L’agriculture française est en crise. Les éleveurs de porcs bretons se sont fait distancer par les allemands. Le prix du lait de Normandie ne rivalise plus avec celui d’Australie… Qu’à cela ne tienne ! Une perfusion de quelques milliards d’euros devrait remettre le système d’aplomb. C’est en tout cas ce que préconise Xavier Beulin. Dans une interview au Journal du dimanche, le président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), premier syndicat agricole français, réclame « 3 milliards d’euros sur trois ans pour retrouver la compétitivité perdue ». Cet ingrédient devrait, selon le pédégé d’Avril-Sofiprotéol, une holding spécialisée dans le financement de l’agro-industrie, permettre à la France « de rattraper l’Allemagne dans les cinq ans ». Sa recette ? « Moderniser les bâtiments, automatiser les abattoirs, organiser les regroupements d’exploitations afin qu’elles soient plus productives ». Le tout, en supprimant les charges et en gelant les normes environnementales.
Pendant que l’homme d’affaires rêve d’un élevage industriel reparti « pour quinze ans », d’autres, partisans d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement, dépenseraient cet argent autrement. L’agronome Marc Dufumier et le porte-parole de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel, nous détaillent comment.
1. Des prix plus rondelets pour les petits volumes
Et si les premiers litres de lait d’un paysan lui rapportaient plus gros que les suivants ? Et si les fruits, légumes et céréales récoltés sur les premiers hectares d’une exploitation étaient vendus à un prix plus intéressant ? Selon Laurent Pinatel, cette seule mesure aurait au moins trois bienfaits : « soutenir les petites exploitations, limiter la concentration et éviter la surproduction ». A la Confédération paysanne, on suggère, par exemple, un prix du lait à 350 euros la tonne pour les 150 000 premiers litres, ou encore une surprime pour les 25 premiers hectares (il en existe déjà une pour les 52 premiers hectares). Ainsi, en garantissant un revenu décent dès les premiers volumes, ce système pourrait encourager les installations ou du moins « stabiliser le nombre de paysans », estime Laurent Pinatel. Dans le même temps, il mettrait un coup d’arrêt à la course aux gros volumes, limitant ainsi les risques de surproduction, qui eux-mêmes entraînent des chutes de prix qui, à leur tour, incitent à courir après les gros volumes…
2. Réorienter les primes vers la qualité plutôt que vers la quantité
Les agriculteurs français ont-ils plutôt intérêt à produire des quantités modérées de lait voué à être changé en yaourts et en fromages vendus dans l’Hexagone ? Ou de gros volumes pour exporter, en concurrence avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, du lait en poudre sur le marché chinois ? A la Confédération paysanne, on choisit sans hésiter la première option. Ainsi, quand Xavier Beulin mise sur les fermes XXL, d’autres considèrent que le salut de l’agriculture française passera par les labels, le bio, les AOC… « Prenons le porc : même si on rattrapait les Allemands et les Espagnols sur les prix, si l’on garde les mêmes conditions d’élevage et d’alimentation, pour quelles raisons un consommateur préfèrerait-il acheter français ? », s’interroge Laurent Pinatel. Le syndicaliste préconise donc un positionnement sur le « haut de gamme ». Un avis que partage Marc Dufumier. « Il faut remettre les animaux sur la paille, revoir le contenu de leurs gamelles, les ramener sur l’herbe », abonde l’agronome. Quant aux fruits et aux légumes, il serait bon « de réduire l’usage d’engrais de synthèse et de pesticides », poursuit-il.
Mais, ce tournant engagé, les ménages aux petits budgets pourront-ils continuer à se nourrir français ? Oui, « à condition que les aides de la PAC (politique agricole commune) soient réorientées vers la qualité », estime Laurent Pinatel. A ses yeux, l’économie française a tout à y gagner. « A la tonne de viande vendue, un poulet de Bresse ou de Loué crée plus d’emplois que de la volaille industrielle », détaille-t-il.
3. Abattoirs, fromageries : créer des infrastructures de proximité pour valoriser les produits
Pour proposer en circuit court des produits à forte valeur ajoutée, encore faut-il pouvoir les transformer. C’est alors que les régions ont un rôle à jouer, celui de « mettre en adéquation les besoin de consommation et d’emplois d’un territoire et sa production », précise Laurent Pinatel. En bénéficiant d’une partie des 3 milliards d’euros, elles pourraient soutenir l’ouverture de yaourteries, de fromageries et d’abattoirs de petits volumes permettant aux bouchers de s’approvisionner au plus près. Le tout rendu possible par « la mise en place d’aides à la collecte au ramassage ».
4. Booster la demande de bio et de produits locaux en allégeant les factures des cantines
Tandis que la France manque de légumes – le nombre de producteurs à chuté de 40% depuis 1996 –, les exploitants agricoles produisent toujours plus de céréales à exporter. De même, « alors que nos bovins élevés hors sol et nourris au soja brésilien partent vers Taïwan ou le Maghreb, nous allons chercher en Irlande des animaux engraissés à l’herbe pour répondre à la demande française », déplore Laurent Pinatel. Un système que la Confédération paysanne aimerait rééquilibrer. « Il faut arrêter de vouloir faire manger aux gens ce que l’on produit pour produire ce que les gens ont envie de manger », résume-t-il. Dans l’idée, les céréaliers devraient se faire un peu maraîchers. Partisan de ces conversions, Marc Dufumier mise sur les cantines pour donner l’impulsion. C’est alors qu’interviennent les 3 milliards. « Imaginez que, grâce à un soutien financier, collèges, lycées, maisons de retraites et restaurants d’entreprises n’aient pas à débourser plus cher pour des produits de proximité, avance-t-il. Dites ensuite à un céréalier qu’une école est prête à acheter à bon prix un volume croissant de légumes sur les six ans à venir et vous avez des chances de voir ses pratiques changer. »
5. Des revenus pour les services environnementaux rendus
Paysans, plantez des arbres dans vos champs ! Tel devrait être l’un des engagements du monde agricole en contrepartie des 3 milliards d’euros réclamés par la FNSEA. De même, la réintroduction de coccinelles pour chasser les pucerons, de scarabées pour s’en prendre aux limaces, devrait être récompensée. « En préservant les paysages, en limitant l’usage d’engrais et de pesticides, ces pratiques vont dans l’intérêt du contribuable, résume l’agronome. Les 3 milliards pourraient servir à rémunérer le producteurs pour les service rendus à la collectivité », estime Marc Dufumier. « Ce système, présent dans le second pilier de la PAC, pourrait être développé, confirme Laurent Pinatel. Il permettrait à des agriculteurs en intensif, qui, du fait de la [convergence des aides→http://www.terre-net.fr/convergence...], risquent de voir leurs primes baisser, de compenser ces pertes en changeant leurs pratiques. »
6. Soutenir l’emploi
Seul bémol, champs arborés et agriculture automatisée ne vont pas de pair. « Ce type d’agriculture est fatalement plus gourmande en main-d’œuvre, ce qui implique des coûts de production plus importants », reconnaît Laurent Pinatel. C’est précisément ce surcoût qu’une enveloppe de 3 milliards devrait également absorber.
7. Encourager la mise en culture de légumineuses pour lever le pied sur le soja
Pour fonctionner sur le modèle actuel, l’agriculture française importe beaucoup : « du soja brésilien, argentin et américain pour les protéines, du gaz naturel russe pour fabriquer les engrais de synthèses azotés… », résume Marc Dufumier. L’agronome assure que cette dépendance, et donc cette vulnérabilité aux variations des marchés mondiaux, n’est pas une fatalité. « La mise en culture de légumineuses( pois, féveroles, lentilles ) sur le territoire permettrait, en partie, de s’en libérer. » Quant aux engrais, Marc Dufumier estime qu’on peut regagner en indépendance à condition de « réassocier l’élevage et les cultures ». Ainsi, le fumier « fertiliserait les champs plutôt que les algues vertes bretonnes » . Autre technique : le « pré bois » ou l’art de planter des pommiers dans les champs de blé. « Leur racines vont chercher des minéraux très profondément dans le sol, ceux-ci se retrouvent dans les feuilles qui, quand elles tombent, nourrissent le sol et les cultures » rappelle ce partisan de l’agroforesterie.
L’ensemble de ces revirements met à mal les économies d’échelle, vocation première de l’agriculture industrielle. Mais à long terme, Marc Dufumier assure que même financièrement, ce pari sera gagnant. « Le système actuel nous coûte très cher : en importation d’aliments, d’engrais et d’énergies fossiles, en algues vertes, en traitement des eaux, en maladie d’Alzheimer et en chômeurs », résume l’agronome. Pour lui, utilisés comme l’entend la FNSEA, les 3 milliards tomberaient dans un panier percé. « La modernisation telle que l’entend M. Beulin, consiste à produire, sur le modèle des années 1950, la même merde qu’aujourd’hui avec encore moins de bras, pour au final encore moins de goût ! »
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À l’heure où François Hollande confesse un renoncement majeur en déclarant « assume(r) pleinement », dans un livre à paraître demain, son « acceptation du traité européen » Sarkozy-Merkel, le prix Nobel d’économie américain Joseph Stiglitz dresse un réquisitoire des politiques d’austérité. Dans l’entretien qu’il a accordé à l’Humanité à l’occasion de sa visite en France pour promouvoir son nouveau livre, la Grande Fracture (éditions Les Liens qui libèrent), l’économiste dénonce une Europe engluée dans l’austérité, dans laquelle « la France a peur » d’affronter l’Allemagne, comme on l’a vu lors de la crise grecque, cet été. Un problème économique qui devient un problème démocratique, souligne le prix Nobel, quand « les électeurs se disent partout : (…) les gouvernements ont trahi ». « C’est une autre logique qu’il faut suivre », affirme encore Joseph Stiglitz à propos du pacte de responsabilité de François Hollande, qui distribue des aides sans contreparties aux entreprises. Tirant enseignement de l’exemple grec, le prix Nobel, qui a soutenu le non d’Alexis Tsipras au référendum grec de juillet, se prononce pour une réforme de la zone euro, dans un sens plus « démocratique » et « solidaire », et dit l’espoir que suscite en lui l’essor des luttes des mouvements citoyens contre les inégalités aux États-Unis.
Lire l'entretien intégral (version longue en exclusivité sur l'humanité.fr)
Extrait :
Le gouvernement Hollande a décidé d’offrir 40 milliards d’euros de baisses d’impôts aux entreprises pour stimuler l’économie. Qu’en pensez-vous ?
Joseph Stiglitz. François Hollande fondait son espoir sur un regain d’investissements. Or il n’existe aucune preuve qu’un allégement des impôts sur les entreprises conduise mécaniquement à plus d’investissements. Il y a d’autres mesures que de faire un cadeau aux entreprises, ce qui revient à jeter de l’argent par les fenêtres et accroître l’inégalité. Si vous dites que vous investissez et que vous créez des emplois en France, à ce moment vous pouvez avoir une réduction d’impôts. Mais si vous n’investissez pas en France il faut que vous soyez imposé plus fortement. C’est une autre logique qu’il faut suivre, celle d’une incitation à la création d’emplois. Je l’ai dit, en son temps, au gouvernement français mais je n’ai pas été entendu….
Vous faites la démonstration que des décisions politiques sont à l’origine des dysfonctionnements du système et vous dites que les solutions sont également politiques. Mais aux Etats-Unis Wall street bénéficie d’une législation qui lui permet de financer de façon illimitée les campagnes électorales. Est ce que les dés ne sont pas fondamentalement pipés parce que Wall street est ainsi, de fait, quasiment juge et parti ?
Joseph Stiglitz. C’est ce qui, à vrai dire, entame mon optimisme. Mais c’est aussi ce qui me renforce dans la conviction que l’on ne peut agir strictement sur le terrain des réformes économiques. Il faut promouvoir d’un même mouvement des changements dans la sphère politique. Une réforme de la loi électorale sur le financement des campagnes par exemple.
D’autres choses cependant me remplissent déjà d’espoir. Il y a eu des mouvements de citoyens qui ont réussi à surmonter ces terribles handicaps. Il y a eu des hausses du salaire minimum dans certaines grandes villes comme New – York, Los Angeles ou Seatle en dépit de l’influence des banques qui y étaient totalement opposées. Et à New-York, où se trouve le cœur financier du pays, on a même pu même élire un maire, Bill De Blazio qui a mené campagne contre les inégalités. .
Précisément en termes d’espoirs concrets, comment analysez vous le phénomène Bernie Sanders, le candidat à la primaire démocrate qui se réclame du socialisme ?
Joseph Stiglitz. L’aspect positif du débat aux Etats-Unis c’est que dans les deux partis il y a une reconnaissance du problème des inégalités. Et au sein du parti démocrate tous les candidats sont en faveur de réformes pour réduire les inégalités et mettre une muselière aux banques. Il y a ici et là des différences sur ce qu’il faudrait privilégier, s’il faut mettre davantage l’accent sur l’éducation ou sur autre chose mais il n’y a aucun désaccord entre les candidats sur cette philosophie contre les règles actuelles du capitalisme. Par exemple Hillary Clinton veut responsabiliser les entreprises sur leurs résultats à long terme. Il y a sur ce point unanimité en faveur des solutions progressistes. C’est sans doute aussi un reflet de la désillusion par rapport à la politique menée par Barack Obama et la montée de la conscience des dégâts occasionnés par les inégalités.
Quant à Bernie Sanders, c’est celui qui milite sur ces questions depuis le plus longtemps. J’ai travaillé à plusieurs reprises avec lui notamment sur les questions de la couverture santé. Ce qui est intéressant c’est qu’aujourd’hui il n’est plus isolé. Il est écouté dans le pays.
Il ne faut pas se cacher cependant que si la grande fracture a produit cette intéressante évolution au sein du parti démocrate elle génère aussi une réaction totalement opposée, ultra-conservatrice dans le parti républicain.
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Source : http://www.humanite.fr