Le productivisme agricole, initié par la « révolution verte », doit impérativement laisser la place à une agriculture respectueuse du climat, des sols, de l’environnement et de la santé des humains. Le gaspillage alimentaire, la production de nécrocarburants et la consommation de viande devront diminuer très fortement si nous ne voulons pas que la désertification et la faim ne progressent de façon irréversible. L’utilisation démentielle des énergies fossiles aura des conséquences catastrophiques sur le climat tellement la complexité des interactions est grande si nous restons sur la trajectoire actuelle. Quant aux apprentis sorciers de la géo-ingénierie qui veulent nous faire croire qu’ils peuvent lutter contre le réchauffement avec des moyens artificiels, plutôt que de s’attaquer aux émissions de GES des sociétés consuméristes, ils nous font courir des risques insensés, tel l’arrêt de la mousson en Inde avec une gigantesque famine. |2| Comme disait Einstein, « On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés ».
La croissance de la consommation des ressources naturelles sur la trajectoire de ce début du 21e siècle (bien qu’en baisse ces derniers mois, notamment du à la baisse de la croissance chinoise) donne chaque jour plus de poids à l’hypothèse de l’effondrement. |3| Même la BM |4| et l’AIE, des institutions qui ont toujours soutenu le pillage des ressources naturelles et les profits capitalistiques, sont d’accord pour dire que si nous ne laissons par les trois quarts des ressources fossiles dans le sol, l’augmentation de 2°C, considérée comme une limite impérative par le GIEC, sera largement dépassée bien avant la fin du siècle. |5|
L’agriculture productiviste - grande émettrice de GES - ne pourra faire face à un tel bouleversement climatique. Elle sera incapable de fonctionner avec un pétrole très cher et ne pourrait s’adapter suffisamment vite aux variations de températures et de saisonnalité des pluies ou des sécheresses et nourrir les immenses agglomérations. Violence, guerre, tyrannie deviendraient alors les dernières solutions pour le partage de la nourriture et de l’énergie restantes,comme le décrit de manière très sombre le film Mad Max. Une autre agriculture, résiliente au pétrole, doit se développer rapidement. Que ce soit avec l’agroécologie urbaine, les ceintures maraîchères ou le redéploiement de l’agriculture paysanne et écologique, elle se fera avec des techniques respectueuses « des conditions de vie et du patrimoine naturel. » |6|
Quant aux énergies renouvelables, si elles sont de vraies solutions pour remplacer les énergies fossiles déclinantes et désastreuses pour le climat, elles nécessitent de grandes quantités de métaux et de ressources naturelles déjà limitées. |7| Le prix actuel du pétrole, très bas, masque la réalité du pic pétrolier. |8|
Le pic géologique, celui des matières premières minérales, le pic énergétique, le pic agricole et bientôt le peak everything seront bientôt atteints. Les énergies renouvelables ne seront une alternative crédible que dans la mesure où le gaspillage énergétique cessera. Inutile autant qu’impossible de construire des éoliennes si c’est pour consommer toujours plus. Il faut des ressources métalliques énormes pour fabriquer une grande éolienne : 1 tonne de cuivre et 500kg d’aimants de néodyme, un des métaux contenus dans les terres rares. Il en va de même pour les panneaux solaires qui nécessitent argent, cuivre, silicium, plastique et terres rares. Quant aux centrales nucléaires : elles nécessitent encore plus de métaux rares tels que titane, cobalt, tantale, zirconium, hafnium, indium, argent, sélénium et lithium « alors que les réserves de tous ces métaux si spécifiques ne dépassent pas le siècle. » |9| Philippe Bihouix explique dans ses livres comment la High Tech emballe le système.
Nous, les habitants des pays les plus prospères, sommes donc face à un choix très clair.
Soit décider volontairement de diminuer notre empreinte écologique, donc notre consommation matérielle, en réduisant fortement nos besoins en bois, minéraux, viandes, poissons, énergies y compris d’origine renouvelable, eaux douces et terres arables. Aller vers la simplicité impliquera de remplacer le système de la mode, de l’obsolescence programmée et du gaspillage. Indispensable si nous voulons stopper le réchauffement planétaire produit en guère plus d’un demi-siècle conjointement aux désastres environnementaux et sociaux, pour laisser une terre viable pour nos enfants. Il faut des temps longs pour que la nature et les ressources écosystémiques retrouvent leur équilibre, les pertes de biodiversité sont définitives.
Soit laisser le business as usual continuer à détruire notre biotope au nom du « libre » échange », de la « libre » concurrence et de la « libre » entreprise, avec pour seule idéologie le grand mensonge libéral du TINA. Que les dominants veuillent se noyer dans des piscines de bénéfices pourrait nous laisser indifférents si leurs folies ne nous entraînaient dans une débâcle aussi certaine que collective. L’incapacité de nos décideurs politiques à interdire les PFJ |10| ou à contraindre les banques trop grandes pour faire faillite à se scinder en plusieurs banques non dangereuses pour l’économie est le signe d’une connivence mortifère.
Pourquoi les banques ne continueraient-elles pas à jouer à la bourse-casino sur les matières premières, pétrole et nourriture ? Pourquoi ne pourraient-elles pas continuer à être sauvées par les contribuables quand elles tombent en faillite en entraînant celle de toute l’économie, nous disent-elles tranquillement ? Ces fameuses banques systémiques, too big to jail, trop grosses pour aller en prison, font grossir la dette publique par leurs combines d’évasions fiscales dans les paradis fiscaux, leurs délires mégalos et leurs prêts avec intérêts aux Etats. |11|
Nous devons prendre en mains notre avenir et organiser un plan de sauvetage du peuple par le peuple. Les dirigeants politiques, tout comme les responsables des grandes institutions financières, devenus les passe-plats des détenteurs de capitaux, n’hésitent plus à mentir ou à verser dans la schizophrénie. Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, a expliqué fin 2012 que l’institution s’était trompée dans ses calculs et que les mesures d’austérité avaient en réalité des effets multiplicateurs augmentant la récession économique. Néanmoins, le FMI, à travers la Troïka, continue à imposer des mesures d’austérité aux pays européens, semblables à celles imposées depuis 30 ans aux PED. Il impose à la Tunisie des mesures d’austérité typique des PAS en échange de nouveaux prêts, ainsi que le remboursement des prêts odieux de la période Ben Ali, de même qu’il continue, par ses conseils, de faire saigner le peuple grec.
La BM continue à prêter en 2013 des dizaines de milliards de dollars pour l’extraction des énergies fossiles et alerte dans le même temps sur les cataclysmes à venir provoqués par le réchauffement climatique. Pour gagner l’élection le candidat François Hollande déclare que son plus grand ennemi est la finance, mais après trois ans de mandats, impose des mesures d’austérité au peuple, sanctifie la croissance du PIB, les profits des entreprises et rembourse une dette illégitime.
Les résistances sont liées
Les résistances à l’extractivisme, à la dette illégitime, à l’agriculture productiviste, à la malnutrition au Sud et au Nord comme au réchauffement climatique réussiront quand la multitude des luttes locales, internationales et des expériences alternatives seront suffisamment puissantes pour créer un effet de bascule dans la conscience du plus grand nombre. Les peuples retrouveront alors le sens de la vie en se réappropriant les grands choix de société. N’oublions jamais que l’ascenseur social et les classes moyennes occidentales sont nés du cataclysme financier de la crise de 29. Cela, contre la volonté des détenteurs de capitaux et des patrons aussi bien étasuniens qu’européens. C’est l’implication du peuple des Etats-Unis après la crise de 29 et la détermination des résistants européens dressés contre les armées nazis, après l’immense souffrance de la grande dépression, qui a permis ces grandes avancées vers plus d’égalité.
Pour construire un monde post-extractiviste, avant qu’il ne s’impose, la décroissance des inégalités, de l’agriculture industrielle et de nos comportements barbares avec les pays du Sud sont indispensables. Une décroissance volontaire de la consommation des biens matériels et alimentaires pour le 1,5 milliard d’humains qui gaspillent abondamment, est primordiale pour que d’autres peuples puissent avoir accès à une alimentation suffisante et une vie digne. Le modèle consumériste occidental issu de l’american way of life n’a été possible que par la conquête armée et le vol des ressources naturelles d’autres peuples par les Européens au cours des derniers siècles. Quand ce ne fut pas l’extermination quasi complète des peuples indigènes en Amérique du Nord, Australie, Nouvelle Zélande et ailleurs. Aujourd’hui, cette conquête par dépossession extractive est encore accentuée par les grands pays émergents qui veulent leur part du grand festin, on les comprend même si on ne les approuve pas.
L’impossible rattrapage
Bien que les spoliations par les accaparements de terre ou par les exploitations de mines à ciel ouvert redoublent d’intensité en ce début du siècle, le système capitaliste ne pourra jamais offrir aux près de quatre milliards d’Indiens, de Chinois et d’Africains, le même style de vie fondée sur le conso-gaspillage que celui du milliard d’habitants des pays de la Triade. Car ceci n’a été possible qu’avec la profusion d’un pétrole à très bas prix que les Occidentaux ont dilapidé au cours du 20èmeS. Cela en saturant l’atmosphère de CO2, 400 ppm en 2014 contre 280 il y a un siècle. Le banquet touche à sa fin, il faut partager les restes et cesser de dégrader le climat. Sinon, après la guerre économique en cours, c’est la guerre avec des armes qui explosera. Les Africains - dont le nombre devrait atteindre deux milliards - comme d’autres peuples, n’accepteront plus très longtemps d’être dépossédés de leurs richesses naturelles et d’avoir à subir le réchauffement dont ils ne sont pas responsables.
Pour que la trajectoire suicidaire actuelle s’infléchisse rapidement, les occidentaux, pionniers et grands responsables du pillage extractiviste, « pill-âge » ou Anthropocène, devraient être les premiers à diminuer très fortement leur empreinte écologique. Gandhi disait que c’est nous-mêmes qui devons changer si nous voulons que les autres changent.
N’est-ce pas à ceux qui ont tant profité des richesses de la terre et du travail des autres peuples d’initier la construction d’un nouveau modèle post-extractiviste, post-consumériste, socialement juste et écologiquement soutenable ?
Il est possible de vivre mieux, moralement et affectivement, en refusant d’être asservi par l’économie matérialiste. Moins de biens plus de liens proclament les objecteurs de croissance.
Il y a toujours un consommateur à la fin de la chaîne, et ce consommateur c’est vous et moi. Si nous voulons éviter un stress ingérable à l’avenir, nous devons renoncer aux idéaux du rêve américain et convaincre les politiciens que nous aspirons à autre chose que ce que le modèle consumériste du XX ème siècle a forgé dans l’inconscient collectif de la plupart des sociétés. Des modes de vie soutenables, la décroissance… sont des pistes très enthousiasmantes. |12|
La compétition devra être remplacée par la coopération, le gaspillage par les économies de ressources et la sobriété alimentaire, la propriété intellectuelle par les savoirs partagés pour que tous puissent accéder à une vie soutenable. Nos besoins devront s’ajuster aux potentiels du renouvellement des écosystèmes pour que la planète bleue puisse continuer à offrir l’exceptionnel biotope qui a permis à la vie de naître et aux humains d’évoluer jusqu’à aujourd’hui. La conquête marchande et la civilisation industrielle se sont édifiées par des guerres, l’extension sans limites de la propriété privée, les destructions sociales et environnementales. Un avenir vivable pour tous ne pourra se construire qu’avec des relations basées sur les communs, tendant vers le partage, la gratuité et donc la paix. « Vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre » disait Gandhi. Les latino-américains avec le « buen vivir », font primer les relations avec les autres et la nature sur l’avoir. « Selon José Kaputa Lota, le « plus être » négro-africain implique la critique du développement entendu comme ‘simple croissance, simple accumulation de richesses matérielles’. » |13| Il en va de même avec le Bonheur National brut, le BNB répandu en Asie.
L’audit citoyen des dettes publiques
Depuis l’arrivée de la Troika en Grèce, la liste (loin d’être exhaustive) des dégâts sur le pays se révèle effroyable : une dette équivalente à 175 % du PIB en 2014, le chômage s’élève à plus de 65 % pour les jeunes, graves atteintes à la santé publique, croissance considérable des suicide, braderie du patrimoine aux entreprises privées (plages, îles et entreprises publiques, etc.), montée des néonazis... Cette situation a été en grande partie provoquée par la priorité absolue donnée au remboursement d’une dette très majoritairement illégitime.
Des résistances se construisent, des groupes de citoyens expérimentent des manières de vivre basées sur l’autonomie, la solidarité et la gratuité, à travers des collectifs et des centres sociaux : échanges de semences, coopératives de production agricoles, soins et repas autogérées et gratuits. Les mouvements de désobéissance se développent contre les grands projets miniers, contre l’extrême droite et surtout pour un audit de la dette. 1
L’audit citoyen est un formidable moyen pour mettre au grand jour l’immense escroquerie que la dette représente pour les peuples du Sud, comme pour ceux du Nord, depuis la débâcle bancaire de 2008. Il consiste à analyser d’où vient la dette, à quoi elle a servi, qui détient ses titres, à chercher si elle a été contractée dans l’intérêt de la population ou pas. Les dettes publiques illégitimes étant le levier de l’extractivisme et de l’asservissement des peuples, l’audit citoyen est le meilleur moyen de lutter contre ces deux fléaux. Il porte en lui la reconquête de la démocratie par le contrôle des finances de l’Etat. L’audit citoyen a pour but, aussi bien au niveau local qu’au niveau d’un pays, voire d’un continent comme l’Europe, de comprendre comment l’argent des contribuables, est dépensé par les gouvernements.
L’audit permet par exemple de comprendre que les déficits chroniques des budgets ne sont pas dus à un excès de dépenses, comme on aimerait nous le faire croire, mais bien à une diminution volontaire des recettes depuis bientôt trois décennies. Le recours à l’emprunt, l’évasion fiscale, les privatisations, les PPP, (partenariats public-privé) doivent être analysés comme des cadeaux faits aux multinationales et à leurs actionnaires, et non pas comme des nécessitées économiques.
Les banques privées qui prêtent aux Etats et reçoivent les intérêts payés par les contribuables sont bien les vrais bénéficiaires, voire les véritables dirigeants, d’un système qui, en affaiblissant l’Etat, augmente le pillage des ressources humaines. Augmenter les impôts de la majorité pour faire face à la récession provoquée par les banques n’est-il pas une forme d’extractivisme appliquée à la plus-value produite par les travailleurs d’un pays. Les GPII (les grands projets inutiles imposés) associés à des PPP comme l’aéroport Notre Dame Des Landes, le train à grande vitesse Lyon-Turin (26-30 Mds d’euros), les autoroutes vides (Pau-Langon) ou les éléphants blancs dans les PED doivent être compris eux aussi comme des cadeaux faits aux grandes entreprises privées avec l’argent public ou pire avec des emprunts d’Etats faits auprès des banques privées : double jackpot. Privatiser les profits, socialiser les pertes, c’est la logique privilégiée par les gouvernants adeptes du néolibéralisme en période de crise mise en évidence par Naomi Klein dans son livre « La Stratégie du choc ».
L’Allemagne de l’Ouest avait obtenu en 1953 que le remboursement de sa dette de guerre ne dépasse jamais 5 % du montant de ses exportations annuelles |14|. En réalité elle ne l’a jamais remboursée. Les Grecs, Portugais, Irlandais, Espagnols, seraient-ils plus fautifs que les allemands des années 40 pour devoir subir de la part de la riche Europe une telle cure d’austérité ?
L’ensemble des dettes publiques peuvent être passées en revue par un audit citoyen qui agira comme un tamis en faisant apparaître toutes les dettes odieuses ou illégitimes, leur enlevant les assises pseudo légales qui fondent leurs remboursements. « Nous ne devons rien, nous ne paierons rien » est le slogan des Espagnol-e-s, sorti-e-s dans les rues en 2011 et actifs à présents pour porter les revendications des mouvements sociaux au sein des municipalités |15|.
En 2007-2008, sous l’impulsion de Rafael Correa, l’Equateur a organisé un audit gouvernemental et citoyen. Les travaux ont abouti à une annulation du remboursement de 70 % de la dette souveraine. L’Equateur n’a pas subi à ce jour de rétorsion de la finance internationale. |16|
L’Argentine a cessé ses remboursements de dettes unilatéralement en 2001. Elle était au bord du gouffre économique, conséquence d’un endettement odieux hérité de la dictature militaire de Videla.
Durant les deux dernières décennies (avant 2001), l’Argentine est un élève zélé du FMI et applique à la lettre ses contre-réformes : libéralisation financière, licenciement massif de fonctionnaires, privatisation des entreprises publiques, ouverture de l’économie, gel des salaires, diminution drastique des budgets de l’éducation et de la santé... Malgré les politiques d’ajustement structurel, le pays est prisonnier de la spirale de l’endettement. La récession économique s’installe. |17|
Après trois années sans payer, elle a obtenu une annulation de 55 % du stock de sa dette (84 Mds$). Les dix années suivantes, ce pays a eu un taux de croissance de plus de 7 %, malheureusement dans une logique économique extractiviste et libérale. Aujourd’hui, des « fonds vautours », ceux qui avaient refusé le remboursement après décote de leurs obligations, ont obtenu, après un jugement de la cour suprême des Etats-Unis, le remboursement de leurs obligations à leur valeur nominale, plus les intérêts de retard, mettant ainsi l’économie Argentine en péril. |18|
Le peuple d’Islande a obtenu, à force de casserolades dans les rues, que les contribuables ne soient pas contraints d’assumer les dettes des banques après leur faillite. Elle a, depuis 2011-12, retrouvé un taux de croissance de 3 % et un taux de chômage que tous les pays européens lui envient. Agnès Rousseau écrit dans Bastamag « …face à la pire crise bancaire de l’histoire, l’Islande fait passer les intérêts des citoyens avant ceux des banquiers. Et a décidé de mettre fin à l’impunité des délinquants de la finance. » |19| En décembre 2013 trois anciens banquiers et un important actionnaire de la banque Kaupthing ont été condamnés à plusieurs années de prison. |20|
Après une camapgen citoyenne initiée en 2011 et suite à la victoire de Syriza aux élections législatives de janvier 2015, un audit de la dette, présidée par Zoé Konstantopoulou et soutenu par le gouvernement, a été coordonné par Eric Toussaint, porte parole du CADTM. Il réunissait 30 expert-e-s, juristes, politologues, économistes venant des quatre coins du monde pour analyser la dette grecque et ainsi déceler les parts illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables.
Inauguré en mars 2015 le comité d’audit a rendu son rapport préliminaire à la fin du mois de juin en présence d’Alexis Tsipras et de nombreux ministres. Il conclue que la totalité de la dette de la Troika est illégale, illégitime, insoutenable et odieuse.
Comme on l’a vu avec la capitulation grecque |21|, seule une très forte mobilisation de la population peut pousser le gouvernement à utiliser les travaux de l’audit et ensuite opérer une annulation des dettes illégitimes. N’oublions pas que les dettes publiques illégitimes ont un double rôle. Au Sud elles servent à contraindre les peuples et les pays endettés à exporter leurs matières premières à très bas coût pour ensuite exporter les devises nécessaires à son remboursement vers les acteurs de la finance internationale. Au Nord, elles servent à contraindre les populations à perdre une part toujours plus importante des bénéfices de leur travail au profit de l’oligarchie financière. Que ce soit par la baisse des salaires, la privatisation des services publics ou l’augmentation de la charge de la dette sur le budget national, donc sur les contribuables. Leurs annulations sont fondamentales pour se rapprocher d’une société post-extractiviste dans laquelle la recherche du bien vivre, cher aux Équatoriens et aux Boliviens, primerait sur celui du toujours plus de consommation et de croissance.
Paradis fiscaux et judiciaires (PFJ), prix de transfert et contrôle des changes
Bloquer ou rendre inopérant l’utilisation des PFJ relève d’une décision politique. Selon le journaliste Denis Robert, on sait exactement où va l’argent mondial. Il suffit d’ajouter ou de supprimer quelques lignes dans les ordinateurs pour fermer la porte de ces enfers pour les 99 %. Autre solution, taxer les transactions financières non pas à hauteur de 0,01 %, mais entre 1 et 3 %. Cela enlèverait une bonne part du bénéfice attendu de l’utilisation des PFJ. L’emploi de cette manne aiderait à faire disparaître les dettes publiques.
Pour lutter efficacement contre la grande pauvreté et la faim, la disparition des PFJ est fondamentale. L’extractivisme est lié à la dette et à la corruption dans les PED, le repenti John Perkins |22| le démontre avec des preuves et des témoignages. Ni les accaparements de terre ni les concessions minières, ni bien d’autres contrats léonins ne pourraient se faire sans ces trous noirs dans lesquels tombent les commissions qui vont corrompre les décideurs. Près de 100 millions d’ha en Afrique ont été accaparés pour des loyers annuels ne dépassant pas un euro par ha. Ces prix étant ridiculement bas, il est impossible que d’énormes soultes ne soient pas versées aux décideurs grâce à l’opacité des PFJ. De plus une grande partie des matières premières transitent dans ces paradis pour actionnaires, enfer pour les citoyens ordinaires - par le système des prix de transferts. Les bénéfices des multinationales n’y sont pas imposables.
Les dettes illégitimes vident les budgets des PED, les paradis fiscaux les privent de rentrées légitimes. Victor N’Zuzi de RDC, |23| paysan-journaliste, fait une comparaison saisissante : il demande comment une personne à qui on aurait coupé les bras et les jambes, ferait pour vivre et manger.
Oxfam écrit en 2013
On estime que les fuites de capitaux illicites coûtent au moins 859 milliards de dollars par an aux PED. La Commission européenne estime que l’évasion fiscale coûterait chaque année près de 1000 Mds€ à l’Union européenne, soit près de 2000€ pour chaque citoyen européen. En France, le Sénat estime que le coût pour le trésor public de l’évasion fiscale pourrait atteindre 50 milliards (par an). » |24|
La disparition du contrôle des changes a été imposée aux gouvernements du Sud par le FMI. Remettre ce contrôle aux frontières rendrait beaucoup plus difficiles les détournements et la corruption opérés grâce aux PFJ. Et contrairement à ce que la communication dominante veut nous faire croire, la demande en ressources naturelles est tellement forte que les multinationales extractivistes seraient bien obligées de s’y soumettre si une telle décision était prise de façon concertée par un groupe d’Etats du Sud. L’évasion fiscale, les détournements de fonds publics dans les PED, les prix invisibles des accaparements de terre, les bénéfices illicites ou criminels deviendraient alors plus difficiles.
Le chiffre colossal du rapatriement des bénéfices obtenus par les multinationales dans les PED pourrait être connu et taxé en fonction des lois fiscales du pays et des pollutions environnementales produites. Les PED retrouveraient une liberté de gestion, des moyens de financement d’une autre ampleur que les pauvres prêts de secours des IFI’s avec leurs terribles conditionnalités ultralibérales ou les misérables APD, provenant des pays extractivistes. Même le FMI lui-même le reconnait enfin en 2014 : « L’évasion fiscale des multinationales est mauvais pour l’économie mondiale et les pays pauvres. Pour chaque dollar d’aide que les PED reçoivent, près de 10 dollars disparaissent à travers la corruption et l’évasion fiscale. » |25|
Pourquoi l’île de Jersey est-elle le premier exportateur de bananes ? Parce que les trois grands producteurs Dole, Chiquita et Fresh Del Monte, sociétés étatsuniennes, se transforment en acheteurs-revendeurs de leur propre production. Comment ? En passant par des sociétés filiales dans ce paradis fiscal, elles minimisent leurs prix d’achat dans les pays producteurs d’Amérique latine et maximisent leurs prix de revente à d’autres filiales dans les pays consommateurs. Selon John Christensen de Tax justice network, les multinationales créent souvent une centrale d’achats aux Îles Caïmans, délocalisent leurs services financiers au Luxembourg, versent des royalties pour l’utilisation de la marque en Irlande, font facturer les coûts de transport sur l’Ile de Man, organisent le réseau de distribution à partir des Bermudes et paient les ressources humaines à Jersey. Ces escroqueries « légales », acceptées par nos gouvernements, enlèvent des recettes fiscales aux budgets des pays où la consommation a lieu. Le prix est volontairement si élevé que la plus-value faite sur la revente des bananes dans la filiale installée dans le pays acheteur n’offre qu’une très faible valeur ajoutée taxable.
L’ensemble de la plus-value faite par ces jeux d’écritures comptables est alors réalisée à Jersey et dans d’autres PFJ où l’impôt sur les sociétés n’existe pas. En enrichissant les actionnaires de ces multinationales, elles appauvrissent les peuples du Sud et du Nord de plusieurs façons.
Le prix de vente des bananes à la production est artificiellement trop bas pour que les travailleurs des bananeraies reçoivent des salaires dignes et que les taxes sur les exportations dues aux pays producteurs puissent améliorer les conditions de vie de la population. La terre, l’eau et les travailleurs de ces pays ont produit les bananes, et en plus ils subissent la défertilisation due à ces monocultures, les pollutions de l’eau et du sol, les maladies, provoquées par le très dangereux Paraquat.
C’est ainsi que les multinationales extractivistes, opérant dans les PED pour les minerais, le pétrole ou les produits agricoles et sylvicoles, « optimisent », en réalité volent le pays producteur en ne payant que très peu de taxes.
Le rétablissement du contrôle des changes et l’interdiction du recours aux PFJ sont indispensables pour que les multinationales opérant dans les PED paient les impôts sur leurs bénéfices directement aux autorités des pays où production et « extraction » ont lieu. Cette rupture avec le dogme du libre-échange permettrait de rendre obligatoire le réinvestissement d’une part importante de ces bénéfices dans l’économie du pays. Aujourd’hui, les multinationales rapatrient « librement » la quasi-totalité vers leurs actionnaires. Ces mesures ne sont pas de même nature que le protectionnisme utilisé par les pays occidentaux au 19-20èmeS, destiné à défendre leurs industries capitalistes dans un système de conquête internationale des marchés. On parle ici de protections légitimes contre l’évasion fiscale dans les PFJ.
L’aide publique au développement, l’APD, un moyen de l’extractivisme !
Une part très importante de l’APD française est gérée par l’AFD. Celle-ci administre les Contrats Désendettement-Développement, les C2D. De quoi s’agit-il ? Pour ne pas annuler une dette bilatérale, le plus souvent illégitime (soutien financier à un dictateur, argent détourné, aide liée, etc.) correspondant à un prêt fait par le gouvernement français à un pays de l’Afrique subsaharienne par exemple, l’Etat prêteur fait des C2D. Alors que la majeure partie de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, la France propose à ce pays que les remboursements de cette dette soient réinvestis dans le pays sous le contrôle de l’AFD. Ce système est éminemment retors puisqu’il qualifie d’APD les C2D. Ainsi il maintient la pression néocoloniale sur le pays pour obtenir l’accès privilégié à ses ressources naturelles ou favoriser une entreprise. De plus les C2D transforment le caractère illégitime ou odieux de la dette d’origine en aide généreuse. Pauline Imbach, du CADTM, appelle les C2D, dans le magazine les Z’Indignés, Contrat de Domination et d’Endettement. L’association Survie écrit :
les C2D sous couvert d’annulation de dette (que l’Etat bénéficiaire rembourse pourtant au final), des montants colossaux sont versés pour financer des projets cornaqués par l’AFD et pour lesquels les entreprises françaises décrochent régulièrement le pactole.
Dans « Comment l’aide au développement se privatise au profit des grandes multinationales » |26| Bastamag cite un communiqué de la plateforme des PFJ, composé de différentes ONG, expliquant que Proparco, la banque adossée à l’AFD, « malgré son mandat de développement, agit comme n’importe quel investisseur privé, guidé par la rentabilité des projets plus que par leur impact réel sur l’amélioration des conditions de vie des populations des pays du Sud ».
A contrario, la Norvège a fait réaliser un audit par le cabinet Deloitte de ses créances sur les PED. Il est apparu que 34 de ses crédits à l’exportation vers des PED étaient douteux. |27| Elle avait déjà procédé en 2007, de manière unilatérale, à l’annulation des créances illégitimes qu’elle détenait sur l’Equateur, la Jamaïque, le Pérou, la Sierra Leone et l’Egypte. |28| Si ce pays reconnaît ses actes néocoloniaux, la France,elle, prend le chemin inverse !
La main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne disait le grand écrivain Malien Amadou Hampâté Bâ. L’APD ne porte-t-elle pas implicitement, derrière la générosité apparente, un potentiel de soumission ou de corruption de celui qui reçoit, voire les deux ? Peut-elle s’abstraire du « donner, recevoir, rendre », de l’équilibre entre ce qui est reçu et ce qui est rendu ? Colonialisme et néocolonialisme sont des « prendre sans rendre ». On parle d’« échange inégal » entre les matières premières exportées par les PED, dont la valeur restant au pays est extrêmement faible et les produits manufacturés importés dont le prix est toujours plus élevé. L’APD française comme celle des autres pays industrialisés est si maigre qu’elle ne peut en aucun cas correspondre à un « rendre » capable de rééquilibrer son « prendre » extractiviste. C’est de la communication permettant d’habiller et ainsi de faciliter la prédation néocoloniale.
Plutôt qu’une APD frelatée, la réparation-compensation de la dette écologique issue de l’extractivisme participerait à la création d’un authentique « rendre » de ces Européens et des autres qui ont tant « reçu-pris ». Mais les pays industrialisés sont paniqués à l’idée d’une décroissance matérielle, avec baisse de la consommation et du confort, fin du gaspillage et perte des profits que cela entrainerait ? C’est bien la justice et l’égalité qu’ils refusent aux autres ! Et pourtant, n’est-ce pas vers une décroissance subie que nous précipite à grande vitesse le délire matérialo-extractiviste actuel ?
En quoi les miettes, que représente l’APD mondiale de 130 Mds$ en 2010 - dont 5 à 10 % vont réellement à des projets améliorant la vie des 3 milliards d’humains vivant avec moins de 2 dollars par jour - peuvent être qualifiées d’aide réelle ? 10 % de 130 = 13 Mds$ divisé par 3 M = 4,3 dollars par an et par personne. Rien comparé aux 400 Mds$ que les migrants envoient chaque année, soit 100 $ par an et par personne ou comparé aux 300 Mds$ ou bien plus de bénéfices faits dans les PED que les multinationales rapatrient dans leur pays d’origine. Ou encore aux fonds très importants en provenance des PED, cachées dans les PFJ. De qui se moque-t-on ? Des peuples du Sud comme des naïfs et consentants citoyens du Nord qui pensent que l’on donne toujours trop aux pays pauvres !
L’APD doit être abandonnée et remplacée par un système d’échanges justes.
Car, comme les dettes illégitimes, elle appartient à l’arsenal du néocolonialisme. Il serait plus intéressant pour les PED de remettre des taxes variables à leurs frontières sur les produits agricoles en provenance des pays industrialisés qui subventionnent leur agriculture avec près de 750 millions de dollars chaque jour en 2013. Selon Olivier de Schutter « les pays développés sont autorisés à subventionner leurs agriculteurs à hauteur de plus de 400 milliards de dollars, sans violer les règles de l’OMC. » |29| Une escroquerie !
Il faut choisir. Soit on accepte la pauvreté, le sous-développement, la faim, et on fait semblant de combattre avec des aides faussement charitables qui ne changeront rien aux causes structurelles de l’injustice globale. Ainsi en va-t-il de l’APD, des subventions et des prêts de secours conditionnés à des cures ultralibérales ou des bateaux de céréales payés par le PAM (programme alimentaire mondial) pour compenser a minima les effets catastrophiques du libre échange imposé depuis trente ans et permettre de résorber les surplus du Nord.
Soit on choisit la voie de la justice et de l’égalité, en axant les réparations sur l’autonomie agricole, économique et politique des PED par l’annulation des dettes illégitimes, par la lutte contre la corruption et la disparition des PFJ. Ensuite, par des soutiens techniques et financiers - en compensation des siècles d’asservissement et de dégâts écologiques - les pays industrialisés pourraient contribuer à la transformation dans les PED de leurs matières premières extraites et surtout au déploiement d’une agroécologie paysanne efficiente, sans intrants extérieurs.