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28 septembre 2015 1 28 /09 /septembre /2015 15:49

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Conflit d’intérêts

Collusion et pantouflage : quand le lobby bancaire met la main sur la haute administration

par

 

 

 

 

Hollande le souhaite : c’est un ancien de chez BNP qui va être nommé à la tête de la Banque de France et de l’autorité de contrôle des banques, si le Parlement l’approuve. Conflit d’intérêt ? Collusion ? Menace pour la régulation bancaire ? Une décision symbole de la porosité entre banquiers et instances chargées de leur contrôle, qui explique en partie le laisser-faire coupable et l’inaction des régulateurs et responsables politiques face à la finance. Enquête sur les ressorts de l’influence considérable du lobby bancaire sur la haute fonction publique et nos dirigeants politiques.

 

François Villeroy de Galhau, ex-directeur général délégué de BNP Paribas, va devenir président de la Banque de France. Cette nomination, voulue par François Hollande, doit être entérinée le 29 septembre par les Parlementaires. La décision a provoqué la colère de 150 économistes : « Il est totalement illusoire d’affirmer qu’on peut avoir servi l’industrie bancaire puis, quelques mois plus tard, en assurer le contrôle avec impartialité et en toute indépendance, écrivent-ils dans une tribune. Nos gouvernants sont-ils à ce point prisonniers des intérêts financiers qu’ils laissent à la finance le pouvoir de nommer les siens aux fonctions-clés des instances censées la réguler ? » Depuis la crise financière de 2008, rien n’a été fait pour éviter les collusions et conflits d’intérêt. Les banquiers se retrouvent à la tête des instances de régulation financière. Dans l’autre sens, hauts fonctionnaires ou responsables politiques sont toujours plus nombreux à partir travailler pour les banques.

 

Difficile de résister à l’appel de la finance, avec ses promesses de salaires mirobolants et d’attirants bonus. Cette consanguinité entre la haute fonction publique – notamment le ministère des Finances – et le secteur bancaire explique en partie la difficulté à mettre un terme aux abus des banques. Car on ne mord pas la main qui nous donnera à manger demain… « Quand vous êtes haut fonctionnaire à Bercy, vous savez qu’à 45 ans, vous allez plafonner dans votre carrière. Si vous ne voulez pas moisir dans votre bureau, vous irez pantoufler dans une banque, avec un salaire multiplié par 10 ou 50 », explique l’économiste Gaël Giraud.

 

Au sein du ministère des Finances, un groupe incarne plus que les autres cette proximité problématique : l’Inspection générale des finances (IGF). Une institution vieille de deux siècles, qui recrute ceux qui sortent les premiers du classement de l’ENA. Ce corps de l’élite administrative, rattachée au ministre des Finances, compte peu d’élus. En deux siècles, 1200 personnes – dont seulement 35 femmes ! (à peine 3%) – sont passées par l’IGF depuis sa création en 1801. Ils sont quelques centaines actuellement en activité. Promis aux plus hauts postes de l’administration, notamment à la direction du Trésor, ils sont pourtant 44 % à travailler dans le secteur privé, selon un décompte établi en 2004 par Ghislaine Ottenheimer, auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet [1].

 

Un quart des inspecteurs des finances sont recrutés par les banques

Les inspecteurs des finances ont une très grande prédilection pour le secteur bancaire : en 2004, sur 290 inspecteurs « actifs », 72 travaillent dans le secteur des banques et assurances [2] ! La plupart sont « détachés » ou « en disponibilité » au sein des banques, conservant leur prestigieux statut pour un éventuel retour ultérieur dans la fonction publique, confortable matelas de sécurité. Rien qu’à BNP-Paribas, sans compter les membres du Conseil d’administration et les présidents honoraires, ils étaient douze parmi les dirigeants en 2004 : notamment Baudouin Prot, alors directeur, Jacques de Larosière, conseiller, François Villeroy de Galhau, responsable de la filiale Cetelem, qui deviendra en 2011 directeur général délégué, et Michel Pébereau, président. Jean-Laurent Bonnafé, l’actuel directeur-général du groupe, est lui aussi un ancien haut fonctionnaire, passé par l’École des mines puis le ministère de l’Industrie.

 

On retrouve des inspecteurs des finances également dans les autres grandes banques françaises : Frédéric Oudéa, directeur de la Société générale (et ex-conseiller de Nicolas Sarkozy), François Pérol, président du groupe Banque Populaire - Caisse d’épargne (BPCE), Pierre Mariani, ex-patron de Dexia et Henri de Castries, PDG d’Axa. Tous sont membres de ce « gotha de la haute fonction publique qui rappelle à bien des égards la cour de Louis XIV » [3].

 

À Bercy, ces hauts fonctionnaires pèsent de tout leur poids sur les décisions prises par les ministres chargés de l’Économie, des Finances et du Budget. Notamment au sein de la direction du Trésor, qui s’occupe notamment du financement de l’économie, de la régulation bancaire, et de la gestion de la dette de l’État. Ils jouent un rôle central dans la gestion des crises financières ou la mise en place de réformes bancaires. Omniprésents, influents, ces hauts fonctionnaires, et notamment les inspecteurs des finances, se pensent comme les gardiens des intérêts de la France. Et surtout d’une certaine « orthodoxie ». Une « orientation clairement ultralibérale », tranche Arnaud Montebourg, en 2012, fustigeant un Trésor « toujours réticent », « pas loyal avec la pensée du gouvernement » [4]. Surtout, vu ces liens structurels, cette consanguinité avec la finance, comment ces hauts fonctionnaires peuvent-ils faire des propositions ambitieuses qui pénaliseraient les banques ? Difficile de ne pas intérioriser, dès le début de leur carrière, les préférences de leurs futurs employeurs...

 

La caste des pantouflards

Avant de partir « pantoufler » dans le secteur bancaire, le passage dans un cabinet ministériel est une étape-clé de la carrière des inspecteurs des finances. Surtout pour ceux qui aspirent à grimper au sommet de la pyramide. François Villeroy de Galhau, ex-directeur général délégué de BNP Paribas, a ainsi été directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Bercy [5]. Gilles Grapinet, après avoir été conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, puis directeur de cabinet du ministre des Finances Thierry Breton, est devenu directeur de la stratégie du Crédit agricole. Pierre Mariani, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget dans les années 1990, rejoint ensuite BNP Paribas, puis prend la tête de la banque Dexia en 2008. Sous sa direction, en 2011, la banque réalise une perte record de plus de 11 milliards d’euros. L’ancien haut fonctionnaire siégeait également au conseil d’administration d’EDF.

 

La pratique n’est pas nouvelle : Jean-Marie Messier, lui aussi inspecteur des finances, devient conseiller chargé des privatisations au sein du cabinet de Premier ministre Édouard Balladur à la fin des années 1980. Puis associé au sein de la banque d’affaires Lazard, avant de devenir PDG de la Compagnie générale des eaux, transformée en Vivendi. Un parcours similaire à celui de Jean-Charles Naouri, inspecteur des finances devenu associé-gérant chez Rothschild – puis PDG du groupe Casino –, après un passage comme directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy de 1982 à 1986, au ministère des Affaires sociales, puis de l’Économie et des Finances, où il a été l’artisan de la déréglementation des marchés financiers et boursiers...

 

Qui peut mieux conseiller les banques qu’un ancien de Bercy

Si les aller-retours des inspecteurs des finances entre secteurs privé et public ne sont pas nouveaux, le départ vers le privé se fait de plus en plus tôt : à 35 ans, ils sont aujourd’hui nombreux à avoir bouclé leurs valises. Certains quittent même le secteur public au bout de quatre années. Travailler encore à Bercy, sans bonus ni stock-options, à 40 ans, serait-il le signe d’un échec professionnel ?

 

L’attraction de la finance semble en tout cas irrésistible, et les banques déroulent le tapis rouge. Parmi les plus courtisés, ceux qui au sein du cabinet du ministre de l’Économie ont assuré la supervision de l’Agence des participations de l’État. Celle-ci gère les investissements de l’État français dans des entreprises jugées stratégiques. Un point névralgique, qui permet l’accès à une mine d’informations. Pour les banques, c’est la garantie d’avoir un point d’entrée lors des futures acquisitions, cessions, ouvertures du capital ou privatisations, des grandes entreprises publiques ou celles dont l’État est actionnaire – EDF, GDF, France Télécom, Air France, Renault, Thales…

 

Pour la banque d’affaires qui saura se positionner sur le marché du conseil auprès de ces entreprises, cela signifie de juteuses commissions, d’où l’intérêt de connaître leurs dirigeants et leurs stratégies… C’est ainsi que Mathieu Pigasse, administrateur civil au ministère de l’Économie et des Finances, puis directeur adjoint au sein du cabinet de Laurent Fabius, s’est vu offrir un pont d’or par la banque Lazard, dont il est aujourd’hui le patron en France. Comme la banque Lazard, Rothschild recrute activement d’anciens membres de cabinets ministériels et hauts fonctionnaires de Bercy – bien utiles pour prodiguer avis et conseils lors de contrats impliquant l’État actionnaire.

 

Jean-Pierre Jouyet ou François Pérol : des parcours emblématiques

Quelques cas sont emblématiques des possibles conflits d’intérêts qu’engendre cette situation. Citons par exemple Jean-Pierre Jouyet : directeur adjoint du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin et secrétaire d’État du gouvernement Fillon, comment a-t-il pu immédiatement après avoir été responsable de la régulation bancaire en tant que directeur du Trésor de 2000 à 2004, devenir dirigeant de la banque Barclays-France en 2005, puis président de l’Autorité des marchés financiers, le gendarme de la bourse ?

Autre cas : François Pérol. Inspecteur des finances, directeur adjoint au cabinet du ministre de l’Économie de 2002 à 2004, il est embauché en 2005 par la banque Rothschild. Il y dispense notamment ses conseils au PDG des Banques populaires, Philippe Dupont. Il perçoit 1,5 à 2 millions d’euros d’honoraires en 2006 par Natixis, filiale de la Banque populaire et de la Caisse d’épargne. Une mission qui va à l’encontre de la décision de la Commission de déontologie (lire l’enquête de Médiapart).

 

Petits mensonges entre amis

Après cet intermède bancaire, François Pérol devient secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2007, au moment de la fusion de la Banque populaire et de la Caisse d’épargne, qui donne naissance au groupe BPCE. Le président Nicolas Sarkozy, très inspiré, demande en février 2009 que la direction de la future BPCE soit confiée… à François Pérol ! Autre « petit détail » : la commission de déontologie n’a pas donné son accord pour ce parachutage. Quelques jours avant la nomination de François Pérol, le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, sollicite le président de la commission de déontologie. Et Nicolas Sarkozy affirme avoir reçu la décision favorable de la commission, alors qu’il n’en est rien (Lire « L’affaire Pérol, une plongée dans le système Sarkozy à l’Élysée » [6]).

 

À la suite d’une plainte de l’association de lutte contre la corruption Anticor, des syndicats CGT et Sud des Caisses d’épargne, au sujet de cette nomination controversée, François Pérol a été mis en examen en février 2014 pour prise illégale d’intérêts par le juge Roger Le Loire. Fin 2014 le Parquet national financier a requis le renvoi de François Pérol devant un tribunal correctionnel, pour « prise illégale d’intérêt ». Il a été relaxé ce 24 septembre, les juges estimant que son rôle de secrétaire général adjoint de l’Élysée consistait seulement à informer le Président de la République, et non à lui distiller conseils et avis. Il n’y a donc pas pour les magistrats « prise illégale d’intérêt » (lire l’article de Libération à ce sujet).

 

De Namias à Macron : les « Revolving doors » du PS

Le cas de Nicolas Namias est tout aussi révélateur de ces dynamiques de pantouflage. Énarque, il travaille en 2004 au Trésor, et en 2008 à un poste de direction au sein du groupe BPCE. Puis il revient au cœur de l’État et conseille le Premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault, avant de repasser dans le privé : depuis juin 2014, il dirige la stratégie de Natixis, la banque d’affaires du groupe BPCE. Autre parcours, même cheminement, celui d’Emmanuel Macron, inspecteur des finances, parti travailler de 2008 et 2012 au sein de la banque Rothschild, avant de devenir secrétaire général adjoint de l’Élysée, puis d’être nommé par Manuel Valls ministre de l’Économie.

Directrice générale de la Fédération bancaire française, Marie-Anne Barbat-Layani, inspecteur des finances, participe alternativement à des cabinets ministériels de gauche et de droite [7]. Après un passage à la direction du Trésor, comme sous-directrice au bureau « Banques et Financements d’intérêt général », elle assume pendant trois ans la fonction de directrice générale adjointe de la Fédération nationale du Crédit agricole [8].

 

En Europe aussi, un capitalisme de connivence

Du côté des dirigeants politiques européens, l’appel de la banque est aussi fort : l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder est devenu conseiller de la banque Rothschild en 2006. L’ancien premier ministre britannique Tony Blair a été embauché comme conseiller de l’assureur suisse Zurich Financial Services et de la banque états-unienne JP Morgan. « La solution à nos problèmes n’est pas de pendre vingt banquiers », affirme-t-il [9]... Peter Mandelson, ancien ministre britannique et Commissaire européen au commerce, a été nommé président de la branche internationale de la banque Lazard.

 

La liste ne s’arrête pas là ! Luc Frieden, ministre des Finances du Luxembourg jusqu’à décembre 2013, est nommé en 2014 vice-président de la Deutsche Bank, la plus grosse banque allemande. Il prodigue ses conseils sur les réglementations européennes et internationales, qu’il a lui-même contribué à mettre en œuvre ! « Ces cinq dernières années, il a représenté le Luxembourg lors du Conseil européen des ministres des Finances (ECOFIN et de l’Eurogroupe) et a participé à la stabilisation de la zone euro et la mise en forme de l’union bancaire européenne », précise la banque. En 2013, Luc Frieden a également présidé le Conseil des gouverneurs du FMI et de la Banque mondiale. Peut-on être recruté par une grande banque privée moins d’un an après avoir quitté un gouvernement ? Et après quinze ans passés au poste de ministre du Budget d’un paradis fiscal ? Aucun problème.

 

Un autre vice-président de la Deutsche Bank, Caio Koch-Weser, a été ministre-adjoint des Finances en Allemagne, chargé de la finance internationale et des marchés financiers, de 1999 à 2005. Sans oublier Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale d’Italie, qui a pris la tête de la Banque centrale européenne (BCE) en 2011, après avoir été dirigeant [10] de la banque Goldman Sachs, en tant que vice-président international chargé de l’Europe. En 2008, Jacques de Larosière, ancien directeur du Trésor, est choisi pour présider aux travaux sur les banques pour la Commission européenne et rédiger un rapport sur la supervision financière. Il est alors conseiller du président de BNP Paribas, ce qui ne semble visiblement pas déranger les dirigeants européens. Mettre un terme à ces allers-retours incessants et à la capture sociologique de la haute administration, à la capture idéologique des responsables politiques est urgent. Sans quoi il semble totalement vain d’espérer de réelles réformes pour mettre la finance sous contrôle.

@AgnèsRousseaux

Photo : CC Sam Graf

 

A lire : Le livre noir des banques, co-écrit par des journalistes de Basta ! et des économistes d’Attac.
Disponible en librairie ou à commander en ligne sur cette page (Le livre noir des banques, 2015, 372 pages, éditions Les liens qui libèrent).

Notes

[1Ottenheimer Ghislaine, Les Intouchables. Grandeur et décadence d’une caste : l’Inspection des finances, Albin Michel, 2004.

[2Ils sont 65 en 2004 à travailler au service de l’Inspection, 46 dans l’administration dont 21 à Bercy, 13 dans les cabinets ministériels, 27 dans les entreprises publiques, et 122 dans le secteur privé (dont 60 % dans le secteur de la banque-assurance).

[3OTTENHEIMER Ghislaine, Les Intouchables, op. cit.

[4« Montebourg à la chasse au Trésor ! », Marianne, 9 octobre 2012.

[5François Villeroy de Galhau a quitté ses fonctions à BNP pour prendre la tête en mai 2015 d’une mission confiée par le premier ministre, Manuel Valls, sur le financement de l’investissement en France et en Europe. Certains y voient un tremplin pour le poste de gouverneur de la Banque de France, qui sera renouvelé en octobre. Lire ici.

[6« L’affaire Pérol, une plongée dans le système Sarkozy à l’Élysée », Le Monde, 19 février 2014.

[7D’abord conseillère de Christian Sautter, éphémère ministre des Finances socialiste, en 2000, puis directrice adjointe du cabinet du Premier ministre, François Fillon, chargée des questions économiques et financières, en 2010-2012.

[8Lire « Le plan de carrière emblématique d’une oligarque à Bercy », par Laurent Mauduit, Médiapart, 13 décembre 2013.

[9Tony Blair, cité dans ROCHE Marc, Les Banksters. Voyage chez mes amis capitalistes, Albin Michel, 2014.

[10De 2002 à 2005

 

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

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28 septembre 2015 1 28 /09 /septembre /2015 15:10

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Ces gérants de supérette étranglés par Casino

|  Par Dan Israel

 

 

 

Le numéro deux français de la grande distribution laisse se creuser d’étranges trous comptables dans les finances de ses magasins de proximité. Il fait ensuite condamner leurs gérants à lui rembourser les sommes, qui peuvent dépasser les 100 000 euros. Mais dans des cas relevés partout en France, ces « déficits de gestion » ont été alimentés, au moins en partie, par diverses manipulations connues du groupe. Premier volet de nos révélations sur un secret de fabrication.

 

u fond, Hervé Després n’a toujours pas compris comment il en est arrivé là. Le 17 août, un courrier recommandé a annoncé au jeune homme de 32 ans la rupture de son contrat avec Distribution Casino France, la filiale qui regroupe tous les magasins français sous enseigne Casino, le deuxième groupe de grande distribution de l’Hexagone (qui englobe aussi Monoprix et Franprix). Avec sa compagne, Hervé était depuis les premiers jours de l’année 2012 le gérant d’une supérette Petit Casino près de Roanne (Loire). Ils avaient obtenu ce magasin après un passage réussi et salué par la direction dans un plus petit commerce. Trois ans et demi plus tard pourtant, c’est la rupture de contrat. Motif ? Le couple aurait laissé s’accumuler un déficit très important dans les comptes de son magasin.

Selon les décomptes de Casino, le trou comptable s’élève à 80 000 euros environ. C’est énorme : l’équivalent de plus d’un mois de chiffre d’affaires du magasin se serait évaporé. Et le gérant a beau refaire ses calculs, il ne voit pas d’où proviendrait cette gigantesque fuite d’argent. « Casino nous a signalé à trois reprises des déficits de gestion, calculés après nos inventaires annuels, de juin 2013, 2014 et 2015. De 20 000 à 44 000 euros à chaque fois, détaille-t-il. Des sommes énormes, on était complètement perdus. On s’est posé beaucoup de questions, on s’est dit que c’était de notre faute. En fouillant partout, en pointant et en repointant, on a bien trouvé des petites pertes que nous n’avions pas enregistrées, mais pas de quoi expliquer ces sommes… À chaque fois, on espérait que ça irait mieux la fois suivante. Mais on s’enfonçait toujours un peu plus. »

Pourtant, le couple ne comptait pas ses heures. Travail de 6 heures du matin à 20 heures, cinq jours et demi à six jours et demi par semaine, selon les périodes. Réception des livraisons, installation des marchandises, tenue de caisse, surveillance du magasin, nettoyage et livraisons à domicile. Aux alentours de 70 heures de boulot par semaine, pour chacun d’entre eux, pour une rémunération oscillant entre 2 200 et 3 400 euros pour deux. « On aimait vraiment ce qu’on faisait, on était mordus, raconte l’homme. Mais on n’était pas entrés chez Casino pour s’endetter. » Tout comme sa compagne, il est désormais en arrêt de travail, depuis la mi-juillet. Burn out. « On a tellement donné à Casino, tellement peu pris soin de nous, que la santé nous rattrape. »

Avant d’être éconduit du magasin qu’il gérait, le couple avait commencé à rembourser, en signe de bonne foi et pour garder sa place. 150 euros par mois d’abord, puis, la situation s’aggravant, 600 euros par mois. En moins de deux ans, ils auront versé 10 000 euros. Peine perdue. Aujourd’hui, Hervé Després a pris un avocat. Il conteste la rupture de son contrat de gérance, et dénonce les 80 000 euros que Casino veut lui faire payer.

 

Images extraites du site internet du groupe CasinoImages extraites du site internet du groupe Casino

 

Ce récit est symptomatique. Car des dossiers similaires, on en trouve à la pelle partout en France depuis près de dix ans. Tous concernent des magasins de la branche « proximité » du groupe présidé par Jean-Charles Naouri. Et partout point un soupçon, entêtant : et si ces déficits étaient créés, ou amplifiés, artificiellement au profit de Casino ? Le groupe dément formellement, contestant point par point les accusations des gérants, par l’intermédiaire de son service de communication. A ses yeux, il ne peut aucunement être mis en cause dans l'apparition de ces déficits : « Tout est mis en œuvre pour que les gérants mandataires non-salariés ne soient pas confrontés à des déficits : d’abord des inventaires ont lieu régulièrement (...), ensuite une équipe commerciale est en permanence à leur écoute pour les aider sur toute difficulté de gestion. » Toutes les réponses de Casino convergent, dénonçant des « allégations infondées », et martelant que « l’entreprise agit dans le respect de la loi » (lire sous l’onglet Prolonger l’intégralité de nos questions et des réponses du groupe)

À notre connaissance, aucun média ne s’était jusqu’à présent sérieusement penché sur la question, alors que des dizaines de procès ont eu lieu ou sont en cours. Ces déficits de gestion sont un sujet de conversation quasi quotidien parmi les gérants, mais seuls quelques syndicalistes CGT isolés s’en sont saisis, ainsi qu’une poignée d’avocats.

« Nous estimons à environ 200 le nombre de gérants évincés chaque année pour des déficits non justifiés », indique Didier Houacine, délégué syndical central CGT de la branche proximité du groupe. Casino conteste ce chiffre. Pour l’année 2014, il cite 115 ruptures de contrat à son initiative, et 148 à l’initiative des gérants, sans préciser pour quels motifs et selon quelles modalités : « Le nombre de départs à l’initiative de l’entreprise est donc extrêmement faible en proportion du nombre total de gérants mandataires non-salariés », explique le groupe. Sur la même période, 65 contentieux ont été ouverts devant les tribunaux.

La CGT décrit des cas similaires à chaque fois, « des déficits très importants, qui arrivent de façon rapide, dans un flou artistique total ». La vingtaine de dossiers dont Mediapart a pris connaissance, s’étalant de 2007 à 2015, se ressemblent en effet tous. Invariablement, des déficits importants apparaissent et se répètent souvent sur plusieurs années, avant que Casino ne rompe le contrat de gérance, puis assigne les tenanciers du magasin au tribunal de commerce pour récupérer les sommes envolées des comptes.

Ni commerçants, ni salariés

Pour bien comprendre l’engrenage dans lequel sont pris ces gérants, il faut se plonger dans les spécificités de leur statut. Car ces 3 415 personnes ne sont ni salariées ni franchisées. Aux commandes de 1 659 Petit Casino, Casino Shop, Leader Price Express, Vival et autres Spar répartis sur le territoire, ils sont désignés par le terme de gérants non salariés. Ni propriétaires du magasin, ni des marchandises qu’ils vendent, ils travaillent à deux, généralement en couple, et sont rémunérés à la commission, en fonction des ventes qu’ils effectuent.

 

Le statut des gérants non salariés est encadré par le code du travail et régi par une convention collective spécifique. Leur situation est à cheval entre le statut de commerçant – qu’ils ne sont pas totalement, même s’ils sont censés gérer leur commerce de manière indépendante –, et celui de salariés – auxquels ils sont assimilables sur le plan social (les bulletins de commission qu’ils reçoivent chaque mois ressemblent de près à des bulletins de paye), bien qu’ils ne bénéficient pas de tous leurs droits, notamment d’un temps de travail défini par contrat.

Casino est le plus grand employeur de gérants non salariés en France, et quasiment le seul dans les commerces de bouche (les magasins de vin Nicolas utilisent aussi ces contrats). L’entreprise présente ce statut comme une opportunité en or pour tout commerçant en herbe avide de se lancer, sans fonds de commerce à acquérir et sans aucun argent à investir. De plus, l’entreprise fournit un logement de fonction, ainsi qu’un plan épargne retraite et un régime de prévoyance et de mutuelle. Les heureux élus sont rémunérés à un taux de 6,2 % sur les marchandises vendues (plus généreux que l’accord de branche, qui leur accorde 5,8 %), augmenté d’une « bonification annuelle » de 0,35 % du chiffre d’affaires réalisé. Pour ceux dont le commerce ne tourne pas assez, il existe un minimum garanti, d’environ 1 800 euros net à partager entre les deux tenanciers. Combien de personnes ne touchent pas plus que ce minimum ? 80 % des gérants, selon les syndicats. L’entreprise, elle, ne répond pas précisément.

« Ce statut est extrêmement rentable pour l’employeur. Il permet de ne pas payer la durée du travail des gérants », assène Claudine Bouyer-Fromentin. Pendant près de dix ans, cette avocate de Neuilly qui vient de prendre sa retraite a étudié de près une soixantaine de dossiers de ces quasi-employés. Selon ses décomptes, compte tenu des heures passées dans les magasins, ils sont payés l’équivalent de 3 à 3,5 euros de l’heure.

Depuis qu’elle s’est emparée du sujet en 2006, l’avocate a vu grossir inexorablement le montant des déficits auxquels les gérants doivent faire face. En moyenne, selon elle, ils vont de 50 000 à 65 000 euros. Mais les premières années où elle s’est saisie des dossiers, « c’était plutôt 20 000 euros, alors qu’aujourd’hui, ils dépassent parfois les 100 000 euros », témoigne-t-elle. Et la machine semble s’emballer… Un couple en charge d’un Spar toulousain, présent dans le groupe depuis vingt ans sans problème particulier, s’est vu notifier il y a quelques jours un déficit « exorbitant », selon les termes mêmes du courrier officiel, de… 172 000 euros d’un coup. Une telle somme représente près de deux fois la totalité du stock de marchandises présent dans le magasin.

L’avocate décrit des gens qui ne se connaissent pas, qui viennent de partout en France et qui racontent tous des choses similaires, en produisant des éléments qui se recoupent ou se confirment. Mais aucun ne dispose d’un dossier de preuves complet. Comme Hervé Després, tous se heurtent à des anomalies « inexplicables ». Et selon la professionnelle du droit, les profils de ces gérants sont souvent proches : « Ce sont soit des jeunes avec peu de formation, soit des gens en fin de carrière ou qui ont eu un accident de la vie. La plupart du temps, des gens extrêmement modestes, qui sont peu formés par Casino. »

 

La répartition des supérettes Casino en FranceLa répartition des supérettes Casino en France

Aux postulants, l’entreprise offre en effet principalement deux semaines de stage de formation dans un magasin déjà ouvert, puis un accompagnement personnalisé assuré par un membre du service commercial dans leur propre magasin, durant deux semaines supplémentaires. Les relations sont ensuite assez étroites entre les gérants et leur « manager », qui s’occupe d’une dizaine de magasins, lui-même chapeauté par un directeur commercial et par l’un des quatre directeurs régionaux qui se partagent l’Hexagone.


Les procès, une lente asphyxie financière

Si la question des déficits n’a jamais été racontée sérieusement sur le fond, les conditions de travail des gérants non salariés ne sont pas inconnues. Dès 2006, notamment sous la signature de Lénaïg Bredoux (aujourd’hui journaliste à Mediapart), L’Humanité consacrait plusieurs articles complets à ce statut. Rue89 ou Liaisons sociales ont poursuivi. Tout comme Là-bas si j’y suis sur France Inter en 2008, et le journal Fakir en 2010. Ce dernier, qui écornait méchamment l’image respectable de Jean-Charles Naouri, le PDG du groupe, a été poursuivi en diffamation par Casino, avant que le groupe ne se désiste, en 2012.

On trouve des gérants non salariés qui vivent bien de leur métier et se déclarent très satisfaits de pouvoir mener leur commerce comme ils l’entendent, sans mise de fonds. Pour répondre aux questions de Mediapart, le service de communication de l’enseigne a même fourni une liste de gérants de dix magasins répartis partout en France, satisfaits de leur sort et disposés à expliquer pourquoi. Parmi eux, on trouve certes une proportion élevée de responsables de gros magasins, aux chiffres d’affaires au-dessus de la moyenne, de formateurs des nouveaux venus dans le groupe (activité qui assure un complément de rémunération), un ancien manager passé de l’autre côté et même un délégué syndical régional de Force ouvrière. Mais leur témoignage recoupe sans aucun doute possible une partie de la réalité.

L’autre versant de cette réalité, ce sont des gérants en conflit ouvert avec leur direction, déboussolés, exténués. C’est le cas de Claire et Arnaud (* les prénoms ont été modifiés, voir notre Boîte noire), qui ont géré un magasin du centre de la France de 2011 à 2014, en arrêt maladie depuis que la société a rompu leur contrat, pour cause de déficit dépassant les 60 000 euros. « Ils vous font signer pour l’enfer, nous avons vécu trois ans de cauchemar, déclare Claire. À chaque inventaire, c’était la catastrophe, des trous permanents. Ça me rendait malade, lorsque les inventoristes de Casino se présentaient, j’étais couverte de plaques d’eczéma. »

Même ressenti et même eczéma pour Jean-Luc Calais, qui a géré plusieurs supérettes de 2004 à 2012, à Lyon, Albertville et Villeurbanne, et à qui Casino réclame 85 000 euros. En décembre 2014, il a perdu en première instance au tribunal de commerce de Saint-Étienne, mais a fait appel et conteste pied à pied ce qu’on lui reproche. « Dans ma situation, plus d’un aurait abandonné, constate-t-il. J’ai une femme et des enfants… » Et plusieurs procédures judiciaires à affronter en même temps.

« En raison de leur statut spécifique, les gérants ont souvent deux procédures distinctes à mener de front, une devant les prud'hommes lorsqu’ils demandent notamment la requalification de leur contrat de gérance en contrat de travail, et une au tribunal de commerce, où les assigne Casino pour obtenir le remboursement de déficits de gestion. Et ils sont fréquemment contraints d’aller en appel, voire en cassation », explique Adrien Renaud, l’avocat grenoblois de Jean-Luc Calais, qui défend de nombreux gérants aux côtés de Me Flavien Jorquera. « À cela s'ajoute parfois l’assignation de deux membres de leur famille proche qui s’étaient portés caution auprès de Casino, et à qui le groupe réclame à chacun les 12 000 euros de cautionnement. Des gens qui n’ont souvent plus de travail ont donc trois procédures différentes à prendre à leur charge. » Avec à la clé des milliers, voire des dizaines de milliers d’euros de frais d’avocat, et une lente asphyxie financière. Le tout, pour des résultats judiciaires très souvent défavorables à leur encontre, comme nous le détaillerons dans le dernier volet de notre enquête.

Pour expliquer ces déficits abyssaux, les gérants contactés sur les conseils de Casino exposent tous la même thèse : tout est de la faute du gérant. « Celui qui gère bien, qui fait son boulot comme il faut, il ne peut pas avoir de déficit », assure ainsi Christophe Delolme, qui tient un Casino Shop à Écully. « Il faut absolument vérifier et revérifier toutes les livraisons, ajoute Nathalie Juge, à Arcachon. Par exemple, lorsque la marchandise arrive, il arrive fréquemment qu’il manque des cartons, ou des marchandises à l’intérieur des cartons. » « Il faut être très vigilant sur le vol », complète Frédéric Lison, à Issy-les-Moulineaux.

« Nous ne sommes pas des voleurs »

Tous ces éléments sont exacts, et peuvent bien sûr expliquer une partie des trous comptables. Mais ils ne suffisent pas à expliquer la disparition de sommes gigantesques, qui dépassent fréquemment sur un an le chiffre d’affaires mensuel d’un magasin. Interrogés sur ce point, les gérants désignés par Casino tombent tous d’accord. « Ces “hyper déficits”, ça va au-delà des problèmes de gestion », acquiesce Ludovic Richard, tenant d’un Leader Price Express à Angers. Résumant l’opinion de ses collègues, il estime « que dans ces cas, malheureusement, le gérant a confondu le tiroir-caisse et son propre porte-monnaie ». Autrement dit, ces gérants auraient piqué dans la caisse. « Je suis souvent appelé par des gérants qui cherchent à comprendre leur déficit, souligne Marc Annaert, gérant dans le Loiret et responsable régional de FO. Nous passons deux jours à éplucher tous les comptes. Et dans 50 % des cas, on ne retrouve jamais la cause des déficits. »

Des voleurs ? En théorie, l’explication est plausible. Elle est parfois vraie, à n’en pas douter. Mais tous les gérants en déficit que nous avons contactés ou qui se défendent devant les tribunaux démentent avec la dernière énergie. « Nous ne sommes pas des voleurs ou des revendeurs de boîtes de conserve sous le manteau », grince par exemple Cécile (*), qui a été récemment condamnée à rembourser à Casino plus de 60 000 euros.

Et puis, il est bien difficile de faire coller cette explication automatique avec tous les cas que nous avons pu consulter. Comment croire, par exemple, qu’un gérant accepte de rembourser son déficit petit bout par petit bout tous les mois, alors qu’il prélèverait dix ou vingt mille euros dans sa caisse en un an ? Et comment croire qu’Arnaud Toueille, ce gérant lyonnais auquel la société réclame 43 000 euros, ait subtilisé 34 000 euros en cinq mois à peine, entre avril et août 2013 ? Selon son récit, c’est après qu’il a dénoncé avec véhémence son déficit précédent, d’un montant de 8 000 euros, que ce trou est apparu dans ses comptes.

Quant à Jean-Luc Calais, de Villeurbanne, le fait que Casino lui ait notifié en octobre 2012 un déficit de près de 80 000 euros n’a pas empêché le groupe de le soutenir dans ses démarches pour ouvrir un autre magasin dans la Creuse, sous le statut de franchisé. Il n’était apparemment pas considéré comme foncièrement malhonnête, au moins jusqu’au printemps 2013. « Et puis, presque du jour au lendemain, alors que la direction m’avait incité à monter ma propre société, qu’elle m’avait trouvé un local et proposé deux primes de 30 000 euros pour démarrer, l’assignation au tribunal de commerce est tombée, pour une somme supérieure au déficit qu’ils m’avaient réclamé au départ », raconte-t-il.
 

Des gérants devenus indésirables ?

Mais pourquoi ces gérants seraient ainsi soudainement visés ? « Souvent, assure Didier Houacine de la CGT, ils étaient entrés peu de temps auparavant en conflit avec le service commercial, en émettant des réserves sur la politique commerciale, en voulant réduire leurs horaires à rallonge, ou en acceptant mal le changement de concept qu’on leur a proposé… » Le groupe transforme en effet peu à peu ces Petit Casino en Casino Shop modernisés, ou en Leader Price express, aux prix plus bas et donc au volume de marchandises écoulé beaucoup plus important, ce qui signifie plus de travail.

Les soupçons sont que Distribution Casino France utilise les déficits pour se séparer de ces récalcitrants, qu’il remplace par des troupes fraîchement embauchées et donc plus souples, ou pour fermer les magasins trop petits ou mal placés, qui ne correspondent plus à ses choix stratégiques. Le groupe balaie toutes les accusations, dénonçant des « allégations infondées » et des « affirmations inexactes ». Pourtant, au fil des cas, les faits troublants se multiplient. Nous les explorerons dans le deuxième volet de cette enquête, au cœur du trou noir des inventaires.

 

 

Boîte noire :Mise à jour - 28 septembre 16h30 : la plupart des arguments de Casino étant présentés dans le deuxième volet de l'enquête, j'ai ajouté dans ce premier article des citations et des explications venues du groupe, afin de donner plus vite son point de vue.

Cet article est le premier d'une série de trois, qui décrivent la situation des gérants en fort déficit, les raisons pour lesquelles ils accusent Casino de les pousser dans cette situation, et leur échec à convaincre la justice jusqu'à présent.

Je me suis déjà intéressé aux supérettes du groupe Casino il y a deux ans, avec cet article sur les conditions difficiles réservées aux propriétaires de certains magasins franchisés. Depuis, de nombreux témoignages me sont parvenus concernant la situation des gérants non salariés. Je les ai rassemblés, recoupés et vérifiés pendant plusieurs mois.

Certains gérants ont choisi de ne pas apparaître sous leur nom dans cet article. Ils sont en procédure judiciaire contre Casino et ne souhaitent pas dégrader leurs relations avec le groupe. Je l'ai signalé en accolant le signe (*) à leurs prénoms.

Toutes les questions que j'ai adressées à Casino, accompagnées des réponses, sont disponibles sous l'onglet Prolonger.

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

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25 septembre 2015 5 25 /09 /septembre /2015 17:27

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

La grande hypocrisie des moteurs diesel

 |  PAR MICHEL DE PRACONTAL

 

 

Et si le scandale Volkswagen n'était que la pointe de l'iceberg ? Plusieurs sources d'informations suggèrent que le procédé de triche utilisé par le constructeur allemand est très répandu, et de longue date.

 

 

Parti des États-Unis, le scandale Volkswagen a déclenché une réaction en chaîne en Europe. Il pourrait même représenter pour l’économie allemande « un risque plus grand que la crise de la dette grecque », selon un analyste cité par Reuters. Le ministre allemand des transports, Alexander Dobrindt, a déclaré que la fraude, qui a concerné 482 000 véhicules aux États-Unis, avait aussi affecté les pays européens. Il a indiqué le 25 septembre que, pour l'Allemagne, la manipulation avait porté sur 2,8 millions de voitures diesel, donc six fois plus qu'aux États-Unis. D'après nos informations, il est très plausible que le même procédé ait été largement utilisé en Europe, et sans doute par d'autres constructeurs.

© Reuters/Charles Platiau

Volkswagen a admis avoir équipé onze millions de voitures d’un logiciel capable de tromper les tests d’émissions polluantes. La très grande majorité de ces véhicules ont été commercialisés en Europe, où le marché du diesel représente plus de la moitié des voitures vendues. En Espagne, Seat, l’une des filiales du groupe Volkswagen, aurait installé un logiciel trompeur dans 500 000 voitures, selon El Pais. Mais des modèles des marques Audi et Skoda utilisent le même moteur et pourraient aussi être concernés par la tricherie, d’après L’Argus

L’Espagne, l’Italie, la France ont lancé des investigations et l’Union européenne a appelé tous les États membres à enquêter. Au Royaume-Uni, le Département des transports (équivalent d’un secrétariat d’État) a entrepris de contrôler les émissions de voitures diesel de différentes marques, afin de « vérifier que le problème est limité à Volkswagen et ne concerne pas toute l’industrie » automobile, selon le secrétaire au transport, Patrick McLoughlin. En Allemagne aussi, des tests seront effectués sur des voitures d'autres marques que Volkswagen. Un autre constructeur allemand, BMW, a été mis en cause par le magazine Auto Bild, mais nie toute manipulation. Plusieurs sources d’informations suggèrent cependant que le scandale pourrait ne pas se limiter au cas de Volkswagen.

Pour ne rien arranger, le quotidien britannique The Guardian a révélé le 24 septembre que les gouvernements allemand, britannique et français avaient fait du lobbying auprès de la Commission européenne pour rendre moins sévère la procédure de contrôle des émissions des voitures, qui doit être modifiée en 2017. Dans ce contexte, la hâte des gouvernements à faire aujourd’hui toute la lumière sur le scandale apparaît quelque peu de circonstance. Au demeurant, les Verts allemands dénoncent l’« hypocrisie » d’Alexander Dobrindt, le ministre des transports. Oliver Krischer, député des Grünen, estime que « le gouvernement est depuis des années au courant des manipulations des firmes automobiles » et que « le scandale actuel est le résultat d’une politique qui fait fi de la protection de l’environnement et des consommateurs ».Contacté par Mediapart, le bureau de Krischer précise : « Le problème est connu de nous et de la plupart des experts depuis des années, mais le gouvernement n’a rien fait contre ; nous pensons que d’autres constructeurs [que Volkswagen] utilisent des stratégies similaires, mais aucun nom n’a été mentionné. »

Alexander Dobrindt récuse les attaques des Verts. Mais plusieurs sources confirment que la pratique reprochée à Volkswagen par l’EPA, l’Agence de protection de l’environnement américaine, n’est pas un cas isolé. Le 10 septembre, avant que le scandale n’éclate aux États-Unis, l’ONG Transport & Environment (T&E) a publié un rapport sur la pollution automobile dont le message tient dans le titre : Don’t Breathe Here, « Ne respirez pas ici ». Selon ce rapport, les modèles récents de voitures diesel émettent cinq fois plus de particules et de gaz polluants que la limite autorisée par la nouvelle norme, dite Euro 6, entrée en vigueur début septembre. Sur 23 voitures testées, seules trois sont apparues conformes à la norme, et un modèle Audi a produit 22 fois plus d’émissions que la limite.

Selon T&E, tous les constructeurs vendent des voitures diesel qui ne respectent pas la limite européenne. Pourtant, elles réussissent à passer les tests d’homologation. Le rapport de T&E met en cause une procédure trop laxiste et détaille les procédés qui permettent aux fabricants de faire homologuer des véhicules dont les émissions ne sont pas conformes dans des conditions de conduite réalistes. Le rapport énumère une série d’astuces mécaniques telles que surgonfler les pneus, déconnecter les freins, alléger la voiture au maximum, charger la batterie à bloc, etc.

Infographie de T&E montrant l'écart entre les émissions réelles et la norme pour six marques européennes
Infographie de T&E montrant l'écart entre les émissions réelles et la norme pour six marques européennes

T&E décrit aussi un procédé de triche qui est exactement celui reproché par l’EPA à Volkswagen, dans lequel « le système de contrôle du moteur détecte que le véhicule est en train d’être testé dans une procédure d’homologation et bascule dans un régime spécialement conçu pour satisfaire à la norme ». Le rapport de T&E souligne que ce procédé est facile à appliquer aux voitures actuelles qui sont truffées de systèmes de contrôle électronique, de sorte que le calculateur peut détecter que le capot est ouvert ou que les roues arrière sont immobiles. Et de conclure : « Aucun constructeur n’a été poursuivi dans l’Union européenne pour des pratiques de “cycle beating” (usage d’un procédé permettant de déjouer les contrôles), mais des preuves anecdotiques suggèrent que ces pratiques sont répandues. »

Si T&E ne cible aucun constructeur européen en particulier, l’ONG montre que tous produisent des voitures polluantes, ce qui implique qu’ils sont capables de contourner la procédure d’homologation (voir infographie). D’autres rapports, notamment de l’ICCT (International Council for Clean Transportation), organisme qui a contribué à révéler la fraude de Volkswagen, confirment que les voitures diesel émettent plus dans la vie réelle que dans les conditions artificielles des tests.

Il est donc clair que le problème est apparu avant l’affaire américaine. On peut d’ailleurs signaler qu’en 1998, l’EPA avait déjà dévoilé une fraude assez similaire à celle de Volkswagen, mais portant sur des camions (voir un document de T&E sur l'affaire). Le procédé était le même : le calculateur de bord reconnaissait la situation de test et se réglait alors sur un cycle spécifique.

« Au fond, j’ai l’intime conviction que c’est vrai »

L’EPA avait épinglé sept constructeurs, cinq américains ainsi que Renault et Volvo, qui ont dû verser 83,4 millions de dollars, à l’époque le plus grand dédommagement dans l’histoire pour une atteinte à l’environnement. Les firmes ont aussi été contraintes d’abandonner l’utilisation de « defeat devices », autrement dit de logiciels trompeurs.

Il n’y avait pas eu jusqu’ici de procédure concernant des voitures de tourisme, mais dans le milieu de l’automobile, le recours aux techniques de « cycle beating » est perçu comme un secret de Polichinelle. Un professionnel qui a travaillé pour un constructeur français le confirme : « En 2010, une équipe d’ingénieurs de Peugeot, chargée de surveiller la concurrence, a analysé des modèles BMW des séries 1 et 3, indique-t-il à Mediapart. Lorsqu’ils faisaient rouler la voiture, ils ne réussissaient pas à reproduire les consommations annoncées par le constructeur. Mais sur le banc, la voiture devenait hyper-économique. Cela signifie que la programmation du calculateur enclenche un mode dans lequel la voiture devient moins performante, avec une consommation et des émissions basses, lorsqu’elle détecte un passage au banc (rotation des seules roues motrices, absence de mouvement sur le volant, etc). C’est exactement le même principe que ce qu’a fait Volkswagen, il ne coûte rien, ne nécessite aucun capteur supplémentaire et peut donc être installé sur tout ce qui sort de l’usine. »

Et notre interlocuteur de poursuivre : « Les voitures ont déjà plusieurs modes réglés par le calculateur, par exemple s’il fait chaud, ou froid. Il est très simple d’ajouter à tous ces modes normaux et admis un préréglage optimisé pour les tests. Depuis 2011, les BMW laissent choisir le conducteur entre plusieurs modes (Ecoplus, Normal, Sport) qui changent les paramètres de la voiture. C’est la partie visible et légale de la triche ! »

Il faut comprendre que sur les voitures actuelles, le calculateur gère tous les paramètres de fonctionnement du moteur : température et admission de l’air, allumage, consommation… À tel point que le même moteur peut être décliné par le constructeur sur toute une gamme de modèles aux puissances différentes. Autrement dit, la programmation du calculateur commande le comportement du moteur, et en particulier le niveau d’émissions polluantes.

Les amateurs de voitures savent d’ailleurs parfaitement que l’on peut augmenter les performances d’un modèle du commerce en « reprogrammant » le calculateur du moteur. Il existe d’ailleurs des sociétés spécialisés dans ce type de préparation, qui proposent à leurs clients d’accroître la puissance du moteur de dix, vingt, trente chevaux ou davantage.

« Lorsque les clients nous amènent des berlines diesel, nous constatons tous les jours des écarts entre la puissance annoncée et celle que nous mesurons, explique à Mediapart un spécialiste d’une société qui offre ce type de service, O2 programmationJ’ai vu des moteurs de chez Mercedes ou Volkswagen avec 15 à 20 chevaux de plus qu’annoncé. Cela montre que les tests ne sont pas performants. La procédure d’homologation aux États-Unis est plus dure. Je peux imaginer que pour faire une économie d’échelle, Volkswagen ait installé pour les voitures destinées aux États-Unis un logiciel qui bascule sur un mode test. »

En principe, l’accès au calculateur d’une voiture est protégé et réservé au constructeur. Les sociétés de reprogrammation s’arrangent pour obtenir les codes d’accès des constructeurs, soit en les décodant elles-mêmes, soit en s’adressant à d’autres sociétés qui leur débloquent ces accès. Toute cette activité est tolérée, même si elle se situe à la limite de la légalité, comme on peut le vérifier sur les forums des amateurs de « chiptuning », ainsi que se nomme cette pratique. On apprend, entre autres, que les voitures ainsi préparées sont souvent débarrassées de dispositifs antipollution comme le filtre à particules.

La pratique du chiptuning est un élément de plus qui montre que les caractéristiques des voitures actuelles peuvent facilement être modifiées par des opérations de logiciel. La tolérance dont bénéficie cette pratique rend encore plus plausible l’idée que l’affaire Volkswagen ne soit que la partie émergée de l’iceberg. S’il est aussi simple et efficace de programmer les calculateurs pour qu’ils permettent de contourner les tests, et si la puissance et l’importance de l’industrie automobile poussent les autorités à fermer les yeux, il faudrait que les constructeurs soient d’une vertu inhumaine pour ne pas recourir au procédé.

Interrogé, notre spécialiste répond en deux temps : « En Europe, les constructeurs n’ont pas besoin de logiciel “interrupteur” parce que le système d’homologation les laisse passer. » Mais à la réflexion, il ajoute : « Il y a cependant des rumeurs persistantes en ce sens. Au fond, j’ai l’intime conviction que c’est vrai. C’est comme le Tour de France, on peut penser que 80 % des coureurs sont dopés, mais regardez le temps qu’il a fallu pour qu’Armstrong se fasse prendre… »

Il n’est pas certain que dans ce cas, le secret – déjà pas mal éventé – tienne aussi longtemps, étant donné l’ampleur du traumatisme suscité par l’affaire Volkswagen. Ce scandale illustre l’aberration d’un système qui a fait du diesel, technologie intrinsèquement polluante, un marché très concurrentiel en Europe et dans une moindre mesure aux États-Unis. Les automobiles et en premier lieu les voitures diesel sont la principale source de pollution de l'air en ville. Dans une perspective de protection de l’environnement, supprimer l’avantage fiscal du diesel serait une mesure de bon sens et de salubrité publique. Mais lorsque l’on réalise que même aux 24 heures du Mans, les voitures diesel sont avantagées, il est permis de se demander si le bons sens a voix au chapitre dans ce domaine.

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

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24 septembre 2015 4 24 /09 /septembre /2015 14:01

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

 

ÉTATS-UNIS

Airbus expérimente un nouveau modèle social : une usine sans syndicats

PAR 

 

 

 

Le groupe aéronautique européen Airbus vient d’inaugurer en grande pompe une nouvelle usine de production d’avions à Mobile, dans l’Alabama. Cette implantation dans le pré carré de son concurrent Boeing a plusieurs avantages : la proximité du marché nord-américain, la possibilité de de se protéger des variations de change et... l’absence de syndicats. Fabrice Brégier, directeur exécutif d’Airbus, ne se prive pas de souligner les avantages de cette situation, ajoutant que l’Europe et ses syndicats devraient « prendre exemple » sur ce modèle anti-social.

« Nous avons de bonnes relations avec les syndicats, mais nous pensons qu’à Mobile, c’est mieux sans eux. C’est une autre culture. Je ne pense pas que nos travailleurs aient besoin d’un syndicat pour avoir de bonnes relations avec Airbus. » C’est dans ces termes que le le directeur exécutif d’Airbus, le français Fabrice Brégier, se félicite de l’inauguration de la nouvelle usine du groupe à Mobile, en Alabama. Le dirigeant, qui estime à leur place ce qui est bien ou non pour les travailleurs, s’exprime dans l’édition dominicale du quotidien allemand Die Welt du 13 septembre [1].

« Le marché américain a clairement un avantage concurrentiel... L’Europe doit vraiment faire quelque chose pour sa compétitivité... En France, par exemple, les charges sociales sont beaucoup trop élevées », poursuit Fabrice Brégier. Lorsqu’elle atteindra son rythme de croisière, en 2017, la nouvelle usine d’Airbus emploiera environ 1000 personnes et produira quatre A320 par mois, sur environ 50 produits dans le monde par les salariés d’Airbus. Fabrice Brégier envisage même la possibilité que dans l’avenir, l’usine de Mobile exporte sa production non seulement aux États-Unis, mais aussi dans le reste du monde. Une menace à peine voilée aux syndicats européens du groupe. Les États français, allemands et espagnols, actionnaires d’Airbus (à hauteur de 25%), apprécieront également.

Une compétitivité en trompe-l’oeil ?

Les moindres coûts de production affichés par Airbus pour son usine américaine sont en partie liés à des salaires et une fiscalité plus faibles, mais aussi au fait que Mobile bénéficie de moyens de production dernier cri, ainsi que de coûts de transport plus faibles pour le marché local.

Selon l’AFP, l’équation économique globale n’est en fait pas si favorable que cela à la future production aux États-Unis : « Un avion assemblé à Mobile va revenir plus cher qu’un appareil fabriqué en Europe à cause des coûts de transport et de la parité euro-dollar actuelle. Les pièces des avions assemblées à Mobile sont produites en Europe, d’autres (pompes à fioul et valves hydrauliques) aux États-Unis et envoyées sur le Vieux Continent avant d’être réexpédiées. »

Pour construire cette usine, Airbus a bénéficié d’aides publiques directes et indirectes de l’État de l’Alabama, du comté et de la municipalité de Mobile, pour un montant total estimé à pas moins de 158,5 millions de dollars (142 millions d’euros). Soit 142 000 euros par emplois directs créés (lire États-Unis : $456,000 dollars de subvention en moyenne pour créer un emploi et le détail des aides et des conditions qui leur sont assorties ici) !

Culture anti-syndicale

Contrairement aux régions industrielles historiques des États-Unis, de Detroit à Seattle, le Sud du pays se caractérise par la faiblesse du salaire minimal (7,25 dollars de l’heure en Alabama) et par une très forte culture anti-syndicale. Les constructeurs automobiles ont commencé à s’implanter dans les États du Sud à partir des années 1980 pour profiter de ces conditions favorables : d’abord les japonais comme Nissan, puis les constructeurs européens comme Volkswagen (lire Volkswagen, Nissan et la lutte pour les droits syndicaux dans le Sud des États-Unis).

Boeing possède déjà plusieurs usines en Alabama et en Caroline du Sud, dont certaines ont des syndicats, d’autres non. Le syndicat américain IAMAW (International Association of Machinists and Aerospace Workers), les Machinists, a déjà annoncé son intention de tenter de créer une section syndicale dans l’usine d’Airbus à Mobile. Ne feraient-ils pas confiance à des dirigeants plein d’empathie ?

Olivier Petitjean

Photo : usine d’Airbus à Séville / CC Big Max Power

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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 21:47

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Un été économique meurtrier (4/4). Les banques centrales ont-elles encore la main?

 |  PAR MARTINE ORANGE

 

 

Huit mille milliards de dollars ont été injectés dans le système monétaire depuis la crise de 2009 et l’économie mondiale ne repart toujours pas. Bien que leurs interventions risquent de nourrir la prochaine crise, les banques centrales sont prêtes à tous les expédients pour conserver la main.

 

Ce fut une rentrée éprouvante pour les banquiers centraux. En l’espace de trois semaines, tous – Mario Draghi pour la BCE, Janet Yellen pour la Fed, Mark Carney pour la banque d’Angleterre, Haruhiko Kuroda pour la banque du Japon – ont été contraints au même aveu : celui de leur impuissance. Plus de 8 000 milliards de dollars ont été injectés dans le système économique mondial depuis le début de la crise de 2008. Et en retour ? Rien ou presque. Le système économique mondial ne repart toujours pas.

 
Mario Draghi (BCE) et Janet Yellen (Fed) en août 2014
Mario Draghi (BCE) et Janet Yellen (Fed) en août 2014 © Reuters
 

La croissance mondiale, censée être dopée par cet apport massif d’argent, est toujours aussi faible. L’OCDE a revu ses prévisions à la baisse la semaine dernière pour tenir compte du ralentissement dans les pays émergents. Dans le même temps, le commerce mondial enregistre un revirement historique, chutant en volume de 2 % au cours des six derniers mois. Les pressions déflationnistes, entretenues par les ruptures technologiques et le ralentissement mondial, s’accroissent partout dans le monde.

Même dans les pays présentés en rebond, comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, la reprise n’a pas été à la hauteur des attentes. Les salaires stagnent et la productivité n’a jamais été aussi basse. Aux États-Unis, l’économie est supposée avoir presque atteint le niveau du plein emploi, avec un taux de chômage de 5,1 %. Mais, dans le même temps, jamais le taux de la population active travaillant n’a été aussi bas depuis 1977 : il est à peine de 62,2 %. Plus de 94 millions d’Américains en âge de travailler ont disparu des statistiques officielles, semblant avoir abandonné – volontairement ou non – toute recherche d’emploi pour vivre du travail au noir et des aides sociales. Près de 15 millions de travailleurs américains se sont évanouis depuis la crise. 

Cette paupérisation des salariés américains se ressent dans les ventes de logements, d’automobiles ou même dans la consommation ordinaire. Car cette fois, il n’y a plus desubprimes ou de crédit à la consommation pour soutenir artificiellement une demande désolvabilisée par des salaires trop bas. Au fil des mois, les indicateurs stagnent, venant prouver la fin du rêve américain.

La situation en Europe n’est guère plus brillante. Après cinq années de crise de la zone euro, le continent arrive à afficher un redressement spectaculaire au deuxième trimestre : la croissance y a été de 0,4 % ! Il y a bien sûr des pays qui font mieux (1 % ou plus) comme la Lettonie, Malte, la République tchèque ou l’Espagne. Mais en dépit de son redressement, présenté comme le succès des politiques d’austérité européennes, Madrid n’a toujours pas retrouvé son niveau d’activité d’avant la crise et affiche un chômage de plus de 22 %.

Tous les autres affichent des progressions autour de 0,2 % et 0,5 %. Mais l’inquiétude la plus vive porte sur la France. Alors que la baisse du pétrole et celle de l’euro offrent une conjoncture historiquement très favorable, la deuxième économie de la zone n’arrive toujours pas à repartir. L’agence Moody’s vient de dégrader la note de la France, jugeant ses perspectives décevantes.

Lors de sa rentrée, le président de la BCE a dû à demi-mot reconnaître son échec. Depuis janvier, la Banque centrale européenne, passant outre le veto allemand, s’est lancée à son tour dans la voie des politiques non conventionnelles : chaque mois, elle rachète pour plus de 60 milliards d’euros d’emprunts d’État européens ou de titres liés à de grandes institutions publiques. En août, elle a encore accéléré le rythme des rachats, dans l’espoir de soutenir l’économie européenne. Début septembre, les chiffres sont tombés. L’inflation, le critère qui justifie la politique de la BCE, était encore en baisse : de 0,2 %, elle était tombée à 0,1 %. La menace déflationniste pèse plus lourdement que jamais.

D’autant que les vrais indicateurs de reprise sont toujours dans le rouge. La zone euro continue de souffrir d’un taux de chômage insupportable. Les statistiques officielles parlent d’un taux moyen de 11 % de la population active. Pour les jeunes, cela atteint 25 %. Mais, derrière ces chiffres, se cache un déclassement sans précédent de la jeunesse européenne, vivant de petits boulots, de travail précaire, de contrats « à zéro heures ». Comme aux États-Unis, une partie de la population active en âge de travailler est en train de s’évaporer, renonçant à chercher du travail.

À l’autre bout de la chaîne de l’économie réelle – car tout se tient –, les entreprises n’investissent pas. L’investissement productif n’a jamais été aussi bas. Les taux bas ne sont pas une incitation suffisante pour remplacer l’absence de débouchés suffisants, l’absence de consommation. En juillet, les crédits aux entreprises s’élevaient à 4 310 milliards d’euros, en baisse de 12 % par rapport à 2009, où ils totalisaient un montant de 4 880 milliards d’euros.

Instabilité financière

Le Japon se retrouve dans une position encore plus compliquée. Appliquant depuis 20 ans une politique de taux zéro et de relance monétaire, il se retrouve pris dans une trappe de liquidités inextricable. La croissance, minée par la déflation, tourne autour de zéro depuis des années. Le revenu moyen par habitant est tombé de 47 000 à 36 000 dollars entre 2011 et 2014.

Les députés japonais en viennent aux mains pendant la discussion du budget militaire le 17 septembre
Les députés japonais en viennent aux mains pendant la discussion du budget militaire le 17 septembre © capture d'écran france 24

En 2013, le premier ministre japonais, Shinzo Abe, a lancé son fameux programme économique, lesAbenomics, censé relancer l’inflation et l’économie japonaise, à coups de dévaluation monétaire, rachat de dettes par la banque centrale et de crédits. Deux ans plus tard, l’inflation est retombée à zéro, la dette publique dépasse les 250 % du PIB. L’épargne des particuliers a fondu comme neige au soleil et l’économie ne repart toujours pas. En juillet, le FMI a jugé que le niveau de la dette japonaise était insoutenable. La semaine dernière, l’agence Standard & Poor’s a dégradé le Japon, estimant que « la stratégie économique menée par le gouvernement n’était pas susceptible de renverser la situation dans les deux à trois années à venir ». En guise d’alternative, le premier ministre japonais semble prêt à avoir recours aux vieilles recettes utilisées dans les années 1930 : la relance par les dépenses militaires.

« Les politiques menées par les banques centrales peuvent être un lubrifiant pour la croissance. Mais elles ne peuvent pas être le moteur de la croissance », a averti dernièrement le gouverneur de la banque centrale de l’Inde, Raghuram Rajan. « La politique monétaire ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes », ne cesse de répéter Mario Draghi.

Dans une présentation, le 14 septembre, le chef économiste de la Banque des règlements internationaux, Claudio Borio, se montrait encore plus sévère. Pour lui, si les interventions des banques centrales étaient justifiées au début de 2008, elles ne le sont plus du tout aujourd’hui. Les politiques d’argent à taux zéro menées par les banques centrales deviennent même, à ses yeux, contreproductives. Elles n’ont pas permis de rétablir un environnement économique équilibré. Au contraire, après huit ans de création monétaire à tout-va, le monde se retrouve selon lui pris dans les « trois horreurs » : trop de dettes – elles ont augmenté de 57 000 milliards de dollars en sept ans, pour atteindre 199 000 milliards de dollars, soit 286 % du PIB mondial –, une productivité trop basse, et des marges de manœuvre trop faibles.

Surtout, insistait Claudio Borio, ces politiques successives ont engendré une instabilité financière dangereuse. Les politiques de soutien aux marchés inaugurées par Alan Greenspan, alors président de la Réserve fédérale, au moment du krach de l’automne 1987, ont engendré une succession de mauvaises allocations du capital, totalement capté par la sphère financière. Cela a nourri une succession de bulles chaque fois plus grosses, chaque fois plus destructives. Son discours, pressant les banques centrales de revenir le plus vite possible à des politiques monétaires plus responsables afin de juguler, pendant qu’il en est encore temps, l’instabilité financière, laisse deviner qu’il redoute le pire.

Des cycles financiers de plus en plus importants
Des cycles financiers de plus en plus importants © BRI

 

Un gérant de hedge funds, John Burbank, pourtant grand bénéficiaire du système mis en place, ne dit pas autre chose dans un entretien au Financial Times, critiquant cette politique d’argent facile, qui a tué toute notion de risque et créé des bulles d’actifs. « Ce sont les mauvaises personnes qui ont eu accès au capital – les pays émergents, les multinationales et de nombreuses entreprises cycliques comme les mines, l’énergie et en particulier celles travaillant dans les exploitations d’huile de schiste – et maintenant cela devient un problème majeur pour les marchés de crédit », dit-il.

Pourquoi les milliards injectés ne profitent-ils pas autant que prévu à l’économie réelle ? Pourquoi se dirigent-ils vers Wall Street plutôt que vers Main Street, comme disent les économistes anglo-saxons ? Interrogés sur les raisons de cette mauvaise transmission monétaire, les banquiers centraux assurent que leurs politiques ont permis de stabiliser l’économie mondiale. Si tout ne s’est pas passé comme prévu, c’est que le monde est devenu plus compliqué, plus interconnecté, expliquent-ils.

Pour de nombreux économistes, l’origine du problème est à rechercher ailleurs : dans la fin du compromis fordiste, qui avait assuré le succès des économies occidentales après guerre, et qui a été remis en cause par le capitalisme financier institué par le néolibéralisme depuis la fin des années 1970. Les quarante années de « grande compression », se traduisant par un partage grandissant de la valeur ajoutée et des richesses au bénéfice du capital et au détriment des salaires, ont abouti à un appauvrissement des classes les plus pauvres, à une destruction des classes moyennes et finalement de la consommation.

Un système à bout de souffle

Loin de corriger les déviances, les actions des banques centrales les ont au contraire confortées, permettant aux plus fortunés de renforcer leur pouvoir d’accumulation et de captation, disent nombre d’économistes. Selon les travaux des économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, la concentration des richesses aux États-Unis en 2012 est comparable à celle qui prévalait en 1929. « L’accumulation de capital fictif – c’est-à-dire de dettes et de titres financiers – a repris de plus belle grâce au soutien des pouvoirs publics, aggravant encore par rapport à 2008 le hiatus entre, d’un côté, les capacités effectives de nos économies à générer des richesses marchandes supplémentaires et, de l’autre, les prétentions des détenteurs de capital fictif à prélever les richesses escomptées en temps et en heure, indépendamment du niveau d’activité économique.Ce hiatus est le trait central de notre époque. C’est lui qui détermine l’action presque désespérée des banques centrales pour garantir la stabilité financière, action dont la limite ne peut être que la remise en cause de la confiance en la monnaie elle-même », explique l’économiste Cédric Durand.  

Accusés d’avoir contribué à aggraver les inégalités, les banquiers se défendent d’avoir mené une politique en faveur du seul monde financier, du 1 % les plus riches. Un chiffre, pourtant, résume à lui seul l’état d’un système à bout de souffle : les grands groupes ont dépensé 2 500 milliards de dollars pour racheter leurs propres actions, depuis le début de la crise de 2009, selon une étude de Goldman Sachs. Profitant des taux zéro, certains d’entre eux ont trouvé plus judicieux de s’endetter pour racheter leur capital et rémunérer leurs actionnaires plutôt que d’investir. C’est sans doute ce que l’on appelle l’esprit d’entreprise.

Chute des taux et augmentation de la dette
Chute des taux et augmentation de la dette © BRI

 

« Le système est dans une impasse totale. Il n’y a que des dilemmes insurmontables. Il n’y a plus de relais à partir des pays émergents, plus de relais par la dette, plus de relais par la création monétaire », dit l’économiste Thomas Coutrot, qui redoute une crise majeure de la dette.

Alors que la Réserve fédérale a elle-même inoculé le doute, en parlant d’un nouveau ralentissement économique mondial, les financiers s’interrogent. Que se passerait-il si une nouvelle crise survenait, alors que les économies occidentales ne sont toujours pas remises de la crise de 2008, que les États ont épuisé leurs capacités de soutien ? Les banques centrales seraient-elles toujours à leur côté ? Pourraient-elles encore agir en tant que prêteurs en dernier ressort et garantir la stabilité du système, comme elles l’ont fait il y a sept ans ? Et cela aurait-il encore une efficacité ?

Devançant les attentes, Mario Draghi a déjà laissé entendre qu’il était prêt à augmenter les moyens d’action de la Banque centrale européenne et de monétiser plus de dettes encore, pour soutenir l’économie européenne. La banque du Japon, malgré l’échec de sa politique, semble prête elle aussi à poursuivre dans la même voie. La banque d’Angleterre paraît exclure désormais toute remontée prochaine de ses taux « au vu de la conjoncture internationale ».

À voir les idées et les travaux qui jaillissent de toutes parts, un sentiment de panique semble saisir les banquiers centraux. Ils semblent prêts à tout pour conserver la main. Lors de la dernière réunion de la Réserve fédérale, un des membres a voté en faveur d’une option  radicale : comme les taux zéro ne suffisent pas pour relancer l’économie, il faut étudier, selon lui, le passage à des taux négatifs. En soi, cela serait le signe d'un grave dérèglement, dynamitant le rapport de l'argent, du risque et du temps.

Poussant la réflexion plus loin, le chef économiste de la banque d’Angleterre, reprenant une idée qui circule dans le monde bancaire en ce moment (et pour cause), propose d'accompagner cette politique de taux négatifs par la suppression de la monnaie fiduciaire (billets et pièces utilisés chaque jour). Cette disparition serait le moyen d’éviter que les ménages ne transforment leurs dépôts bancaires en cash, explique-t-il, ce qui mettrait les banques à l'abri. 

Comment les responsables des banques centrales en arrivent-ils à agiter de telles idées ? La situation est-elle si grave qu'ils puissent envisager un seul instant de faire disparaître la monnaie physique ? À ce stade, l’État totalitaire ne serait pas loin. Ce serait aussi l'étape ultime de la captation du pouvoir monétaire par le monde financier, l'organisation de leur propre faillite.

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 20:01

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

PAUVRETÉ

Les inégalités entre riches et pauvres se réduiraient en France : réalité sociale ou magie statistique ?

PAR 

« Les inégalités diminuent », annonce l’Insee dans sa dernière publication sur les niveaux de vie des Français. Le pays compterait un peu moins de pauvres et l’écart avec les plus riches se rétrécirait légèrement. Mais ces bonnes nouvelles statistiques sont à prendre avec prudence : « Cette vision de la situation sociale est très partielle », prévient Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, qui décrypte avec Basta ! les limites de l’exercice de l’Insee. Il est en tout cas prématuré d’y voir les résultats de la politique menée par François Hollande, comme tentent de s’en persuader plusieurs dirigeants socialistes.

Les inégalités se réduisent-elles ? Oui, répond l’Insee, et cette diminution est même « d’une ampleur inobservée » depuis 20 ans, assure l’Institut national de statistiques. L’écart de niveaux de vie entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches est passé de 4,6 à 4,3 entre 2012 et 2013. Toujours selon l’Insee, 176 000 personnes seraient sorties de la pauvreté, repassant au-dessus du seuil fatidique, fixé à 1000€ par mois (60% du revenu médian). La France compterait donc en 2013 un peu moins de pauvres – 8,65 millions – que l’année précédente (voir la publication de l’Insee). Dans les rangs de la majorité, on s’est empressé de saluer la nouvelle, des jeunes socialistes aux parlementaires du PS :

(Président du groupe socialiste au Sénat)

(Présidente des jeunes socialistes)

Cette annonce laisse pourtant perplexe alors que la France demeure largement en crise. Le pays a enregistré un million de chômeurs supplémentaires en quatre ans (5,3 millions en 2015 [1]), compte 3,7 millions d’allocataires de minimas sociaux – principalement le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation adulte handicapé et le minimum vieillesse. Un salarié sur dix – soit 2,4 millions de personnes – est précaire, travaillant en CDD ou en intérim, un statut synonyme de période de chômage et, souvent, de faibles revenus. Les employés percevant juste le Smic augmentent, avoisinant les 3 millions. Sans oublier le mal-logement qui, selon la Fondation Abbé Pierre, concerne plus de 3,5 millions de personnes.

« L’Insee ne ment pas, mais son regard est incomplet »

L’Insee se tromperait-elle ? « L’Insee ne ment pas, mais son regard est incomplet et imparfait », répond Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, un observatoire indépendant. « Cette vision de la situation sociale est très partielle. »Première imperfection : les chiffres les plus actuels datent de 2013, car l’Insee se base sur les données fiscales. Celles de 2014 ne seront disponibles qu’à l’automne 2015. Un an, c’est un peu court pour se réjouir des éventuels – et inattendus – bienfaits de la politique gouvernementale.

Ensuite, « on ne sait pas encore combien les 10% les plus riches ont gagné en moyenne », précise Louis Maurin. Il est donc difficile de comparer l’écart réel des niveaux de vie entre les plus pauvres et les plus riches. L’insee se contente de calculer l’écart entre les « seuils d’entrée » de chacune des catégories. Une personne fera partie des 10% les plus pauvres si elle gagne moins de 890 euros par mois. Mais au sein de cette catégorie, on ne sait pas combien de personnes sont plus proches des 890 euros ou des 520 euros, le RSA socle qui concerne quand même 1,6 million de personnes..

Réjouissances prématurées

Idem pour les plus riches : à plus de 3100 euros par mois, un individu fait partie des 10% les plus aisés. Mais entre un cadre percevant ce salaire et la plus grosse fortune française, Bernard Arnault et ses 34,6 milliards d’euros de patrimoine accumulé, on ne connaît pas le revenu moyen de l’ensemble de cette catégorie. Il apparaît donc prématuré d’en déduire que les inégalités se sont réduites avec « une ampleur inobservée » depuis 1996...

Cela ne signifie pas que les écarts ne bougent pas. « Il est indéniable que les hausses d’impôts ont d’abord pesé sur les couches les plus élevées », reconnaît Louis Maurin. Le seuil d’entrée pour faire partie des 10% les plus riches a baissé d’environ 700 euros (sur l’année) entre 2012 et 2013, signe que dans leur ensemble les plus riches ont gagné un peu moins après impôt. En bas de la pyramide des revenus, le tant décrié modèle social français a, malgré tout, joué son rôle d’amortisseur.

Moins de pauvres ou tour de magie statistique ?

« La revalorisation, sous Sarkozy, du minimum vieillesse et de l’Allocation pour adulte handicapé, puis du RSA par Hollande, a limité la casse pour les revenus les plus défavorisés », poursuit Louis Maurin. « Mais, en matière de réduction des inégalités, c’est très loin de rattraper les baisses d’impôts dont ont bénéficié les plus riches depuis vingt ans. » Sur cette période, le taux marginal maximal d’impôt – celui qui est appliqué aux plus hauts revenus – est passé, dans la zone euro, de 51% à 42%. « Sur la période longue, les écarts de niveau de vie continue de se creuser », pointe le directeur de l’Observatoire des inégalités.

La France compte-t-elle moins de pauvres, comme le laissent penser les chiffres dévoilés par l’Insee ? Là encore, la réalité sociale est un peu plus compliquée à analyser. Le seuil de pauvreté – celui sous lequel on est considéré comme pauvre – dépend du revenu médian (il est fixé à 60% du revenu médian, soit 1000 euros en 2013). Si le revenu médian stagne ou baisse, le seuil de pauvreté fait de même. Moins de personnes sont donc concernées, ce qui ne signifie pas qu’elles s’en sortent beaucoup mieux. « Qui peut sérieusement prétendre que la situation des plus démunis s’améliore ? », critique Louis Maurin.

La pauvreté frappe d’abord les jeunes et les migrants

Les jeunes sont toujours autant touchés : parmi les 18-29 ans, quasiment une personne sur cinq est considérée comme pauvre. « J’ai fait de la jeunesse la priorité du quinquennat », rappelait pourtant François Hollande début 2013. Sur ce sujet, il y a encore du chemin à parcourir pour se déclarer « fière de la gauche ». Pour les plus de 50 ans, difficile de faire la part des choses entre des effets contradictoires : d’un côté les femmes bénéficient davantage de carrières pleines, donc d’une pension retraite moins dévalorisée ; de l’autre les seniors sont davantage frappés par le chômage de longue durée, donc appauvris.

Les personnes d’origine immigrée demeurent particulièrement fragiles : « Dans les pays de l’UE, les enfants dont les parents sont nés à l’étranger sont en moyenne deux fois plus exposés au risque de pauvreté (35 % contre 18 %) en France, au Danemark, en Autriche, en Slovénie, en Finlande et en Suède », relève un récent rapport de l’ONG Oxfam « Inégalités et pauvreté : il est temps d’inverser la donne en Europe ».« La mobilité sociale est plus difficile à mettre en place dans les populations de migrants et la discrimination exacerbe les inégalités de revenus et de richesses. »

Indicateurs alternatifs

Pour disposer d’une image plus nette de la réalité sociale française, Louis Maurin propose de compléter les données de l’Insee par d’autres indicateurs. Comme celui sur les privations : 5% des Français estiment ainsi être dans une situation de « privation matérielle sévère » (voir ici). Ils sont dans l’incapacité de faire face à plusieurs dépenses (de chauffage, de biens d’équipement, de téléphone, de partir de leur domicile lors des vacances…).

Les données recueillies par Eurostat, l’organisme statistique de l’Union européenne, demeurent également inexploitées. « En France, 2,5 % de la population n’a pas les moyens de se payer un ordinateur, 0,5 % n’a ni baignoire ni douche, 28 % ne peut se payer une semaine de congés loin du domicile... Il y aurait beaucoup à dire sur le flou de ces indicateurs, mais, améliorés, ils pourraient décrire le déficit d’accès à un ensemble de biens et services collectivement jugés indispensables », explique Louis Maurin (lire ici). Et servir de base à une réelle politique de redistribution ?

Ivan du Roy (@IvanduRoy)

Photo CC Gustave Deghilage 
Légende : « Le marchand de sable » (Paris, XIIIe, le 5 avril 2014)
Une fresque très forte de l’artiste Levalet, qui fait écho à la dureté de la vie parisienne. Les SDF, les mendiants, les ’laissés pour compte’ y sont toujours plus présents. Cet aspect me choque à chacun de mes séjours – réguliers mais espacés – dans la Ville Lumière. La dureté, c’est aussi, et peut-être avant tout, l’indifférence à l’égard de ces exclus de la vie sociale. Cette fresque l’illustre à la perfection et l’indifférence du passant renforce le propos. Seul l’enfant tourne la tête et semble voir l’invisible.

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21 septembre 2015 1 21 /09 /septembre /2015 18:36

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Pour un plan B en Europe

20 septembre par Jean-Luc Mélenchon , Oskar Lafontaine , Stefano Fassina , Yanis Varoufakis , Zoe Konstantopoulou

 

 

 

Le Français Jean-Luc Mélenchon, l’Italien Stefano Fassina, les Grecs Zoe Konstantopoulou et Yanis Varoufakis, et l’Allemand Oskar Lafontaine s’associent et proposent « la tenue d’un sommet international pour un plan B en Europe, ouvert aux citoyens volontaires, organisations et intellectuels. Cette conférence pourrait avoir lieu dès Novembre 2015.

Le 13 juillet, le gouvernement grec démocratiquement élu d’Alexis Tsipras a été mis à genoux par l’Union européenne. « L’accord » du 13 juillet est en réalité un coup d’Etat. Il a été obtenu par la fermeture des banques grecques par la Banque centrale européenne (BCE) et la menace de ne pas les autoriser à rouvrir tant que le gouvernement grec n’accepterait pas une nouvelle version d’un programme qui a échoué. Pourquoi ? Parce que l’Europe officielle ne pouvait pas supporter l’idée qu’un peuple souffrant de son programme d’austérité autodestructrice ait osé élire un gouvernement déterminé à dire « Non ! ».

Désormais, avec davantage d’austérité, davantage de privatisations au rabais d’actifs publics, une politique économique plus irrationnelle que jamais, et la misanthropie en guise de politique sociale, le nouveau mémorandum ne sert qu’à aggraver la Grande Dépression grecque et le pillage de la Grèce par des intérêts particuliers, grecs ou non.

Tirons les leçons de ce coup d’Etat financier. Cet euro est devenu l’instrument de la domination économique et politique de l’oligarchie européenne, cachée derrière le gouvernement allemand et qui se réjouit de voir Mme Merkel faire tout le « sale boulot » que les autres gouvernements sont incapables de faire. Cette Europe ne produit que des violences dans les nations et entre elles : chômage de masse, dumping social féroce, insultes attribuées aux dirigeants allemands contre l’Europe du Sud et répétées par toutes les « élites » y compris celles de ces pays. L’Union européenne alimente la montée de l’extrême-droite et est devenue un moyen d’annuler le contrôle démocratique sur la production et la distribution des richesses dans toute l’Europe.

Affirmer que l’euro et l’Union européenne servent les Européens et les protègent contre la crise est un mensonge dangereux. C’est une illusion de croire que les intérêts de l’Europe peuvent être protégés dans le cadre de la prison des règles de la zone euro et des traités actuels. La méthode Hollande-Renzi du « bon élève », en réalité du prisonnier modèle, est une forme de capitulation qui n’obtiendra même pas la clémence. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker l’a dit clairement : « il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens ». C’est l’adaptation néolibérale de la « souveraineté limitée » inventée par le dirigeant soviétique Brejnev en 1968. A l’époque, les soviétiques écrasaient le Printemps de Prague par les tanks. Cet été, l’Union européenne a écrasé le Printemps d’Athènes par les banques.

Nous sommes déterminés à rompre avec cette Europe. C’est la condition pour reconstruire des coopérations entre nos peuples et nos pays sur une base nouvelle. Comment mener une politique de partage des richesses et de création d’emplois notamment pour les jeunes, de transition écologique et de refondation démocratique face à cette Union européenne ?Nous devons échapper à l’inanité et l’inhumanité des traités européens et les refonder afin d’enlever la camisole de force du néolibéralisme, abroger le traité budgétaire, refuser le traité de libre-échange avec les Etats-Unis (TTIP).

La période est extraordinaire. Nous faisons face à une urgence. Les Etats-membres doivent avoir l’espace politique qui permet à leurs démocraties de respirer et d’instaurer des politiques adaptées au niveau national, sans craindre d’être empêchés par un Eurogroupe autoritaire dominé par les intérêts du plus fort des Etats-membres et du monde des affaires, ni par une BCE utilisée comme un rouleau compresseur menaçant d’écraser tout « pays non coopératif » comme ce fut le cas avec Chypre ou la Grèce.

C’est notre plan A : travailler dans chacun de nos pays, et ensemble à travers l’Europe, à une renégociation complète des traités européens. Nous nous engageons à collaborer avec la lutte des Européens partout, dans une campagne de désobéissance aux pratiques européennes arbitraires et aux règles irrationnelles jusqu’à ce que la renégociation aboutisse.

Notre première tâche est de mettre fin à l’irresponsabilité de l’Eurogroupe. La seconde tâche est d’en finir avec le caractère prétendument « indépendant » et « apolitique » de la Banque centrale alors qu’elle est hautement politisée (de la façon la plus toxique), totalement dépendante de banquiers en faillite et de leurs agents politiques, et prête à mettre fin à la démocratie sur une simple pression de bouton.

La majorité des gouvernements représentant l’oligarchie européenne et se cachant derrière Berlin et Francfort, ont aussi un plan A : ne pas céder à la demande de démocratie des citoyens européens et utiliser la brutalité pour mettre fin à leur résistance. Nous l’avons vu en Grèce en juillet. Pourquoi ont-ils réussi à étrangler le gouvernement démocratiquement élu de la Grèce ? Parce qu’ils avaient aussi un plan B : éjecter la Grèce de la zone euro dans les pires conditions possibles en détruisant son système bancaire et en achevant son économie.

Face à ce chantage, nous avons besoin de notre propre plan B pour dissuader le plan B des forces les plus réactionnaires et anti-démocratiques de l’Europe. Pour renforcer notre position face à leur engagement brutal pour des politiques qui sacrifient la majorité au profit des intérêts d’une infime minorité. Mais aussi pour réaffirmer le principe simple que l’Europe n’est rien d’autre que les Européens et que les monnaies sont des outils pour soutenir une prospérité partagée, et non des instruments de torture ou des armes pour assassiner la démocratie. Si l’euro ne peut pas être démocratisé, s’ils persistent à l’utiliser pour étrangler les peuples, nous nous lèverons, nous les regarderons dans les yeux et nous leur dirons : « Essayez un peu, pour voir ! Vos menaces ne nous effraient pas. Nous trouverons un moyen d’assurer aux Européens un système monétaire qui fonctionne avec eux, et non à leurs dépens ».

Notre plan A pour une Europe démocratique, soutenu par un plan B qui montre que les pouvoirs en place ne peuvent pas nous terroriser dans la soumission, vise à faire appel à la majorité des Européens. Cela exige un haut niveau de préparation. Les éléments techniques seront enrichis par le débat. Beaucoup d’idées sont déjà sur la table : l’introduction de systèmes parallèles de paiement, les monnaies parallèles, la numérisation des transactions en euros pour contourner le manque de liquidités, les systèmes d’échange complémentaires autour d’une communauté, la sortie de l’euro et la transformation de l’euro en monnaie commune.

Aucune nation européenne ne peut avancer vers sa libération dans l’isolement. Notre vision est internationaliste. En prévision de ce qui peut se passer en Espagne, en Irlande, pourquoi pas de nouveau en Grèce selon l’évolution de la situation politique, et en France en 2017, il faut travailler concrètement ensemble à un plan B tenant compte des caractéristiques de chaque pays.

Nous proposons donc la tenue d’un sommet international pour un plan B en Europe, ouvert aux citoyens volontaires, organisations et intellectuels. Cette conférence pourrait avoir lieu dès novembre 2015. Nous lancerons ce processus samedi 12 septembre lors de la Fête de l’Humanité. Rejoignez-nous !

Les signataires :

Jean-Luc Mélenchon, député européen, co-fondateur du Parti de Gauche (France)

Stefano Fassina, député, ancien vice-ministre de l’Economie et des Finances (Italie)

Zoe Konstantopoulou, présidente du Parlement hellénique (Grèce)

Oskar Lafontaine, ancien ministre des Finances, co-fondateur de Die Linke (Allemagne)

Yanis Varoufakis, député, ancien ministre des Finances (Grèce)

 


 

 
Auteur
 

Zoe Konstantopoulou

avocate et femme politique grecque. Députée du parti de la gauche radicale Syriza, qui a gagné les élections législatives du 25 janvier 2015 en Grèce, a été élue le 6 février 2015 présidente du parlement. Elle est, à trente-huit ans, la plus jeune présidente de la Vouli et la deuxième femme seulement à exercer cette fonction.

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Auteur
 
 

Stefano Fassina

député, ancien vice-ministre de l’Economie et des Finances (Italie)

Auteur
 
 

Yanis Varoufakis

député, ancien ministre des Finances (Grèce)

Auteurs
 
 

Oskar Lafontaine

ancien ministre des Finances, co-fondateur de Die Linke (Allemagne)

 

Jean-Luc Mélenchon

député européen, co-fondateur du Parti de Gauche (France)

 

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

 

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21 septembre 2015 1 21 /09 /septembre /2015 14:58

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Où vont les profits ?

Uber, Airbnb, Ebay… : la pseudo « économie du partage » planque ses bénéfices dans les paradis fiscaux

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L’économie dite « du partage » n’aime pas la répartition des revenus. Encore moins contribuer par l’impôt aux infrastructures des pays au sein desquels elle prospère. Quand il s’agit de fiscalité, les nouveaux acteurs du commerce et des services en ligne, tels Uber, Airbnb, Ebay ou Paypal, suivent la route tracée par les grands frères Google, Apple, Facebook et Amazon : celle du contournement fiscal. Avec la complicité de territoires comme le Luxembourg, le Delaware ou les Bermudes, vers lesquels leurs profits convergent. Les « start-up » françaises les suivent-ils ? A Leetchi ou vente-privée.com, on se défend de toute évasion fiscale. Enquête.

Le service de véhicules avec chauffeurs Uber fait beaucoup parler de lui pour ses conflits avec les taxis et la justice. Le site de location touristique chez les particuliers Airbnb est de son côté en délicatesse avec les hôteliers. Mais, au-delà de la distorsion de concurrence que génèrent ces nouveaux business, savez-vous où part l’argent que vous dépensez quand vous réservez un chauffeur ou quand vous achetez un bien vendu aux enchères en ligne ? Ces nouveaux acteurs de l’économie du net sont moins souvent pointés du doigt pour leur comportement face à l’impôt. Il y a pourtant de quoi. Comme les quatre géants du numérique (Amazon, Apple, Facebook, Google), ces nouvelles entreprises ont la fâcheuse tendance à tout faire pour ne pas payer ce qu’elles doivent à la société.

« Les géants du numérique profitent, comme toutes les entreprises multinationales, des failles des systèmes fiscaux nationaux et des accords bilatéraux pour pratiquer une optimisation fiscale réduisant drastiquement leur taux d’imposition, fait remarquer une note d’analyse sur la fiscalité du numérique du Commissariat général à la stratégie (France stratégie). Avant d’ajouter : « Du fait du caractère immatériel d’une large part de leurs activités et de la difficulté qu’ont les services fiscaux à définir le territoire concerné par les opérations de production, ils parviennent à exploiter ces failles de façon plus importante que les industries “classiques”. » C’est tout le problème de l’économie du net. Et ses acteurs en profitent à plein.

Amazon, par exemple, ne paie que 0,5% d’impôt sur son chiffre d’affaires hors des Etats-Unis (cet impôt est normalement de 33% en France). La librairie en ligne fait l’objet d’une enquête de la Commission européenne pour les avantages fiscaux dont elle bénéficie grâce à l’implantation de son siège européen au Luxembourg [1]. Et les services fiscaux français lui réclament 250 millions de dollars d’arriérés pour la période 2006-2010. Des procédures similaires sont engagées en Allemagne, au Canada, en Chine, en Inde, au Japon et au Royaume Uni ! [2]. Et les autres font pareil. Hors des Etats-Unis, Google ne paie que 2,2% d’impôt sur son chiffre d’affaires, Facebook 1,5% et Apple 1% [3]. Un modèle que reproduisent les nouvelles stars de la soi-disant « économie du partage »

 

Avec Airbnb, les profits séjournent en Irlande et au Delaware

Google et Facebook ont leur siège européen en Irlande. Le pays est certes l’un des plus coulant de l’Union européenne en matière de protection des données personnelles. Mais il offre un autre avantage de taille : un taux d’impôt sur les sociétés de seulement 12,5 %, là où il est de 33 % en France. Airbnb les a imité. Le service de location touristique chez des particuliers, qui revendique 40 millions d’utilisateurs, a lui aussi opté pour Dublin pour son siège européen.

Comme l’indiquent ses conditions générales d’utilisation, tous les contrats passés hors des États-Unis se font avec l’entreprise irlandaise, même si Airbnb a une filiale en France, enregistrée à Paris, et une autre en Allemagne, enregistrée à Berlin [4]. Ce contournement fiscal ne s’arrête pas là. Airbnb dispose aussi depuis 2013 de trois filiales à Jersey (Aribrnb Limited 1 et 2 et Airbnb International Holding), la petite île anglo-normande qui a figuré jusqu’en 2014 sur la liste des paradis fiscaux du ministère français des Finances.

 

Au Delaware, plus d’entreprises que d’habitants

La maison mère d’Airbnb, elle, a bien son siège en Californie, à San Francisco. Mais elle est en fait domiciliée à 4800 km de là, dans un minuscule État de la côte Est des États-Unis, le Delaware. Celui-ci compte plus d’entreprises enregistrées – plus d’un million – que d’habitants, environ 930 000 ! L’ONG britannique Tax Justice Network le plaçait il y a encore quelques années à la première place de son classement de l’opacité financière.

Le Delaware, c’est un peu le Luxembourg des États-Unis : un État avec un « gouvernement favorable aux entreprises », qui leur offre des conditions d’anonymat et de fiscalité particulièrement avantageuses. « Le Delaware n’exige pas d’avoir des activités ni mêmes des bureaux situés au Delaware, autre qu’un intermédiaire enregistré. Les propriétaires et les dirigeants ne doivent pas être des citoyens américains. Les dirigeants et investisseurs peuvent voter et prendre des décisions par écrit de n’importe où dans le monde, sans l’obligation de tenir une réunion formelle ; ce consentement écrit peut même être fait par voie électronique », vante l’État sur son site, en français et dans neuf autres langues, pour attirer les firmes étrangères.

 

Uber conduit votre argent des Pays-Bas aux Bermudes

Il n’est donc pas étonnant que tant de grandes entreprises du net y aient immatriculé leur siège ou leurs filiales états-uniennes : Amazon [5], Airbnb, Facebook [6], sa filiale WhatsApp [7], Google [8], Ebay [9], Netflix [10]. C’est aussi le cas de Spotify (le site de musique) [11], de l’entreprise française Dailymotion pour sa filiale états-unienne. Et d’Uber, comme le service de véhicules avec chauffeurs l’indique dans ses conditions générales d’utilisations pour les États-Unis.

L’entreprise qui met en relation chauffeurs et clients a aussi une filiale aux Pays-Bas. C’est d’ailleurs à celle-ci qu’Uber renvoie sur son site en français. En fait, Uber possède au moins sept filiales néerlandaises ! [12] Elles sont toutes enregistrées à la même adresse [13]. Les Néerlandais seraient-ils devenus accros aux voitures avec chauffeurs ? Une autre de ses filiales (Uber International CV), se trouve non pas à Amsterdam mais à Hamilton, la capitale… des Bermudes.

Ebay : des enchères qui passent par les îles Caïmans

Uber International CV, un holding financier, est bien enregistré au Pays-Bas tout en étant en fait immatriculé dans l’archipel listé par la Commission européenne comme un paradis fiscal. Et l’adresse Internet d’Uber International CV indiquée sur l’extrait du registre du commerce des Pays-Bas est bien la même que celle du service de véhicules avec chauffeurs.

Là encore, Uber ne fait que suivre le chemin des plus grands. Google s’était fait épingler il y a déjà plusieurs années pour ses filiales aux Bermudes qui lui permettaient, grâce à la stratégie dite du “double irlandais”, d’échapper aux impôts en transférant ses revenus de filiales en filiales toute en bénéficiant de dispositifs de déduction fiscale. La filiale Google Ireland Holdings est d’ailleurs toujours enregistrée en parallèle en Irlande et aux Bermudes.

Regardons du côté du leader du commerce en ligne Ebay. La liste de ses filiales qui se trouvent dans des pays connus pour leurs avantages fiscaux à de quoi donner le tournis : une dizaine de filiales au Delaware, quatre au Luxembourg dont le siège européen de l’entreprise, deux en Suisse, une à Singapour, et, surtout, deux filiales aux îles Caïmans et une aux Îles vierges britanniques [14]. Deux paradis fiscaux notoires.

 

Paypal : des paiements en ligne via le Luxembourg et Singapour

La même chose vaut pour Paypal, le service de paiement sur Internet qui appartenait à Ebay avant que la multinationale de commerce en ligne ne n’en sépare cette année. Paypal a quatre filiales au Delaware. Son siège européen, plus six autres filiales, se trouvent au Luxembourg. Paypal dispose aussi d’une filiale mixte, implantée à la fois en Irlande et à Singapour, et de deux filiales intégralement singapouriennes. Pourquoi Singapour ? La cité-État asiatique est en bonne place dans le classement de l’opacité financière du réseau Tax Justice Network.

Ebay, Paypal, Netflix, toutes ces entreprises ont choisi, comme Amazon, d’implanter leur siège européen au Luxembourg. À croire que le pays de 500 000 habitants serait le poumon de l’économie européenne et disposerait de plusieurs générations d’informaticiens hors pair. Ces firmes ont pu y être attirées pour le taux de TVA avantageux que le Luxembourg proposait encore jusqu’à cette année : 15% contre 20% en France et au Royaume-Uni, ou 19% en Allemagne. Jusqu’au 1er janvier 2015, un « régime d’exception » permettait aux fournisseurs de prestations électroniques, de l’achat d’un livre (Amazon), d’un bien vendu aux enchères (Ebay) ou d’une série télévisée (Netflix), d’appliquer la TVA du pays vendeur et non du lieu où se trouve l’acheteur. Cette disposition a enfin été annulée.

 

Luxembourg : le grand-Duché de la net-économie

Il y a bien plus que le taux de TVA qui pèse dans la balance. L’année dernière, le consortium de journalistes d’investigation ICIJ révélait avec son dossier LuxLeaks comment les autorités luxembourgeoises ont pris l’habitude de négocier des accords secrets avec des centaines de multinationales pour alléger les impôts ce celles-ci. Ce type d’accords, appelés tax ruling, permet de substantielles économies d’impôts, comme l’explique Ebay dans son dernier rapport annuel : « Nous bénéficions de tax ruling conclus dans différentes juridictions, les plus significatives sont la Suisse, Singapour et le Luxembourg. Ces accords offrent des taux d’imposition significativement plus bas sur certaines classes de revenus. » Ces taux réduits ont permis à la multinationale de commerce en ligne d’économiser 555 millions de dollars d’impôts en 2014, et 540 millions en 2013 [15]. « Ce qui a augmenté les bénéfices par action de 0,44 dollars en 2014 », souligne Ebay. L’argent qui échappe aux caisses publiques grâce aux accords fiscaux se retrouve donc dans la poche des actionnaires. « Dans tous les pays où il opère, Ebay se conforme entièrement à toutes les règles fiscales nationales, européennes, internationales et de l’OCDE, y compris le paiement de la TVA aux autorités compétentes », nous a répondu le site de vente aux enchères.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la valorisation en bourse de ces entreprises dépassent celles de gros groupes industriels. Valorisé 40 milliards de dollars, Uber fait ainsi jeu égal avec Orange/France Télécom, tout en employant seulement 1500 personnes, contre 100 fois plus pour l’entreprise française de télécom. Idem pour Airbnb, autant valorisé que Peugeot (13 milliards) mais qui compte seulement 600 employés contre 185 000 pour le constructeur automobile ! [16]

 

Price Minister, Leetchi, Vente-privée : que font les Français ?

Dans cet environnement fait de filiales et d’accords secrets, que font les champions du net français ? Le groupe propriétaire de Price Minister, le japonais Rakuten, a lui aussi implanté son siège européen au Luxembourg. Leetchi, la petite entreprise française de cagnotte en ligne et de service de paiement par Internet lancée en 2009 y a ouvert une filiale en 2012. « Mais nous payons tous nos impôts en France », assure le porte-parole de Leetchi.

La filiale luxembourgeoise répond uniquement à des exigences de développement, défend l’entreprise : « Nous avons eu à faire un choix pour obtenir un agrément bancaire de monnaie électronique », indispensable pour devenir un service de paiement en ligne pour des entreprises tiers. « C’est possible de le demander en France, mais nous avons choisi le Luxembourg pour des raisons de facilité. La procédure y est moins compliquée qu’auprès de la Banque de France. Aujourd’hui, nous avons une dizaine d’employés au Luxembourg et des serveurs informatiques. Il y a des contraintes. Ce n’est pas une simple boîte aux lettres. »

Autre succès du net français : l’entreprise de commerce en ligne vente-privee.com, créée au tout début des années 2000, elle a enregistré 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2013. Elle a ouvert deux filiales au Luxembourg en 2011, pour piloter le « développement à l’international, c’est-à-dire l’achat de parts dans d’autres entreprises », dit la communication de Vente-privée en réponse à nos questions. Et assure que « tous les revenus des filiales de Vente-privée reviennent en France ». Il est cependant impossible de connaître le nombre et le nom de ces filiales. L’information est confidentielle, nous répond l’entreprise. Pour sa filiale aux États-Unis, lancée en 2011 et qui devrait fermer prochainement suite à l’abandon des activités de la firme outre-Atlantique, Vente-privee.com avait en tous cas choisi de s’immatriculer, comme tous les autres, au Delaware.

Rachel Knaebel

Photo : CC Nicolas Nova

Notes

[1Source.

[2Voir le rapport annuel 2015 d’Amazon, p 69.

[3Selon le rapport de la Commission européenne du groupe d’experts de haut niveau sur la taxation de l’économie numérique, cité par L’Expansion, juin 2015.

[4« Si vous résidez en dehors des États-Unis, vous concluez un contrat avec Airbnb Ireland en ce qui concerne l’utilisation du Site, de l’Application ou des Services Airbnb », voir ici.

[5Voir ici.

[6Voir ici.

[7Voir le Rapport annuel de Facebook, page 123.

[8Voir ici.

[9Voir ici.

[10Voir ici.

[11Voir ici, dans le tableau pays.

[12Uber BV, Uber International Holding BV, Uber International BV, Uber International Services Holding BV, Uber Netherlands BV, Uber Philippines BV, Uber Personnel Services BV

[13Vijzelstraat 68, 1017HL, Amsterdam.

[14Voir le rapport annuel d’Ebay pour l’année 2014, p 136-140.

[15Rapport annuel d’Ebay, p 118 : « We benefit from tax rulings concluded in several different jurisdictions, most significantly Switzerland, Singapore and Luxembourg. These rulings provide for significantly lower rates of taxation on certain classes of income and require various thresholds of investment and employment in those jurisdictions. These rulings resulted in a tax savings of $555 million and $540 million in 2014 and 2013 , respectively, which increased earnings per share (diluted) by approximately $0.44 and $0.41 in 2014 and 2013 , respectively. »

[16Voir L’Expansion, juin 2015.

 

 

 

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19 septembre 2015 6 19 /09 /septembre /2015 16:58

 

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Industrie minière

La « responsabilité sociale » selon Emmanuel Macron

par

 

Y aura-t-il un jour un label « mine responsable » en France, qui permettrait d’extraire des minerais dans des conditions correctes ? C’est ce que semble souhaiter le ministre de l’Economie Emmanuel Macron, qui a lancé au printemps dernier un groupe de travail sur le sujet. Pour réfléchir à cette question hautement polémique, le ministère a réuni autour de lui des élus, des représentants de la société civile (WWF, fédération nationale des parcs régionaux,...) et des industriels (société de l’industrie minérale- sim, Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction- UNICEM, Eramet, Variscan...). Ce groupe de travail est censé « définir les conditions d’une exploitation minière responsable au niveau social et environnemental ».

Mais à quoi ressemble donc une mine responsable au niveau social et environnemental ? Mystère. « On n’a jamais eu de réponse claire et précise à cette question », regrette Thibaud Saint Aubin, de l’association « Ingénieurs sans frontières – Systèmes Extractifs et Environnements (ISF SystExt) », qui a décidé de quitter le groupe de travail, de même que France nature environnement (FNE). « Si l’État ne veut pas se confronter à une levée de boucliers dans les territoires concernés, il doit construire un cadre juridique stable, qui intègre les préoccupations environnementales et sociales tout au long de la vie de la mine », pensent les deux associations démissionnaires.

Pour cela, il faudrait intégrer des obligations juridiques dans le code minier, qui régit les exploitations minières en France, et qui ne mentionne pour le moment ni dommage environnemental, ni dommage sanitaire. Mais les futures « mines responsables » ne s’embarrasseront pas de ce genre d’obligations. Le gouvernement prévoit plutôt une charte d’engagement volontaire, par laquelle les exploitants s’engageront à être vertueux. Une proposition qui ne convainc ni ISF, ni FNE. Pour Denez L’Hostis, président de FNE : « Si l’exploitation reprend, elle devra gérer les passifs environnementaux et sanitaires, et anticiper ses propres impacts. Nous avons trop souffert de l’exploitation minière pour laisser l’encadrement de cette activité à une simple charte volontaire. »

 

Lire aussi
- De la Bretagne au Limousin, les compagnies minières débarquent en France
- « Les pollutions engendrées par l’industrie minière représentent un danger pour les décennies à venir »
- Salsigne, un siècle d’extraction minière (grand format)

 

 

 

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17 septembre 2015 4 17 /09 /septembre /2015 16:02

 

Source : http://la-bas.org

 

LÀ-BAS avec Joseph STIGLITZ

85 MILLIARDAIRES DANS UN AUTOBUS

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(Dessin : Daniel Mermet)

85 milliardaires dans un autobus représenteraient une fortune équivalente à celle de la moitié la plus pauvre de l’humanité, c’est-à-dire 3 milliards d’êtres humains. Aujourd’hui, 1% de la population de la planète détient près de la moitié de la fortune mondiale. Sous peu, les 1% vont détenir autant que les 99% restant. Ces 1% sont les maitres du monde. Le monde politique est entièrement à leur service et les médias sont leurs pom-pom girls. Qui parle ainsi ? Un gauchiste rabâcheur ? Un alternatif isolé ? Un anticapitaliste entêté ?

Joseph STIGLITZ : « La Grande fracture » par Là-bas si j'y suis

 

Augmenter les impôts sur les entreprises qui n’investissent pas en France et utiliser ces revenus supplémentaires pour investir dans la jeunesse et les technologies, voilà les conseils que l’économiste Joseph Stiglitz donnerait à François Hollande si seulement François Hollande lui demandait comment infléchir la courbe du chômage

 

Écoutez l’entretien intégral avec Joseph Stiglitz.

Entretien : Daniel MERMET
Traduction : Laura RAIM
Image : Caroline POTHIER
Montage : Grégory SALOMONOVITCH
Réalisation : Jonathan DUONG

 

 

Programmation musicale
- B.K Anderson : The minimum wage
- The Chi-lites : (For God’s sake) Give more power to the people

N’oubliez pas que le répondeur attend vos messages au 01 85 08 37 37.

 

(Vous pouvez podcaster cette émission en vous rendant dans la rubrique "Mon compte", en haut à droite de cette page)


 

 

Source : http://la-bas.org

 

 

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