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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 21:22

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

Entreprises publiques : l’éthique en toc

Emmanuel Lévy
 
 
 
Après les dérapages au sein d'institutions et de sociétés détenues tout ou partie par l'Etat, l'annonce d'un code de bonne gouvernance tombe à pic. Sauf qu'à y regarder de plus près, on y croit guère...
 
Le code de bonne gouvernance des entreprises publique s'inspire... du code de l'Afep et du Medef mis en place en 2008 ! - MEIGNEUX/SIPA
 

Instaurer un code de bonne gouvernance des entreprises publiques ? Voilà une riche idée avancée par Régis Turrini, directeur de l’Agence des participations de l’Etat (APE), l'organisme qui veille sur les intérêts de l'Etat français « actionnaire », en cette période où les dérapages se succèdent au sein des directions des sociétés et instituts que possède le pays. Dernier épisode en date, les frasques de Mathieu Gallet, à la direction de Radio France, pourtant blanchies par un aimable rapport de l’Inspection générale des finances.

Sauf que, comme le précise le « patron » de l’APE, ce code devrait s’inspirer de celui mis en place par... l’Afep et le Medef pour les entreprises privées. De quoi modérer sérieusement la portée de l’annonce. Derrière l'éthique, on voit poindre le toc. Ce code est en effet largement contourné par les intéressés. Pour preuve, la récente affaire de la retraite chapeau de l’ancien patron de Peugeot. Démis de ses fonctions avant le terme nécessaire à l’octroi de ses 300 000 euros annuel (5 années de présence dans l’entreprise au moment de la liquidation de ses droits), Philippe Varin et la nouvelle direction ont trouvé un subterfuge. Il s’est vu confier une mission de quelques mois, histoire de faire la soudure et remplir du coup les conditions.

Le patron des patrons lui-même a pris quelques libertés avec ce fameux code de la route. Selon Le Parisien, citant le rapport annuel de Radial, Pierre Gattaz y cumulerait, un contrat de travail avec son mandat de dirigeant, en total infraction avec le code Afep-Medef. Simple erreur de présentation, clame l’intéressé…

Non content de finir de faire de l’APE un simple Fonds commun de placement géré par ailleurs selon les techniques financières les plus sophistiquées du milieu (on l’a vu avec l’affaire des droits de vote double chez Renault), Régis Turrini poursuit cette banalisation de l'APE en dégainant un code inspiré du secteur privé, niant ainsi l’aspect particulier d'une société détenue tout ou partie par l'Etat. Il désamorce, du même coup, d’éventuels lois ou réglements, comme le décret sur le plafond de rémunération des patrons du public (450 000 euros), qui auraient été bien plus contraignants pour les dirigeants de ces entreprises qu’il s’agit de choyer. Régis Turrini chercherait-il à ne pas trop insulter l’avenir ? Enfin, surtout le sien... A l’instar de son prédécesseur, David Azéma devenu président pour l’Europe de Bank of America, il sait qu’il y a une vie dans le business après l’APE.

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

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13 mai 2015 3 13 /05 /mai /2015 17:31

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Alternative politique

En Irlande aussi, le réveil de la gauche anti-austérité fait trembler le pouvoir en place

par

 

 

 

Le parti de gauche anti-austérité Sinn Féin est devenu incontournable depuis les élections européennes. En parallèle, un nouveau mouvement social, Right2Water, issu des luttes contre la taxation de l’eau et la privatisation déguisée de ce bien commun, mobilise massivement. Et formule désormais des propositions pour améliorer le système de santé et d’éducation, pour diminuer le pouvoir de la finance et relancer de véritables politiques économiques d’intérêt général. Après la Grèce avec Syriza et l’Espagne avec Podemos, l’Irlande sera-t-elle le 3ème pays d’Europe où une gauche de transformation et anti-austérité est en mesure d’accéder au pouvoir ?

Depuis la crise financière et immobilière de 2008, le gouvernement irlandais a appliqué tous les remèdes préconisés par ses nouveaux créanciers. Si officiellement la cure fonctionne, la réalité s’avère moins réjouissante. Le taux de chômage a été ramené à 10 %, mais c’est sans prendre en compte l’émigration massive des jeunes vers des pays comme l’Australie : depuis la crise, près d’un Irlandais sur dix a émigré. La croissance a repris pour atteindre 7,7 % en 2014, mais cette richesse a été essentiellement générée par des grandes entreprises comme Microsoft ou Amazon, accueillies dans de très généreuses conditions fiscales sur le territoire.

La population, de son côté, subit de plein fouet le démantèlement de ses services publics et les expulsions immobilières. Le prix des logements à Dublin n’a jamais été aussi élevé, et le spectre de l’éclatement d’une bulle immobilière plane de nouveau. Une étude du bureau central des statistiques montre que près d’un quart de la population était soit en situation, soit en risque de pauvreté en 2013, et que 30,5 % des Irlandais vivaient en situation de précarité. Jusqu’à récemment, le gouvernement, composé des libéraux du Fine Gael et du Parti Travailliste, n’a rencontré que peu de résistance. Mais il semblerait, au vu des événements de ces derniers mois, qu’être le bon élève de la Troïka ait un prix.

Tout commence par une histoire d’eau

Au début de l’année 2014, le gouvernement annonce la création d’Irish Water, une entreprise présentée comme une filiale de Bord Gais, l’organisme public de gestion du réseau d’eau potable. Irish Water commence l’installation de nouveaux compteurs à travers le pays, expliquant au passage que les usagers devront désormais payer individuellement leur consommation. Jusqu’à présent, les Irlandais finançaient l’entretien du réseau et la consommation par le biais de l’impôt progressif sur le revenu, et nombreux sont ceux qui considèrent ce nouveau système comme une double taxation injuste. L’arrivée d’Irish Water, prestataire qui n’hésitera pas à couper l’eau aux mauvais payeurs, laisse subodorer une privatisation.

Des collectifs citoyens ne tardent pas à se former via les réseaux sociaux pour empêcher l’installation des compteurs ou saboter les appareils déjà installés. Des incidents éclatent entre de petits groupes de manifestants et la police un peu partout sur l’île. A Trim, un homme est arrêté pour avoir empêché l’accès des techniciens à sa propriété. L’événement ne dissuade pas pour autant les manifestants, qui se font de plus en plus nombreux au cours de l’été, alors qu’en face rien n’est fait pour apaiser la situation. Le Vice-Premier Ministre Eamon Gilmore feint l’étonnement : « Ces compteurs permettront pourtant aux ménages de réduire leurs dépenses ».

Entre temps, les partis du gouvernement reçoivent un désaveu des électeurs lors du scrutin européen de mai 2014. Le parti travailliste, notamment, chute de 13,9 % à 5,3 %, alors que le parti de gauche Sinn Féin remporte 19,5 % des suffrages, soit près du double de son score habituel.

Boycott des factures d’eau

A l’automne, le mouvement s’organise autour de l’étiquette Right2Water (R2W, « droit à l’eau »), une large union rassemblant des partis de gauche radicale, des figures du mouvement issues de la société civile et cinq syndicats jusque-là minoritaires dans le pays. Le Sinn Féin, bien qu’identifié désormais comme le parti anti-austérité incontournable en Irlande, reste à l’écart de ce rassemblement. Il faut dire que certaines composantes de R2W n’hésitent pas à appeler au boycott des nouvelles factures. Encore encombré par son histoire liée à l’IRA (Armé républicaine irlandaise), le Sinn Féin ne peut pas se permettre de prendre part à un mouvement qui prône des pratiques un tant soit peu illégales. Le parti a néanmoins fait savoir que s’il était élu à la tête du pays, sa première décision politique serait de mettre fin au système Irish Water.

R2W se charge d’organiser une « première journée d’action » le 11 octobre. L’ampleur de l’événement dépasse les prévisions les plus optimistes. 10 000 personnes sont attendues, au moins huit fois plus de manifestants répondent à l’appel. Le même jour, le premier député de l’Anti-Austerity Alliance, un parti d’inspiration trotskiste affilié à R2W, Paul Murphy, est élu lors des élections partielles du Sud-Ouest de Dublin. « Ce que nous avons vu aujourd’hui, déclare-t-il après l’annonce des résultats, est une véritable révolte. » Il est vrai qu’il n’est pas dans l’habitude des Irlandais de prendre la rue. Et surtout pas aussi massivement.

Dans les pas de Podemos ?

A l’issue de la marche, le gouvernement concède une aide de 100 € par an à une grande partie des ménages, mais l’annonce a peu d’effet sur l’humeur générale. L’idée d’un boycott de masse fait son chemin dans les esprits. Lors de la « seconde journée d’action » organisée le 1er novembre par R2W, le nombre de manifestants est estimé à 100 000. La classe politique irlandaise comprend progressivement qu’à l’approche des prochaines élections législatives, prévues avant le 6 avril 2016, le dossier Irish Water sera au centre de l’agenda politique. Mais ce qui a commencé comme une histoire d’eau s’élargit vers un mouvement plus large contre les mesures d’austérité.

Rory Hearne, professeur d’université à Maynooth, a réalisé une étude d’opinion dans les rangs des militants de Right2Water. Pour lui, « le peuple était à bout. La réforme de l’eau a été la mesure de trop, surtout de la part d’un gouvernement qui avait promis, en 2011, de ne pas mener une politique d’austérité. » Le mouvement qui secoue l’Irlande est aujourd’hui en pleine mutation : « On assiste à une politisation, à un positionnement très clair contre la corruption, contre une dette perçue comme injuste, contre la façon dont les inégalités se creusent... On le voit avec la montée du Sinn Féin et des pratiques politiques non traditionnelles. R2W est en train de devenir un mouvement citoyen solide qui rappelle des initiatives comme Podemos. » Avec, dans le rôle de Pablo Iglesias, une figure comme Brendan Ogle, un syndicaliste reconnu pour sa fermeté ayant récemment quitté ses fonctions pour s’impliquer davantage dans le mouvement.

Du mouvement social au jeu politique

On découvre dans l’étude de Rory Hearne qu’un tiers des personnes interrogées se déclarent prêtes à voter pour l’Anti-Austerity Alliance, contre un quart vers le Sinn Féin. Surtout, 79 % des sondés donneraient leur voix en priorité à un candidat soutenu par R2W. « Right2Water est parvenu à s’implanter solidement dans de nombreuses communautés, à tel point que le mouvement envisage d’entrer dans le jeu politique pour les prochaines élections. »

Le mouvement en prend en tout cas le chemin. Le 1er mai dernier, R2W a organisé une « Plate-forme pour le renouveau » rassemblant à part égale les acteurs politiques, syndicaux et indépendants pour mettre sur pied une déclaration de principe pour un gouvernement progressiste. En plus d’une proposition de refonte de la gestion de l’eau, on trouve dans ce texte des pistes pour améliorer le système de santé et d’éducation, diminuer le pouvoir de la finance sur l’économie du pays, redonner sa place à l’emploi… Avec, en dernière page, un appel à propositions adressé à tous les Irlandais en vue du prochain rassemblement de R2W fixé le 13 juin prochain.

En attendant, pour Brendan Ogle, l’heure est au débat et à la réflexion : « On lance des partis, on lance des marques, on lance des personnalités, on lance des noms puis ces gens s’assoient et se grattent la tête pour essayer de savoir ce qu’ils revendiquent. Ce que nous allons faire, c’est essayer d’inverser ça. (…) Ca nous paraît très logique. Commencer par des idées dans les secteurs qui affectent la vie des gens, voir si on peut en tirer une déclaration de principes, voir s’il y a un appétit du public pour ça. Et s’il y a lieu, en tirer une nouvelle alliance de candidats et de personnalités. » Bref, le contenu politique avant le marketing médiatique.

Nicolas Salvi

Photo : manifestation de R2W le 1er novembre 2014 / CC William Murphy

 

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13 mai 2015 3 13 /05 /mai /2015 17:13

 

 

 

L'UE accusée de fermer les yeux sur un réseau de corruption en Italie

|  Par Ludovic Lamant et Mathilde Auvillain

 

 

 

La Banque européenne d'investissement s'apprête à soutenir à nouveau le montage financier d'une bretelle d'autoroute dans la région de Venise. Problème : des sous-traitants du chantier sont impliqués dans le scandale de corruption géant qui avait conduit à l'arrestation du maire de Venise en 2014. À Bruxelles, l'Office antifraude juge les soupçons insuffisants.

 

À peine si le texte a attiré l'attention, lors de son adoption le 30 avril par une majorité d'eurodéputés à Strasbourg (350 pour, 263 contre). C'est un rapport aride du parlement comme l'institution en adopte des centaines par mandat, consacré, celui-là, à l'activité de la Banque européenne d'investissement (BEI) en 2013. Les élus se sont penchés, comme ils doivent le faire tous les ans, sur le bilan de cette banque méconnue du grand public.

Au point 34 de cette résolution, le parlement européen « juge regrettable que la BEI ait soutenu certains projets d'infrastructures qui se sont révélés non viables et non durables ». Le texte cite explicitement le cas d'un contournement autoroutier dans le nord de l'Italie, le Passante di Mestre, dont le montage financier suscite de vives inquiétudes du côté des associations comme chez certains élus. Rappelant les « enquêtes toujours en cours menées par les autorités italiennes », les eurodéputés exhortent la BEI « à ne plus financer ce projet ».

L'affaire, qui ne fait pas grand bruit hors d'Italie, relance pourtant un débat clé, sur la capacité de l'Europe à mettre en place la relance de l'économie qu'elle promet en boucle depuis des années. La BEI est-elle capable d'assumer ce rôle de pilier de la relance, qui lui a été assigné l'an dernier par Jean-Claude Juncker, patron de la commission, dans son fameux « plan à 315 milliards d'euros » ? La question subsidiaire peut sembler plus technique, mais elle s'avère brûlante dans le contexte italien : certains des nouveaux instruments financiers développés par la BEI, particulièrement opaques, sont-ils un cadeau fait aux mafias pour blanchir de l'argent en douce ? L'UE alimente-t-elle indirectement des systèmes de corruption à grande échelle et la criminalité organisée, qui gangrènent l'économie italienne ?

Aussi anecdotique peut-il sembler sur le papier, le dossier Passante di Mestre, épinglé jeudi par les eurodéputés, soulève toutes ces questions. Aux yeux des comités de citoyens, c'est sans doute le tronçon d'autoroute le plus cher d'Europe. Ses 32,3 kilomètres d'asphalte ont coûté 1,22 milliard d'euros aux contribuables italiens, soit 38 millions d'euros au kilomètre… Inaugurée en 2008, cette bretelle d'autoroute devait décongestionner le trafic automobile dans la zone de Mestre, au sud de Venise. Pour ses détracteurs, c'est une énième infrastructure inutile. Sauf que ses promoteurs sont parvenus à l'imposer comme un ouvrage stratégique en Italie, afin d'obtenir des rallonges budgétaires et d'accélérer les procédures d'attribution des marchés.

 

Une portion de la bretelle d'autouroute Passante di Mestre.Une portion de la bretelle d'autouroute Passante di Mestre. © Luca Fascia - Wikicommons.
 

Le Passante di Mestre n'a pas tardé à devenir un trou noir des finances publiques dans la péninsule. La région de Venise et la société d'autoroute qui en ont financé la construction, ont ensuite confié sa gestion à une structure ad hoc, la CAV (Concessionarie Autostrade Venete), dont la seule mission est d'éponger par tous les moyens la dette de cette infrastructure… qui n'est toujours pas rentable. Depuis 2008, les tarifs des péages n’ont cessé d’augmenter, mais cela n’a pas suffi à équilibrer le bilan. Faute d’y parvenir par ses propres moyens, la société s’est donc tournée vers l’Europe. La recette est bien connue des Italiens, parmi les principaux bénéficiaires de prêts de la Banque européenne d’investissement, la BEI.

 

Mestre, dans la région de Vénétie.
Mestre, dans la région de Vénétie.
 

Là où le dossier se complique, c'est que certaines entreprises qui ont participé au chantier dans les années 2000 sont aujourd'hui dans le viseur de la justice italienne. L'entreprise Mantovani SpA, notamment, qui a participé à la construction de la bretelle, s'est révélée par la suite être le pilier du « système vénitien », un système de corruption et d'appels d'offres truqués à grande échelle démantelé par le parquet de Venise en 2014. « Le Passante di Mestre est un projet dangereux », assure à Mediapart l'eurodéputé italien Marco Zanni, membre du Mouvement 5 étoiles (M5S), l'un des élus qui suit le dossier à Bruxelles. « Rien n'est encore établi, mais une enquête est en cours, sur des liens de sous-traitants avec le crime organisé. Et d'un point de vue économique, ce projet n'est absolument pas soutenable. Tout le business plan a été élaboré à partir de prévisions de trafic erronées. La preuve, c'est qu'ils ne cessent de refinancer la dette de l'entreprise, encore et encore. »

En avril 2013, la BEI a déjà prêté 350 millions d’euros à la société gestionnaire du Passante di Mestre. Elle s’apprête maintenant à refinancer l’ouvrage via son mécanisme « innovant » vedette, les project bonds. Concrètement, la CAV va émettre une obligation – de la dette – qui sera vendue sur les marchés. Elle espère lever entre 700 et 900 millions d’euros. La BEI se portera garante à hauteur d’environ 20 % de la valeur des obligations, une technique censée rassurer les opérateurs sur les marchés. Pour aiguiser un peu plus les appétits, le gouvernement Renzi avec son décret Sblocca Italia (« Débloquer l’Italie ») a introduit des avantages fiscaux. Ces « bonds » seront imposés à 12,5 %, comme les bons du Trésor, et non à 26 %.

Pour l'Office européen antifraude : rien à signaler

L’émission de ces obligations aurait déjà dû avoir lieu fin février, selon le calendrier avancé par La Repubblica en janvier. Mais l'affaire a pris du retard. La pression du parlement européen, fin avril, pourrait aussi changer la donne. Ce qui ne serait pas pour déplaire à des associations de la société civile, qui se sont emparées du dossier depuis plusieurs années. Pour deux d'entre elles parmi les plus mobilisées, Re:Common et Opzione Zero, le risque est réel : ces project bonds pourraient servir à refinancer une dette en partie liée à des pratiques illégales et à la corruption dans le nord de l'Italie.

Les premières alertes ne datent pas d'hier. Dès mars 2011, la cour des comptes italienne avait déjà émis des doutes sur l'inflation des coûts du projet Passante di Mestre. Le budget initial était estimé à 750 millions d’euros en 2003. La CAV doit aujourd’hui rembourser pas moins de 1,22 milliard d’euros. Le gardien des comptes soulignait aussi, sans détour, le manque de contrôles de la part des autorités et le risque d’infiltrations mafieuses via les appels d’offres pour les sous-traitants. Au moment du premier financement apporté par la BEI, en 2013, certains acteurs de la construction de la bretelle d’autoroute faisaient déjà l'objet d'une attention soutenue des magistrats.

 

Le siège de la Banque européenne d'investissement (BEI), à Luxembourg. ©BEI.
Le siège de la Banque européenne d'investissement (BEI), à Luxembourg. ©BEI.
 

Sollicité par des organisations de la société civile, l’Office antifraude de l’Union européenne (Olaf) leur répond, en mars 2014, qu'il n'a pas trouvé d’éléments suffisants pour lancer une enquête sur l'utilisation des fonds européens dans ce projet. « L’analyse du rapport de la cour des comptes de mars 2011 n’a pas particulièrement suscité de préoccupation concernant une possible fraude dans le projet. Aucun lien n’a pu être établi entre les allégations de fraude fiscale actuellement sujettes à une enquête des autorités judiciaires nationales et le projet financé par la BEI. » La lettre est signée par l’Italien Marco Pecoraro, un ancien garde des finances (la police douanière et financière italienne), aujourd'hui conseiller de Giovanni Kessler, un autre Italien, le tout-puissant directeur général de l’Olaf.

Trois mois après cette lettre de l'Olaf, qui évacue les inquiétudes des associations, une vague d'arrestations submerge Venise. Le 6 juin 2014, une centaine de personnes sont placées sous enquête par les magistrats qui épluchaient depuis trois ans des bilans d'entreprises privées et concessionnaires impliqués dans le fameux « système vénitien ». Caisses noires, détournements de fonds publics, fausses factures… : 35 personnes sont arrêtées. Parmi elles, le maire de Venise, Giorgio Orsoni, proche du Parti démocrate (parti de ce centre-gauche au pouvoir en Italie), contraint à la démission, ou encore le conseiller régional aux infrastructures Renato Chisso (Forza Italia, droite). Les magistrats séquestrent 40 millions d’euros.

L'affaire, à l'époque, avait fait grand bruit en Italie. La justice avait mis au jour un système d'appels d'offres douteux, pour la réalisation du MOSE, réseau de digues mobiles censées protéger Venise de l'érosion due au phénomène dit de l'acqua alta – les hautes eaux qui inondent le centre-ville. Ce projet, bien connu des Vénitiens, était en partie financé par de l'argent européen (1,5 milliard d'euros débloqués par la BEI). Dans les 711 pages que les juges italiens avaient rédigées pour leur enquête en 2014, il apparaît que l'entreprise Mantovani SpA, pilier du système vénitien, détenait des « caisses noires » de 20 millions d'euros, pour s'assurer des marchés publics. Or, cette entreprise a aussi participé au chantier de construction du Passante di Mestre.

 

L'article du « Financial Times » à l'époque.L'article du « Financial Times » à l'époque.

 

« Nous espérions que l’opinion publique se réveille après le scandale du MOSE et du "Sistema veneto". Mais c'est plutôt une forme d'anesthésie à laquelle on assiste. La résignation a été totale. Malgré ce tremblement de terre institutionnel, le personnel politique a peu évolué, et reste plus préoccupé par la préparation des élections régionales du mois de mai », regrette Rebecca Rovoletto, de l'association Opzione Zero.

Face à de telles zones d'ombre, refinancer encore et encore le Passante di Mestre semble un pari risqué. « Le minimum, d’abord, ce serait de lancer une enquête sur les 350 millions d’euros déjà concédés par la BEI en 2013. Il faudrait s'interroger, pour savoir s’il est opportun de financer ce type d’infrastructure alors que les enquêtes sont toujours en cours », estime Elena Gerebizza de l’organisation Re:Common. « Il devrait y avoir des vérifications préliminaires, internes aux institutions européennes, avant même de lancer ce programme de refinancement via les "project bonds" [les obligations de projet - ndlr]. »

Contactée par Mediapart, la BEI explique qu'elle s'en remet au jugement de l'Olaf, qui ne trouve rien à redire à la procédure. L'Office, également joint par Mediapart, confirme sa position de 2014, malgré le scandale de corruption qui a depuis éclaté à Venise : « L'Olaf a effectué une analyse préliminaire des informations reçues à ce sujet et a décidé qu'aucun élément de preuve n'a été présenté qui aurait éveillé des soupçons suffisants de fraude ou d'irrégularités pour justifier l'ouverture d'une enquête de l'Olaf. Les informations reçues ont donc été classées sans suite », fait savoir le bureau de presse de l'Office. « Comme c'est toujours le cas, l'Olaf peut réévaluer le sujet à tout moment si de nouveaux éléments de preuve pertinents lui sont présentés. »

Au même moment, l'Olaf se montre toutefois plus agressif sur un autre dossier délicat, d'une plus grande ampleur celui-là : l'Office a ouvert une enquête, en février, sur le projet de ligne ferroviaire entre Lyon et Turin, qui a déjà coûté 450 millions d'euros à l'UE, sur des soupçons de fraude. Mais sur le Passante di Mestre, rien à signaler.

Ailleurs en Italie, des détournements de fonds structurels européens sont avérés

« Il suffit de voir qui finance la BEI : ce sont les grands États membres de l'UE qui apportent son capital… Donc si l'Italie dit à la BEI qu'elle veut que l'on finance tel ou tel projet, elle l'obtiendra », juge Marco Valli, un autre élu italien du Mouvement 5 étoiles à Strasbourg, lui aussi très remonté contre les montages financiers du Passante di Mestre, et l'attitude du chef de gouvernement italien. « Matteo Renzi ne veut surtout pas freiner la croissance, et préfère que l'on mette les histoires de corruption sous le tapis. »

Au cours d’une audition parlementaire à Rome le 30 septembre 2014, le chef de l’Autorité nationale anticorruption Raffaele Cantone avait émis des réserves sur le recours aux project bonds dans le décret de Matteo Renzi censé « débloquer l'Italie » (adopté en août 2014). Il établissait un lien – sulfureux – entre ces « émissions de projet » d'un côté, mécanisme clé de la relance à l'européenne, et le risque de servir à nettoyer de l’argent sale…

« J'ai souligné le fait que les project bonds, tels que le décret de Renzi les prévoit, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas nominatifs, présentent un risque : celui d'être utilisé comme un outil pour le blanchiment d'argent », explique-t-il à Mediapart. « Mais ce n'est pas l'essentiel à mes yeux, c'est un détail lié à ce décret. L'instrument en soi, par contre, est une bonne idée. Il n'entraîne pas forcément des mécanismes frauduleux. » M. Cantone assure à Mediapart qu'il ne connaît pas suffisamment le dossier Passante di Mestre pour se prononcer sur le fond de l'affaire.

 

Le ministre des transports et des infrastructures Maurizio Lupi (ici le 24 février 2014) a démissionné en mars 2015.
Le ministre des transports et des infrastructures Maurizio Lupi (ici le 24 février 2014) a démissionné en mars 2015. © Remo Casilli. Reuters.
 

Faute de contrôles suffisants, l'UE finance-t-elle, malgré elle, des réseaux mafieux ? Le cas Passante di Mestre n'est pas isolé. D'autres montages plus classiques, liés à un détournement direct des fonds structurels européens, sont avérés. En 2012, le Sunday Telegraph avait publié une enquête sur la Calabre, région du sud de l'Italie qui venait de toucher, en cinq ans, quelque trois milliards d'euros de fonds structurels européens. La plupart de ces fonds ont servi à construire des infrastructures… qui, dans certains cas, n'ont pas vu le jour. Les observateurs jugent qu'une partie de ces fonds ont gonflé les poches de la mafia locale, la 'Ndrangheta.

« C'est un type de fraude qui est apparu depuis que l'on a commencé à verser d'importantes sommes d'argent public dans le sud de l'Italie », expliquait au journal anglais Roberto Di Palma, un magistrat qui menait alors pas moins de 25 enquêtes sur des malversations d'argent public européen. « Prenez, par exemple, un barrage à 100 millions d'euros. L'UE apporte 50 millions, le gouvernement les 50 autres millions. Le problème, c'est que l'argent atterrit directement chez l'entrepreneur. Une fois que les travaux commencent, l'entreprise, d'un coup, disparaît avec le cash. Et ils laissent quelques piliers au sol. »

Le Sunday Times semble être l'un des rares organes de presse à s'être aventuré sur ces terres. Il Sole 24 Ore, quotidien économique, l’évoque mais se contente de citer l’article du journal britannique. Or les scandales de détournements de fonds publics et d'appels d'offres truqués sont légion en Italie. Ils ont encore défrayé la chronique ces derniers mois. Après le scandale du MOSE à Venise, celui de l'Expo de Milan – l'exposition universelle, inaugurée le 1er mai – a provoqué la démission du ministre des transports et des infrastructures, Maurizio Lupi, sur des accusations de favoritisme dans l'attribution de contrats publics, dans l'entourage du ministre. Mais l'éventualité qu'une partie des financements des grands travaux puisse provenir de Bruxelles ne semble pas susciter de véritable émoi.

Lorsque l'an dernier Beppe Grillo, le patron du Mouvement 5 étoiles, avait demandé à l’UE de « ne pas donner de financements à l'Italie, parce qu’ils disparaissent tous en Calabre, en Campanie et en Sicile, et donc dans les poches de la mafia, la Camorra, la 'Ndrangheta », la représentation de la commission européenne en Italie était immédiatement montée au créneau pour démentir ces affirmations « fausses et privées de fondement ».

 

« Les procédures de contrôle des fonds structurels prévoient plusieurs étapes de contrôle, pendant lesquelles au moindre soupçon d'irrégularité le flux des fonds est interrompu jusqu'à éclaircissement », lit-on dans une note de la représentation de la commission européenne en Italie. « Ce mécanisme limite au minimum le risque de fraude et d'irrégularité. Le pourcentage d'erreur et de fraudes (y compris de possibles infiltrations de la criminalité organisée) dans la gestion des fonds structurels y compris dans les régions du sud de l'Italie est minime et s'élève à près de 0,2 %. Les cas d'infiltrations mafieuses encore plus rares ont été identifiés et sanctionnés », précise encore cette même note.

Les associations criminelles sont assez habiles pour brouiller les pistes et échapper aux contrôles. En 2012, Rita Borsellino, sœur du juge Paolo Borsellino assassiné par Cosa Nostra, dénonçait le manque de contrôles dans la distribution des fonds européens. La presse venait de dévoiler que des chefs de la mafia, certains incarcérés comme le frère de Toto Riina, avaient touché des subventions agricoles au titre de la Politique agricole commune, la PAC. « Nous ne pouvons pas accepter que les ressources pour le développement se transforment en une nouvelle forme de revenu pour les mafias, en Italie comme dans tout le reste de l'Union européenne », insistait Rita Borsellino, alors eurodéputée de centre gauche.

Mediapart avait déjà enquêté, en octobre 2014, sur l'échec du projet Castor, l'un des premiers projets de la BEI développés avec ces fameux « project bonds ». La construction de cette réserve de gaz sous-marine a provoqué des séismes sur la côte catalane. Elle a dû être abandonnée, et ce sont les ménages espagnols qui vont sans doute amortir le coût de ces investissements hasardeux dans les années à venir.

Cette fois, dans le cas du Passante di Mestre, plutôt que d’attendre les conclusions de l’enquête menée par la justice italienne, la BEI est prête à fermer un œil sur une possible implication d'entreprises liées à un vaste système de corruption et de détournements de fonds publics, et à lancer sans attendre le refinancement de l’infrastructure qui, sur le fond, n'est pas viable. Au-delà des bonnes intentions affichées, l'Union, faute d'expertise ou de véritable indépendance, est encore loin d'avoir prouvé qu'elle avait les capacités d'assurer, à elle seule, la relance du continent.

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 17:13

 

Source : http://www.reseauxcitoyens-st-etienne.org

 

 

CONTRE LE NÉO-FASCISME ET LE NÉO-LIBÉRALISME
Comment reprendre le chemin de la justice et de la liberté ?

lundi 27 avril 2015, par Roger Dubien

 

Les élections départementales de mars 2015 ont révélé et banalisé le poids qu’ont pris dans la société des idées d’extrême-droite. Le FN a cartonné (par exemple : 31% des votants au 1er tour dans les 21 cantons de la Loire ! et des scores de 12 à 22% des inscrits au 2ème tour ! !). Le nombre de ses élus (62 au lieu de 1 ; et aucune présidence de conseil départemental - c’est l’UMP qui a tiré les marrons du feu) n’est pas une bonne mesure de sa nocivité, de même qu’il ne faut pas se rassurer du fait que le pourcentage de 25% pour le FN n’est obtenu qu’avec seulement 50% de votants, car 25% de 50% des inscrits c’est énorme comme poids politique dans la société. Et en réalité, au-delà des scores du FN, les idées ultra-conservatrices imprègnent maintenant les "acteurs centraux du jeu politique" que sont l’UMP et le PS.
Evidemment le FN vise le pouvoir - et l’efficacité même de sa propagande exige qu’il revendique le pouvoir - mais il a déjà fait le plus gros de ce pourquoi il existe : déplacer le centre de gravité de la politique française vers l’extrême droite.

 

Le plus stupéfiant, c’est que c’est pour une part en faisant mine de combattre le capitalisme néo-libéral qu’il obtient ces résultats ; alors qu’en réalité, le FN fait depuis des décennies un travail de bulldozer du pire capitalisme : dénonciation des acquis sociaux et de toute protection sociale, dénigrement des pauvres et des plus fragiles et de toute solidarité à travers la dénonciation de "l’assistanat", promotion du racisme sur des bases ethniques et religieuses, appel à la chasse aux étrangers et réfugiés sans papiers. Quant à l’invocation de la France et de la patrie, c’est se foutre du monde, venant des héritiers de Pétain et de toutes les guerres coloniales.

 

La bassesse de Hollande déclarant que Le Pen parle comme le Parti communiste dans les années 70 (qui étaient celles de la gauche montante, en France), de même que la qualification de "populisme" avantageusement accordée au FN, participent à crédibiliser la fable que Le Pen et le FN ce serait le peuple, les couches populaires... Cela montre aussi à quel point de renoncement et de confusion on en est arrivé au plus haut niveau de l’Etat.

 

Un néo-fascisme ?

 

Ce qui pèse et menace maintenant, en France et dans d’autres pays d’Europe, c’est un néo-fascisme (n’est-ce pas le terme approprié ?) convenant au néo-libéralisme, au service de la poursuite du néo-libéralisme, utilisant les dégâts mêmes du néo-libéralisme pour permettre à celui-ci de durer.
Néo-fascisme ne doit pas être compris comme "presque fascisme", mais comme fascisme d’aujourd’hui, qui n’a plus besoin de recopier les gesticulations du passé. Tout le baratin sur la mue du FN, sa "dédiabolisation", son "virage républicain" - de même que le feuilleton médiatique des bisbilles entre le père et la fille Le Pen -, ne visent qu’à donner de la crédibilité à l’opération de réfection de façade pour faire passer le FN pour une nouvelle droite radicale et populaire avec qui des alliances deviendraient possibles.
Mais en réalité, ce néofascisme est tout aussi violent, brutal, anti-social, anti-ouvrier, anti-populaire que le fascisme du 20ème siècle. Attention : ce néo-fascisme ne se réduit pas au seul FN, il gangrène la société française au-delà des activités du parti lepeniste.

 

Mais alors, pourquoi ça marche ? Sans doute beaucoup parce que le désarroi, la désespérance sont littéralement sans précédent depuis des décennies. Avec l’élection de Hollande et d’une majorité de députés PS à l’Assemblée Nationale, des millions de gens attendaient du changement et ont eu - au nom de la gauche ! - la poursuite de la politique néolibérale de Sarkozy. Et au fur et à mesure des désastres électoraux, Hollande-Valls persistent dans cette politique. Il y a même le calcul que c’est la poursuite de la montée de l’extrême droite qui pourrait rendre possible leur ré-élection en 2017.
La souffrance sociale et la médiocrité politicienne sont une aubaine pour les néofascistes.
Le terrain leur est d’autant plus favorable qu’un délitement de la société est à l’oeuvre, et avec lui une perte des repères historiques et politiques : insécurité économique et sociale qui déstabilise le monde du travail et nourrit la peur de l’avenir, démantèlement de règles et d’institutions sociales anticapitalistes mises en place au 20ème siècle ; conséquences en chaine de la mondialisation capitaliste, des guerres qui ne finissent pas, et des drames humains (réfugiés...) qui s’ensuivent ; succès dans la fabrication d’un choc des civilisations et installation du terrorisme comme une question quotidienne dans l’actualité, avec les demandes et les dérives sécuritaires que ceci provoque et rend possible, perte de poids d’institutions politiques au profit des firmes, défis provoqués par l’accélération des nouvelles technologies, de la technique, qui ouvrent des possibles immenses mais en même temps virtualisent le monde...

 

Le problème est aussi que la gauche de gauche n’est pas au niveau de ces défis, ni des aspirations et mouvements populaires existants. Dans la gauche qui se veut "radicale", les raisonnements de chapelle prévalent, et l’éparpillement qui va avec aussi. En France, pas de Syrisa ni de Podemos à l’horizon, pas de vaste mouvement politique ET citoyen qui porte une autre politique.

 

Pourtant, dans la société, au quotidien, des initiatives pour l’émancipation...

 

Car ce n’est pas toute la société qui dérive vers la droite et l’extrême droite. Si le "personnel politique" est largement sous la domination du néolibéralisme et de l’extrême droite, dans la société c’est beaucoup plus contradictoire et conflictuel.
Dans la Loire par exemple, si on regarde ce qui se fait, on constate que semaine après semaine des centaines ou des milliers de personnes sont dans des initiatives d’action et de réflexion qui ont plutôt tendance à se renforcer.
Dans des collectifs, des réseaux, des associations, des syndicats, dans des alternatives concrètes en fonctionnement ou en construction, beaucoup de monde agit et construit. Mais les choses paraissent tellement bouchées au plan "politique" que ceci ne perce pas à l’étage de la politique "représentative", des élections. Toute une partie de la société ne trouve pas de "canaux politiques" pour s’exprimer et exister dans la sphère politique institutionnelle.

 

La solution n’est certes pas de décréter une mythique "convergence des luttes". Les choses convergent quand elles sont mûres pour converger. Par contre, on pourrait sûrement s’efforcer de faire plus d’échanges, de mises en commun, et peut-être s’attacher plus à mettre en place des creusets dans lesquels la mayonnaise pourrait prendre...
Oui, une force politique de conception nouvelle (même si ces mots ont tellement été galvaudés depuis 20 ans) comme Syrisa en Grèce et Podemos en Espagne, serait bien utile.
Certains "politiques" déjà en exercice devraient en faire partie, forcément. S’ils y viennent avec des objectifs de chapelle et de contrôle, des objectifs de pouvoir, ça débouchera sur les mêmes impasses que depuis 20 ans. Si chacun y vient humblement avec la volonté de travailler dans un creuset où s’inventerait l’avenir, et d’y accueillir de très nombreux citoyens engagés dans les mouvements sociaux, quelque chose pourrait naître et grandir.
Tout ceci en continuant de construire des alternatives, bien sûr, aussi bien dans le domaine des idées que celui des réalités concrètes, parce que c’est des expérimentations réelles que peuvent sortir des transformations viables plus importantes.

 

Et puis il va falloir affronter ce néofascisme pour le faire reculer. Cela demande des réflexions, des discussions, et des initiatives tout à fait nouvelles, à la mesure du défi qui nous est lancé.
Nous nous efforcerons d’y contribuer.

 

Roger Dubien.

 

 

Source : http://www.reseauxcitoyens-st-etienne.org

 

 

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 16:45

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

 

Tribune 11/05/2015 à 18h34
Oui, l’agriculture biologique peut nourrir la planète

Jacques Caplat, agronome

 

 

Lorsque est abordée la question, essentielle, de la lutte contre la faim dans le monde, il est fréquent d’entendre dire que l’agriculture biologique présente des limites à cause de ses rendements inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle, prétendument démontrés par plusieurs « études scientifiques ». Or ce poncif est faux et trompeur et témoigne d’une approche scientifique archaïque.

Des comparaisons biaisées

Les études académiques généralement citées pour comparer les rendements en agriculture biologique et en agriculture conventionnelle présentent deux points communs qui ne sont pas anodins :

  • elles sont réalisées en milieux tempérés (Europe et Amérique du Nord) ;
  • leur méthodologie est caricaturalement réductionniste.
Making of

Une première version de ce texte a été publiée sur le blog Changeons d’agriculture. Jacques Caplat nous a autorisé à en reproduire ici une version réduite. Nous l’en remercions. L’article original intégral est bien sûr disponible sur le blog de l’auteur. Thibaut Schepman

Le premier aspect devrait inciter tout agronome compétent à en parler avec d’immenses précautions. Il n’y a aucun sens à tirer des conclusions agronomiques à partir d’essais réalisés dans un contexte climatique particulier, puisque les agricultures sont extrêmement diverses d’une région à l’autre de la planète.

Même en négligeant le second (et considérable) problème, la moindre des choses serait de proscrire drastiquement toute formule fumeuse du type « la bio a de moins bons rendements » et d’avoir la précaution de dire « la bio en milieux tempérés a de moins bons rendements ». La nuance est déjà de taille, car les milieux tempérés ne couvrent qu’un quart de la planète et ne concernent qu’un dixième de sa population ! Extrapoler des (supposés) résultats européens ou canadiens à l’agriculture biologique dans son ensemble est une preuve d’ethnocentrisme assez consternant.

 

Le deuxième aspect est essentiel. Pourquoi ai-je employé le terme réductionniste ? Parce que ces comparaisons sont basées sur une méthode qui consiste à modéliser des situations schématiques, dans lesquelles un seul paramètre changera. C’est le principe de la démarche réductionniste, qui prétend qu’une comparaison impose de ne faire varier qu’un seul facteur à la fois, et que le protocole expérimental devra « construire » une telle situation où la réalité est réduite à un modèle contrôlé, c’est-à-dire à une projection, une simplification.

Or cette approche est totalement dépassée dans la plupart des sciences, pour la simple raison qu’elle conduit à comparer des constructions intellectuelles... et jamais la réalité. Dans la réalité, il est exceptionnel (pour ne pas dire fantasmatique) qu’un élément d’un système change sans que d’autres éléments, avec lesquels il est en relation, ne changent aussi. Ces comparaisons réductionnistes impliquent par conséquent de construire une situation artificielle, qui permettra certes des mesures simples suivies d’un traitement statistique significatif et publiable, mais qui fausse sciemment les conditions d’analyse.

Comment disqualifier la bio

Non seulement cette démarche est hautement critiquable dans les sciences du vivant (et heureusement de plus en plus marginale en dehors de l’agriculture), mais elle est en outre une pure manipulation lorsqu’il est question d’agriculture biologique. En effet, la définition originelle et fondamentale de l’agriculture biologique est de constituer un système agricole, mettant en relation agrosystème, écosystème et humains.

En bio, les paramètres n’ont de sens que dans leurs relations mutuelles et varient toujours de façon combinée. Par conséquent, faire varier « un unique paramètre » dans un système biologique signifie très exactement nier ce système, le détruire, le trahir. Dans la mesure où l’agriculture conventionnelle est, à l’inverse, précisément basée sur une démarche réductionniste et sur des paramètres isolés, il va de soi que le choix de tels protocoles est, dès le départ, un biais méthodologique gravissime qui, de facto, préjuge à l’avance du résultat et disqualifie ces études.

Pour bien comprendre l’absurdité des protocoles en cause, il est important de connaître les fondements agronomiques de l’agriculture biologique, et en particulier la nécessité vitale de tendre vers des cultures associées et des semences adaptées au milieu. Il existe sans doute un malentendu sincère de la part des agronomes qui mènent ces pseudo-comparaisons, qui ignorent en général que le développement de la plupart des maladies et parasites des végétaux actuels provient de l’inadaptation des variétés aux milieux, ainsi que de la destruction des relations entre les plantes et les sols.

« La même chose moins la chimie »

Ils semblent par ailleurs avoir oublié que, lorsqu’une plante est cultivée en association avec d’autres plantes (cultures associées), le rendement global de la parcelle est toujours supérieur à celui de cultures pures séparées (même si, bien entendu, le rendement particulier de la culture principale est plus faible).

Enfin, ils ne prennent manifestement pas garde au fait que les modes de production imposent des successions culturales (rotations) différentes.

Concrètement, les études régulièrement citées en défaveur de la bio concernent généralement du blé, c’est-à-dire la culture la plus adaptée à une conduite conventionnelle réductionniste – et la plus défavorable à l’agriculture biologique. Passons, car indépendamment de ce premier biais, c’est toute la méthode qui est affligeante.

Les expérimentateurs mettent en place deux cultures dans des conditions identiques :

  • D’un côté, ils implantent un blé conventionnel. Pour cela, ils utilisent des semences d’une variété inscrite au catalogue officiel (ce qui est impératif pour autoriser sa culture commerciale), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent avec le soutien de la chimie (engrais et pesticides).
  • D’un autre côté, ils implantent la même variété (dogme de toute comparaison réductionniste : un seul facteur doit varier), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent sans aucun recours à la chimie.

Vous avez bien lu. La deuxième partie de la comparaison est intégralement conventionnelle, à l’exception de la suppression des engrais et pesticides de synthèse. Il s’agit donc d’une comparaison entre un « blé conventionnel standard » et un « blé conventionnel sans chimie ».

Voilà le cœur du malentendu : la plupart des agronomes, par incompréhension ou négligence, semblent croire sincèrement que l’agriculture biologique serait « la même chose moins la chimie », comme s’il existait une seule voie agronomique, comme si les techniques actuelles étaient les seules possibles.

C’est hélas la preuve d’une méconnaissance inquiétante de l’histoire agricole mondiale et de la profonde multiplicité des solutions imaginées dans les divers « foyers » d’invention de l’agriculture. Une agriculture basée sur des variétés standardisées (et en outre sélectionnées pour être soutenues par la chimie de synthèse, dans des procédés de sélection qui emploient trois fois plus de chimie que les cultures commerciales !), en culture pure, sans écosystème, n’est pas autre chose que de l’agriculture conventionnelle. Avec ou sans chimie, elle n’est certainement pas une culture biologique.

Ces comparaisons consistent donc à dépenser des millions d’euros (ou de dollars) pour constater qu’un modèle agricole intégralement construit autour de la chimie fonctionne moins bien lorsqu’on lui supprime le recours à la chimie. En d’autres termes, pour enfoncer des portes ouvertes. J’oubliais : cela permet également de publier. Les résultats n’apportent strictement aucune information, mais ils sont conformes aux règles de publication.

Comment comparer ce qui semble incomparable ?

Il va de soi que des comparaisons réductionnistes peuvent, faute de mieux, apporter des informations contextualisées. C’est par exemple le cas des criblages variétaux, menés par plusieurs instituts de recherche en agriculture biologique. Ils consistent à mesurer les performances comparées de plusieurs variétés dans des conditions identiques. Ici, les parcelles expérimentales représentent une réduction consciente et ciblée, et ne prétendent pas comparer des systèmes. Ces criblages visent à répondre à une question explicite et sans ambiguïté : dans les conditions imposées par le contexte agricole européen et nord-américain, quelle variété réussit le mieux en bio (ou plutôt, en réalité ici, « sans chimie ») ?

Les conditions de ces essais ne correspondent pas à une agriculture biologique complète, puisqu’il n’y a ni cultures associées ni agroforesterie, et puisque les variétés comparées sont issues de la sélection standardisée et chimique qui s’impose actuellement aux paysans occidentaux. Mais ces limites sont intégrées puisqu’elles constituent justement le cadre dans lequel il s’agit d’identifier les marges de manœuvre existantes.

Nous en revenons alors à la question sensible : comment comparer les deux agricultures ? Sans modèle construit autour de projections intellectuelles et de paramètres contrôlés par des équations simples, beaucoup d’agronomes semblent perdus. Pourtant, d’autres sciences ont dépassé cet obstacle depuis longtemps. Lorsqu’il s’agit de comparer des organismes, les chercheurs ont recours à de grands échantillons in situ. Ainsi, pour étudier le comportement des oiseaux face aux changements climatiques, il n’est évidemment pas question de mettre des oiseaux en cage, et il est fait appel à des observations nombreuses d’oiseaux dans leurs milieux naturels.

L’agriculture biologique est, dans sa définition originelle et sa mise en œuvre concrète, un organisme systémique. Elle est donc obligatoirement liée à un environnement et à des pratiques sociales (techniques, outils, traditions, savoirs, besoins, choix de société), et aucune « parcelle expérimentale » artificielle ne peut la réduire à un modèle simple. Chaque ferme est unique... mais les fermes se comptent par millions en Europe et par centaines de millions dans le monde. Il suffit dès lors de mesurer les rendements réels, sur plusieurs années, dans un vaste échantillon de fermes réelles.

Des rendements supérieurs en bio

Il est parfaitement possible de définir les pratiques permettant de classer chaque ferme dans la catégorie « conventionnelle » ou dans la catégorie « biologique » : présence ou absence de produits chimiques (qui ne suffisent pas à définir la bio, mais dont la suppression met en branle ses pratiques systémiques), cultures pures ou associées, absence ou présence des arbres, semences standardisées ou adaptées aux milieux, etc. Il est parfaitement possible ensuite de mesurer les rendements pluriannuels et de les soumettre à un traitement statistique. Pour peu que l’échantillon soit suffisant, le résultat est parfaitement scientifique... et même publiable dans les revues académiques.

Il se trouve que plusieurs études internationales ont procédé de la façon que je préconise ici : rapport [PDF] d’Olivier De Schutter (à l’époque rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, fin 2010), rapport [PDF] du PNUE en Afrique (programme des Nations unies pour l’environnement, 2008), vaste étude [PDF] de l’université d’Essex (Pretty et al., 2006). Le résultat est édifiant : toutes ces études, réalisées dans les pays non tempérés (c’est-à-dire les trois quarts de la planète), montrent que l’agriculture biologique y obtient des rendements supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle.

Pourtant, il faut l’admettre, les rendements sont moins favorables à la bio dans les milieux tempérés. Même si les études que je critique plus haut exagèrent et faussent les résultats, il est vrai que, pour une partie des productions, la bio européenne et canadienne obtient actuellement des rendements inférieurs de 5 à 20% à ceux de l’agriculture conventionnelle (cf. études du Rodale Institute en Amérique du Nord et du FiBL [PDF] en Europe ; notons qu’il n’y a déjà plus de différence significative aux États-Unis).

 

La bio la moins performante du monde

Cela est inévitable, puisque l’agriculture bio de nos pays est soumise à des distorsions considérables : règlementations sur les semences qui obligent à utiliser des variétés standardisées et sélectionnées pour la chimie, faibles connaissances en matière de cultures associées et d’utilisation des arbres en agriculture, fiscalité construite depuis 70 ans pour faire peser les contributions sociales sur le travail (et donc défavoriser le travail au profit du pétrole), etc.

Face à tous ces obstacles, les agriculteurs bio européens et nord-américains ont l’immense mérite d’inventer, d’expérimenter, de s’adapter, et de parvenir peu à peu à réduire leur handicap. Mais sans remise à plat des politiques agricoles de nos pays, l’agriculture bio des milieux tempérés restera la moins performante du monde.

Le mythe des rendements bio insuffisants pour nourrir le monde est ainsi le résultat combiné d’une erreur méthodologique monumentale, d’un ethnocentrisme occidental et de politiques publiques qui entravent les pratiques biologiques. Il est temps de relever notre regard et d’avancer.

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 16:37

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Corruption de la science

Risques toxiques : comment les cancers des ouvriers sont occultés par les industriels

par

 

 

 

 

Souvent convoquée pour énoncer des vérités indiscutables, la science n’est pas neutre. Depuis 50 ans, elle participe même activement au développement incontrôlé des risques industriels : amiante, nucléaire, pesticides ou perturbateurs endocriniens. C’est ce que révèle le livre La science asservie. Santé publique : les collusions mortifères entre industriels et chercheurs., écrit par Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm et spécialiste des questions de santé au travail. Elle y défend aussi une autre conception du travail scientifique, ancré dans la réalité des ouvriers, premières victimes des risques industriels. « En 1984, un ouvrier avait quatre fois plus de risques de mourir d’un cancer qu’un cadre supérieur. En 2008, ce risque est dix fois plus élevé », explique-t-elle. Entretien.

 

Basta ! : Quand, lors de votre carrière scientifique, avez-vous été confrontée pour la première fois aux collusions entre industriels et chercheurs ?

Ce livre est issu de deux parcours de chercheurs, le mien bien sûr, mais aussi celui d’Henri Pézerat, décédé en 2009, qui fut directeur de recherche au CNRS dans le domaine de la toxico-chimie des minéraux. Il fut le premier chercheur à identifier les mécanismes de toxicité des fibres d’amiante et de bien d’autres poussières minérales. Dès les années 1980, nous étions convaincus l’un et l’autre, de la nécessité d’être à l’écoute d’une demande – implicite ou explicite – émanant de collectifs ouvriers aux prises avec les risques du travail, pour élaborer des recherches utiles à l’amélioration des conditions de travail. Nous ne savions pas alors à quel point la recherche en santé publique était dominée par les intérêts – lucratifs – des industriels et du patronat.

 

Ce poids des industriels a permis la définition d’une dose seuil pour les toxiques, en deçà de laquelle une substance serait sans danger. Vous affirmez que cette « dose seuil » est une idéologie... Pourquoi ?

Après la seconde guerre mondiale, et notamment à partir des années 1970, les industriels américains font face à des publications de chercheurs qui sont très claires, et très documentées, sur la toxicité de substances comme l’amiante, le plomb, ou la radioactivité. Ils sont obligés de reconnaître qu’il y a un risque. Ils se disent alors que le moindre mal, c’est de définir une dose en dessous de laquelle il ne se passe rien. Pourtant, dès le début des années 1960, les connaissances acquises dans le domaine de la biologie, de la biochimie et même de la physique ouvraient à la connaissance et à la compréhension des mécanismes de cancérogénèse, mettant en question la référence à un quelconque seuil de danger. Rachel Carson, biologiste américaine, qui mena pendant 10 ans une observation rigoureuse de ce que produit dans la nature le recours massif aux insecticides et herbicides, conclut que la seule dose inoffensive, est la dose 0 [1].

C’est pareil pour l’amiante : le mésothéliome [forme de cancer causé notamment par l’exposition à l’amiante] peut se développer à de très très faibles doses. On ne cesse d’accumuler les observations au sujet des faibles doses. Des travaux scientifiques établissent même que les très faibles doses peuvent être plus graves en terme de cancer. L’empoisonnement faible blesse les cellules, qui risquent de devenir cancéreuses en s’efforçant de survivre. Ce que l’on sait des perturbateurs endocriniens va dans le même sens. A faible dose, on observe des mutations cellulaires qui vont conduire – entre autres – au processus de cancérisation. Tout cela contrecarre l’idée selon laquelle les valeurs limites protègent a minima. C’est pourtant sur cette base de « valeur limite » que fonctionnent toutes les règlementations.

 

C’est vrai aussi pour la radioactivité, écrivez-vous...

Il est hallucinant que les industriels aient réussi à imposer ce postulat concernant la radioactivité. Les dangers des faibles doses sont en effet bien documentés, et depuis longtemps. Dès les années 1950, Alice Stewart, médecin anglaise, mène une enquête très rigoureuse pour expliquer la croissance des cancers chez les enfants de moins de 5 ans en Grande-Bretagne. Elle s’intéresse notamment aux expositions qu’ils auraient pu subir in utero, en demandant à leur mère si elles ont subi une radiographie au cours de leur grossesse. Les résultats sont sans appel : l’exposition aux rayons X in utero lors d’un seul cliché radio (soit une fraction infinitésimale de la dose alors considérée sans danger) provoque des cancers d’enfants. Elle fait voler en éclat le postulat qu’existe une dose seuil en dessous de laquelle les radiations seraient sans danger.

D’autres chercheurs aboutiront aux mêmes résultats, notamment Thomas Mancuso qui montrera dans les années 1970 les liens entre l’exposition à faible dose des travailleurs du site nucléaire d’Hanford [2] et la mortalité précoce par cancer chez ces travailleurs. Les autorités, mécontentes de ses résultats, ne renouvelleront pas son contrat...

 

Parfois la toxicologie montre qu’il n’y a aucun doute sur le caractère cancérogène de certaines molécules. Mais des scientifiques, au service des industriels, revendiquent la possibilité d’affirmer le doute… Comment s’y prennent-ils ?

Au lieu de se baser sur la toxicité intrinsèque des fibres, des molécules ou des radiations, on assiste à l’instrumentalisation de l’épidémiologie. Cette discipline, fondée sur une approche statistique des phénomènes de morbidité et de mortalité (notamment par cancer) a acquis une position dominante dans le champ de la santé publique. On compte par exemple le nombre de décès par cancers survenus dans l’année pour 100 000 habitants. Mais les morts ne parlent pas... et les registres qui servent de base de travail aux épidémiologistes non plus, puisqu’ils ne contiennent aucune information sur les risques professionnels et environnementaux subis par les patients atteints de cancer. Difficile donc de savoir à quels polluants les personnes décédées ont pu être exposées.

Une grande part des études épidémiologiques sont faites hors contexte, les chercheurs n’ayant pas de lien avec la réalité du terrain. Il n’y a pas de contacts avec les patients de leur vivant, et encore moins avec les familles des personnes décédées ou les médecins locaux. Le choix politique d’une approche dominante, voire exclusive, des problèmes de santé par la modélisation mathématique a empêché la production de connaissances ancrées dans la réalité.

 

L’épidémiologie permet-elle de rendre compte de ce qui se passe à faibles doses ?

Non. Bien peu d’études sont engagées sur ce terrain et leurs résultats sont alors, statistiquement, peu ou pas significatifs. Cette absence de confirmation du lien entre l’exposition à un cancérogène, à faible dose, et la survenue de cas de cancer signifie non pas qu’il n’y a pas de lien, mais que la méthode est inappropriée pour le prouver. Surtout lorsqu’il s’agit d’un cancérogène avéré...

Il y a aussi des méthodologies qui tendent à diluer le risque en faisant porter l’analyse sur une population dans laquelle se retrouvent des personnes exposées et non exposées. Prenons une entreprise comme Adisséo, site de production d’additifs nutritionnels pour des aliments destinés à l’élevage industriel. Dans l’atelier où l’on utilise le chloracétal C5 [3], plusieurs ouvriers sont victimes d’un cancer du rein. Les études épidémiologiques menées pendant près de dix ans ont porté non pas sur la population exposée au C5 mais sur la totalité des salariés de l’usine, en référence à la totalité des produits chimiques de l’usine. Les épidémiologistes ont pourtant clairement identifié un excès de cancer du rein en rapport avec l’exposition C5, mais très atténué par rapport à la réalité de ce qu’il était. Leurs conclusions maintiennent le doute, ce qui a conduit la direction de l’entreprise à refuser d’envisager la substitution du produit, pourtant possible.

Pire encore : les chercheurs qui ont mené l’enquête conseillent la poursuite d’études de mortalité par cancers des salariés du site ! L’épidémiologie, dans ses courants dominants, se contente de compter les morts et de répéter sans fin que le nombre de cancers augmente. Les chercheurs font abstraction des contextes, et surtout des gens. Leurs études s’inscrivent dans le paradigme du doute et les conduit à une démarche répétitive, consistant à vouloir constamment « re-prouver » que des toxiques connus, comme l’amiante ou d’autres, sont effectivement responsables de la survenue de cas de cancer dans toutes les situations. Cela empêche toute action de prévention.

 

Vous évoquez aussi l’absence de veille sanitaire, qui crée de l’invisibilité, laquelle alimente le doute....

Tant que la France ne se dotera pas, dans chaque département, d’un registre de cancers dans lequel on reconstitue les parcours professionnels et l’histoire résidentielle des patients atteints, on n’avancera pas dans l’identification des risques en cause, seule base effective de stratégies de prévention. Les travailleurs victimes de cancer continueront à se heurter à de très grandes difficultés en matière de reconnaissance en maladies professionnelles. L’ancien site minier de Salsigne, dans l’Aude, d’où l’on tirait de l’or et de l’arsenic, illustre très bien ces difficultés. Avec Henri Pézerat et d’autres chercheurs, nous avons travaillé dès les années 80, pour étudier les relations entre cancers et poussières des mines. Nous avions déjà réclamé la création d’un registre, à partir des connaissances obtenues par nos échanges avec les travailleurs de la mine, qui souffraient de cancers. Cela aurait permis de repérer les lieux les plus pollués, pour pouvoir faire de la prévention, y compris pour les non travailleurs.

La suite nous a – hélas – donné raison : dans les années 1990 puis 2000, le problème environnemental est revenu comme un boomerang, avec une contamination généralisée à l’arsenic et à plusieurs de ses dérivés. Les agriculteurs ont été priés de ne pas vendre leurs produits. Les viticulteurs de ne pas faire de vin avec leurs raisins. Les riverains ont reçu une liste invraisemblable de conseils de la part de l’Autorité régionale de santé, qui leur explique par exemple de se laver les mains après être allé au jardin, ou de paver le devant de leurs maisons pour ne pas être en contact avec la terre. Que l’on ne dit jamais « contaminée », d’ailleurs. En 2014, les habitants ont reçu un questionnaire pour vérifier qu’ils ont bien appliqué ces recommandations. Bref : Il n’y a aucune veille sanitaire, et pas l’ombre d’un projet de décontamination ni de protection des habitants contre cette contamination.

 

Cette absence de veille, et ses effets dramatiques, sont aussi à l’œuvre dans le secteur du nucléaire.

Dans les années 1960 et 1970, la question du suivi systématique des travailleurs exposés a été abordée à plusieurs reprises, par des responsables du ministère du Travail, par des médecins du travail, par certains chercheurs... Rappelons que la radioactivité fait partie des cancérogènes avérés. Et que l’un des moyens de prévention, c’est de savoir quel type d’activité est le plus « exposant ». Les exploitants du nucléaire, qui avaient des fichiers informatiques très précis sur les dosimétries et les travailleurs, n’ont jamais eu aucun fichier digne de ce nom en terme de suivi sanitaire. Les médecins du travail ont beaucoup de mal à avoir des données. Les travailleurs qui subissent des contaminations sont sanctionnés par leurs employeurs. En fait, on ne veut pas faire de prévention. On veut faire disparaître ceux qui ont été contaminés.

Dernier exemple : celui des lieux contaminés par l’amiante. Le professeur Claude Got, qui avait dirigé la mission amiante en 1998, réclame depuis presque 20 ans (!) la création d’une base de données qui répertorie les lieux amiantés, qu’ils soient publics ou privés. Il a renouvelé sa demande en mars dernier, lors d’un colloque au Sénat, dédié au problème du désamiantage. Le diagnostic amiante étant obligatoire, il serait simple de l’enregistrer au cadastre. Mais les lobbies immobiliers freinent des quatre fers. Résultat : on n’a toujours pas de recensement des lieux contaminés en France. Sur tous ces sujets, il y a des connaissances qui auraient dû et pu être produites qui ne l’ont pas été, et cela entretient cette logique du doute. Toutes ces stratégies permettent aux industriels de gagner du temps, et aux autorités publiques de n’envisager aucune politique digne de ce nom en terme de décontamination, ou de prévention. Cela permet aussi de laisser des projets industriels renaître.

 

Vous expliquez comment les industriels et leurs experts disqualifient les chercheurs qui s’opposent à l’occultation des dangers...

En 2005, deux importantes revues de santé publiques états-uniennes ont publié des dossiers sur la corruption de la science par des multinationales de l’industrie, dans la mise en doute, jusqu’au déni, des risques industriels. Ces dossiers témoignent également de la disqualification des chercheurs s’opposant aux stratégies d’occultation des effets mortifères d’industries dangereuses. Quand j’ai commencé le livre, je connaissais les histoires de ces hommes et femmes sur lesquels des industriels se sont acharnés. Mais en les remettant en forme, en les racontant, j’ai été impressionnée de voir comment des personnes telles que Alice Stewart, Rachel Carson, ou encore Irving J. Selikoff (qui mena une rude bataille contre les industriels de l’amiante aux Etats-unis) ont été malmenées.

Ces personnes rigoureuses, qui mettent en évidence la toxicité d’une substance ont à faire à des industriels, et à leurs experts, qui rétrogradent leurs travaux au rang d’opinion, en les discréditant personnellement. Nous ne sommes pas en présence de controverses. On ne s’affronte pas sur un problème, en avançant des hypothèses différentes ! Quand nous avons commencé à travailler sur ces questions Henri Pézerat et moi, nous savions que nous n’avions pas le droit à l’erreur. Nous savions que nous étions surveillés par des gens très pressés de nous disqualifier. Mais ce que nous n’avions pas anticipé, c’est qu’en face, il ne s’agit pas de scientifiques honnêtes. Dès lors, les dés sont pipés. On ne peut pas discuter avec des gens malhonnêtes.

 

Les autorités publiques ne s’empressent pas non plus de soutenir les chercheurs indépendants de l’industrie...

Les autorités publiques luttent contre la visibilité des responsables des cancers. Pour ne pas remettre en cause les procédés industriels, toutes les voix qui en parlent sont priées de se taire. Les chercheurs qui se situent du côté des contre-pouvoirs ne sont jamais écoutés, ils sont même stigmatisés. Certains voient leurs travaux confisqués, voire détruits. Quand des riverains, des travailleurs, des chercheurs indépendants pointent du doigt des pollutions, ils reçoivent parfois des menaces. À Saint Félix-de-Pallières, où il y a un projet de ré-ouverture de mine, les autorités sanitaires intimident un peu les habitants qui se mobilisent.

 

Les ouvriers, puis les riverains de sites pollués … Vous mettez en évidence les inégalités sociales de santé, et leur « disparition » organisée.

Sur le site de l’Institut du cancer, il n’y a aucune donnée sur les cancers professionnels et/ou environnementaux. Dans son rapport d’activité annuelle, l’institut ne parle que du tabac, de l’alcool et des comportements individuels. Les publications scientifiques sur les expositions professionnelles chutent, de même que celles qui s’intéressent aux expositions cumulées, alors qu’elles sont la cause d’un nombre écrasant de cancers. Le travail n’est pas du tout pris au sérieux comme cause des cancers. Le rapport des Académies des sciences et de médecine de 2007 se sert de l’absence de données pour dire que le travail joue un rôle très limité dans la survenue des cancers. Alors même que le ministère du Travail publie une enquête qui donne régulièrement les expositions de millions de salariés à des cancérogènes, et ce sans aucune protection !

On n’a plus d’enquête sur les inégalités sociales de santé. C’est devenu un non-sujet. Invisibles des statistiques officielles, les inégalités face à la maladie et à la mort ne cessent pourtant de s’accroitre. En 1984, un ouvrier avait quatre fois plus de risques de mourir d’un cancer qu’un cadre supérieur. En 2008, ce risque est dix fois plus élevé. En milieu professionnel, les morts « légitimes » sont celles des ouvriers. Dans ce domaine des atteintes à la santé liées aux risques industriels, plus que dans tout autre, la santé des travailleurs est la sentinelle de la santé publique.

 

Propos recueillis par Nolwenn Weiler

Photo : CC [AndreasS]

 

A lire : La science asservie. Santé publique : les collusions mortifères entre industriels et chercheurs. Annie Thébaud-Mony. Éditions de la Découverte, 21 euros.

Notes

[1L’ouvrage de Rachel Carson issu de ces années d’observation, Printemps silencieux, a été publié en 1972. Il comporte des informations essentielles sur les mécanismes d’action des substances chimiques dans les organismes vivants.

[2Handford est un site nucléaire américain situé à 250 km au sud-est de Seattle. C’est l’une des deux centrales du "Manhattan Project" (avec Oak Ridge, dans le Tennessee), qui ont produit le plutonium ayant servi à Nagasaki et Hiroshima.

[3Intermédiaire de synthèse qui sert dans le procédé de fabrication de la vitamine A

 

 

 

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Source : http://www.bastamag.net

 

 

 

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7 mai 2015 4 07 /05 /mai /2015 16:44

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

Aux Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch provoque un conflit sur le temps de travail

|  Par Caroline Coq-Chodorge

 

 

Les syndicats appellent à la grève le 21 mai. Le directeur Martin Hirsch veut passer en force, en imposant une diminution des jours de repos, sans contreparties. Un premier conflit social d’ampleur se dessine à l’hôpital, pris entre d’inconciliables injonctions d’économies et de productivité.

 

Le directeur général de l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) Martin Hirsch a proposé un deal aux syndicats des hôpitaux de Paris : renoncer à leurs RTT pour éviter la suppression de 4 000 emplois en cinq ans. Olivier Cammas, de la CGT, n’est même pas surpris : « On nous menace d’un plan social si on ne renonce pas à nos acquis sociaux. C’est la même logique que celle de l’entreprise. » CGT, FO et Sud, qui représentent 80 % des 70 000 personnels non médicaux de l’AP-HP, ont quitté, mercredi 6 mai, au bout d’une heure la réunion qui venait tout juste de s’ouvrir sur la renégociation de l’accord sur le temps de travail au sein du 1er CHU de France.

Le scénario était en réalité cousu de fil blanc. Martin Hirsch a annoncé dès le début de l’année qu’il voulait s’attaquer au sujet. Aux Échos au mois de mars, il a livré l’état de sa réflexion, bien avancée. Son objectif est avant tout économique : malgré 150 millions d’euros d’économies en 2015, l’AP-HP va finir l’année avec un déficit de 50 millions d’euros. Martin Hirsch vise l’équilibre en 2016. De cette réorganisation du temps de travail, il escompte « 20 à 25 millions » d’euros d’économies.

 

 

Martin Hirsch
Martin Hirsch

 

La CGT, FO et Sud sont organisés depuis la semaine dernière en intersyndicale et appellent à une grève le 21 mai, sur de larges revendications : retrait du pacte de responsabilité, du projet de loi Macron, du projet de loi de santé, etc. « Le personnel hospitalier est en train de faire les frais de la politique d’austérité du gouvernement », assure Gilles Damez, de FO. La surprise vient de la CFDT, le 3e syndicat de l’AP-HP (18 %), qui appelle elle aussi à la mobilisation le 21 mai, sur un mot d’ordre limité au temps de travail à l’AP-HP.

 

Pour Abdel Abdoun, « le directeur général prétend négocier, mais le projet est déjà ficelé, il veut supprimer 5 jours de RTT. On ne peut faire, comme toujours, des économies sur le personnel. On ne peut pas aller plus loin. » Sur le terrain, Olivier Cammas de la CGT constate que « des assemblées générales se tiennent dans tous les hôpitaux. Elles sont très revendicatives, elles nous demandent d’aller plus loin. Il y a eu 200 personnes à l'AG de la Pitié-Salpêtrière, 300 à Saint-Louis, 150 à Robert-Debré, je n’ai pas vu ça depuis longtemps ».

 

Les envolées lyriques de Martin Hirsch sur « la reconquête du temps perdu » cachent des comptes d’apothicaires : en modifiant les horaires de travail, même de quelques minutes, l’AP-HP veut réduire le nombre des RTT et faire des économies. 50 % du personnel – soignant, administratif et technique – travaille 5 jours par semaine, 7 h 36 par jour, soit 38 heures par semaine, ce qui ouvre un droit à 18 jours de récupération du temps de travail (RTT) sur l'année. 18 % travaillent en 7 h 50 quotidiennes, et bénéficient de 20 jours de RTT.

 

Martin Hirsch verrait bien « un plus grand nombre de personnes travaillant 7 h 30 ou 7 heures par jour, d'autres peut-être 10 heures si cela permet de mieux "coller" au cycle de soins pour le patient, de mieux utiliser des blocs opératoires. À l'arrivée, il y aura certes moins de jours à récupérer, mais plus de prévisibilité, et l'on pourra répondre à des demandes non satisfaites, en matière de formation professionnelle notamment », a-t-il déclaré aux Échos. Ce qui revient à supprimer 5 jours de RTT dans le premier cas, et la totalité dans le second. Sont en jeu également de vieux avantages des personnels de l’AP-HP, comme la journée de congés supplémentaires accordée à toutes les mères de famille, ou encore le décompte du temps de travail du repas, de l’habillage et du déshabillage.

 

Mis bout à bout, ces heures et ces jours de travail économisés sur 70 000 postes représentent un véritable pactole, que lorgnent les établissements soumis à une cure d’austérité sans précédent : 3 milliards d’euros d’économies sont attendues de l’hôpital d’ici 2017. Cet automne, devant la commission d’enquête parlementaire sur l’impact de la réduction du temps de travail, la Fédération hospitalière de France a proposé de « plafonner le nombre de RTT à 15 jours », en évoluant vers des journées en 7 heures ou en 12 heures. La FHF escompte ainsi 400 millions d’euros d’économies.

 

Martin Hirsch a d’autres arguments qu’économiques pour défendre cette renégociation. Il parle d’« adaptation aux besoins des patients », aux « nouveaux modes de prise en charge ». Les syndicats craignent au contraire une dégradation de la qualité des soins. Aujourd’hui, les personnels soignants (infirmières, aides-soignants) couvrent les 24 heures de soins en deux équipes de jour en 7 h 36, et une de nuit en 10 heures. Les 24 heures sont dépassées de 72 minutes, ce qui ménage environ 20 minutes de transition entre les équipes qui se succèdent au lit des patients. « 20 minutes pour 20 patients, c’est un minimum, on ne peut diminuer les temps de transmission sans toucher à la qualité de soins », explique Thierry Amouroux, le secrétaire général du syndicat d’infirmiers SNPI CFE-CGC.

 

L’autre argument du directeur général de l’AP-HP est pour le moins paradoxal : il veut « améliorer la qualité et les conditions de travail » en supprimant des jours de repos. Pour la direction, les horaires sont si « rigides » qu’ils obligent à « modifier régulièrement les plannings », ce qui conduit à « un absentéisme d’usure ». La CGT invite la direction à s’intéresser aux « causes » de cet absentéisme, par exemple la création de postes en nombre insuffisant au moment du passage aux 35 heures. S’est alors enclenché un cercle vicieux décrit par tous les syndicats, les médecins, y compris du travail : sous l’impératif économique, les effectifs augmentent moins vite que l’activité, le travail s’intensifie, l’absentéisme et les accidents du travail progressent, les personnels sont rappelés sur leurs jours de repos pour combler les postes vacants, etc.

 

En quelques chiffres, le document fourni par la direction décrit cette dégradation des conditions de travail. Les agents sont en arrêt maladie 20 jours par an en moyenne. Les comptes épargne temps, où sont stockés les jours de repos non pris, explosent : rien qu’en 2014, 60 % des agents y ont cumulé 6 jours en moyenne, soit une grosse semaine de repos.

 

Alors que les salaires de la fonction publique sont gelés depuis 2010 et jusqu’en 2017, la direction demande au personnel de renoncer à ses RTT « sans contreparties, si ce n’est de belles phrases sur la qualité de vie au travail », constate Olivier Cammas de la CGT. « Martin Hirsch parle de donnant-donnant, mais on ne voit rien venir », renchérit Gilles Damez, de FO. Non concernés par cette négociation, les médecins observent avec « des yeux écarquillés », raconte Loïc Capron, le président de la Commission médicale d’établissement, qui représente le corps médical.

 

Il soutient Martin Hirsch : « On a besoin de réorganiser le temps de travail. Le plan d’économies que subit l’hôpital est terrible. Pour ne pas réduire l’offre de soins, il faut remettre de l’ordre. » Mais il trouve tout de même le directeur « hardi » : « Martin Hirsch a de grandes ambitions, une carrière devant lui, il veut tenir son projet d’établissement qui prévoit un retour à l’équilibre en 2016. Mais il joue avec une boîte d’allumettes à côté d’un bidon d’essence. On est dans une période très dure. Est-ce vraiment le moment de demander à un personnel sous-payé de renoncer à ses jours de repos ? »

 

Selon le calendrier, le protocole d’accord devrait être sur la table le 28 mai. Les syndicats auront alors mobilisé le personnel le 21 mai. Toutes les parties savent que le résultat découlera moins des discussions officielles que d’un « rapport de force » qui va se construire dans les assemblées générales et par la grève. « Le fait de s’attaquer à l’accord sur les 35 heures du plus grand CHU de France est un test, estime Olivier Cammas, de la CGT. Si on flanche, c’est tout l’hôpital public qui devra renoncer à ces acquis sociaux. » Martin Hirsch peut aussi passer en force. Depuis la loi Hôpital, patients, santé, territoires du gouvernement Sarkozy, le directeur n’a pas besoin de l’accord des syndicats pour décider du temps de travail et de repos.

 
 
 
 
 
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7 mai 2015 4 07 /05 /mai /2015 16:31

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Rachat du Printemps par le Qatar : une information judiciaire est enfin ouverte

|  Par martine orange

 

 

Rarement dossier a été aussi fourni en preuves, corroborant les soupçons de corruption et d’évasion fiscale. Un mail prouve même que le PDG du Printemps discutait avec Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget, de son éventuel exil fiscal en Suisse. Pourtant, la justice avance très, très lentement : il a fallu deux ans pour passer de l'enquête préliminaire à l'information judiciaire.

 

C’est un mail qui ne peut qu’attirer l’attention du procureur de la République à Paris, surtout quand il instruit en même temps sur l’affaire Cahuzac. À l’été 2013, François Molins a eu la surprise de découvrir une curieuse correspondance dans le cadre de l’enquête préliminaire engagée sur le rachat du Printemps, suite à un signalement de l’intersyndicale (l’UGIT-CGT, la CFDT et la SaPP) de la chaîne de grands magasins : le 30 novembre 2012, le PDG du Printemps, Paolo de Cesare, écrivait un petit message en anglais censé être adressé à Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget. 

 

Le ton de l’échange entre les deux hommes est des plus chaleureux : « Voici quelques éléments sur mon déménagement en Suisse. Quand nous en parlerons la semaine prochaine, je pourrai apporter quelques éléments supplémentaires relatifs à ce mouvement. Merci, passe un bon week-end. Paolo » [traduit de l’anglais – ndlr]. Il joignait à ce courrier une étude de six pages du cabinet Schellenberg Wittmer étudiant les conditions de son exil fiscal en Suisse, les répercussions sur sa situation fiscale et son patrimoine.

 

© DR
 

Quelles relations entretenaient Jérôme Cahuzac et Paolo de Cesare ? Même s’ils étaient proches, est-il normal que le PDG du Printemps soumette au ministre du budget d’alors – qui a la haute main sur toutes les situations fiscales – son projet d’exil en Suisse, en vue manifestement d’obtenir des facilités de l’administration fiscale française ? Jérôme Cahuzac savait-il alors que Paolo de Cesare avait lui aussi mis en place un schéma de fraude fiscale en créant une holding à Singapour, nommée Maxpa Invest Pte, pour recevoir les 22 millions d’euros de bonus promis en cas de vente du Printemps et échapper ainsi à toute imposition ? Le ministre du budget d’alors surveillait-il la vente du Printemps au Qatar ? Et si oui, pourquoi ?

 

Toutes ces questions, et bien d’autres, restent aujourd’hui sans réponse. Depuis que le parquet de Paris a annoncé en août 2013 l’ouverture d’une enquête préliminaire sur les conditions de vente du Printemps, à la suite du signalement des syndicats, un épais silence s’est abattu sur le dossier. Des perquisitions ont bien été menées, en décembre 2013, dans les locaux de la direction des grands magasins. Depuis, plus rien. À plusieurs reprises, les membres de l’intersyndicale du Printemps, qui attendent d’avoir l’avis du parquet avant de déposer d’éventuelles plaintes, ont cherché à savoir où en était l’enquête préliminaire. Ils n’ont obtenu aucune réponse.

 

Deux ans après le premier signalement, le dossier du rachat du Printemps semble peiner à trouver son chemin dans les couloirs de la justice. Le parquet de Paris prend tout son temps. Un juge d'instruction a fini par se voir confier le dossier le 27 mars, a annoncé le parquet à Mediapart le 7 mai (voir notre boîte noire). Même si l'avocat du Printemps n'est, de son côté, toujours pas au courant...

 

Le rachat du Printemps ne manque pourtant pas de poser de nombreuses questions. Rarement, un dossier financier aura même été aussi fourni. Il plane sur cette opération – que Mediapart a révélée, preuves et documents à l’appui – des soupçons d’évasion et de fraude fiscale, de blanchiment, de commissions occultes, de corruption, le tout au travers de multiples sociétés écrans et de montages complexes passant tous, à un moment ou à un autre, par le Luxembourg.  

Mme Chadia Clot, gérante du bras armé de la famille royale qatarie en France, French Properties – que l’on retrouve dans le dossier du rachat pipé de l’hôtel Vista, près de Menton –, a accepté de racheter 1,7 milliard d’euros la chaîne de grands magasins, ce qui représente une plus-value de 600 millions d’euros en cinq ans, totalement exonérés puisque payés au Luxembourg (voir notre enquête : Au bonheur du grand capital).

 

Bénéficiant d’une rémunération dépassant toutes les normes du CAC 40 en qualité de conseiller du groupe (plus de 11 millions d’euros par an), Maurice Borletti, ancien actionnaire du Printemps, s’est également vu promettre du Printemps, au bout de cinq ans, un management fee de 500 millions d’euros (lire notre article : L’inexplicable impunité du Qatar). Un intermédiaire, dont on ne connaît pas le rôle exact si ce n’est qu’il est proche de Mme Chadia Clot, s’est vu quant à lui promettre une commission de 45 millions d’euros au moment du rachat (lire notre article : Les millions de commissions promis par le Qatar). Pour sa part, le PDG du Printemps, Paolo de Cesare, a reçu l’engagement de toucher un bonus de 22 millions d’euros au moment de la vente et la société Borletti l’a aidé à constituer sa holding à Singapour pour éviter le fisc (lire notre article : Le PDG du Printemps loge son bonus à Singapour).

 

Depuis le début de l’enquête préliminaire, le parquet a en main tous les contrats, tous les montages, tous les noms des sociétés écrans. Alors, pourquoi le dossier reste-t-il au point mort ? Interrogé à plusieurs reprises, le parquet n’a pas répondu à nos questions. Est-ce parce que rien ne permet d’engager des poursuites judiciaires ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas le classer plus rapidement ? Est-ce parce que l’administration fiscale s’est emparée du dossier et a négocié, via sa cellule de dégrisement, quelques réparations pour oublier l’évasion fiscale ? Est-ce parce qu’il concerne de près les pratiques du Qatar, jugé intouchable ?

 

Un si cher ami

 

François Hollande et l'émir du Qatar lors de la signature des Rafale, le 4 mai.
François Hollande et l'émir du Qatar lors de la signature des Rafale, le 4 mai. © Reuters
 

Le Qatar, il est vrai, est un ami. Depuis des années, des responsables politiques, de droite comme de gauche, multiplient les hommages et les services auprès de la famille royale. Certains n’hésitent pas à sacrifier quelques jours pour se rendre à Doha, sans doute pour admirer les courses de chameaux dans le désert.

 

Un mois après son élection en 2007, Nicolas Sarkozy s’est empressé de faire adopter une convention fiscale qui exonère les investissements qataris de toute fiscalité sur les droits de mutation, les plus-values, les dividendes et impôts fonciers. Le gouvernement socialiste s’est bien gardé de la remettre en cause. Il est vrai que les finances publiques françaises sont si abondantes que l’État peut bien se monter généreux. À l'automne dernier, un amendement porté par Valérie Rabault, rapporteur du budget, sommait Bercy de fournir un point de situation, rappelle un article de Sud-Ouest. « Le Parlement doit savoir ce que cela nous coûte », expliquait-elle. Bercy n’a toujours pas répondu à la demande de la parlementaire.

 

Entre-temps, le Qatar a acquis un patrimoine de luxe, allant du palace parisien Royal Monceau au Martinez à Cannes, en passant par un aller-retour sur le centre de conférence de l’avenue Kléber, évalué à 6 milliards d’euros, selon Reuters. Il est aussi devenu le soutien de l’équipe du PSG, le bienfaiteur de France Galop et du monde hippique (voir sur Mediapart le blog de Guy de la Brosse sur le malaise dans le monde des courses). Il est aussi, on l’oublie souvent, un des premiers actionnaires de Vinci, le premier groupe de BTP pour les partenariats public-privé, les concessions d’autoroutes et de parkings en France.

 

 

Notre ebook sur l'affaire du rachat du Printemps
 

Toujours soucieux de ne pas déplaire à ce grand ami de la France, le gouvernement a envisagé, semble-t-il, de faire entrer quelques fonds du Qatar dans les sociétés de projet, prévues dans le cadre de la loi Macron. Ces sociétés doivent permettre à l’avenir à des investisseurs privés de prendre des participations dans des structures qui loueraient des équipements militaires à l’armée. Des PPP militaires en quelque sorte. L'idée a été repoussée dans le cadre de la révision de la loi de programmation militaire. Mais peut-être n'est-ce que momentané.

 

Toujours grâce à la loi Macron, le Qatar va aussi être parmi les premiers bénéficiaires de la loi sur l’ouverture le dimanche. Une loi spéciale boulevard Haussmann, comme l’ont dénoncé les syndicats. Car le premier ministre Manuel Valls a bien l’intention, contre l’avis de la maire de Paris, de classer en zone touristique ce boulevard où sont installés les Galeries Lafayette et le Printemps. Ce qui leur permettrait d’ouvrir non pas douze dimanches par an mais tous les dimanches de l’année ainsi que le soir jusqu’à minuit.

 

La députée PS Sandrine Mazetier avait demandé lors de la discussion si les responsables du Printemps allaient au moins, en contrepartie de cette faveur, payer leurs impôts en France. Emmanuel Macron a invoqué le secret fiscal pour ne pas lui répondre. La même parlementaire avait également posé une question écrite à Pierre Moscovici, alors ministre des finances, en juillet 2013, lui demandant « s’il disposait d’éclaircissements sur les conditions de la cession et sur les risques de fraude fiscale impliquant certains des acteurs de la transaction  du Printemps ». Il ne lui a jamais été répondu non plus, contrairement à ce que prévoit le règlement de l’Assemblée.

 

Lundi 4 mai, François Hollande s'est rendu au Qatar pour signer la commande de 24 avions Rafale, d'un montant de 6,3 milliards d’euros – une commande évoquée depuis 2009. En contrepartie, le gouvernement français a accepté d'accorder à la Qatar Airways de nouveaux trafics aériens sur les aéroports de Lyon et de Nice, au détriment d’Air France. Dans ce contexte, le silence autour de la vente du Printemps va vraisemblablement être encore plus de mise. Il ne faut pas heurter ce si riche ami. On comprend en tout cas que la justice prenne son temps pour enquêter. Jusqu’à ce que le dossier soit totalement oublié ? Après tout, des centaines de millions de commissions, des soupçons de fraude fiscale, c'est tout de même bien moins grave que de voler une mobylette.

 
 
Boîte noire : Le parquet a fini par me recontacter ce jeudi 7 mai 2015, au lendemain de la publication de l'article. Il m'a indiqué qu'une procédure judiciaire pour abus de biens sociaux avait été ouverte le 27 mars. Le parquet n'a cependant pas voulu me donner le nom du juge d'instruction désigné.
 
 
 
 
 
 
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7 mai 2015 4 07 /05 /mai /2015 16:19

 

Source : http://www.reporterre.net

 

 

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« Tout va s’effondrer. Alors... préparons la suite »

7 mai 2015 / Entretien avec Pablo Servigne
 


 

 

Le pic pétrolier, le climat qui se dérègle, la biodiversité qui disparaît… Les scientifiques nous bombardent de nouvelles alarmistes, mais que faire ? Prenons-les enfin au sérieux, préconise Pablo Servigne, co-auteur de « Comment tout peut s’effondrer ». Mais pas de panique : même si le chemin n’est pas facile, il faut l’accepter, pour commencer à préparer le monde d’après.

 

Sur quels faits vous appuyez-vous pour affirmer que l’effondrement est possible ?

Nous avons rassemblé un faisceau de preuves qui viennent des publications scientifiques. Les plus évidentes sont liées au fait que notre civilisation est basée à la fois sur les énergies fossiles et sur le système-dette.

Le pic de pétrole conventionnel a eu lieu en 2006-2007, on est entrés dans la phase où l’on exploite le pétrole non conventionnel : sables bitumineux, gaz de schiste, pétroles de schiste, etc. Déjà, c’est un signe qui ne trompe pas.

Ensuite, il y a un siècle, on investissait un baril de pétrole et on en retirait cent. On avait quatre-vingt-dix-neuf barils de surplus, on nageait dans le pétrole. Un siècle après, ce taux de retour est descendu à dix ou vingt, et cette diminution s’accélère. Or, en-dessous d’un certain seuil, entre quinze et vingt, c’est dangereux pour une civilisation. Pour fonctionner, notre société a besoin de toujours plus d’énergie. Or il y en a toujours moins. Donc à un moment, il y a un effet ciseaux.

En même temps, pour fonctionner, notre société a besoin de toujours plus de croissance. Pendant les Trente glorieuses, les deux-tiers de notre croissance faramineuse venaient des énergies fossiles. Sans énergies fossiles il n’y a plus de croissance. Donc toutes les dettes ne seront jamais remboursées, et c’est tout notre système économique qui va s’effondrer comme un château de cartes.

 

Dans ce schéma, quelle place a la crise écologique ?

Dans notre livre, on prend la métaphore de la voiture. Il y a la question du réservoir d’essence : à un moment il sera vide. C’est ce que je viens d’expliquer. Et il y a un autre problème : la voiture va de plus en plus vite et sort de la route. La science s’est rendue compte que le climat s’est emballé, que la biodiversité s’effondre littéralement. On dépasse des seuils qu’il ne faudrait pas dépasser sous peine de déstabiliser les écosystèmes qui nous maintiennent en vie. La voiture risque de se prendre des arbres. Si on va au bout, certaines études montrent que l’on peut vraiment éliminer presque toute vie sur Terre. On en est à ce point là.

 

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Pablo Servigne

Donc la crise écologique est beaucoup plus grave que les crises économiques. Certaines civilisations anciennes se sont effondrées économiquement et politiquement. Quelques siècles après, ça renaît. Et puis il y a des civilisations qui se sont effondrées pour des cause écologiques. L’effondrement de l’environnement provoque l’effondrement de la civilisation. Là, en revanche, la civilisation ne repart pas parce que le milieu est épuisé, mort.

 

Parmi toutes ces catastrophes, quelle est celle qui risque de déclencher les autres ?

Ce qui est important, pour l’étincelle qui déclenchera les autres, c’est la rapidité. Et là, c’est le système financier qui est le plus fragile. Les effondrements financiers sont très rapides, même s’ils sont moins graves. Le problème, c’est qu’ils peuvent déclencher un effondrement économique, donc du commerce physique, qui peut déclencher un effondrement politique, et plus tard un effondrement des institutions sociales, de la foi en l’humanité, de la culture, etc.

 

On utilise plutôt les mots « crise » ou « catastrophe » : pourquoi avoir choisi de parler d’« effondrement » ?

On a quand même utilisé les mots catastrophe et crise. Catastrophe, on l’aime bien parce qu’il est provocateur. En fait nous sommes devenus catastrophistes. Cela ne veut pas dire qu’on souhaite les catastrophes ou qu’on arrête de lutter contre. Cela veut juste dire qu’on est lucides et qu’on les accepte.

Le mot crise, lui, ne convient pas parce qu’il sous-entend que l’on peut revenir à l’état de normalité qu’on avait avant la crise. Or ce n’est pas le cas. Donc parler de crise est un abus de langage, même si on l’a quand même un peu utilisé dans le livre.

Effondrement est un mot qui nous plaît bien parce qu’il est très large. Il permet d’être aussi bien du côté de la raison, de parler des rapports scientifiques, que de toucher l’imaginaire. Quand on parle d’effondrement, les gens voient Mel Gibson avec un fusil à pompe, ou des films de zombies. Mais il y a beaucoup d’autres choses qui peuvent émerger. Donc notre travail, c’est de donner chair à ce mot d’effondrement. D’arriver à décrire ce à quoi il pourrait correspondre dans notre société, pour la génération présente, en-dehors des mythes hollywoodiens.

 

Et cela permet aussi de se rendre compte que c’est un processus.

Oui. Dans notre imaginaire, on a la notion d’apocalypse. Du jour au lendemain, il n’y a plus rien et c’est la barbarie. En fait non. Quand on parle d’effondrement, on parle aussi bien d’une catastrophe financière qui arrive en quelques heures, que d’une catastrophe climatique qui arrive en quelques décennies voire en quelques siècles. Toutes les grandes civilisations qui se sont effondrées ont mis des dizaines voire des centaines d’années à le faire.

 

Si ça s’effondre, qu’est-ce qui s’effondre exactement ?

On a creusé cette question en partant de ce qui était vulnérable. Aujourd’hui dans nos sociétés, on a une économie, des lignes d’approvisionnement, un système financier, des structures de flux – tout ce qui est système alimentaire, système d’approvisionnement en eau, système médical. Tout cela est devenu extrêmement fragile parce que complexe, inter-connecté. Donc ce qui va s’effondrer, c’est tout ce qui dépend des énergies fossiles. Cela inclut les énergies renouvelables et le nucléaire, car pour les fabriquer, il faut des énergies fossiles. Quand on se rend compte que quasiment toute notre nourriture dépend du pétrole, qu’est-ce qu’on va manger ? Ce qui va s’effondrer est absolument gigantesque.

 

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Des maisons au Hameau des buis

Une autre manière de répondre est que plus un pays est riche et industrialisé, et hors sol, plus il va tomber de haut. Aux périphéries, cela va être beaucoup moins grave et il va y avoir des jeunes pousses qui vont pouvoir relancer une civilisation. Par exemple, pendant la crise des subprimes de 2008, il y a eu trente-cinq pays qui sont entrés en émeutes de la faim, juste à cause d’une fluctuation des matières premières. Au Mozambique, ils n’étaient pas connectés au système mondial économique, et ils n’ont pas subi cette crise.

 

Est-il possible d’éviter cet effondrement ?

Non, c’est un des grands messages du livre. L’éviter voudrait dire qu’on continue notre trajectoire de croissance. Or non seulement ce n’est plus possible (on l’a montré avec la fin des énergies fossiles), mais si on continue de croître, le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité provoqueront un effondrement de notre civilisation. L’autre voie pour éviter un effondrement serait de bâtir une économie qui n’ait pas besoin de croissance. Mais sans croissance, la civilisation industrielle actuelle s’effondre. Donc de tous les côtés, ça s’effondre. On est cernés.

La posture du livre est de l’accepter. Il y a un effondrement, d’accord, on respire. On apprend à gérer sa raison, à gérer ses émotions, à gérer son rapport avec les autres, avec l’avenir. J’ai dû renoncer à des rêves que j’avais pour moi, mais j’ai dû renoncer à des rêves que j’avais pour mes enfants. C’est très douloureux. Une piste de sortie, c’est que l’effondrement peut être vu comme une opportunité incroyable d’aller vers quelque chose qu’on peut commencer à construire dès maintenant.

 

Est-ce qu’on le saura, quand l’effondrement arrivera ?

Vous connaissez la fable de la grenouille ? Quand on met une grenouille dans l’eau bouillante, elle saute. Quand on la met dans l’eau froide et qu’on fait peu à peu monter la température, elle reste jusqu’à en mourir parce qu’elle ne se rend pas compte que l’eau devient bouillante… Notre intuition est que peut-être, en Grèce, en Espagne, en Syrie, l’effondrement a déjà commencé. Nous, on n’est pas encore touchés parce qu’on est riches.

 

Comment êtes-vous arrivé à concentrer vos recherches sur l’effondrement ?

Un spécialiste du pic pétrolier, dans un colloque, a un jour parlé de ce qu’il appelle des « Oh my God points » [des points « oh mon Dieu » - NDLR]. Ce n’est pas un choc de la tête, c’est un choc du ventre et du cœur et après, plus rien n’est pareil.

Mon premier, c’était le pic pétrolier. J’ai vu un documentaire sur comment Cuba a survécu au pic pétrolier, et ça m’a tellement bouleversé que j’y suis allé pendant deux mois. Un autre grand « Oh my god point » est ma rencontre avec Dennis Meadows, le co-auteur du rapport du club de Rome [Rapport sur les limites de la croissance, 1972 - NDLR]. Son message est clair : il est trop tard pour le développement durable, il faut se préparer au choc, et construire des petits systèmes résilients parce que l’effondrement est là. Cela fait quarante ans qu’il dit cela, personne ne l’écoute. Le rapport prévoit un effondrement pour le début du 21e siècle et c’est ce qu’on est en train de vivre.

 

 

Pourtant, la grande majorité des gens ne voient pas l’effondrement.

Ils sont dans le déni, parce que c’est trop violent.

Après plein de gens savent. C’est le grand problème de notre époque : on sait mais on ne croit pas. Les mythes sont toujours plus forts que les faits. Notre mythe, c’est la croissance infinie, la techno-science qui domine la nature. Si on trouve un fait qui ne colle pas avec ces mythes, on le déforme pour le faire rentrer. On dit qu’on trouvera de nouvelles énergies, par exemple.

C’est pour cela qu’avec ce livre on est sur le terrain de l’imaginaire, qui est beaucoup plus fort que les faits, et structure la manière de donner sens au monde. On dit que l’utopie a changé de sens : les utopistes sont aujourd’hui ceux qui croient qu’on peut encore continuer comme avant.

Accepter l’effondrement, c’est comme accepter la mort d’un proche. Il faut dépasser les phases du deuil : le déni, le marchandage, la colère, la tristesse et l’acceptation. Beaucoup de gens sont encore dans le déni, mais il y en a aussi dans la tristesse, dans la colère. Et il y en a qui sont dans la joie, parce qu’ils sont déjà dans l’acceptation.

 

A la fin de l’année se déroulera une grande conférence sur le climat à Paris. N’est-ce pas la preuve que nos élites politiques ne nient plus l’effondrement et cherchent des solutions ?

Non, je pense que les politiques n’y croient pas. C’est bien que des gens se mettent autour de la table pour parler de climat, cela a au moins une vertu pédagogique. Mais parler de solutions, c’est tordu. Cela laisse la porte ouverte à tous les techno-béats qui sont là à trépigner avec la géo-ingénierie. Et cela empêche de se rendre compte que le changement climatique, même si tout s’arrête d’un coup, c’est déjà trop tard, il s’est emballé.

Mais on peut limiter les dégâts, c’est pour cela que c’est bien de mener des négociations. Et surtout on doit le faire parce qu’aujourd’hui, il n’y a aucun grand conflit international. C’est le moment idéal pour des négociations.

 

Que peut-on faire d’autre au niveau politique pour faire face à l’effondrement ?

On est dans des paradoxes, car si quelqu’un au niveau politique commence à parler d’effondrement cela va créer une panique des marchés financiers, qui va provoquer l’auto-réalisation de l’effondrement. Il va provoquer ce qu’il voulait éviter.

En revanche, on peut agir au niveau micro-politique. Avec l’effondrement, les macro-structures vont souffrir. On va retourner à des sociétés beaucoup plus locales. Le mouvement de la transition est en train de redonner du pouvoir aux gens au niveau municipal. C’est cette échelle qui permet de passer à l’action rapidement.

 

Vous dites que pour décrire l’effondrement, les faits scientifiques ne suffisent pas. Il faut aussi avoir l’intuition qu’il arrive. Ceux qui portent des alternatives sont-ils ceux qui ont cette intuition ?

Pour beaucoup, oui. Il y a des millions d’individus dans le monde qui sont déjà dans le monde post-pétrole, post-effondrement : le monde d’après.

Le problème est que si on n’a pas encore mis les lunettes de la transition, on ne voit pas ces initiatives...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : http://www.reporterre.net

 

 

 

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6 mai 2015 3 06 /05 /mai /2015 15:11

 

Source : http://www.marianne.net

 

Alain Minc à la Grèce : "Au nom du respect de votre souveraineté, on doit vous imposer une administration fiscale"

Magazine Marianne
 
 
On le sait, Alain Minc a réponse à tout. Et celle qu'il formule pour la Grèce est... originale. "Au nom d’un respect formel de sa souveraineté", a-t-il expliqué sur France inter, on doit dire à la Grèce : "On vous aide, on allège peut-être même la dette, mais on vous impose une administration fiscale". Curieuse conception de la "souveraineté"...
 
Alain Minc - BALTEL/SIPA

L’auditeur, peut-être encore un peu retenu par les bras de Morphée, a bien failli s’étouffer ce matin en écoutant la matinale de France inter. Il était presque 9h00, l’émission était presque finie et Alain Minc avait déjà mutliplié les perles à faire pâlir d'envie un ostréiculteur du Bassin d'Arcachon. Mais voilà que le jockey qui murmurait à l'oreille du cheval Sarkozy nous livre une fulgurance dont il a le secret.

« Quel est le problème grec ? » entame ainsi « l’expert » avec cette pédanterie à laquelle il nous a habitué. « Le problème grec, c’est un problème fiscal » juge-t-il en effet. Certes, l'impôt a souvent fait défaut et il ne faut surtout pas le nier. Mais dire que c'est « le problème » aujourd'hui, c'est en oublier un autre, et de taille : l'austérité folle qui étouffe la population du pays depuis que la Troika (UE, BCE, FMI) y a posé ses griffes ses mallettes noires. C'est ignorer aussi la baisse des salaires, des pensions, des retraites, des crédits alloués aux services publics, la progression du chômage, notamment du chômage des jeunes, la hausse inquiétante du taux de suicide, de la pauvreté, les privatisations sauvages...

Mais après tout, admettons. Et laissons une chance à « Alain-la-fulgurance-Minc » de poursuivre : « Le vrai débat avec la Grèce au nom d’un respect formel de sa souveraineté » (notez bien l'expression « respect formel de sa souveraineté »), c’est de dire à ses habitants : « On vous aide, on allège peut-être même la dette, mais on vous impose une administration fiscale. » Bref, « au nom d’un respect formel de sa souveraineté », on retire à la Grèce sa souveraineté fiscale. Voilà qui est cohérent pour un Minc qui explique que « nous avons une grande expertise dont nous pouvons faire bénéficier la Grèce » et que oui « Excusez-moi (excusez-le), on a mis, dans d’autres temps dans l’histoire, des pays sous mandat, ça existait... »  

« Une logique » que nous devrions par conséquent appliquer à la Grèce à laquelle Alain Minc tend (croit-il) la main : « On allège votre dette mais l’Union européenne prend en main votre système de prélèvement fiscal. » Une sollicitude à l'égard de la Grèce... presque allemande ! D'ailleurs, pour Minc, Hollande a fort bien compris « qu’il fallait revenir dans le lit conjugal avec Madame Merkel. » Pas de doute qu'on saura qui aller chercher pour leur tenir la chandelle...

 

 

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

 

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