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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 17:19

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Grand projets inutiles

L’Europe accorde 800 millions d’euros au projet Lyon-Turin malgré les suspicions de fraude

par

 

 

La Commission européenne l’a annoncé ce mardi 29 juin. Elle compte verser 813 millions d’euros de subventions à la France pour le Lyon-Turin, ce grand projet de nouvelle ligne ferroviaire qui doit relier Paris et Milan en quatre heures en passant sous les Alpes via un tunnel – à creuser – de 57 kilomètres.

Entre les conséquences écologiques, les conflits d’intérêts (Voir notre article et le cas révélé par Politis en févier), les soupçons de fraudes, d’implication de la mafia, l’explosion des coûts et la répression des opposants au projet, le Lyon-Turin fait rarement parler de lui en bien.

Dans ce climat, l’annonce de la subvention conséquente de la Commission européenne pourrait apparaître comme une bonne nouvelle pour Tunnel Euralpin Lyon Turin, le promoteur public chargé du projet [1]. Pourtant, le montant promis par la Commission est en fait bien en deçà de ce que Paris avait demandé à Bruxelles. La France réclamait 1,28 milliard d’euros de subventions européennes pour sa part des dépenses sur la période 2014-2020, sur un montant prévisionnel évalué à 3,06 milliards d’euros [2]. La somme est donc loin de ce qui était attendu.

Deux fois le déficit de la sécurité sociale

Le coût global du projet n’est de toute façon pas encore fixé. Le montant avancé est de 8,5 milliards d’euros. Un chiffre largement « sous-évalué », selon Daniel Ibanez, de la Coordination des opposants au projet Lyon-Turin. Dans une évaluation de 2012, la Cour des comptes tablait en effet plutôt sur 26 milliards d’euros, soit plus de trois fois plus.

Pour un projet qui pourrait donc engloutir deux fois le déficit de la Sécurité sociale, la nouvelle subvention européenne fait pâle figure. « Ces 813 millions, ce n’est qu’une opération de communication pour tenter de rendre le projet irréversible, malgré l’indisponibilité du financement et les conflits d’intérêts », juge Daniel Ibanez.

Par ailleurs, la Commission européenne promet cette somme alors même que le projet fait l’objet d’une enquête de l’Office européen de lutte contre la fraude, l’Olaf. L’organisme a lancé une investigation en février suite à sa saisie par deux députées européennes d’EELV, Michèle Rivasi et Karima Delli. Elles avaient transmis à l’Olaf les documents réunis par les opposants au projet. Au 30 juin 2015, l’enquête était toujours en cours.

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1 juillet 2015 3 01 /07 /juillet /2015 12:48

 

Source : http://www.bastamag.net

 

Géopolitique

Ces pays vendeurs d’armes qui profitent bien de l’instabilité du monde et du regain des tensions

par , Rachel Knaebel

 

 

 

Les exportations d’armes tricolores se portent au mieux. La France est le cinquième pays vendeur d’armes au monde et l’un des principaux fournisseurs des émirats et dictatures du Moyen-Orient. Un état de fait qui suscite à peine le débat, alors que le Parlement est censé contrôler le respect d’un minimum de critères encadrant ces exportations sensibles. Pire, le gouvernement français se féliciterait presque du regain des « tensions internationales », qui dynamise le complexe militaro-industriel. La France n’est pas une exception en Europe où plusieurs fabricants d’armes sont sous le feu des critiques, comme en Allemagne qui, malgré l’austérité, a allègrement vendu ses équipements à la Grèce. Un premier Traité international sur le commerce des armes doit cependant entrer en vigueur sous l’égide de l’Onu. Enquête et cartes interactives.

Un secteur ne connaît pas la crise : celui des exportations d’armes de guerre. Avec plus de huit milliards d’euros de commandes en 2014, l’industrie française de l’armement a réalisé l’année dernière le résultat « le meilleur jamais enregistré », se félicite le gouvernement [1].

Blindés, missiles, frégates, avions et hélicoptères de combat de fabrication tricolore se vendent bien et un peu partout : en Europe, en Asie, dans les pays du Golfe, et quelle que soit la nature des régimes en place. La France a ainsi livré missiles et frégates au Maroc, des blindés, canons d’artillerie et missiles à l’Indonésie, à l’Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis… Elle a aussi signé des contrats pour des blindés au Gabon et des avions de combat, les Rafale de Dassault, à l’Égypte et au Qatar. Sans oublier un contrat à plus de deux milliards d’euros pour livrer divers équipements au Liban. Le tout financé par l’Arabie Saoudite.

Merci les Saoudiens !

L’Arabie Saoudite est le plus gros client des fabricants d’armes français en terme de volume financier des contrats. À lui seul, le royaume saoudien a passé plus de 3 milliards d’euros de commandes en 2014. C’est aussi le deuxième plus gros importateur d’armements au monde [2]. Rappelons que depuis le printemps, le royaume saoudien mène une intervention militaire au Yémen, pour soutenir le président en exil et contrer la rébellion houthiste. Le Yémen n’est pas l’Ukraine. Si la livraison des porte-hélicoptères Mistral à la Russie a été annulée pour cause d’interventionnisme russe contre Kiev, pas question de s’interroger en France sur ce qui se passe à la pointe de la péninsule arabique.


Infographie interactive : Qui sont les 10 premiers pays vendeurs d’armes et les 10 pays qui en achètent le plus ? En cliquant sur « exportateurs », vous aurez la réponse à la première question. La France, par exemple, est en 5ème position, derrière les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Allemagne. En passant votre souris sur l’icône, le montant des exportations s’affiche : la France a exporté 7,3 milliards de matériel militaire sur la période 2010-2014. En cliquant sur l’icône, vous visualiserez ses plus gros clients sur la période : Maroc, Chine et Émirats Arabes Unis. Notez que la Grèce a été l’un des principaux clients de l’Allemagne, qui lui a imposé l’austérité... Pour savoir qui sont les plus gros importateurs d’armement et leurs trois principaux fournisseurs, faites de même en cliquant sur « les importateurs ».

En Allemagne, quatrième exportateur d’armes au monde et l’un des cinq principaux fournisseurs de l’Arabie Saoudite, les Verts et le parti de gauche Die Linke n’ont pourtant pas tardé à s’interroger : des armes allemandes sont-elles impliquées dans l’intervention au Yémen ? « L’aviation militaire saoudienne est équipée d’avions de combat de type Tornado et Eurofighter qui ont été livrés par le Royaume Uni mais contiennent des composantes venues d’Allemagne », souligne le député Die Linke Jan van Aken dans une question posée à son gouvernement le mois dernier. Et de poursuivre : « L’aviation militaire saoudienne reçoit directement d’Allemagne des missiles Iris. Le fusils d’assaut G36 du fabricant allemand Heckler & Koch est aussi produit dans le royaume. » Le député a demandé au gouvernement allemand si les exports avaient continué depuis le début de l’intervention militaire saoudienne au Yémen. La réponse est claire : oui. En avril 2015, Berlin a autorisé la vente à l’Arabie Saoudite de diverses composantes d’équipements militaires, pour un montant de plus de 12 millions d’euros.

Vive l’instabilité génératrice d’exportations d’armes !

L’inquiétude de l’opposition allemande est légitimée par les alertes lancée par Amnesty International sur les nombreuses victimes civiles du conflit, touchées à la fois par des tirs de la coalition menée par l’Arabie Saoudite et par ceux des insurgés houthistes. « Jusqu’ici, les deux côtés ont manifesté une indifférence effrayante face aux effets létaux de leurs actions sur les civils », signale l’ONG. Les exportations d’armes allemandes vers les pays du Golfe font débat depuis déjà plusieurs années outre-Rhin. Le ministre de l’économie Sigmar Gabriel avait d’ailleurs freiné la vente de centaines de chars allemands au royaume saoudien l’année dernière. Rien de tel n’est à attendre de Paris.

« Les tensions internationales poussent de nombreux États à renforcer leurs capacités militaires, en particulier dans les zones les plus instables (Moyen-Orient) ou les espaces sur lesquels la souveraineté est disputée (mer de Chine), et des contrats importants ont été conclus en 2014. Dans cet environnement incertain, la France est parvenue à augmenter de façon très nette ses exportations de défense », se félicite le gouvernement dans son dernier rapport au Parlement sur les exports d’armes, rendu public le 2 juin. Pour Patrice Bouveret, président de l’Observatoire des armements, une association qui milite et informe depuis plus de 30 ans sur ces questions, « ce nouveau rapport est dans la ligne des précédents : il met en avant les bienfaits des exportations d’armes ». Le militant déplore le manque de précision des informations, notamment sur le type de matériel livré. « Et pourtant, ces ventes se font au nom de la France. En tant que telles, elles impliquent les Français. »

« Ces ventes se font au nom de la France »

Ces exportations d’armes se font sous le contrôle du gouvernement. Les industriels de la défense ne peuvent pas vendre ce qu’ils veulent à qui ils veulent. Les décisions d’exporter sont prises par le Premier ministre, sur avis de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, composée des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Économie. Le commerce des armes doit respecter une série de règles internationales. Des pays comme la Côte d’Ivoire, la Libye, l’Iran ou la République centrafricaine sont par exemple sous embargos décidés par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le Soudan, le Soudan du Sud, la Syrie, la Chine sont sous embargo de l’Union européenne.

Mais ceux-ci n’ont pas empêché la France de fournir des armes aux rebelles syriens en 2013, ni l’Allemagne aux kurdes combattant contre l’EI (le groupe Etat islamique). Pas plus que l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Chine n’a bloqué Paris dans ses livraisons de plus de 500 millions d’euros d’armements à Pékin entre 2010 et 2014 [3]. Il est vrai que cet embargo, décidé en 1989 après la répression de Tiananmen, est remis en question régulièrement depuis plus de dix ans en Europe. Mais il n’a officiellement pas été levé.

Des critères de prudence bafouées

La position commune des pays de l’UE, adoptée en 2008, soumet aussi les autorisations à des critères comme le respect par le pays destinataire des droits de l’homme et du droit humanitaire international, la situation interne dans le pays de destination, la préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionale, l’attitude du pays acheteur envers le terrorisme, l’existence d’un risque de détournement du matériel et la compatibilité des exportations d’armes avec la capacité économique du pays bénéficiaire.

L’interprétation de ces critères est laissée à la liberté des États exportateurs. Manifestement, la majorité d’entre eux jugent qu’ils ne concernent pas l’Arabie Saoudite (avec la France, le Royaume Uni, l’Allemagne et l’Espagne sont de gros fournisseurs d’armes au royaume saoudien), ni Israël. La France semble estimer que ces règles sont compatibles avec la vente d’avions de combat à l’Égypte du président Al Sissi. La position commune stipule pourtant que les États « refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne » (voir notre article).

« Depuis son arrivée au pouvoir en juin 2014, le président Abdel Fattah al-Sissi a laissé s’instaurer une situation d’impunité qui a permis aux forces de sécurité de commettre des meurtres de masse sans être inquiétées et d’emprisonner des centaines de manifestants pacifiques », signalait Human Rights Watch en janvier. Qu’importe : en 2014, la France a livré plus de 100 millions d’euros de matériel militaire à l’Égypte, et accepté des commandes de plus de 830 millions d’euros. En février 2015, Paris et Le Caire signent un nouveau contrat pour la fourniture de 24 avions de combat Rafale.

Armes légères allemandes pour cartels mexicains et colombiens ?

Le critère de « compatibilité des exportations avec la capacité économique du pays bénéficiaire » passe aussi parfois à la trappe. « Le mépris du critère a été manifeste lors des exports massifs d’armes allemandes et de biens militaires à la Grèce, encore en 2010, alors qu’il était connu depuis longtemps que la Grèce n’aurait pas les moyens de les payer », soulignaient des députés verts en mai [4] En 2010, l’Allemagne a exporté pour 403 millions d’euros de biens militaires vers la Grèce. Et 812 millions vers le Portugal [5]. Avant de leur imposer de brutales politiques d’austérité... Plusieurs enquêtes pour faits de corruption dans les ventes d’armes à la Grèce ont été engagées en Allemagne. L’entreprise Rheinmetall a ainsi accepté de payer une lourde amende – 37 millions d’euros ! – pour des faits de corruption dans les ventes grecques.


Infographie interactive : Qui vend quoi ? En faisant passer votre souris sur l’un des dix plus gros marchands d’armes, vous visualiserez quels types de matériels militaires ils commercialisent et les entreprises qui les fabriquent. Vous pouvez aussi procéder de la même manière par type d’armes. Bon marché (de la mort) !

Pire, il est même possible que des producteurs d’armes exportent malgré les interdictions de leur propre gouvernement. Le fabricant allemand d’armes légères Heckler & Koch, qui écoule des pistolets automatiques, des fusils d’assaut et leurs munitions vers le monde entier [6] est ainsi sous le coup d’une enquête pour des ventes illégales vers certains États particulièrement instables du Mexique. Parmi eux, le Guerrero, là où 43 étudiants ont été assassinés l’année dernière avec la complicité de la police locale.

C’est un militant pacifiste, Jürgen Grässlin, qui a déposé plainte contre l’entreprise en 2010. Un autre fabricant allemand d’armes légères, Sig Sauer, fait lui aussi l’objet d’une enquête pour des exportations illégales de pistolets vers la Colombie notamment. En attendant les résultats de l’enquête, l’entreprise s’est déjà vu interdire tout contrat.

Un nouveau traité pour « limiter la corruption »

Les régulations existantes en Europe semblent totalement inefficaces. Le commerce global des armements a d’ailleurs encore augmenté ces dernières années. Le nouveau traité international, en vigueur depuis décembre, va-t-il y changer quelque chose [7] ? « Ce traité est une grande avancée au plan universel », estime Aymeric Elluin, chargé de campagne à Amnesty France. C’est le premier traité international visant à réglementer les transferts d’armes classiques : chars, blindés, hélicoptères et avions de combat, navires de guerre, missiles, systèmes d’artillerie, armes légères… Il vise à obliger les États à évaluer les risques des ventes d’armes avant d’en autoriser l’exportation.

Le texte impose par exemple de tenir compte des risques de corruption, pour la paix et la sécurité, mais aussi de violations graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. Les États devront aussi communiquer les informations sur leurs ventes d’armes. « Le traité vise à introduire, à côté des intérêts légitimes des États en terme de sécurité, d’économie ou de géopolitique, le nécessaire respect des droits des populations civiles, qui souffrent des armes et de leurs mauvaise utilisation », analyse Aymeric Elluin.

130 États ont signé le traité pour l’instant. 69 l’ont ratifié, dont la France et quasiment toute l’Union européenne [8]. Une première conférence des États parties se tient cet été pour décider de ses modalités de mise en œuvre. « Il faudra un peu de temps pour évaluer les effets du traité. Mais nous sommes sceptiques sur son efficacité, explique Patrice Bouveret, de l’Observatoire des armements. Il va limiter certains trafics, mais pas les transferts d’armes dans leur ensemble. Ce n’est pas un traité de réduction du commerce. Il s’agit ici simplement de mieux réguler. Et de limiter la corruption, qui favorise les plus gros. Pour que le traité soit réellement contraignant, il faudrait une instance supranationale chargée de vieller au respect des règles établies. »

« Pour réguler, la France ne se presse pas »

Reste à transposer rapidement le traité dans les législations nationales. La France va-t-elle montrer l’exemple ? Il est permis d’en douter. « La France a pris son temps pour signer, puis pour ratifier le traité sur le commerce des armes », estime Corinne Bouchoux, sénatrice écologiste. Elle fait partie des rares parlementaires français à s’intéresser à la régulation de ce commerce très particulier. « Nous sommes très pro-actifs pour soutenir les ventes d’armes, mais pour la régulation, la France ne se presse pas. »

Le pays n’a par exemple toujours pas transposé une recommandation du Conseil de sécurité pour punir la violation des embargos sur les armes. La résolution de l’ONU date pourtant de 1998 ! Un projet de loi [9] est dans les cartons depuis des années. Le gouvernement promet l’adoption prochaine de ce texte. Faut-il le croire, alors qu’il annonçait la même chose en 2012 ? Rien ne s’est passé depuis. « La France a adopté un projet de loi pour être en règle avec ses obligations internationales, mais ne le soumet pas au vote pour pouvoir rester dans une zone grise », analyse Patrice Bouveret.

Paris est plutôt dans une logique de soutien aux exportations [10]. C’est que « les exportations de défense sont nécessaires à la préservation de notre base industrielle et technologique de défense », écrit le gouvernement [11]. Et l’État actionnaire en demeure l’un des principaux bénéficiaires via ses participations dans le groupe Airbus (ex EADS), Safran ou Thales « Certes, l’industrie de défense française existe aussi parce que les exportations permettent de réduire les coûts et d’entretenir un savoir faire technologique, concède Aymeric Elluin. Mais il y a une logique de pousser à l’extrême ces exportations, avec des risques de dérapages complets, et de voir ces armes associées à des crimes de guerre. »

Qu’en pensent les salariés des usines d’armement ?

Autre argument incontournable : l’emploi. 27 500 emplois « directs et indirects » sont liés aux exports d’armements français, selon les chiffres du gouvernement. Qu’en pensent les salariés du secteur ? « Les armes ne sont pas des marchandises », dit Jean-Pierre Brat, électromécanicien et délégué central CGT à Nexter, une filiale du Groupement industriel des armements terrestres (GIAT), qui fabrique blindés et artillerie.

Cette ancienne entreprise d’État va très prochainement être privatisée, ainsi que ses filiales. Le gouvernement l’a décidée cette année dans l’article 47 de la loi Macron, en cours d’adoption. À terme, le rapprochement avec le fabriquant allemand de chars Krauss-Maffei Wegmann (KMW) est prévu. « Ce projet n’a pas d’autres buts que l’exportation. L’objectif, c’est de se positionner sur les marchés de l’autre. Chacun veut faire grandir son réseau commercial pour vendre plus. Et tout ça va passer par une rationalisation. » Le futur siège de l’entreprise prendra par exemple place aux Pays-Bas, un pays qui offre des conditions fiscales avantageuses. « Et avec un siège en Hollande, nous n’aurons plus de représentant du personnel au conseil d’administration », déplore Jean-Pierre Brat. « Cette opération peut aussi avoir des conséquences sur l’emploi. » Face aux réductions des budgets militaires en France et en Europe, le militant CGT revendique plutôt une diversification des productions plutôt qu’une course aux exportations.

« Nous ne sommes pas opposés à toutes les exportations, parce qu’il y a des pays qui ont fait le choix de ne pas avoir d’industrie d’armement et qui doivent bien avoir une défense nationale. Mais ces contrats d’armement doivent se faire sous le contrôle de la représentation nationale », estime Jean-Pierre Brat. Un contrôle accru du Parlement que la sénatrice communiste Cécile Cukierman appelle de ses vœux : « Mais il y a évidemment des parlementaires qui se satisfont de l’entre-soi… » Il est vrai que le Sénat compte parmi ses élus l’ancien patron de l’une des plus grandes entreprises d’armements françaises, Dassault.

Rachel Knaebel

En photo : Un char Leclerc, fabriqué par Nexter (ex Giat), entreprise publique en cours de privatisation / CC marcovdz

- Infographies : Germain Lefebvre

- Méthodologie
Les visualisations sont réalisées à partir des données de l’organisation non gouvernementale suédoise Sipti. Pour cette raison, le classement des principaux clients de la France n’est pas le même que celui indiqué dans le rapport sur les exportations d’armements français remis par le gouvernement au Parlement. Les chercheurs de Sipri utilisent leur propre indicateur pour apprécier la valeur d’un armement, qui ne correspond pas uniquement à la valeur affichée dans le contrat (qui peut inclure d’autres prestations que la livraison de matériels militaires), mais à une estimation de la valeur réelle des matériels transférés. Par ailleurs, l’ONG ne comptabilise que les livraisons, alors que le rapport français couvre aussi les commandes. Ces données ne prennent pas en compte les armes légères et de petit calibre, ainsi que de nombreux composants.

Notes

[1Dans son dernier rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armements de la France.

[2Voir le rapport annuel de l’ONG de référence sur la question du commerce des armes, le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

[3Source : Rapport 2015 au Parlement sur les exportations d’armes.

[4Source.

[5Source : Rüstungsexportbericht

[6Depuis 2006 par exemple, vers l’Arabie Saoudite, l’Égypte, l’Inde, le Liban, la Turquie, le Kosovo, la Serbie, le Mexique, le Pérou, l’Indonésie, les Émirats arabes unis, Oman, le Qatar. Source.

[7Voir ici.

[8De gros exportateurs comme la Russie et la Chine, et des gros importateurs comme l’Arabie Saoudite, ne l’ont pas signé.

[9Voir ici.

[10Voir par exemple ce rapport d’information de l’Assemblée national, de 2014, sur « Le dispositif de soutien aux exportations d’armement »

[11Source : Rapport 2015 au Parlement sur les exportations d’armements de la France.

 

 

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Source : http://www.bastamag.net

 

 

 

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30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 14:27

 

Source : http://www.marianne.net

 

Même avec l’Union bancaire, une nouvelle crise coûterait 1 000 milliards d’euros à l’Europe

Alors que la Troïka n'a de cesse de donner des leçons d'économie et de démocratie à la Grèce, la zone euro est-elle exempte de tout reproche. Bien au contraire ! Un rapport commandé par le secrétaire général du Parlement européen, que "Marianne" a pu consulter, prévoit qu'en cas de nouvelle crise financière de l'importance de celle de 2008, la zone euro pourrait perdre 1 milliard d’euros de son PIB, "gagner" 1,9 million de chômeurs supplémentaires et subir une augmentation 51,1 milliards d’euros de sa dette publique.
 
TIER PHILIPPE/SIPA
 

Mille milliard d’euros en moins dans son PIB, 1,9 million de chômeurs en plus, une augmentation 51,1 milliards d’euros de sa dette publique, voilà ce que coûterait à la zone euro une nouvelle crise financière mondiale selon un rapport commandé par le secrétaire général du Parlement européen, Klauss Welle, qui devrait être publié en fin de semaine et auquel Marianne a pu avoir accès. D'après les projections réalisées par les économistes Gaël Giraud et Thore Kockerols, « les renflouements [des banques européennes] seraient encore nécessaires au détriment du contribuable européen, et ajoutent les auteurs du rapport, même si l’architecture de l’Union bancaire (prévu en 2023) était déjà en place aujourd’hui ».

L’Union bancaire à la ramasse

L’Union bancaire, adoptée par le Parlement européen le 15 avril 2014, a été louée de toutes parts. A l’époque, Michel Barnier, commissaire européen chargé des Services financiers se réjouissait sur Twitter : « Nous disposons d'un système véritablement européen pour superviser toutes les banques de la zone euro et traiter leurs faillites éventuelles ». Et l’eurodéputée socialiste Elisa Ferreira d’avancer que « le système européen sera conçu pour que l'argent des contribuables soit mieux protégé, en faisant en sorte que les banques soient en première ligne et paient pour leurs propres erreurs ». Quant à notre Moscovici national, depuis le commissariat européen aux Affaires économiques et financières et à la Fiscalité de se féliciter d’« un accord majeur », d'« un accord décisif », d'« un accord de portée historique ».

L’Union bancaire introduit des mécanismes destinés à prévenir les faillites bancaires et éviter qu’une nouvelle crise bancaire ne se transforme en crise de la dette. L’idée étant d’introduire une mutualisation du risque en cas de faillite. Les banques de la zone euro seront ainsi gérées selon le Mécanisme de résolution unique (MRU) qui reposera sur deux piliers. D'un côté, un conseil chargé de la liquidation des banques. De l'autre, un fonds de résolution commun d’un montant de 55 milliards d’euros alimenté par le secteur bancaire censé renflouer ses établissements.  

Si les auteurs du rapport saluent « le pas important » de ce mécanisme financier européen, leurs conclusions ne laissent pourtant que peu de place au doute. « Nous constatons que les coûts pour l’économie réelle seront bien plus importants que les simples milliards nécessaires pour renflouer les banques ». Dit autrement, le coût de la crise ne se limitera pas au seul refinancement bancaire. Selon les modèles envisagés, les effets macroéconomiques que pourraient avoir une nouvelle crise — c’est en cela que réside la nouveauté de cette étude — pourraient être dramatiques. Sur dix ans, les auteurs estiment que « les coûts d’un choc financier de taille moyenne dans la zone euro (…) correspondront à une perte cumulée de 1 000 milliards d’euros du PIB (…), des pertes d’emplois à hauteur de 1,9 million (…) et une augmentation de 51,1 milliards d’euros de la dette publique. » Cela représente 100 milliards d’euros de pertes potentielles par an, et 190 000 potentiels chômeurs en plus sur la même période. De quoi donner un sacré vertige… Et les auteurs de cette étude ne s’arrêtent pas en si bon chemin : « Le lien entre un secteur bancaire européen fragile et des finances publiques lourdement endettées pourrait rendre l’impact d’une nouvelle crise financière plus grave qu’elle ne l’était au lendemain de 2008 (…) et pourrait même mettre en danger la survie de la zone euro ».

Et de pointer du doigt les causes : la concentration excessive du secteur bancaire européen, et la taille des banques « too big to fail » (en français, « trop grosse pour tomber »).  En 2013, selon l’étude, l’ensemble des actifs de BNP Paribas représentait 93,5 % de la dette souveraine française, et 87,4 % du PIB français. Pour la Société générale, 64 % de la dette publique et 60 % du PIB. «  Ensemble, la BNP et la Société générale représentent pas moins de 147,4 % du PIB de la France. »

Le Luxembourg, le maillon faible de la zone euro

Et ce n’est rien en comparaison de la situation luxembourgeoise, dont toute référence devrait disparaître du rapport officiel final, selon une source européenne, car la présidence du Conseil de l’Union va... au Grand-Duché à partir de ce 1er juillet. Coincé entre la France, l’Allemagne et la Belgique, le Luxembourg attire nombre de filiales de banques en raison de son régime fiscal bien connu. Et risque d’être victime de son succès. « Le Luxembourg apparaît comme le membre de la zone de l’euro le plus exposé ». Car le pays rassemble sur son territoire les filiales de cinq banques de la zone en euro qui, en cas de faillite, pourraient emporter l’économie. Les actifs de ces filiales représentent 530 % de son PIB et, en cas de coup dur, on voit mal comment le Luxembourg pourrait les renflouer. Ainsi, « la faillite de la Deutsche Bank, précise les auteurs, représenterait une menace à hauteur de 60 % du PIB de l’Allemagne, mais 223 % de celle du Luxembourg ».

Quant à la concentration bancaire qui représente « le facteur clé d’un risque systémique », en France, « les cinq banques les plus grandes comptent près de 50 % de l’ensemble des actifs des banques du pays ». On comprend donc facilement les conséquences terribles d’une nouvelle crise de l’une de ces banques et, a fortiori, si cette crise les touche toutes dans le même temps. Pour remédier à cette situation, les auteurs avancent l’hypothèse « de ne pas renflouer les banques en défaut ». Un scénario à l’islandaise en définitive. Ce pays a refusé de faire porter aux citoyens les erreurs des banques, a assuré les comptes des petits épargnants et a traîné devant la justice les responsables islandais de la crise de 2008. Résultat : une dette nationale passée en quatre ans de 95 % du PIB à 82 %, une division par deux de son taux de chômage de 2009 et un PIB supérieur à ce qu’il affichait avant la crise de 2008. Comme quoi, le « there is no alternative » très présent dans les têtes de nos élites est loin d’être une réalité.

Quid finalement du rempart qu'est censé représenter l’Union bancaire ? Eh bien pas grand-chose selon l’étude. Même en imaginant que les mécanismes prévus seraient complètement opérants, les 55 milliards du Fonds de résolution commun (FRC), destinés à renflouer les banques en cas de crise, n’auraient qu’un impact très limité. « Même en triplant le montant du FRC, les effets néfastes d’un choc financier ne seraient que marginalement amortis », écrit le rapport. En clair, « ces mesures sont loin d’être suffisantes pour rendre l’Union bancaire européenne efficiente, et d’autres améliorations sont nécessaires. »

La situation est-elle inextricable et sommes-nous voués à assister à un nouveau cataclysme ? Heureusement non, les auteurs proposent une série de réformes fortes qui pourraient endiguer une nouvelle crise financière : porter le fond de résolution unique inclus dans l’Union bancaire à hauteur de 165 milliards d’euros, faire passer la part des fonds propres des banques par rapport à leurs actifs à hauteur de 9 % (contre 3 % actuellement), mettre en œuvre une séparation entre les activités de banque de détail et celles de marché et, enfin, mettre en place une véritable mutualisation européenne de garantie des dépôts.
 
Les auteurs du rapport seront-ils entendus ? A voir la manière dont les négociateurs de l’Eurogroupe gèrent le dossier grec, l’optimisme semble difficilement de mise...
 
 
Les dessous d’un scénario catastrophe
Gaël Giraud et Thore Kockerols, les deux économistes à l’origine du rapport ont fait turbiner toute une machinerie statistique et analytique pour tester la résistance des mécanismes de défense de l’Union bancaire, adoptée en avril 2014 par le Parlement européen.
Pour parvenir à un résultat, les deux experts sont partis de deux postulats faux : nous sommes en 2014 et l’Union bancaire est intégralement achevée.
En 2014 donc, une crise financière heurte l’Europe. En Espagne, ce second choc financier pressurise le marché de l’emploi, le chômage grimpe immédiatement à 26 %. Le niveau de la dette publique augmente drastiquement, passant à 112 % du PIB, contre 101 % auparavant. Désastre à tous les niveaux.
Même impact au Luxembourg : il faut attendre 2016, deux longues années, avant de voir pointer la reprise. Le niveau du PIB stagne. Le Duché étant moins sensible sur l’emploi, le taux de chômage augmente peu. Néanmoins, le système bancaire a fâcheusement été percuté, faisant planer une menace significative à long terme sur les finances publiques. Le niveau de la dette augmente de 35 %.
Le Fonds de résolution commun (FRC) constitué de 55 milliards d’euros, principalement alimenté par le secteur privé, se dégonfle à vue et s’avère largement insuffisant. Catastrophe. La mutualisation du risque capote. Ce qu’il reste des fonds de l’Union bancaire ? Pas un centime.       
Source : http://www.marianne.net                                                 
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29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 17:33

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

Le référendum, c’est interdit dans la zone euro

 
Hervé Nathan
 
 
Avant, quand l'oligarchie européenne n'aimait pas le résultat d'une consultation électorale, elle faisait revoter le peuple. Ou bien, pour le contourner, se tourner vers les élus plus dociles et conciliants. Désormais, quand est proncé le mot "référendum", c'est tout un pays qui est exclu !
 
 
Virginia Mayo/AP/SIPA
 

S’il y a une annonce politique à retenir dans le brouhaha qui entoure la tragédie grecque en représentation sous les yeux des citoyens, c’est celle-ci : dans la zone euro, le référendum, est une pratique « in-ter-dite ». La sentence est tombée samedi de la bouche de Jeroen Dijsselbloem, social-démocrate néerlandais et président de l’Eurogroupe (la réunion des ministres des finances des pays participant à l’euro).

L’annonce par Alexis Tsipras d’une consultation populaire sur le plan de « sauvetage » de la Grèce, a-t-il proclamé, « met fin à a poursuite des négociations ». En conséquence de quoi la date butoir du 30 juin ne sera pas repoussée au-delà du 5 juillet, les banques grecques ne devraient donc plus recevoir d’aide de la BCE pour faire face aux retraits d’argent à leurs guichets, etc.

Dix-huit ministres de pays démocratiques ont donc discuté de mesures concernant le dix-neuvième, mis à la porte…Mais très symboliquement la Grèce a déjà été exclue de la zone euro, puisque l’Eurogroupe s’est réuni ensuite en l’absence du ministre hellène, Yannis Varoufakis, pour évoquer « les suites » de la décision de la Grèce. On a donc assisté à cet événement tout à fait « inédit » dans l’Union européenne : dix-huit ministres de pays démocratiques ont donc discuté de mesures concernant le dix-neuvième, mis à la porte… On notera que Michel Sapin, quoique partisan de ne pas placer la Grèce au ban de la zone euro, est resté dans la salle et qu’il a approuvé le communiqué final.

Le référendum est donc le maudit de l’euro. Quoi d’étonnant : l’oligarchie européenne supporte très mal que les peuples donnent leur avis sur les questions de souveraineté. C’est ainsi qu’on fit revoter deux fois les Irlandais, en 2001 (traité de Nice) et en 2008 et en 2009 (traité de Lisbonne), et qu’en France en 2008, on convoqua en congrès le Parlement français pour que les représentants du peuple approuvent (traité de Lisbonne) ce que le même peuple avait nettement refusé en 2005, lors du vote sur le traité constitutionnel européen…

En 2011, le Premier ministre social-démocrate grec George Papandreou, placé dans une position assez similaire à celle de Alexis Tsipras aujourd’hui, avait aussi voulu vérifier par un vote qu’il avait bien l’assentiment de ces concitoyens. Il fut débarqué par un quasi coup d’Etat fomenté par la BCE, Berlin et Paris, qui obtinrent des députés grecs la nomination d’un homme lige, ex-vice président de la BCE, Loukas Papademos.

Résumons l’incroyable glissement institutionnel :
- Dans les années 2005, lorsqu’un peuple disait « non » par référendum, on le faisait soit revoter, ou on le faisait représenter par des élus censément plus « responsables ».
- En 2011, à l’annonce d’un référendum, on débarque le gouvernement du pays.
- En 2015, à l’annonce d’un référendum, on exclut le pays tout entier !

Quelle sera la prochaine étape ?

 

 

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>>> Retrouvez notre dossier « Les trois crises européennes » et notamment notre article « La zone euro, le coup d'Etat permanent » dans le numéro de Marianne actuellement en kiosques.

Il est également disponible au format numérique en vous abonnant ou via  et Android app on Google Play

 

 

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

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25 juin 2015 4 25 /06 /juin /2015 21:10

 

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Le chômage explose, le CAC 40 roupille sur son magot !

 
Laurence Dequay
 
 
 
L’exercice, chaque mois, devient plus déroutant, rageant, voire exténuant : dans une France qu’on dit en voie de reprise, dans laquelle les marges des entreprises se redressent, comment écrire sur l’insoutenable ascension du chômage ? En notant par exemple que le CAC se comporte comme l'Oncle Picsou.
 
Hans-Jorg Walter/REX/REX/SIPA
 

En apparence catastrophiques, les chiffres du mois de mai (+ 69 600 demandeurs d’emplois en catégories ABC, jeunes, quadras, séniors confondus, nous dit Pôle emploi) doivent être pris avec des pincettes. Car ce service public, constatant que ses 5,64 millions d’inscrits ne s’actualisaient pas assez vite, les a relancés deux fois au lieu d’une, pour prévenir le bug qui en septembre 2013 (suite à une défaillance de l’opérateur SFR) avait amplifiée artificiellement la baisse du chômage. Mais, au final, cette décision courageuse aurait pour effet de minorer les reprises d’emplois… De sorte que la hausse réelle du chômage en mai, selon Jean Bassère, son directeur s’établirait entre 32 000 et 42 000 (+ 10 000 en catégorie A) et non pas 69 600...

Dans l’attente de chiffres validés, mieux vaut donc pour comprendre l’implacable « loi du marché », décortiquer la formidable étude du cabinet Ricol Lasteyrie qui ausculte le profil financier du CAC 40. On y découvre d’abord que l’investissement de la crème de la crème des entreprises tricolores (83 milliards d’euros) n’a pas repris en 2014* alors que leur bénéfice net bondissait en moyenne de 31 % à 62 milliards d’euros (et que leur impôt baissait de 2,2 %...). Or, comme chacun sait, les investissements d’hier auraient dû être... les emplois d’aujourd’hui.

Ce qui saute aux yeux dans cette étude, c'est que PDG et conseils d’administrations du CAC 40, notamment dans le secteur des technologies et des médias, roupillent sur 171 milliards de trésorerie nette ! En progression, comme le chômage de catégorie A en France, de 5 % sur 12 mois ! Or, 171 milliards, pour donner un ordre de grandeur aux bientôt nouveaux bacheliers, c’est plus de deux fois le budget de l’Education nationale…

Plusieurs de nos fleurons (cocorico ! ), Airbus, Cap Gemini, Gemalto, Alcatel-Lucent, Publicis, Renault, Technip et Vivendi avaient même en début d’année plus de milliards dans leurs coffres fort qu’ils n’avaient de dettes. C’est-à-dire qu’ils sont devenus… des banques ! Une reconversion qui leur a permis de verser, pour 24 d’entre eux, des dividendes en hausse… Mais où sont donc passés les vrais patrons, peuvent se demander en ce début d’été, 5,7 millions de personnes privées d’emplois à temps complet ? 

 

* En chiffres bruts, il a même reculé de 4 %

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

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25 juin 2015 4 25 /06 /juin /2015 17:08

 

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Contre-rapport

Pollutions, dividendes, grands barrages, lobbying : GDF-Suez change de nom mais ses mauvaises pratiques demeurent

par , Olivier Petitjean

 

 

 

 

Le groupe énergétique Engie – ex GDF Suez – vient d’être choisi comme l’un des sponsors officiels de la conférence sur le climat (COP 21) qui aura lieu en France fin 2015. Et s’affiche volontiers comme un champion de la transition énergétique. Pourtant, seuls 4% de la production d’énergie du groupe sont issus de sources renouvelables. Ses grands barrages amazoniens, présentés comme une énergie « verte », sont fortement critiqués. La stratégie du groupe privilégie toujours les intérêts financiers à court terme des actionnaires, dont l’État français. En attendant, les tarifs du gaz explosent et les centrales au charbon d’Engie figurent parmi les plus polluantes du monde. C’est ce que révèle notre rapport alternatif.

« Le monde change et avec lui toutes nos énergies » : tel est le slogan choisi par GDF Suez en 2015 pour annoncer sa métamorphose en Engie. Un changement de nom qui ressemble davantage à un ravalement de façade qu’à une véritable transformation du groupe énergétique, héritier du service public du gaz en France (GDF, partiellement privatisé en 2006) et de l’opérateur historique de l’électricité belge (Electrabel, racheté intégralement par Suez en 2005). Car, si le nom change, les sources de production d’énergie d’Engie, elles, sont toujours aussi polluantes, malgré l’ampleur des enjeux environnementaux, en particulier climatique, auxquels l’humanité est confrontée.

De grands enjeux auxquels les dirigeants du groupe paraissent imperméables : seuls 4% des capacités de production d’Engie sont issus des énergies renouvelables. Le reste provient du gaz, du charbon (qui émet 30% de plus de CO2 que le gaz naturel), du nucléaire et des grands barrages, érigés notamment en Amazonie brésilienne. Ces centrales hydroélectriques géantes sont censées produire une énergie « verte ». Mais leur bilan environnemental en matière de déforestation et d’atteintes à la biodiversité, ainsi que leur impact sociétal, notamment aux dépens des populations autochtones, sont très critiqués.

GDF Suez alias Engie continue d’investir dans des centrales au charbon, maintient en activité des centrales thermiques vétustes et très polluantes, et est pointée du doigt pour la mauvaise gestion de certaines de ses infrastructures minières (lignite), comme en Australie. Le groupe a également multiplié ses actions et dépenses de lobbying, en Europe et ailleurs, pour freiner les politiques publiques en faveur des énergies renouvelables ou pour promouvoir les gaz de schiste. Bref, le « développement durable » semble bien éloigné de ses préoccupations. Ce passif n’a pas empêché l’entreprise d’être choisie par le gouvernement français comme sponsor officiel de la conférence internationale sur le climat, la COP21, qui doit se tenir à Paris fin 2015.

L’État français porte pourtant une responsabilité non négligeable dans la conduite et la stratégie du groupe. Il possède 33% du capital et cinq représentants (sur 19) au sein de son Conseil d’administration. Le versement de généreux dividendes aux actionnaires – dont le premier d’entre eux, l’État – semble constituer le seul critère d’appréciation. En trois ans, plus de dix milliards d’euros de dividendes ont ainsi été payés. Soit deux fois plus que le bénéfice de l’entreprise sur la même période ! Une courte vue qui est même dénoncée par la Cour des comptes. Et qui interdit tout investissement de long terme dans la transformation de l’entreprise et de ses outils de production.

Si « le monde change » pour Engie, pas question en revanche d’inverser l’astronomique niveau des rémunérations de ses dirigeants : celle du PDG Gérard Mestrallet a ainsi augmenté de 21% en un an, pour atteindre 3,4 millions d’euros. Gérard Mestrallet quittera son poste en 2016 et bénéficiera encore d’une « retraite chapeau » de 800 000 euros par an. En bas de l’échelle, la sous-traitance se répand et les syndicats craignent la suppression de milliers d’emplois en Europe. La signature d’un accord mondial sur la santé au travail est l’un des rares points positifs sur le plan social. Au vu de ce piètre bilan, le monde selon Engie ne risque pas de s’améliorer.

Découvrez notre rapport annuel alternatif :

PDF - 1.7 Mohttp://www.bastamag.net/IMG/pdf/cr_engie_1_.pdf

Ivan du Roy et Olivier Petitjean

- Déjà publié, le véritable bilan annuel de Total est disponible ici

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24 juin 2015 3 24 /06 /juin /2015 13:59

 

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Allemagne

Pays riche et vieillissant, adepte de l’austérité, cherche infirmier européen pauvre pour emploi au rabais

par

 

 

 

Avec une population vieillissante, l’Allemagne manque cruellement de main d’œuvre, en particulier pour travailler dans le secteur de la santé. Hôpitaux, cliniques, maisons de retraites et structures de soins à domicile recrutent massivement. Heureuse coïncidence : les agences de recrutement disposent d’un vivier d’infirmiers venus de l’est et du sud de l’Europe. Des personnels soignants souvent très qualifiés qui cherchent à échapper à l’austérité ou à la pauvreté. Mais entre des salaires bas, des contrats de travail aux clauses abusives et l’absence de droits sociaux, l’Allemagne n’est pas un eldorado. Loin de là.

« Nous ne pouvons pas vous offrir un pays de cocagne en Allemagne, parce que cela n’existe pas ! ». Cette phrase, aux allures de slogan hostile aux migrants, figure sur un avenant au contrat de travail. Un contrat que s’apprêtent de signer des infirmiers bulgares recrutés par une agence d’intérim allemande. Les futurs soignants sont prévenus : « En Allemagne, tout est tourné vers une société de la performance. Cela signifie que l’on doit fournir chaque jour 100 % de ses capacités », est-il inscrit en gras. Les autres clauses du contrat de travail ne sont guère plus avenantes. L’employé devra payer des sanctions financières de 3000 à 5000 euros s’il divulgue à un tiers ses conditions d’emploi et de formation, ou s’il rompt le contrat avant la première année de l’embauche. Cette « amende » sera immédiatement exigible et encaissée par une firme de recouvrement bulgare.

« Ces clauses sont nulles, elles n’ont pas de valeur légale », souligne pourtant Vladimir Bogoeski, conseiller auprès de la confédération syndicale allemande DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund). Dans le cadre du projet européen d’aide aux travailleurs détachés, Fair Mobility, le syndicaliste accompagne quelques-uns de ces infirmiers embauchés par la firme d’intérim. « Les travailleurs m’ont dit qu’ils avaient dû signer les 15 pages de contrats sur place, sans avoir le temps de demander conseil. »

Recrutement dans toute l’Europe de l’est

Le système de santé allemand recrute depuis des années des personnels soignants venus d’Europe de l’est. Le phénomène prend une nouvelle ampleur avec le manque toujours plus criant de main d’œuvre dans le secteur. Selon les chiffres de l’agence pour l’emploi allemande, un poste d’infirmier reste vacant en moyenne 15 semaines, plus de trois mois et demi, avant de trouver preneur. Ce temps de vacance s’élève à plus de quatre mois pour un emploi dans une maison de retraite médicalisée. La situation devrait encore s’aggraver compte tenu de l’évolution démographique allemande [1]. Il manque entre 150 000 à 190 000 personnels de soin, infirmiers ou aide-soignants dans la prise en charge des personnes âgées. Dans ce contexte, certaines agences de recrutement sont peu scrupuleuses.

Dans son bureau de Berlin, Vladimir Bogoeski a reçu les premiers appels au secours d’une poignée d’infirmières bulgares, en début d’année. Il suit aujourd’hui deux groupes venus de Sofia, la capitale, et d’une ville de province, Vratsa. Des recrutements similaires seraient en cours en Roumanie. L’entreprise d’intérim allemande dispose d’antennes dans toute l’Europe de l’est, des pays baltes aux Carpates. Elle y démarche des infirmiers qualifiés, leur organise trois mois de cours d’allemand dans le pays d’origine, puis les envoie travailler en Allemagne sous contrat d’intérimaire. Le personnel soignant est, lui, séduit par des perspectives salariales alléchantes.

« C’est comme un esclavage financier »

« En Bulgarie, les salaires des infirmières sont misérables, entre 300 et 700 euros maximum », explique Valeri Bosukov. Lui travaille comme professeur d’allemand pour l’entreprise d’intérim. Pour y faire reconnaître leur qualification d’infirmier, les personnels migrants doivent au préalable attester d’une connaissance suffisante de l’allemand. Or, selon l’enseignant, « il est impossible d’arriver à ce niveau en trois mois sans connaissances préalables ». Pour ces cours, le futur employeur avance les frais, évalués à 1800 euros par personne pour trois mois. Mais la facture devra être remboursée par les employés, une fois leur contrat de travail signé : 150 euros retirés de leur salaire chaque mois pendant un an.

Pour suivre le cours de langue, les infirmières ont dû quitter leur emploi en Bulgarie. « Pendant ce temps, elles ne touchent rien, ajoute Valeri Bosukov. Elles devaient recevoir 10 euros par jours de dédommagement, mais cet argent n’arrive pas toujours. C’est comme un esclavage financier. » Si elles n’atteignent pas le niveau de langue requis, elles ne pourront pas travailler comme infirmières en Allemagne. Et devront soit rembourser les 1800 euros, soit émigrer malgré tout pour y travailler comme stagiaire le temps de passer le test de langue, ou comme aide-soignantes, pour un salaire horaire inférieur de 20%. Ces intérimaires seront aussi très mobiles : le contrat reste très vague sur le lieu possible de travail. Les employés peuvent être envoyés n’importe où en Allemagne, et dans n’importe quel type de structure, de l’hôpital à la maison de retraite.

Menaces de poursuites judiciaires et de sanctions financières

Dans ces conditions, aucun des infirmiers du groupe de Sofia, que suit Vladimir Bogoeski, n’a finalement pris l’avion pour l’Allemagne. Le syndicaliste a envoyé avec trois d’entre eux une lettre de démission. La réponse de l’entreprise ne s’est pas fait attendre. « Nous vous demandons de payer les coûts de la formation de langue à hauteur de 1800 euros d’ici le 15 février sur le compte suivant », écrit l’agence d’intérim dans un courrier fin janvier, en les menaçant de poursuites judiciaires et de sanctions financières. Le syndicaliste ne s’est pas laissé impressionné : « Nous allons demander des preuves du coût du cours », a-t-il menacé. L’entreprise s’est finalement rétractée. Reste que « les infirmières ont vraiment peur de ces amendes. Elles ont aussi peur ne serait-ce que d’appeler M. Bogoeski », raconte le professeur d’allemand Valeri Bosukov.

Sans les connaissances suffisantes en langue, sans la reconnaissance de leur diplôme, celles qui sont venues en Allemagne travaillent pour l’instant sous statut de stagiaires. « Sans véritable salaire, avec simplement un toit fourni par l’entreprise et de l’argent de poche pour se nourrir », précise Vladimir Bogoeski. « Elles ne savent pas du tout comment ça va continuer. Ce sont pourtant des infirmières qualifiées, avec beaucoup d’expérience, qui ont travaillé en réanimation, aux urgences, en neurologie ici en Bulgarie. Aujourd’hui, elles sont presque à la rue. Et n’ont pas de possibilités de continuer à apprendre l’allemand », déplore leur ancien enseignant. Être citoyen européen ne change pas grand chose à leur quotidien.

Des infirmières qualifiées bulgares, espagnoles ou grecques...

Les infirmiers migrants ne viennent pas que de l’est. Espagnols, Portugais et Grecs arrivent à leur tour pour travailler en Allemagne, poussés par l’austérité imposée au sud de l’Europe. Maria (le prénom a été changé) est portugaise. Diplômée en soins infirmiers dans son pays d’origine, elle a fait le choix d’émigrer, direction Berlin. Son premier employeur allemand la paie d’abord à temps partiel, au salaire d’une aide-soignante. Le cours de langue est financé par des fonds européens. Elle commence son premier emploi au sein d’une maison de retraite de Berlin. Quand elle s’aperçoit que son salaire est bien inférieur à ce qu’elle pourrait gagner ailleurs dans de meilleures conditions, elle démissionne. Son ancien employeur lui réclame alors le remboursement des frais engagés pendant son apprentissage d’allemand : des milliers d’euros à payer.

Ces pratiques apparues récemment sont mises en œuvre par des institutions privées qui recrutent directement du personnel à l’étranger, sans passer par des agences d’intérim. « Comme le secteur de la santé fait face à une pénurie de main d’œuvre, les salaires sont en général plutôt élevés pour les infirmiers en Allemagne », explique Kalle Kunkel, secrétaire général à la fédération syndicale allemande des services Verdi. Un infirmier peut ainsi gagner 13 à 15 euros bruts de l’heure. Mais le secteur ne dispose pas de convention collective valable pour tous. Seules les structures publiques en ont une. Les cliniques, maisons de retraite et services de soin privés peuvent donc proposer des salaires bien moindres aux infirmiers venus de l’étranger qui ne connaissent pas le niveau de rémunérations usuelles.

Un contrat de travail qui interdit de démissionner

Kalle Kunkel extrait d’un lourd dossier un contrat proposé par une entreprise de soins médiaux intensifs à domicile à un infirmier espagnol. L’entreprise emploie une centaine d’infirmiers étrangers, soit 5 % de ses effectifs. Le salaire est de 9,50 euros bruts de l’heure. « L’entreprise n’a pas de représentants du personnel, nous n’avons donc pas réussi à savoir combien étaient payés en moyenne les collègues allemands. Mais dans les contrats des infirmiers allemands que j’ai pu voir, les salaires commencent à 11 euros. »

L’entreprise se défend de toute discrimination et indique payer ses employés « selon leurs qualifications et expériences ». Mais refuse de fournir plus de précisions. « L’employeur peut toujours dire que les infirmiers étrangers ne parlent pas aussi bien l’allemand que les autres et que cela justifie une différence de salaire. Mais de son côté, la firme reçoit la même somme de la part de ses clients, souligne Kalle Kunkel. Avec la clause de leur contrat qui les oblige à rester dans leur poste pendant trois ans, impossible de démissionner si l’on trouve mieux ailleurs.

Du bloc opératoire à la promenade du chien

« Dans le cas contraire, ils doivent rembourser les coûts engagés pendant la durée du cours d’allemand », poursuit le syndicaliste. Les sommes réclamées varient de 6000 à 10 000 euros. Des montants dégressifs au fur et à mesure des mois de travail effectués. Selon le syndicat Verdi, au moins 300 infirmiers migrants se sont trouvés dans cette situation depuis 2013 dans la seule région de Berlin.

Le travail des infirmiers est souvent moins qualifié et plus dur physiquement en Allemagne que dans les pays d’origine des personnels européens. Il englobe des tâches comme les soins d’hygiène réalisés ailleurs par des aides-soignants. « Les infirmiers du reste de l’Europe ont souvent des compétences plus larges qu’en Allemagne. Mais il y a des domaines, comme les soins de bases, dans lesquels ils ont peu d’expérience pratique », indique ainsi le groupe allemand de cliniques privées Agaplesion, qui emploie 19 000 personnes dont plus de 700 infirmiers migrants. « Les collègues espagnols qui viennent travailler ici sont plus qualifiés que les Allemands. Nos conditions de travail ne correspondent pas à leur attentes », constate aussi Dietmar Erdmeier, de la confédération syndicale Verdi.

Pas de congés payés et rarement d’assurance-maladie

Certaines entreprises spécialisées dans le soin à domicile leur demande en outre d’effectuer des missions qui n’ont rien à voir avec le soin. « Ces infirmiers formés sont aussi traités comme des aides ménagères. On leur demande de tout faire, promener le chien, arroser les plantes, nettoyer les sols », rapporte Sylwia Timm, conseillère polonaise spécialisée dans les secteur du soin à la confédération syndicale DGB.

« L’une des infirmières polonaises que j’ai conseillée avait travaillé auparavant au bloc opératoire de l’hôpital universitaire de Varsovie. Et tout à coup, on lui demande ici de passer la serpillère ! Avec un contrat qui ne lui permet pas de démissionner ! » La situation est encore moins reluisante pour les employés à domicile, au service des seniors allemands. Selon la fédération syndicale des services Verdi, entre 115 000 et 300 000 migrants est-européens travaillent dans le soin à domicile aux personnes âgées en Allemagne. Ce sont en majorité des femmes qui ont entre 45 et 60 ans. Qui deviennent vite invisibles. « Elles disparaissent dès leur arrivée chez les particuliers qui les emploient », résume Sylwia Timm, qui suit les aides-soignantes polonaises.

« Aucun des gouvernements ne s’occupe d’elles »

Souvent payées en dessous du salaire minimum, « ces femmes effectuent toutes les tâches de soin et d’aide ménagère qu’on leur demande, mais n’ont droit ni à des congés payés, ni à des congés maladie, et pas toujours à une assurance maladie. Elles n’ont presque aucun droit. Elles ne sont pas représentées, pas organisées. Et que ce soit en Allemagne ou en Pologne, aucun des gouvernements ne s’occupe d’elles. » La multitude d’entreprises présente dans les soins à domicile et le recours au statut de travailleur détaché rendent encore plus difficile les contrôles.

Quant à ceux qui ont été recrutés par une agence d’intérim, beaucoup démissionnent malgré tout, en espérant que les employeurs n’iront pas jusqu’au tribunal pour obtenir les milliers d’euros réclamés. Parfois, ils trouvent des postes plus qualifiés et mieux payés. Comme Maria, qui a été embauchée à l’hôpital universitaire de Berlin. Sylwia Timm constate à regret : « Les infirmières étrangères n’ont pas toujours conscience de leur valeur sur le marché du travail allemand. Leurs employeurs le leur cachent bien. »

Rachel Knaebel

Photo d’illustration : CC Ministério da Saúde


- Article publié en partenariat avec Hesamag, magazine consacré à la santé et à la sécurité au travail, publié en français et en anglais par l’Institut syndical européen. Pour se procurer la revue, cliquez ici.

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23 juin 2015 2 23 /06 /juin /2015 13:27

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Toulouse : la privatisation de l'aéroport éclaboussée par un scandale

|  Par Laurent Mauduit

 

 

 

Poon Ho Man, le principal dirigeant de la société bénéficiaire de la privatisation de la gestion de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, a disparu depuis un mois. Son nom serait cité dans une affaire de corruption. Le ministre français de l'économie, Emmanuel Macron, risque d'être éclaboussé par l'affaire, lui qui a jugé naturel qu'un bien public soit cédé à un groupe aux ramifications innombrables dans les paradis fiscaux, des îles Caïmans aux îles Vierges britanniques.

 

Malgré les critiques qu’elle a suscitées, c’est une privatisation à laquelle tenait tout particulièrement le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. La voilà qui tourne maintenant au scandale : le principal dirigeant chinois auquel a été cédé par l’État français la gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac a disparu depuis plus d’un mois, et son nom aurait été cité dans une enquête pour corruption.

C’est une dépêche Reuters, passée totalement inaperçue en France, qui a levé le lièvre. Diffusée par le bureau de Hong Kong de l’agence de presse, lundi 22 juin à 11 h 14, la dépêche (qui peut être consultée ici) est de prime abord peu digne d’intérêt pour le lecteur français. On y apprend ce qui suit : « Le titre China Aircraft Leasing Group Holding Ltd (CALC) pourrait connaître de nouvelles turbulences cette semaine, après avoir plongé de 20 % vendredi, le groupe s'étant déclaré incapable de joindre son directeur général après l'annonce inattendue de sa démission. Après son plus bas record de vendredi, le titre CALC – seul loueur d'avions asiatique coté en Bourse – a progressé de 1,97 % lundi sur des achats à bon compte, surperformant légèrement l'indice principal de la Bourse de Hong Kong, en hausse de 1,20 %. Le loueur basé à Hong Kong avait annoncé vendredi que son directeur général Poon Ho Man avait démissionné mercredi 17 juin sans explication et avec effet immédiat, alors qu'il était en congé. La démission du directeur financier Yu Tai Tei, soumise fin mai pour des motifs personnels, est par ailleurs entrée en vigueur jeudi 18 juin»

Et la dépêche ajoute des détails, qui pourraient toujours apparaître sans grand intérêt, vu de France : « Selon le quotidien South China Morning Post, qui cite des sources proches connaissant bien le groupe, Poon Ho Man a disparu il y a plus d'un mois. Son nom aurait été cité dans une enquête pour corruption menée par les autorités auprès de l'une des compagnies clientes de CALC, China Southern Airlines. Le loueur avait déclaré vendredi qu'il n'avait pas été avisé d'une quelconque enquête concernant Poon Ho Man et que l'examen des dossiers concernant les échanges avec China Southern n'avait révélé aucune irrégularité. Un porte-parole a refusé de faire de nouveaux commentaires après les informations diffusées vendredi. »

Et Reuters conclut : « Le conglomérat financier China Everbright Group, contrôlé par Pékin, ainsi que Friedmann Pacific Investment Group, basé à Hong Kong, qui contrôlent à eux deux 67 % de CALC, ont dit lundi à Reuters qu'ils ne comptaient pas réduire leur participation dans le loueur chinois, tout en précisant que d'autres actionnaires se montraient circonspects. Le groupe basé à Hong Kong, qui compte au moins tripler sa flotte de 50 appareils d'ici 2022, a passé en janvier une commande d'un montant de 10,2 milliards de dollars auprès d'Airbus. Les transporteurs chinois comme Air Macau et Shenzhen Airlines ont recours à ses services. »

L’agence Bloomberg a aussi publié une dépêche sur le sujet, qui rapporte à peu près les mêmes informations et que l’on peut consulter ici.

Bref, à lire cette dépêche, on comprend qu’elle n’ait bénéficié d’aucune reprise dans la presse quotidienne française. Et pourtant c’est un tort ! Car le principal dirigeant de cette société, qui a disparu depuis un mois et dont le nom serait donc cité dans un scandale de corruption, Poon Ho Man, est aussi le principal dirigeant de la société Casil Europe, à laquelle le ministre de l’économie a confié la gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac.

Or, on s’en souvient, les conditions d’attribution à la société Casil Europe avait déjà fait l’objet de controverses, notamment à cause des pratiques financières de la société chinoise. Mediapart avait à l’époque publié de nombreuses révélations qui avaient mis au jour le caractère très sulfureux de cette privatisation.

Publiée au Journal officiel le 17 avril dernier, la cession pour 308 millions d’euros des 49,9 % du capital de l’Aéroport Toulouse-Blagnac (ATB) s’est en effet effectuée au profit de cette société Casil Europe, dont Poon Ho Man est le directeur général. Immatriculée en France, cette société Casil Europe détenue par Shandong High Speed Group et le fonds d'investissement Friedman Pacific Asset Management.

Or, dans l’une de nos premières enquêtes (lire La scandaleuse privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac), nous révélions que cette dernière société s’imbriquait dans un groupe très opaque, détenu par cet oligarque chinois dénommé Poon Ho Man et son épouse Christina, et dont la holding de tête se dénomme Capella Capital Limited, une holding immatriculée aux îles Vierges britanniques. Cette holding de tête a pour filiale à 100 % une société dénommée Friedmann Pacific Investiment Holdings Limited, dont le pays d’immatriculation est inconnu : cette dernière société aurait elle-même une filiale dénommée Friedmann Pacific Asset Management Limited, immatriculée également aux îles Vierges britanniques. Nous racontions dans cette même enquête que cette société avait elle-même une autre filiale dénommée China Aircraft Leasing Groups Holdings Limited, implantée aux îles Caïmans. C’est donc cette dernière structure qui est au centre de la dépêche Reuters que nous venons de citer.

Emmanuel Macron avait donc été très vivement critiqué dès cette époque pour avoir donné les clefs de cet aéroport à un oligarque implanté dans cette cascade de paradis fiscaux. De surcroît, Mediapart avait aussi révélé que pour cette acquisition, le groupe chinois s’était allié à un groupe canadien, SNC-Lavalin Inc, dont on a tôt fait de savoir ce qu’il faut en penser. Il suffit d’aller sur le site internet de la Banque mondiale (c’est ici) pour y apprendre que la banque lui a imposé la plus grave sanction jamais prononcée dans l’histoire de l’institution pour des faits graves de corruption.

Sous le titre « La Banque mondiale radie SNC-Lavalin Inc. et ses filiales pour dix ans » et le sous-titre « la plus longue période d'exclusion jamais fixée dans un règlement de la Banque mondiale », voici ce que l’on peut lire dans un communiqué en date du 17 avril 2013 : « Le Groupe de la Banque mondiale annonce ce jour la radiation de SNC-Lavalin Inc. – en plus de ses 100 filiales – pour une période de 10 ans, suite à une faute professionnelle commise par cette société dans le cadre du Projet de construction du pont multifonctionnel du fleuve Padma et d'un autre projet financé par la Banque. SNC-Lavalin Inc. est une filiale du Groupe SNC-Lavalin, une société canadienne dont elle représente plus de 60 % des opérations. Cette radiation s’inscrit dans le cadre d’un Accord de règlement négocié entre la Banque mondiale et le Groupe SNC-Lavalin, à l'issue d'une enquête menée par la Banque mondiale sur des allégations de complot de corruption impliquant SNC-Lavalin Inc. et des fonctionnaires au Bangladesh. »

Mais la polémique ne s’était toujours pas arrêtée là, car Mediapart avait aussi révélé qu’Emmanuel Macron avait menti, en présentant les modalités de la cession (lire Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti). Lors de l’officialisation du projet de cession, le ministre de l'économie avait en effet assuré à de nombreuses reprises qu’il ne s’agissait « pas d’une privatisation », faisant valoir que l’État gardait 10 % du capital de l’aéroport et que, en alliance avec les collectivités publiques (Région, département et ville de Toulouse), les actionnaires publics garderaient le contrôle de 51 % du capital. Or, nous avions révélé que le ministre de l’économie avait, en secret, donné son accord pour que l’État signe avec l’investisseur chinois un pacte d’actionnaires offrant à ce dernier tous pouvoirs au sein de l’entreprise et lui assurant un contrôle majoritaire.

 

 

Voilà donc aujourd’hui Emmanuel Macron éclaboussé par un scandale, dont il avait été prévenu depuis longtemps. De très nombreuses voix s’étaient élevées, notamment de syndicats de Toulouse, d’associations démocratiques, d’associations de riverains, pour mettre en garde le ministre de l’économie contre une opération concoctée dans le secret avec un groupe aux si nombreuses ramifications dans les paradis fiscaux (lire Privatisation de l'aéroport de Toulouse: le Conseil d'État rejette le recours pour excès de pouvoir). Parmi d'innombrables initiatives, dont une pétition, des manifestations multiples, le collectif contre la privatisation (ici sa page sur Facebook, là le blog sur Mediapart de l'un des animateurs, Stéphane Borras), a organisé un débat public le 26 janvier à Toulouse, avec le soutien de Mediapart (voir photo ci-dessus).

Dans un communiqué rendu public mardi en début d’après-midi sous le titre « Quand l'odeur de la corruption rattrape la vente de l'aéroport de Toulouse-Blagnac » (et que l’on peut télécharger ici dans sa version intégrale), le Collectif contre la gestion de l’aéroport a donc dit sa vive inquiétude : « La vente de l'aéroport était déjà sulfureuse avec la présence du groupe Lavallin, interdit de marché public pendant 10 ans par la banque mondiale et aux prises avec des accusations de corruption et de fraude en lien avec la Libye déposées par la Gendarmerie Royale du Canada. Mais la nouvelle de la démission du PDG de ce groupe ne fait que renforcer les doutes sur la probité des intervenants de cette opération qui, rappelons-le, a vu les parts de l'État vendues à hauteur de 308 millions d'euros alors que le prix de vente était de 150 millions. Et nous ne pouvons qu'être inquiets sur l'influence de ce groupe dans notre ville avec les annonces de possibles participations dans les infrastructures publiques toulousaines, dont le futur parc des expositions. Cette nouvelle, si elle est avérée, doit faire réfléchir le gouvernement qui ne nous a toujours pas communiqué le pacte d'actionnaire qui lie l'État avec Casil Europe, ni le projet industriel pour l'aéroport. Les suspicions de corruption doivent amener le gouvernement à les publier et à renoncer à la vente, sans attendre le recours au conseil d'État que nous avons déposé. »

Mais sans jamais souhaiter organiser une consultation citoyenne, agissant dans le secret, Emmanuel Macron a voulu faire acte d’autorité. À ce titre, vu de France, le scandale chinois, c’est aussi le scandale Emmanuel Macron…

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

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22 juin 2015 1 22 /06 /juin /2015 16:33

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Réalisme économique ?

Compétitivité, reporting, management par objectifs : peut-on vraiment chiffrer la valeur de votre travail ?

par

 

 

 

Des chaînes de production aux salles de classes, des plateformes téléphoniques aux hôpitaux, le management par les chiffres, les « entretiens d’évaluation » et les reporting, ont envahi le monde du travail. Une tendance qui s’appuie sur la quête d’une traduction financière rapide et frappe le secteur privé comme public. Cette évaluation du travail uniquement quantitative demeure « partiale et partielle », explique la chercheuse Marie-Anne Dujarier. Et nuit à l’activité, quand elle ne dégrade pas la santé des salariés : « Souvent, les salariés estiment passer de 20% à 30% de leur temps à quantifier leur travail pour les besoins de l’évaluation. » Entretien.

Basta ! : Coût du travail, nombre d’emplois supprimés ou créés, baromètres sociaux pour évaluer la qualité de vie au travail… Pourquoi n’arrive-t-on plus à parler du travail autrement que sous la forme de chiffres ?

Marie-Anne Dujarier : [1] Je ne peux répondre au « pourquoi », mais les enquêtes sociologiques peuvent au moins donner une idée du « comment » la mesure quantitative a progressivement gagné du terrain dans les pratiques managériales, au point de devenir omniprésentes et banalisées. L’affaire est ancienne puisque portée par quatre mouvements de fond, propres au capitalisme depuis deux siècles. D’abord, le développement des échanges et de la consommation suppose de fixer des prix, c’est-à-dire de chiffrer la valeur des choses, afin de pouvoir les comparer entre elles simplement, en dépit de leur extrême diversité et, parfois, de leur complexité. Deuxièmement, le salariat saisit l’activité humaine comme produit, échangé sur le marché du travail : il est alors besoin de le quantifier.

Ensuite, la quête de performance organisationnelle va de pair, depuis deux siècles, avec sa rationalisation. Des processus d’optimisation sont dessinés en ce sens. Ils requièrent que des hommes puissent occuper les postes ainsi prévus de manière adéquate. La sélection des travailleurs sur des critères physiques, sociaux et maintenant psychologiques a été progressivement étendue et rationalisée avec la mise en place de tests et d’épreuves visant à mesurer les qualités des hommes au regard des compétences attendues pour les postes. Enfin, l’encadrement du travail productif se réalise depuis presque un siècle à l’aide de quantification des objectifs et des résultats.

Dès les années d’entre-deux guerres, ce « management par objectif » apparaît, et connaîtra un déploiement social continu à partir des années 1950, aux États-Unis comme en Europe. Depuis les années 1980, il est devenu le mode de management préconisé par les grandes institutions internationales (OMC, OCDE, UE), dans le cadre des réformes du service public, que l’on peut regrouper sous l’expression de « nouveau management public ». Il est désormais rare de rencontrer un travailleur employé dans une grande organisation qui n’aurait pas des objectifs quantifiés à atteindre, et ne verrait pas son activité quotidienne être mesurée, tracée, commentée lors « d’entretiens d’évaluation » et finalement comparée avec les mesures réalisées sur les autres travailleurs. Ces quatre formes de quantification ont ouvert la voie à la comparaison, et finalement à la compétition, qu’il s’agisse des produits, du salaire, de l’accès à l’emploi, ou enfin, de la légitimité des équipes et organisations.

Au sein même des métiers, le temps consacré au « reporting » prend de plus en plus de place aux dépens de l’activité réelle, du « vrai » travail. Depuis quand date cette évolution et à quelles logiques répond-elle ?

Il est frappant de constater que dans la plupart des grandes organisations – qu’elles soient privées ou publiques – des systèmes de gestion sont mis en place, qui font « remonter » des chiffres sur l’activité quotidienne. Ils rendent compte à la fois des quantités et des qualités produites, de la satisfaction des clients et des citoyens comme de la consommation de diverses ressources (temps, matière, argent…). Ils mesurent donc, sans surprise, les coûts sous leurs multiples faces, la valeur produite et leur rapport.

Le « reporting » est aujourd’hui partiellement automatisé, dans la mesure où les travailleurs et les consommateurs utilisent des dispositifs qui tracent leur activité, son rythme, sa productivité et ses erreurs. Mais il est également alimenté par les informations et les chiffres qu’ils doivent fabriquer et saisir dans des tableaux de bord, le plus souvent sur informatique. Il s’agit généralement de rendre compte de ce que l’on a fait, et du temps passé à le faire.

Ces chiffres sont centralisés, et servent à fabriquer des tableaux de bord généraux, permettant de comparer des individus, les équipes, les organisations sur des critères quantitatifs. Dans des périodes de réduction des moyens et des postes, cette comparaison joue comme une compétition : le service hospitalier qui aura fait le moins d’actes rentables sera ainsi mal classé au risque d’être menacé de suppression. De la même manière un vendeur sur une plate-forme téléphonique, qui aurait passé trop de temps avec un client, n’aura pas un bon ratio de vente. Dans la compétition pour l’emploi, il sera alors moins bien situé.

Les travailleurs perçoivent très bien l’enjeu de faire remonter les « bons chiffres ». À tous les niveaux, et jusqu’aux plus élevés, chacun va donc consacrer du temps à la fabrication de ces chiffres, à leur arrangement, de sorte qu’ils soient « bons ». Un bon chiffre est, a minima, celui qui permet de continuer à travailler sans avoir à se justifier ou à renoncer à des moyens. Mesurer, fabriquer des chiffres conformes, agir contre les chiffres des concurrents, saisir ces données, se justifier… Tout cela constitue un travail supplémentaire, qui mord significativement sur le temps de travail productif lui-même. Il est devenu courant d’entendre dans les milieux de travail, que « pour mesurer la performance, il faut commencer par la dégrader ». Car pour fabriquer un bon « reporting », il faut tordre le réel. Prenez le cas de la recherche où l’activité d’un chercheur est évaluée au nombre d’articles publiés : davantage d’articles sont publiés, mais ils sont de moins bonne qualité, et incitent à l’autoplagiat.

Tous les métiers sont-ils concernés, y compris ceux dont il est difficile de quantifier l’activité « productive », comme les enseignants, le personnel de santé, les chercheurs ou les assistantes sociales ?

C’est un mouvement social qui affecte tous les métiers, y compris immatériels et relationnels. Le service public, depuis le passage à la LOLF (loi organique relative aux lois de finances, en 2006) expérimente ce passage au « tout quantitatif ». Chaque mission doit être déclinée en actions suivies avec des indicateurs quantifiés. Dans les hôpitaux, la « tarification à l’acte » imprime, par exemple, une logique comptable et marchande à tous les actes médicaux et de soin. Dans le travail social, arrive une logique de comptage du nombre d’entretiens réalisés, du nombre de problématiques abordées, de cases « cochées »…

Ce qui pose problème, c’est la réduction qu’opère la quantification. Elle en saisit des aspects partiels, laissant dans l’ombre de nombreux autres, et notamment tout ce qui est incommensurable : la compétence collective, la confiance, les routines discrètes, la qualité de l’écoute, la justesse d’un sourire…. Ils sont pourtant décisifs pour la performance, la santé des travailleurs et le sens du travail. La quantification prétend ainsi rendre compte de situations complexes, mouvantes et plurivoques au moyen de chiffres simples, stables et univoques : ils donnent une image partielle du réel. Étonnamment, cette réduction de la réalité, et finalement son amputation, sont réputées « objectiver » la connaissance qu’il est possible d’en avoir.

Cette mesure de la performance permet-elle d’estimer la véritable valeur d’une activité ?

Ce que l’on appelle l’évaluation du travail est problématique aujourd’hui. Les pratiques dites « d’évaluation » dans le management ne cherchent généralement pas à créer les cadres d’une délibération permettant de savoir « ce que vaut » ce que l’on est en train de produire et comment. Elles réalisent plutôt une mesure du travail, et son automatisation, en vue de le faire converger vers des objectifs de performance précis. Pourtant, travailler, c’est aussi évaluer : pour bien agir, il faut soupeser et interroger la valeur des situations, des choses, des gens, comme des ambiances.

Travailler, c’est juger de la valeur des prescriptions, de procédés, des décisions, des compétences des collègues, de l’état d’esprit du consommateur comme de ses propres capacités. Savoir dire, collectivement, « ce que ça vaut », l’évaluation au sens littéral, est au cœur des questions de sens et de santé au travail. Or cette évaluation de la valeur du travail fourni, qui demande du temps et de la délibération, est régulièrement découragée par le management. Celui-là même qui, simultanément, prône sa propre démarche, essentiellement quantitative, dite d’ « évaluation ».

La crise financière a-t-elle accentué ce phénomène ?

Il est difficile de démêler ce qui relève de la crise ou de l’époque, d’autant que celle-ci semble être en crise chronique. Ce qui est certain, c’est que le choix politique de libéraliser le marché des capitaux, depuis un quart de siècle, a généré une plus grande exigence de rentabilité à court terme sur les entreprises, et focalise l’attention des actionnaires, du conseil d’administration et des dirigeants sur des indicateurs financiers jugés « clés » : ceux à atteindre absolument et prioritairement sur tout le reste. En outre, le sauvetage des banques par les États a creusé les déficits publics. Le management du service public est alors tout entier tendu vers la quête de performance et de productivité définie par une traduction financière rapide.

Dans le nouveau management public, les indicateurs quantifiés deviennent également les méthodes d’appréciation prioritaire de la performance et de la qualité du travail, qu’il soit celui d’un instituteur, d’une assistante sociale, d’un aide-soignant ou d’un policier. Autrement dit, l’évaluation qualitative, délibérative et contradictoire perd du terrain face à une quantification bureaucratique réputée indiscutable. Souvent, les salariés estiment passer de 20% à 30% de leur temps à quantifier leur travail pour les besoins de l’évaluation. A l’hôpital, certains soignants disent avoir l’impression d’y consacrer quasiment un mi-temps, aux dépens du temps accordé aux patients.

Quelles sont les conséquences concrètes de cette frénésie de l’évaluation quantitative et du reporting chiffré sur l’activité et la santé des salariés ?

Lorsque les travailleurs voient leur activité encadrée par ces objectifs quantifiés, et que cette mesure est assortie d’enjeux, ils sont incités à centrer leur attention sur la mesure qui sera faite de leur travail, et non plus sur ce qu’ils sont en train de faire. Ainsi, le temps passé par tâche va compter davantage que la tâche elle-même, fut-elle relationnelle. Il arrive fréquemment qu’il faille dégrader la qualité ou la productivité du travail concret, pour améliorer son score mesuré. Par exemple, une assistante sociale interrompt un entretien pour faire un score de productivité, tout en ruinant, ce faisant, le travail d’écoute et de construction de la confiance, au long cours avec l’usager. « Ça rend fou » commentent massivement les travailleurs dans ces cas. Le risque perçu, de ne plus pouvoir construire un sens à son travail, tient effectivement à ce détournement des finalités du travail sur les chiffres.

Pourquoi, dans leur grande majorité, les salariés semblent coopérer à ce management par les chiffres ? Existe-t-il des résistances ?

Dans un premier temps la quantification peut être comprise comme une promesse de reconnaissance : « Ils vont enfin se rendre compte du boulot qu’on abat ! », « Il faut savoir tout ce que l’on fait ! », entend-on. C’est une première raison de coopérer. Ensuite, la mise en concurrence sur des moyens crée une forme d’obligations à jouer le jeu, si on ne veut pas tout perdre, tout de suite. Lorsque le classement des individus, des équipes, des services ou même des pays se fait à partir de mesures, et qu’elle alimente une comparaison automatique, chacun a intérêt à produire les meilleurs chiffres possibles, même à contrecœur et à contresens. Pour contester ce management, il faudrait que tous ceux qui sont mis en compétition par ces chiffres arrêtent simultanément de les fournir.

Perte de sens du travail pour les salariés, faible performance économique, pourquoi cette évolution n’est-elle pas davantage critiquée et remise en cause ?

La critique de cette quantification est en fait assez massive et répandue, même chez les cadres et des dirigeants, étonnamment. En revanche, les mouvements collectifs pour en réduire l’emprise où l’abolir sont plus rares. Des professions du service public – magistrats, psychiatres, enseignants, soignants, policiers… – ont organisé des mouvements collectifs et parfois des grèves contre les « réformes » de leur activité, c’est-à-dire, essentiellement contre ce management par les nombres. Si le rapport de force reste constant, la quantification n’est pas arrêtée mais parfois un peu freinée. C’est aussi un objet de négociation moins traditionnel pour les organisations syndicales. Surtout, la mise en compétition effective des individus entre eux constitue le frein principal à la construction d’action collective, que l’on cherche à garder son emploi, à obtenir des moyens pour son équipe, ou à éviter la fermeture de son site.

On a l’impression que cette « quantophrénie » a même envahi l’ensemble du débat public et politique. Poids de la dette, comparaison des taux croissance, objectifs permanents de réduction des dépenses publiques, classement de la compétitivité horaire des salariés… Le débat politique en matière économique et sociale semble se résumer à du benchmarking permanent. Qu’en pensez-vous ?

La quantification est effectivement utilisée dans de nombreux espaces sociaux, au risque de devenir une machine à décider, qui viendrait remplacer la logique de la loi, de la délibération et de l’appréciation contradictoire. Elle jouit d’une crédibilité étonnante, tant il est fréquent d’entendre qu’elle est objective et impartiale. C’est oublier que ces mesures sont truffées de conventions sociales tout à fait partiales et partielles.

Partiales, car elles sélectionnent des indicateurs, elles prennent parties. Par exemple, si on évalue la qualité du service public de la justice au taux de rotation des dossiers dans les tribunaux, cela oriente la définition de la qualité vers un critère de flux. Ce choix prend partie pour la vitesse des traitements des dossiers. Il ne sera pas forcément celui que privilégiera un magistrat ou un citoyen. Enfin, ces mesures sont partielles parce que toute quantification est une simplification du réel à quelques aspects. Si je vous définis par votre taille et votre poids, ce sont des indicateurs justes, mais qui vous réduisent à cette seule évaluation et ignorent bien d’autres aspects.

Au vu de l’expérience que vous tirez de vos recherches au sein du monde du travail, quelles seraient les conséquences d’une société qui ne s’évaluerait que sous forme de ratios, d’indices et d’objectifs chiffrés, et où toute autre dimension serait écartée ou disqualifiée ?

Nous assistons à un conflit social sourd, entre ceux qui expérimentent des situations professionnelles concrètes et ceux qui la saisissent et pensent la connaître au moyen de chiffres. Les premiers disent être du côté du « réel », tandis que les seconds disent agir au nom du « réalisme économique ». Le travail, comme sa performance et ses qualités ne sont pas perçues de la même manière selon ces deux points de vue. Il s’agit d’un rapport de force entre eux. Mais rares sont les travailleurs qui peuvent discuter directement, en face-à-face, avec les cadres, au siège, qui fabriquent ces normes, objectifs et mesures. Ils sont aujourd’hui dans un rapport social sans relation.

Recueillis par Ivan du Roy

Photo : CC Vancouver Film School

A lire :

« Les risques du travail », sous la direction de Annie Thébaud Mony, Philippe Davezies, Laurent Vogel et Serge Volkoff (Ed. La Découverte, avril 2015, 605 p, 28 €)

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22 juin 2015 1 22 /06 /juin /2015 15:15

 

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com

 

 

Pourquoi aucun Podemos n'a émergé en France

Pascal Riché

C'est un paradoxe français : le bouillonnement d'initiatives à gauche de la gauche ces dernières années n'a pas trouvé de traduction politique. Tour d'horizon des raisons qui peuvent l'expliquer.

 

Pablo Iglesias, leader de Podemos, en meeting à Madrid le 18 octobre 2014. (DANI POZO /AFP)Pablo Iglesias, leader de Podemos, en meeting à Madrid le 18 octobre 2014. (DANI POZO /AFP)
 

Un écran géant, une foule joyeuse, des chants, des rires. Dans la nuit du 25 au 26 janvier, vers 1 heure du matin, sur l’esplanade de l’université d’Athènes, les électeurs de Syriza fêtent la victoire. Un slogan fuse, repris par toute la foule : "Sy-ri-za, Po-de-mos, Sy-ri-za, Pode- mos !" Quelques Français échangent alors des sourires piteux :

Syriza, Podemos… Il manque quelque chose, non ?"

Il y a là le fondateur de Nouvelle donne, Pierre Larrouturou, la députée Isabelle Attard qui a rejoint ce mouvement, ainsi que quelques socialistes frondeurs proches du député Pouria Amirshahi. Ils doivent bien le constater : la France a raté le rendez-vous de cette gauche citoyenne européenne qui émerge.

Il serait injuste de dire qu’il ne s’est rien passé, en France, à gauche de la gauche : depuis les grèves de 1995, ce fut un véritable bouillonnement d’initiatives. L’organisation Attac a la première porté le discours antimondialisation. Des mouvements de terrain ont mobilisé : AC !, le DAL, la Confédération paysanne, Jeudi noir. En 2009 est apparu le Front de gauche, mené par le bouillant sénateur Jean-Luc Mélenchon. En 2010, un vibrant vieillard, Stéphane Hessel, a jeté un pavé, un petit pamphlet qui a fait le tour du monde, "Indignez-vous !" En 2011, les Economistes atterrés ont bousculé ce qu’Alain Minc avait baptisé avec arrogance "le cercle de la raison". En 2013 a fleuri Nouvelle Donne, attelage composite rêvant de faire souffler un vent nouveau sur la gauche.

Beaucoup d’idées, d’initiatives, de tentatives, d’indignations, donc. Mais aucune traduction politique sérieuse, aucun débouché électoral d’importance. En 2011, le rassemblement des "indignés" à la Bastille a moins mobilisé que les menaces sur la direction de Skyrock, sans parler des "apéros Facebook" monstres, très à la mode cette année-là. Dans les urnes, le Front de gauche n’a pas réussi à s’imposer : Mélenchon a fait une percée à l’élection présidentielle de 2012 (11%), mais n’a pas su la transformer. Quant à Nouvelle donne, elle a obtenu moins de 3% aux dernières européennes.

Ce contraste entre le bouillonnement des idées et la tiédeur de la mobilisation est pour beaucoup un mystère. Une seule cause ne saurait expliquer, seule, l’absence de Podemos français : c’est une combinaison d’obstacles, institutionnels, culturels, politiques, qui en est à l’origine.

1 Le FN "occupe la place"

Commençons par l’argument le plus courant mais le plus fragile : la gauche radicale n’aurait pas d’espace pour se développer, parce qu’un parti populiste, le FN, occuperait le terrain "protestataire".

De fait, beaucoup de Français dégoûtés par l’offre politique traditionnelle, notamment dans les classes populaires, se tournent vers le parti d’extrême droite. La gauche citoyenne ou radicale n’a pas su, elle, trouver de discours mobilisateur dans ces catégories. Eddy Fougier, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, explique :

Une grande partie de l’électorat populaire ne se reconnaît pas dans le discours de cette gauche-là, trop 'sociétal, trop éloigné de ses problèmes concrets. Lorsque Mélenchon dit que le problème, ce sont avant tout les financiers, il ne convainc pas."

La gauche "indignée", avec son discours antimondialisation et écologiste, ne parvient pas à attirer les primo-votants et les non-politisés. Beaucoup sont en revanche attirés par l’approche nationaliste du FN : autorité, sécurité, fermeté face à l’immigration, sortie de l’euro.

Mais l’argument d’un FN qui bloquerait l’émergence d’une gauche "dure" est discutable. Comme le remarque le politologue Fabien Escalona, enseignant à Sciences-Po Grenoble, les vraies marges de progression des "indignés" se situent dans l’électorat de la gauche classique. En Grèce, ce sont les anciens électeurs du Pasok qui ont voté Syriza ; en Espagne, Podemos a fait le plein des voix chez les déçus du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Dans une interview à retrouver sur le site de "l’Obs", il constate :

La dévitalisation du Parti socialiste, qui entraîne ce transfert de voix vers la gauche radicale, n’a pas eu lieu en France."

Cofondatrice d’Attac, Susan George, va plus loin ; elle juge que les succès du Front national renforcent les chances de la gauche radicale :

La montée du FN devrait logiquement nous pousser à l’union. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé à Grenoble, avec la victoire d’Eric Piolle [candidat EELV, NDLR] aux municipales."
2Le mode de scrutin

C’est le premier argument avancé par Fabien Escalona :

Le scrutin uninominal à deux tours, qui prévaut pour les législatives, renforce les partis déjà en place. Au Royaume-Uni, c’est encore pire : à cause du scrutin uninominal majoritaire à un tour, la gauche radicale est totalement inexistante. Le système est une véritable guillotine pour les petits partis."

Mais ce constat ne peut tout expliquer : même dans le cas où la proportionnelle existe (les régionales, les européennes), cette gauche n’a pas fait de miracles.

3 Une cure d'austérité moins sévère

Troisième explication : l’austérité a été moins rude en France. Pierre Larrouturou, qui aime les images, résume la situation ainsi :

Il y a deux façons de tuer une grenouille. Si vous la jetez dans l’eau bouillante, elle a un sursaut et peut ressortir de l’eau. Si vous commencez à la faire cuire à l’eau froide, elle n’a plus les forces de réagir quand l’eau devient bouillante."

Les Grecs, les Espagnols ont été jetés dans l’eau bouillante. La France, elle, n’a pas connu 25% de chômage ou les expulsions de locataires en masse. Aucun fonctionnaire n’a vu son salaire amputé d’un tiers. Les coupes budgétaires ont été contenues, et le système social a joué les amortisseurs. Il n’y a donc eu dans les rues aucun mouvement massif d’"indignés". Les plus grandes manifestations ont concerné l’aménagement du système de retraite, mais Nicolas Sarkozy a réussi à les surmonter en faisant le gros dos : le mouvement s’est s’éteint de lui-même. L'eau se réchauffe doucement.

4 La tradition "anarcho-syndicaliste"

La charte d’Amiens de 1906 de la CGT, inspirée des idées anarcho-syndicalistes, continue à hanter le mouvement social français : elle a posé le principe qu’il fallait se garder de mélanger militantisme syndical et activités politiques partisanes. En 2011, les "indignés" français repoussaient ainsi les militants du Front de Gauche venus les courtiser : pas de récupération, camarade... Pour Pierre Larrouturou, c’est un piège plus sérieux qu’on ne le croit :

Bâtir une plateforme commune n’est pas simple. Le dialogue entre les organisations militantes et les partis politiques est beaucoup plus difficile que dans les autres pays européens."
5 Les erreurs de la gauche radicale

Autre facteur de blocage, l’histoire politique de l’extrême gauche française. "Dans quel autre pays rencontre-t-on trois variétés de trotskisme ?" s’interroge ainsi avec dépit Susan George, qui fait appel à un concept freudien :

Nous sommes victimes du narcissisme des petites différences."

Dans ce contexte politique très chargé, les mouvements citoyens ont bien du mal à émerger. Et les héritiers de cette extrême gauche politique, NPA ou Front de gauche, n’ont pas la légitimité des mouvements hors système que sont Syriza ou Podemos. Le PCF et les petits partis qui se sont construits en opposition à ce dernier, tout en cultivant la joyeuse tradition des scissions groupusculaires, ne fournissent pas les meilleurs ingrédients pour faire monter une mayonnaise…

6 Un système médiatique conservateur

Les médias n’aiment pas la nouveauté, et les mouvements sociaux ont du mal à exister sur les écrans ou sur les ondes sans passer par des actions chocs. Nouvelle donne a ainsi réuni 550.000 électeurs aux européennes, mais n’a pas eu droit à une minute d’interview sur RTL ou sur France 2… Le problème, déplore Pierre Larrouturou, c’est que "ceux qui sont visibles ne sont pas assez crédibles ou convaincants".

Pascal Riché

 

 

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com

 

 

 

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