Article publié dans la revue Ensemble (n°88 – septembre 2015), une publication du Collectif Solidarité Contre l’exclusion, disponible en ligne ici : http://www.asbl-csce.be/journal/Ens...
Depuis mai 2010, la Grèce applique un programme d’austérité et d’ajustement structurel, qui est la condition pour recevoir une « aide financière » du Fonds Monétaire International, de quatorze Etats membres de la zone et du Fonds européen de stabilité financière. Ces mesures étaient censées réduire le déficit budgétaire et la dette publique et ramener la compétitivité et la croissance. C’est tout le contraire qui s’est passé : la dette a explosé, l’économie a connu une profonde récession (-25%), les services publics se sont fortement dégradés et des millions de citoyens ont plongé dans la pauvreté et la précarité. C’est en réaction à cette situation, dans le cadre de la responsabilité du Parlement envers le peuple grec, et en application de l’article 7 du règlement n° 472/2013 de l’Union européenne, que le 4 avril 2015, la Présidente du Parlement grec a décidé de créer la Commission pour la Vérité sur la Dette publique (the Debt Truth Committee).
Composée d’une trentaine d’experts internationaux et grecs, la Commission pour la Vérité sur la Dette publique a reçu pour mandat d’analyser tout le processus d’endettement de la Grèce et de détecter les dettes qui peuvent être considérées comme illégales, odieuses, illégitimes et/ou insoutenables.
Malgré des obstacles et des difficultés, comme par exemple le fait que la Banque centrale de Grèce a refusé de nous communiquer plusieurs informations cruciales (notamment les flux financiers entre la Banque centrale de Grèce et la BCE), la commission a pu remettre un rapport préliminaire le 17 juin 2015 |1|.
Fondamentalement, ce rapport aboutit à des conclusions qui sont sans appel : la dette réclamée à la Grèce est totalement insoutenable et une grande partie de celle-ci est illégale et illégitime.
Insoutenabilité et suspension de paiement
La dette grecque est triplement insoutenable. Elle est insoutenable d’un point de vue strictement financier, car tout le monde s’accorde à dire que la Grèce est tout simplement incapable de rembourser cette dette. Elle est également insoutenable d’un point de vue social, car l’Etat grec ne peut continuer à payer sans que celui-ci ne remette en cause ses obligations internationales en matière de droits humains fondamentaux. Elle est aussi insoutenable d’un point de vue économique et écologique car les conditions qui sont attachées à cette dette reposent sur des hypothèses totalement irréalistes qui ont fait preuve de leur échec, et détruit toute possibilité de relancer une activité économique qui serait socialement juste et écologiquement viable.
La Commission a également montré dans son rapport que la Grèce pourrait suspendre immédiatement le paiement de la dette en s’appuyant sur la notion juridique de l’état de nécessité. Selon le droit international, l’état de nécessité désigne « les cas exceptionnels où le seul moyen qu’a un État de sauvegarder un intérêt essentiel menacé par un péril grave et imminent est, momentanément, l’inexécution d’une obligation internationale dont le poids ou l’urgence est moindre ». La Grèce satisfait pleinement aux quatre conditions requises pour invoquer l’état de nécessité. Elle a donc la possibilité de suspendre le remboursement de sa dette de manière unilatérale (sans accumuler des arriérés d’intérêts) en vue de garantir à ses citoyens les droits humains fondamentaux, tels que l’éducation, la santé, etc.
La Grèce satisfait pleinement aux quatre conditions requises pour invoquer l’état de nécessité.
Ajoutons que cette notion est reconnue par les cours et les tribunaux internationaux, qu’elle a déjà été utilisée et qu’elle fait donc l’objet d’une jurisprudence. A titre d’exemple, dans l’affaire Socobel, datant de 1939 et opposant la Société commerciale de Belgique et le gouvernement grec, le conseil du gouvernement grec, M. Youpis, soulignait le fait que « la doctrine admet à ce sujet que le devoir d’un gouvernement d’assurer le bon fonctionnement de ses services publics prime celui de payer ses dettes. »
Illégitimité et remise en cause de la dette
Les dettes réclamées à la Grèce sont illégitimes car elles n’ont absolument pas bénéficié à la population grecque.
Les dettes réclamées à la Grèce sont illégitimes car elles n’ont absolument pas bénéficié à la population grecque. L’audit a démontré de manière irréfutable que tous les soi-disant plans d’aide ont été conçus et organisés dans l’unique but de sauver les grandes banques privées, en particulier françaises et allemandes, mais aussi grecques. Rappelons qu’en 2010, 7 banques (3 françaises et 4 allemandes) constituaient à elles seules les principales créancières de la Grèce avant l’intervention de la Troïka rebaptisée aujourd’hui « Institutions » et qui est devenue un quatuor composé du FMI, de la BCE, de la Commission européenne et du Mécanisme européen de stabilité. Alors qu’une restructuration de la dette en 2010 était déjà nécessaire pour beaucoup, dont le FMI, la décision a été prise de la reporter. La raison de ce report est donnée de manière très claire par le FMI : « Une restructuration de la dette aurait été plus bénéfique pour la Grèce, mais c’était inacceptable pour les partenaires européens. Repousser la restructuration a offert une fenêtre aux créanciers privés pour réduire leur exposition et transférer leurs créances au secteur public |2| ».
Le rapport de la Commission d’audit a établi que plus de 80 % des 240 milliards des prêts octroyés par la Troïka en 2010 et 2012 sont repartis directement dans le remboursement d’une vingtaine de banques privées. Une partie importante de cet argent n’est même jamais arrivée sur le sol grec, elle a simplement transité par un compte spécifique créé à la BCE. En permettant à ces banques de se mettre à l’abri de l’éclatement de la bulle de crédit privé qu’elles avaient créée, cette opération de sauvetage des créanciers privés par des institutions publiques a créé une dette illégitime pour la population.
Illégalité et acte unilatéral de répudiation
Une dette est un contrat qui lie deux parties. Cependant, pour que ce contrat puisse être réputé valable, il doit respecter en ensemble de conditions et de procédures légales, tant au niveau du droit national qu’international. Or, l’audit a mis en lumière une série impressionnante d’irrégularités qui invalident les engagements de la Grèce à l’égard de ses créanciers. En voici quelques-unes.
Une série impressionnante d’irrégularités invalide les engagements de la Grèce à l’égard de ses créanciers.
Les Etats européens ont violé leurs obligations en matière de droit international. Les États membres de la zone euro qui ont prêté à la Grèce sont signataires du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), et, à ce titre, sont soumis au respect des obligations prévues par ce Pacte, y compris en dehors de leur territoire national respectif. Or, il existe un lien direct entre les conditions imposées par les créanciers à la Grèce et la violation de droits socio-économiques fondamentaux.
Les contrats de prêt violent l’article 9 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) qui stipule : « Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine. »
Ne pas tenir compte des droits humains dans les programmes macroéconomiques qui ont été imposés à la Grèce en 2010 et en 2012 représente donc une violation à la fois du droit international et du droit de l’Union.
Les créanciers n’ont pas agi de bonne foi. La bonne foi est un principe fondamental du droit international qui veut que les accords doivent être honorés seulement si les deux parties agissent de bonne foi. L’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités stipule que les traités doivent être exécutés de bonne foi. Or, Il existe des évidences qui montrent que les parties contractantes ont agi de mauvaise foi. En effet, un document interne du FMI, daté du mois de mars 2010, démontrant que les créanciers savaient à l’avance que l’imposition du Memorandum of Understanding (MoU) allait créer une catastrophe économique et sociale et conduirait inévitablement à une hausse importante de la dette grecque.
La Constitution grecque a été violée. Les articles 28 et 36 de la Constitution grecque prévoient que le Parlement doit donner son accord pour valider tout accord international. Or, tant les mémorandums que les conventions de prêt sont des accords internationaux et devaient donc, à ce titre, être ratifiés par le Parlement, ce qui n’a pas été le cas.
Le FMI a violé ses statuts. En imposant des conditionnalités qui ont entraîné une forte augmentation du chômage et la chute du PIB de la Grèce, le FMI a violé de façon manifeste l’article 1 de ses statuts. Cet article stipule que le Fonds a parmi ses objectifs de « contribuer à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et au développement des ressources productives de tous les États membres, objectifs premiers de la politique économique. »
La BCE a outrepassé son mandat et a exercé un chantage politique. La BCE a fait pression pour empêcher une réduction de la dette grecque en 2010 alors que celle-ci était insoutenable. Selon l’ancien représentant de la Grèce au FMI, Panagiotis Roumeliotis, auditionné au Parlement grec par la Commission, le président de la BCE de l’époque, le Français Jean-Claude Trichet « était parmi ceux qui ont mené bataille contre une restructuration en menaçant la Grèce de lui couper les liquidités. En réalité, Mr Trichet bluffait pour sauver les banques françaises et allemandes |3| ». Par ailleurs, début février 2015, la BCE a décidé de ne plus accepter les obligations de la dette grecque en garantie. En faisant cela, la BCE a aggravé la crise et a augmenté l’instabilité financière de la zone euro, ce qui est en totale contradiction avec son mandat.
Les contrats de prêts contiennent des clauses abusives. Ces accords stipulent par exemple que l’État s’engage à renoncer totalement à son immunité. Or, Un Etat n’est pas obligé d’appliquer un contrat qui viole de manière flagrante sa souveraineté politique et économique. Autre clause abusive : les créanciers ont poussé le bouchon jusqu’à insérer une clause qui garantit que la Grèce devra honorer ses obligations même si les accords s’avéraient illégaux ! « Si l’une ou l’autre des dispositions contenues dans cette Convention devait être ou devenir en tout ou en partie invalide, illégale ou impossible à appliquer dans un cadre juridique, la validité, la légalité et l’applicabilité des autres dispositions contenues dans la Convention n’en seraient pas pour autant affectées. Les dispositions qui sont en tout ou en partie invalides, illégales ou inapplicables seront interprétées et mises en œuvre selon l’esprit et l’objectif de cette convention. »
La lutte pour le « non » à l’austérité n’est pas terminée
Ce rapport préliminaire a pour objectif de fournir des arguments solides pour remettre en cause le paiement de la dette. Jusqu’à présent, le gouvernement a décidé de ne pas s’en saisir et de se soumettre aux exigences mortifères des créanciers. Une chose est sûre : rien n’est réglé en Grèce. Avec un tel accord, la dette va continuer à augmenter et la crise humanitaire va s’approfondir. Mais le combat en Grèce n’est pas terminé. Le 22 août, 25 députés de l’aile gauche de Syriza formait un nouveau parti (« L’unité populaire »), en vue des nouvelles élections prévues pour fin septembre. N’oublions pas non plus que les citoyennes et citoyens de Grèce, en votant massivement NON à l’austérité lors du dernier référendum, ont montré qu’ils ne sont pas résignés. Et c’est sans doute cela le plus important : ce rapport n’a pas été écrit avant tout pour le gouvernement grec. Il se veut un outil au service de tous les citoyens et les mouvements sociaux qui luttent contre l’austérité et l’esclavage de la dette. Quant à la commission d’audit, elle continuera son travail, d’une manière ou d’une autre. Son mandat a une durée d’un an et elle remettra son rapport final en mai 2016.
Avec un tel accord, la dette va continuer à augmenter et la crise humanitaire va s’approfondir.
Parallèlement aux collectifs d’audit citoyens qui se développent partout en Europe depuis quelques années, il serait très utile de mettre en place des commissions indépendantes d’audit de la dette dans le plus de pays possibles. Premièrement, parce que construire une alternative crédible au néolibéralisme et à l’austérité passe nécessairement par un conflit avec les marchés financiers et les créanciers. Deuxièmement, parce que tous les audits qui ont été réalisés jusqu’à présent, y compris avec des moyens très limités, font ressortir la même chose : une partie importante de la dette a été contractée de manière frauduleuse, irrégulière, illégale ou illégitime.
Dans le Canard Enchaîné du 2 -9 -2015, un article explique pourquoi les acheteurs ont fort intérêt à vérifier le poids des produits alimentaires vendus pré-emballés, dans les grandes surfaces ; en-effet, l"erreur" peut aller jusqu’à 30% (en moins bien-sûr) du poids indiqué sur le paquet. Dommage, au kilo, le produit, honnêtement pesé, aurait peut-être été moins cher que le même en bio...
Source : http://www.bastamag.net