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10 juillet 2015 5 10 /07 /juillet /2015 18:10

 

Source : http://cadtm.org/La-spirale-infernale-de-la-dette

 

 

La spirale infernale de la dette de l’Unédic et l’austérité menacent le droit aux indemnités chômage

10 juillet par Eva Thiébaud , Morgane Rémy

 

 

 

manifestation d’indignés en Espagne / CC Pepe Pont

 

 

La dette de l’assurance-chômage s’accumule, amplifiée par la crise, et dépasse les 21 milliards d’euros. Les cinq millions de sans emplois en seraient-ils les principaux responsables, comme le laisse croire la multiplication des contrôles et des contraintes contre ceux qui bénéficient du droit – constitutionnel – à une indemnité chômage ? Nous nous sommes plongés dans la dette de l’Unédic pour savoir d’où elle venait et comment elle augmentait. Et pourquoi aucune solution pérenne n’est mise en place pour la résorber tout en respectant les droits sociaux. Un mini audit de la dette de l’Unédic en quelque sorte, pour comprendre comment le Medef est en train de mettre en péril l’avenir de l’assurance-chômage.

Les chômeurs coûtent cher, trop cher. Voilà l’idée savamment distillée ces dernières années. Ainsi, Pôle Emploi renforce les contrôles, que se soit pour lutter contre la fraude ou s’assurer que les demandeurs d’emploi cherchent un nouveau travail avec assiduité (lire ici). Mais pourquoi une telle surveillance ? Pourquoi la question des obligations des chômeurs est-elle devenue si aiguë ? À cause de la dette, qui partage la racine étymologique du verbe « devoir ». La dette du système d’assurance-chômage, gérée par l’association privée Unedic, et qui atteint des sommets. Et pèse sur les épaules des chômeurs.

Pourtant, même si l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi complique l’équation (2,9 millions de chômeurs ont été indemnisés en mars), ils sont loin d’en être responsables. L’assurance chômage ne demeure-t-elle pas un droit fondamental ? Inscrit dans le marbre, ce droit est entériné dans l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946, repris dans la Constitution de la Ve République.

 

Vingt années d’excédents

Pour répondre à ce droit fondamental, l’Unédic (Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce) est créée en 1958. Cette création est alors négociée entre le syndicat de salariés Force ouvrière (FO) et le Conseil national du patronat français (CNPF) – ancêtre du Mouvement des entreprises de France (Medef) – sur un modèle paritaire. Nous sommes en pleine guerre froide. La Confédération générale du travail (CGT), alors très proche du Parti communiste, dispose d’une grande influence, notamment dans la gestion de la Sécurité sociale. Le paritarisme est censé limiter l’emprise ouvrière de la CGT ainsi que l’influence de l’État : les décisions y sont prises conjointement par un nombre égal de représentants de salariés et de patrons |1|.

Ainsi gérés, les comptes de l’Unédic sont d’abord restés excédentaires ou à l’équilibre. Mieux : pendant vingt ans, de 1958 à 1979, les chômeurs sont de plus en plus protégés : l’indemnisation et la couverture – le pourcentage de chômeurs et chômeuses indemnisés – s’accroissent. Le financement de l’indemnisation est abondé par une contribution mutualiste sur le travail, versée d’une part, par les employeurs, et d’autre part, par les employés. Les fameuses cotisations sociales.

 

Comment résorber une dette de 21,3 milliards ?

La situation a bien changé. La dette de l’Unédic atteint 21,3 milliards en 2014. Les effets de la crise sont pointés du doigt : davantage de chômeurs à indemniser et une réduction du nombre d’actifs qui entraîne une baisse des recettes. L’inverse est également vrai. C’est ce que les experts appellent un fonctionnement « contra-cyclique » : le coût actuel de la crise sera en théorie compensé par les recettes de demain. « Le choix a été fait par les partenaires sociaux d’inscrire l’assurance-chômage dans une logique de moyen terme, explique Vincent Destival, directeur général de l’Unédic. Leur objectif n’est pas d’équilibrer les comptes chaque année, mais de le faire à travers un cycle économique complet. »

Devons-nous alors tranquillement attendre l’embellie ? « Avec 1,8% de croissance, 200 000 emplois seront créés, souligne Yves Razzoli, président de la fédération protection sociale et emploi de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Avec 2,5% de croissance, le refinancement de l’assurance-chômage peut aller très vite. » L’histoire tendrait à lui donner raison : la situation financière s’est souvent rétablie grâce à un renversement favorable de conjoncture. Le régime a ainsi été excédentaire entre 1996 et 2001. Mais depuis 2002, malgré une parenthèse en 2007 et 2008, l’Unédic est restée dans le rouge (voir le graphique ci-dessous). Et cela fait une décennie que la France n’a pas atteint les 2,5% de croissance |2|.

 

La belle mécanique s’est enrayée tandis que la crise perdure. Cette dette de 21,3 milliards, même les prévisions de croissance les plus optimistes ne pourront vraisemblablement pas la résorber. Si l’on en croit les prévisions du « consensus des économistes », la dette de l’Unédic pourrait même atteindre 35,1 milliards d’euros en 2018… soit l’équivalent d’environ un an de contributions ! En clair : il faudrait des années de croissance pour résorber la dette qui s’accumule. D’autant qu’elle risque de coûter de plus en plus cher.

Son financement s’obtient généralement à des taux d’intérêt peu élevés. Dans les périodes de crises, les taux sont au plus bas pour faciliter l’emprunt et l’investissement. Pour ses 21,3 milliards d’euros 2014 de dette, l’Unédic a versé 326 millions d’euros d’intérêt à ses créditeurs. Soit 1,5 % de l’endettement sur l’année, ce qui reste faible. Mais si la reprise intervient alors que la dette n’est pas résorbée, les taux d’intérêts risquent de s’élever. Certes, les comptes s’assainiront, mais le coût de la dette doublera sous l’effet de la hausse de taux !

 

L’assurance-chômage peut-elle faire faillite ?

Les créanciers de l’Unédic sont des banques, des fonds de pension, des banques centrales d’autres continents… Mais impossible d’en savoir plus. Non seulement l’Unédic garde confidentielle la liste de ses investisseurs, mais ceux-ci ont en outre la possibilité de revendre les titres de la dette sur le marché secondaire par le biais d’une chambre de compensation, Euroclear. Le tout dans la plus complète opacité. Mais ce n’est pas parce que les investisseurs sont invisibles que leur présence n’est pas palpable : à la table des négociations, les partenaires sociaux doivent faire preuve d’une « bonne gestion » afin de garder leur confiance ainsi que celle des agences de notations. Et donc, pour les rassurer, tout mettre en œuvre pour réduire les déficits… Car l’inquiétude des « investisseurs » a la fâcheuse tendance à augmenter leur perception du risque et, par conséquent, à augmenter les taux d’intérêt.

Ce risque reste en réalité mineur, car l’État garantit les titres de la dette de l’Unédic. De plus, le droit fondamental à l’assurance-chômage fait, qu’en cas de désaccord des partenaires sociaux, l’État prendra le relais sur la prise de décisions. Un cas de figure extrême qui rassure les créanciers prêts à accorder des taux très bas à l’Unédic, relativement proches de ceux accordés à l’État. Mais cette implication n’est pas neutre, et confère à l’État un moyen de pression permanent sur l’Unédic.

Le gouvernement subit lui aussi la pression de Bruxelles et ses injonctions à la rigueur. Si l’Unédic est bien une association privée indépendante, sa dette est considérée comme souveraine aux yeux de la zone euro. Elle est par conséquent comptabilisée dans l’endettement de la France. Cette notion comptable a un impact réel sur nos allocations : l’assurance chômage est concernée par l’effort de rigueur de l’État dans le cadre du respect du traité de Maastricht. Et cette pression ne devrait pas s’alléger tandis que la France peine à réduire sa dette et à contenter Bruxelles.

 

Les erreurs passées des partenaires sociaux

Au fait, comment en est-on arrivé là ? En 1991, débute une grave crise économique qui place l’assurance-chômage dans une position critique. Les partenaires sociaux décident alors d’augmenter les cotisations et de diminuer les allocations, en les rendant dégressives. Malgré ces mesures, la reprise n’est pas au rendez-vous, et la situation s’aggrave. Jean-Paul Domergue, alors directeur des affaires juridiques de l’Unédic, raconte : « Devant cette situation exceptionnelle et catastrophique, les partenaires sociaux sollicitent le soutien financier de l’État. En 1993, un protocole visant à un accroissement des ressources, des économies, et un soutien financier de l’État est signé. Cependant, ces mesures ne suffiront pas, et l’Unédic a été autorisée à émettre un emprunt garanti par l’État, emprunt lancé à hauteur de 22 milliards de francs début 1994. »

Ainsi démarre le cycle des emprunts obligataires garantis par l’État de l’Unédic |3|. Si, au début des années 90, l’augmentation des cotisations contribue à rétablir l’équilibre, dès que le budget est redevenu excédentaire, les partenaires sociaux se sont empressés de les baisser. Elles se stabilisent en 2003 à 2,4 % pour les salariés, et 4 % pour les employeurs. Et n’ont quasiment plus bougé depuis (voir le graphique). Mais, entre-temps, l’Unedic s’est privée de recettes. Une trésorerie qui fait défaut aujourd’hui.

 

 

L’assurance-chômage étranglée par le pacte de responsabilité

Pourquoi les contributions n’ont-elles pas évolué depuis 2003 ? L’État, poussé par Bruxelles, pèse dans les négociations de l’Unédic. Cette implication n’est pas neutre et porte une empreinte néolibérale. Début 2014, le gouvernement a ainsi signé le pacte de responsabilité limitant la marge de manœuvre concernant l’augmentation des cotisations sociales. « C’est un argument que les organisations patronales utilisent dans les négociations, afin de s’assurer que le taux de cotisation n’augmentent pas, sous prétexte que toute hausse du coût du travail entraînerait une baisse de la compétitivité et, donc un frein à la croissance », explique Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière |4|.

Ce « pacte de responsabilité » vient donc étrangler la seule possibilité réelle d’équilibrage des comptes de l’Unédic : l’augmentation des contributions compensant les allocations. Tandis que cette variable est verrouillée, la dette permet alors de faire pression… sur les droits des chômeurs. « Nous avons des discussions schizophréniques, raconte Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT – Spectacle et assesseur au bureau de l’Unédic. Lors de réunions sur le financement de la dette, le Medef insiste sur notre solvabilité » – garantie par l’Etat, la dette ne constitue pas un problème en soi.

« Puis, quand on négocie les droits de chômeur, le Medef nous rappelle à quel point cette dette est dangereuse, ce qui est vrai au demeurant. », poursuit le syndicaliste. Alors pourquoi ce double discours ? « Même si cette dette peut sembler importante, les taux d’emprunt sont bas et l’Unédic est bien notée par les agences de notations. Elle ne se retrouvera pas en défaut de paiement. Dire que la dette est problématique, c’est construire un discours pour revenir sur les droits des chômeurs », analyse Claire Vivés, sociologue au Centre d ’études de l’emploi.

 

A qui profitent les contrats précaires ?

Qu’en pense le Medef ? Contactée à plusieurs reprises par mail et par téléphone, l’organisation patronale n’a « pas eu le temps de répondre » à nos questions en quinze jours. Ses communicants ont quand même réussi à dégager quelques minutes pour rédiger un communiqué de presse à l’occasion de la nouvelle hausse du chômage. Le Medef rappelle qu’il faut « créer en France un environnement favorable à la croissance » grâce au « respect de la trajectoire du Pacte de responsabilité en termes de baisse des charges et de la fiscalité ». En clair : ne touchez pas aux cotisations ! « Tout l’art de la gestion, c’est d’avoir des excédents pour couvrir les déficits, précise le professeur de politiques publiques à l’Université de Paris Est, Michel Abhervé. Mais le Medef l’a refusé, a pesé et pèse encore de tout son poids pour baisser les cotisations. » Au risque de mettre en faillite l’assurance-chômage ?

L’exemple de la sur-cotisation sur les CDD (contrats à durée déterminée) est symptomatique du comportement patronal. Si ce type de contrat court reste encore minoritaire sur le marché du travail (8% en 2012), il représente neuf embauches sur dix et grève littéralement les comptes de l’Unédic : les cotisations sociales prélevées sur un CDD de plusieurs mois ne suffisent pas à couvrir les droits à indemnisation une fois que le salarié précaire se retrouve au chômage. Résultat : en 2011, tandis que le régime général des CDI « rapportait » 12,5 milliards d’euros, celui des CDD « coûtait » 5,5 milliards en indemnisations.

 

 

Les syndicats de salariés ont donc pensé qu’il pouvait être judicieux d’augmenter les contributions sur ces coûteux CDD. D’autant que les employeurs bénéficient aussi de l’assurance-chômage, car la sécurité qu’elle offre permet la flexibilité de tous les contrats à durée déterminée auxquels ils recourent. Victoire des syndicats : l’Accord national interprofessionnel de janvier 2013 permet de taxer plus lourdement les CDD pour les employeurs – à raison de 7% pour les CDD de moins de un mois et de 5,5% pour ceux inférieur à trois mois. Mais victoire symbolique : la surtaxe reste faible et souffre de nombreuses restrictions sur les secteurs touchés. D’autant qu’elle a été « compensée » par l’allégement des cotisations patronales pour l’embauche de moins de 26 ans. Et par le fait de faciliter les licenciements (lire notre article).

 

Chômage des seniors, fraudes patronales et travailleurs détachés

Les CDD ne sont pas les seuls postes de dépenses massives de l’institution. 10 % des ressources de l’Unédic sont en effet consacrés au financement de Pôle Emploi (environ 3 milliards en 2013). On peut également s’interroger sur la charge financière qu’a fait peser la réforme de 2010 – relative au recul de l’âge de la retraite – sur les caisses de l’Unédic : les seniors ne risquaient-ils pas tout simplement de se retrouver au chômage en attendant une retraite plus tardive ? C’est en tout cas ce qui émane d’une étude de l’Unédic de 2010 commentée par Le Monde : les pré-retraités au chômage pourraient coûter environ 500 millions d’euros par an. L’Unédic ne dispose pas d’études récentes sur l’impact de cette réforme.

Au-delà de ces dépenses, le budget souffre également de quelques défauts de paiement. Le recours grandissant au détachement de travailleurs étrangers en France – qui peut s’apparenter à de l’optimisation sociale, puisque les cotisations sont dues dans le pays d’origine – pourrait avoir des conséquences non négligeables. Leur nombre a été multiplié par vingt en dix ans (près de 150 000 travailleurs détachés en 2011). La fraude sociale des entreprises aurait également atteint en 2012 entre 20,1 milliards et 24,9 milliards d’euros, selon le rapport sur la sécurité sociale de 2014 de la Cour des Comptes. Si le non paiement des cotisations chômage ne représentent qu’une partie de cette fraude sociale, son échelle n’est pas comparable à la fraude aux allocations des demandeurs d’emploi, tant décriée. La première se chiffre en milliards, tandis que la seconde a représenté 100 millions d’euros en 2013 selon Pôle Emploi.

 

Les chômeurs n’ont pas voix au chapitre

Montrés du doigt malgré tout, les demandeurs d’emploi ne disposent que de peu de moyen de défense. A l’Unédic, les rapports de force entre les partenaires sociaux définissent à quelle sauce seront mangés les chômeurs… sans que ces derniers ne puissent s’exprimer. A l’exception notable de la CGT qui possède une représentation des demandeurs d’emploi, ces derniers – 5 millions de personnes tout de même ! – ne sont pas représentés au bureau de l’Unédic. Les nombreuses associations qui tentent de fédérer chômeurs et précaires y revendiquent une représentativité. C’est le cas de la Coordination des intermittents et précaires d’Ile de France (CIP-IdF), dans ses « Contre-propositions pour une réforme de l’assurance chômage des salariés intermittents » ou de l’Apeis, (Association pour l’emploi, l’information et la solidarité des chômeurs et travailleurs précaires) à travers la voix de sa porte-parole Malika Zediri : « En plus des deux collèges salarié et patron, nous revendiquons la création d’un troisième collège, constitué de chômeurs et précaires. Mais la volonté politique n’est pas là. »

Aujourd’hui, les organisations syndicales sont considérées comme les seules représentantes des salariés, en emploi ou non. Sollicitées sur leur positionnement vis-à-vis du fonctionnement financier de l’Unédic, certaines d’entre elles n’ont pas souhaité répondre à nos questions : les organisations patronales, la CGC, la CFDT qui occupe pourtant la présidence de l’institution, ont botté en touche. Souhaitent-elles montrer une certaine unité, tandis que s’agite le spectre de la fin de la gestion des partenaires sociaux au profit de l’État, en cas de désaccord sur la prochaine convention d’assurance-chômage ? Jusqu’à aujourd’hui, un consensus s’est obtenu aux prix de certaines concessions, notamment en repoussant le problème et en s’endettant. Maintenant que cette marge de manœuvre est réduite à peau de chagrin, nous ne pouvons que nous demander si les prochaines négociations, début 2016, ne verront pas le rapport de force se cristalliser… aux dépens des chômeurs, actuels et futurs.

Eva Thiébaud et Morgane Rémy

En photo : manifestation d’indignés en Espagne / CC Pepe Pont
Notes

 

 

 
Notes

|1| Pour une histoire complète de l’Unédic, lire Pour un « Grenelle de l’Unédic » de la fondation Copernic aux éditions Syllepse.

|2| Selon les données de la Banque mondiale.

|3| L’endettement de l’Unedic a été décrit et analysé par le vice-président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) Pascal Franchet.

|4| Malgré le maintien du taux de 6,40%, les recettes augmentent très légèrement, sous l’effet notamment de la hausse de la masse salariale. Elles sont passées d’environ 30 milliards d’euros en 2009 à environ 34 milliards en 2014, selon la présentation d’avril de l’Unedic aux investisseurs.

Auteurs
 
Eva Thiébaud
 
Morgane Rémy
 
 
 
 
 
 
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10 juillet 2015 5 10 /07 /juillet /2015 17:55

 

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Illégalité

En pleine canicule, Veolia coupe l’eau dans un immeuble où vivent des personnes vulnérables

par

 

 

 

« Des propriétaires et locataires pris en otage par Veolia. » C’est ce que dénoncent la Fondation France Libertés et la Coordination Eau Ile-de-France qui portent plainte contre l’entreprise française. Ils accusent Veolia d’avoir procédé à une réduction de débit pendant 25 jours, au mois de juin, dans un immeuble à Sète dans l’Hérault, où logent dix familles. Parmi les résidents, une retraitée de 98 ans et un enfant de deux ans, particulièrement vulnérables aux fortes chaleurs « Une réduction de débit dans un immeuble de deux étages n’est ni plus ni moins qu’une coupure, car avec un faible débit l’eau ne peut pas monter deux étages », dénoncent France Libertés et la Coordination Eau Ile-de-France.

 

Mesure arbitraire et illégale

A l’origine de cette réduction de débit, un litige entre Veolia et le syndic de l’immeuble. Tout commence le 4 juin 2015, comme l’indique l’assignation consultée par Basta !. Veolia Eau dépose un document signalant qu’en raison du non paiement, le débit de l’alimentation en eau de l’immeuble va être réduit sous 72 heures. « Le 8 juin, énonce l’assignation, l’alimentation en eau de l’immeuble est limitée, entrainant une réduction du débit proche de la coupure, en particulier lorsque plus d’un utilisateur tire de l’eau ».

S’ensuit un échange de courrier entre une copropriétaire ayant payé ses charges et le service clientèle de Veolia Eau qui l’invite à s’adresser à son syndic. L’entreprise précise qu’ «  aucune erreur de traitement n’est imputable à Veolia Eau dans le suivi et le traitement de ce dossier, et aucun dédommagement ne sera effectué ». Le syndic, qui est en principe en charge du recouvrement des charges, indique qu’il n’a pas les fonds pour recouvrer ces sommes auprès des débiteurs. Bien que seuls deux co-propriétaires n’aient pas payé leurs charges, l’entreprise réduit l’alimentation en eau sur l’immeuble entier. « Cette décision [de Veolia] est non seulement illégale mais également parfaitement arbitraire dans la mesure où l’ensemble des demandeurs est à jour du paiement de ses charges de copropriété qui incluent la provision pour le règlement de la facture d’eau », pointe l’assignation.

 

« Abus de pouvoir insupportable »

« Pour une entreprise comme Veolia, mettre un syndic au tribunal n’est pas un problème, relève Emmanuel Poilane, directeur général de France Libertés contacté par Basta !. Mais il n’y a aucune raison de prendre en otage des citoyens qui n’ont rien à voir là-dedans. Les propriétaires qui n’ont pas payé leurs charges sont ceux qui ne sont pas présents dans l’immeuble. Cet abus de pouvoir est insupportable ! » Veolia Eau n’a pour le moment pas donné suite à notre demande d’entretien. Or, malgré une fâcheuse tendance des entreprises à l’oublier, les réductions de débit comme les coupures d’eau pour impayés sont illégales depuis la loi Brottes adoptée en avril 2013 et confirmée par la décision du Conseil constitutionnel (notre enquête).

France Libertés et la Coordination Eau Ile-de-France ont décidé de porter l’affaire devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux côtés de huit familles pour atteinte à leur dignité [1]. Coïncidence ou non, l’alimentation en eau de l’immeuble a été rétablie le jour du dépôt de l’assignation... En dépit de la loi qui consacre la notion de « droit à l’eau », les associations continuent de recevoir des dizaines de témoignages de personnes victimes de coupures d’eau de la part de leur fournisseur. « Veolia et d’autres comme la Saur continuent comme si de rien n’était, déplore Emmanuel Poilane. Pour ces entreprises, la seule loi qui vaut est celle du plus fort. »

@Sophie_Chapelle sur twitter

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10 juillet 2015 5 10 /07 /juillet /2015 17:40

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Dette souveraine

Grèce, Espagne, Allemagne… quand l’Europe connaissait des faillites d’Etats à répétition

par

 

 

 

Que va-t-il se passer après le non grec au référendum ? Si les créanciers européens de la Grèce refusent de relancer les négociations et de verser la dernière tranche – d’un montant de 7 milliards d’euros – du plan d’aide (concocté en 2011), le pays devrait se retrouver en cessation de paiement, en défaut souverain. Bref, en faillite. Ce ne sera pas la première fois. C’est déjà arrivé à cinq reprises à la Grèce depuis le début du XIXe siècle [1]. Depuis 1800, la Grèce s’est déjà retrouvée en défaut de paiement face à ses créanciers étrangers en 1826, puis en 1843, 1860, 1893 et, enfin, en 1932.

Et elle est loin d’être la seule dans ce cas ! L’Espagne a connu huit faillites au XIXe siècle [2], suite notamment à l’accession à l’indépendance de ses anciennes colonies d’Amérique latine, à des bouleversements politiques, et aussi à quelques crises financières. A la même époque, le Portugal fait défaut à sept reprises [3]. Mais il n’y a pas que les monarchies du sud de l’Europe qui gèrent mal leurs budgets nationaux.

L’actuel champion de la rigueur, l’Allemagne, et les différents États allemands indépendants avant l’unification du pays, ont fait faillite huit fois (en 1807 et 1813 pour la Prusse, en 1812 en Westphalie, 1814 en Hesse, 1850 en Schleswig-Holstein, puis en 1932 et 1939 pour l’ensemble de l’Allemagne). L’empire austro-hongrois, dont une partie devient ensuite l’Autriche, a également connu sept faillites depuis 1800 [4]. Les faillites allemandes et autrichiennes du XIXe siècle sont la conséquence des guerres régionales qu’ils se livrent, dont les guerres napoléoniennes. C’est aussi le cas pour l’unique défaut souverain de la France pendant cette période, en 1812, comme pour celui de la Suède (1812) et des Pays-Bas (1814).

Le paysage change au XXe siècle. Ce ne sont plus les guerres qui provoquent les crises financières, mais l’inverse. Le krach boursier de 1929 aux États-Unis déclenche son lot de faillites d’État : la Grèce et l’Allemagne en 1932, la Roumanie en 1933. Des crises économiques et sociales qui contribuent à renforcer la nouvelle idéologie totalitaire à la mode du moment : le fascisme.

Des dictatures communistes pratiquent l’austérité

Plus récemment, une nouvelle vague de défauts souverains s’est produite dans l’est de l’Europe dans les années 1980. La Roumanie s’est à nouveau retrouvée en cessation de paiement face à ses créanciers en 1981 et 1986. Le régime de Ceaucescu y répond par une austérité autoritaire. « De 1981 à 1986, la dette s’est abaissée de 10,1 milliards de dollars à 5,9 milliards. Pourtant M. Ceaucescu entend persister dans sa politique d’austérité jusqu’en 1990 du moins, année où elle devrait être intégralement remboursée. Or, depuis six ans, l’économie vit pratiquement en état de guerre », pouvait-on lire en 1988 dans Le Monde diplomatique [5]. Le régime tombe en 1989.

La Pologne connaît une situation de faillite similaire à l’orée des années 1980. L’assainissement budgétaire s’accompagne là aussi d’un coup de verrou autoritaire. « La Pologne est en cessation de paiement depuis avril 1981. Elle n’est plus capable de rembourser le capital qui vient à échéance et a les plus grandes peines à s’acquitter des intérêts », expliquait Serge Métais en 1982 [6]. Pour rembourser sa dette, le gouvernement polonais augmente les prix et réduit les subventions à la consommation. Ces mesures de rigueur déclenchent une large vague de grèves.

La situation polonaise d’alors avait déjà montré le peu d’égard des banquiers face aux aspirations des peuples à la liberté. En décembre 1981, pendant les négociations entre la Pologne et ses créanciers occidentaux, le général Jaruzelski proclame l’état de guerre dans le pays. Qu’en disent les banquiers d’alors ? « Quels qu’ils soient, nous devons souhaiter la meilleure chance aux dirigeants du pays et espérer qu’il y aura un retour à une économie productive », estime un banquier de la Bank of America. « La seule question qui nous préoccupe est la suivante : pourront-ils payer leurs factures ? », interroge un de ses homologues à la Citibank [7]. Aujourd’hui, les banques fragilisées par la crise financière de 2008 peuvent se rassurer : les factures ont été payées, en particulier en Grèce.

Rachel Knaebel

@rachelknaebel

Notes

[1Selon les travaux des économistes états-uniens Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff. Voir Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Ed. Pearson, 2010. Une version courte en anglais est disponible ici.

[2En 1809, 1820, 1831, 1834, 1851, 1867 , 1872 , 1882

[3En 1828, 1837, 1841, 1845, 1852 et 1890.

[4En 1802, 1805, 1811, 1816, 1868, 1938 et 1940.

[5"En Roumanie, la faillite d’une économie d’état de guerre", Edith Lhomel, avril 1988.

[6"Pologne : de la faillite d’une politique économique à la remise en cause du système", Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 13, 1982, N°3. pp. 73-91.

[7Un petit florilège est à lire dans un article de 1982 du Monde diplomatique : « La dette polonaise, casse-tête des banquiers », par Jeff Frieden, mars 1982.

 

 

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Source : http://www.bastamag.net

 

 

 

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9 juillet 2015 4 09 /07 /juillet /2015 17:09

 

Source : http://www.reporterre.net

 

Le gouvernement profite de la loi Macron pour imposer sans discussion le projet Cigéo de déchets nucléaires

8 juillet 2015 / Barnabé Binctin (Reporterre)
 


 

 

La loi Macron votée ce jeudi 9 juillet a intégré subrepticement une disposition sans discussion. Le gouvernement a accepté un amendement favorisant la création du projet Cigeo d’enfouissement des déchets nucléaires. EELV espère que le Conseil constitutionnel sanctionnera ce « cavalier législatif ».


Actualisation - 9 juillet 2015 à 17 h 00

L’amendement pro-Cigéo s’est inscrit définitivement dans la loi Macron, adoptée cet après-midi à l’Assemblée nationale.

La loi concerne officiellement "la croissance et l’emploi". Manuel Valls a, pour la troisième fois en quelques mois, fait usage de l’article 49-3 de la Constitution, suspendant ainsi tout débat sur ce projet de loi qui sera donc définitivement adopté, sauf si une motion de censure est déposée dans un délai de 24 heures - ce qui n’est pas à l’ordre du jour.

Dépités, les écologistes misent désormais sur le conseil constitutionnel pour recaler un « cavalier législatif n’ayant rien à voir avec la croissance et l’activité » .


Jeudi 9 juillet, 15 h 00
Alors qu’une commission spéciale sur le projet de loi se réunissait ce jeudi matin, un deuxième amendement a été déposé.

Après avoir défendu l’amendement déposé au Sénat par Gérard Longuet – validé avec « avis favorable » par cette commission – François Brottes, député PS et rapporteur de la loi sur la Transition énergétique, a lui-même déposé un amendement sur Cigéo.

« S’il diffère quelque peu dans l’exposé des motifs, le contenu est identique. L’amendement est doublé, en quelque sorte », explique Jean-Louis Roumégas, député EELV de l’Hérault et membre de cette commission spéciale sur la loi Macron. « Il l’a justifié par un ’fait nouveau’ : la difficulté financière d’Areva qui nécessiterait d’accélerer… un argumentaire complètement hors-de-propos ».

Le député de l’Hérault craint que M. Brottes ait agi « sur ordre du gouvernement ». Si l’utilisation du 49-3 doit être confirmée d’une minute à l’autre, le Gouvernement aurait alors la possibilité de revenir sur ces amendements, en choisissant de les garder ou non. « Il en a la totale et l’entière responsabilité. Si Cigéo passe, c’est non seulement une rupture de confiance et un déni de démocratie, mais c’est un acte potentiellement irréparable et gravissime pour l’écologie » prévient Jean-Louis Roumégas. De dernières tractations étaient en cours en début d’après-midi entre le groupe écologiste de l’Assemblée nationale et le cabinet de Matignon.


8 juillet 2015

Mercredi 1er juillet, le Sénat a adopté en plénière, en nouvelle lecture, le projet de loi Macron, un texte sur lequel le gouvernement a déjà engagé deux fois sa responsabilité. Dans cette nouvelle version, l’article 54bisAA, visant à favoriser l’ouverture de Cigéo, est bien présent. Il avait été introduit le 18 avril dernier, au Sénat déjà, dans un hémicycle quasiment vide, à 5h du matin (Reporterre avait raconté cet épisode surprenant)…

Allers-retours législatifs

L’article a été retiré, mi-juin, lors du passage devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale. Et malgré de nouvelles tentatives d’introduire ces dispositions lors du nouveau passage devant l’Assemblée nationale, l’utilisation du 49-3 annule les débats et l’examen des amendements, proposés par plusieurs députés de droite dont M. Bertrand Pancher (voir ci-dessous).

Sortie du texte de loi, la disposition y est cependant revenue puisque, dès le 19 juin, M. Longuet a déposé pour la troisième fois, en commission spéciale du Sénat, son amendement facilitant l’autorisation de Cigéo. Cet acharnement joue du flou qui règne sur les votes et les débats : « L’amendement a été noté comme rejeté pendant quelques heures avant d’être finalement adopté. C’est curieux, on ne sait pas ce qui s’est passé », relate Romain Virrion, directeur de Mirabel Lorraine Nature environnement, qui suit de près les débats.

 

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L’hémicycle de l’Assemblée Nationale

Deux amendements tentent alors de s’opposer à la disposition pro-Cigéo, mais ils ne sont pas votés. « Les choses étaient plus tranchées encore qu’en avril car ce n’était plus seulement Gérard Longuet mais toute la commission spéciale du Sénat qui soutenait Cigéo », explique Jean Desessard, député EELV porteur d’un des deux amendements d’opposition. L’article favorable à Cigéo est donc bel et bien réintroduit dans le projet de loi Macron.

« C’est très difficile à suivre pour la société civile. Tous ces allers-retours entre les les chambres du Parlement, entre commissions spéciales et séances plénières, etc. Là, c’est un sujet tellement important qu’on y consacre beaucoup d’attention, mais on imagine que sur plein d’autres sujets », avoue Romain Virrion.

Treizième tentative de glisser en douce le projet

Et pour cause : en moins d’un an (septembre 2014), c’est la treizième « tentative de glisser en douce l’autorisation du projet » dans une loi, a compté la coalition des associations écologistes qui regroupe notamment Les Amis de la Terre, France nature Environnement et le Réseau Sortir du Nucléaire.

Une chronologie de ces « intrusions de modifications législatives » a même été réalisée, depuis la toute première tentative, qui concernait alors la loi de transition énergétique (voir également à ce sujet le reportage de Reporterre) :

- Chronologie à télécharger : ici

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Emmanuel Macron

« Cela commence à faire beaucoup de tentatives, remarque Romain Virrion. Signe qu’il doit y avoir des pressions importantes. » Signe aussi, peut-être, de l’indécision du gouvernement en la matière. Si les véritables convictions de Ségolène Royal restent incertaines sur le sujet, la position d’Emmanuel Macron est simple : « Il m’a dit qu’il était favorable à Cigéo, il attend juste le bon moment politique », glisse Bertrand Pancher, député UDI de la Meuse et lui-même favorable au projet...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : http://www.reporterre.net

 

 

 

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8 juillet 2015 3 08 /07 /juillet /2015 16:49

 

 

 

Le crépuscule d’une époque

mardi 7 juillet 2015, par Frédéric Lordon

 

 

 

C’est une photo comme il y en a des milliers, certaines sympathiques, d’autres grotesques : un selfie. Deux ahuris font un selfie, regards béats et satisfaits. Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Ils sont visiblement très contents de leur coup, « on va le mettre sur Twitter pour les faire chier ». Arnaud Leparmentier et Jean Quatremer. On est jeudi 2 juillet, jour de manifestation de solidarité avec le peuple grec. Il y a une légende à la photo : « Ça va Bastille ? Nous on est rive gauche ».

En fait, oui, ça va, pas mal même. Et vous ?

***

Une victoire électorale, fut-elle massive, n’a par soi aucun vrai pouvoir de dessillement du camp d’en face, ni d’endiguement des contre-vérités. On n’attendra donc pas des deux ahuris au selfie qu’ils renoncent à leurs scies préférées : « les contribuables européens ne veulent pas payer pour les fonctionnaires grecs » ; « et si la Grèce fait défaut, ce sont les retraités slovaques et allemands qui paieront pour eux » — soit le bon sens à front de bœuf.

Les contribuables européens ne payent pas pour les fonctionnaires grecs. Ils payent pour les épargnants européens. Car c’est une tuyauterie financière désormais entièrement circulaire qui prête aux Grecs pour qu’ils remboursent les créanciers — de ces euros-là qui circulent sous leur nez, les Grecs ne voient pas la couleur. Les contribuables européens ont d’abord payé pour la reprise publique des titres grecs détenus par les banques privées — un grand classique. Maintenant ils payent directement pour eux-mêmes — enfin certains pour d’autres. On progresse…

Voir aussi « Comment sauver vraiment la Grèce », Le Monde diplomatique, juillet 2015, en kiosques.Ils payent surtout en conséquence une des plus colossales erreurs de politique économique de l’histoire, inscrite il est vrai dans les traités européens et engendrée de leur fonctionnement quasi-automatique : forcer le retour vers les 3 %-60 % en pleine récession, a conduit à la destruction d’une économie, ni plus ni moins : 25 % de PIB en moins, 25 % de taux de chômage, tout le monde connaît ces chiffres qui sont désormais entrés dans l’histoire. Le plus étonnant, mais en réalité c’est un signe d’époque, c’est l’incapacité de ces données pourtant massives, données d’une faillite intellectuelle écrasante, à désarmer l’acharnement et déclencher le moindre processus cognitif de révision. Leparmentier et Quatremer continueront donc soit de soutenir que les traités n’y sont pour rien, soit de maintenir qu’il s’agissait de la seule politique possible, soit d’assurer que pour notre bonheur ça n’était pas seulement la seule possible mais la meilleure. Soit de regarder ailleurs — les fonctionnaires grecs. Autisme et quasi-racisme (car il faut voir ce que depuis 2010 ces deux-là auront déversé sur « le Grec »). Bellicisme aussi d’une certaine manière, pour ceux qui n’ont que « l’Europe de la paix » à la bouche mais s’acharnent à jeter les uns contre les autres Grecs et « Européens » (les autres) — « contribuables européens » contre « fonctionnaires grecs », ou quand l’aveuglement idéologique n’hésite plus à répandre la discorde pour se donner libre cours : si le contribuable européen veut obtenir justice, qu’il la réclame au fonctionnaire grec. Eh bien non : si le contribuable européen veut obtenir justice, qu’il la réclame à ses gouvernants qui, « en son nom », ont pris la décision éclairée de le charger pour sauver les banques, et puis de charger la Grèce en s’adonnant à la passion macroéconomique des traités.

En matière de passions, Leparmentier et Quatremer n’ont pas que celle des contribuables : celle des retraités aussi (pourvu qu’ils ne soient pas grecs). « Qu’est-ce que vous dites aux retraités de Bavière si la Grèce ne rembourse pas ? » demande Leparmentier à Piketty qui répond à base de grande conférence sur la dette en Europe [1]. On pourrait répondre aussi que si les Bavarois avaient une retraite entièrement par répartition, cette question n’aurait même pas lieu d’être. On pourrait répondre que c’est bien ce qui arrive quand depuis des décennies on fait le choix de faire passer le financement de toutes les activités sociales — retraites, études universitaires, bientôt santé, etc. — par les marchés de capitaux, ce fléau voué à toutes les catastrophes. Et que, là encore, ça n’est pas « aux Grecs », mais à tous les gouvernants qui ont pris ce parti de la financiarisation qu’il faut s’adresser. Ou bien accepter que la retraite confiée aux marchés, ça fait… comme les marchés : ça va, ça vient, un mauvais investissement et c’est le bouillon. On pourrait d’ailleurs, et enfin, répondre qu’on n’a pas le souvenir d’avoir vu Leparmentier prendre fait et cause pour les retraités de la capitalisation lorsque les marchés d’actions se sont effondrés au début des années 2000, et toute la finance dans un bel ensemble en 2007-2008, au passage pour des pertes autrement considérables que celles qui suivraient d’un défaut grec — mais il est vrai qu’il n’y avait alors ni fonctionnaires grecs ni gouvernement de gauche à incriminer.

***

Et maintenant que peut-il se passer ? L’« alternative de la table » est-elle dépassée si peu que ce soit ?

De 2005 à 2015, si l’on fait bien les comptes, on jouit une fois tous les dix ans. C’est bon à proportion de ce que c’est rare — avouons les choses, imaginer la tête des ahuris au selfie (et de tous leurs semblables) est spécialement délectable. Mais tout ceci n’implique pas de céder complètement à l’ivresse. Il n’y a rien de significatif à gagner dans la négociation avec la troïka. Le scénario le plus avantageux est donc celui d’une reprise de négociation d’où sortiront quelques concessions de second ordre — diminution de la décimale du surplus primaire exigé, licence laissée au gouvernement grec d’organiser l’ajustement budgétaire comme il l’entend (et non sous la menue dictée de la troïka), promesse éventuelle d’une discussion sur la restructuration de la dette (en étant vraiment très optimiste).

C’est qu’il y a des raisons sérieuses à ce que rien de plus ne puisse être obtenu. On les connaît. L’Allemagne en fait partie. Qu’entre Sigmar Gabriel et Martin Schulz, la réaction du Parti social démocrate (SPD) ait été encore plus violente que celle d’Angela Merkel pourrait peut-être finir par faire apercevoir de quoi il y va vraiment dans la position allemande. Les principes d’orthodoxie dont l’Allemagne a exigé l’inscription dans les traités sont l’expression d’une croyance monétaire transpartisane et pour ainsi dire métapolitique – en amont des différenciations politiques. Elle n’est pas une affaire d’« idéologie politique » au sens ordinaire du terme, c’est-à-dire de quelque chose qui ouvrirait la perspective d’un retournement possible à échéance électorale, mais une construction symbolique de longue période qui donne leur cadre commun aux alternances.

C’est dire combien la thèse de l’« Allemagne de Merkel », cette argutie de raccroc pour tous les Bernard Guetta, faux appel à la patience d’une future « Europe social-démocrate » [2] quand le débris qu’est la social-démocratie européenne est entièrement passé à droite, c’est dire combien cette thèse était promise — par bêtise ou par cécité volontaire ? — à ne rien comprendre à ce qui se passe en Europe, et surtout à ce qui ne pourra jamais s’y passer, en tout cas dans sa configuration actuelle.

Ce qui ne pourra jamais s’y passer c’est qu’un pays, qui plus est du Sud, prétende s’être soustrait aux principes — le thème récurrent de tout le commentaire allemand sur la Grèce, c’est la règle enfreinte. Que cette règle ne convienne qu’à l’Allemagne, qu’elle soit la sienne même, que partout ailleurs ou presque son application forcenée ait tourné à l’un des plus grands désastres économiques de l’histoire européenne, rien de ceci ne produira le moindre bougé — et jusque dans les autres pays, notamment la France, en état de stupéfaction fusionnelle avec l’Allemagne, hommes politiques pour qui le « couple franco-allemand » est devenu un intouchable fétiche auquel tout sera aveuglément sacrifié, experts ressassant le catéchisme ordolibéral (dont même les économistes américains se tapent sur les cuisses qu’on puisse être bête à ce point de le prendre au sérieux), éditorialisme du gramophone.

C’est bien ici en tout cas que s’avèrera la malfaçon européenne. Le peuple allemand vit à sa manière la chose monétaire. C’est son droit le plus absolu. Mais il a choisi d’imposer sa manière à tous les autres. Et les problèmes ne pouvaient qu’apparaître. Après cinq ans d’épuisement, et même de persécution économique, le peuple grec vient de dire que cette manière, il n’en voulait plus. Ce sera donc manière contre manière, et voilà pourquoi l’« alternative de la table » se trouve reconduite à l’identique — aux concessions cosmétiques près dont on fait les communiqués de victoire des deux bords.

Voir le dossier « L’Allemagne, puissance sans désir », Le Monde diplomatique, mai 2015.Il ne faut pas douter en effet de la réponse que donnerait l’électorat allemand s’il était consulté, sans doute d’autres avec lui, mais lui tout spécialement. Au lendemain du « non » grec, les incompatibilités européennes sont maintenant aiguisées à un point qui réduit à très peu l’espace des compromis, et ne permet plus du tout d’exclure par exemple que le Parlement allemand, écrasante majorité sociale réunie derrière lui, rejette tout nouvel accord de l’Eurogroupe. Le référendum de Tsipras avait évidemment (aussi) à voir avec la préservation de sa coalition. Le refus de Merkel procédera des mêmes mobiles – auxquels il n’y a pas grand-chose à redire : à un certain moment les hommes politiques sont rappelés aux nécessités de leur politique nationale, celle qui les a mis là où ils sont.

Comme toujours la chasse aux lièvres sera ouverte et l’on verra le commentaire se précipiter avec passion sur toutes les fausses pistes : l’irresponsabilité des uns, l’égoïsme des autres, le défaut de solidarité de tous. Soit le fléau du moralisme. Car le moralisme est bien cette pensée indigente qui rapporte tout aux qualités morales des acteurs sans jamais voir ni les structures ni les rapports : rapports de force, de convenance ou de disconvenance, de compatibilité et de viabilité. On ne compose une totalité collective viable que si l’on met ensemble des parties qui entretiennent entre elles des rapports de compatibilité minimale. Et si cette compatibilité tombe sous un certain seuil critique, alors la totalité — tautologiquement — court à la décomposition. Le rapport entre la croyance monétaire allemande et les blocs d’affects de certains autres peuples européens est en train d’atteindre ce seuil. L’incompatibilité, restée masquée tant qu’un environnement macroéconomique pas trop défavorable permettait de tenir à peu près les objectifs, était vouée à devenir criante au premier point de crise sérieuse. Depuis 2009, nous y sommes.

Le droit des Allemands de ne pas vouloir voir enfreintes les règles auxquelles ils tiennent par-dessus tout est finalement aussi légitime que celui des Grecs à ne pas être précipités aux tréfonds de la misère quand on les leur applique. C’est donc d’avoir imaginé faire tenir ensemble durablement ces deux droits sans penser aux conditions où ils pourraient devenir violemment antagonistes qui était une mauvaise idée. Ou alors il faut disposer des institutions qui rendent un peu plus compatibles les incompatibles, par exemple une union de transfert, sous la forme d’une (très significative) assurance-chômage européenne — le rapiéçage minimal quand, par ailleurs, tant de lourds problèmes demeureraient. Ceci en tout cas n’a rien d’une question de morale, c’est une question de structures, capables ou non d’accommoder des forces politiques centrifuges au sein d’un ensemble mal construit, et menacé d’une perte complète de viabilité pour n’avoir pensé aucune régulation de la divergence. Si l’Allemagne ne veut pas entendre parler d’annulation d’une (part de) dette qui ne peut qu’être annulée, il s’en suivra logiquement l’éclatement de la zone euro.

Et par tous les bouts. Car il ne faut pas s’y tromper : si d’aventure il se formait une coalition d’Etats-membres pour soutenir cette annulation, et plus généralement une réforme d’ampleur des principes monétaires de la zone, c’est l’Allemagne, éventuellement accompagnée de quelques semblables, qui menacerait de prendre le large, au nom de la défense de ses irréfragables principes — Gerxit et non Grexit, l’hypothèse constamment oubliée.

***

Il ne faut donc pas se tromper dans l’appréciation de la portée de l’événement oχi. Il est des plus que douteux que le gouvernement Syriza obtienne davantage que des concessions marginales — dont il lui appartiendra de faire comme il peut une présentation triomphale… Mais ça n’est pas ainsi qu’il faut juger de l’événement, car c’est un ébranlement d’une tout autre sorte qui s’est produit dimanche 5 juillet. L’ébranlement d’un peuple entier entré en rébellion contre les institutions européennes. Et l’annonce d’un crépuscule — donc aussi d’une aube à venir.

Ce qui s’est trouvé enfin condamné et appelé à l’effacement historique sous cette poussée d’un peuple, c’est une époque et ses hommes. Nous allons enfin entrer dans l’agonie de l’économicisme, cette dégénérescence de la politique, une vocation à la non-politique qui, comme de juste, ne cesse pas de faire de la politique — de même que la « fin des idéologies » est le dernier degré de l’idéologie —, mais de la pire des façons, au tréfonds d’un mélange de mensonge et d’inconscience. Seuls de grands cyniques étaient capables de voir que le règne gestionnaire, la réduction économiciste de tout, qui se targuent de préférer l’administration des choses au gouvernement des hommes, comme l’auront répété en boucle tout ce que le néolibéralisme a compté d’idiots utiles, seuls de grands cyniques, donc, étaient capables de voir qu’il y avait dans cette profession de foi anti-politique la plus sournoise des politiques.

Quitte à être du mauvais côté de la domination, il faut regretter qu’il n’y ait pas plus de cyniques. Eux au moins réfléchissent et ne se racontent pas d’histoires — ni à nous. On leur doit l’estime d’une forme d’intelligence. Mais quand les cyniques manquent ce sont les imbéciles qui prolifèrent. Le néolibéralisme aura été leur triomphe : ils ont été partout. Et d’abord au sommet. Une génération d’hommes politiques non-politiques. Le pouvoir à une génération d’imbéciles, incapables de penser, et bien sûr de faire de la politique. Le gouvernement par les ratios est le seul horizon de leur politique. On comprend mieux le fétichisme numérologique qui s’est emparé de toute la construction européenne sous leur conduite éclairée : 3 % [3], 60 %, 2 %. Voilà le résumé de « l’Europe ». On comprend que ces gens soient réduits à la perplexité d’une poule devant un démonte-pneu quand survient quelque chose de vraiment politique — un référendum par exemple. La perplexité et la panique en fait : la résurgence des forces déniées est un insupportable retour du refoulé. Qu’il y ait des passions politiques, que la politique soit affaire de passions, cela n’était pas prévu dans le tableur à ratios. Aussi observent-ils, interdits, les événements vraiment politiques : la quasi-sécession écossaise, les menaces équivalentes de la Flandre ou de la Catalogne — le sursaut grec, évidemment. Le choc de l’étrangeté est d’ailleurs tellement violent qu’ils s’efforcent spontanément de le recouvrir. Comme la guerre de Troie, les référendums n’ont pas eu lieu.

En une tragique prédestination à l’échec, c’est à cette génération qu’a été remise la construction européenne. On lui aura dû cette performance, appelée à entrer dans l’histoire, d’une monnaie unique sans construction politique — catastrophe intellectuelle typique de l’économicisme qui croit à la souveraineté de l’économie, et pense que les choses économiques tiennent d’elles-mêmes. Même leur réveil tardif, et brutal, est aussi pathétique que le sommeil épais d’où il les tire : « il faut une Europe politique ! » Mais le pyjama est de travers, le cheveu en bataille et les idées encore un peu grumeleuses. C’est qu’il ne suffit pas d’en appeler à une Europe politique pour qu’ipso facto elle advienne. La formation des communautés politiques n’est pas un jeu de Meccano. Comment fait-on vivre ensemble des idiosyncrasies hétérogènes ? Par quelles formes institutionnelles peut-on espérer réduire leurs incompatibilités ex ante ? Quelles sont les contraintes d’une économie générale de la souveraineté ? Quelles sont les conditions de possibilité d’acceptation de la loi de la majorité ? Sont-elles nécessairement remplies ? Et dans le cas présent ? Tiens, on va aller poser toutes ces questions à Michel Sapin.

Lire « Un peuple européen est-il possible ? », Le Monde diplomatique, avril 2014.Comme un symptôme du degré ultime de soumission à l’ordre des choses qu’aura incarné la « social-démocratie », c’est en effet au Parti socialiste qu’on trouve les plus beaux spécimens de la catastrophe : Sapin donc, mais aussi Macron, Valls, Moscovici, et bien sûr, primus inter pares, Hollande. Les figures ahuries du gouvernement des ratios et, en temps de grande crise, les poules dans une forêt de démonte-pneu. Un cauchemar de poules. Il faut les regarder tourner ces pauvres bêtes, désorientées, hagardes et incomprenantes, au sens étymologique du terme stupides. Tout leur échappe. D’abord il y a belle lurette que les ratios ont explosé à dache, mais la vague angoisse qui les gagne leur fait bien sentir que c’est plus grave que ça : ça pourrait ne plus être une affaire de ratios… La pensée par ratios risque de ne plus suffire. Il faudrait refaire « cette chose… » : de la politique. « Mais comment faire ? Nous ne savons pas ».

On le sait qu’ils ne savent pas. Le pire, d’ailleurs, c’est quand ils font comme s’ils savaient. Qu’ils s’essayent à la « vision ». « Il faut que les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires », voilà la pensée des ratios dans son effort de « prendre de la hauteur ». Les ratios en hauteur, ça donne ça : la vision civilisationnelle d’Emmanuel Macron. Voici les gens que nous mandatons pour nous conduire. Mais où peuvent-ils nous emmener si ce n’est au désastre — civilisationnel, précisément ? Comment imaginer que l’Europe à tête de bulot ait pu aller ailleurs qu’au naufrage ? Quelqu’un depuis vingt ans a-t-il éprouvé le moindre tremblement à un discours européiste ? Senti le moindre souffle ? Peut-on composer une épopée autre que grotesque lorsqu’on met bout à bout les odes à l’Europe sociale d’Elisabeth Guigou et de Martine Aubry, les bafouillements de Jacques Delors, les chuintements de Jean-Claude Juncker, les hystéries de Cohn-Bendit, les commercialismes de Lamy, les fulgurances charismatiques de Moscovici, et tant d’autres remarquables contributions à la chronique d’un désastre annoncé ? La vérité est qu’il suffisait de les écouter, ou plutôt de tendre l’oreille, en fait de percevoir l’absence de toute vibration, pour se pénétrer de la certitude de l’échec : une entreprise historique conduite par des gens de cette étoffe ne pouvait qu’échouer.

Il ne faut pas faire acception de cas singuliers : c’est bien une génération entière qui est en cause. La génération du néolibéralisme. Les autres pays ont les leurs, les mêmes : Barroso, Renzi, Monti, Zapatero, Verhofstadt, etc., tous ont été formés dans la même matrice, la matrice d’une époque. Comment l’économicisme néolibéral qui est une gigantesque dénégation du politique ne pouvait-il pas engendrer sa génération d’hommes politiques ignorants de la politique ? « Abandonnez ces sottises, regardez les ratios, ils ne sont ni de droite ni de gauche », on ne compte plus les décérébrés qui, répétant cet adage, auront cru s’affranchir de la politique, en faisant la pire des politiques : la politique qui s’ignore.

Et ceux-là auront été partout, pas seulement sous les lambris. Car c’est tout un bloc hégémonique qui aura communié dans la même éclipse. A commencer par ses intellectuels organiques, si vraiment on peut les appeler des intellectuels puisque, de même qu’il a fait dégénérer les hommes politiques, le néolibéralisme n’a produit que des formes dégénérées d’intellectuels : les experts. Et forcément : l’économicisme néolibéral ne pouvait se donner d’autres « intellectuels » que des économistes. Les dits think tanks auront été la fabrique de l’intellectuel devenu ingénieur-système. A la République des Idées c’était même un projet : en finir avec les pitres à chemise échancrée, désormais le sérieux des chiffres — la branche universitaire de la pensée des ratios.

Et derrière eux toute la cohorte des perruches — les journalistes. Fascinés par le pseudo-savoir économique auquel ils n’ont aucun accès de première main, ils ont gravement répété la nécessité de commandements économiques auxquels ils ne comprennent rien — de la même manière, on peut le parier, que, têtes vides, ils se la laisseront remplir par le nouvel air du temps et soutiendront exactement l’inverse dès que les vents auront tourné.

Il faut déjà les imaginer perturbés et angoissés par le conflit renaissant des autorités, comme des enfants devant la dispute des parents. Car on entend des économistes dissonants — si ce ne sont que des hétérodoxes, ça n’est pas trop grave. Mais il y a aussi ces prix Nobel qui disent autre chose — c’est tout de même plus sérieux. Pire encore, de l’intérieur même de la curie, du dissensus se fait entendre : des économistes du FMI suggèrent mezza voce qu’il aurait pu y avoir quelques erreurs… du FMI, une sombre histoire de multiplicateur [4], mais on comprend bien que l’édifice doctrinal n’était pas, comme on le croyait, en marbre de Carrare. Que le monde ait été plongé en plein chaos en 2008, que des pays européens se tapent des descentes façon Grande Dépression années trente, non, cela ne pouvait avoir aucun effet sur les perruches, tant que la volière restait bien arrimée : ouvrir les yeux pour s’interroger ne sert à rien puisqu’il suffit d’écouter les réponses qui font autorité. Mais quand l’autorité commence à se craqueler, et que le clou menace de céder ?…

Pour l’heure il tient encore. On dépayse la volière et les perruches prennent le chemin d’Aix-en-Provence, où l’on va se réchauffer, et se rassurer, entre soi. On reviendra dûment regonflé en répétant les éléments de langage avec d’autant plus de conviction qu’ils ne sont pas reçus comme des éléments de langage mais comme des évidences qui parlent d’elles-mêmes : réforme, ne-pas-dépenser-plus-qu’on-ne-gagne (enfin-c’est-élémentaire), la-dette-qu’on-va-laisser-à-nos-enfants. Et puis pour les plus doués, ceux qui sont en classe supérieure : archéo-keynésianisme. C’est Emmanuel Macron qui le dit, et comme nous l’avons vu, c’est quelqu’un. Evidemment la perruche ignore cette phrase de Keynes, à qui ce serait faire insulte que de le mettre en simple comparaison avec Macron, cette phrase qui dit qu’il n’est pas de dirigeant politique qui ne soit l’esclave qui s’ignore d’un économiste du passé. C’est peu dire que Macron fait partie de ces esclaves inconscients et ravis. Et pour cause : il ne connaît même pas son maître. On va le lui indiquer. Son maître s’appelle Pigou. Une espèce d’Aghion de l’époque qui a si bien plaidé la cause de l’ajustement par les marchés que Hoover, Brünning et Laval ont dans un bel ensemble précipité leurs économies dans l’effondrement de la Grande Dépression. Emmanuel Macron, qui a appris à l’ENA l’économie dans la même version que son président l’histoire — pour les Nuls — ronronne de contentement en s’entendant dire « archéo-keynesien ». Et les perruches caquètent de joie tout autour. Le problème c’est qu’il est, lui, paléo-libéral. Et qu’il ajoute son nom à la série historique des années trente.

Et puis il y a l’élite : les twittos à selfie. Même au milieu des ruines fumantes de l’Europe effondrée, eux ne lâcheront rien : ce sera toujours la faute à autre chose, les Grecs feignants, les rouges-bruns, la bêtise des peuples, l’erreur, quand même il faut le dire, de trop de démocratie. Mais tous les systèmes ont leurs irréductibles acharnés et leurs obturés du jusqu’au bout.

Têtes politiques en gélatine, experts de service, journalisme dominant décérébré, voilà le cortège des importants qui aura fait une époque. Et dont les réalisations historiques, spécialement celle de l’Europe, seront offertes à l’appréciation des temps futurs. Il se pourrait que ce soit cette époque à laquelle le référendum grec aura porté un coup fatal. Comme on sait, il faut un moment entre le coup de hache décisif et le fracas de l’arbre qui s’abat. Mais toutes les fibres commencent déjà à craquer. Maintenant il faut pousser, pousser c’est-à-dire refaire de la politique intensément puisque c’est la chose dont ils ignorent tout et que c’est par elle qu’on les renversera.

L’histoire nous livre un enseignement précieux : c’est qu’elle a des poubelles. Il y a des poubelles de l’histoire. Et c’est bien. On y met les époques faillies, les générations calamiteuses, les élites insuffisantes, bref les encombrants à oublier. Alors tous ensemble, voilà ce qu’il faudrait que nous fassions : faire la tournée des rebuts, remplir la benne, et prendre le chemin de la décharge.

Notes

[1] Thomas Piketty, « Ceux qui cherchent le Grexit sont de dangereux apprentis-sorciers », Le Monde, 4 juillet 2015.

[2] Bernard Guetta, « De l’urgence de savoir défendre l’Europe », Libération, 26 février 2013.

[3] Cf. « La règle des 3 % de déficit est née sur un coin de table », Le Monde diplomatique, octobre 2014.

[4] Olivier Blanchard et Daniel Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers » (PDF), IMF Working Paper, janvier 2013.

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7 juillet 2015 2 07 /07 /juillet /2015 17:35

 

Source : http://geopolis.francetvinfo.fr

 

 

La Grèce loin derrière les pays les plus endettés au monde

Par Mohamed Berkani | Publié le 06/07/2015 à 16H48, mis à jour le 06/07/2015 à 16H48

 

 

 

Dette publique
© DR/Capture d'écran
 

La Grèce n’est pas le pays le plus endetté au monde, loin de là. Il fait même figure de petit débiteur. Le podium est occupé par les Etats-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. La France est au pied du podium.


Il est 17h. Chaque Américain est endetté à hauteur de 47,749 dollars, chaque Britannique de 43,014, chaque Français de 38,621. Et chaque Grec de 22,901 dollars.

Pour la dette publique, les Etats-Unis continuent d’occuper la première place avec plus de 15.210.772.950.820 dollars. Quinze mille 210 milliards 772 millions 950 mille 820 dollars. Soit 7 fois la dette de la France.
 

Dette publique
Capture d'écran © DR


La Grèce arrive loin derrière avec 261,987,431,694 dollars. 261 milliards de dollars.
 
Tout dépend de l’heure à laquelle vous lisez ce papier, soyez sûr et certain : ces sommes sont déjà dépassées. Au moment où nous mettons en ligne, la dette publique globale est de 56.442.112.129.094 dollars. Cela change toutes les secondes. On en est à combien? Cliquez ici pour vérifier! 

 

 

 

Source : http://geopolis.francetvinfo.fr

 

 

 

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6 juillet 2015 1 06 /07 /juillet /2015 18:00

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Energie

Le véritable bilan annuel d’EDF : pourquoi l’Etat actionnaire devient totalement schizophrène

par , Olivier Petitjean

 

 

 

 

 

C’est à n’y rien comprendre. Le gouvernement français souhaite réduire la part de l’énergie nucléaire ? EDF s’y oppose. Le gouvernement entend accélérer le développement des énergies renouvelables ? EDF fait le contraire. Le gouvernement lutte contre l’évasion fiscale ? EDF ne ferme pas ses filiales dans les paradis fiscaux. Le gouvernement assure vouloir lutter contre la précarité énergétique ? EDF plaide sans cesse pour une augmentation des tarifs. Pourtant EDF appartient à l’Etat, donc aux citoyens français…

Le fondateur d’EDF, Marcel Paul, ministre de la Production industrielle à la Libération, n’en reviendrait pas. Lui-même ancien électricien, le résistant et député communiste du Limousin a joué un rôle crucial dans la création du service public nationalisé de l’énergie. Soixante-dix ans plus tard, il aurait bien du mal à reconnaître l’entreprise – encore formellement publique, puisque l’État en détient toujours 84% – et les valeurs qu’elle incarne.

Qu’il s’agisse de fiscalité, de droits des travailleurs ou d’environnement, quelle entreprise illustre mieux qu’EDF la schizophrénie de l’État actionnaire ? Le groupe ne cesse, par exemple, de réclamer une hausse des tarifs de l’électricité alors que ceux-ci ont déjà explosé depuis dix ans et que cinq millions de Français vivent en situation de précarité énergétique. Des critiques similaires émergent au Royaume-Uni, où l’entreprise est très présente. Faut-il préciser qu’EDF a dégagé un confortable bénéfice de plus de 13 milliards d’euros en quatre ans, dont 60% a été reversé à ses actionnaires, en l’occurrence l’État. Depuis vingt ans, EDF s’est lancée dans des acquisitions à l’étranger – pas toujours avec succès –, au risque de négliger les besoins d’investissements en France. Au passage, elle a également implanté quelques filiales dans des pays considérés comme des paradis fiscaux.

EDF est le 19e plus gros émetteur de CO2 au monde

En France, EDF s’oppose à la volonté de l’État de réduire la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité et de fermer la plus vieille centrale nucléaire en activité, celle de Fessenheim en Alsace. Le Président François Hollande, élu en 2012, s’est engagé à ce que cette part soit réduite à 50% d’ici 2025, alors que l’électricité d’origine nucléaire pèse aujourd’hui 88% dans le « mix énergétique » d’EDF. L’entreprise a déployé de multiples efforts pour tenter d’éviter que cet objectif soit inscrit dans la loi. Le service public de l’énergie n’obéirait-il plus à la souveraineté démocratique ? La sûreté des centrales nucléaires et l’échéance de leur vieillissement n’est elle pas également une question cruciale, qui devrait être soumise à un réel débat de fond, informé et transparent ?

Côté climat, cette schizophrénie est encore plus flagrante. EDF est le 19e plus gros émetteur de CO2 au monde. Alors que l’actuel gouvernement s’est engagé en faveur d’une transition énergétique, « son » entreprise publique ne produit en France et dans le monde que 10% d’énergies renouvelables et s’oppose à tout objectif officiel d’efficacité énergétique. Et encore, certains projets d’énergie « verte » développés par EDF dans le monde, notamment les grands barrages, sont chaudement contestés. Si l’on retire l’énergie hydraulique, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité du groupe en France tombe à un misérable 0,1%. Cette bien piètre performance n’a pas empêché EDF à être choisie comme l’un des sponsors officiels de la conférence sur le climat, fin 2015.

EDF a massivement développé la sous-traitance, en particulier pour l’entretien et les interventions au sein des centrales nucléaires françaises. Ces plus de 20 000 « nomades du nucléaire » – presque autant que les agents d’EDF – sont les grands oubliés des débats sur l’énergie atomique. Précaires, régulièrement exposés à la radioactivité, ils ne bénéficient pas d’un statut et d’un suivi médical digne des risques qu’ils prennent et du rôle qu’ils jouent. La question de la santé au travail et de la reconnaissance des maladies professionnelles reste un point noir du bilan social du groupe. Il serait peut-être temps que les grands principes fondateurs d’un véritable service public de l’énergie soient remis au goût du jour, soixante-dix ans après sa création.

- Pour accéder au « véritable bilan annuel d’EDF » publié par notre Observatoire des multinationales, cliquez sur l’icône : ici

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6 juillet 2015 1 06 /07 /juillet /2015 17:14

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Désavoué, le président de la Commission est toujours là

|  Par Ludovic Lamant

 

 

La zone euro est ce monde merveilleux où celui qui remporte un scrutin démissionne (l'ancien ministre grec Varoufakis), tandis que celui qui est battu (Jean-Claude Juncker) reste au cœur de la négociation.

 

De notre envoyé spécial à Bruxelles.- L'anomalie en dit long sur l'état de santé de la zone euro. L'un des grands vainqueurs du référendum grec, le ministre des finances Yanis Varoufakis, a démissionné lundi matin. Il l'a fait à la demande d'Alexis Tsipras, qui continue de mener une impressionnante bataille politique, et d'avancer ses pions dans un timing parfait – même si l'on a encore du mal à voir comment (et dans quel état) il va finir par atterrir.

Alors que le spectre du Grexit menace plus que jamais, l'exécutif grec, renforcé par la victoire éclatante du « non » la veille, a voulu envoyer le signal à ses partenaires européens que les négociations vont se poursuivre. Et Tsipras est prêt à y mettre du sien, et à le faire savoir. Y compris, puisqu'il faut en passer par là, en écartant Varoufakis, devenue la « bête noire » de certains ministres des finances de la zone euro.

 

Le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem (de dos) et le Grec Yanis Varoufakis, en février à Athènes.Le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem (de dos) et le Grec Yanis Varoufakis, en février à Athènes. © Reuters.
 

À l'inverse, à Bruxelles, Jean-Claude Juncker, président de la commission, qui avait fait campagne haut et fort pour le « oui » toute la semaine (« indépendamment de la question posée », avait-il expliqué), a choisi de se réfugier dans le silence lundi, loin des caméras. « Il travaille intensément au moment où nous nous parlons », a expliqué à la mi-journée le Letton Valdis Dombrovskis, un vice-président de la commission européenne. Mais il ne faut pas y compter : Juncker ne démissionnera pas.

Le Luxembourgeois avait été jusqu'à comparer, lors de sa conférence de presse du 29 juin, une victoire du « non » à un suicide des Grecs : « Je dirais aux Grecs que j'aime profondément : il ne faut pas se suicider parce qu'on a peur de la mort. » Apparemment, les citoyens d'Athènes et d'ailleurs n'ont pas été intimidés, et se sont assis sur les recommandations de l'exécutif européen.

Interrogé lundi par un journaliste sur une éventuelle démission de Juncker après la gifle grecque, Dombrovskis a répondu : « On ne peut pas penser en termes de gagnant ou de perdant. Le fait est qu'il y a très peu de gagnants dans cette situation. Tout le processus de négociation est devenu plus compliqué. (…) Malheureusement, le "non" l'a emporté, et c'est un signal négatif qui est envoyé par les Grecs. Maintenant, il nous incombe de trouver une sortie de crise. »

En résumé : si Tsipras multiplie les coups, et fait de la politique, rien – jusqu'à présent – ne bouge au sein de la commission. L'autocritique n'est pas de mise dans les derniers étages du Berlaymont, le bâtiment qui héberge les bureaux de Juncker. Le principal intéressé ne devrait pas prendre la parole en public d'ici son intervention mardi aux alentours de 8 h 30 à Strasbourg, en ouverture de la séance plénière du parlement européen. Juncker a échangé lundi en début de matinée, par vidéoconférence, avec Mario Draghi (le président de la BCE) ou encore Jeroen Djisselbloem (le président de l'Eurogroupe), pour préparer le coup d'après.

Juncker peut-il reprendre, comme si de rien n'était, son rôle central dans les négociations qui devraient se rouvrir cette semaine ? Aux Pays-Bas, le chef du parti socialiste (gauche radicale) a lancé le débat avec, certes, une visée très politicienne, puisqu'il s'agissait surtout de tacler son adversaire social-démocrate Djisselbloem, à la tête de l'Eurogroupe : « Côté grec, de nouvelles personnes vont s'asseoir à la table des négociations. La même chose devrait se passer du côté de l'UE », a déclaré Émile Roemer. Mais les appels à la démission de certains responsables des négociations, côté européen, restaient faibles, lundi après-midi.

 

Jean-Claude Juncker le 29 juin à Bruxelles.Jean-Claude Juncker le 29 juin à Bruxelles. © CE.
 

Le président Juncker n'en est pas à son premier désaveu dans les urnes. Fin 2014, lors de la campagne électorale, Juncker avait déjà dit sa préférence pour des « visages familiers » en Grèce, c'est-à-dire pour une victoire des conservateurs aux élections législatives de janvier 2015. Mais au lendemain du triomphe de Syriza, fin janvier, le président de la commission n'était pas venu en salle de presse. Il s'était contenté d'un communiqué, en fin de journée, assurant qu'il avait appelé Tsipras pour le féliciter de sa victoire.

En creux, c'est toute l'ambiguïté de la stratégie de Juncker, qui prétend incarner une commission plus « politique » depuis son entrée en fonctions à l'automne 2014. Le Luxembourgeois veut apparaître plus offensif que son prédécesseur José Manuel Barroso, totalement transparent sur la gestion de la crise, écrasé par le tandem Merkel-Sarkozy. De fait, Juncker, drapé dans la défense du fameux « intérêt général européen », par-delà les 28 intérêts nationaux, prend des risques et « se mouille », sur la Grèce ou sur la question de l'accueil des migrants. Le problème, qui est aussi la grande limite de l'exercice, c'est qu'il n'en tire jamais les conséquences. C'est une commission politique, certes, mais « pour de faux », comme disent les enfants.

Lors de son plaidoyer pour le « oui » au référendum grec, le 29 juin, Juncker avait glissé en substance, qu'il n'avait pas de leçon de démocratie à recevoir. Après tout, lui aussi a bien été élu à son poste – par les eurodéputés qui l'ont confirmé lors d'un vote à l'été 2014, avait-il rappelé. C'est sans doute ici que l'épisode du référendum grec d'Alexis Tsipras est le plus douloureux pour Juncker. Il rappelle à quel point les formes de légitimité, à Bruxelles, sont précaires et imparfaites, quand on les compare à celles en vigueur dans les vieux États-nations. On peut le regretter et rêver, à terme, d'une Europe plus intégrée, et bien plus légitime. Mais d'ici là, Alexis Tsipras, qui a parfaitement compris tout cela, continuera de jouer cette carte dans son bras de fer avec les créanciers.

 

 

 

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3 juillet 2015 5 03 /07 /juillet /2015 20:11

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

L’aéroport de Toulouse a été privatisé au profit d’une société-écran

|  Par Laurent Mauduit

 

 

 

La privatisation de l'aéroport de Toulouse-Blagnac est éclaboussée par des scandales chaque jour plus nombreux. Soupçonné de corruption, l'acquéreur chinois, Mike Poon, est en fuite. Selon notre enquête, sa société française, Casil Europe, n'a que 10 000 euros de capital, et son siège social, place de la Madeleine, à Paris, est fictif.

 

Ce devait être une grande fête protocolaire et diplomatique ! C’est du moins comme cela que les autorités françaises avaient conçu l’événement. À l’occasion de la visite en France du premier ministre chinois, Li Keqiang, qui a commencé lundi par un rendez-vous à l'Élysée avec François Hollande, le premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’économie Emmanuel Macron avaient pris la décision de dérouler le tapis rouge à leur hôte, en organisant pour lui des déplacements en grande pompe aux quatre coins de l’Hexagone, de Paris jusqu’à Marseille, en passant par Toulouse et les usines d’Airbus.

Mais l’étape toulousaine, qui devait être jeudi le temps fort de ce voyage officiel, risque de se transformer en calvaire. Car Manuel Valls et Emmanuel Macron, qui espéraient engranger quelques gros contrats, notamment aéronautiques, auront du mal à chanter les formidables mérites de la coopération économique franco-chinoise au moment précis où elle est éclaboussée par un scandale, celui de la privatisation de la gestion de l’aéroport de Toulouse, qui prend de plus en plus d’ampleur.

Selon notre enquête, non seulement le président chinois de la société qui a remporté la privatisation, Mike Poon (aussi appelé Poon Ho Man), a disparu, et son nom est évoqué dans une affaire de corruption ; mais de surcroît, la société qu’il a créée pour gagner la privatisation à Toulouse, qui est dénommée Casil Europe, a tout d’une société fictive, ne disposant que d’un capital dérisoire et affichant une adresse fictive pour son siège social à Paris. Ce qui risque de donner de nouveaux arguments de campagne au Collectif contre la privatisation (ici sa page Facebook et là le blog sur Mediapart).

Pour comprendre l’enchevêtrement de ces scandales à répétition, il faut se souvenir de la genèse de l’histoire (lire La scandaleuse privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac). D’abord, Emmanuel Macron a prétendu qu’il ne s’agissait pas d’une privatisation puisque si les investisseurs chinois faisaient effectivement l’acquisition de 49,9 % de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, l’État gardait 10 % du capital et, avec les collectivités locales (Région, département et ville de Toulouse), disposait toujours de la majorité du capital. Mais à l’époque, en novembre 2014, Mediapart a révélé qu’il s’agissait d’un mensonge (lire Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti et Aéroport de Toulouse : les preuves du mensonge). Dans notre enquête, nous en avions apporté la preuve irréfutable : publiant des fac-similés du pacte d’actionnaires secret, nous avions révélé que ce dernier liait en réalité l’État non pas aux autres collectivités publiques mais aux investisseurs chinois et donnait à ceux-ci les pleins pouvoirs pour gérer la société française. Bien que l’affaire ait suscité beaucoup d’émoi, le ministre de l’économie n’a pourtant pas changé de ligne de conduite et a toujours refusé que le pacte d’actionnaires dans sa version intégrale soit rendu public.

 

Affichette du Collectif contre la privatisation de la gestion de l'aéroport
Affichette du Collectif contre la privatisation de la gestion de l'aéroport
 

Et le scandale ne s’arrêtait pas là. Nous avons aussi révélé que cette société Casil Europe s’imbriquait dans un groupe opaque, détenu par cet oligarque chinois dénommé Mike Poon et son épouse Christina, et dont la holding de tête se dénomme Capella Capital Limited, une holding immatriculée aux îles Vierges britanniques. Cette holding de tête a pour filiale à 100 % une société dénommée Friedmann Pacific Investiment Holdings Limited, dont le pays d’immatriculation est inconnu : cette dernière société aurait elle-même une filiale dénommée Friedmann Pacific Asset Management Limited, immatriculée aux îles Vierges britanniques. Nous racontions dans cette même enquête que cette société avait elle-même une autre filiale dénommée China Aircraft Leasing Groups Holdings Limited, implantée aux îles Caïmans.

 

 

Mais à ce premier scandale est venu plus récemment s’ajouter un autre. Plusieurs agences de presse ont annoncé ces derniers jours que le dénommé Mike Poon avait disparu et que son nom était cité dans un scandale de corruption (lire Toulouse : la privatisation éclaboussée par un scandale). Le 22 juin, l’agence Reuters a apporté ces précisions : « Selon le quotidien South China Morning Post, qui cite des sources proches connaissant bien le groupe, Poon Ho Man a disparu il y a plus d'un mois. Son nom aurait été cité dans une enquête pour corruption menée par les autorités auprès de l'une des compagnies clientes de CALC, China Southern Airlines. Le loueur avait déclaré vendredi qu'il n'avait pas été avisé d'une quelconque enquête concernant Poon Ho Man et que l'examen des dossiers concernant les échanges avec China Southern n'avait révélé aucune irrégularité. Un porte-parole a refusé de faire de nouveaux commentaires après les informations diffusées vendredi. »

Or, depuis cet article, le mystère s’est encore un peu plus épaissi. Le même quotidien chinois anglophone, South China Morning Post, dans un article en date du 29 juin (que l’on peut consulter ici), indique que 5,38 millions d’options détenues par Mike Poon sur la société China Aircraft Leasing ont été exercées le 19 juin, à un prix de 0,16 dollar, soit 90 % de moins que leur valorisation boursière, sans que l’on sache qui avait donné ces ordres de cession. Cela équivaut donc à 860 800 dollars ou 770 000 euros. Près de 429 000 options de la société Friedmann Pacific Asset Management ont également été cédées, dans les mêmes conditions mystérieuses.

 

Une société sans siège social ni boîte aux lettres

Où Mike Poon a-t-il donc disparu ? Et pourquoi ces options ont-elles été vendues ? À tous ces mystères, il va falloir en ajouter encore d’autres, car nous avons aussi voulu mieux connaître qui était cette société Casil Europe, à laquelle a été offerte dans ces stupéfiantes conditions la privatisation de la gestion de l’aéroport de Toulouse. Or, nous sommes allés, dans ce domaine-là aussi, de surprise en surprise.

D’abord, les premiers statuts de la société, qui ont été déposés au greffe du tribunal de commerce de Paris, font apparaître (voir document ci-dessous) que la société disposait à ses débuts d’un capital dérisoire : tout juste 10 000 euros.

 

 

Autre révélation apportée par ces statuts : cette société Casil Europe est en fait contrôlée par une autre société dénommée Sino Smart Inc. Limited, dont le siège serait à Hong Kong, et qui serait aussi la propriété du même Mike Poon. Mais visiblement, cette structure est elle aussi une société-écran ou une coquille juridique, puisque sa date de constitution est toute récente, à savoir le 24 septembre dernier (voir ici).

Encore plus stupéfiant, les mêmes statuts font apparaître que le siège social de Casil Europe est situé au numéro 6 de la place de la Madeleine à Paris. Ce qui fait très chic et sérieux, puisqu’il s’agit de l’un des quartiers les plus huppés de la capitale. Mais si l’on poursuit la lecture des statuts de la société, on peut y faire une autre découverte inattendue :

 

 

On y découvre en effet que cette société Casil Europe a procédé à la « signature d’un contrat de domiciliation avec la société Wolters Kluwer France », qui est une société d’édition professionnelle (ici son site internet). Trouvant cela passablement étrange, nous nous sommes donc rendus au 6, place de la Madeleine, à Paris. Et nous avons cherché en vain ses bureaux : il n’y en a pas. Nous avons aussi cherché si la société disposait au moins d’une boîte aux lettres : sans plus de succès. Nous avons alors interrogé la gardienne de l’immeuble, qui nous a expliqué comment les choses se passaient.

 

(Cliquer sur la photo pour l'agrandir)

 

Pour la façade, un contrat de domiciliation a bel et bien été signé entre Casil Europe et Wolters Kluwer France, dont le nom apparaît sur la plaque à l’entrée de l’immeuble (voir photo ci-contre). Cette société Wolters Kluwer France a un service qui s’occupe pour des clients de leurs annonces légales ou leur offre une domiciliation. Mais, concrètement, le rôle de Wolters Kluwer France s’arrête là. Et quand du courrier arrive au nom de Casil Europe, c’est la gardienne elle-même qui se charge de le faire suivre à la bonne adresse. C’est-à-dire à destination de Honk Kong ? À notre question, elle nous a dit qu’elle ne pouvait pas nous apporter spontanément de réponse, car elle avait la charge de faire suivre les correspondances de quelque 400 sociétés.

Quoi qu’il en soit, l’affaire prend une tournure de plus en plus stupéfiante. On peut la résumer ainsi : dans le plus grand secret, Emmanuel Macron a privatisé la gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac à une société-écran qui n’a pas pignon sur rue en France et dont le PDG, mis en cause dans une affaire de corruption, a pris la fuite après avoir vendu en catastrophe des actions en sa possession.

Interrogée par La Tribune qui lui demandait comment elle réagissait à la disparition de l’actionnaire chinois Mike Poon, Anne-Marie Idrac, qui préside le conseil de surveillance de la société de gestion de l’aéroport, a eu cette réponse dont on ne sait si elle est inspirée par une niaiserie crasse ou une radicale mauvaise foi : « Je ne sais pas où est Mike Poon mais, à vrai dire, cela ne m'importe pas tellement. »

Tout au long de la visite du premier ministre chinois en France, toutes les parties prenantes de l’affaire seront pourtant hantées par le spectre de Mike Poon, ce mystérieux oligarque qui s’est fait la belle avec ses secrets et un gros paquet de dollars. En espérant que les rumeurs de corruption qui circulent actuellement en Chine n’aient pas un jour des prolongements en France.

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 20:23

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

Le « non » de la démocratie

 

 

Daniel Ochoa de Olza/AP/SIPA
 

Constatant l’impossibilité d’arriver à un compromis acceptable avec les institutions de l’ex-Troïka, Alexis Tsipras et le gouvernement grec ont annoncé l’organisation d’un référendum le 5 juillet prochain.

 

Jusqu’au bout les négociateurs grecs auront tenté de trouver un accord, acceptant de faire de douloureuses concessions sur les objectifs d’excédent budgétaire, les privatisations, la TVA, les retraites… Mais ils ont dû faire face à l’intransigeance des créanciers, qui n’auront rien cédé durant les cinq derniers mois, à tel point qu’il est difficile de parler de négociation pour ce qui fut en réalité un processus à sens unique. Les créanciers ont prétendu imposer ligne à ligne la politique que devait suivre la Grèce ; ils ont refusé de s’engager à négocier un plan de restructuration de la dette grecque ; ils ont refusé de tenir compte de l’échec des politiques qu’ils avaient imposées aux gouvernements grecs précédents.

 

Il est dorénavant clair que, depuis le début, le but des créanciers n’était pas de trouver un accord bénéfique pour la Grèce et le reste de la zone euro, mais plutôt de contraindre Alexis Tsipras et Syriza à la capitulation, afin de tuer toute possibilité d’une politique économique alternative en Europe. C’était sans compter sur la résistance du gouvernement grec, qui a refusé jusqu’au bout de renier le mandat qu’il avait reçu des urnes. Les institutions de la Troïka, dans un ultime coup de force, ont alors décidé mercredi 24 juin de lui lancer un ultimatum : la dernière proposition des créanciers devait être acceptée sous 48 heures.

 

C’est dans ces circonstances qu’Alexis Tsipras a décidé de convoquer un référendum, demandant au peuple de se prononcer sur la proposition des créanciers. Cette décision n’a rien d’un coup de force : le gouvernement n’a fait que constater qu’il n’avait pas reçu mandat pour signer un accord guère différent des mémorandums antérieurs, que les Grecs avaient rejetés par leur vote de janvier dernier. Il faut saluer cette décision courageuse, qui est à la hauteur des exigences démocratiques dont l’Union européenne se targue d’être la dépositaire.

 

Pourtant, les institutions européennes ont tout tenté pour éviter que le référendum se tienne dans de bonnes conditions. L’Eurogroupe, réuni le 27 juin, a ainsi refusé d’accorder une extension de quelques jours du programme d’ajustement. Avec l’expiration du programme mardi 30 juin, la dernière proposition des créanciers devient caduque, rendant le référendum en apparence sans objet. Cette manœuvre a cependant fait long feu puisque Jean-Claude Juncker, après avoir dénigré le référendum comme portant sur une question devenue obsolète, a changé son fusil d’épaule et appelle maintenant à voter « oui ».

La Banque centrale européenne (BCE) n’est pas en reste : en refusant le 28 juin d’augmenter le plafond des liquidités d’urgence fournies aux banques grecques, elle savait qu’elle allait précipiter une crise bancaire, étant donné le niveau des sorties de liquidités observées les jours précédents. L’objectif inavoué de la BCE est politique : il s’agit de créer des conditions de peur au sein de la population grecque, pour que celle-ci se rebelle contre un gouvernement perçu comme aventurier et irresponsable. Les autorités grecques ont réagi en prenant la décision qui s’imposait : un contrôle des capitaux, c’est-à-dire une limitation des virements vers l’étranger et des retraits en liquide. Ceci aggravera cependant les difficultés économiques de la Grèce. La responsabilité en incombe pleinement à la BCE qui, une fois de plus, s’écarte de son rôle de garant de la stabilité de la zone euro et préfère intervenir sur le terrain politique.

 

En dépit de ces tentatives d’entrave à l’exercice de la démocratie, le peuple grec va maintenant s’exprimer. Il faut espérer que le « non » l’emporte. L’accord proposé par les créanciers ne résoudra en effet aucun problème, bien au contraire. Le plus sûr est qu’il n’assurera même pas pas le remboursement de la dette par la Grèce. Le cœur du projet d’accord est constitué de nouvelles mesures d’austérité, qui ne pourront que conduire à une nouvelle dégradation de la situation économique et sociale, comme l’ont fait les précédents mémorandums. La Grèce devrait encore effectuer 3,5 points de PIB de mesures d’austérité, ce qui réduirait celui-ci et demanderait d’autres mesures restrictives. Les mesures proposées affaiblissent notamment la compétitivité du tourisme. Pire, l’ex-Troïka a refusé « l’austérité redistributrice » que le gouvernement grec était prêt à concéder afin de faire reposer les efforts sur les épaules de ceux qui en ont les moyens ; tout à son dogmatisme idéologique, elle préfère des coupes dans les petites retraites et des augmentations de taxes sur les produits de base, plutôt qu’une imposition des riches et des entreprises les plus profitables que n’ont cessé pourtant de proposer les négociateurs grecs.

 

Contrairement à ce qui est avancé par les créanciers, un vote « oui » ne garantit donc aucunement le sauvetage du pays ni même son maintien dans la zone euro. Les milliards prétendument versés seront immédiatement engloutis dans le remboursement des échéances de dette et, dans six mois, le pays se retrouvera dans la même situation qu’aujourd’hui mais avec une économie encore plus dégradée. Seule une restructuration de la dette grecque et un plan de relance et d’investissement permettraient de sortir de cette spirale infernale.

 

À l’inverse, un vote pour le « non » permettrait de signifier démocratiquement aux institutions européennes qu’elles ne peuvent pas s’entêter ainsi dans une logique économiquement et socialement destructrice. Ce vote n’aurait pas pour conséquence immédiate la sortie de la Grèce de la zone euro : ceux qui affirment le contraire avouent implicitement qu’ils n’envisagent pas que la zone euro puisse être autre chose qu’un espace économique où l’ordre néolibéral prime sur la démocratie et les besoins sociaux.

 

Un vote « non » permettrait au contraire de rouvrir les négociations entre partenaires européens, sur la base d’une légitimité renouvelée pour le gouvernement grec. Ce dernier verrait sa position de négociation renforcée, face à des créanciers qui sont moins en position de force qu’il n’y paraît : ils ne souhaitent probablement pas prendre le risque d’une sortie de la Grèce qui aurait des conséquences économiques et politiques potentiellement désastreuses pour l’union monétaire.

 

On ne peut toutefois pas exclure que, poussées par leur aveuglement idéologique et faisant fi de toute rationalité économique, les institutions européennes persistent à refuser tout compromis. Le gouvernement grec aurait alors toute légitimité pour maintenir son refus des logiques d’austérité destructrices et, si besoin, pour tirer les conséquences de la rupture, ce qui serait en tout état de cause préférable pour la Grèce à une capitulation face aux diktats libéraux.

 

Quoi qu’il en soit, il est clair que le vote « non » est le seul à même d’ouvrir des possibilités et de recréer l’espoir en Grèce, après cinq années d’austérité qui ont engendré une crise économique, sociale et humanitaire sans précédent. Et, dix ans après les « non » français et néerlandais au Traité constitutionnel européen qui furent honteusement piétinés, c’est aussi un vote qui ouvrirait une nouvelle brèche dans la chape de plomb austéritaire qui étouffe notre continent, redonnant de l’espoir à l’ensemble des peuples européens.

 

Contre l’austérité et l’idéologie libérale, pour une Europe démocratique et sociale, soutenons le peuple grec ! « Oxi ! »

 

Sébastien Villemot

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

 

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