs par un geste souverain – car la souveraineté ne disparaît jamais complètement : elle migre – que la BCE avait décidé de détendre ses propres règles et d’admettre en collatéraux les titres de la dette grecque quoique tombés hors de la catégorie investment-grade ? C’est par un geste également souverain, mais inverse, qu’elle vient de revenir discrétionnairement sur cette facilité, manière évidente de faire savoir au gouvernement grec que, précisément, dans les dispositions qui sont les siennes, il n’est plus du tout question de lui faire la vie facile.

Dans une stratégie soigneusement graduée de la constriction, la BCE fait connaître sa force et ne met pas (encore) le système bancaire grec entièrement à genoux. Il reste à ce dernier une source de refinancement en la procédure exceptionnelle dite ELA (Emergency Liquidity Assistance). Mais d’une part cette procédure est plus coûteuse puisqu’elle fournit de la liquidité à un taux de 1,55 % contre… 0,05 % pour les procédures ordinaires. D’autre part l’ELA, en tant que programme « spécial », fait l’objet d’un strict contingentement en volume, de sorte que, la ligne étant susceptible à tout instant d’être brutalement coupée, le système bancaire grec, et le gouvernement derrière, sont installés dans la plus extrême précarité. Enfin, et peut-être surtout, les opérations ELA sont « déléguées » aux banques centrales nationales, en l’occurrence rejetées sur la Banque centrale de Grèce. La signification de ce mouvement de défausse est parfaitement claire, qui fait d’ailleurs écho aux orientations du QE (Quantitative Easing) récemment annoncé : il s’agit d’une stratégie de cantonnement. Désormais les titres de dette grecque ne finiront plus dans le bilan de la BCE elle-même, mais parqués dans celui de la Banque centrale grecque. L’avertissement est limpide : « n’imaginez pas une seconde que la menace à la sortie nous fera quelque effet, d’ailleurs nous sommes en train de créer les conditions pour que, à défaut de vous soumettre, vous preniez la porte avec vos propres encombrants ».

Nous savons donc maintenant jusqu’où va l’extrémisme libéral européen. Car Tsipras a beau en avoir considérablement rabattu, et renoncé aux annulations d’une dette pourtant insoutenable, la simple idée, à cadrage macroéconomique invariant, de réallouer la dépense publique d’une manière qui ne satisfasse pas pleinement à la conditionnalité de l’ajustement structurel est en soi une hérésie inadmissible. Certes le programme minimal d’urgence humanitaire (réaugmenter le salaire minimum et les plus basses pensions, réembaucher quelques milliers de fonctionnaires) ne pouvait se faire par simple réallocation au sein d’une enveloppe de dépense rigoureusement invariante. Certes encore, le surplus de prélèvement fiscal que Syriza a concédé devoir mettre en face est laissé à l’aléa de la capacité d’une administration fiscale extrêmement défaillante – s’il y a une seule « réforme structurelle » à conduire urgemment, c’est bien de ce côté qu’elle se trouve, tout le monde en convient, les Grecs au tout premier chef, il se pourrait même que Syriza, moins compromis que tous les autres partis dans le marécage clientéliste, soit le plus à même de la porter. Certes donc, le programme minimal appelle sans doute une extension du déficit ex ante.

Il n’est même pas certain que ce dernier se confirme en déficit ex post, bien au contraire. Avec un talent confirmé d’étrangleur, c’est l’UE et ses restrictions aveugles qui ont précipité la Grèce dans une dépression dont on ne trouve plus d’équivalent qu’en celle des Etats-Unis dans les années 1930. Si bien que ce que, par paresse intellectuelle, on nomme « la dette grecque » n’est en fait pas la dette des Grecs : l’explosion des déficits et l’effondrement de la croissance à partir de 2010 sont moins le produit de l’incurie grecque que d’un assassinat de politique économique administré par l’Union en guise de « sauvetage ». De sorte que lorsque les Etats-membres prêtent pour tenir la Grèce à flot, c’est en bonne partie pour écoper le naufrage qu’ils ont eux-mêmes causé. On pourrait dire par court-circuit qu’au travers de la Grèce, l’UE prête pour l’UE ! Splendide opération qui aurait toute sa place dans un théâtre de l’absurde – si l’on excepte les investisseurs dont certains, en dépit de la restructuration, auront bien profité au passage.

En tout cas la redistribution de pouvoir d’achat en direction de ceux dont on est bien certain qu’ils le dépenseront intégralement est la plus rationnelle des politiques économiques – mais d’une rationalité qui a depuis belle lurette déserté les esprits européens. C’est en vue du financement intermédiaire d’un déficit temporaire qui avait de bonnes chances de s’auto-couvrir que le gouvernement grec s’était tourné vers la BCE. Nous connaissons maintenant la réponse et nous savons quel degré d’aide les institutions européennes sont disposées à apporter au peuple grec, dont le tableau des misères devrait leur faire honte : nul.

Syriza abandonnée de tous Retour à la table des matières

Ce sont des salauds. Et ils sont partout. Reuters a rendu publique la teneur d’un rapport allemand préparé en vue de la réunion des ministres des finances du 5 février [3] : c’est non sur toute la ligne. Non et rien, les deux mots de la démocratie-européenne-selon-les-traités. Croit-on que l’Allemagne soit seule en cause dans cette ligne de fer ? Nullement – ils sont partout. Ni l’Espagne, ni l’Irlande, ni – honte suprême – la France « socialiste » ne viendront en aide à Syriza. Et pour une raison très simple : aucun d’entre eux n’a le moindre intérêt à ce qu’une expérience alternative puisse seulement se tenir : dame ! c’est qu’elle pourrait réussir ! Et de quoi alors auraient l’air tous ces messieurs d’avoir imposé en pure perte à leurs populations un traitement destructeur ? De ce qu’ils sont. Des imbéciles, en plus d’être des salauds.

On n’aimerait pas être à la place de Tsipras et de ses ministres : seuls et abandonnés de tous. Mais l’Union européenne se rend-elle bien compte de ce qu’elle est en train de faire ? Il y avait de sérieuses raisons de penser qu’une combinaison minimale de dureté en coulisse et d’amabilité en façade permettrait un faux compromis qui aurait vu de facto Syriza plier sur toute la ligne ou presque – à quelques concessions-babioles dûment montées en épingle. Entre le désir de rester dans l’eurozone, les effets inertiels du recentrage de campagne, le découplage des institutions politiques qui protège un moment les gouvernants, il était probable que Tsipras aurait choisi un mauvais compromis qui gagne du temps et, laisse l’espoir (qui fait vivre) d’une possible amélioration future.

Mais il y a des degrés dans l’offense auquel, sauf à abdiquer toute dignité, un chef d’Etat peut difficilement consentir. Et tout se passe comme si l’UE était en train de pousser elle-même la Grèce vers la sortie. En s’en lavant les mains naturellement. Mais en ne laissant guère plus d’autre choix au gouvernement grec – passer sous la table ou la renverser, on n’en sort pas... C’est-à-dire, quand les conditions minimales d’estime de soi ne sont plus réunies pour passer dessous, renverser – comme on sait, la position défendue ici de longue date tient que cette Europe n’est pas amendable et que « renverser » est la seule solution offerte à un affranchissement d’avec la camisole libérale.

Si jamais on en venait à ce point critique, les événements connaitraient un de ces emballements qui font l’histoire. Car tout devrait aller très vite : séparation immédiate de la Banque centrale grecque du Système européen des banques centrales (SEBC), répudiation complète de la dette, instauration d’un contrôle des capitaux, nationalisation-réquisition des banques. Dans une interview à laquelle on n’a probablement pas assez prêté attention, Yanis Varoufakis lâche une phrase qui vaut son pesant de signification : « nous sommes prêts à mener une vie austère, ce qui est différent de l’austérité » [4]. Et en effet c’est très différent, radicalement différent même. Entre la vie austère et l’austérité, il y a l’abîme qui sépare une forme de vie pleinement assumée et la soumission à une tyrannie technique. Car il est certain que la sortie de l’euro n’aurait rien d’un dîner de gala. Mais c’est faire de la politique, et au plus haut sens du terme, que de prendre à témoin le peuple et de lui mettre en mains les termes de son choix : nous pourrions bien, en effet, être plus pauvres un moment mais, d’abord, sous une tout autre répartition de l’effort, et surtout en donnant à cette « vie austère » la signification hautement politique d’une restauration de la souveraineté, peut-être même d’un profond changement de modèle socioéconomique.

De nouveau la politique Retour à la table des matières

En tout cas pour la première fois depuis très longtemps, il y a à la tête d’un pays européen des gens qui savent ce que c’est vraiment que la politique – une histoire de force, de désirs et de passions –, soit l’exact contraire des comptables-eunuques qui gouvernent partout ailleurs, à l’image du têtard à binocles dont la couverture de L’Obs, qu’on créditerait ici volontiers d’un second degré inhabituellement fielleux, révèle qu’il est l’une des têtes pensantes de François Hollande.

[Incidemment, pour savoir à quoi ressemblent de vrais hommes politiques, c’est-à-dire des gens qui ont touché l’essence de la politique, une essence violente et forte, il faut regarder la tête des anciens directeurs du Shin Beth, le service secret israélien, interviewés dans le formidable documentaire Gate keepers, et qui, quoi qu’on pense par ailleurs de leur action [5], ont eu à agir en l’un des lieux de la planète où l’essence tragique du politique se donne à voir sous sa forme la plus haute. Et puis après admirer une photo de Michel Sapin. Ou le sourire d’Emmanuel Macron.]

Lire aussi Thierry Vincent, « Un espoir modéré, la crainte des coups tordus », Le Monde Diplomatique, février 2015.Il n’est pas inopportun de faire pareil rappel, car ce tragique-là plane aussi sur la Grèce, qui doit compter avec ses salauds de l’intérieur. Dans un article qui éclaire un aspect oublié de la situation grecque, Thierry Vincent [6] ne fait pas que remettre en mémoire le passé somme toute pas si lointain des colonels, mais la réalité très présente d’un appareil d’Etat gangrené pas seulement par la corruption ordinaire mais aussi par des forces sombres, substructure étatique constituée, comme toujours, autour des appareils de force, police, justice, armée, dont les connivences avec les néo-nazis d’Aube Dorée sont maintenant patentées, et où macèrent potentiellement les pires tendances factieuses. L’obsession économique finirait presque par faire oublier que le risque dominant auquel se trouve confrontée l’expérience Syriza est probablement politique, et tient moins à un rééchelonnement de dette mal fagoté qu’à ce que Thierry Vincent nomme les « coups tordus », et qu’il faudrait peut-être nommer « coup » sans autre qualificatif. Car voyons, dans les termes de notre alternative : passer sous la table, par quoi on entend ne rien obtenir de significatif, c’est épuiser l’idée même d’alternative progressiste en Grèce, et dégager la piste à la seule alternative restante – la pire. Mais renverser la table, c’est possiblement, par enchaînements successifs, entrer en confrontation directe avec le capital, et l’on sait de quelle manière les « démocraties » ont historiquement accoutumé de traiter ce genre de désaccord…

La preuve par Syriza ? Retour à la table des matières

A la remorque de la psychorigidité allemande, l’Europe des ahuris, les Juncker, Moscovici, Sapin, etc., radicalement ignorants de ce qu’est vraiment la politique, jouent en toute inconscience avec le malheur des peuples, sans le moindre égard pour les forces obscures qui commencent à tournoyer au-dessus d’eux. Il faut dire qu’en matière d’ahuris, ils se sont trouvé de fameux intellectuels organiques, à l’image de Bernard Guetta, par exemple, qui entame sur le tard une improbable carrière de situationniste – mais à l’envers. Guy Debord tenait que, dans la société du spectacle, « le vrai est un moment du faux ». Chez Guetta, c’est le faux qui est un moment du vrai. Il suffit en effet de reprendre sa chronique « La preuve par Syriza » [7] et d’en inverser méthodiquement tous les termes pour avoir une représentation d’assez bonne qualité de l’état de l’UE et des gauches européennes – là où la lecture littérale livre une fantasmagorie sous produits à courir tout nu dans les prés. Car nous sommes le 27 janvier, et Guetta voit l’aube européenne se lever dans l’arrivée simultanée de Syriza et du Quantitative Easing

Or il faut avoir bonne vue, ou bien l’aide de quelques sérotoninergiques, pour voir « s’annoncer de nouvelles politiques économiques européennes » au motif que la BCE, au terme de luttes intestines longtemps indécises, cinq ans après toutes les grandes banques centrales du monde, et ayant dû attendre une situation de désinflation patentée pour être juridiquement fondée à agir, a enfin lancé son programme à elle de Quantitative Easing. Dont on sait déjà qu’il ne produira pas grand effet.

Et l’aide de substances plus brutales encore est requise pour nous appeler à réaliser que « non, l’unité européenne n’est pas en elle-même un projet libéral ». « Ce n’est qu’un début », s’exclame le défoncé, « mais que la séquence est belle ». Quand les infirmiers auront achevé de l’embarquer, on ne retiendra que le titre de l’article manifestement écrit dans des conditions à faire peur à un cycliste, mais qui dit contre toute attente une chose très vraie : le caractère probatoire de l’expérience Syriza. En effet, il va bien y avoir une « preuve par Syriza ». Mais la preuve de quoi ?

Notes

[1] Voir Sanjay Basu et David Stuckler, « Quand l’austérité tue », Le Monde Diplomatique, octobre 2014.

[2] Jean-Claude Juncker, entretien, Le Figaro, 29 janvier 2015.

[3] « ECB cancels soft treatment of Greek debt in warning to Athens », Reuters, 4 février 2015.

[4] « Nous sommes prêtes à mener une vie austère », Le Monde, 25 janvier 2015.

[5] En l’occurrence, tous ceux qui ont vu le documentaire savent que ces anciens responsables des services secrets livrent une mise en accusation accablante de la politique des gouvernements israéliens depuis des décennies.

[6] Thierry Vincent, « Un espoir modéré, la crainte des coups tordus », Le Monde Diplomatique, février 2015.

[7] Bernard Guetta, « La preuve par Syriza », Libération, 27 janvier 2015.

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Source : blog.mondediplo.net

 

 

 

 

 

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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 14:47

 

*Cet article date d'un an mais reste toujours d'actualité...

 

 

Source : www.bastamag.net

 

 

David Graeber : « La façon la plus simple de désobéir à la finance, c’est de refuser de payer les dettes »

par Agnès Rousseaux 16 janvier 2014

 

 

 

 

La dette ? Une construction sociale, fondatrice d’un pouvoir arbitraire, estime David Graeber, anthropologue et économiste états-unien, considéré par le New York Times comme l’un des intellectuels les plus influents actuellement. Les pays pauvres et les personnes endettées sont aujourd’hui enchainés aux systèmes de crédit. Piégés dans des relations basées sur la violence, les inégalités et justifiées par la morale, décrit l’auteur, dans un ouvrage qui retrace 5000 ans d’histoire de la dette. « Rembourser ses dettes » est devenu un dogme, impossible à contester. Et si, malgré tout, on décidait d’effacer l’ardoise ? Avec le mouvement Occupy Wall Street, David Graeber lance des actions de désobéissance civile pour démontrer l’absurdité du système capitaliste actuel. Entretien.

Basta ! : A quel moment dans l’histoire le crédit est-il apparu ? Qu’est-ce qu’une dette ?

David Graeber [1] : La dette est une promesse, qui a été pervertie par les mathématiques et la violence. On nous a raconté une histoire : « Il était une fois des gens qui utilisaient le troc. Voyant que cela ne marchait pas très bien, ils ont créé la monnaie. Et l’argent nous a amené le crédit. » Du troc au crédit, une sorte de ligne droite nous amènerait donc à la situation actuelle. Si on regarde plus attentivement l’histoire, cela s’est passé bien différemment ! Le crédit a d’abord été créé. La monnaie physique est apparue quelques milliers d’années plus tard. Cela permet de poser les questions différemment : comment sommes-nous passés d’un système où les gens disaient « je vous dois une vache », à un système où l’on peut mesurer la valeur exacte d’une dette ? Ou l’on peut assurer, formule mathématique à l’appui, que « 340 poulets sont équivalents à cinq vaches » ? Comment une promesse, une obligation de remboursement, est devenue une « dette » ? Comment l’idée que nous devons une faveur a-t-elle été quantifiée ?

En quoi quantifier une dette est-elle un problème ?

Quantifiable, la dette devient froide, impersonnelle et surtout transférable : l’identité du créancier n’a pas vraiment d’importance. Si je promets de vous rencontrer à cinq heures demain, vous ne pouvez pas donner cette promesse à quelqu’un d’autre. Parce que la dette est impersonnelle, parce qu’elle peut être exigible par des mécanismes impersonnels, elle peut être transférée à une autre personne. Sans ces mécanismes, la dette est quelque chose de très différent. C’est une promesse qui repose sur la confiance. Et une promesse, ce n’est pas la négation de la liberté, au contraire, c’est l’essence de la liberté ! Être libre, c’est justement avoir la capacité de faire des promesses. Les esclaves ne peuvent pas en faire, ils ne peuvent pas prendre d’engagements auprès d’autres personnes, car ils ne sont pas sûrs de pouvoir les tenir. Être libre, c’est pouvoir s’engager auprès d’autrui.

Au contraire, le « remboursement de la dette » est devenu un dogme moral...

La dette a été transformée en une question d’arithmétique impersonnelle, en l’essence même de l’obligation morale. C’est ce processus que nous devons défaire. Il est fascinant aussi de voir le lien entre la notion de dette et le vocabulaire religieux, de constater comment les premières religions débutent avec le langage de la dette : votre vie est une dette que vous devez à Dieu. La Bible par exemple commence avec le rachat des péchés...

Devenue dogme moral, la dette justifie les dominations les plus terribles. On ne peut comprendre ce qu’elle représente aujourd’hui sans un détour par cette longue histoire de la dette comme justification morale de relations de pouvoir inégales. Le langage de la dette permet de justifier une relation de pouvoir arbitraire. Et il est très difficile d’argumenter face à un pouvoir arbitraire sans adopter le même langage.

Vous citez l’exemple de la mafia...

Parler de dette devient un moyen pour décrire des relations inégales. Les mafieux ont compris cela : ils utilisent souvent le terme de dette, même si ce qu’ils font est en réalité de l’extorsion. Quand ils annulent ou reportent certaines dettes, cela passe pour de la générosité ! C’est comme les armées qui font payer un tribut aux vaincus : une taxe en échange des vies épargnées. Avec le langage de la dette, on dirait que ce sont les victimes qui sont à blâmer. Dans de nombreuses langues, dette, culpabilité et péché sont le même mot ou ont la même racine.

La monnaie, qui permet de quantifier précisément la valeur d’une dette, apparaît d’ailleurs dans les situations de violence potentielle. L’argent est aussi né du besoin de financer les guerres. La monnaie a été inventée pour permettre aux États de payer des armées professionnelles. Dans l’Empire romain, la monnaie apparait exactement là où stationnent les légions. De la même façon, le système bancaire actuel a été créé pour financer la guerre. Violence et quantification sont intimement liés. Cela transforme les rapports humains : un système qui réduit le monde à des chiffres ne peut être maintenu que par les armes.

Il y a aussi une inversion : le créancier semble être devenu la victime. L’austérité et la souffrance sociale sont alors considérées comme un sacrifice nécessaire, dicté par la morale…

Absolument. Cela permet par exemple de comprendre ce qui se joue en Europe aujourd’hui. L’Europe est-elle une communauté de partenaires égaux ? Ou y a-t-il une relation de pouvoir entre entités inégales ? Est-ce que tout peut être renégocié ? Quand une dette est établie entre égaux, elle est toujours traitée comme une promesse. Nous renégocions des promesses tout le temps, car les situations changent : si je vous promets de vous voir demain à cinq heures, si ma mère meurt, je ne suis pas obligé de tenir ma promesse.

Les gens riches peuvent être incroyablement compréhensifs concernant la dette des autres riches : les banques états-uniennes Goldman Sachs et Lehman Brothers peuvent se concurrencer, mais quand quelque chose menace leur position générale de classe, soudain elles peuvent oublier toutes les dettes contractées si elles le veulent. C’est ce qui s’est passé en 2008. Des trillions de dollars de dettes ont disparu, parce que cela arrangeait les puissants. De la même façon des gens pauvres vont être très compréhensifs les uns envers les autres. Les prêts que l’on fait à des proches sont finalement souvent des cadeaux. C’est lorsqu’il y a des structures d’inégalités, que soudain la dette devient une obligation morale absolue. La dette envers les riches est la seule à être vraiment « sacrée ». Comment se fait-il que Madagascar soit en difficulté quand il doit de l’argent aux États-Unis, mais que lorsque ce sont les États-Unis qui doivent de l’argent au Japon, c’est le Japon qui est en difficulté ? Le fait notamment que les États-Unis ont une puissante armée change le rapport de force...

Aujourd’hui, on a l’impression que la dette a remplacé les droits : les droits à la formation ou au logement se sont transformés en droit au crédit ?

Certains utilisent leur maison pour financer leur vie en contractant de plus en plus de prêts hypothécaires. Leurs maisons deviennent des distributeurs de billets. Les micro-crédits pour faire face aux problèmes de la vie se multiplient, en substitution de ce qui était auparavant assuré par l’État-providence, qui donnait des garanties sociales et politiques. Aujourd’hui, le capitalisme ne peut plus offrir un bon « deal » à tout le monde. On sort de l’idée que chacun pourrait posséder un bout du capitalisme : aux États-Unis, chacun était censé pouvoir investir dans les entreprises, qui en fait exploitent chacun. Comme si la liberté consistait à posséder une part de notre propre exploitation.

Les banquiers ont aussi transformé la dette en produits bancaires, échangeables comme de la monnaie, sur des marchés financiers...

C’est incroyable ! Il y a six ans, même des gens très intelligents disaient : « Que ces gens sont brillants, ils ont créé de l’argent à partir de rien ». Ou plutôt à partir d’algorithmes tellement complexes, que seuls des astrophysiciens pouvaient les comprendre. Mais cette incroyable sophistication s’est révélée être une escroquerie ! J’ai eu récemment des entretiens avec de nombreux astrophysiciens, qui m’ont affirmé que ces chiffres ne veulent rien dire. Tout ce travail semble très sophistiqué, mais en fait il ne l’est pas. Une classe de personnes a réussi à convaincre tout le monde qu’ils étaient les seuls à pouvoir comprendre. Ils ont menti et les gens les ont cru. Soudain, un pan de l’économie a été détruit, et on a vu qu’eux-mêmes ne comprenaient pas leurs instruments financiers.

Pourquoi cette crise n’a-t-elle pas changé notre rapport à la dette ?

A cause d’un profond déficit intellectuel. Leur travail idéologique a été tellement efficace que tout le monde est convaincu que le système économique actuel est le seul possible. Nous ne savons pas quoi faire d’autre. Alors nous posons un morceau de scotch sur le problème, prétendant que rien ne s’est passé. Où cela nous mènera-t-il ? A une nouvelle panne. Mais nous entrons désormais dans une nouvelle étape : celle du jeu défensif. Comme la plupart des justifications intellectuelles du capitalisme s’effondrent, ses promoteurs attaquent aujourd’hui toutes les alternatives possibles. En Grande-Bretagne, après la crise financière, la première chose qu’ont voulu faire les responsables économiques a été de réformer le système scolaire, pour le rendre plus compétitif. En réalité, le rendre plus semblable au système financier ! Pourquoi ? Sans doute parce que l’enseignement supérieur est un des seuls espaces où d’autres idées, d’autres valeurs, peuvent émerger. D’où la nécessité de couper court à toute alternative avant qu’elle ne puisse émerger. Ce système éducatif fonctionnait pourtant très bien jusqu’à présent, alors que le système financier a failli de manière spectaculaire. Il serait donc plus pertinent de rendre le système financier semblable au système éducatif, et non l’inverse !

Aujourd’hui, aux États-Unis, des gens sont emprisonnés pour incapacité à rembourser leurs dettes. Vous citez l’exemple d’un homme condamné à la prison en 2010 dans l’État de l’Illinois pour une durée illimitée, tant qu’il n’aura pas réussi à rembourser 300 dollars...

Aux États-Unis, des gens sont emprisonnés parce qu’ils n’ont pas réussi à payer les frais de citation en justice. Alors qu’il est presque impossible de poursuivre des banques pour des saisies illégales ! Les banques peuvent toujours aller voir la police pour leur demander de vous arrêter pour défaut de paiement, même si tout le monde sait qu’il s’agit d’une saisie illégale. Pouvoir financier et pouvoir politique sont en train de fusionner. Police, collecteurs d’impôts, les personnes qui vous expulsent de vos maisons, opèrent directement dans l’intérêt des institutions financières. Peu importe votre revenu, quelqu’un signe votre expulsion [2] et la police vous fait sortir de votre maison.

Aux États-Unis, tout le monde croyait faire partie de la classe moyenne. Ce n’est pas vraiment une catégorie économique, plutôt une catégorie sociale et politique : on peut considérer que font partie de la classe moyenne les citoyens qui se sentent plus en sécurité quand ils voient un policier, que l’inverse. Et par extension, avec toutes les autres institutions, banques, écoles... Aujourd’hui, moins de la moitié des Américains considèrent qu’ils font partie de la classe moyenne, contre les trois quarts auparavant. Si vous êtes pauvres, vous supposez que le système est contre vous. Si vous êtes riches, vous avez tendance à croire que le système est avec vous. Jusqu’à présent aucun banquier n’a été mis en prison pour des actes illégaux durant la crise financière. Et des centaines de manifestants ont été arrêtés pour avoir tenté d’attirer l’attention sur ces faits.

La dette provoque toujours contestation et désordre dans les sociétés, écrivez-vous. Et depuis 5000 ans, les insurrections populaires commencent très souvent par la destruction des registres de dette...

La dette semble être le plus puissant des langages moraux jamais créés pour justifier les inégalités et les rendre « morales ». Mais quand tout explose, c’est avec une grande intensité ! L’historien britannique Moisis Finley défendait l’argument que dans le monde antique, il n’y avait qu’une seule demande révolutionnaire : abolir les dettes, et ensuite redistribuer les terres. De la décolonisation de l’Inde à l’Amérique latine, les mouvements d’abolition des dettes semblent partout une priorité. Lors de révolutions paysannes, une des premières actions des insurgés est de trouver les registres de dettes pour les brûler. Puis les registres de propriété des terres. La raison ? La dette, c’est pire que si vous dites à quelqu’un qu’il est inférieur, esclave, intouchable. Car cela signifie : « Nous ne sommes pas fondamentalement différents, vous devriez être mon égal, mais nous avons conclu un contrat d’affaires et vous avez perdu. » C’est un échec moral. Et cela peut engendrer encore plus de colère. Il y a quelque chose de profondément insultant, dégradant avec la dette, qui peut provoquer des réactions très violentes.

Vous réclamez un jubilé, c’est-à-dire un effacement des dettes – dettes souveraines des États mais aussi dettes individuelles. Quel impact économique cela aurait-il aujourd’hui ?

Je laisse les détails techniques aux économistes... Cela supposerait notamment de revenir à un système public pour les pensions de retraite. Les précédentes annulations de dettes n’ont jamais concerné toutes les dettes. Mais certains types de dettes, comme les dettes de consommation ou la dette souveraine des États, pourraient être effacées sans réels effets sociaux. La question n’est pas de savoir si l’annulation de dette va avoir lieu ou pas : les gens qui connaissent bien la situation admettent que cela va évidemment arriver. La Grèce, par exemple, ne pourra jamais rembourser sa dette souveraine, elle sera progressivement effacée. Soit avec de l’inflation – une manière d’effacer la dette qui a des effets délétères – soit par des formes d’annulation directe. Est-ce que cela arrivera « par en bas », sous la pression des mouvements sociaux, ou « par en haut », par une action des dirigeants pour tenter de préserver le système ? Et comment vont-ils habiller cela ? Il est important de le faire de manière explicite, plutôt que de prétendre à un simple « rachat » de la dette. Le plus simple serait de dire qu’une partie de la dette est impayable, que l’État ne garantit plus le paiement, la collecte de cette dette. Car pour une grande part, cette dette existe uniquement parce qu’elle est garantie par l’État.

L’effacement de la dette des États, c’est la banqueroute. Les experts du FMI ou de la Banque mondiale seront-ils un jour d’accord avec cette option ?

Le FMI annule actuellement des dettes en Afrique. Les experts savent que la situation actuelle n’est pas viable. Ils sont conscients que pour préserver le capitalisme financier et la viabilité à long terme du système, quelque chose de radical doit avoir lieu. J’ai été surpris de voir que des rapports du FMI se réfèrent à mon livre. Même au sein de ces institutions, des gens proposent des solutions très radicales.

Est-ce que l’annulation de dettes signifie la chute du capitalisme ?

Pas nécessairement. L’annulation de dettes peut aussi être un moyen de préserver le capitalisme. Mais à long terme, nous allons vers un système post-capitaliste. Cela peut paraître effrayant, puisque le capitalisme a gagné la guerre idéologique, et que les gens sont convaincus que rien d’autre ne peut exister que cette forme précise de capitalisme financier. Il va pourtant falloir inventer autre chose, sinon dans 20 ou 30 ans, la planète sera inhabitable. Je pense que le capitalisme ne sera plus là dans 50 ans, mais je crains que ce qui arrive ensuite soit encore pire. Nous devons construire quelque chose de mieux.

Dans le cadre du mouvement Occupy Wall Street, vous êtes l’un des initiateurs de la campagne Rolling Jubilee. Quels sont ses objectifs et son impact ?

C’est un moyen de montrer à quel point ce système est ridicule. Aux États-Unis, des « collecteurs » achètent de la dette, à 3% ou 5% du montant de la dette initiale, et vont ensuite tenter de recouvrer la totalité de l’argent en faisant payer les personnes endettées. Avec la campagne Rolling Jubilee, nous faisons comme ces collecteurs de dette : nous achetons collectivement nous-mêmes de la dette – ce qui est parfaitement légal – et ensuite, au lieu d’exiger leur remboursement, nous effaçons ces dettes ! Quand nous atteindrons un niveau où cela commence à avoir un effet réel sur l’économie, ils trouveront sans doute un moyen de rendre ça illégal. Mais pour le moment, c’est un bon moyen de mettre en évidence l’absurdité du système (sur cette campagne, lire notre aticle « Strike debt » : un plan de sauvetage du peuple par le peuple). En complément, nous développons le projet « Drom », Debt resistors operation manuel, qui fournit des conseils légaux et pratiques aux personnes endettées.

La façon la plus simple de désobéir à la finance, c’est de refuser de payer les dettes. Pour lancer un mouvement de désobéissance civile contre le capitalisme, on peut commencer par là. Sauf que les gens le font déjà ! Un Américain sur sept est poursuivi par un collecteur de dettes. 20 % au moins des prêts étudiants sont en situation de défaut. Si vous ajoutez les prêts hypothécaires, sur les 80 % de la population qui sont endettés aux États-Unis, entre un quart et un tiers sont déjà en situation de défaut de paiement ! Des millions d’Américains font déjà de la désobéissance civile par rapport à la dette. Le problème est que personne ne veut en parler. Personne ne sait que tout le monde le fait ! Comment réunir tous ces gens isolés ? Comment organiser un mouvement social si tout le monde a honte de ne pas réussir à rembourser ses dettes ? À chaque fois que vous refusez de payer une dette médicale, une dette « odieuse » créée par la collusion entre gouvernement et financiers – qui piège les gens dans des dettes que vous n’avez d’autre choix que de subir – vous pouvez dépenser votre argent pour quelque chose de socialement important. Nous voulons encourager les « coming-out » sur cette résistance au système. Fédérer cette armée invisible de gens qui font défaut, qui sont déjà sur le terrain de bataille, s’opposant au capitalisme par une résistance passive.

Propos recueillis (en anglais) par Agnès Rousseaux

@AgnesRousseaux

Photos : CC A. Golden (Une) et CC Gonzalo

A lire :
- Sur la campagne Rolling Jubilee : « Strike debt » : un plan de sauvetage du peuple par le peuple
- Maurizio Lazzarato : « La dette neutralise le temps, matière première de tout changement politique ou social »

David Graeber, Dette, 5000 ans d’histoire, Editions Les liens qui libèrent, 2013, 620 pages. Vous pouvez commander le livre dans la librairie la plus proche de chez vous, à partir du site Lalibrairie.com.

Notes

[1Docteur en anthropologie, économiste, ancien professeur à l’Université de Yale, David Graeber est actuellement professeur à la London School of Economics. Il est selon le New York Times l’un des intellectuels les plus influents actuellement. Et est l’un des initiateurs du mouvement Occupy Wall Street.

[2Les banques ont embauché des personnes chargées de signer quotidiennement des centaines d’avis d’expulsion sans suivre la procédure légale – on parle de « robot signing » ou « signature robot ».

 

 

 

 

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Source : www.bastamag.net

 

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8 février 2015 7 08 /02 /février /2015 15:41

 

Source : multinationales.org

 

 

Le secteur textile italien gagné par les « sweatshops » ?

6 février 2015 par Olivier Petitjean

 

 


 

Il n’y a pas que le Bangladesh, le Cambodge ou l’Europe de l’Est. Les « sweatshops » gagnent aujourd’hui l’Europe du Sud, et en particulier l’Italie, où opèrent notamment les grands groupes de luxe français comme Kering et LVMH. Sous la pression de la concurrence internationale et des politiques de « compétitivité », les conditions de travail et les salaires se dégradent dans les ateliers textiles de la péninsule et, comme en Asie, le besoin d’un « salaire vital » est plus que jamais à l’ordre du jour.

« Les conditions se détériorent dans le secteur textile italien », alerte un nouveau rapport de la Clean Clothes Campaign (Campagne vêtements propres, Éthique sur l’étiquette en France). Les enquêteurs qu’elle a missionnés dans les ateliers textiles de Vénétie, de Toscane et de Campanie y ont constaté une tendance à la baisse des salaires et à la précarisation, ainsi qu’un accroissement du travail informel, des sous-traitance en cascade et des durées de travail illégales. Autant de caractéristiques que l’on aurait plutôt tendance à associer au secteur textile chinois ou bangladeshi.

Compétitivité

Le secteur textile italien, comme ailleurs en Europe, a été sévèrement touché par l’internationalisation de la filière et la concurrence des usines d’Asie et d’Europe de l’Est. Il a mieux toutefois mieux résisté qu’ailleurs en raison de sa spécialisation et de l’importance des marques de luxe, à forte valeur ajoutée.

Mais, dans le nouveau contexte d’austérité et de course à la compétitivité qui caractérise l’Europe du Sud, la situation est en train de changer. Les grands groupes comme les français LVMH (Louis Vuitton, Dior), Chanel et Kering (Gucci, Bottega Veneta, Balenciaga) - ainsi que les italiens Prada et Giorgio Armani - rachètent des ateliers qui avaient été abandonnés, mais au prix d’une dégradation des salaires et des conditions de travail. D’autres ateliers sont repris par des intérêts chinois pour fournir ces grands groupes prestigieux. Prato, à côté de Florence, spécialisée dans l’industrie du cuir, abriterait la deuxième communauté chinoise d’Europe après celle de Paris.

Le salaire officiel d’entrée dans le secteur textile italien est de 1200 euros nets par mois - sensiblement moins que le salaire vital estimé à 1600 euros [1]. En réalité, du fait du recours aux stages, aux contrats précaires, à la sous-traitance et au travail illégal, les salaires réels sont souvent bien moindres, pour des horaires largement en excès de la durée maximale légale. Des cas ont même été constatés de travailleurs migrants chinois dormant à 15 dans des pièces exiguës, sans fenêtre et dans des conditions douteuses du point de vue de la sécurité.

Des sacs Gucci fabriqués en Toscane par des ouvriers chinois

Fin décembre 2014, un reportage de la télévision italienne avait fait scandale en mettant en lumière les conditions de travail et de vie chez un fournisseur de Gucci (qui appartient au groupe français Kering) appelé Mondo Libero. Les ouvriers - des Chinois - y travaillaient 14 heures par jour, et Gucci achetait les sacs qu’ils fabriquaient 24 euros la pièce, pour les revendre au prix de 1000 euros. Réagissant au scandale, le groupe Kering a promis d’augmenter le nombre d’inspections des usines de ses fournisseurs.

L’usine en question n’était pas localisée, comme on pourrait le penser, en Chine, mais tout près de Florence...

Le rapport complet (en anglais) est à lire ici

Olivier Petitjean

— 
Photo : Vintspiration CC

[1Sur la question du salaire vital dans le secteur textile, lire aussi Textile : les ouvrières asiatiques en lutte pour un salaire vital.

 

 

Source : multinationales.org

 

 

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8 février 2015 7 08 /02 /février /2015 15:19

 

 

Source : la-bas.org

 

 

Frédéric Lordon, Serge Halimi, Éric Toussaint, Renaud Lambert

 

Syriza, le feu à la plaine ou le pétard mouillé ?

Le mercredi 4 février 2015, par L’équipe de Là-bas

 

 

 

Syriza, le feu à la plaine ou le pétard mouillé ? par Là-bas si j'y suis


Madame Merkel fait la grimace. Les politiques d’austérité sont autant d’échecs partout en Europe. Chômage, précarité, inégalité, mépris. Tout ce qui engraisse l’extrême droite comme en France. Un rideau sombre est descendu sur le vieux continent, mais la Grèce vient d’y faire un trou pour y faire revenir un peu de lumière. Le 25 janvier, le parti de gauche "radical" Syriza l’a emporté aux législatives. Un espoir que prolonge en Espagne le parti Podemos. Des poings se lèvent à Madrid comme à Athènes. Et les autres ? Et nous, ici ? On veut croire à un effet domino, un grand retournement contre les politiques néo-libérales de gauche comme de droite.

C’était le thème de notre débat dans le premier numéro de LÀ-BAS HEBDO, le 21 janvier, donc quatre jours avant l’élection. Éric TOUSSAINT, Frédéric LORDON, Renaud LAMBERT, Serge HALIMI.

(réalisation : Les Mutins de Pangée)

 

Syriza, le feu à la plaine ou le pétard mouillé ? from Là-bas si j’y suis on Vimeo.

 

Le site de l’émission Là bas si j’y suis.

 

 

Source : la-bas.org

 

 

 

 

 

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6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 17:55

 

Source : www.reporterre.net


 

L’OPA du Front National sur l’écologie ? Une mascarade

Barnabé Binctin (Reporterre)

 

vendredi 6 février 2015

 

Le Front National tente de se reverdir par une opération com’ bien huilée, avec le lancement du Collectif Nouvelle Ecologie. Mais, du nucléaire au climat en passant par la voiture, un examen des positions du parti montre la vacuité de son positionnement « écologique ». Enquête sur une imposture.

 

L’année 2015 semble repartir sur les mêmes bases que la précédente. Alors que, dimanche 8 février, le Front National pourrait remporter l’élection législative dans le Doubs, le parti de Marine Le Pen a déjà défrayé la chronique dans les médias, avec Steeve Briois, récompensé du prix Trombinoscope d’« élu local de l’année ». Un choix polémique justifié par « la propulsion visible du Front National non plus seulement dans le débat politique mais sur le plan électoral » selon le jury de journalistes.

Or, si l’année 2014 a été marquée par les résultats électoraux à la hausse du Front National – de la conquête d’une dizaine de villes à son entrée au Sénat, en passant par son arrivée en tête aux élections européennes (schéma qui pourrait par ailleurs se reproduire lors des prochaines élections, départementales, en mars prochain) – elle l’aura aussi été par le traitement médiatique favorable au parti d’extrême-droite, comme Reporterre l’avait déjà analysé ici et là. A ce jeu, la couverture de la soi-disante mue écologique du FN fin 2014 confirme la tendance : le FN a réussi son dernier grand coup de com’ de l’année.

 

 

- Capture d’écran -

« Le Front national se met au vert », « Ecologie : le Front national se met au recyclage », etc. Du Figaro à Libération, les principaux titres ont évoqué le lancement, le 9 décembre dernier, du collectif « Nouvelle écologie », quatrième cercle de réflexion thématique initié par le Rassemblement Bleu Marine. Parfois avec dérision, comme dans une chronique de France Inter, parfois beaucoup moins, comme avec le journal patronal L’Opinion.

« C’est la force de sa stratégie : elle brouille les cartes, et une fois de plus, elle reste au centre du jeu médiatique », constate Erwan Lecoeur, sociologue spécialiste du Front National. Seul The Guardian, outre-manche, a dans sa relation des faits rapporté les critiques émises par les écologistes à l’encontre de cette entreprise de récupération.

En fait, comme l’avoue Philippe Murer, président de ce nouveau collectif et interrogé par Reporterre, « les journalistes ont raconté n’importe quoi sur ce que l’on faisait ». Alors, le Front National porterait-il des revendications écologistes ? Reporterre est entré dans la boîte noire d’un discours frontiste maquillé de vert.


- Philippe Murer (capture d’écran) -

Un phénomène pas vraiment nouveau

L’intérêt du Front national pour ces sujets participe de la stratégie de dédiabolisation du parti d’extrême-droite : « L’écologie va lui apporter une image adoucie, car en tant que valeur, c’est une notion qui fait consensus au sein de la population. Pour gagner 2017, Marine Le Pen a besoin d’un apport supplémentaire. Et elle se dit que l’écologie va lui donner un capital sympathie en tant que personne qui aime la nature et les petits oiseaux », poursuit Erwan Lecoeur.

La récupération, par ce mouvement politique, d’une pensée dite écologiste n’est pas récente. L’historien Stéphane François rappelle, dans Les Inrockuptibles, que « l’écologie apparaît dans des programmes du FN au début des années 1990, dans une optique identitaire, sous l’impulsion de Bruno Mégret ». Celui-ci déclarait même en novembre 1996, lors d’un colloque à Lyon, que « le Front National est le seul mouvement authentiquement écologiste de France ».

Plus récemment, le passage au bureau national du Front national de Laurent Ozon a poursuivi la construction de cette nationale-écologie. Un terme que refuse Philippe Murer : « L’étiquette me dérange. C’est trop réducteur et ne dit rien sur la réflexion qui est menée ». Une pensée construite sur l’idée d’un ordre naturel qui justifie le repli sur soi : « C’est un dérivé de la deep ecology. Le sentiment écologique se résume à l’idée de puissance et d’âge d’or de la nature : sa conservation nécessiterait alors un retour aux racines d’antan », analyse Erwan Lecoeur.

C’est ce qui peut expliquer, par ailleurs, les tentatives d’infiltration de groupuscules d’extrême-droite au sein des luttes écologistes, au motif de la défense d’une « identité » : « Pour cette famille politique, la société fonctionne comme un organisme vivant. Elle a ses règles immuables, comme les règles de la nature. Si vous introduisez trop d’immigrés ou que vous autorisez les couples homosexuels, pense-t-elle, vous introduisez du désordre. Il y a des différences d’espèce dans le règne des humains comme dans le règne des animaux », expliquait alors le politologue Jean-Yves Camus à Reporterre.

L’écologie, loin d’être une priorité

Si l’appropriation de ces enjeux n’est donc pas nouvelle, l’écologie reste pourtant un sujet particulièrement dévalorisé au Front National. En 2012, elle reste au second plan dans le programme présidentiel de Marine Le Pen, dépourvu de cohérence et de chiffres en la matière. La donne a-t-elle changé depuis ?

Un petit tour sur le site internet du Front National laisse à penser le contraire. Difficile d’y trouver trace de préoccupation écologiste. Dans la rubrique Actualités, on cherche du côté des mots-clés, à droite, où la liste fait apparaître les cinquante « les plus utilisés ». On y retrouve les principaux thèmes du débat politique – « Justice », « Santé », « Emploi », « Fiscalité », etc. – aux côtés des grands classiques du discours d’extrême-droite – « Immigration », « Insécurité », « Mariage homosexuel », « Fondamentalisme », etc. – auxquels s’ajoutent aussi certaines références plus orientées, telles que « Halal », « Roms », « Islam radical » ou « Algérie ». Mais ni « Ecologie », ni « Environnement », ni « Réchauffement climatique ».


- Les mots clefs les plus utilisés sur le site du Front National -

Pourtant, le mot-clé « Ecologie » existe bel et bien, et une page lui est entièrement dédiée. Elle recense tous les communiqués fléchés sur ce thème. Depuis le lancement du collectif il y a deux mois, le parti a publié trois communiqués étiquetés « écologie ». C’est maigre. Mais c’est toutefois une nette amélioration.

Avant le 9 décembre 2014 ? Il faut remonter au 25 novembre 2014, et un communiqué de presse de Wallerand de Saint-Just, secrétaire de la Fédération parisienne du FN. Tout est dans le titre : « Non à l’utilisation de l’écologie par Anne Hidalgo comme arme de destruction massive de l’économie et de la vie parisienne ». Si l’on passe outre l’interview à BFM TV de Florian Philippot en date du 31 octobre – dans laquelle ce dernier développe les positions du FN sur des dossiers d’actualité écologique : arrêter l’écotaxe, poursuivre le nucléaire et remettre sur pied le projet de barrage de Sivens… – le communiqué précédant date… du 12 septembre 2013. Et cette fois, c’est Marine Le Pen qui s’exprime, évoquant une « secte Verte » qui ferait régner sa loi dans le combat contre la pollution au détriment du pouvoir d’achat des Français...

Cinq communiqués sur l’écologie en dix-huit mois alors que le parti publie près de dix textes chaque jour. C’est peu. Et rien sur le climat, rien sur la biodiversité, rien sur les derniers sujets à l’agenda politique, tels que le plan Ecophyto sur les pesticides ou la loi sur les ondes électromagnétiques. Et ni le communiqué de presse de Steeve Briois sur les aéroports fantômes, ni celui de Florian Philippot sur les concessions autoroutières, par exemple, n’évoquent l’enjeu environnemental de ces infrastructures…

Une obsession : l’automobile

En fait, l’écologie au FN semble se réduire à l’enjeu automobile. Dans le dernier communiqué publié, qui se veut une réaction à la feuille de route sur l’écologie présentée mercredi par le Gouvernement, Philippe Murer se concentre exclusivement sur la critique des mesures favorables à la voiture électrique – développant un long plaidoyer pour la voiture à hydrogène. Mais pas un mot sur la COP 21 et la fin des aides à l’export pour les projets liés au charbon.

L’avant-dernier communiqué pourfend, lui, la politique de la mairie de Paris à l’égard des automobilistes. Dans une déclaration intitulée « Pic de pollution à Paris, l’écologie comme paravent de l’incompétence municipale », Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN, appelle à une « augmentation significative du nombre des de [sic] places de stationnements, permettant ainsi aux résidents de se garer facilement, sans tourner des heures, et donc polluer pendant des heures… ». Car oui, c’est bien « en fluidifiant le trafic et le stationnement que l’on luttera efficacement contre la pollution ».

Schizophrénie ou ineptie ? Si le FN entend lutter contre la pollution au nom de l’écologie, il s’insurge dans le même temps contre les mesures politiques prises à l’encontre du diesel, considérées comme punitives et vécues comme une entrave au pouvoir des automobilistes. Ainsi, le 8 décembre dernier, la Fédération du FN de Paris publiait un communiqué à la suite des annonces d’Anne Hidalgo sur le sujet : « La situation ne faisant qu’empirer malgré tout, nous affirmons que c’est la guerre dogmatiquement faite à l’automobile depuis des années qui aggrave la pollution parisienne ».

Non seulement, l’écologie est un sujet quasiment absent du logiciel politique du parti. Mais de surcroît, à l’image de cet intérêt monomaniaque qu’il porte à la voiture, les rares fois où l’écologie mobilise une prise de position au Front national, celles-ci sont clairement anti-écologistes.

De quelle écologie parle-t-on ?

Mais alors, comment parler d’écologie après tant de virulence à l’égard des écologistes ? Le Front National a trouvé la recette : vider le concept de sa substance théorique, invoquer la désidéologisation de ces problématiques et surtout dénoncer la « dictature » des partis politiques traditionnels. Ainsi, lorsqu’Eric Richermoz, secrétaire général du nouveau collectif, annonce « la fin du monopole insolent d’EELV et de la gauche sur l’écologie » lors de la conférence de presse du 9 décembre 2014 (visionnable ici, à 29’27), un tonnerre d’applaudissements se déclenche dans la salle, remplie d’une bonne centaine de personnes, visiblement pas tous journalistes…


- Éric Richermoz et Philippe Murer au lancement du Collectif Nouvelle Écologie. Capture d’écran -

On prétend devenir plus écologiste que les écologistes, en dénigrant leur « vernis écologique » pour mieux promouvoir une « écologie nouvelle ». « Une écologie de bon sens, qui ne tombe pas dans les travers de l’écologisme politique actuel, une écologie réaliste, basée sur un travail rigoureux et sans a priori idéologique », détaille l’étudiant en master de finance à l’IESEG.

Le Front National élabore ainsi son discours sur l’écologie, promouvant la transition énergétique, glosant sur l’obsolescence programmée, dénonçant le court-termisme, prônant la relocalisation et les circuits-courts, s’opposant aux projets de la ferme-usine des Mille vaches ou de Notre-Dame-des-Landes.

A l’issue de son discours d’inauguration du collectif (consultable ici), Marine Le Pen répond même à quelques journalistes en dénonçant la pollution visuelle et ces « entrées de ville complètement défigurées par la multiplication des panneaux publicitaires ». Et lorsqu’un journaliste lui demande si l’environnement peut être une priorité au même titre que l’emploi ou l’immigration dans le programme du FN, elle disserte habilement sur la transversalité de l’écologie.

- Ecouter l’extrait des propos de Marine Le Pen :

 

 

Problème ? Les professions de foi camouflent de profondes contradictions. Le discours ne résiste en réalité pas à l’épreuve de la cohérence. Sur les principaux champs de l’écologie politique, les positions défendues trahissent d’irréconciliables paradoxes que soulignent le tableau ci-dessous, non-exhaustif :

 

 

Un autre thème important n’a pas été évoqué lors de cette présentation programmatique : l’agriculture. Officiellement, le parti se présente comme un défenseur des petits paysans face à l’agriculture intensive. « L’agriculture de conservation est une bonne piste », assure Philippe Murer, qui raconte mettre du savon de Marseille dans son jardin pour tuer les pucerons. « C’est cent fois moins cher ».

Pourtant, le Front National a soutenu avec force les bonnets rouges. Et ne se cache pas sur l’écotaxe : « Nous sommes absolument contre. C’est une aberration sociale qui fait détester l’écologie. Il faut arrêter les taxes qui tapent sur les petits. En ce sens, les manifestations des bonnets rouges ne sont pas étonnantes, et nous comprenons la détresse de ces agriculteurs victimes du système », nous confiait ainsi Eric Richermoz.

Autre sujet d’antagonisme : le climat. Le FN s’est longtemps caractérisé par des positions climato-sceptiques. Ainsi, en 2010, Jean-Marie Le Pen organisait-il un colloque intitulé « Le réchauffement climatique, mythe ou réalité » au cours duquel fut dénoncé la « manipulation [du] prétendu réchauffement climatique ».

Marine Le Pen cherche aujourd’hui à se distancier de cet héritage. Mais si elle reconnaît officiellement l’enjeu du dérèglement climatique, elle n’a pas résolu pour autant la question du plan d’action pour y faire face. Ses responsables politiques dénoncent surtout l’inefficacité des outils internationaux : « Regardez la conférence de Lima, qui est un nouvel échec. Regardez le protocole de Kyoto, qui n’a jamais marché… Le supranational n’apporte aucun résultat, le vrai levier d’action, c’est la nation », affirme Philippe Murer.

Comment mettre en place une politique commune de lutte contre le changement climatique, alors que ses conséquences ne connaissent pas de frontières ? « Par une coopération entre Etats », nous répond Florian Philippot. Mais le sujet est visiblement sensible. Alors que l’on insiste en interrogeant la possibilité de mener une politique globale en la matière tout en se retirant de l’Union Européenne et de toute construction collective, un militant nous interpelle brusquement dans la salle de la conférence de presse :

Ecouter Michel Bogé :

L’homme, Michel Bogé, est un ancien membre de Nature et Progrès – dont il est parti à cause des « gauchistes » - et gérant-fondateur de La Boutique de l’écologie, à Paris. Il se présente comme un spécialiste de l’agriculture biologique, pratiquant une « écologie spiritualiste ». Au fil de la discussion, il se révèle toutefois beaucoup moins expert sur la question du changement climatique

- Ecouter Michel Bogé :

 

Dans les faits ?

Ne pas répondre à la question au motif que l’on ne connaît pas le dossier : c’est une autre parade dont le FN s’est fait spécialiste. Ainsi de Florian Philippot, lorsqu’on l’interroge sur le projet de Center Parc à Roybon :

- Ecouter Florian Philippot sur le Center Parc de Roybon :

 

Des votes systématiquement anti-écolos

Sur le terrain, ses élus ont pourtant plusieurs fois manifesté leur soutien au projet. Après avoir manifesté, aux côtés du Parti Socialiste - qui, à l’occasion, n’a pas rechigné à défiler avec les élus d’extrême-droite -, le dimanche 7 décembre, tel que l’indique le site officiel de la Fédération FN d’Isère –, le Front National a ainsi voté le vœu de soutien au Center Parc de Roybon lors de la délibération du Conseil Régional de Rhône-Alpes, le vendredi 12 décembre. Finalement rejeté, ce texte déposé par le groupe de l’Union de la droite et du Centre a obtenu l’adhésion totale des quinze conseillers régionaux FN.

Ce cas est loin d’être isolé. En réalité, malgré le mot d’ordre de l’« écologie pragmatique », les élus FN multiplient les votes à l’encontre de toute écologie concrète, dans toutes les institutions dans lesquelles ils siègent...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : www.reporterre.net

 

 

 

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6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 17:47

 

 

Source : www.bastamag.net


 

Entrez dans le monde des banques françaises, là où la finance a un visage

par Rédaction 5 février 2015

 

Basta !, en partenariat avec Attac, publie un livre enquête qui vous fera découvrir la face obscure des grandes banques françaises. Pour la première fois, des journalistes et des économistes évaluent le coût exorbitant, mais passé sous silence, de leurs activités. De l’évasion fiscale à la spéculation sur les matières premières, de la « finance de l’ombre » aux produits dérivés opaques, des projets polluants aux emprunts « toxiques », Le livre noir des banques dresse un panorama complet des effets néfastes de la finance toute puissante. Il sort en librairie le 11 février. Vous pouvez d’ores-et-déjà le commander.

 

 

 

 

Voici un livre enquête qui vous fera découvrir la face obscure des grandes banques françaises. Pour la première fois des journalistes et des économistes évaluent le coût exorbitant, mais passé sous silence, de leurs activités. De l’évasion fiscale à la spéculation sur les matières premières, de la « finance de l’ombre » aux produits dérivés opaques, des projets polluants aux emprunts « toxiques », ce livre co-écrit par Basta ! et Attac, dresse un panorama complet des effets néfastes de la finance toute puissante. Il sort en librairie le 11 février. Vous pouvez également le commander en ligne, ce qui vous permet de soutenir financièrement Basta ! (voir « Où acheter le Livre noir des banques ? »).

En 2008, la folie spéculative des banques a provoqué une crise qui ne cesse, depuis, de s’aggraver. Les banques n’ont dû leur salut qu’aux centaines de milliards d’euros injectés par les États et les banques centrales. Que s’est-il passé depuis ? Que sont devenues les grandes promesses de régulation du secteur bancaire ? Pourquoi les responsables politiques ont-ils accepté, sans exception, de maintenir un système qui privatise les profits et socialise les pertes ? Quelles réformes sont nécessaires ? Ce livre retrace également l’histoire de conflits d’intérêts, de collusions et d’aveuglements incroyables.
Entrons dans le monde des banques françaises. Là où la finance a un visage. Celui d’une oligarchie bancaire grassement rémunérée, complice d’un hold-up planétaire.


- Pourquoi ce livre
- Où acheter le Livre noir des banques ?
- Ils en parlent : Le Livre noir des banques dans les médias
- En savoir plus sur les banques françaises
- Où assister à un débat public ?
- Qui sont les partenaires ?

 

Pourquoi ce livre ?

Ce livre enquête (372 pages, 19 chapitres), écrit par des économistes et journalistes, déconstruit radicalement le discours officiel selon lequel, depuis 2008, des réformes salutaires auraient été menées à bien par les pouvoirs publics et par les banques, celles-ci contribuant désormais à la sortie de crise et au bien-être de la société…
Nous avons voulu évaluer le prix exorbitant, mais passé sous silence, des activités des banques françaises. Nous avons cherché à comprendre comment la finance organise une gigantesque captation de richesse, en toute impunité. Et pourquoi depuis sept ans, rien – ou presque – n’a changé.
Les banques sont toujours de véritables et dangereuses bombes à retardement. Nous avons voulu tracer des pistes pour une reprise en main. Pour chacun des chantiers dont il est question dans cet ouvrage, des mesures simples et efficaces sont à la portée des gouvernements, de nos élus. A notre portée. Pour reprendre le contrôle, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement du système bancaire, d’en percevoir la structure, de saisir la logique de ses acteurs. Pour que la démocratie ne s’arrête pas à la porte des salles de marché. Et pour éviter un prochain cataclysme financier, aux impacts sociaux, économiques et environnementaux désastreux.

 

Où acheter le Livre noir des banques ?

Le Livre noir des banques sera dans toutes les bonnes librairies dès le 11 février. Vous pouvez aussi en commander un exemplaire à partir du formulaire suivant. Si vous achetez directement votre livre en ligne via ce formulaire, le bénéfice intégral de cette vente sera reversé à Basta ! Chaque exemplaire commandé en ligne vous coûtera 22 € (21,50 € + 0,50 € de frais de port).

 

Ils en parlent : le Livre noir des banques dans les médias

- Les bonnes feuilles publiées par le Nouvel Obs, 5 février 2015.

« Sept ans après la crise des subprimes, les grandes promesses de régulation ont-elles été tenues ? L’association Attac et le site Basta ! dressent le bilan inquiétant dans un livre dont l’Obs publie les bonnes feuilles. »

 

En savoir plus sur les banques françaises

Une sélection de nos articles sur les banques :
- Réforme bancaire : comment le gouvernement s’est écrasé devant le monde de la finance (lien)
- « Face à la dimension criminelle de la crise, les élites sont aveugles, incompétentes ou complices » (lien)
- Emprunts toxiques : l’État préfère défendre les banques plutôt que les collectivités flouées(lien)
- Délits et crimes financiers : pourquoi les banquiers ne vont jamais en prison (lien)
- Pascal Canfin : pourquoi il ne faut jamais croire les banques (lien)
- Quand les banques françaises financent allègrement les gaz de schiste (lien)
- « Le système financier est comme une centrale nucléaire mal contrôlée » (lien)
- Crédit agricole, la « banque verte » qui soutient les énergies sales et la destruction de montagnes (lien)
- Bonus, mensonges et lobbying : comment les banques européennes résistent à toute régulation (lien)
- Prix des aliments et des matières premières : les banques inventent l’hyper-spéculation (lien)

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Où assister à un débat public ?

[Plus d’informations à venir]
- Le 17 février, à Paris 15ème
- Le 19 février, à Marseille [18h30 au 29, boulevard Longchamp]
- Le 9 mars, à Paris [20h30, Théâtre de la ville, 2 place du Châtelet. Soirée en partenariat avec Mediapart]
- Le 10 mars, à Montreuil [19h, librairie Folie d’encre]
- Le 11 mars, à Nîmes [précisions à venir]
- Le 12 mai, à La Seyne sur mer [précisions à venir]

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Qui sont les partenaires ?

Le Livre noir des banques a été écrit par des journalistes de Basta ! et des économistes de l’association Attac, qui milite pour la justice sociale et environnementale, et conteste radicalement le pouvoir pris par la finance sur les peuples et la nature. Son site Internet.

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6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 17:36

 

Source : www.mediapart.fr

 

Le compte caché des sénateurs UMP

|  Par Mathilde Mathieu

 

 

D'après des documents obtenus par Mediapart, un ministre de Nicolas Sarkozy, Henri de Raincourt, arrondissait ses fins de mois au gouvernement grâce à une cagnotte secrète au Sénat. Un compte bancaire ouvert au nom du « groupe UMP » était distinct du compte officiel et réservé à quelques sénateurs seulement.

 

 

Les sénateurs UMP ont raison de s'affoler. Les juges chargés d'enquêter sur leurs « petits » arrangements financiers sont en train de faire sauter, au pied-de-biche, le couvercle de la boîte de Pandore. Déjà, ils ont listé chèques et retraits d'argent suspects, empochés via une association quasi fantoche (voir nos informations ici et ). Aujourd'hui, c'est un compte bancaire secret qui surgit. D'après des documents obtenus par Mediapart, un compte a en effet été ouvert chez HSBC au nom du « groupe UMP du Sénat », dont certains dirigeants du groupe ignoraient l'existence.

En parallèle du compte officiel situé dans une tout autre banque, il a visiblement été utilisé par une poignée d'élus issus d'un même courant, celui des Républicains indépendants (les rivaux historiques du RPR). À quoi a bien pu servir ce compte bis, forcément alimenté à l'origine par des fonds publics ? À ce stade, il est impossible de le dire, à une exception près.

Les pièces bancaires en notre possession indiquent en effet qu'un sénateur UMP, devenu ministre de Nicolas Sarkozy en juin 2009, Henri de Raincourt, a été secrètement rémunéré depuis ce compte du « groupe UMP du Sénat » pendant qu’il était au gouvernement, via un virement automatique de 4 000 euros par mois. D'après certains documents, ces versements auraient duré jusqu’en mars 2011.

Cette mise sous perfusion d’un ministre de la République par un groupe parlementaire, si elle devait se confirmer, outre qu'elle pose des questions légales, contredit frontalement le principe de séparation des pouvoirs exécutif et législatif – d’autant que Henri de Raincourt a été en charge « des relations avec le parlement » dans le gouvernement Fillon (avant de récupérer le portefeuille de la « coopération »).

 

Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon. 
Le sénateur Henri de Raincourt (au centre), ancien ministre du gouvernement Fillon. © Reuters

Depuis juin 2012, l'intéressé est redevenu simple sénateur de l'Yonne, puis un temps vice-président de l'UMP (2013-2014). Depuis dix jours, il fuit toutes nos questions. Coups de fil, e-mails, SMS, rien n'y fait. Quand on l'appelle sur son portable, il nous raccroche au nez  (« Je ne répondrai pas ! »). Ce faisant, Henri de Raincourt ne dément pas.

Mais qui est cet homme discret ? Marquis, fils de sénateur et petit-fils de conseiller général, marié à la fille d’un ancien député, Henri de Raincourt, pur produit du sérail, a décroché son premier mandat au palais du Luxembourg en 1986. Longtemps président du groupe des Républicains indépendants du Sénat (qui a fusionné avec le RPR en 2002 pour fonder l’UMP), il a ensuite réussi, en 2008, à s’emparer de la présidence du groupe UMP, sans guère d’écho médiatique.

La seule fois où Henri de Raincourt a fait parler de lui après sa nomination au gouvernement en juin 2009 (à l’âge de 60 ans), c’est quand la presse a découvert qu’il cumulait son salaire de ministre de 14 000 euros avec une « allocation vieillesse » de sénateur – cumul auquel François Fillon lui a demandé de mettre fin immédiatement. Mais qu’importe. Le marquis avait encore bien des ressources cachées.

Le virement mensuel de 4 000 euros dont il est aujourd’hui question remonte en fait à 2008, au lendemain de son élection à la tête des sénateurs UMP. C’est le trésorier du groupe de l’époque, Jean-Claude Carle (issu des Républicains indépendants lui aussi), qui l’a mis en place dans la plus grande discrétion, pour compléter les indemnités déjà versées par le Sénat à son “patron” (environ 7 100 euros mensuels d’indemnité de base, plus 2 000 euros comme président de groupe, sans compter l’enveloppe de 6 000 euros pour couvrir ses frais professionnels et celle de 7 500 euros pour l’emploi d’assistants). Celles-ci ne suffisaient sans doute pas au marquis de Raincourt.

Dans un courrier à en-tête du groupe UMP daté de février 2008, Jean-Claude Carle a ainsi dicté ses consignes à l'agence HSBC située carrefour de l'Odéon (à deux pas du Luxembourg) : « Je vous remercie de bien vouloir effectuer chaque mois à compter du 1er avril 2008 un virement de 4 000 euros – quatre mille euros – à partir du compte HSBC, groupe UMP du Sénat, N° (…), sur le compte de Monsieur Henri de Raincourt à La Banque postale, N° (…). » Un sacré bonus mensuel.

L'existence d'un tel virement a déjà été évoquée en mai dernier par Le Canard enchaîné, mais sans que l’hebdomadaire puisse préciser combien de temps il avait duré (ni le compte ponctionné). En toute logique, il aurait dû cesser en juin 2009, le jour où Henri de Raincourt a abandonné son fauteuil de président du groupe UMP pour rallier le gouvernement.

Mais d’après nos documents, c'est seulement vingt et un mois plus tard que Jean-Claude Carle aurait mis fin au virement. Dans un courrier daté de février 2011, le trésorier du groupe UMP écrivait en effet au directeur de l'agence HSBC d'Odéon : « Je vous remercie d'arrêter les versements mensuels de quatre mille euros (4 000 euros) au bénéfice de Monsieur Henri de Raincourt à partir du compte N° (…) du groupe UMP du sénat après le 1er mars 2011 prochain, dernière opération de ce type en faveur de Monsieur Henri de Raincourt. »

Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart pour confirmer la date d'interruption de ces versements et surtout expliquer leur fondement, de même que la nature de ce « compte chèques », Jean-Claude Carle n’a pas retourné nos appels. Trésorier historique du groupe UMP, le sénateur a dû, il y a quelques mois, céder sa casquette. Son successeur, Jean-Noël Cardoux, choisi pour ses compétences d’expert-comptable et censé faire le ménage, n’a pas souhaité nous répondre non plus à ce stade.

Certains observateurs avisés suggèrent que la banque HSBC abriterait en fait la cagnotte historique des anciens Républicains indépendants, famille politique de Henri de Raincourt et de Jean-Pierre Carle, mais aussi de Jean-Pierre Raffarin ou du maire de Marseille Jean-Claude Gaudin (président du groupe UMP de 2011 à 2014).

En effet, au moment où les Républicains indépendants ont fusionné avec le RPR pour créer l’UMP fin 2002, leur groupe possédait d’importantes réserves, constituées au fil des ans grâce aux cotisations des membres et surtout aux millions d'euros de dotations de fonctionnement du Sénat (censées servir au travail parlementaire, au recrutement de collaborateurs, etc., mais hors contrôle). À sa dissolution en décembre 2002, il est donc possible que le groupe ait conservé une partie de sa trésorerie sous le coude, plutôt que de verser l’intégralité au pot commun de l’UMP. De quelles sommes parle-t-on ?

Les documents en possession de Mediapart montrent que le « compte chèques » de l'agence HSBC d'Odéon a disposé, à la fin des années 2000, de centaines de milliers d'euros. Y avait-il un « compte titres » ? Des placements ?

À la faveur de l'information judiciaire en cours, menée par deux juges parisiens sur des soupçons de « détournements de fonds publics », « abus de confiance » et « blanchiment », on savait déjà qu'une petite partie de la cagnotte des Républicains indépendants avait dû être transférée à l'URS, association semi-fantoche créée fin 2002. Via son compte à la Société générale, l’URS a servi depuis à redistribuer des fonds à des dizaines de sénateurs UMP sous forme de chèques ou d’espèces, sans contrepartie connue et à hauteur de centaines de milliers d'euros rien qu'entre 2009 et 2012 (voir nos enquêtes ici et ). À sa tête ? Henri de Raincourt, déjà lui. On découvre aujourd'hui que le marquis a profité d'un autre compte, chez HSBC cette fois. Sur combien de comptes exactement avait-il la main ? Surtout, combien d'autres parlementaires en ont bénéficié depuis douze ans ?

Rappelons que l'argent distribué par le Sénat à ses différents groupes politiques, théoriquement destiné aux travaux parlementaires, n'a jamais fait l'objet du moindre contrôle par l'institution. Alors que l'Assemblée nationale vient de voter la transparence sur les comptes de ses propres groupes, le Sénat s'y refuse toujours.

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 


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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 17:12

 

 

Source : www.bastamag.net


 

Capsules de café : derrière un marché en pleine expansion, des montagnes de déchets

par Morgane Thimel 5 février 2015

 

Chaque jour, il se vendrait plus de cinq millions de capsules individuelles de café en France. Une formule qui rapporte une fortune : le café en dosette se paie quatre à sept fois plus cher que le sachet de café classique. Ce marché reste largement dominé par Nespresso, l’inventeur du système et filiale de Nestlé. Cette nouvelle « richesse » profite-t-elle aussi aux producteurs de café, en Afrique ou en Amérique latine ? Les milliards de capsules consommées sont-elles recyclées ? Les concurrents de Nespresso proposent-ils des alternatives plus éthiques et écologiques en la matière ? Enquête sur ce nouvel or noir encapsulé.

Alors que bon nombre de secteurs de l’agroalimentaire sont en difficulté, les ventes de doses de café encapsulé ont de quoi faire pâlir d’envie plus d’une multinationale. Les dosettes de café représenteraient en France un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros [1]. Un marché largement dominé – à 85% – par l’inventeur du concept Nespresso, une filiale du géant suisse Nestlé. Au grand désarroi de la multinationale, le secteur est devenu ultra-concurrentiel. Avec quelles conséquences ?

Les ventes des dosettes Nestlé explosent depuis une décennie. En 2012, plus d’1,85 milliard de ses capsules sont écoulées dans l’hexagone (pour une valeur de 633,5 millions d’euros !), quasiment le double de l’année 2007 [2]. Les ventes de ses machines à expresso ont été multipliées par 1,5 (787 000 machines en 2012). Un succès qui s’appuie sur l’image de l’acteur George Clooney, rémunéré environ 6 millions d’euros pour chaque épisode publicitaire. Et sur la stratégie du client captif : un réseau de distribution spécifique (les boutiques Nespresso) et des dosettes qui nécessitent la machine design de la marque.

La fin du quasi monopole de Nestlé

Vu l’ampleur du marché, de nombreuses sociétés se sont, dès 2010, lancées à l’assaut de ce commerce juteux. Nespresso a d’abord cherché par tous les moyens à minimiser l’impact de ces nouveaux arrivants. La filiale de Nestlé a pris ses aises avec le droit à la concurrence en tentant de rendre ses machines incompatibles avec les dosettes d’autres marques, ou en menaçant de défendre juridiquement ses brevets. Mais elle a été rattrapée par l’Autorité de la concurrence en avril 2014. Désormais, elle a obligation de « faciliter » l’ouverture du secteur, et de ses machines, via toute une série d’engagements.

Au terme d’une étude approfondie de quatre ans menée par l’autorité et d’une procédure à l’amiable, le géant suisse s’est engagé à « lever les obstacles à l’entrée et au développement des autres fabricants de capsules » [3]. Parmi ces mesures : l’abandon de la mention Nespresso caps only (« uniquement pour capsule Nespresso ») sur les notices des machines, le maintien des garanties quelles que soient les marques utilisées ou encore le partage avec les concurrents des schémas techniques des machines qui assureront le bon fonctionnement de toutes les capsules [4]. « Si Nespresso ne respectait pas ses engagements, il pourrait être sanctionné jusqu’à 10% de son chiffre d’affaire, précise une représentante de l’Autorité. Pour le moment, nous n’avons pas eu de retours sur un quelconque manquement de la part de la marque. » Un mandataire a été nommé pour suivre le dossier.

De l’or noir encapsulé sous vide

Les freins à la consommation des capsules « Nespresso-compatibles » tombent et les consommateurs pourraient être plus nombreux à se tourner vers des marques concurrentes. Si cette ouverture est a priori une bonne nouvelle pour les 25% de foyers hexagonaux équipés de machines à dosettes, l’est-elle pour les caféiculteurs et pour l’environnement ? Derrière les milliards de dosettes vendues, deux enjeux clés se dessinent : la répartition de la richesse créée et l’impact environnemental des capsules et de leur recyclage. Pour les petits producteurs, tout dépendra des pratiques en vigueur. « Si le marché revient majoritairement à des entreprises dont le fonctionnement est moins intéressant que celui de Nespresso, ce n’est pas forcément mieux », relativise Sylvain Ly, du Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic).

Le café est la matière agricole la plus échangée dans le monde, la seconde matière première en valeur après le pétrole (8,7 millions de tonnes par an). Vingt millions de personnes vivraient de cette production, en majorité dans des exploitations familiales (moins de 10 hectares), estime le Comité français du café. Aujourd’hui, son cours avoisine les 3€ le kilo à l’achat [5]. « Dans le café, les marges sont en général relativement faibles. Dernièrement, l’apparition des capsules et des cafés de spécialité a permis de restaurer une certaine marge pour les industriels », explique une agronome. Une marge qui repose sur les consommateurs. Les Français paient leur tasse d’expresso encapsulé très chère : entre 0,27€ et 0,44€ pour une dosette de cinq grammes. Rapportés au kilo, cela signifie que les consommateurs paient leur café entre 54 € et 88 €, soit quatre à sept fois plus que le prix du paquet de café classique ! Celui-ci est estimé par l’Insee à 12€/kg pour l’arabica [6]. Cinq grammes de café encapsulé équivalent donc à de l’or noir sous vide !

Quel retour pour les producteurs ?

En août 2014, dans le cadre d’un vaste projet intitulé The positive cup, Nespresso annonçait son intention de verser 15 millions d’euros sur six ans à des programmes en Éthiopie, au Kenya et au Soudan du Sud, des pays d’où provient son café [7]. Contrairement à plusieurs de ses concurrents, la marque suisse annonce s’engager, depuis 2013, en faveur des producteurs, du développement durable, d’une agriculture raisonnée (notamment en adhérant au programme Rainforest Alliance) dans un programme intitulé AAA [8], et ne s’en cache surtout pas. Cette image de marque se veut en accord avec son positionnement élitiste. La réalité correspond-elle à cette communication soignée ? Les responsables de Nestlé évoquent des mesures validées par Fairtrade International, qui regroupe des labels de commerce équitable. Mais ils ne mentionnent nulle part une labellisation « commerce équitable » de leurs produits, labellisation qui implique des salaires ou des prix d’achat minimum pour les producteurs. D’ailleurs, en 2011, l’ONG Solidar les a interpellés avec un faux spot publicitaire pour les inciter à s’investir davantage auprès de petits caféiculteurs. En moins d’un mois, 40 000 personnes avaient soutenu l’association dans cette démarche.

L’implication de Nespresso semble cependant plus sérieuse que de nombreux géants de l’agroalimentaire, qui communiquent très peu sur la provenance de leurs crus. Peut-être parce que la réputation de Nestlé doit aussi être restaurée (lire nos articles). De petits torréfacteurs français viennent pourtant lui faire concurrence sur les questions d’éthique et de responsabilités. « Je trouve qu’en général il est bon de goûter d’autres produits, se laisser tenter par les cafés capsules de certaines PME françaises, qui travaillent très bien en donnant de la visibilité aux producteurs ou à leurs organisations », explique une dégustatrice qui travaille comme indépendante pour des torréfacteurs (et qui souhaite donc rester anonyme).

Plusieurs marques avancent un réel engagement auprès des cultivateurs comme les crus Lobodis, labellisés Max Havelaar et des certificateurs bio, ou certains produits équitables de la marque Ethical Coffee Company. Les capsules à remplir soi-même, jetables ou non, sont une autre alternative éthique. Le choix du café appartient aux consommateurs, la seule contrainte étant de les préparer. « La dosette de Café Capsulin permet, par exemple, de faire des économies importantes. À 77€/kg, on devrait pouvoir boire un très bon café ! Actuellement on trouve d’excellents cafés entre 28€ et 48€/kg. Après il faut s’équiper autrement et surtout accepter de consacrer un peu plus de temps à ce produit », poursuit la dégustatrice.

Quatre Tour Eiffel de déchets par an

Reste l’épineuse question du recyclage et de l’empreinte carbone : « Plus de 8 milliards de dosettes sont vendues par an, dans le monde, dont la moitié pour Nespresso », indique une étude de marché réalisée par la filiale de Nestlé. Et ces chiffres datent de 2011 ! Cela représente plus de 40 000 tonnes de déchets annuels. L’équivalent de quatre Tour Eiffel de dosettes par an. Les capsules en aluminium utilisées par Nespresso – selon l’entreprise, c’est le matériau le plus adapté pour conserver les qualités gustatives – sont trop petites pour être prises en charge par les collectivités. Depuis 2008, la marque a mis en place une filiale de recyclage pour faire face à ses besoins propres. « L’aluminium est très impactant en terme d’énergie et d’eau pour le produire à partir du minerai, mais il se recycle extrêmement bien, à condition de le récupérer... », fait remarquer Christophe Alliot du Basic.

En mai 2013, dans un documentaire diffusé sur France 5, un employé de la marque précisait que seule une capsule sur cinq était recyclée et deux milles tonnes d’aluminium revendues dans des fonderies. La marque joue la carte de la confiance en incitant ses consommateurs à rapporter leurs capsules dans des points de collecte. Elle n’ose cependant pas se doter de dispositifs « contraignants », comme un système de consigne, ce qui entraverait un peu plus ses marges financières. Entre business et éthique, il faut choisir...

Des capsules 100% biodégradables

Ses nouveaux concurrents ont, en majorité, choisi le plastique comme matériau de confection. Ce qui n’est pas mieux. Les techniques alternatives demeurent exceptionnelles. Ethical Coffee Company s’est ainsi tourné vers des capsules 100% biodégradables en amidon de maïs. Mais on peut supposer que la multiplication de ces emballages individuels coûtent cher, si ce n’est à recycler, au moins à produire. L’alternative la moins polluante reste les capsules réutilisables de la marque CoffeeDuck. Selon les calculs du journal La Tribune, cette méthode reviendrait à 62,85 € à l’année aux consommateurs, sans compter le prix de la machine.

Quant à l’impact d’une consommation régulière de ces capsules sur la santé, les études existantes sont pour l’instant rassurantes. Les consommateurs ne sont pas davantage exposés « aux contaminants chimiques via le café », conclut l’Anses – l’agence nationale de sécurité sanitaire – dans une étude publiée en septembre 2013 et menée en partenariat avec le magazine 60 millions de consommateurs. « Il n’a pas été retrouvé de phtalates ou de bisphénol A », précise également l’agence [9].

En route vers le marché mondial

Les poubelles risquent bien de continuer de déborder de capsules individuelles. En mai 2014, les géants DEMB (L’Or) et Mondelez (Carte Noir) ont annoncé la fusion de leur activité café dans une nouvelle société Jacobs Douwe Egberts. Leur ambition : devenir le numéro un mondial du café et contrecarrer Nestlé et sa filiale Nespresso. Cette nouvelle société vaudrait 5,5 milliards de dollars. Nespresso leur répond en s’implantant aux États-Unis.

L’entreprise vient de créer un produit avec de nouvelles capsules à destination du marché nord-américain : VertuoLine. Dans un entretien réalisé par le journal suisse Le Temps en novembre 2014, l’actuel PDG de Nespresso, Jean-Marc Duvoisin, décrit « un marché de l’ordre de [5 milliards d’euros] de chiffre d’affaires. La consommation de café en capsules y est encore très faible par rapport à la consommation de café en général. Mais le mouvement est lancé. » Il estime son potentiel de croissance aux États-Unis à 40% et 20% en Europe. Une troisième usine du groupe ouvrira très prochainement à Romont en Suisse. Toujours davantage d’aluminium qui ne sera pas recyclé.

Morgane Thimel

 

Notes

[1Selon Les Echos, en avril 2014.

[2Source Nespresso France, chiffres relayés par l’Autorité de la Concurrence

[3Compte-rendu du test de marché du 17 avril 2014, mené par l’Autorité de la Concurrence

[4Liste des propositions d’engagements faites par Nespresso lors de la procédure à l’amiable.

[5Le cours du café est évalué quotidiennement

[6Prix moyen du café arabica en France évalué par l’INSEE

[7Détails du projet "The Positive Cup" présenté par Nespresso

[8Détails du programme AAA présentés par Nespresso

[9Voir l’étude ici.


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Source : www.bastamag.net

 

 

 

 

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 17:01

 

Source : www.inegalites.fr

 

Qui sont les privilégiés d’une France en crise ?

2 février 2015 -

 

 

Des revenus à l’éducation, la dénonciation des élites est une façon de faire oublier les privilèges dont dispose une frange beaucoup plus large de la population qui vit à l’abri de la crise. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.


Qui sont les privilégiés dans la France contemporaine ? Régler la question des inégalités en s’en prenant à une élite étroite arrange, au fond, les couches favorisées. Pour réduire les inégalités, il suffirait de corriger les dérives de quelques-uns, situés tout en haut de la hiérarchie sociale. Une bonne méthode pour ne rien changer au fond. Les super-riches se sont enrichis de façon indécente ces dernières années, mais notre pays reste marqué par des privilèges dont dispose une fraction beaucoup plus large de la population. Ce qui alimente le ressentiment des catégories populaires et les tensions sociales qui s’exprime dans les urnes. Essayons d’y voir plus clair.

La France de tout en haut va très bien. Malgré la crise, elle continue de s’enrichir de façon indécente. Entre 2004 et 2011 [1], le seuil du revenu des 0,1 % les plus riches a augmenté de 23 %, soit 48 000 euros annuels, l’équivalent de quatre ans de Smic, contre 7,7 % et 1 400 euros pour le revenu médian (autant gagne moins, autant gagne plus, revenu par ménage, avant impôts et prestations sociales). La France de l’élite scolaire prospère tout autant. Ses « grandes écoles » restent fermées au peuple, et ses élèves choyés. La collectivité dépense 15 000 euros par étudiant en classe préparatoire aux grandes écoles, contre 9 000 euros par étudiant des filières généralistes de l’université.

La « France des riches » est largement dénoncée à gauche, avec raison [2]. Pourtant, cette critique laisse parfois songeur. Hormis sans doute Liliane Bettencourt, on peut toujours trouver plus favorisé que soi. Cette vision élitiste et simpliste des inégalités, très en vogue, conduit à faire l’économie d’une réflexion de fond sur les inégalités sociales qui structurent notre société, bien au-delà des avantages d’une poignée de dirigeants du « grand capital ». Concrètement, elle permet aux catégories favorisées - déguisées en « classes moyennes supérieures » - d’éviter de contribuer davantage à la solidarité et de faire plus de place aux couches moyennes et populaires. Ou de réformer l’école pour l’ouvrir à tous.

Les privilèges vont bien au-delà des beaux quartiers et des classes prépas. La stagnation du pouvoir d’achat est une moyenne artificielle qui masque la progression des revenus de catégories qui se disent assommées par le « matraquage fiscal ». Entre 2008 et 2011, le revenu annuel moyen des cadres supérieurs [3] a augmenté de 1 000 euros, alors que celui des employés a baissé de 500 euros et celui des ouvriers de 230 euros. Au cours de la même période, le seuil de revenu des 10 % les plus pauvres a diminué de 4,3 % (après impôts et prestations sociales), quand celui des 10 % les plus riches a progressé de 3,2 %. Une perte de 360 euros annuels d’un côté et un gain minimum de 1 800 euros de l’autre. Or, on entre dans le club des 10 % les plus aisés, à l’abri de la crise, à partir de 3 000 euros nets [4] pour un célibataire ou 5 600 euros en moyenne pour un couple avec enfants. Bien loin des revenus des patrons superstars du CAC 40 ou de nos 0,1 %.

Rebaptisées classes moyennes supérieures, ces classes aisées tentent d’associer leur sort aux catégories moyennes, qui se situent au milieu du gué (environ 1 500 euros mensuels pour une personne seule) et dont les revenus stagnent. Un classique des rapports de forces sociaux, particulièrement pratiqué chez les indépendants, des agriculteurs aux médecins favorisés, qui savent faire passer leurs revendications par la voix des moins bien lotis d’entre eux. Le déguisement des classes moyennes supérieures a une toute autre ampleur : une frange entière de la population cherche ainsi à échapper à l’effort fiscal [5].

Les privilégiés d’aujourd’hui ne sont pas seulement les titulaires de revenus élevés, mais tous ceux qui sont protégés des aléas du chômage, d’une rupture de parcours professionnel qui conduira à une baisse quasi certaine des revenus, parfois conséquente. Au premier chef, ceux qui disposent du statut d’emploi protecteur de la fonction publique et de bien d’autres organismes para-publics où, en pratique, personne n’est jamais licencié. A niveau de vie équivalent, savoir que l’on disposera d’un salaire jusqu’à sa retraite est devenu, au bout de 40 ans de chômage de masse, un déterminant central des conditions de vie par la stabilité qu’il procure et pour les droits qu’il ouvre, notamment dans l’accès au logement. Certes, une partie des fonctionnaires – c’est le cas, par exemple, des enseignants du primaire ou dans les services informatiques – acceptent en contrepartie des revenus limités rapportés à leurs qualifications. Il n’en demeure pas moins que l’avantage est là. Hier, on moquait les « ronds de cuir » de la République, aujourd’hui, savoir de quoi sera fait demain a une valeur inestimable.

Face à la crise, le niveau de protection résulte par ailleurs pour beaucoup de la taille de l’entreprise. La bureaucratie publique ou privée a son lot d’avantages [6]. Le statut des salariés des grandes structures du secteur privé est sans commune mesure avec celui des PME. La condition salariale, du niveau de salaire à la couverture santé en passant par les multiples avantages du comité d’entreprise, n’a rien à voir avec celle du commun des salariés qui n’a rien de tout cela [7]. La formation et les programmes de reconversion dans les grands groupes font que la menace du chômage n’est pas la même.

Tous ces avantages représentent parfois de petites sommes, mais celui qui paie plein pot sa mutuelle, ses sorties, les loisirs des enfants et ses billets de train ou son électricité est parfois un peu amer quand il observe l’addition de son voisin. A salaire égal, le coût de la vie est parfois un peu variable.

Sur le marché du travail, au-delà du statut, le privilège qui structure le plus notre société est le titre scolaire qui fonctionne comme un véritable capital culturel selon l’expression du sociologue Pierre Bourdieu. Dans une société où la croyance dans la valeur des diplômes est démesurée [8], ceux qui détiennent un titre disposent d’une carapace protectrice. Le taux de chômage des sans diplôme s’élève à 16,8 %, contre 5,7 % pour ceux qui se situent au-dessus de bac+2. Les cas de sur-diplômés sous embauchés ou au chômage existent et se développent. Pour eux, le déclassement est particulièrement violent puisqu’ils sont censés sortir du lot. Il n’empêche : l’exception ne fait pas la règle.

Les initiés de l’école

A l’école, les privilèges dépassent, de loin, les classes préparatoires aux grandes écoles. Apprendre à lire aux enfants le plus tôt possible, en fin de section de maternelle (contrairement à d’autres pays comme la Finlande où cet apprentissage a lieu deux ans plus tard), creuse des écarts précoces du fait de la maîtrise du langage propre aux milieux diplômés. Dans la suite du cursus scolaire, du primaire au lycée, l’ « élitisme républicain » de notre système éducatif est, au fond, un élitisme social. Les programmes, la place des savoirs théoriques, l’évaluation-sanction répétée, sont taillés sur mesure pour les enfants de diplômés, en particulier d’enseignants [9], qui maîtrisent le code de l’école. 90 % de leurs enfants obtiennent le bac, deux fois plus que les enfants d’ouvriers non-qualifiés : ces derniers sont-ils moins « méritants », moins « intelligents » ? L’orientation des jeunes reste un parcours dans lequel une partie des familles, initiées et maîtrisant les arcanes des filières, disposent d’informations sans commune mesure avec la masse des autres parents. Un énorme privilège. La façon même dont l’école française fonctionne, en appuyant sur les échecs plutôt qu’en valorisant les efforts, par la mise en avant d’une poignée d’élèves plutôt que la réussite de tous, joue en la défaveur des catégories les moins favorisées. Le privilège de la maîtrise du code scolaire est l’essence même des inégalités sociales.

Les privilégiés au pouvoir

« Le changement, c’est maintenant » ? La gauche a accédé au pouvoir en faisant campagne sur la réduction des inégalités sociales. Forte de tous les pouvoirs, à tous les échelons territoriaux, elle a oublié sa promesse. La réforme fiscale n’aura pas lieu, les régimes spéciaux de retraite ne seront pas touchés, la « refondation » de l’école a accouché d’une souris et ne touche pas au fonctionnement du système… La grande affaire du début de quinquennat aura été le « mariage pour tous ».

Qu’a proposé la gauche pour réduire les inégalités sociales ? En quoi s’adresse-t-elle aux catégories populaires ? Avec quelques emplois d’avenir et une « garantie jeune » [10] expérimentée dans dix territoires pilotes et étendue en 2015 à 61 nouveaux territoires. Rien ou presque. Visiblement, une partie des dirigeants actuels et passés demeurent aveugles aux difficultés d’une partie de la France et ne veulent pas comprendre que si le Front national progresse, c’est essentiellement parce qu’ils sont incapables de répondre à une demande sociale [11].

Des privilégiés sont aux commandes. Pas seulement aux plus hauts postes de l’exécutif. Des entreprises aux collectivités locales en passant par les associations, une bourgeoisie économique (plutôt de droite) mais aussi culturelle (plutôt de gauche) dispose du pouvoir, vit dans un entre-soi, et n’a aucun intérêt au « changement » qu’elle met en avant comme un slogan. Elle pointe du doigt les ultra-riches mais elle oublie bien vite les quartiers populaires et méprise les couches moyennes pavillonnaires dont l’idéal est écologiquement incorrect [12].

Des think-tanks aux lobbies en passant par les mouvements moins organisés, les groupes qui défendent les intérêts des couches favorisées disposent de moyens de communication considérables. La maîtrise de la parole publique, de la médiatisation des intérêts a pris un poids démesuré dans les décisions des politiques publiques.

En face, les « invisibles » [13] - la France peu qualifiée salariée du privé ou au chômage - sont peu audibles. Les quelques mouvements de soutien aux plus précaires (pauvreté, sans papiers, mal-logement, etc.) se concentrent sur les situations les plus difficiles avec de maigres moyens. Les syndicats ne représentent plus qu’une fraction ultra-minoritaire des salariés - moins de 5 % dans le secteur privé - concentrés dans les grandes entreprises. Les nouveaux mouvements militants, issus de milieux cultivés et urbains, se passionnent pour les causes modernes d’une société post-68 comme la préservation de leur environnement, les inégalités dont sont victimes les femmes ou les homosexuels, voire la diversité ethno-culturelle. Des causes justes, à condition qu’elles n’amènent pas à oublier les hiérarchies sociales qui structurent notre société, ou pire, ne servent pas à les masquer.

Dans notre pays, la bourgeoisie économique et culturelle est préoccupée par ses prochaines vacances, payer moins d’impôts, trouver la bonne école pour ses enfants ou savoir si elle mange du vrai bio. Beaucoup de citoyens partagent la volonté de réformes en profondeur, savent bien que chacun doit balayer devant sa porte et sont prêts à faire un effort. Mais s’indigner est une chose, agir en est une autre [14]. Reste à savoir à quel moment ces couches favorisées prendront conscience qu’à trop profiter et si peu partager elles risquent de tout perdre. A trop tirer sur la corde des privilèges tout en faisant miroiter l’égalité pour tous, le risque est grand que cet état de fait n’entraîne des mouvements de contestation de grande ampleur et que d’autres forces, beaucoup plus conservatrices, prennent les choses en main. Tant qu’il s’agit de quelques villes petites ou moyennes, cela ne paraît pas trop inquiéter les privilégiés d’aujourd’hui, mais il n’est pas certain qu’ils soient éternellement à l’abri.

Photo / © Elenathewise - Fotolia.com

Notes

[1Dernière année connue à ce niveau de détail.

[2Voir « La violence des riches. Chronique d’une immense casse sociale », Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot,Ed. La Découverte, 2013.

[3Pour une personne seule, après impôts et prestations sociales

[4Par mois, tous revenus confondus, après impôts.

[5Voir La crise ou l’art d’échapper à la solidarité, Louis Maurin, Observatoire des inégalités, 22 mai 2013.

[7Il y aurait beaucoup à dire sur les « avantages » des salariés tant sont mis en avant ceux qui ne sont pas toujours les plus importants. Voir Les « avantages » des salariés : privilèges ou acquis sociaux ?, Valérie Schneider, Observatoire des inégalités, 23 mai 2013.

[8Voir « Les sociétés et leur école, emprise du diplôme et cohésion sociale », François Dubet, Marie Duru-Bellat et Antoine Vérétout, Seuil, 2010.

[9Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’ils réussiront tous, pour peu qu’ils n’entrent pas dans le « moule », leur « échec » est encore plus difficile.

[10Un revenu minimum sous conditions pour les 18-25 ans.

[11L’alignement d’une partie de la classe politique sur la théorie du bouc émissaire, au sujet notamment des immigrés et en particulier des Roms a aussi joué.

[12Une bonne illustration en est donnée dans l’article Quand la France est devenue moche, Télérama n°3135, 10 février 2010.

[13Voir « La France invisible » par Stéphane Beaud, Jospeh Confavreux, Jade Lindgaard (dir.) Ed. La Découverte, 2006.

[14Les causes de cette inaction resteraient à développer. Parmi les raisons avancées on trouve notamment le rejet de l’offre politique ou syndicale actuelle et la pression du travail.

Date de rédaction le 15 novembre 2013

 

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