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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 19:55

 

Source : http://www.humanite.fr

 

850 salariés vendus pour 1 euro… et une fraude à la loi ?

Fanny Doumayrou

Vendredi, 13 Mars, 2015

L'Humanité

 

 

Photo : Nicolas Tavernier/Réa

L’affaire a été rondement menée depuis fin juillet 2014 par Thierry Breton, PDG du groupe ATOS.

Photo : Nicolas Tavernier/Réa

 

Atos, le géant des services informatiques a vendu pour 1 euro son activité «support», employant 850 salariés. Les conditions de cette cession à une sous-filiale de Manpower laissent soupçonner une infraction à la loi, visant à éluder l’obligation de mettre en place un plan social.

 

Le 1er mars dernier, leurs accès aux outils informatiques Atos ont été brutalement coupés. Ce jour-là, 850 techniciens de la multinationale de services informatiques, dirigée depuis fin 2008 par l’ancien ministre de l’Économie Thierry Breton, sont passés sous la coupe de PWS, filiale de Proservia, elle-même filiale du groupe d’intérim Manpower. Simple changement d’employeur, après une banale cession ? Oui, mais lourd d’interrogations et de menaces sur la pérennité de l’activité, et de leurs emplois. Car d’après les expertises financière et juridique commandées par le comité d’entreprise d’Atos Infogérance, les conditions de cette vente font planer un sérieux doute de fraude à la loi. Selon ces documents, que l’Humanité s’est ­procurés, Atos se serait débarrassé à peu de frais d’une activité et de 850 salariés, en éludant l’obligation de mettre en place un plan social, coûteux en temps, en argent, en image.

 

L’affaire a été rondement menée. C’est fin juillet dernier que la direction annonce son ­intention de vendre au groupe Manpower son activité « workplace & service desk services » (WSDS), qui concerne 850 salariés des branches Atos Infogérance et A2B du groupe. Il s’agit des services de support aux postes de travail d’entreprises clientes – assistance à distance et intervention physique –, un métier historique de l’informatique, mais en perte de vitesse, et dont la plupart des grands groupes informatiques se sont déjà débarrassés, soit en le sous-traitant, soit en le délocalisant vers des pays à bas coût. Les salariés sont des techniciens, ayant même parfois le statut d’employés, et quasi-smicards. En 2010 déjà, Atos avait évoqué un projet de cession, sans pousser plus loin. Entre-temps, le groupe a laissé l’activité péricliter, en supprimant les forces commerciales dédiées, en laissant le chiffre d’affaires et les effectifs chuter, pour mieux justifier l’opération par l’absence de rentabilité. « Après cette annonce juste avant les vacances d’été, nous avons eu un tunnel de quatre mois sans information », dénonce Kenneth Brace, délégué syndical central CGT d’Atos Infogérance. Le 20 novembre, la direction lance la procédure d’information-consultation du comité d’entreprise, et présente enfin son projet précis, qui met le feu aux poudres. Les salariés apprennent qu’ils ne seront pas transférés chez Manpower, ni même vers sa filiale Proservia (1 500 salariés), ­spécialisée dans les services informatiques, mais vers Arkes, une sous-filiale créée ad hoc pour l’opération, employant zéro ­salarié et dotée de 10 000 euros de capital. Autrement dit, une coquille vide avec un peu d’argent de poche. « Notre crainte, c’était qu’ils nous laissent dans cette boîte aux lettres et qu’en cas de dépôt de bilan, on n’ait que nos yeux pour pleurer », résume Kenneth Brace.

 

Le projet de la direction se veut rassurant, puisqu’il prévoit une « garantie d’emploi » de trois ans pour les salariés transférés, Proservia s’engageant à ne procéder à aucun licenciement économique individuel ou collectif pendant cette période. Il contient également un accord de « partenariat » entre Atos et Proservia, consistant à maintenir un certain niveau d’activité à Proservia. En fait, Atos conserve la majeure partie des contrats avec les clients, et sous-traitera l’activité « support » à Proservia, avec un engagement dégressif de facturation sur trois ans : 100 % en 2015, 85 % en 2016, 60 % en 2017. Mais au-delà de trois ans ? Gros point d’interrogation. Comme la direction refuse de livrer certaines informations, le comité d’entreprise saisit la justice, qui le déboute en bonne partie, mais oblige tout de même Atos à révéler le prix de la cession. Le 16 janvier, nouveau coup de bambou pour les salariés, qui apprennent qu’ils sont vendus pour 1 euro symbolique. L’impression qu’Atos veut se débarrasser d’eux à tout prix, et qu’il s’agit d’un plan social déguisé, ne fait que croître.

 

« On a la rage, de la manière dont s’est passé ce transfert »

L’analyse des experts confirmera ces craintes. Remis au comité d’entreprise début février, le rapport du cabinet d’expertise comptable Sextant commence par dénoncer des « conditions d’exécution de la mission rendues difficiles par une transmission des informations tardives et incomplète », signe d’une certaine frilosité d’Atos à faire la ­lumière sur son projet. Malgré la carence d’informations, il soulève de nombreuses interrogations sur le devenir des salariés transférés vers Proservia – ou plus précisément sa filiale Arkes, depuis ­rebaptisée PWS. Reprenant l’historique de l’opération, les experts relèvent que depuis 2010, Atos n’a pas cherché à relancer WSDS mais a « géré la décroissance de l’activité », « la décroissance d’efforts commerciaux » se traduisant par « une nette contre-performance par rapport au marché », qui lui permet aujourd’hui de se dire « contraint » de la vendre. Une politique qui a des conséquences graves pour les salariés, qui n’ont fait l’objet d’aucune formation et se retrouvent « fragilisés » car bloqués au niveau 1 de qualification, fortement exposé à l’automatisation et à l’offshore (délocalisation), autrement dit au chômage. Au lieu de « gérer l’existant en faisant évoluer les salariés de leur métier vers les métiers stratégiques de demain », Atos s’est orienté vers une « logique financière de gestion de portefeuille d’activités, basée sur la sortie du périmètre des activités et métiers amenés à décroître ou disparaître, et sur l’acquisition des activités et métiers porteurs via les ­acquisitions et recrutements externes », soulignent les experts. Ils ­s’inquiètent des conditions d’intégration des 850 salariés transférés – 76 % ont plus de trente-cinq ans, et 70 % sont de niveau 1 –, dans la société Proservia aux effectifs nettement plus jeunes et plus qualifiés, et aux salaires inférieurs. Et de conclure que les techniciens qui ne bénéficieront pas d’actions de ­formation « risquent d’être menacés au terme de l’engagement de maintien de l’emploi » de trois ans.

 

L’analyse juridique du projet est plus sanglante encore. Invités par le comité d’entreprise à se pencher sur le transfert d’activité, les avocats d’affaires du cabinet Kaza y détectent une possible « fraude à la loi ». Atos a présenté l’opération comme la cession d’un fonds de commerce à Manpower, ce qui entraîne le transfert automatique des contrats de travail, comme le prévoit l’article L.1224-1 du Code du travail. Mais pour que cela soit licite, l’entité vendue doit répondre aux critères de définition d’un fonds de commerce, autonome, doté d’une clientèle, bref, viable économiquement. Or, selon les avocats, WSDS ne dispose pas de force commerciale et une fois cédé, restera sous la dépendance totale d’Atos. Des éléments qui plaident pour le caractère « artificiel » du fonds de commerce, permettant « à Atos d’éluder l’application, pourtant d’ordre public, des règles relatives au licenciement économique », pointent les juristes. Si Atos n’avait pas choisi la cession sous cette forme, il aurait dû, pour mettre fin à l’activité WSDS, engager une procédure de plan de sauvegarde de l’emploi pour les 850 salariés. « Atos est coté au CAC 40, l’annonce d’un plan social ne serait pas du meilleur effet, il préfère dire qu’il vend une activité », complète Olivier Bongrand, l’avocat du comité d’entreprise. « Il se désengage de ces 850 salariés, dans trois ans il ne sera pas responsable de leur sort et renverra vers le repreneur qui se présentait comme solide », estime le juriste, qui se demande même si Atos n’a pas versé une contribution à Proservia pour prendre en charge les salariés éjectés. « Il y a ­clairement un détournement de l’article L.1224-1, un habillage pour éviter le plan social, on va aller en justice », affirme Philippe Talini, élu Unsa (majoritaire) au comité d’entreprise. S’il est démontré que les critères permettant le transfert automatique du personnel n’étaient pas réunis, les salariés peuvent obtenir la réintégration chez Atos, ou des dommages et intérêts, explique Me Bongrand. Contacté par ­l’Humanité sur le soupçon de fraude, le service communication d’Atos se contente de rappeler, laconique, qu’Atos et PWS « se sont engagés dans un partenariat commercial d’une durée minimum de cinq ans et sur le maintien dans l’emploi de chaque salarié de WSDS pour une durée minimale de trois ans ».

 

« Atos vient de racheter trois sociétés pour 1 milliard d’euros chacune, mais il n’a pas d’argent pour nous verser une prime. » Un technicien de Grenoble

 

En attendant, la mobilisation des salariés a permis d’arracher quelques garanties, du moins pour l’avenir proche. Malgré leur éclatement sur de nombreux sites ou chez les clients, et la faible culture syndicale du secteur, entre 200 et 300 informaticiens de WSDS ont répondu aux deux appels à rassemblements lancés par l’intersyndicale CGT-Unsa-CFE-CGC, en novembre et janvier, sur le site principal de Bezons (Val-d’Oise). La deuxième journée d’action, juste après la découverte du prix à 1 euro, a tourné en envahissement du comité d’entreprise, qui a forcé les directions d’Atos et Proservia à négocier avec les syndicats. Discussions qui ont débouché sur la signature d’une « charte sociale » entre les deux sociétés et le syndicat Unsa. Si la revendication d’une prime de transfert n’a pas été satisfaite, le document garantit aux salariés de WSDS le maintien de leurs accords d’entreprise et de la mutuelle pendant dix-huit mois (au lieu de quinze mois, d’après la loi), des indemnités de licenciement au niveau prévu chez Atos (deux fois et demie supérieur à la convention collective), une augmentation des salaires de 1,3 %, le maintien d’une représentation du personnel. Surtout, elle prévoit que la société Arkes (ou PWS) sera absorbée par Proservia au 1er janvier 2016. Autrement dit, les salariés ne resteront dans la coquille vide que dix mois. Entre-temps, il est prévu que Manpower signe avec sa sous-filiale une « convention de trésorerie » pour « assurer sa pérennité économique et sociale ». Mais quelle valeur aura cette charte, quel point d’appui auront les salariés ou les syndicats si elle n’est pas respectée ? « Si on est en liquidation judiciaire, les engagements tombent, suppose Kenneth Brace de la CGT, qui fait partie des salariés transférés. On a essayé de limiter le risque, les salariés sont un peu rassurés, mais il y a toujours un risque. L’avenir le dira. »

 

À Grenoble, la dizaine de techniciens employés sur une plate-forme Atos d’assistance aux clients a constitué un collectif de mobilisation parallèle aux syndicats. « On se sent trahis par Atos, lance l’un d’entre eux. Ils ont détérioré 800 gars pour les faire partir ensuite. Où on va ? On ne sait pas. Quand j’étais chez Atos, je ne voyais pas de porte finale à mon emploi, aujourd’hui chez ­Proservia, je vois trois années et après, je ne sais pas. » « On est en colère et on a la rage, de la manière dont s’est passé ce transfert, renchérit un collègue. Atos vient de racheter trois sociétés pour 1 milliard d’euros chacune, mais il n’a pas d’argent pour nous verser au moins une prime. Pour seul remerciement, on a eu une poignée de mains et un coup de pied aux fesses. »

 

Un géant de l’informatique. C’est fin 2008 que l’ancien ministre de l’Économie et ex-dirigeant de France Télécom Thierry Breton a été nommé président du directoire d’Atos, groupe spécialisé dans les services informatiques, puis PDG en mars 2009. Avec 10 milliards de chiffres d’affaires par an, Atos emploie 86 000 salariés dans le monde et environ 15 000 dans l’Hexagone, en net recul.

 

Source : http://www.humanite.fr

 

 

 

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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 17:34

 

Source : http://www.lejdd.fr

 

Et le dirigeant le mieux payé est...

 

Emilie Cabot - leJDD.fr

vendredi 13 mars 2015

 

 

La chaîne américaine CNN a comparé les rémunérations des présidents et chefs de gouvernements des principales puissances mondiales. Découvrez qui a le meilleur salaire.

 

 

Hollande Obama Cameron

Obama, Poutine, Cameron, Merkel...Qui a le meilleur salaire? (Reuters)

 

La semaine dernière, Vladimir Poutine a annoncé une réduction de son salaire, ainsi que ceux de plusieurs hauts responsables russes, alors que l'économie de la Russie est en crise, plombée par la chute des cours du pétrole et l'effondrement du rouble. Ainsi du 1er mars au 31 décembre 2015, les salaires du président russe, du Premier ministre, Dmitri Medvedev, du procureur général, Iouri Tchaïka, et du président du Comité d'enquête, Alexandre Bastrykine, subiront une baisse de 10%, selon un décret par Vladimir Poutine.

La mesure du président russe a amené la chaîne américaine CNN à comparer son salaire avec celui des autres leaders du monde. Ainsi les rémunérations de Barack Obama (Etats-Unis), Angela Merkel (Allemagne), David Cameron (Royaume-Uni) ont été passées au crible comme celles de Dilma Rousseff (Brésil) ou Xi Jinping (Chine). CNN a compilé les données officielles et les a convertis en dollars.

22.000 dollars par an pour Xi Jinping

Et c'est Barack Obama qui occupe la première place. Le président des Etats-Unis gagne 400.000 dollars par an (380.192 euros soit plus de 31.680 euros par mois). Le Canadien Stephen Harper est deuxième avec 260.000 dollars par an (247.237 euros) devant Angela Merkel et ses 234.400 dollars (222.277 euros). La chancelière allemande est donc le leader européen le mieux payé.

François Hollande n'arrive qu'en 7e position avec 194.300 dollars (184.476 euros) par an. La chaîne rappelle qu'en arrivant à l'Elysée en 2012, le chef de l'Etat a diminué son salaire de 30%. Sans cette coupe, explique CNN, François Hollande aurait gagné 274.522 dollars (255.600 euros) par an. Une rémunération qui l'aurait placé deuxième, derrière Barack Obama et aurait fait de lui le leader européen le mieux rémunéré.

A noter, le dernier du classement de ces douze chefs d'Etats et de gouvernement est le président chinois Xi Jinping avec un salaire annuel de 22.000 dollars (20.883 euros). Et ce, rappelle CNN, malgré une augmentation de 60% au début de l'année.

Emilie Cabot - leJDD.fr

vendredi 13 mars 2015

 

 

Source : http://www.lejdd.fr

 

 

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 18:02

Source : https://www.youtube.com/watch?v=rZOpVJ2Rlk0

Quand la FNSEA fait la loi - L'Autre JT

Quand la FNSEA fait la loi - L'Autre JT L'Autre JT L'Autre JT

Quand la FNSEA fait la loi - L'Autre JT

L'Autre JT

Ajoutée le 12 mars 2015

Allan a enquêté sur les opérations coup de poing de la FNSEA qui se multiplient à Sivens et ailleurs dans les campagnes françaises. Il ne fait pas bon d’être en désaccord avec ce puissant syndicat agricole. Notre journaliste s’est donc posé la question de savoir s’il n’y avait pas une certaine clémence à l’égard de leurs actions particulièrement violentes et parfois destructrices.

Le site de l'émission : http://www.france4.fr/ajt
Facebook : https://www.facebook.com/pages/LAutre...
Twitter : https://twitter.com/LAutreJT
Instagram : http://instagram.com/lautrejt

 

 

 

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 17:01

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

Bouygues au tribunal pour travail illégal sur l'EPR de Flamanville

11 mars 2015 | Par Pascale Pascariello*

 

 

 

Ce mardi 10 mars, Bouygues est face au tribunal correctionnel de Cherbourg. Le deuxième groupe français de BTP va devoir justifier l’emploi, en toute illégalité, de plus de 500 ouvriers polonais et roumains sur le chantier de l’EPR de Flamanville. Le préjudice pour l’Urssaf est estimé à près de 8 millions d’euros et autour de 10 millions pour les impôts.

 

Cherbourg, envoyée spéciale.- Il était une fois, l’EPR… Le réacteur nucléaire du futur, celui dit “de troisième génération”, vendu par Areva, son concepteur, dans les années 1990, comme « plus puissant, plus sûr, plus économe »… Mais la suite est beaucoup moins féerique.

Areva vient d’annoncer des pertes de 5 milliards d’euros pour 2014 dues en partie au chantier de l’EPR en Finlande. Et, du côté de la France, à Flamanville, dans la Manche, le réacteur en construction s’avère être le plus performant en termes de fraudes à la législation du travail, le plus risqué pour les ouvriers et le plus coûteux. Sur ce chantier pharaonique, ouvert fin 2007, trois principaux acteurs : EDF, le maître d’ouvrage, Areva, concepteur et fournisseur du réacteur, et Bouygues pour le génie civil, c’est-à-dire bétonnage et ferraillage. Initialement estimé à 3,3 milliards d’euros, l’EPR dépasse aujourd’hui les 9 milliards et accuse cinq ans de retard. Le chantier fait l’objet d’une série d’enquêtes judiciaires.

Le 24 janvier 2011, un ouvrier de 37 ans décède après avoir fait une chute de 18 mètres de haut : une grue de l’entreprise Bouygues avait heurté la passerelle sur laquelle il se trouvait. Suite à ce décès, l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire, s’est penchée sur les conditions de travail sur le chantier. Dissimulation des accidents, travail illégal : face à la gravité des faits constatés, les inspecteurs ont saisi le parquet de Cherbourg qui a diligenté des enquêtes préliminaires. « L’EPR de Flamanville pourrait être un cas d’école pour les fraudes en matière du droit du travail », nous confie un inspecteur de l’ASN qui fait office également d’inspection du travail sur le chantier.

 

Le site de l'EPR de Flamanville

Le site de l'EPR de Flamanville

 

En mai 2011, à la suite d’un contrôle portant sur la situation des travailleurs polonais et roumains, l’ASN découvre que des ouvriers polonais, embauchés par Bouygues via la société irlandaise Atlanco, sont en situation irrégulière : absence de contrat de travail, de couverture sociale… Le 20 juin 2011, l’ASN écrit à Bouygues : « Vous employez des salariés intérimaires mis à disposition par la société Altlanco Limited. Les salariés Atlanco présents sur le chantier ne possèdent ni contrat de mission, ni formulaire E 101, E 102 ou A1 en cours de validité (réclamés pour tout salarié détaché - ndlr). Il ressort de ces inspections que la situation de travail dissimulé est avérée. Je vous demande de faire cesser cette situation sans délai et de prendre toutes les mesures adéquates vis-à-vis de votre co-contractant. À défaut, votre solidarité financière pourrait être engagée. »

Le compte rendu de cette inspection adressé par l’ASN au parquet de Cherbourg conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « travail dissimulé ».

Le procès qui s’ouvre, pendant quatre jours, ce mardi 10 mars à Cherbourg, est l’aboutissement de trois années d’enquête dont vingt mois de perquisitions et d’auditions menées par les gendarmes de l’OCLTI (Office centrale de lutte contre le travail illégal), sous la direction d’Éric Bouillard, procureur de la République. Il s’agit là d’une des plus importantes affaires de travail illégal jugées en France.

Dans ses conclusions, le procureur de la République de Cherbourg retient donc la responsabilité de Bouygues, de sa filiale Quille et de Welbond, entreprise locale, qui seront poursuivies pour avoir eu recours entre 2008 et 2012 aux services d’entreprises pratiquant le travail dissimulé, prêt illicite de main-d'œuvre et marchandage. Les sociétés Atlanco, agence d’intérim irlandaise, et Elco, entreprise de BTP roumaine, seront quant à elles poursuivies pour travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre et marchandage.

Ce que risque Bouygues ? Une amende de 225 000 euros mais, aussi, l’éventualité de devoir participer financièrement aux pertes subies par les organismes sociaux. Les premières estimations données par l’Urssaf les évaluent entre 8 à 10 millions d’euros. Autre sanction, mais cependant moins probable, le groupe pourrait se voir interdit de marchés publics pour une durée de cinq ans.

Face aux entreprises poursuivies, se sont constituées parties civiles la CGT, Prisme, syndicat des entreprises de travail temporaire, et 49 ouvriers polonais, représentés par leur avocat Me Wladyslaw Lis. Les ouvriers ne sont pas présents au procès. Certains sont partis, d’autres sont à nouveau détachés en France ou dans d’autres pays européens. La plupart ont peur de témoigner. Autre absent notable parmi les parties civiles, celles de l’Urssaf et des impôts qui attendent le jugement pour demander le recouvrement des sommes dues…

Les robes d’avocats sont donc nombreuses dans la petite salle du tribunal de Cherbourg. Le procureur affronte, ce premier jour d’audience, la pression de l’armada des avocats du groupe Bouygues. Pour représenter le géant du BTP, pas moins de six avocats venus de Paris. Trois plaident, les autres assistent. Très vite, ils présentent le groupe comme la victime d’une campagne de lynchage médiatique, reprochant au procureur toute intervention dans les médias. Derrière ce procès de la presse, c’est celui de l’image d’un groupe du CAC 40 qui se tient. Puis, la défense joue la montre et tente toutes les stratégies pour demander la nullité de la procédure reprochant au parquet de n’avoir pas instruit l’affaire, estimant qu’une enquête préliminaire n’a permis ni la contradiction ni un procès équitable. « En renvoyant de mois en mois, vous pensez faire ainsi passer aux oubliettes cette affaire ? » réplique le procureur.

Le témoignage de Marek

Cette bataille qui se joue essentiellement entre les avocats de Bouygues et le procureur prend parfois des airs de lutte Paris-Province. « Ce n’est pas le barreau de Paris qui vient vers vous, Monsieur le Procureur », tient à préciser Me Philippe Goossens, représentant Bouygues. Mais ces précisions ne font pas oublier la petite armée venue en force pour défendre le géant du BTP. Passé six heures de débats, les avocats de Bouygues demandent : « Le tribunal de Cherbourg a le droit de dire stop à ces enquêtes préliminaires faites en dépit du droit ! » et de rajouter pour rassurer les journalistes présents : « On ne va pas faire un procès à la défense de vouloir éviter un débat de fond. Nous ne craignons pas le débat de fond. »

Qu’à cela ne tienne, le président du tribunal a entendu ces dernières paroles, et contrairement aux demandes des avocats des entreprises poursuivies, n’a ni annulé la procédure, ni renvoyé le procès. Celui-ci peut enfin débuter vers 17 heures par une présentation générale du chantier et aborder la question de fond : « Est-ce que Bouygues connaissait ou non la situation des ouvriers ? », question posée par l’un des avocats du groupe.

Au vu de l’enquête, il sera difficile pour Bouygues de nier sa responsabilité.

Sur le chantier, entre 2008 et 2012, l’entreprise a eu recours à des travailleurs polonais et roumains via l’entreprise de BTP Elco, qui embauchait en Roumanie, et via l’agence d’intérim irlandaise qui recrutait des ouvriers polonais elle-même via des bureaux fantômes chypriotes.

Un « travailleur détaché » peut travailler dans un pays membre de l’Union européenne dans le respect du salaire et des conditions de travail du pays d’accueil, dans ce cas la France, tout en restant assuré dans le pays d’établissement de son employeur (dans ce cas Irlande, Chypre et Roumanie). La législation européenne permet donc de facto un dumping social puisque les cotisations patronales sont de 38,9 % pour en France, 18,81 % en Pologne, 8,5 % en Irlande et 6,3 % à Chypre. Or, dans le cas du chantier de l’EPR, près de 500 ouvriers, roumains et polonais, n’avaient aucune protection sociale, un grand nombre n’avaient pas de congés payés, certains aucun bulletin de paie et d’autres devaient prendre en charge les frais de logement, de transport voire d’équipement de travail, y compris de protection individuelle.

Il s’agit d’une fraude dite au détachement qui représente non seulement un préjudice pour les ouvriers polonais et roumains mais également pour les caisses de l’État.

 

Pose du dôme de l'EPR de Flamanville

Pose du dôme de l'EPR de Flamanville © Reuters

 

Sur le chantier, l’avantage d’une telle main-d’œuvre low cost est sa disponibilité. Les conclusions de l’enquête nous apprennent que l’un des cadres de Bouygues était particulièrement « préoccupé par la nécessité de disposer toujours en temps réel du personnel qu’il estimait nécessaire ». Pour cela, Bouygues dispose d’un logiciel informatique dit de « gestion de main-d’œuvre ». Son principe : calculer les besoins en bras en fonction du tonnage de béton à réaliser.

Les gendarmes de l’OCLTI relèvent le cas d’un ouvrier qui a travaillé un an sans interruption. Une « main-d’œuvre soumise et particulièrement flexible », ce sont les termes employés par le procureur de la République pour décrire la mise à disposition de ces ouvriers auprès de Bouygues. Il retient notamment des témoignages sur la méconnaissance de leur droit en particulier concernant le temps de travail : « Les salariés entendus déclarent tous travailler “en fonction des besoins” tout en indiquant travailler 44 heures par semaine. Or la majorité des salariés a appris, au cours de l’enquête, que la durée légale de travail est en France de 35 heures et n’avait pas conscience d’effectuer des heures supplémentaires. » Selon le procureur, l’utilisation de cette main-d’œuvre a permis à Bouygues une « économie liée au non-paiement de certaines contributions et charges ». C’est l’une des plus importantes fraudes aux cotisations sociales en France. Selon les conclusions des gendarmes de l’OCLTI, le préjudice pour l’Urssaf est estimé entre 8 à 10 millions d’euros et pour les impôts de 10 millions d’euros.

Pour les ouvriers, la situation fait froid dans le dos.

Celui que nous nommerons Marek, 40 ans, a bien voulu dénoncer ses conditions de travail tout en préférant conserver l’anonymat pour ne pas affecter son employabilité. « J’ai fait grève sur le chantier de l’EPR et je n’ai pas pu revenir travailler en France pendant six mois. » Il a travaillé huit mois sur le chantier de l’EPR en 2010.

Après avoir vu une annonce sur internet de la société Atlanco, « je me suis présenté dans leurs bureaux de Cracovie et j’ai signé le contrat. C’était rapide, ils ne m’ont pas demandé plus », raconte-t-il. « Comment refuser ? Les paies annoncées étaient très correctes. » Alors que son salaire est en moyenne de 600 euros en Pologne, en France, sur l’EPR, la rémunération mensuelle varie entre 1 400 à 1 600 euros. « Mais au final, ce n’était pas ce qu’on touchait vraiment. » En effet, la société Atlanco prélevait de son salaire des sommes censées, selon elle, payer les impôts des ouvriers et assurer leur couverture médicale. Au bout du compte, l’assurance maladie et les services des impôts n’ont rien reçu et la destination de ces sommes prélevées demeure encore inconnue !

La rémunération des Polonais, après calcul, avoisinait donc les 950 euros pour six jours de travail par semaine.

Marek se souvient : « J’ai commencé à me poser des questions lorsque j’ai vu des ouvriers blessés devoir se soigner eux-mêmes. Si la blessure n’était pas importante, ils pouvaient reprendre le boulot. Mais l’un d’entre eux a fait une mauvaise chute de deux mètres. On lui a dit qu’il devait rentrer dans son logement et s’il ne pouvait reprendre le chantier, repartir en Pologne. C’est ce qu’il a dû faire. C’était comme s’il était éliminé, en fait. J’ai compris qu’on n’avait aucune couverture médicale. Lorsque je me suis ouvert légèrement la main, j’ai dû prendre en charge tous les frais médicaux. Par chance, je ne me suis arrêté que quelques jours et j’ai pu retourner travailler. » « Quand je parle de l’EPR, j’ai mal. J’aimerais que ça se passe autrement, qu’on soit traité comme des humains, qu’on soit respectés. »

Des manquements graves et répétés aux règles de sécurité

Dans les conclusions de l’enquête de l’OCLTI, on apprend que l’entreprise Bouygues participait à ce système de non-déclaration des accidents du travail. « Il ressort que nombre d’accidents n’ont pas fait l’objet d’une telle déclaration. » Concernant l’existence d’entente passée entre Bouygues et Atlanco sur ce sujet, voici ce que répond, aux gendarmes, le directeur des opérations en France pour Atlanco : « Oui, sur l’EPR, avec les entreprises Bouygues et Welbond. (…) Un responsable m’a informé qu’un travailleur polonais avait fait l’objet d’un accident du travail et il a demandé de rester “discret”. Ce travailleur est resté dans son logement. Son salaire lui était versé comme s’il venait travailler. Le pointage de cette personne était validé par Bouygues. »

La dissimulation des accidents du travail a fait l’objet d’une enquête préliminaire ouverte en juin 2011. Suite au décès survenu le 24 janvier 2011, les inspecteurs de l’Autorité de sûreté nucléaire ont contrôlé l’infirmerie. Le premier constat est affligeant : les inspecteurs ont découvert un système de maquillage des accidents du travail. Sur 377 accidents du travail en un an, 112 n’ont pas été déclarés, soit près d’un accident sur quatre et pas des moindres. Un ouvrier s’est vu ordonner par son chef de chantier de rentrer chez lui sans passer par l’hôpital alors qu’il souffrait d’une double fracture. Des produits chimiques dans les yeux, des plaies profondes, des chutes… Ces accidents ne sont pas toujours bénins. Ce système inquiète les infirmières qui, malgré les pressions exercées par l’entreprise Bouygues, décident de laisser une trace de ces refus d’accidents du travail et prennent soin de signaler, dans leur registre, le type de prise en charge du travailleur. Mediapart a pu se procurer ces fiches. On peut y lire : « Raccompagné à son domicile par le chef de chantier Bouygues » ; « parti aux urgences du CHU de Cherbourg en véhicule entreprise » ; « amené aux urgences par Mr B., cadre BYTP – Bouygues TP » ; ou encore « refuse de le mettre en AT – accident du travail – car pression de la hiérarchie ». Parfois, les entreprises utilisatrices de cette main-d’œuvre, Bouygues notamment, participent aux frais en cas de blessure ou d’accident. Ce genre d’avance était nécessaire pour couvrir l’absence de protection sociale. Cette pratique a été décrite aux gendarmes de l’OCLTI par deux responsables d’Atlanco qui établissent un lien entre cette pratique d’avance de frais et une volonté de dissimuler certains accidents du travail.

Les comptes rendus de l’enquête sont accablants pour Bouygues dont la responsabilité est largement mise en cause. Le géant du BTP a très tôt été averti de la situation de travail illégal et des risques encourus. Dès mai 2009, l’Urssaf adresse un courrier à Bouygues, ayant pour objet le « contrôle des salariés détachés sur le chantier de l’EPR le 28 avril 2009 ». L’Urssaf signale l’absence de documents de certains ouvriers et prévient qu’en cas d’irrégularité répétée, un « procès-verbal pour travail illégal serait adressé ». Bouygues s’engage alors à mettre en place « une alerte dans notre tableau de suivi des sous-traitants permettant de suivre de plus près la validité des documents fournis ». Le système d’alerte n’a, semble-t-il, pas bien fonctionné… et comme le relève le procureur dans ses conclusions, « le système en place a perduré ».

Un ancien responsable d’Atlanco sur le chantier, que nous avons pu contacter au téléphone, explique : « Apparemment on était beaucoup moins cher que d’autres sociétés. C’est la raison pour laquelle Bouygues a continué à travailler avec Atlanco. Le manque de documents, et notre situation, n’a pas posé problème. Et malgré le manque de documents, Bouygues n’a pas arrêté le travail sur le chantier. Le seul jour où Bouygues a eu un problème avec nous sur le chantier, c’est lorsque certains ouvriers polonais ont fait grève pour avoir des précisions sur leurs situations. Mais c’était déjà en mai 2011. Et comme ils ont bloqué l’entrée du chantier et ralenti le travail, cela a posé un problème à Bouygues. »

D’ailleurs, en 2010, alors que les cadences s’accélèrent, Bouygues propose à nouveau de faire appel à Atlanco. Le géant du BTP connaissait déjà bien cette agence d’intérim pour avoir travaillé avec elle sur le chantier de l’EPR en Finlande. Les mêmes causes, les mêmes effets. En 2008, un préavis de grève avait été posé sur le site finlandais pour exiger de mettre en règle les 300 ouvriers polonais dépourvus de toute couverture sociale...

Le manque de documents ne semble donc pas poser de problème à Bouygues qui d’ailleurs n’en facilite pas vraiment la vérification.

En 2010, Jack Paget, responsable du contrôle sécurité du groupe Bouygues, se voit interdire, par l’un des responsables de chantier, de contrôler les travailleurs polonais. Le 12 janvier 2010, il adresse un mail à Fabrice Leoni, directeur prévention santé sécurité de Bouygues Entreprises France-Europe : « Je suis surpris que Nicolas Aplincourt – responsable du GFA, Groupement Flamanville Armatures dont Bouygues fait partie – se croit autorisé à m’interdire (menaces à l’appui) de contrôler en amont les sociétés d’intérim et la traçabilité des ouvriers polonais récemment entrés. »

Embauché en novembre 2009, Jack Paget lance plusieurs alertes auprès des responsables du groupe Bouygues sur les manquements graves et répétés aux règles de sécurité. « Bouygues n’a pas répondu à mes courriers. J’ai travaillé pour faire respecter les règles de sécurité mais ça ne devait peut-être pas convenir au chantier. Bouygues édite un petit opuscule sur les conditions de travail des travailleurs détachés et sur les documents qu’ils doivent avoir. Entre la théorie et la pratique, il y a un monde. Je me suis vu interdire tout contrôle de la situation des Polonais. Je ne pouvais pas révolutionner le chantier », commente Jack Paget. Épuisé et inquiet, le 4 août 2010, il exerce son droit d’alerte et de retrait « compte tenu de l’état sécuritaire du chantier où la notion de danger grave et imminente est permanente ». La seule réponse que Jack Paget recevra de Bouygues sera son licenciement. Depuis, les prudhommes ont reconnu, en février 2013, le bien-fondé de sa démarche et a condamné Bouygues. L’affaire sera jugée en appel le 18 juin prochain.

Cette situation était donc bien connue de Bouygues qui a tenté par divers procédés de la maintenir en écartant les moindres dissidences. Ce n’est qu’en 2011, quelques mois après le droit de retrait du responsable de sécurité et de l’augmentation des contrôles de l’autorité de sûreté nucléaire, que Bouygues devient insistant auprès d’Atlanco pour avoir les papiers nécessaires en cas de contrôle. En janvier 2011, parmi les mails échangés entre les cadres en charge des ressources humaines sur le chantier, certains sont directement adressés par Bouygues à Atlanco. Le géant du BTP presse la société irlandaise de régulariser la situation des ouvriers car « certains événements sur le chantier nous mettent en situation de surveillance vis-à-vis des autorités françaises », ou un autre précise : « en cas de contrôle, nous serions très ennuyés ». Certains échangent révèlent que, pour près de 40 travailleurs, aucun certificat de détachement n’a jamais existé ; pour plus de 60, ces formulaires sont périmés ; ou pour 60 autres, il n’y a tout simplement pas de contrat.

La peur d’une inspection par les autorités fait donc réagir tardivement l’entreprise Bouygues qui a pourtant précautionneusement mis en place un système juridique complexe pour utiliser cette main-d’œuvre sans que sa responsabilité ne soit directement mise en cause. Les gendarmes de l’OCLTI ont dû disséquer ce montage déjà appliqué par Bouygues sur d’autres chantiers. Le schéma réalisé par l’OCLTI sur l’organisation du chantier est un véritable casse-tête. En charge du génie civil, Bouygues a créé une société en participation, une SEP, qui représente l’entreprise et qui est en lien de subordination direct avec EDF, maître d’ouvrage. En dessous de cette société, Bouygues a créé une autre entité : un groupement nommé Flamanville armatures. Dans cette société à responsabilité juridique partagée, les gendarmes ont été étonnés de découvrir que Bouygues se retrouve minoritaire et a laissé la direction à Welbond, une petite entreprise locale. Surprenant pour le responsable du génie civile sur le chantier, pas tant que cela finalement lorsqu’on se rend compte que ce groupement est en lien direct avec Elco et Atlanco, les recruteurs de travailleurs détachés. C’est donc par ce montage sophistiqué que Bouygues tente de diluer sa responsabilité. Cette stratégie n’a pas été simple à déjouer, et pour démonter ce système les gendarmes ont dû recourir à un logiciel Anacrim, d’analyse criminelle, utilisé habituellement dans les enquêtes sur la criminalité organisée, la délinquance en réseau.

La stratégie de la société Atlanco paraît d’ailleurs un peu grossière comparée à celle de Bouygues. Des boîtes aux lettres à Chypre, une activité quasi nulle à Dublin où elle a son siège et des recrutements essentiellement en Pologne, République tchèque et Roumanie avec des ouvriers qui n’ont jamais mis un pied en Irlande ou à Chypre. De facto, l’entreprise aurait dû se déclarer en France. Mais la connaissance de la situation par Bouygues, ses ententes conclues avec Atlanco pour les accidents du travail ou son montage juridique seront des points débattus pendant les prochains jours du procès, sans Atlanco toutefois, qui n’a pas répondu présent.

 

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Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

 

 

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 16:30

 

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Devoir de vigilance des multinationales : à la fin, une petite loi

12 mars 2015 | Par Mathieu Magnaudeix

 

 

La loi censée encadrer les pratiques des multinationales et de leurs sous-traitants à l’étranger sera enfin examinée à l’Assemblée nationale le 30 mars, après deux ans de tractations. Dans une version très édulcorée.

 

La loi sur le devoir de vigilance des multinationales à l’étranger n'est pas enterrée. Ce texte, fruit d’un compromis au sein du groupe socialiste entre les ambitions de départ et la ligne très pro-entreprises du gouvernement, sera même examiné le 30 mars prochain à l’Assemblée nationale, au lendemain des élections départementales. Mais dans une version largement édulcorée par rapport aux intentions de départ. La loi, jugée a minima par plusieurs ONG, a passé mercredi l'étape de la commission des lois de l’Assemblée nationale où le PS est majoritaire.

Que cette loi qu’on avait cru menacée soit finalement inscrite à l’ordre du jour du Parlement mérite d’être signalé. Mais si elle l’est, c’est au prix d’un vrai affadissement. Alors qu’en 2013, les quatre groupes de gauche à l’Assemblée nationale avaient proposé un texte très ambitieux pour responsabiliser les multinationales, leurs sous-traitants et fournisseurs en matière sociale, éthique et environnementale, celui que les députés vont finalement examiner au bout de deux ans d’allers-retours et de tractations reste d’une portée plutôt symbolique.

À l’origine, les députés socialistes, écologistes, radicaux et communistes avaient déposé une proposition de loi identique pour rendre responsables pénalement les entreprises françaises des agissements des sociétés auxquelles elles sous-traitent certains de leurs contrats dans les pays en développement, comme les atteintes aux droits humains, à l’environnement ou les pratiques de corruption.

 

Fatema a perdu ses deux enfants (ici, son fils Nusul Karim) dans l'effondrement du Rana Plaza

Fatema a perdu ses deux enfants (ici, son fils Nusul Karim) dans l'effondrement du Rana Plaza © Reuters/Andrew Biraj

 

L’idée avait germé au lendemain de l’effondrement de l’immeuble le « Rana Plaza », le 24 avril 2013, à Dacca, la capitale du Bangladesh. Plus d’un millier de travailleurs du textile y avaient trouvé la mort, avec, dans les décombres, des étiquettes de lignes de prêt-à-porter de grandes marques, notamment françaises (Camaïeu, Carrefour, Auchan, etc.) (voir notre portfolio : Au Bangladesh, victimes de l'industrie textile, du photographe Abir Abdullah).

Le but de cette initiative, soutenue par de nombreuses ONG et syndicats, était de pouvoir sanctionner au civil, mais aussi au pénal, les multinationales y compris les filiales et les sous-traitants, et de garantir aux victimes un accès à la justice pour obtenir réparation. Le 17 novembre 2014, Manuel Valls avait dit « soutenir » la loi, que François Hollande lui-même avait évoquée pendant la campagne présidentielle.

Les Echos de ce mercredi 11 mars

Les Echos de ce mercredi 11 mars

 

Le résultat final est beaucoup plus modeste. Sous la pression des grandes entreprises du CAC 40, principales concernées, Bercy s’oppose depuis deux ans à une loi trop contraignante. Fin janvier, le texte initial, qui avait perdu le soutien de la plupart des socialistes, a été retoqué à l’Assemblée nationale.

La nouvelle version, réécrite, prévoit simplement que les entreprises de plus de 10 000 salariés devront se doter d’un plan de vigilance. Elles encourront une amende de 10 millions d’euros si elles ne peuvent justifier de sa mise en œuvre devant un juge. La responsabilité juridique des entreprises pourra être engagée, mais uniquement au civil et sans inverser la charge de la preuve – en d’autres termes, les victimes, souvent éloignées, sans moyens et mal organisées, devront apporter la preuve qu’elles le sont réellement.

Le quotidien économique Les Échos a pourtant dénoncé ce mercredi 11 mars à sa “une” « la nouvelle loi qui alarme les grandes entreprises ». Mercredi, les députés UMP et UDI se sont fait l’écho de ces craintes. « Par idéologie », s’est inquiété Philippe Houillon, « on va mettre au pied de nos grandes entreprises des boulets qui vont les empêcher d’avancer aussi vite que nos concurrents », s’inquiétant de « problèmes d’attractivité et de délocalisations ». Ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, Guillaume Larrivé s’en est pris à une loi contenant « beaucoup de bons sentiments », sous-tendue par une « idéologie sous-jacente selon laquelle l’entreprise crée des risques ».

Rapporteure de la commission des affaires économiques, la socialiste Annick Le Loch a, au contraire, salué « un texte au service de nos entreprises et de la compétitivité, qui va valoriser les entreprises vertueuses ». « Nous craignons que ce texte n’ait pas de portée effective : il ne lutte pas contre le dumping social », a déploré l’écologiste Paul Molac, qui s’est abstenu lors de l'examen du texte en commission, comme le Front de gauche.

« Les failles dans le mécanisme concernant l’absence de sanction en cas de non mise en œuvre effective de l’obligation de vigilance et les obstacles à l’imputation de la responsabilité via le régime de droit commun demeurent », ont dénoncé les ONG à l’origine de cette loi, parmi lesquelles Sherpa, les Amis de la Terre, le CCFD-Terre Solidaire, etc. « Les seuils exagérément élevés n’ont pas été modifiés, limitant à 150 environ le nombre d’entreprises ciblées par la loi (…) Certaines entreprises impliquées dans le drame du Rana Plaza, telles que Camaïeu, échapperaient par exemple à cette législation, de même que de nombreuses entreprises de secteurs à risque tels que le secteur extractif. » Les multinationales importatrices ne seront pas non plus concernées, déplorent les associations, qui espèrent toujours « un renforcement du texte » lundi prochain en séance.

 

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Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

 

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12 mars 2015 4 12 /03 /mars /2015 17:52

 

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Coupes budgétaires

Le « coup de massue » du gouvernement contre l’agriculture bio

par Sophie Chapelle 12 mars 2015

 

 

 

L’agriculture bio, victime de l’austérité ? Les aides financières au maintien à la production biologique ont baissé de 25%. C’est ce qu’indique l’arrêté du 27 février 2015 publié au Journal officiel par le ministère de l’Agriculture. Des aides versées, au passage, avec trois mois de retard ! Ces coupes interviennent alors que le gouvernement annonce un doublement des surfaces cultivées en bio en France d’ici 2017 – en passant de 1 à 2 millions d’hectares, soit de 4 à 8 % de la surface agricole utile. Dans un communiqué, la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), les Chambres d’agriculture, le syndicat Synabio et l’Union de Coopératives agricoles (Coop de France) dénoncent un véritable « coup de massue ». « Ce signal politique est incohérent pour une agriculture qui concilie production-alimentaire de qualité et respect de l’environnement et qui est au cœur de l’agro-écologie pourtant si chère à notre ministre », écrivent-ils [1].

Le ministère de l’Agriculture se défend de chercher à baisser les aides à la production biologique [2]. « Entre les crédits du ministère et ceux du Feader ( Fonds européen agricole pour le développement rural), le montant des aides permettant de soutenir la conversion ou le maintien en bio sera de 160 millions d’euros en moyenne sur 2014/2020 pour atteindre 180 millions d’euros en fin de période. A comparer aux 90 millions d’euros consacrés à ces aides en 2012, c’est bien un doublement des aides », précise le ministère de Stéphane Le Foll. Mais pour l’instant, il manque de l’argent : face à des demandes de producteurs bio atteignant 117 millions d’euros, le budget actuel n’est que de 103 millions. La Confédération paysanne met en parallèle les 14 millions d’euros manquants pour les aides bio avec les « 6,8 millions dégagés pour la fécule de pomme de terre et [les] 15 millions pour l’industrie volaillère bretonne ! » [3], frappée par de nombreux plans de licenciements. « Ce choix est un signal fort pour l’agro-industrie et un vrai recul pour une agroécologie paysanne digne de ce nom. »

Le ministère de l’Agriculture justifie ces diminutions par le besoin de maintenir les aides allouées à la « conversion », considérées comme une « priorité » par le gouvernement. Avec l’entrée en vigueur cette année de la nouvelle politique agricole commune, le ministère souligne que « tous les agriculteurs qui se convertissent seront aidés dans toutes les régions. Sur l’aide au maintien, la possibilité d’un ciblage sera laissée » à celles-ci. Pas de quoi rassurer les associations comme la filière bio : « De nombreuses régions […] n’ont pas attribué les moyens suffisants pour les aides au maintien, voire les aides à la conversion. […] Les producteurs bio seront encore dépendants d’arbitrages budgétaires, avec la seule garantie de l’incertitude ! », estime la Fnab. Difficile dans ces conditions de structurer des filières biologiques, leviers incontournables d’une transition agro-écologique réussie.

Notes

[1] Lire le communiqué

[2] Lire l’article de Web-Agri

[3] Lire le communiqué

 

 

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Source : http://www.bastamag.net

 

 

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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 22:27

 

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Les sous-traitants de Pôle emploi gagnent 143 millions d'euros... et certains signent à la place des chômeurs

Le Canard enchaîné · 10 mar. 2015 à 11:51

 

 

Arnaque à Pôle emploi

 

Trop de chômeurs à gérer ? Depuis 2009, Pôle emploi, débordé, a sous-traité l'accompagnement de dizaines de milliers de chômeurs. Un business lucratif : selon les chiffres publiés l'année dernière par Le Canard enchaîné, ces prestations sous-traitées représentaient un marché de 186 millions d'euros en 2012 et 145 millions en 2013.

145 millions d'euros pour aider les chômeurs ? Vu la facture, on pourrait penser que ces sous-traitants sont plus efficaces que Pôle emploi. Eh bien non. Car "les boîtes cassent les prix pour remporter les marchés. Et la qualité du suivi est à pleurer", assure l'hebdomadaire. Dans un rapport de juillet 2014, la Cour des comptes avait épinglé le travail de ces sous-traitants qui assurent, au mieux, un suivi low-cost. Dans le pire des cas, ce sont de pures arnaques.

Faux contrats, fausses signatures

En juillet 2014, le PDG de l'un de ses sous-traitants avait été démis de ses fonctions par le tribunal de Commerce de Nantes en raison des nombreuses irrégularités constatées au sein de sa société, notamment à propos des "contrats d'autonomie", des contrats pour aider des jeunes de banlieue à trouver un emploi. Le sous-traitant gérait 7 700 jeunes et touchait un bonus à chaque fois qu'un jeune trouvait un emploi. Problème : "en épluchant les dossiers en Seine-Saint-Denis, l'Igas (inspection générale des affaires sociales), a trouvé 57% d'anomalies, explique Le Canard. Terme poli pour désigner faux contrats de travail et fausses attestations d'employeur". Au total, la fraude est estimée à 13 millions d'euros.

En 2012, un autre-sous traitant avait déjà été épinglé : "il signait les feuilles d'émargement à la place des chômeurs, sans les rencontrer. Ou remplaçait des entretiens individuels par des entretiens collectifs", explique Le Canard. "Certains [conseillers] étaient maçons ou esthéticiennes. Même nos secrétaires, sans aucune formation, ont joué les conseillères devant les chômeurs", assure un salarié contacté par l'hebdomadaire. Objectif de ces pratiques : simuler des entretiens et des faux suivis de chômeurs afin d'être rémunéré par Pôle emploi. Autant dire que les chômeurs ne sont pas prêts de retrouver un emploi...


*** Source
- Isabelle Baré, "Prends l'oseille de Pôle emploi et tire-toi", Le Canard enchaîné, août 2014

 

Prends l'oseille et tire-toi

 

Source : http://www.politique.net

 

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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 21:44

 

Source : http://cadtm.org

 

CADTM

Comment la Troïka s’est érigée en décideur financier, économique et politique de l’eurozone

11 mars par Remi Vilain

 

 

L’équipe du CADTM est heureuse de vous présenter la retranscription de l’enquête minutieuse et fournie menée sur la Troïka dans le cadre du documentaire ’Puissante et Incontrôlée : La Troïka’ diffusé sur Arte le 24 février dernier. C’est par ce titre à la fois provocateur et évocateur que les réalisateurs allemands, Arpad Bondy (producteur et écrivain) et Harald Schumann (journaliste économique d’investigation), attirent notre attention. A travers ce documentaire, ils nous interpellent sur les différents mécanismes qui ont conduits des pays tels que la Grèce, le Portugal, l’Irlande ou encore Chypre, à se retrouver sous la tutelle économique et politique de trois institutions, plus communément appelées ’la Troïka’ : la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fond Monétaire International.

Introduction

Le 26 Janvier 2015 constitue une véritable onde de choc pour les gouvernements européens : l’élection du nouveau premier ministre grec, Alexis Tsipras, sonne le glas des politiques de crise soutenues par les euro-stratèges de son pays et des autres pays européens.

Alexis Tsipras part alors en quête d’alliés : en France, en Allemagne, à Bruxelles auprès de Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne depuis 2014. Mais les dirigeants européens rejettent les conditions proposées par le premier ministre grec, au même titre que Yanis Varoufakis rejette celles des dirigeants européens ! Le nouveau ministre grec des Finances a déclaré au président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, qu’Athènes ne recevra plus la Troïka, amenant ce dernier à quitter la conférence de presse.

Varoufakis exige au gouvernement allemand de nouvelles négociations, arguant qu’il est impossible pour un pays de payer ses dettes sans une croissance économique en parallèle. Pourtant, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, campe sur ses positions, invoquant qu’il « faut solutionner les problèmes là où ils sont intervenus ».

S’ensuit dès lors une mobilisation citoyenne dans les rues des diverses capitales européennes (Berlin, Athènes, Madrid...). Les protestataires affichent leur solidarité avec le peuple grec et leur soutien à la politique anti-austérité de Syriza, dénonçant l’impact des politiques d’austérité sur leurs propres conditions de vie, qui ont fait jusqu’alors « plus de mal que de bien ».

 

 

 

Comment a-t-on pu en arriver à cette situation ?

Tout débute à Athènes au printemps 2010. L’État grec est surendetté ; les autres pays de la zone euro tiennent à lui éviter la faillite. Les ministres des finances dégagent des milliards d’euros de crédit piochés dans les caisses de leurs États pour préserver la solvabilité de la Grèce. En contrepartie, la Grèce va devoir se soumettre à une institution dont l’existence n’est prévue dans aucun traité ni aucune Constitution : la Troïka, composée de la Banque centrale européenne, la Commission européenne et le Fonds monétaire international.

C’est ainsi que la Troïka, représentée par un petit groupe de fonctionnaires, s’est soudain trouvée investie du pouvoir de transformer et remanier tout le pays selon la seule volonté de ses créanciers. Il est important de noter qu’à ce jour, aucun Parlement n’a le pouvoir de les contrôler.

Au sein de l’Union européenne, les pays liés par l’euro constituent l’Eurogroupe. Au début de la crise en 2010, leurs gouvernements respectifs, représentés par leurs ministres des finances, ont décidé de charger la Troïka de contrôler les pays surendettés.

La Troïka a envoyé jusqu’à 40 experts en Grèce, au Portugal, en Irlande et à Chypre pour négocier des programmes d’économie avec les gouvernements. Ces euro-fonctionnaires ont un pouvoir considérable et dictent aux pays ce qu’ils doivent faire. Les crédits ne sont en effet débloqués que si les gouvernements remplissent les conditions requises dans les MoU (Memorandum of Understanding, mémorandum d’entente), appelés aussi Protocoles d’Accords.

Alors que l’objectif des plans de sauvetage était de sortir les pays en crise du surendettement et d’y relancer la croissance économique, cela s’avère être un échec. Ces pays affichent tous une dette publique plus élevée que jamais et une récession accrue (licenciements massifs, accès restreint au système de santé, émigration massive des jeunes...).


Que s’est-il donc passé ? Éclairage par Yanis Varoufakis

En Grèce, Yanis Varoufakis (alors qu’il n’était pas encore Ministre des Finances grec) dénonce les programmes imposés par la Troïka.

La raison est simple, la Troïka contraint les gouvernements à couper dans les dépenses publiques, en particulier dans les dépenses sociales et de santé. En Grèce, elle a notamment insisté pour licencier les femmes de ménage du Ministère des finances (déjà payées au SMIC).

Aujourd’hui, des personnalités comme Angela Merkel et Wolfgang Schäuble affirment que le déficit et la dette de la Grèce étaient tellement élevés qu’il n’y avait pas d’alternatives à ces restrictions budgétaires.

Varoufakis réfute : « s’ils avaient vraiment voulu stabiliser la Grèce et le marché financier européen, ils auraient immédiatement allégé la dette grecque. Au lieu de cela, ils ont déstabilisé le marché financier. Ils ont créé une dette permanente et irremboursable. Ils ont monté une Nation contre une autre. Ce moment restera l’un des pires de l’Histoire de notre continent ».

Quelle en-est la raison ? « Ce n’est pas une conspiration […] mais une opération très simple, motivée par une question : comment rester au pouvoir ? Juncker a dit :  nous savons ce qu’il faut faire, mais pas comment rester au pouvoir après  ». Avant 2008-2010, tous les gouvernements conservateurs ou socio-démocrates soutenaient énormément le secteur financier. Une sorte de pacte faustien : « on vous laisse faire ce que vous voulez, et en contrepartie vous nous versez un petit quelque chose pour financer nos États ». Ainsi, lorsque la crise est arrivée, les dirigeants des gouvernements n’avaient « ni la capacité analytique, ni l’autorité morale nécessaire, pour dire à ces banquiers : vous êtes hors-jeu ».


À l’origine de la crise de la dette grecque

A l’origine, la crise est née du fait que pendant des décennies, les gouvernements grecs ont dépensé plus d’argent qu’ils n’en percevaient. Malgré un taux d’endettement dangereusement élevé, la Grèce a profité, en entrant dans la zone euro, de taux d’intérêts en baisse, qui ont conduit certains politiciens à créer des milliers d’emplois publics pour leurs amis ainsi qu’à lancer des projets pharaoniques. Tout cela a été permis par de nombreux emprunts accordés sans scrupules par les banques européennes.

A titre d’exemple, les complexes sportifs sortis de terre pour les JO d’Athènes en 2004, aujourd’hui en ruines, ont coûté 7 milliards d’euros. Pire encore, le pays a investi énormément dans l’armement (blindés, frégates, sous-marin), affichant même le plus gros budget Défense par habitant de l’OTAN. Ce boom économique financé par la dette a essentiellement profité aux gouvernements et aux fabricants d’armes français et allemands, attirés par les profits résultant de marchés représentant plusieurs milliards d’euros et souvent décrochés à la faveur de pots-de-vin.


Un crime contre l’humanité : le plus gros crédit de l’Histoire accordé au plus insolvable des pays

Pourtant, en 2010, quand la Grèce s’est retrouvée au bord de la faillite, la France et l’Allemagne ont ignoré et rejeté la part de responsabilité de leurs banques et de leurs facilitateurs d’affaires. Ce qui amène Varoufakis à décréter qu’à « Bruxelles, Francfort et Berlin, les esprits avisés savaient déjà en mai 2010 que la Grèce n’allait jamais rembourser ses dettes. Au lieu de cela, ils ont agi comme si la Grèce n’était pas insolvable, mais seulement en manque temporaire de liquidités. Ils ont agi comme des banquiers véreux de troisième zone, en accordant le plus gros crédit de l’Histoire au plus insolvable des pays. C’est un crime contre l’humanité. Ils ont condamné la Grèce à un endettement permanent. Ils ont monté une Nation contre une autre car Berlin a dit aux ouvriers allemands (déjà à la limite du seuil de pauvreté) : ’ nos hôpitaux allemands doivent faire des économies  pour pouvoir donner 110 à 130 milliards d’euros à la Grèce. C’est faux puisque cet argent, les grecs n’en ont jamais vu la couleur. C’est vers les banques que cet argent a transité, en particulier les banques françaises et allemandes. Ils ont donc menti à la fois aux grecs et aux allemands. Aux grecs en leurs disant : ’ nous vous avons évité la faillite  ; aux allemands en affirmant : ’ les grecs ne sont pas sérieux, on les puni en leur imposant un plan d’austérité. Mais solidarité européenne oblige, on va leur prêter de l’argent . »


Des dissensions au sein même du Fonds monétaire international

Le FMI est dirigé par Christine Lagarde depuis 2011, son siège se trouve à Washington. Les experts du FMI sont rompus à la gestion des crises d’endettement, conduisant la zone euro à intégrer le FMI dans le projet en tant que créancier.

L’octroi des crédits dépend des 24 directeurs exécutifs qui représentent les États membres. Lorsque le cas de la Grèce s’est présenté, certains ont alors tenté de s’opposer au plan proposé par le FMI. Un de ces opposants est Paulo Nogueira Batista, qui siège au conseil d’administration en tant que directeur exécutif brésilien. Il affirme que « la Grèce s’en serait mieux sortie si on avait directement allégé sa dette ». Il poursuit à propos des statuts du FMI : « le problème qui s’est posé est que le règlement du FMI ne permet de réduire la dette d’un pays que si cette dette est soutenable, c’est-à-dire remboursable selon un agenda prédéfini. On a alors modifié le règlement pour l’adapter à la situation, en y ajoutant une clause qui permet au FMI de prêter à un État membre, et ce, même si sa dette ne peut être qualifiée de viable ». On a donc changé les règles du jour au lendemain pour agir en Grèce, mais pour comprendre ce que le FMI voulait faire, il fallait parvenir à lire un rapport long et fastidieux. Batista conclut : cette décision était « une mauvaise décision que [nous] avons payé au prix de [notre] réputation ».

Pourquoi les européens ont-ils manigancé ce putsch secret au sein du FMI ? Philippe Legrain, ex-conseiller de José Manuel Barroso, président de la Commission européenne à l’époque, explique : « les décideurs du FMI ont été mis en minorité par le directeur du FMI (Dominique Strauss-Kahn, 2007-2011) qui briguait alors la présidence en France et ne voulait donc pas imposer de pertes aux banques françaises. De leur côté, les banques allemandes ont convaincu Angela Merkel qu’il serait dramatique qu’elles perdent de l’argent. Alors les gouvernements de la zone euro ont décidé de faire comme si la Grèce traversait seulement des difficultés temporaires ». Pour cela, ils ont «  contourné un principe essentiel de la clause de Maastricht : la clause de non-renflouement. Ils ont prêté de l’argent à Athènes, non pas pour sauver la Grèce, mais pour sauver les banques françaises et allemandes qui avaient eu l’inconscience d’accorder des prêts à un État insolvable  ». Le montant des sommes en jeu était de « 20 milliards d’euros pour les banques françaises, 17 milliards pour les banques allemandes ». Ce mécanisme a alors permis d’éviter d’accorder d’emblée une remise de dette à la Grèce.

Le représentant grec au FMI de l’époque, Panagiotis Roumeliotis, témoigne dans le même sens : «  la conversion de la dette était la grande absente dans ce programme ». Et poursuit : « Les européens avaient imposé un plan de réforme drastique aux grecs sur une période très brève de 3 à 4 ans. Les experts du FMI doutaient dès le départ de son succès ; le délai accordé pour combler le déficit budgétaire étant trop court. En mars 2010, les experts du FMI ont envoyé un courriel à la Commission européenne qui prévenait :  Ce programme va considérablement réduire le pouvoir d’achat dans le pays, et y provoquer une profonde récession qui mettra sérieusement le tissu social en danger . On a donc sacrifié la Grèce « sur l’autel de la stabilité du marché financier mondial  ».

Cette décision est forte de conséquences puisqu’elle a provoqué de nombreuses coupes budgétaires, plongeant de nombreux grecs dans une misère profonde. En quatre années, l’État grec a réduit ses dépenses d’un tiers, ce qui, à échelle égale, correspondrait à une économie de 390 milliards d’euros pour l’Allemagne, soit l’équivalent de son budget annuel.


Une crise invisible ?

Nikolas Leontopoulos, journaliste grec, expose un aspect visible de la crise, celle de la faillite des commerces : dans son quartier, seul un magasin sur deux est encore ouvert. Les loyers commerciaux ont connu une chute de prix vertigineuse. En revanche, la paupérisation de la classe moyenne est moins visible que la gravité des faits, « pansée » par la solidarité familiale : une classe moyenne qui se retrouve sans couverture sociale et sans accès au système de santé publique, et dont une partie a plongé sous le seuil de pauvreté.

  • L’impact des politiques d’austérité sur l’économie européenne
    L’économiste Paul Krugman (prix Nobel d’économie en 2008) affirme qu’« avant la crise, on pouvait encore prétendre que les politiques d’austérité puissent avoir un impact positif sur l’économie ». Mais avec l’expérience, « le constat s’impose : l’austérité atrophie une économie dans des proportions bien supérieures à celles des réductions budgétaires. (…) Il y a une corrélation évidente entre politique d’austérité et déclin économique. À chaque euro gagné à la faveur d’une augmentation d’impôt ou plus encore d’une réduction des dépenses budgétaires, le PIB chute d’1,30 € à 1,50 € en moyenne », provoquant l’effondrement de l’économie. Et conclut : les politiques d’austérité « ont donc aggravé les choses ».
  • La Grèce, une « success story » ? dixit la Troïka !
    Quelques chiffres inscrits sur une affiche placardée dans l’espace public illustrent les impacts des politiques d’austérité en Grèce : 300 000 logements vides ; 40 000 chômeurs supplémentaires, un taux de chômage de 29 %, dont 60 % chez les jeunes ; 3 millions de personnes non-assurées qui n’ont plus accès aux soins de santé ; une réduction de 50 % des réserves des fonds de pension ; 4 500 suicides ; une liquidation des biens publics, des forêts et des côtes...
  • Le « paradoxe de l’épargne »
    Paul Krugman explique le « paradoxe de l’épargne » : l’économie est un circuit fermé, où les dépenses des uns sont les revenus des autres : « si tout le monde doit réduire ses dépenses en même temps, les revenus de chacun vont chuter eux aussi ». Ainsi, si le secteur privé et le secteur public doivent réduire leurs dépenses : « à qui sommes-nous censés vendre ? ». C’est là un système voué à l’échec.

Pourquoi dès lors appliquer cette politique ? L’Allemagne s’appuierait sur sa propre expérience au cours de laquelle elle a appliqué avec succès une politique d’austérité 1999 et 2000. Or, la différence entre l’Allemagne de l’époque et les pays en crise actuels, c’est que l’Allemagne était dotée de forts excédents à l’exportation, permis grâce aux booms économiques financés par la dette dans des pays comme l’Espagne. En réalité, le succès des politiques d’austérité dépend du contexte.


Les décisions arbitraires de la Troïka dans le secteur de la santé

En Grèce, la Troïka a obtenu en force ce que ses commanditaires n’auraient jamais imposé à leur propre pays : un plafonnement des dépenses de santé à 6 % du PIB, alors que celles-ci s’élèvent en moyenne à 8 % du PIB à l’échelle européenne, et à 10 % en Allemagne.

Depuis, l’activité économique a considérablement reculé en Grèce. Le gouvernement conservateur de l’époque a dû finalement réduire d’un tiers son budget santé, avec des conséquences désastreuses : environ un quart de la population, soit 3 millions de grecs, n’a plus accès à l’assurance maladie ni aux soins médicaux ; 40 % des hôpitaux ont été fermé ; la moitié des 5 000 médecins du public ont été licencié.

À ce titre, Adonis Georgiades, ministre de la santé entre 2013 et 2014, déclare à propos des 2 000 médecins encore en activité : « avant, ils travaillaient moins, 3 heures seulement, maintenant ils travaillent 7 heures ». Un peu court pour justifier une catastrophe humanitaire dans le pays. Cette situation concourt à développer une extraordinaire solidarité au sein de la population à travers des dons, des consultations gratuites…

Giorgos Vichas, médecin et directeur de la clinique bénévole d’Hellinikon, reconnaît que le système de santé grec nécessitait d’importantes réformes, notamment pour lutter contre la corruption, l’hypertrophie et l’inefficacité. Mais il « avait besoin d’une réparation, pas d’une démolition ». Il considère que la politique d’austérité « a fichu en l’air tout ce qu’il y avait de bien  » et qu’il «  n’existe plus de système de santé publique digne de ce nom  ». Les ménages déplorent des revenus biens trop faibles pour pouvoir y avoir accès, ce qui provoque la mort de « centaines de personnes par mois ». Pourtant, la « Troïka prétend qu’elle n’est pas coupable, que c’est là la responsabilité des gouvernements précédents qui ne faisaient pas bien leur travail. Mais quand on lit le mémorandum […], on voit que tout ce qui s’est produit (licenciements, baisse du budget santé, …) y figurait déjà. C’était les conditions de la Troïka […]. C’est leur idéologie. Celui qui a de l’argent peut vivre, celui qui n’en a pas peut mourir ».


La (non) légitimité de la Troïka et les failles de l’Union européenne

De nombreuses aberrations dans la politique de la Troïka sont connues depuis des années, y compris au sein du gouvernement européen. Mais les eurodéputés ont attendu la fin 2013, peu avant les législatives, pour lancer une enquête. Cette enquête n’a abouti qu’à une mise en cause de la légitimité démocratique de la Troïka, car celle-ci agissait bien pour le compte des pays de la zone euro, mais hors du cadre du Traité sur l’Union européenne, échappant ainsi à tout contrôle parlementaire. Les eurodéputés ont donc laissé s’étendre cette situation, la majorité conservatrice n’ayant jamais réellement voulu savoir comment la Troïka avait établi son pouvoir.

L’eurodéputée socio-démocrate Elisa Ferreira (depuis 2004) a expertisé l’activité de la Troïka. « C’est un monstre que l’on a créé. […] La Troïka et ses mécanismes sortent complètement du cadre des institutions de l’Union européenne. C’était juste un accord inter-gouvernemental, ce qui montre bien qu’il manque quelque chose dans l’architecture de la zone euro ».

De même, l’eurodéputé Vert Philippe Lamberts (depuis 2009), chargé de la Commission des affaires économiques et monétaires affirme que «  l’austérité tue littéralement ». Il s’agit de regarder quelle est la majorité au sein du Parlement européen : une majorité située à droite et qui « soutient cette idéologie ».

Au contraire, l’eurodéputé démocrate-chrétien, Othmar Karas (depuis 1999), rapporteur de la commission d’enquête sur la Troïka, concède qu’il « se peut que certaines mesures n’ait pas donné les résultats spectaculaires espérés », mais « sans la Troïka, il n’y auraient pas de résultats du tout. Sans l’intervention de l’Union européenne, ces pays auraient fait faillite ».


Les mesures « structurelles » imposées par la Troïka

En agissant, la Troïka s’est inspirée d’une idéologie très douteuse, qui stipule que le chômage serait le fruit d’un salaire trop élevé et d’un trop grand encadrement du licenciement.

Au Portugal, la libéralisation du marché du travail s’est traduite par la facilitation des licenciements, la suppression des indemnités de départ, la réduction des salaires jusqu’à moins 20 %, et la perte du caractère obligatoire des conventions collectives. Au début de la crise financière, près de la moitié des salariés relevaient d’une convention collective, aujourd’hui, ils ne sont plus que 6 %. Les autres ne disposent plus que de contrats individuels, ce qui les rend très vulnérables face aux pressions exercées par les employeurs, témoigne Francisco Louçã, du Bloco de Esquerda portugais (Bloc de Gauche) et économiste à l’Université de Lisbonne. C’est donc une toute autre façon d’organiser la société.

  • Marché du travail : les mesures de la Troïka ont-elles réellement aidé les chefs d’entreprises ?
    Antonio Saraiva, Président de la confédération des entreprises portugaises, fort de son expérience, affirme que la Troïka n’a pas pris son avis en considération à propos du marché du travail et notamment par rapport au salaire minimum. Pour lui, « la politique des bas salaires correspond à un modèle de développement qui est dépassé ». Aussi, « la réforme du marché du travail n’est que la septième des priorités du gouvernement portugais. […] Le Portugal a besoin de nouveaux modèles de développement reposant sur des produits à valeur ajoutée innovants, et sur des salaires à la hauteur de ces innovations et de ces produits ». Il est donc clair que le coût de la main d’œuvre et le droit du travail n’étaient pas le problème des membres de sa Confédération.

Albert Jaeger, représentant du FMI au Portugal, considère au contraire que « nombre des réformes du marché de l’emploi ont été très utiles pour relever la compétitivité des entreprises. Mais le coût de la main d’œuvre et le droit du travail ne font pas tout ». A titre d’exemple, dans une grande entreprise de transport portugaise, ces réformes ce sont traduites par une baisse significative des salaires (le salaire mensuel d’un chauffeur de bus est passé de 1500 € à 900 €), un gel des embauches et une baisse de la rémunération des heures supplémentaires pour une quantité de travail supplémentaire.

  • Le « race to the bottom » ou la compétitivité comme maître mot
    Le « travailler plus pour gagner moins » n’a-t-il pas pour effet de faire baisser le taux d’emploi ? A cette question, Jaeger répond que « c’est ce dont le secteur économique a besoin pour être compétitif ». Pourtant, cette logique n’est-elle pas la porte ouverte à la course au salaire vers le bas « the race to the bottom » à l’échelle européenne voire à l’échelle mondiale ? Là encore, la réponse de Jaeger est sans équivoque : « le Portugal se doit d’être compétitif ».

Ainsi, cette situation d’une baisse des salaires couplée à une absence d’investissement se traduit par un manque d’emplois flagrant dans la majorité des secteurs d’activité. À terme, cela provoque une préoccupante « fuite des cerveaux ». Elisa Ferreira, députée européenne socialiste, considère que cette situation « élimine les conditions nécessaires à une croissance actuelle et future ». Francisco Louça poursuit sur les conséquences de cette politique d’austérité : « d’ici un an ou deux, 10 % de la main d’œuvre, la plus qualifiée surtout, aura quitté le pays. Si cela continue, nous reviendrons à 6 millions d’habitants, au lieu de 10 millions actuellement, soit la même qu’au XIXe siècle ». Les politiques d’austérité de la Troïka conduisent donc les populations à l’exil.

Pourtant, les solutions existaient, en limitant par exemple les profits monstres des exploitants privés de ponts et d’autoroutes. Mais à ce niveau, selon l’ancien juge à la Cour des Comptes, Carlos Romeno, « rien n’a été fait ». Quand ses confrères de la Cour Constitutionnelle portugaise ont déclaré que les coupes budgétaires étaient anticonstitutionnelles, la Commission européenne les a traité « d’activistes politiques ».


Les riches de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres

Alors que les plus pauvres subissent de plein fouet les politiques de la Troïka et paient le prix de la crise, l’économiste John Steward a révélé que les géants comme Google, Apple… ont embauché 31 milliards d’euros de bénéfices non déclarés au fisc rien qu’en 2011. Les élites sont épargnées ; à la classe moyenne et aux pauvres tous les sacrifices.

En Grèce, la Troïka a imposé des licenciements massifs, et notamment celui des 583 femmes de ménage du Ministère des Finances. Pourtant, leur licenciement, en plus de ne pas constituer une réelle économie, ont enrichi les agences d’intérim privées, en parallèle d’une chute importante des salaires minimums.

Louka Katséli, ministre du travail grec jusqu’en 2011 (désormais directrice de la Banque nationale de Grèce depuis 2015), déclare qu’« à son arrivée au ministère du travail, la Troïka avait déjà négocié une série de mesures avec son prédécesseur, visant à supprimer les conventions collectives et à accroître la flexibilité du marché de l’emploi, sans aucun garde-fou. Ils voulaient supprimer le dialogue social, ce qui va à l’encontre des traités internationaux, de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), et de ce qui se fait en Allemagne et dans d’autres pays ». Lorsqu’on lui demande la raison pour laquelle la Troïka a pris de telles mesures, elle répond que « c’est pour que les employeurs aient le dessus et décident seuls du montant des salaires. […] Ils voulaient que le gouvernement puisse seul imposer les modalités en matière de salaire minimum et en matière de règlement salarié. Si bien qu’aujourd’hui, le gouvernement a le droit d’imposer ses conditions. Voilà pourquoi le dialogue social était mort ». Cette logique va donc bien au-delà d’une simple attaque dirigée contre les syndicats.

Savvas Robolis, économiste en chef des syndicats grecs, poursuit : « La Troïka, le gouvernement et le Premier ministre de l’époque, Lucas Papademos, trouvaient que le salaire minimum de 750 € était trop élevé vu la situation économique de la Grèce. Or, ni les syndicats, ni même les employeurs n’étaient de cet avis. Tous les partenaires sociaux avaient signé le « mémorandum » adressé au gouvernement […] pour l’appeler à refuser la baisse du salaire minimum de 751 € à 586 €. Mais cela n’a pas été pris en compte. Cela a été imposé par décret gouvernemental, sans qu’il n’y ait eu de vote au Parlement, car ils craignaient que les députés ne l’acceptent pas ». Avec ce passage de 4,41 € à 3,44 € de l’heure, 3,5 millions de ménages ont plongé dans la pauvreté.

  • La position de Thomas Wieser sur les mesures d’austérité prises envers le marché du travail
    Thomas Wieser, Président du groupe de travail de l’Eurogroupe et coordinateur du travail des ministres des finances de la zone Euro défend quant à lui les mesures de libéralisation du marché du travail. Il soutient que « le salaire minimum de la Grèce qui est excessivement élevé, a quasiment ruiné l’emploi dans le secteur de l’exportation. Il est absurde de dire que le montant du salaire minimum grec n’avait pas de répercussions au niveau économique, tout comme de dire que sa diminution a des effets négatifs sur l’économie. Les grecs vous embobinent ».

Face aux accusations de violation du Traité de Maastricht par l’Eurogroupe (car la Commission n’est pas compétente pour légiférer sur des sujets tels que la tarification, la suppression des conventions collectives, les négociations salariales, la libéralisation du marché du travail... qui font partie des plans de redressement), Wieser concède : « la réponse, vous la connaissez déjà, j’imagine. Toutefois, tout ce qui s’est fait dans ces pays en crise ne relevait pas des activités de l’Union européenne dans le cadre de la procédure législative ordinaire. Il s’agissait de mesures mises en œuvre dans le cadre de l’Eurogroupe par des institutions particulières. Et ils n’étaient pas là-bas en tant qu’organe législatif, mais en tant qu’experts de l’Eurogroupe ».


Fausses négociations et vrai chantage ?

Le traité sur l’Union européenne permet-il qu’une seule et même personne endosse ces deux rôles différents ?

A cette question, Veronica Nilsson, membre de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) répond par la négative : « La Commission européenne est la gardienne du Traité, elle est tenue de le respecter à tout moment […], en toutes circonstances […] y compris pour la Troïka, [...] et pour moi, c’est évident qu’elle ne l’a pas fait ».

Cela est loin d’être le seul débordement dans ce flou juridique. À Athènes, la délégation est allée jusqu’à s’ériger en législateur et à pratiquer un véritable chantage sur les ministres.

Sur ce point, Louka Katséli, ministre du travail grec jusqu’en 2011, nous montre un courrier officiel qu’elle a reçu : « Madame la Ministre, ce texte n’est pas acceptable. Des éléments clefs en sont absents, et de très nombreux commentaires et propositions ont été ignorés. » Les propositions grecques étaient ainsi systématiquement barrées et remplacées par de nouveaux textes de lois émanent de l’Eurogroupe. Pourtant, « nous étions des fonctionnaires élus, et eux n’étaient que des bureaucrates et des technocrates ».

Dans le même registre, Antonis Manitakis, ministre de la réforme de l’administration jusqu’en juin 2013, s’exprime : « J’ai été ministre pendant treize mois. L’essentiel de mes efforts et de mes soucis étaient de mener à bien les négociations avec la Troïka. Paul Thompson (le négociateur de la Troïka) a été un négociateur hors-pair. Il y a eu du chantage et on a humilié mon pays. Un soir à 23h, j’ai reçu un coup de fil de sa part : ’ cela dépend de toi si la Grèce obtient ou non la prochaine tranche de crédit de 8 milliards d’euros ’, m’a-t-il assené. Il poursuit : « Monsieur Thompson voulait un symbole de crainte et de soumission. Il ne respectait pas ma position de ministre d’un État souverain. Pendant les négociations, j’ai eu l’impression qu’il me considérait comme un représentant d’un pays non seulement endetté, mais aussi corrompu. Un pays de fainéants et d’incapables. Je crois qu’il a pris tout cela sur un plan personnel. Il avait soif de vengeance. Il voulait nous humilier, montrer qu’il avait raison ». Tout ce qui lui importait à ce moment, était donc de pouvoir imposer ses mesures, quel qu’en soit le prix à payer pour la population grecque.

Paulo Nogueira Batista atteste que « le pire qui puisse arriver à un pays est de tomber sous la coupe de bureaucrates internationaux qui croient savoir mieux que lui ce dont il a besoin. En Grèce par exemple, l’ampleur de l’intervention reste stupéfiante. Le programme de la Troïka est si détaillé qu’on dirait un programme de gouvernement complet ».

N’est-il pas très risqué en général de confier un tel pouvoir à des fonctionnaires non élus qui ne sont redevables devant aucun Parlement ? Batista pense que « c’est un problème majeur pour l’Europe, ces fonctionnaires non élus qui décident de tout à Bruxelles. Les « technocrates apatrides » comme les appelait De Gaulle. […] On ne peut pas vraiment sentir les problèmes d’un pays dans un environnement protégé comme Washington ou Bruxelles. Et il est dangereux pour un pays que des décisions cruciales pour l’avenir de ses citoyens reposent entre les mains de gens qui ne connaissent pas la situation ».


La Troïka : Riches et pauvres : Deux poids, deux mesures

  • La « liste Lagarde »
    Lorsqu’il s’est agi de favoriser les élites, la Troïka a fermé les yeux. En octobre 2010, Christine Lagarde, alors ministre des finances de la France, transmet une liste à son homologue grec qui comprend plus de 2 000 noms de Grecs détenant un compte auprès de la succursale suisse du groupe HSBC. À elle seule, la banque abrite plus de 2 milliards d’euros mis à l’abri du fisc par des grecs fortunés. Pour éviter l’ouverture d’enquêtes, à Athènes, le ministre des finances et les fonctionnaires de la Troïka vont taire l’existence de cette liste. En 2012, une personne bien informée transmet la liste à un journaliste pour qu’il la publie. Depuis lors, elle circule sous le nom de « liste Lagarde », et son expéditrice est maintenant la Directrice générale du Fonds monétaire international.
  • La (non) commission d’enquête : 2 062 noms pour 6 enquêtés
    Sur ce sujet, Zoé Konstantopoulou, à l’époque députée Syriza et désormais Présidente du Parlement grec, s’exprime : « La liste Lagarde est arrivée en Grèce en septembre 2010. Elle contient 2 062 noms. En janvier 2014, le chef de l’autorité chargé d’enquêter, un proche du premier ministre Antónis Samarás, a déclaré que des contrôles avaient été menés pour 6 personnes. C’est incroyable mais facilement explicable. Sur cette liste, il y a des politiques, des parents de politiques, et une série de gens impliqués dans ce que nous qualifions aujourd’hui en Grèce, de système de collusion frauduleuse ».

L’un des objectifs premier du plan de réforme de la Grèce n’était-il pas de bloquer l’évasion fiscale des riches ? « C’était uniquement sur le papier, rétorque Zoé Konstantopoulou. C’est apparu de manière saisissante lors de la procédure devant la Commission chargée d’enquêter sur la liste Lagarde. Il s’est avéré que le représentant du FMI, détaché auprès du ministère grec des finances, avait dissuadé les fonctionnaires du fisc d’étudier de près ces cas et cette liste ».

Le salaire minimum a été imposé d’une main de fer. Pourquoi n’a-t-on pas usé de la même intransigeance pour obtenir une ouverture d’enquête sur chacun des évadés fiscaux présumés sur la liste fournie par Madame Lagarde ? À cette question, Thomas Wieser répond que « ce sont les orientations politiques de la Grèce qui ont déterminé son système fiscal. Et le fisc grec était ce qu’il était  ».

  • Le « tout-privatisation »
    Dans les pays en crise, on trouve extrêmement injuste que la privatisation des biens publics, et la structure de la fiscalité profitent encore à ceux qui ont souvent contribué eux-mêmes à la crise, en pratiquant l’évasion fiscale. Pourquoi n’est-on pas intervenu à ce niveau ? Là encore, Thomas Wieser répond de manière détachée  : « c’est effectivement une évolution fâcheuse qui tient aussi à la maturité du système politique, aux circonstances de la crise, etc. ». En réalité, cela tient surtout au fait que les responsables de la Troïka ne se préoccupait pas de savoir à qui leur programme profitait ou nuisait. Dans tous les pays en crise, la Troïka a imposé aux gouvernements de vendre rapidement le plus de biens publics possibles, permettant aux spéculateurs de réaliser des gains pharaoniques.


Le projet Hellinikon et ses zones d’ombre

L’État grec a même créé le « TAIPED » pour vendre et valoriser ce qu’il possède : des bâtiments officiels aux îles, en passant par le réseau électrique. Ce fond privé bazarde tout à la manière d’Ebay, le Parlement n’a même pas son mot à dire, et bien sûr, les escroqueries vont bon train.

Dans ces privatisations, on dénote par exemple l’ancien aéroport d’Athènes, réaménagé en 2004 pour les Jeux Olympiques. Le site fait trois fois la taille de la Principauté de Monaco, 4km de côtes et de plages. Le TAIPED a piloté l’opération de manière à ce qu’il ne reste qu’un candidat, la société Lambda Development, propriété du milliardaire grec Spiro Latsis. Cette dernière a obtenu le terrain, officiellement estimé à 1,24 milliards d’euros, pour moins de la moitié de ce prix.

Sur la privatisation de cet ancien aéroport, Louka Katséli atteste que « le pays est en train de se faire piller par un petit groupe de gens. Il n’y avait personne d’autre pour enchérir sur cette offre ».

N’est-ce pas étrange que personne ne surenchérisse sur une procédure de privatisation ? Normalement, dans un tel cas, on interrompt le processus et on repousse la vente de 2 ans. À cela, elle répond : « C’est vrai, mais pas dans la Grèce de la Troïka ».

Quel intérêt les autres pays de la zone euro ont-ils à soutenir ce pillage de la Grèce ? Christos Kortzidis, Maire de l’arrondissement d’Hellinikon, répond : « Il s’agit de servir les intérêts des grands groupes. La crise est une bonne occasion de s’emparer des richesses de notre pays. C’est un prix ridicule qui suffira tout juste à rembourser quelques mois de la dette, cela n’a aucun sens ».

Giannis Stournaras, Ministre des finances jusqu’en juin 2014, devenu depuis Gouverneur de la Banque centrale grecque, et qui était à l’époque le chef d’orchestre de cette opération, réfute au sujet de la privatisation de l’aéroport : « J’ai l’impression que vous vous trompez dans vos calculs. Vous oubliez que les investisseurs vont aussi investir ici. Chaque euro investi dans le projet Hellinikon génère 5 euros dans l’économie grecque grâce à l’effet multiplicateur ».

Pourtant, Christos Kortzidis considère que « si l’on parle de plus de 50 000 emplois, cela ne repose sur rien. C’est une histoire à dormir debout. Nous ignorons tout du contrat et de son contenu. Plusieurs députés ont exigé la publication des faits à de nombreuses reprises […], mais le TAIPED, le fond chargé de conduire les privatisations, est une société privée. En tant que tel, il n’est pas tenu de divulguer ces informations ».

À qui profite la vente du site d’Hellinikon ? Qui sont ses investisseurs ? « Spiro Latsis et Lambda Development vont très certainement obtenir le site, explique Zoe Konstantopoulu. Spiro Latsis est l’homme à qui appartenait l’euro-banque. Par ailleurs, il est très lié au groupe EFG, lui-même associé au plus gros dépôt inexpliqué placé sur un compte suisse. L’affaire n’a pas été élucidée, mais son nom figure sur la liste Lagarde ». Pourquoi la Troïka n’est-elle pas intervenue alors qu’elle aurait pu le faire ? « La Troïka, poursuit-elle, a largement soutenue cette politique criminelle, et ce au détriment de l’intérêt général, des citoyens grecs, de la société grecque, et bien sûr, au détriment de la prochaine génération ».


La privatisation de l’eau

Hellinikon n’est pas un cas isolé. Dans tous les pays européens en crise, les citoyens perdent des milliards dans la liquidation de biens publics qui leurs reviennent de droit. Tout y passe, même l’eau, alors que la France et l’Allemagne ont suspendu sa privatisation chez elle. Et les groupes censés racheter les compagnies grecques sont ceux que l’on a écarté depuis longtemps ailleurs.

Pour Maria Karayannopoulou qui se bat contre la gestion de l’eau par le secteur privé, ils raflent tout ce qu’il reste de l’argenterie grecque. Le réseau portugais, modernisé très récemment, s’apprête à tomber dans les mains des mêmes groupes. D’après José Goncalves, responsable d’un service municipal de distribution d’eau, ils n’auront pratiquement pas à investir pendant 10 à 15 ans. Par contre, ils toucheront directement d’importants bénéfices.

Sur la privatisation des biens publics, Carlos Moreno, ancien juge à la Cour des comptes européenne, s’exprime : « On s’est mis à vendre des biens publics pour pouvoir survivre. On nous puni à tous les niveaux. Les salaires dégringolent, les impôts grimpent, l’enseignement public se dégrade, le système de santé est en difficulté. Les assurances sociales nous couvrent moins qu’avant, le chômage est énorme, et ainsi de suite. Alors que les entreprises en bonne santé, on les vend sans nous donner de détails à des sociétés qui possèdent déjà quasiment le monde entier ».

Ne serait-il pas plus avisé d’exclure l’eau de ces privatisations pour montrer à la population grecque que l’on prend ses difficultés au sérieux ? A cette question, Albert Jaeger déresponsabilise la Troïka : « C’est une décision du gouvernement portugais et des élus locaux. Cela mérite d’être étudié de près, mais en général, l’expérience montre que les entreprises privatisées sont gérées de manière plus efficace ».

Le journaliste le confronte au fait que jusqu’ici l’expérience prouve le contraire. Il prend l’exemple de la France, pionnière en matière de privatisation de l’eau, qui est en train de la remunicipaliser, car toutes ses communes ont fait de mauvaises expériences. A cela, Jaeger répond : « Peut-être, mais je suis certain qu’ici on tient compte des expériences faites dans d’autres pays ».


De l’affaire de la banque BPN au Portugal…

La privatisation de la banque BPN est un cas à part. Elle avait été nationalisée en 2008 pour éviter le risque de « course aux guichets » (panique bancaire). L’opération a coûté 5 milliards d’euros à l’État portugais. Et tout d’un coup, dans le mémorandum entre la Troïka et le gouvernement en juin 2011, il apparaît que la banque devra être revendue dans un délai d’un mois. Que fait cette clause dans ce contrat : pourquoi écrit-on dans un protocole d’accord, qu’une banque ‘X’ devra être vendue un mois au plus tard après la signature ? Jaeger, visiblement mal à l’aise, met fin au sujet : « Je ne souhaite pas apporter de commentaires sur des cas particuliers ».

Cette vente précipitée de la BPN imposée par la Troïka ne s’est donc pas faite dans le respect des règles. La banque se retrouve dans l’escarcelle du groupe financier angolais BancoBIC. Et ce n’est sûrement pas un hasard si le directeur de la branche portugaise est Diogo Freitas do Amaral, ex-ministre issu du parti au pouvoir à Lisbonne. Mais aucun représentant ne souhaite fournir de renseignements à ce sujet.

Le Parlement a tout de même créé une Commission d’enquête et João Semedo, membre de l’opposition, a mis des détails étonnants en lumière. Ce dernier s’exprime sur la clause de la vente de la banque BPN imposée par la Troïka : « Nous pensons que si le gouvernement l’a accepté, c’est parce qu’il avait déjà choisi l’acquéreur. Le gouvernement portugais a même aggravé les choses. La vente s’est fait tellement vite que d’autres acheteurs n’ont même pas eu le temps de se faire connaître. Pour des raisons purement politiques. Comme le gouvernement tient à avoir de bonnes relations avec la finance angolaise, il a vendu la BPN 40 millions d’euros, ce qui n’est rien pour une banque avec autant de succursales ». L’un des principaux actionnaires est en effet la fille du président angolais. « Nous savons que la fille du président d’Angola a été impliqué à de nombreuses reprises déjà dans toutes sortes de versements et de financements illicites. Le gouvernement a perdu au moins 5 milliards d’euros dans cette transaction ». Pourquoi la Troïka a-t-elle soutenu ce gaspillage absurde ? Il répond qu’en « signant l’accord avec la Troïka, le gouvernement portugais espérait que la vente de la BPN lui permettrait de ne plus perdre d’argent avec cette banque, mais c’est faux. L’État continue d’en perdre, pas avec la BPN, mais avec les actifs toxiques qu’elle a laissé. Ces actifs continuent d’exister au sein de trois structures, des ‘bad banks’. Ces ‘bad banks’ sont créées par l’État pour y placer les actifs toxiques de la BPN. C’est absolument scandaleux que la Troïka et les institutions qui la composent aient pu autoriser une transaction aussi ruineuse ». Autrement dit, les institutions de la Troïka contribueraient à camoufler des relations suspectes voire corrompues, bien « qu’elle affirmera toujours que seul l’État portugais en est responsable, elle ne reconnaîtra jamais sa responsabilité, alors que c’est elle qui a orchestré la vente de la banque ».


… à la transposition du même schéma pour la Grèce

C’est d’autant plus stupéfiant qu’il s’est produit quasiment la même chose en Grèce au même moment. Là aussi, la Troïka a forcé le gouvernement à risquer des milliards d’euros de perte en lui faisant vendre les banques nationalisées. Après l’échec du premier plan de sauvetage grec, les gouvernements des autres États de la zone euro ont dû se rendre à l’évidence : sans remise de dette, l’État courrait droit à la faillite.

Si bien qu’en 2012, l’Eurogroupe a contraint les créanciers privés de l’État grec, c’est-à-dire les banques et les investisseurs, à le soulager de 108 milliards d’euros. Mais comme on avait attendu deux ans pour le faire, les banques grecques ont été le plus touchées par cet allégement de la dette. La plupart des autres banques, allemandes et françaises surtout, avaient déjà tiré leurs épingles du jeu. Si bien que les Grecs ont dû s’endetter de 50 milliards d’euros supplémentaires pour sauver leurs banques du naufrage. Dès lors, les quatre grandes banques grecques ont été nationalisées de fait. Mais la Troïka a forcé la Grèce à les reprivatiser au plus vite et à n’importe quel prix. Cela a eu des conséquences absurdes. Des fonds d’investissement américains ont acheté des actions de banques grecques à prix sacrifié, et qui ont généré d’énormes profits. Par exemple, la société de John Paulson, grand patron américain de Hedge Funds, a annoncé près de 6 % de bénéfices au premier trimestre 2014, rien qu’avec des titres grecs.

Combien d’argent l’État va-t-il récupérer lors de la revente des banques à des investisseurs privés ? A cette question, Varoufakis répond sans équivoque : « juste une partie, les deux-tiers environ. C’est une assez bonne estimation du désastre devant lequel nous nous trouvons. La Troïka a fermé les yeux sur le processus de recapitalisation des banques grecques. Soit par complicité, soit par bêtise. Mais comme les représentants de la Troïka à Athènes sont très malins, je penche plutôt pour la complicité ».

En voyant ce que l’État grec a payé pour une action de l’Eurobanque, et ce que les fonds d’investissement américain ont versé pour le même titre, «  on ne peut pas renoncer comme ça à plusieurs milliards, alors que chaque euro est vital ». À cette affirmation du journaliste, Thomas Wieser explique tant bien que mal « que l’on fait erreur si l’on pense que l’on a délibérément offert quelques milliards à je ne sais qui. C’est tout simplement qu’une quantité phénoménale d’argent s’est perdue dans la fusion du système bancaire grec. Cela ne fait aucun doute ».

Pourquoi les grecs n’ont-ils pas pu procéder comme les américains, et conserver leurs banques jusqu’à ce qu’elles redeviennent rentables et puissent être revendues avec un bénéfice ? À cette question, Theodoros Pantalakis, ancien directeur d’une des banques nationalisée, répond que « cela aurait sûrement pu être faisable, mais le gouvernement grec a cédé aux exigences de ses créanciers, qui voulaient qu’il revende les banques au plus vite ». C’est pour cela que sur les 40 milliards d’euros correspondant aux reventes, l’État grec n’en percevra que 25 milliards, au mieux. Soit une perte de 15 milliards d’euros pour la Grèce, l’équivalent des économies réalisées sur son budget santé depuis 2010.

À la question, pourquoi en est-il ainsi, Theodoros Pantalakis poursuit : « C’est l’autorité des marchés. C’est pour cela que nous payons. Les marchés se calment quand ils ont leur part du gâteau. C’est le prix de l’équilibre ».

Si les Grecs ont chassé leur gouvernement, c’est justement parce qu’il s’est trop docilement soumis à la pression des créanciers à leurs goûts. À charge pour la nouvelle équipe de négocier l’arrêt de liquidation avant qu’il ne soit trop tard.


Les dispositions du nouveau gouvernement Tsipras

Varoufakis s’est positionné en affirmant qu’il ne pouvait pas poursuivre le programme en cours, et qu’il en fallait un autre. Quelles conditions du programme actuel le nouveau gouvernement grec n’est-il pas prêt à satisfaire ou en mesure de satisfaire ? A cette question, il répond : « Si l’on classe les nombreuses affaires de corruption et de pillage des deniers publics de la plus grave à la plus insignifiante, on s’aperçoit que le programme de réformes actuels ne s’attaque qu’aux petits problèmes et délaisse complètement les gros. Voilà pour le premier point. Deuxièmement, ce n’est pas que nous ne nous sentons pas engagés par l’accord avec la BCE, le FMI et nos partenaires européens, mais nous cherchons un moyen de reconsidérer la philosophie macroéconomique et le contenu microéconomique des réformes du programme existant. Notre gouvernement représente une chance pour l’Europe. Nous avons l’élan nécessaire pour en finir avec cette mentalité du ‘Business as usual’. Nous disons à nos partenaires européens : ’ cela ne vous plaît peut-être pas que nous ayons été élus car nous sommes un parti de la gauche radicale, mais servez-vous de nous pour tourner une page en Grèce et en Europe’ . ».


Le cas de Chypre : des accords sous contraintes

Chypre est le dernier pays de la zone euro à avoir eu besoin de crédits d’urgence début 2013, suite aux spéculations malheureuses de ses banques. Mais dans ce cas, l’Europe a voulu frapper fort pour donner l’exemple. Elle n’a pas débloqué de fonds publics pour sauver les établissements bancaires. D’autant plus qu’ils avaient la réputation d’encourager la fraude fiscale et le blanchiment d’argent sale. C’est pourquoi les ministres des finances de la zone euro ont obligé le gouvernement chypriote à faire assumer les milliards d’euros de perte par les clients des banques eux-mêmes, contrairement à ce qui s’était fait dans tous les autres pays en crise.

Mais en mars 2013, afin d’éviter que la « course aux guichets » ne s’étende à la Grèce, la Troïka a contraint les banques chypriotes à vendre leurs filiales grecques, et ce à un prix extrêmement bas. De nombreux chypriotes en concluent qu’on les a escroqué de plusieurs milliards d’euros.

Est-ce possible ? Quelle a été la conséquence de cette mesure pour les chypriotes ? Nicholas Papadopoulos, député et président de la Commission des finances, répond à ce sujet : « Les deux grandes banques de Chypre se sont aussitôt retrouvées insolvables. Car nous avons quasiment donné ces succursales à la Grèce. Bien qu’elle valait 4 milliards d’euros. La décision s’est prise au niveau européen, et nous a obligé à les vendre 500 millions d’euros. Cette décision nous a fait perdre 3,5 milliards d’euros. Et à l’inverse, la banque du Pirée, qui a hérité de ces succursales, y a gagné 3,5 milliards d’euros. On a imputé ces pertes aux déposants chypriotes alors que cela n’a pas eu de conséquences pour les déposants grecs. L’Eurogroupe a pris délibérément cette décision, avec la Troïka en Grèce et à Chypre, avec les banques centrales. Cela s’est fait intentionnellement, parce que quelqu’un au niveau politique a décidé que Chypre était moins importante que la Grèce. Ils ont pris l’argent des investisseurs chypriotes, et ils l’ont donné à une banque grecque. Pour moi c’est l’un des plus gros scandales de l’Histoire de la zone euro. Cette transaction a rapporté des milliards à certains ».

Pourtant, le Parlement et le gouvernement chypriote ont donné leur accord eux-aussi. Certes, confirme Papadopoulos, mais « ils avaient le pistolet sur la tempe. On nous a forcé à accepter car nous étions en faillite ».

Papadopoulos poursuit ces accusations : « Chypre a été victime d’un pillage éhonté à l’échelle de l’État. Je le répète, ces transactions ont rapporté des milliards à la banque du Pirée, et au niveau privé aussi. Le PDG de la banque du Pirée, Michael Sallas, avait des créances douteuses dans l’une des banques vendues. Il en avait pour plus de 150 millions d’euros. Et cette créance a été annulé au moment de la transaction. En gros, nous leur avons donné notre argent ».

Si cela est vrai, cela signifie que des hauts responsables de la BCE et de la Commission ont volé 3,4 milliards d’euros aux chypriotes avec la bénédiction des ministres des finances de l’Eurogroupe. Tout cela, dans un pays où le PIB n’est que de 17 milliards d’euros.

La banque grecque à qui ces crédits et autres investissements ont été transmis, a annoncé trois semaines plus tard, un bénéfice de 3,4 milliards d’euros. Si cet argent avait été à la disposition des banques chypriotes, on n’aurait jamais dû l’enlever des mains des déposants de ces banques.


Le rôle de la Troïka dans ces zones d’ombres

Kypros Chrysostomides, avocat, a déposé une plainte devant la Cour de Justice à Luxembourg. L’ampleur de la somme des montants perdus par les clients qu’il représente est de plus de « 100 millions d’euros au total, représentant des gens ordinaires, des entreprises aussi, mais surtout des gens ordinaires, des retraités par exemple ». Ses clients reprochent aux institutions européennes « d’avoir agi au mépris du droit européen. Car l’Eurogroupe, la Banque centrale européenne, la Commission et le Conseil en particulier, n’ont pas respecté la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Et bien sûr, ils ont agi au mépris du principe d’égalité et de non-discrimination ».

À la question : quel rôle la BCE a-t-elle joué dans tout cela ? Chrysostomides affirme que « Monsieur Asmussen avait dit à la république de Chypre, que si elle n’adoptait pas le plan de sauvetage de l’Union européenne avant le 21 mars, l’aide financière aux banques chypriotes serait interrompue. Comment la Banque centrale peut-elle adresser une remarque d’ordre politique à un membre de l’Union européenne ? ».

Pensez-vous que la BCE a enfreint le droit européen par l’intermédiaire de son directeur allemand Jorg Asmussen ? Il confirme : « la BCE a agi illégalement ».

Si procès il y a, Michael Sarris sera un témoin important car c’est lui qui, en tant que Ministre des finances jusqu’en 2013, a mené les négociations pour Chypre. Il témoigne : « nous avons quitté les négociations en disant que c’était inacceptable. Puis l’équipe de Joachim Almunia, à l’époque Commissaire à la concurrence, a rendu son arbitrage à Bruxelles. La décision est tombée et ils ont aussitôt fait un profit de 3 milliards de dollars ».

Cela veut dire que la banque grecque insolvable avait été sauvée du jour au lendemain. N’est-ce pas injuste ? A cela, Sarris répond : « Oui, c’était injuste. Et ils nous l’ont dit sans détour. Soit nous acceptions le plan et tout ce qui allait avec - et notamment des pertes pour les déposants. Soit nous quittions la zone euro - ce qui aurait été une catastrophe monumentale pour notre pays. Alors on n’avait pas le choix. C’était ‘marche ou crève’ ».

La Commission et la BCE ont-elles offert des milliards en douce à la Grèce ? Un indice fort étaye cette accusation. Il s’agit d’un e-mail que l’employé de la Commission en charge du dossier a envoyé à tous les participants peut avant la décision finale. Ce document explique le déroulement de la transaction. Tout à la fin, on trouve un tableau, confirmant ce que disait Nikolas Papadopoulos : pour la vente des filiales grecques des banques chypriotes, les fonctionnaires de la Commission ont délibérément fixé un prix beaucoup trop bas, que les chypriotes furent obligés d’accepter. Un mois plus tard, la banque du Pirée, heureuse acquéreur des succursales des banques chypriotes, affichait un accroissement de capital de 3,4 milliards d’euros. La Troïka semble bien avoir fait cause commune avec une banque grecque.


La reconnaissance des responsabilités de la Troïka

Stavros Zenios, membre du Comité de direction de la Banque centrale de Chypre depuis 2013 considère que « c’est 10 % du PIB du pays que l’on a transféré en dehors de Chypre avec cette vente. Cela ne sent pas bon. Les chypriotes veulent des explications. Des erreurs ont été commises, et quelqu’un doit en payer le prix. Mais le prix fixé était manifestement excessif, et seuls les petits l’ont payé. Nous ne disposons pas d’assez d’informations pour juger s’il s’agit d’erreurs ou de corruption, mais ce genre de questions ne peut pas continuer de planer au-dessus des institutions européennes. Il me paraît essentiel de lancer une enquête au niveau européen ».

Allez-vous vous battre devant le Parlement nouvellement élu pour initier d’autres enquêtes sur des affaires passées ? A cette question primordiale, Othmar Karas répond sans détour qu’ « il n’y a pas eu d’enquête, et il n’y aura pas de commission d’enquête, car il n’y a pas lieu d’en nommer une ».

Est-il impossible de demander des comptes aux responsables au sujet des erreurs commises ? Karas poursuit de manière assurée : « Je maintiens que l’action de la Troïka était nécessaire et a été un grand succès. Le Parlement l’affirme aussi à une large majorité. Il n’y avait guère d’alternatives au travail de la Troïka. Nous devons tirer les leçons des dysfonctionnements, des leçons de cette action. Mais avec le recul, il est évident que c’était la seule possibilité que nous avions. Et ces succès nous donnent raison ».

C’est précisément cette attitude de Bruxelles et de Berlin qui monte les citoyens contre cette Europe-là. Et c’est la raison pour laquelle les Grecs ont élu un gouvernement prêt à se dresser contre cela. En continuant de refuser toute explication et d’assumer leurs erreurs, les dirigeants européens compromettent toutes les avancées apportées par la construction européenne ces dernières années. Avec une telle politique, l’Europe, jadis synonyme d’espoir, d’avenir meilleur, apparaît désormais comme une menace pour beaucoup. Alors même qu’on pourrait bien répartir le poids de la crise plus équitablement, demander des comptes aux responsables, et surtout changer de cap après le fiasco des plans d’austérité et tenter de redonner un avenir aux pays en crise via l’investissement.

Alors pourquoi ne l’a-t-on pas fait depuis longtemps ? A cette question, Paul Krugman apporte un éclairage : « de nombreuses études psychologiques et sociologiques montrent que les personnes qui ont des convictions profondes ne changent pas d’avis, même face à l’évidence. Et même, plus elles en savent, plus elles résistent. ».

Philippe Legrain, ancien conseiller de la Commission européenne considère lui que « ces fonctionnaires non élus, non redevables, et souvent incompétents, qui décident à Bruxelles du sort des gens dont ils ignorent tout et à qui il est impossible de demander des comptes, ça ne fonctionne pas. Ainsi, quand Angela Merkel prend des décisions politiques aux conséquences terribles pour le peuple grec ou portugais, elle n’a de compte à rendre qu’à ses électeurs allemands. Et quand on travaille à la Commission, on y est à vie. Bien sûr, on doit des comptes à son supérieur, mais certainement pas pour les souffrances que l’on a pu causer ».

Comment se fait-il que ces gens possèdent un tel pouvoir ? Pourquoi le confier à des fonctionnaires qui ne risquent rien dans ce jeu ? Comme l’affirme James Stewart, économiste au Trinity College de Dublin, « c’est extraordinaire qu’avec une conception du monde aussi étroite, ils aient réussi à prendre le contrôle des institutions et à avoir une telle influence sur la vie de millions de gens de toute la zone euro ». Ils ont probablement réussi à prendre le pouvoir sur toute la Commission car « ils ont commencé à travailler quand la pensée néo-classique ou néo-libérale était dominante : l’idée que les dettes publiques sont une mauvaise chose, qu’il s’agit de minimiser au maximum l’intervention de l’État, que les décisions du secteur privé sont toujours bonnes, celles du secteur public toujours mauvaises. Cette idéologie prévalait à leur entrée en fonction ; même si c’était il y a 20 ans, ils n’ont rien appris de l’Histoire ».

Une puissance incontrôlée, qui n’a de compte à rendre ni au Parlement, ni à l’opinion publique : voilà ce qui fait de la Troïka cette puissance incontrôlable. Combien de temps cela va-t-il encore durer ?

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

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10 mars 2015 2 10 /03 /mars /2015 21:32

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

« L'aide à domicile est victime d'une permanente hypocrisie des politiques »

09 mars 2015 | Par Rachida El Azzouzi

 

 

 

Après nos révélations sur l'emploi dans l'illégalité d'une infirmière roumaine par la famille du président socialiste du conseil général de l'Isère, le chercheur en psychogérontologie Jérôme Pellissier rappelle combien le recours au travail au noir est massif dans le secteur de l'aide à domicile, en partie en raison de l'impéritie des politiques.

 

Docteur et chercheur en psychogérontologie, Jérôme Pellissier est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés au prendre-soin et à la place de la vieillesse et des personnes dites âgées dans notre société. Dans un entretien à Mediapart, il revient sur ces travailleurs de l'ombre, précaires, majoritairement des femmes, qui interviennent à domicile au chevet de nos « vieux » en perte d'autonomie psychique et/ou fonctionnelle.

Il dénonce des politiques de l'emploi à droite comme à gauche qui consistent « à mettre les travailleuses les plus socialement et économiquement fragiles au service des personnes handicapées ou malades les plus fragiles et sans rien faire pour leur permettre par ce métier de se "dé-fragiliser" justement », ainsi que cette spécificité française : « Quand vous êtes handicapé(e) de moins de 60 ans, la solidarité nationale finance à 100 % les aides nécessitées par le handicap, même si c'est 24 heures par jour ; quand vous êtes handicapé(e) de plus de 60 ans, seules quelques heures par jour (trois-quatre environ) sont ainsi financées. Le reste est à charge de la personne ou de sa famille. Et ce reste, si ça passe par des professionnelles déclarées, etc., peut aller jusqu'à plus de 6 000 euros par mois. »

À l’image de la famille du président du conseil général de l’Isère, qui employait au noir une jeune Roumaine pour s’occuper 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, de leur mère âgée, nombreux sont les abus dans le secteur de l’aide à domicile. Cette affaire est, selon vous, l’arbre qui cache la forêt.

Oui, il ne faudrait pas prendre cet arbre pour un sujet isolé au milieu d’une prairie ! Il existe en effet de très nombreuses situations où sont employées au noir des jeunes femmes pour prendre soin de personnes âgées.

Il me semble important de préciser qu’il y a dans cette affaire une dimension particulière, qu’on ne retrouve pas partout. Le fait de changer le prénom de la personne (véritable marquage symbolique), de lui imposer des formes et des rythmes de travail extrêmes, de la surveiller, etc. Il y a là une dimension qu’on ne retrouve, heureusement, pas toujours ! Beaucoup de gens recourent au travail au noir pour ce qu’on appelle l’aide à domicile, mais le font sans pour autant agir ainsi.

Comment expliquer que ce soit si courant ?

La principale raison en est l’absence d’aides financières à hauteur des besoins quand les personnes ayant besoin d’aide sont âgées.

Il faut rappeler qu’en France, si vous avez moins de 60 ans et une maladie ou un handicap qui vous mettent dans une situation où vous avez besoin d’être aidé, la solidarité nationale joue son rôle : elle finance vos aides par une prestation, la PCH (prestation de compensation du handicap) à hauteur des besoins. Si votre maladie ou handicap est invalidant au point, par exemple, d’impliquer que vous soyez aidé 20 heures par jour, elle finance ces 20 heures.

Ce système, juste, solidaire, digne de l’esprit qui présida après guerre à l’instauration de la Sécurité sociale, s’arrête à 60 ans. Après, terminé ! Si vous avez 65, 80 ou 100 ans, et même si vous avez le même besoin d’aide qu’une personne de 40 ou 50 ans, vous relevez d’une autre prestation : l’APA (allocation personnalisée d'autonomie). Cette aide a pour caractéristique d’être plafonnée. Peu importe que vous ayez besoin d’être aidé 5 heures ou 20 heures par jour, le montant sera le même.

Le montant maximum varie selon les régions, mais ne dépasse jamais 1 500 euros. De quoi financer, si la personne s’adresse à des professionnels, environ trois heures d’aide par jour…

 

© reuters

 

Et si le besoin d’aide dépasse ces trois heures par jour ?

Si les gens n’ont pas les moyens, il reste la débrouille : les membres de la famille s’il y en a, les ami(e)s, les voisins, les associations… Et il reste aussi et surtout, pour beaucoup de gens – dont beaucoup de vieilles femmes en grande vulnérabilité – de vivre sa maladie ou son handicap sans être aidé. C’est ainsi que vous voyez de vieilles personnes se nourrir mal, se soigner mal, vivre isolées.

Si les gens ont les moyens, alors ils vont financer eux-mêmes les personnes qui vont les aider. Soit en s’adressant à des professionnels – mais le coût alors va devenir gigantesque – soit en s’adressant à des non-professionnels, au noir.

Cela dit, ne soyons pas non plus tolérants face au travail au noir sous prétexte qu’il n’est pas aussi inhumain que celui-ci : car tout travail au noir, par l’absence de reconnaissance du travail, l’absence de cotisations sociales, d’assurance, de droits pour le salarié, etc., est une forme, peut-être douce, mais néanmoins réelle, d’esclavagisme.

Plus précisément, que représenterait le coût d’une aide professionnelle dans une situation comme celle de la mère d’Alain Cottalorda ?

Si l'on prend la situation d’une dame qui aurait besoin d’une aide toute la journée et même quelquefois la nuit, avec le recours à des professionnels, on serait sur un budget d’au minimum 5 000 euros mensuels.

Ensuite, si l'on va jusqu’au bout du questionnement, plusieurs questions se posent : qui possède de telles sommes ? Qui, les possédant, est prêt à les mettre au service de quelque chose de tellement déconsidéré : aider ou prendre soin d’une vieille personne malade et/ou handicapée ? Qui, même les possédants, n’est pas tenté par le recours à du travail au noir pour des raisons économiques, certes, mais aussi pour d’autres sur lesquelles il faudrait aussi se pencher ?

De très nombreuses personnes et familles recourent à du travail au noir. On peut même affirmer que le travail au noir, dans ce domaine, est quantitativement bien plus important que le travail déclaré.

Vous évoquez d’autres raisons que financières pour le recours à des non-professionnels. À quoi pensez-vous ?

La majorité des gens préfèrent vivre, et être aidés, à domicile, plutôt que dans des établissements. Et à domicile, une partie des gens, même quand ils ont le choix, préfèrent recourir à des non-professionnels pour des raisons de confiance. Soit parce qu’ils connaissent les personnes (le cousin d’un ami de la petite-fille, le fils de l’épicier du bout de la rue, la belle-fille de la gardienne), soit parce qu’ils se méfient des professionnels.

On touche là à un autre aspect de ces situations, très délicat : celui de la formation des professionnels, de la culture ambiante dans ce travail d’aide à domicile, des conditions de travail. Peu ou pas de formation, un travail souvent « à la chaîne », une culture (elle est globale dans notre société) d’infantilisation voire de mépris pour les personnes âgées vulnérables : tout cela conduit de nombreuses personnes âgées et leurs proches à trouver que les professionnels sont peu compétents, voire humainement peu recommandables.

Il y a aussi, il faut l’évoquer, une dimension de pouvoir. Dans beaucoup de situations où une personne est assistée par un service d’aide à domicile, le sentiment qui prévaut chez la personne ou ses proches est d’être dominée. Alors que dans le cadre d’un travail au noir, le pouvoir s’inverse : l’employeur peut être beaucoup plus exigeant. Pour le meilleur : la personne aidée verra plus facilement ses rythmes et ses volontés respectés. Comme pour le pire : des employés deviennent de véritables esclaves domestiques.

«Il y a une hypocrisie phénoménale des dirigeants politiques»

Selon des chiffres de l'OCDE, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans va être multiplié par quatre entre 2000 et 2050, passant de 1,2 million de personnes à 4,8 millions. Le secteur des services à la personne est en pleine explosion. Pourtant, ce n’est pas l’eldorado économique annoncé.

Il existe et existera en effet de plus en plus de réels besoins. Sachant que le nombre de personnes âgées malades et/ou handicapées augmente moins vite que le nombre de personnes âgées. Au fil des décennies, on vit plus vieux en meilleure santé.

Les services à la personne sont un secteur qui pourrait permettre de créer de très nombreux emplois. Mais il faudrait que la volonté politique soit réelle et forte pour cela : autrement dit, que ce ne soit pas des sous-emplois, à temps partiels non choisis, mal considérés, mal rémunérés, avec pas ou peu de formation.

Mais quand on voit ce qu’il advient dans d’autres pays, en Allemagne, au Japon…, où les gouvernements réfléchissent aux manières de délocaliser les maisons de retraite pour les faire aller dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère, on peut se demander si, dans la logique libérale qui est celle de nos gouvernements actuels, il existe une réelle volonté de créer des emplois, en France, dans ces secteurs.

Nous aurons du mal à améliorer ces métiers tant que notre culture restera baignée de la croyance que prendre soin d’une personne malade/handicapée, « c’est facile », « c’est naturel », « c’est bon pour les femmes ».

 

 

Que sait-on de ces travailleurs précaires, en majorité des femmes ? Qui sont-ils ?

Ceux qui ne sont pas déclarés sont en effet en majorité des femmes. Qui parfois font ce travail en poursuivant des études, ou en complément d’un autre travail, déclaré. Mais bien souvent, ce sont des personnes qui sont au chômage ou dont la situation ne permet pas un travail officiel. Des personnes qui très souvent ne connaissent pas leurs droits, maîtrisent peu la langue française, etc. Leur fragilité économique et sociale les rend particulièrement vulnérables à des employeurs malintentionnés.

Il est de toute façon très difficile de connaître la réalité de tout ce travail au noir… et les réelles conditions de travail de ces personnes. Tout cela se déroule dans des domiciles privés, est plus ou moins caché. Comment, même s’ils étaient informés de situations d’abus, des inspecteurs du travail pourraient-ils s’en occuper ?

L’État finance massivement ces emplois, en subventionnant les foyers les plus aisés. Cette politique est-elle pertinente à vos yeux ?

Le gouvernement actuel et les précédents ont mené des politiques de riches pour les riches, ce n’est plus un secret pour personne. Dans ce domaine comme dans les autres : les plans Borloo, Wauquiez et compagnie ont coûté au pays plusieurs milliards d’exonérations fiscales et sociales et n’ont créé quasiment aucun emploi. Mais de belles niches fiscales – et on peut sans se tromper affirmer qu’il y a eu moins de vieilles dames handicapées aidées par ces politiques que de grandes bourgeoises ayant profité des réductions d’impôt pour faire du coaching sportif à domicile…

Si l’on souhaite réellement développer ce secteur, il faut a minima agir dans plusieurs directions en parallèle. Pouvoir être bien soigné et bien aidé en fonction de son besoin d’aide, et non en fonction de son âge, devrait être une évidence dans un pays censé respecter le principe d’égalité. Mais il faut aussi agir sur ces métiers : arrêter de les considérer comme un réservoir d’emplois où l’on envoie celles et ceux qu’on ne sait pas trop orienter. Arrêter de penser qu’il peut être pertinent de demander à des personnes fragiles (socialement, économiquement, linguistiquement) de prendre soin de personnes fragiles (psychiquement, physiquement).

Il faut donc donner à ces métiers les formations qu’ils nécessitent. Créer des conditions de travail non précaires, en termes de temps de travail notamment. Revaloriser les salaires. Travailler également sur le cahier des charges des services professionnels, notamment en termes de bientraitance, de respect des rythmes et des besoins des personnes aidées, etc.

Rappelons aussi qu’un nombre important de personnes âgées ayant besoin d’aide souffrent de handicaps psychiques, comme la maladie d’Alzheimer. Prendre soin de ces personnes implique des connaissances qu’on ne fournit actuellement pas aux professionnels. Tant que nous ne considérerons pas la vie d’une vieille dame malade d’Alzheimer comme aussi importante que celle d’un chef d’entreprise ou d’un président de conseil général, nous ne parviendrons pas à réellement changer les choses.

Vous pointez aussi une certaine hypocrisie de nos dirigeants politiques qui sont souvent les premiers à avoir recours à ce type de salariés vulnérables, clandestins sans papiers qui ne parlent pas la langue française ; à l’image de la famille du président socialiste du conseil général de l’Isère, qui fait au lendemain de nos révélations pression sur la jeune Roumaine. Pourquoi, en France, personne ne dénonce-t-il ces situations ? En Allemagne, où l’on a recours à des femmes originaires des pays de l’Est, ou en Espagne où l’on emploie massivement des ressortissantes d’Amérique latine (Équateur et Pérou en particulier), ce n’est pas un tabou.

Il y a en effet une hypocrisie phénoménale des dirigeants politiques.

D’une part avec le décalage entre leurs discours sur le fait qu’ils « favorisent le maintien à domicile » et la réalité où, à part quelques petites retouches, quelques petits emplâtres, rien n’est concrètement fait pour que cette vie à domicile ait lieu dans de bonnes conditions quand la maladie ou le handicap crée des besoins d’aide.

Plus globalement, il y a une permanente hypocrisie des politiques qui prétendent se préoccuper de ce sujet, qui disent vouloir « adapter la société au vieillissement de la population » mais qui reportent d’année en année une loi peau de chagrin sur le sujet, et qui viennent de mettre fin à l’existence de la Fondation nationale de gérontologie (ses actions, son centre de documentation et de recherche, etc.).

Hypocrisie aussi parce que la grande majorité des politiques refuse de modifier la législation afin de mettre en place, pour les personnes malades et/ou handicapées ayant besoin d’aide de plus de 60 ans, un système comme celui qui existe pour celles de moins de 60 ans. Sous prétexte que ça coûterait trop cher. Résultat : ils maintiennent une situation qui fait que même dans leurs rangs, le recours à des formes d’esclavagisme moderne est fréquent ! Le président socialiste du conseil général de l’Isère est loin d’être une exception parmi ses collègues.

Hypocrisie globale aussi, pour plusieurs raisons. D’abord, probablement, parce que ce qui concerne les familles et au sein des familles les personnes âgées les plus fragiles, n’intéresse pas grand monde. Femme + pauvre + vieille + malade = autant de raisons pour ne pas intéresser ceux qui croient surtout en la masculinité, la richesse, la jeunesse, la performance, etc.

Ensuite parce que cette situation, qui laisse une large part à l’entraide, à la débrouille, etc., a du mauvais mais contient aussi du bon : on voit ainsi des situations où, plus facilement qu’avec des professionnelles, se sont tissées entre les personnes aidées et les personnes qui les aident de véritables relations d’amitié et de fraternité. Il faudrait donc, comme certains essaient de le faire dans d’autres pays, plutôt que de condamner radicalement toutes les formes « sauvages » d’aide à domicile, réfléchir à ce que certaines d’entre elles nous apprennent pour améliorer les systèmes officiels…

Je le redis : une partie des gens qui recourent à des employé(e)s au noir le font par crainte que les professionnels ne prennent pas humainement bien soin d’eux ou de leur parent… C’est quand même un comble !

 

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Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

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10 mars 2015 2 10 /03 /mars /2015 18:32

 

Source : http://www.challenges.fr

 

 

Taxe sur les transactions financières: ce magot dont la France ne veut pas

 

Par Etienne Goetz

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Publié le 09-03-2015 à 18h42

 

 

36 milliards d'euros, c'est ce que rapporterait une taxe sur les transactions financières, selon une étude de l'institut allemand DIW. La France bloque les négociations. Voici pourquoi.

 

L'ancienne Bourse au Palais Brongniart à Paris
 (c) Afp

 

  • D'après une nouvelle étude allemande, la taxe sur les transactions financières rapporterait entre 14 et 36 milliards d’euros à la France.
  • Encore aucun accord n’a été trouvé entre les 11 pays européens de la coopération renforcée pour instaurer une telle taxe.

Les rapports se suivent et se ressemblent. Tous disent la même chose: une taxe sur les transactions financières (TTF) rapporterait des milliards aux Etats européens. Et pourtant rien ne se passe, les négociations sont toujours au point mort. A qui la faute? En grande partie à la France où Bercy freine des quatre fers pour protéger les banques françaises très actives notamment sur le marché des produits dérivés.

De son côté, l’Allemagne met la pression sur la France à coup d’études successives en exposant aux yeux de tous le pactole que générerait une telle taxe. Ce n'est donc pas un hasard si l’institut de recherche économique allemand DIW vient d’en publier une nouvelle à la veille d'une réunion Ecofin (même s'il n'y aura pas de point TTF à l'agenda avant avril ou mai).

Les conclusions de cette étude, commandée par les sociaux-démocrates allemands du SPD, sont impressionnantes: les recettes sont comprises entre 14 et 36 milliards, rien que pour la France. Jusqu'à 45 milliards pour l'Allemagne.

Voici l’histoire des (récentes) négociations et du rôle de la France dans leur blocage. Cette histoire se joue pour l'instant en trois actes. Mais promis, elle se terminera avant fin 2016.

Le premier coup est lancé par l’Allemagne avec une étude commandée par le gouvernement allemand auprès de l’institut Copenhagen Econommics qui estimait les recettes fiscales pour l’Allemagne au minimum à 17,6 milliards d’euros. Pouvant aller jusqu’à 28,2 milliards d’euros!

Cette étude ayant fuité début septembre dans la presse allemande ne concernait que l’Allemagne. Mais c’était une manière délicate de dire à la France: "faites vos calculs, et arrêtez de dire que ça ne vaut pas la peine."

Bercy n’a jamais officiellement répondu à cet appel. Challenges s’en est chargé à sa place, avec Sia Partners. Et les résultats sont tout aussi incroyables: jusqu’à 24,4 milliards d’euros! Certes, ces recettes sont théoriques, car elles ne prennent en compte aucune baisse d’activité liée à l’introduction de la taxe. Mais même avec une baisse de 50% du volume des transactions, le montant des recettes fiscales s’élève à 9,6 milliards d’euros.

Pas de quoi laisser insensible un gouvernement constamment à la recherche de recettes ou d'économies pour boucler son budget dans les clous imposés par Bruxelles. Face à l'argument budgétaire, Michel Sapin a répondu que "la taxation n’est pas forcément faite pour rapporter, mais pour dissuader", car "la TTF doit permettre de lutter contre la mauvaise finance."

Quelques jours avant la réunion Ecofin de novembre, rassemblant les ministres de Finances de la zone euro, Michel Sapin a tenté de revoir à la baisse les ambitions européennes dans les colonnes du journal Les Echos. Dans une tribune titrée, "cessons de tergiverser" le ministre français des Finances proposait d’appliquer la taxe sur les transactions financières aux seules actions cotées et à certains CDS, des contrats d'assurance contre le défaut de paiement d'une valeur.

Il s’agit d’une taxe bien en-deçà des ambitions européennes comme l’avoue Michel Sapin du bout des lèvres: "certains les ont considérées comme a minima". Tout en insistant "Je préfère une TTF qui aurait un produit limité au-delà des actions mais qui soit efficace et effective et qui progressera, plutôt qu'une très belle idée, mais qui restera dans les nuages".

Quoi qu’il en soit, Michel Sapin a reçu un refus sec de ses homologues européens. Notamment de l’autrichien Hans Jörg Schelling. Ce dernier a indiqué qu'il n'avait "pas accepté la proposition française" et qu'il avait présenté sa propre proposition, prévoyant "d'inclure tous les produits financiers, sauf les obligations souveraines".

A Bruxelles, quand on ne trouve pas de terrain d’entente, on remet ça à plus tard en promettant qu’on va trouver une solution tout en réaffirmant qu'on prend très au sérieux l'échéance qu'on s'est fixé.

Michel Sapin a donc plaidé pour que la taxe entre en vigueur comme prévu début 2016, jugeant important "d'avancer, même en faisant un pas", car "le pire danger, c'est qu'elle ne se fasse pas".

Dernière étude en date, celle du très sérieux institut allemand DIW. Cette fois, le travail a été commandé par le groupe du SPD au Bundestag (le parlement allemand) et publié ce lundi 9 mars dans la presse allemande à quelques jours d’une nouvelle réunion Ecofin.

D’après les calculs de l’institut, la taxe sur la base du modèle de la Commission européenne pourrait rapporter à l’Allemagne entre 19 et 45 milliards d’euros. Et puis comme la France n’a toujours pas évalué l’impact du projet de la commission, l’Allemagne a fait le travail pour elle. Les recettes pour la France sont également calculées. En France, la taxe sur les transactions financière pourrait rapporter entre 14 et 36 milliards d’euros.

 

 

Source : http://www.challenges.fr

 

 

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