« Vous fumez ? » La question tombe, impromptue, sur la petite salle qui planche sur les contrats de performance énergétique, à l’étage du palais des congrès de Bordeaux, lors des Assises de l’énergie, en janvier 2015. C’est Pauline Mispoulet, présidente du Gesec, un groupement d’intérêt économique qui réunit des PME spécialisées dans les services énergétiques. Elle poursuit : « Si je vous dis qu’un fabricant de tabac a très envie de vous faire arrêter, qu’est-ce que vous dites ? » Quelques secondes de silence, suivies de sourires et de rires. « Eh bien, dans l’énergie, on a dit que les producteurs étaient vraiment les mieux placés pour vous faire faire des économies d’énergie. Et tout le monde l’a cru. » Pour l’oratrice, c’est un « conflit d’intérêts génétique ».
Un conflit d’intérêts généralisé menace la politique française de lutte contre le changement climatique. Personne n’en discute et beaucoup d’acteurs l’ignorent : EDF et Engie, ex-GDF-Suez, les plus gros producteurs et fournisseurs d’énergie, sont aussi devenus les principaux maîtres d’œuvres des économies d’énergie dans les bâtiments. Or logements, bureaux, hôpitaux et locaux commerciaux constituent le secteur économique le plus énergivore. Ils consomment près de la moitié de toute la demande finale d’énergie du pays et émettent le quart de toutes nos émissions de gaz à effet de serre. C’est notre principal canal de dérèglement du climat.
Depuis 2009, des objectifs très ambitieux ont été votés pour réduire la consommation d’énergie et les rejets de CO2 des bâtiments résidentiels et tertiaires. Mais dans les faits, ils sont souvent contredits par la façon dont ils sont mis en œuvre : contrats d’entretien de chauffage sans objectif d’économie d’énergie, marchés associant la fourniture de chaleur à la maintenance des appareils, appels d’offres parfois attribués sans concurrence, bureaux d’études à la fois juges et parties, opacité généralisée et omerta de règle.
Janvier 2015. Une fois passés les comptoirs d’hôtesses en uniforme, des nuées de costumes, de tailleurs et de petites valises à roulettes tournent et virevoltent dans les travées du palais des congrès de Bordeaux. Ce sont les 16e Assises de l’énergie des collectivités territoriales, un rendez-vous qui compte car pendant trois jours, les directeurs de services et référents énergie des collectivités locales y retrouvent leurs fournisseurs en électricité, gaz et réseau de chaleur. C’est le moment idéal pour dévoiler un contrat avec une agglomération, une nouvelle offre destinée à la clientèle institutionnelle ou faire visiter un chantier de rénovation thermique. Un pur moment d’activation de réseaux et de lobbying. EDF y dispose d’un stand majestueux. Il n’est pas venu seul : ERDF, sa filiale de distribution, en loue un autre juste en face, équipé d’une micro salle de conférence. RTE, sa filiale transport aussi. Ainsi que Dalkia, sa filiale à 100 %, pour ses activités, en France, de services énergétiques. EDF collectivités sponsorise une conférence sur la précarité énergétique, tandis qu’ERDF soutient le « carrefour des métiers ». Côté gaz, GDF a lui aussi sorti son gros stand, tout comme GRDF, sa filiale de distribution. Le groupe est « partenaire » d’une rencontre sur l’innovation et la transition énergétique.
Bruno Léchevin, président de l'Ademe, aux Assises de l'énergie 2015. (DR)
À l’entrée, chaque participant reçoit son guide, avec la liste des plénières, ateliers et forums. « T’as pris ton livre de messe ? Y a tous les cantiques », se moque la responsable d’une PME de services énergétiques. La liturgie, c’est la transition énergétique qui donne son nom au cru 2015 des Assises : « Tous concernés, faisons-la ensemble » ! Le mot est sur toutes les lèvres. Il clignote dans le mot de bienvenue du maire, Alain Juppé, dans les piles de rapports déposés chez les exposants, dans les communiqués de presse. Pourtant, qui dit transition vers un système plus écologique, pense réduction de la consommation d’énergie, donc perte de parts de marché pour les fournisseurs de courant électrique et de gaz. Alors pourquoi un tel adoubement ?
La réponse jaillit de l’analyse du marché des services énergétiques. Elle est renversante : EDF et GDF Suez, fournisseurs historiques d’énergie en France, et toujours de très loin les champions nationaux de l’offre, sont à tous les deux les premiers bénéficiaires des marchés de l’efficacité énergétique pour le bâti. Autrement dit, les principaux maîtres d’œuvre de la baisse de la demande. Ils occupent les deux extrémités de la chaîne, en pleine schizophrénie au regard de leurs stratégies commerciales actuelles.
Récente, la notion de services énergétiques désigne les activités conçues pour améliorer l’efficacité énergétique, c’est-à-dire la capacité à consommer le moins possible. Les acteurs sont nombreux, les actions diffuses et souvent couplées à d’autres opérations. Pour le bâtiment, il existe deux grands modes d’intervention : la rénovation des édifices (isolation, combles, fenêtres…), terrain de prédilection des groupes de BTP, et l’amélioration de l’exploitation de leur mode de chauffage. Mais en l’absence d’obligation d’économie d’énergie, chaque bailleur social, chaque collectivité, chaque hôpital organise comme il lui sied son approvisionnement en chaleur. Si bien qu’il est difficile de dresser un tableau synthétique du marché tant les contrats varient, en durée et en objet. Pour y parvenir, il faut recomposer un puzzle aux pièces éparses.
Selon une étude qu’ont menée des professionnels du secteur sur une centaine d'appels d’offres publics, entre 2012 et 2014, portant sur les marchés de services énergétiques, EDF et Engie, ex GDF-Suez, remportent 78 % des contrats. Ils concernent des collèges, piscines, bâtiments communaux, HLM, maisons de retraite… Même si cette liste n’est pas exhaustive, ils représentent une grosse majorité du marché, et offrent ainsi une bonne indication de sa structure et des effets de la commande publique. Les deux énergéticiens ne se présentent pas en leur nom propre, mais par l’intermédiaire de leurs filiales : Dalkia pour l’électricien, racheté à 100 % pour ses activités en France en 2014 et Cofely, Ineo et Ciec pour le gazier.
Jeu trouble
À la suite de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, les anciens monopoles publics, EDF et GDF, ont adopté une stratégie de concentration verticale de la filière. Après sa fusion avec Suez en 2008, GDF a regroupé sous l’entité Cofely toute une série de PME spécialisées (Elyo, Ineo, Cofatech, Axima, Seitha, Savelys), racheté des acteurs de renouvelables (Clipsol, Panosol, Compagnie du vent), gobé Energia, spécialisée en services aux particuliers. De son côté, EDF, partenaire historique de toutes les collectivités territoriales, a racheté les activités françaises de Dalkia et repris SIIF Énergies, devenu EDF Énergies Nouvelles.
Parallèlement, agglomération, départements et régions ont sorti des appels d’offre de plus en massifs. En 2009, la région Alsace signe un contrat de performance énergétique de 64,6 millions d’euros pour 14 lycées sur 20 ans. En 2013, la région Midi-Pyrénées ouvre un marché de 200 millions d’euros pour les lycées sur dix ans. Jusqu’ici, les contrats d’exploitation de chauffage étaient signés site par site, pour une moyenne de 10 000 à 200 000 euros annuels. Même si ces nouveaux marchés sont divisés en lots, ils sont hors de portée de la plupart des PME.
Et si l’on se concentre sur les seuls réseaux de chaleur, un système de distribution centralisée à partir de gaz, géothermie, biomasse, récupération de chaleur d’incinérateurs…, le tableau est massivement déséquilibré en faveur de Dalkia, comme l’indique le graphique ci-dessous. Les lattes bleues de la filiale d’EDF, et dans une moindre mesure, les bandes rouges de Cofely, apparaissent très clairement majoritaires. C’est logique, puisqu’ils sont les délégataires historiques de ces réseaux.
Dalkia refuse de communiquer son pourcentage de parts de marché pour les services énergétiques. « C’est très compliqué, chacun a développé son métier différemment », répond Jean-Michel Mazalérat, son PDG. C’est l’ancien directeur adjoint de Dalkia, mais il a effectué l’essentiel de sa carrière chez EDF. Il conteste le conflit d'intérêts énergétique : « Non, car nous ne sommes pas sur la même énergie. Nous faisons très peu de contrats sur l’électricité. » EDF produit en effet du courant électrique, alors que Dalkia vend de la chaleur.
Mais en réalité, c’est un conflit d’intérêts à double niveau. D’abord, Dalkia se trouve lui-même pris par des injonctions économiques contradictoires. Il règne sur les réseaux de chaleur et est en même temps bénéficiaire de contrats d’économie d’énergie, activité qu’il souhaite développer. Peut-on vendre tout et son contraire dans un même contrat ? C’est le grand écart permanent. Mediapart en a découvert plusieurs exemples, détaillés ci-dessous.
Mais le problème est aussi plus indirect, et plus politique. Les visées commerciales d’EDF sur le secteur des économies d’énergie s’opposent au lobbying politique récurent du groupe contre la politique de réduction de la demande. Sous la présidence d’Henri Proglio, EDF n’a cessé de combattre l’idée qu’il fallait diminuer les consommations d’énergie. Quand l’année dernière, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) annonce prévoir une baisse très importante de l’utilisation de l’électricité dans les logements, le tertiaire et l’industrie d’ici 2030, l’électricien continue de tabler sur une hausse de 1 % chaque année. Pendant le débat national sur l’énergie, en 2013, quand GRDF, la filiale de distribution du gazier, propose un scénario prévoyant une chute d’un tiers de la consommation d’énergie primaire d’ici 2050, EDF monte au créneau pour l’écarter (retrouver ici notre article à ce sujet).
Quant à Engie, son PDG Gérard Mestrallet s’illustre par ses attaques répétées contre les renouvelables (tout en étant très présent dans ce secteur), comme dans cet entretien au Monde, où il explique que privilégier l’éolien et le solaire abîme la compétitivité européenne, et surtout, insiste sur l’importance de construire de nouveaux moyens de production.
Le grand public n’a pas saisi la portée concrète de la lutte contre le dérèglement climatique. La France s’est fixée pour but de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Les consommations énergétiques des bâtiments doivent baisser de 38 % d’ici 2020. Cela requiert un effort colossal, un changement drastique d’organisation de l’économie. La réalité est tout autre. La consommation énergétique du secteur résidentiel était en hausse de 0,6 % en 2011 (selon les derniers chiffres exhaustifs disponibles), et progressait de 1,6 % dans le tertiaire. Depuis, la demande d’électricité stagne, et celle de gaz baisse, d’après des estimations provisoires.
Pour essayer de mettre en œuvre ces objectifs, et cesser de vider de son sens la politique climatique, il faut un changement de braquet du secteur. Les acteurs de la maîtrise de l’énergie auront besoin de mobiliser toutes les ressources économiques et toute l’ingéniosité professionnelle disponibles. Anciens monopoles publics, EDF et Engie possèdent une légitimité inégalée et des liens anciens avec les collectivités territoriales. Mais leur culture professionnelle est encore entièrement tournée vers la production et la fourniture d’électricité et de gaz, alors que pour transformer les bâtiments en sites d’économie d’énergie, il faudrait être obsédé par la baisse de la demande. Se positionner sur les services énergétiques pourrait être un moyen pour les fournisseurs de s’adapter aux enjeux de la transition vers un modèle moins destructeur du système climatique, en faisant évoluer leurs métiers. Mais dans les faits, le jeu qu’ils mènent est trouble.
« Celui qui fournit l’énergie ne peut pas être celui qui entretient les chaudières »
Ségolène Royal à côté de Ban Ki Moon, dans la manif géante pour le climat de New Yok, septembre 2014 (DR).
En septembre 2013, la ville d’Annemasse (Haute-Savoie) signe avec SPIE, pour six bâtiments, un contrat de performance énergétique (CPE), qui oblige le prestataire à réaliser des économies d’énergie. Mais c’est ce qui s’est passé juste avant qui retient l’attention : en réponse à l’appel d’offres, Dalkia refuse de s’engager à la réduire de 23 %, comme le demande la commune, et Cofely propose de ne baisser la consommation de chaleur que de 11 %. Au final, SPIE signe pour 25 %. Résultat ? « On a baissé de 30 %. Nous sommes satisfaits », explique Philippe Pelissier, le directeur énergie de la ville. Le contrat ne concernait pas la fourniture d’énergie.
À Lille, en 2008, deux marchés de chauffage ont été signés pour huit ans avec Dalkia et Cofely, pour les bâtiments municipaux. Sur ses bâtiments en chaufferie gaz autonome, Dalkia a diminué la demande de 12 à 15,3 % alors que sur les lots connectés au réseau de chaleur qu’il opère, et dont il fournit l’énergie, la baisse n’a été que de 6,5 %. Pour Stéphane Baly, conseiller municipal EELV, « il y a un conflit d’intérêts entre la fourniture de chaleur par le réseau et la fonction de services. Il est clair que le fournisseur d’énergie ne va pas se tirer une balle dans le pied ».
De son côté, la région Île-de-France a décidé de récupérer la gestion du marché du chauffage de ses 470 lycées afin de les piloter elle-même et d’obtenir de meilleurs contrats. Pour Corinne Bord, vice-présidente de la région, « celui qui fournit l’énergie ne peut pas être celui qui entretient les chaudières. Ce sont des logiques économiques qui ne sont pas compatibles. On récompense l’un pour qu’il consomme moins que l’autre. C’est une décision de bonne gestion ». Pour réaliser des économies d’énergie, « il faut que les chaudières soient réglées au millimètre et que les gens soient payés sur les économies d’énergie, et que ceux qui sont chargés de l’entretien des chaudières soient correctement rémunérés ». Le conseil régional a donc lancé un marché sur le chauffage de 8 lots de 50 lycées, en distinguant la fourniture de l’entretien des équipements. Il porte sur l’exploitation, l’entretien, le renouvellement de matériel et est assorti d’obligations de résultats. Cinq lots ont été attribués à des PME. « Les grands groupes ont parfois été écartés car leur offre était qualitativement moins bonne. C’est la preuve que les PME ont toutes les qualités requises pour répondre à de telles consultations », explique l’élue francilienne.
Lors de la seconde consultation visant à attribuer les deux derniers lots des lycées parisiens, des représentants de Cofely ont souhaité la rencontrer. Le rendez-vous a eu lieu. « Je n’avais pas en tête le calendrier des commissions d’attribution. Quand j’ai vu les dates, je me suis dit qu’ils ne manquaient pas d’air. » Au départ, « la négociation avec les gestionnaires fut difficile, d’une part, parce qu’ils ne choisissaient plus leur prestataire et d’autre part, parce que la structuration de leur rémunération de comptable est assise sur le montant des factures acquittées par les établissements. Mais aujourd’hui, tout le monde admet que cela fonctionne bien », décrit Corinne Bord.
Robert Gregori, ancien responsable du service Energie de Montreuil (93), a participé à l’élaboration du cahier des charges de ces contrats pour la région. L’objectif était de remettre la technique et les prestations de qualité au centre de l’exploitation des chauffages. Résultat : -20 % d’économies d’énergie dès la première année. « Obtenir -30 voire -40 % après renouvellement du matériel en chaufferie » devient possible sans trop d’investissements, et bien avant la fin du marché (sur neuf ans), selon lui.
Aujourd’hui en charge de l’éclairage public à Aurillac (Cantal), il considère que le combat est exactement le même vis-à-vis des fournisseurs d’énergie et des prestataires : « Quand on est vendeur d’énergie, faire croire que l’on va vous aider à en économiser est tout simplement malhonnête intellectuellement. Les économies d’énergies ne représentent rien par rapport à leur chiffre d’affaires. Pour les fournisseurs d’énergie, l’argument des économies ne sert qu’à maintenir captif le client final qu’est la collectivité. » L’éclairage public représente près de la moitié des dépenses d’électricité d’une collectivité. Robert Gregori vise à les diviser par deux dans sa ville : « Cela contribue à assainir les finances d’une ville et surtout à arrêter l’hémorragie sur les budgets de fonctionnement. »
Les marges des prestataires sont une véritable boîte noire. « C’est opaque. Personne ne maîtrise ce qui se passe. Tout le monde gobe le discours des prestataires », témoigne un responsable d’achat de gaz en collectivité. Dans les contrats de fourniture de gaz ou de chaleur, souvent sur des très gros montants, « tu n’as même pas de droit de regard sur les contrats ». C’est sur la fourniture d’énergie que les prestataires réalisent la plus grande part de leurs marges. Sans surprise, ils poussent donc pour que les contrats d’exploitation de chauffage comportent la fourniture de combustibles.
Le marché des services énergétiques représente 12 milliards d'euros. Mais les activités de maîtrise de l’énergie à proprement parler (si l’on retire l’exploitation, la maintenance et la fourniture) en représentent moins de 7 %. Et quand on regarde le détail de ces contrats, leur ambition est parfois très faible : moins 6 % de dépenses énergétiques prévues à Valence, moins 12 % à Chassieu, moins 14 % à Saint-Priest, moins 15 % à Toulouse (tous ces marchés ont été remportés par Dalkia). C’est, au mieux, moins de la moitié de l’objectif officiel de baisse de 40 % de la consommation des bâtiments.
« Ne serait-ce qu’en réglant correctement une chaufferie et son réseau, en effectuant une maintenance correcte, en sensibilisant un peu les acteurs, on peut gagner facilement 10 à 15 % sans aucun investissement, selon Pauline Mispoulet, présidente du Gesec, un groupement de PME spécialisées. Un degré de moins chez soi représente déjà 7 % d’économie. » Elle s’en explique en détail dans un livre appelant à une vraie transition énergétique, en reconnaissant le rôle des PME, Energie et Prospérité - Les entrepreneurs au cœur de la transition (Les Petits matins), préfacé par l’économiste Gaël Giraud (co-écrit avec Raphaële Yon-Araud).
Si l’on reprend l’étude empirique qu’ont menée des professionnels du secteur sur une centaine d' appels d’offres publics entre 2010 et 2014 portant sur les marchés de services énergétiques, un quart des marchés ont été attribués sans concurrence : une seule entreprise a répondu à l’appel d’offre. À Avignon, un marché sur les bâtiments communaux a été conçu par un bureau d’études qui est aussi une filiale d’EDF. Dalkia en a remporté une bonne partie. Ailleurs, lors d’un marché auquel seuls Dalkia et Cofely avaient répondu, l’un des commerciaux en charge de l’appel d’offres lui a confié que les concurrents s’étaient entendus sur les prix. Dalkia et Cofely sont de loin les premiers clients de GDF. Leurs activités sont intrinsèquement liées.
Pour Stéphane Baly, conseiller municipal EELV à Lille : « Il faut impérativement que les collectivités se donnent les moyens de surveiller la bonne exécution de ces marchés et ce avec des moyens à la hauteur des enjeux financiers. C’est très exigeant pour les services des collectivités alors que leurs dotations budgétaires baissent et qu’il n’y a pas assez de monde pour effectuer ce travail. » Selon l’élu, « le conflit d’intérêts est renforcé par le manque de surveillance ».
Pour les responsables des services énergie, la tâche est rude. « Il faut être un très bon technicien, un bon financier et un bon communicant : il faut vendre sa sauce à sa hiérarchie, et c’est très difficile car la direction des services en général ne veut pas de vagues et se montre peu réceptive à l’innovation », décrit Robert Gregori. Surtout que « derrière, les élus sont souvent approchés par les commerciaux des grands groupes, EDF, GDF, Cofely, qui les invitent à des séminaires, des voyages… Vous avez beau batailler, vous n’êtes pas entendu et vous passez pour le vilain petit canard ». Le travail des fonctionnaires municipaux techniciens est peu valorisé. Or tout est dans le pilotage des appareils, explique-t-il : « Ne serait-ce que bien gérer les périodes d’inoccupation, vous faîtes des progrès monstrueux. Quand vous voyez des établissements scolaires vides pendant les vacances de Noël maintenus à 23° 24 heures sur 24… »
Pour la Coalition France pour l’efficacité énergétique (CFEE), qui regroupe des entreprises, des associations, des copropriétaires et des consommateurs, il est urgent de séparer la fourniture d’énergie de la prestation d’efficacité énergétique. C’est l’une de ses propositions phares pour mettre en œuvre la rénovation thermique dans le bâtiment. Elle souhaite que les contrats de performance énergétique ne puissent pas comporter de vente d’énergie non renouvelable. Ces professionnels de la maîtrise de l’énergie considèrent que « les cadres législatif, juridique et réglementaire français n’ont globalement pas évolué depuis le dernier choc pétrolier » et restent orientés vers le développement de l’offre.
À ce jour, leur demande est restée lettre morte. La loi de transition énergétique de Ségolène Royal, en cours de vote au Parlement, n’aborde même pas le sujet. Plus grave, la question cruciale de la mise en œuvre des objectifs climatiques de la France n’est jamais abordée par les figures politiques de premier plan. Cette cécité est catastrophique : à quoi cela sert-il de promettre de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre si personne ne vérifie si l’on essaie de le respecter ? Les chaudières, réseaux de chaleur et chaufferies d’hôpitaux n’intéressent personne alors qu’elles sont un lieu d’action contre le dérèglement du climat bien plus important que les estrades des forums estampillés « Cop 21 », du nom du sommet international qui se tiendra à Paris en décembre. Il n’y aura pourtant pas d’avancée réelle pour le climat sans ouvrir les portes des chaufferies et plonger les mains dans le cambouis.
Source : http://www.mediapart.fr