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12 janvier 2016 2 12 /01 /janvier /2016 14:39

 

Source : http://www.bastamag.net

 

Amérique latine

Quand l’industrie minière assèche les fleuves et désertifie les villes

par

 

 

 

Le Chili dépend fortement de ses exportations de cuivre. Mais le revers de la médaille est désastreux. Les multinationales minières ont dévasté des territoires, pompant et polluant l’eau, asséchant fleuves et lagunes, poussant à l’exil l’entière population de villages. Et ce, en toute impunité, l’État chilien n’ayant pas rompu avec certaines pratiques initiées sous la dictature de Pinochet. La société civile résiste malgré tout, et fait parfois reculer les géants miniers.

Quillagua a des allures de ville fantôme. Écrasée par le soleil, enveloppée de poussière, cette localité perdue dans le désert d’Atacama, au nord du Chili, a perdu 90 % de sa population en vingt ans. La faute au manque d’eau. Non pas que la pluie ait brusquement cessé de tomber : dans cette zone, la plus aride au monde selon la NASA, les précipitations annuelles n’ont jamais dépassé une moyenne de 0,2 millimètres par an…

Pourtant, Quillagua était, jusque dans les années 1990, une oasis florissante à l’agriculture prospère. Les habitants – principalement des agriculteurs issus du peuple aymara – cultivaient le maïs et la luzerne, irriguant leurs champs avec l’eau du fleuve Loa, dans lequel il faisait également bon se baigner, ce qui attirait les touristes. Mais aujourd’hui, le fleuve a disparu. Il ne reste plus que des flaques d’eau stagnante à l’odeur insupportable.

 

Le fleuve pollué à l’arsenic et à l’acide sulfurique...

« Codelco et Soquimich ont tué le Loa », explique Eliana Soza. Installée derrière la caisse du minimarché poussiéreux qu’elle tient avec son mari, elle raconte la catastrophe. Née à Quillagua il y a 53 ans, elle a vu le fleuve mourir brutalement, suite à la rupture de réservoirs d’eau contaminée par les déchets miniers de la compagnie publique Codelco, spécialisée dans l’extraction de cuivre. « C’était en mars 1997, se souvient-elle. Il y a eu de gros orages qui ont fait déborder les piscines d’eau contaminée. Il y a eu une coulée de boue noire qui s’est mélangée au fleuve. Les poissons sont morts, tous les animaux qui vivaient dans l’eau sont morts. »

La même catastrophe s’est répétée trois ans plus tard, en février 2000. En plus du fleuve, l’air et les champs alentours ont été durablement contaminés par les déchets miniers – en particulier l’arsenic et l’acide sulfurique : le bétail est mort, ainsi que les abeilles. Il est devenu impossible de cultiver les champs. La présence d’arsenic dans le sol s’étant élevée à des taux dix fois supérieurs au seuil critique.

Malgré les rapports d’experts, le ministère de l’Environnement a dédouané Codelco. L’entreprise n’a donc jamais été poursuivie, et n’a jamais versé un seul centime pour réparer les dommages subis par la communauté. Sans possibilité de cultiver la terre, et privés des revenus auparavant issus du tourisme et de l’élevage des crevettes de rivière, les habitants sont tombés dans les filets d’une autre compagnie minière, Soquimich, qui a racheté 70 % des droits d’extraction de l’eau détenus par la communauté.

 

...Puis asséché par une autre compagnie minière

Au Chili, depuis la loi sur l’eau instaurée en 1981 sous la dictature militaire du général Pinochet, l’eau est un bien commercial comme un autre, que l’on peut posséder, acheter et vendre. « Nous étions sans ressources. Des gens de la mine sont venus à la maison, ils nous ont proposé d’acheter nos droits sur l’eau. On n’avait pas le choix : on avait besoin de cet argent et, de toute façon, l’eau était contaminée, alors on a signé, » se souvient José Salazar, un habitant du village. Ce n’est pas un cas isolé : presque toutes les familles ont vendu leur droits d’extraction de l’eau. Depuis, Soquimich pompe sans relâche dans le fleuve, en toute légalité. En théorie, la communauté peut encore extraire du Loa soixante litres d’eau par seconde pour arroser ses cultures. Dans la pratique, à hauteur de Quillagua, il n’y a plus rien à prélever : le fleuve est à sec.

Suite à l’assèchement, la grande majorité des habitants sont partis. Ceux qui restent tentent de survivre. Trois fois par semaine, la ville est approvisionnée en eau potable par camion-citerne. Pas question de gâcher : « Avant, on avait autant d’eau qu’on voulait pour arroser les plantes, se laver, faire le ménage... Maintenant, il faut économiser », raconte Eliana. Économiser l’eau, mais aussi l’argent, devenu dur à gagner dans un village figé sous le sable du désert.

 

Une économie basée sur l’extraction

Les habitants de Quillagua ne sont pas les seules victimes du manque d’eau. Le nord du Chili – le désert d’Atacama en particulier – est constellé de mines, avec plus de 3 000 exploitations minières, principalement tournées vers l’extraction du cuivre. Le Chili est le principal producteur mondial de ce minerai, avec 5,7 millions de tonnes produites en 2014. C’est une ressource essentielle pour le pays, qui représente près de 50 % des exportations et contribue à hauteur de 11 % au produit intérieur brut.

Or, l’extraction du cuivre est particulièrement gourmande en eau et intervient dans une zone particulièrement sèche. Un contexte peu favorable et qui semble empirer, selon le glaciologue et ingénieur minier Jorge Hernandez : « À cause du changement climatique, les hivers sont chaque année plus courts, avec très peu de neige et des températures très élevées (à tel point qu’on peut se promener en tee-shirt à 4 500 mètres d’altitude), ce qui a un impact très fort sur l’approvisionnement hydrique de la région. » Or, l’eau utilisée dans les mines est principalement issue de la fonte des neiges et captée dans des fleuves ou des nappes souterraines près de la Cordillère des Andes.

Mélangée à divers produits chimiques, elle sert à séparer le cuivre des autres matériaux (roches, sédiments et minéraux) recueillis lors de l’extraction. « Par exemple, pour séparer le cuivre des minerais oxydés, on arrose le concentré de cuivre avec une solution d’eau et d’acide sulfurique pendant cinquante jours », explique Jorge Hernandez. Une fois utilisée, cette solution hautement toxique est conservée dans des bassins appelés « piscines de déchets ». Ces réservoirs n’ont pas vocation à être vidés : ils stockent indéfiniment des millions de tonnes de déchets toxiques issus de la mine. Lorsqu’une piscine est pleine, une autre prend le relais.

Une industrie en marge des lois

En cas de fortes pluies – très inhabituelles mais de plus en plus fréquentes dans le nord du pays, ces dernières années, probablement en raison du changement climatique – ou de tremblement de terre (le Chili est le pays le plus sismique au monde), les conséquences sur l’environnement sont désastreuses, comme ce fut le cas à Quillagua. Pour les populations locales, en majorité indigènes, l’industrie minière représente donc un double péril permanent : menaces d’assèchement des cours d’eau, d’un côté, de pollution, de l’autre. D’où de nombreux conflits entre les communautés et les entreprises minières.

C’est le cas de la communauté indigène aymara de Cancosa, située dans la région de Tarapaca, tout au nord du pays. La mine de Cerro Colorado, filiale de la multinationale BHP Billiton, est installée sur son territoire depuis 1981. Cette mine de cuivre extrait l’eau de nappes souterraines à raison de 90 litres par seconde. Or elle n’a légalement le droit d’utiliser que 35 litres par seconde. Conséquences directes : le niveau de la lagune est en baisse depuis 2002 ; le marécage d’altitude, les cinq sources d’eau de la communauté et de nombreux puits sont à sec. Il n’y a plus assez d’eau pour irriguer les cultures et abreuver les animaux.

La situation est reconnue par les tribunaux : la mine de Cerro Colorado a d’ailleurs été condamnée en février 2006 par la cour régionale de Tarapaca à verser une amende de 70 000 euros pour contamination environnementale. À cette occasion, la société s’est engagée à rétablir le niveau initial d’eau dans la lagune et le marécage (grâce à un système d’arrosage automatique puisant directement dans une nappe souterraine), et à installer des instruments d’observation pour surveiller leur niveau. Mais la solution n’est pas durable : quand la mine arrêtera d’arroser, la lagune et le marécage s’assècheront de nouveau.

Complicité et désinformation de l’État

La mine n’a jamais payé l’amende : elle a conclu un accord extrajudiciaire avec la communauté et s’est engagée à financer des programmes d’investissement et des bourses d’études pour les habitants de Cancosa. Cette stratégie de compensation directe des dommages causés aux communautés est très répandue au Chili. Les entreprises minières ont pris l’habitude de mettre en place des fondations d’aide aux résidents des communes sur lesquelles elles s’installent pour limiter les conflits potentiels.

De son côté, l’État n’hésite pas, au besoin, à désinformer les citoyens. Un exemple flagrant est l’attitude de l’État chilien face au désastre écologique provoqué par l’entreprise nord-américaine Andes Copper, puis par la société nationale Codelco dans la baie de Chañaral. « De 1938 à 1990, la compagnie Andes Copper, puis la société Codelco [à partir de 1971] , ont rejeté directement dans la mer les déchets miniers provenant de la mine El Salvador », raconte Manuel Cortés, auteur du livre La mort Grise de Chañaral et président de l’association Chadenatur, qui lutte pour la défense de la nature dans la commune. « 320 millions de tonnes de résidus solides et 850 millions de tonnes d’eaux usées ont été déversées dans la baie via le fleuve Salado », décrit-t-il en contemplant l’étendue grise qui fait office de plage.

Plage au sable toxique

Il s’agit en fait d’une accumulation de déchets miniers très fins, qui, à première vue, ressemblent à du sable. S’étendant sur neuf mètres d’épaisseur et sur près de six kilomètres de long, elle a fait reculer la mer de plusieurs centaines de mètres, rendant totalement inutilisables les installations portuaires aujourd’hui enfouies. Le sable de cette plage artificielle est hautement toxique. Une toxicité que nie totalement le gouvernement : la baignade est officiellement autorisée depuis 2003.

« De 2001 a 2003, Codelco a prétendument nettoyé la plage et la baie. Le président Ricardo Lagos [président de la République de 2000 à 2006] en personne s’est baigné ici en décembre 2003, devant les médias, pour prouver qu’il n’y avait plus aucun risque sanitaire, raconte Manuel Cortés. Et la municipalité a fait construire trois piscines sur la plage. Pourtant, les dernières analyses du sol indiquent une contamination grave, et il y a autant de nickel dans l’air qu’à proximité d’une centrale thermoélectrique. » Chañaral est d’ailleurs la commune qui compte le plus de morts par tumeurs au niveau régional, selon le service de santé d’Atacama.

Si aujourd’hui les déchets de la mine El Salvador ne sont plus rejetés directement dans la baie, c’est grâce à l’action des citoyens qui, en 1988, ont saisi la Cour suprême pour faire interdire cette pratique. Codelco a été contraint de faire construire un canal de décantation des déchets, mis en service en 2001. « Les eaux usées sont acheminées sur 78 kilomètres jusqu’à Caleta Palito, au nord de la baie. Les déchets solides tombent dans le fond du canal, et l’eau claire qui reste en surface est rejetée dans la mer… », explique Manuel Cortés. Malgré cette première victoire, le combat des habitants de Chañaral continue : « Nous exigeons la reconnaissance et la réparation des dommages subis par notre communauté. Nous réclamons le droit à vivre dans un environnement libre de contamination, comme le garantit l’article 19 de notre Constitution », martèle Manuel Cortés.

L’eau du Sud : source d’énergie pour les mines du Nord

Sa colère contre l’impunité des sociétés minières, Manuel Cortés la partage avec des milliers de Chiliens, du nord au sud du pays. Si les mines pompent l’eau du Nord, elles utilisent également indirectement l’eau du Sud, pour s’approvisionner en électricité. Si le nord du Chili est désertique, le sud est pour sa part très riche en eau, avec de nombreux lacs, fleuves et torrents, propices à l’installation de centrales hydroélectriques. Une énergie propre mais à l’impact environnemental non négligeable : les centrales fonctionnent grâce à la construction de grands barrages qui déséquilibrent totalement les systèmes hydriques, asséchant certains cours d’eau et inondant des zones sèches.

À Neltume, une localité située à 800 kilomètres au sud de Santiago, de nombreuses communautés mapuches sont mobilisées depuis 2006 contre le projet de construction de trois centrales hydroélectriques qui provoquerait l’inondation de 160 hectares de terres indigènes, dont une zone pourtant déclarée « réserve de la biosphère » par l’Unesco en 2007. L’énergie produite serait bien supérieure aux besoins locaux en électricité : « L’électricité produite au Sud, au détriment des populations locales, sert à alimenter en énergie les mines du Nord, dont les bénéfices profitent bien plus aux multinationales étrangères qu’à l’économie chilienne », dénonce Marcela Mella, porte-parole de l’association No a Alto Maipo, qui lutte contre l’installation d’une centrale hydroélectrique à quelques kilomètres de Santiago. Selon les chiffres émis par la Commission nationale d’énergie, la demande d’électricité du pays a été multipliée par quatre ces vingt dernières années, « ce qui est normal pour un pays minier, plus gourmand en énergie qu’un pays dont l’économie est basée sur d’autres types de services », a déclaré l’institution au journal La Tercera. Pour un pays qui ne dispose pas de ressources pétrolières ou gazières notables, l’énergie hydroélectrique s’impose comme la solution pour soutenir l’activité minière.

Une pression citoyenne efficace

La mobilisation citoyenne réussit cependant parfois à contrecarrer les projets industriels, comme celui baptisé HidroAysén. La transnationale espagnole Endesa prévoyait de construire une centrale hydroélectrique et cinq barrages en Patagonie ainsi qu’une ligne à haute tension de 2 000 kilomètres de long pour assurer l’acheminement de l’énergie produite jusqu’à Santiago. Sept ans de mobilisation citoyenne dans tout le pays ont finalement conduit au rejet du projet par le gouvernement en juin 2014. Face à ces difficultés d’acceptation des grands projets électriques, certaines mines mettent en place des solutions pour produire elles-mêmes une partie de leur électricité grâce à des champs de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes.

Le besoin des entreprises de redorer leur blason environnemental, d’être acceptées par les populations locales et d’anticiper un éventuel assèchement des sources d’approvisionnement en eau douce conduit les ingénieurs des mines à chercher des solutions pour résoudre les problèmes liés à l’eau. Ainsi, de nombreuses mines privilégient désormais l’usage d’eau de mer à celui d’eau douce [1]. Le groupe BHP Billiton construit actuellement, au sud d’Antofagasta, la plus grande usine de dessalement d’eau de mer du continent – d’une capacité de traitement de 2 500 litres d’eau par seconde – pour alimenter l’une de ses mines d’extraction de cuivre.

D’autres groupes, comme Antofagasta Minerals, ne dessalent qu’une petite partie (8 %) de l’eau de mer qu’ils utilisent, le sel ne nuisant pas à la plupart des procédés de traitement du cuivre. Grâce à l’eau de mer, les mines réduisent significativement leurs besoins en eau douce et donc leur impact environnemental [2]. Selon les estimations de la commission chilienne sur le cuivre (Cochilco), ce procédé permettrait de stabiliser la demande en eau douce de l’industrie minière autour de 550 millions de mètres cubes annuels à partir de 2016.

Cette technologie représente un surcoût de production pour l’industrie, qui doit par ailleurs faire face à une baisse du prix du cuivre. Mais elle ne diminue en rien l’intérêt économique que représente le secteur, dans un pays où l’impôt minier est très faible (de 3 à 15 % en fonction des minerais et seulement pour les mines dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 7 millions d’euros). Les bénéfices annuels réalisés au Chili par les principales sociétés minières représentent environ 12,5 milliards d’euros. Des chiffres qui expliquent la volonté des mines de développer des solutions garantissant leur approvisionnement en eau et en électricité sur le long terme.

Ces initiatives limitent sans aucun doute l’impact des mines sur l’environnement, mais n’apportent cependant aucune solution à la gestion des déchets miniers qui s’accumulent dans les piscines à proximité des cours d’eau. Elles ne changent en rien la situation des habitants de Quillagua, Cancosa, Chañaral et des centaines d’autres localités sinistrées par l’industrie minière, qui voient leur environnement et leur économie détruits en totale impunité, au nom d’une course aux profits à laquelle ils ne prendront jamais part.

Anne Le Bon

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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 18:03

 

Source : https://blogs.mediapart.fr

 

 

 

MEDEF : une mesure révolutionnaire contre le chômage

 

 

 
 
Pour lutter contre le chômage, le patronat demande l'extension du bénévolat à tous les emplois utiles à la société.

 

Joies de la pauvreté créative ( Joies de la pauvreté créative ("les cinq étages du monde parisien") © Bertall (1845)

 

Il ne sera pas dit que le MEDEF reste les bras croisés face à la catastrophe économique et sociale que représente le chômage de masse dans notre pays. Dans une lettre ouverte au premier ministre et publiée hier dans un hebdomadaire dominical, le patronat se mobilise en demandant au gouvernement des mesures radicales visant à supprimer définitivement la charge que représente, pour les entreprises, la rémunération, même faible, des emplois productifs et utiles à la société.

Cette proposition, présentée par le patron des patrons comme "révolutionnaire", se fonde sur un constat simple. « Il y a aujourd'hui, observe Pierre Gataz, une part encore trop importante des salariés qui réalisent des tâches qui par leur caractère productif, créatif ou social n'ont pas basculé dans la modernité de l'emploi idiot et inutile. Ce différentiel qualitatif constitue une inégalité entre les employés. C'est une question de bon sens : on ne peut pas avoir en même temps la satisfaction d'effectuer un boulot pas trop stupide, voire éprouver du plaisir au travail et en plus vouloir être payé. Il est logique que le plaisir soit de l'ordre de la dépense et non du gain financiers. »

Ainsi, tous les emplois de production ou à caractère sociaux ne devraient plus être rémunérés par les entreprises. Le MEDEF remarque par ailleurs que la tendance positive au travail gratuit s'intensifie dans l'ensemble des professions artistiques et intellectuelles. Le recours au bénévolat devra être généralisé, voire inscrit dans la loi. Ouvriers, infirmiers, agriculteurs, journalistes, professeurs, écrivains, artistes (y compris de cirque), éducateurs, aides à domicile, réparateurs : autant de métiers pour lesquels la joie éprouvée au travail compenserait le train de vie modeste que pourrait facilement leur assurer de maigres allocations versées par l’État. On sait combien Pierre Gataz, sous la douche et l’œil qui frise, aime à entonner ce refrain : « la bohème, la bohème, ça veut dire on est heureux... ».

Dans cette perspective, et pour remotiver ceux qui se lancent courageusement dans des carrières idiotes, seuls seraient rémunérés les emplois d'audit, de contrôle, de gestion des ressources humaines ou les tâches administratives dont l'intérêt pour le travailleur comme pour la société est absolument nul. Libérer les entreprises des salaires versés aux emplois productifs permettrait la création de milliers de contrôleurs des travaux finis, de livreurs de pizza nocturne, de gardiens devant la supérette, de vendeurs de temps de cerveau disponible et de producteurs de rapports en dix exemplaires, tout en préservant les dividendes des actionnaires.

La ministre du travail semble accueillir favorablement cette proposition originale et déjà des discussions sont en cours pour mettre en place deux nouveaux contrats destinés aux jeunes, diplômés ou non, qui devront s'engager et choisir entre « un boulot de bolos pour un salaire de trimard» et « un boulot swag pour peau d'zob ». Le ministère du travail espère ainsi faire baisser enfin la courbe du chômage avant la grande primaire de toutes les gauches prévue pour les calendes grecques, que le candidat Hollande a déjà largement remportée.

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Source : https://blogs.mediapart.fr

 

 

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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 17:39

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

 

Revenu universel : le projet du siècle !
 

Enfin un vrai sujet ! Enfin une idée, lâchée cette fois pour de bon (mais par une ministre, Myriam El Khomri, considérée comme une des plus faibles du gouvernement...), qui permettra de nous poser de vraies questions, de nous poser même l’essentiel des questions que pose le politique autour d’un débat unique qui pourrait se révéler splendide.

Depuis trente ans que chaque élection enfante un nouvel échec, que chaque espoir fabrique une désillusion, on avait pris l’habitude de penser que la montagne politique devrait toujours accoucher d’une souris technique, que c’était cela, désormais, la politique, réduite aux acquêts des maigres « marges de manœuvres » laissées par l’Europe et la mondialisation.

Et voila qu’aujourd’hui la souris s’apprête à accoucher d’une montagne ! Et c’est au moment où on s’y attendait le moins, au moment même où nous semblions atteindre le fond du fond du gouffre, avec cette sottise de déchéance de nationalité qu’une seule question suffit à ridiculiser : qu’est-ce qu’on fait si « l’autre pays » décide de dégainer la déchéance avant nous ?

L’idée de revenu universel, si on ne la caricature pas, pourrait se transformer en projet du siècle, projet de notre siècle, cent ans après l’instauration de l’impôt sur le revenu. 

Communauté, liberté et sécurité

Comment comprendre la violence des replis identitaires tous azimuts qu’on observe aujourd’hui : nationalistes, régionalistes, religieux – et pas seulement en islam : juifs, catholiques, protestants évangélistes... se repliant comme rarement dans leurs certitudes magiques ? Le spectaculaire processus de libéralisation – économique et culturelle – de ces dernières décennies n’y est sans doute pas pour rien. Vivre sous le froid régime de ce double libéralisme apparaît plus compliqué que prévu. Pour les plus vulnérables, cela peut s’apparenter à une double peine. L’Etat moderne hérité des Lumières a mis à bas les communautaristes étroits et leur étouffante logique de superstition et de domination. Que cet Etat – qui a pris en France la forme de l’idéal républicain – deux siècles plus tard, vienne à s’affaisser à son tour, et l’individu se retrouve nu comme un vers. Ce qui, autour de lui, constituait son univers de référents symboliques, le politique allié à l’intellectuel l’ont sauvagement combattu puis patiemment déconstruit. Au-dessus de lui, cet Etat-nation toujours si sûr de lui, la même coalition se met, depuis un demi-siècle, martel en tête de le disperser. 

A quoi sert une communauté ? Voila alors la première question du siècle. Nous devons revenir aux bases pour comprendre l’enjeu de ce qui vient. Une communauté, c’est d’abord l’ensemble des gens qui m’entourent – ceux qui comptent pour moi et ceux sur lesquels je peux compter : famille, tribu, clan... quel que soit le nom qu’on leur donne. Je cherche leur reconnaissance, je m’investis pour asseoir ma place parmi eux.

Comment faire vivre cette sainte liberté (mes valeurs et mes choix de vie m’appartiennent), acquise dans la souffrance du siècle des révolutions, sans sacrifier une forme de sécurité existentielle sans laquelle peu de choses dans la vie ne méritent d’être vécues ? 

La fin du travail et la justice

La deuxième question est celle du travail lui-même, de la fin du travail. Ce travail qui, comme chacun sait, nous préserve de trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. Ce travail qui, comme l’avait compris Nietzsche, constitue la « meilleure des polices ».

L’oisiveté pour tous, est-ce là ce qu’on nous promet ? On mesure les périls... ou en tout cas les peurs. Le débat est lancé. Est-ce seulement par nécessité de survivre que je me lève à 5 heures du matin pour prendre mon RER ? Est-ce seulement par nécessité de survivre que Bill Gates, une fois les trois premiers millions amassés, a consacré une énergie non moins remarquable à fabriquer les dizaines de milliards suivants ? 

La troisième question est celle de la justice. Le progrès technologique supprime des emplois humains, la cause est entendue : sinon à quoi servirait-il de remplacer les humains par des machines ? Mais il ne fait pas que cela. Il crée d’autres besoins, d’autres marchés. Et surtout, il ne supprime pas les richesses produites – il a même tendance à les accroître. A qui ces richesses doivent-elles revenir ? A qui appartiennent-elles ?

Il serait beaucoup trop simple, si on est vraiment attaché à réfléchir en termes de justice, de répondre « aux propriétaires des machines ». Le propriétaire des machines a toujours une dette : envers la société dans laquelle il a grandi, bien entendu, mais aussi pour les machines. Le prix qu’il a payé pour les acquérir n’a rien à voir avec le prix réel de leur développement, ce n’est jamais le prix des millénaires de savoirs et de méthodes qui se sont accumulés avant de pouvoir les construire. Il ne paie que leur coût marginal, à un instant donné de notre évolution collective. Qu’il soit récompensé pour avoir su leur trouver le meilleur des usages à l’époque où il vit, c’est justice. Qu’il soit récompensé comme unique démiurge de l’empire néo-industriel qu’il développe, c’est fiction. Cette idée a rarement été aussi forte qu’à l’ère du numérique, où les contributeurs anonymes se comptent par centaines de milliers, autant parmi ceux qui ont réussi, d’ailleurs, que parmi ceux qui ont échoué. 

Voila donc (trop) sommairement esquissées trois des questions auxquelles une société vraiment mûre, vraiment sérieuse, vraiment sûre de ses valeurs et de sa valeur se devrait de commencer à apporter des réponses. Vivement qu’on s’y mette sérieusement !

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 17:09

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Une Europe au service de la majorité, et non d’une élite. Inégalités et pauvreté : il est temps d’inverser la donne en Europe

8 janvier par Alice Graas

 

 

 

CC - Flickr - Michael Coghlan

 

En résumé, il nous explique que les politiques d’austérité appliquées dans tous les pays de l’Union pour faire face à la crise économique ces dernières années n’ont fait que creuser les inégalités déjà présentes. Selon Oxfam, il est donc plus que nécessaire d’opérer un virage radical pour parvenir à une meilleure redistribution des richesses grâce à plus de justice fiscale et sociale.

La crise économique qui sévit actuellement dans nos pays amène ceux-ci à prendre des décisions néfastes, encourageant la paupérisation de la population. Cependant, tandis que les conditions de travail se détériorent, qu’augmente le nombre de personnes en situation de pauvreté, les pourcentages les plus riches de nos populations continuent de gagner chaque année un peu plus, creusant un écart profond entre riches et pauvres dans l’UE et constituant progressivement une société à deux vitesses.

En 2015, Oxfam lance une campagne intitulée « A égalité ! », dans le but de mettre ces processus en évidence et d’inciter les Etats européens à agir à travers une croissance durable et un renforcement de la protection sociale, pour redevenir des exemples en termes de droits humains.

 

Des niveaux de pauvrété et d’inégalité intolerables

Malgré un Produit Intérieur Brut (PIB) moyen par habitant assez élevé (26 600 €/an), la plupart des pays d’Europe connaissent des taux de pauvreté importants. Pour ne citer que quelques chiffres éloquents, en Espagne, Italie, Roumanie, Lituanie et Lettonie, plus de 30% des enfants vivent en-dessous du seuil de pauvreté et sur les 500 millions de personnes habitant l’UE, près de 10% manquent d’argent pour chauffer leur logement ou encore faire face à des dépenses imprévues. Les taux de chômage sont également très importants, puisqu’en 2013, ils dépassent les 15% en Grèce, en Espagne, en Croatie, au Portugal et à Chypre. Mais le manque d’emploi n’est pas la seule raison de l’augmentation du taux de pauvreté, puisque même certains actifs font face à des problèmes pour subvenir aux besoins de leur famille. Dans de nombreux pays européens, les salariés possèdent un pouvoir d’achat plus faible qu’avant la crise financière de 2008.

Face à cette augmentation de la pauvreté, certains individus continuent néanmoins de prospérer : entre 2010 et 2013, le secteur du luxe a progressé de 28%.
Lorsque l’on observe les statistiques, on constate que la répartition des richesses est plus favorable à certaines populations. Genre, âge et origine sont des facteurs qui la font fortement varier. En effet, 85% des milliardaires européens sont de sexe masculin, tandis que les femmes sont six millions de plus que les hommes à avoir un revenu inférieur à 60% du revenu médian. L’écart salarial entre les deux sexes persiste dans tous les pays de l’Union, même s’il varie entre 30% (pour l’Estonie) et 3 % (pour la Suède). On constate une réduction de cet écart, mais celle-ci est davantage consécutive à la réduction des salaires masculins qu’à une meilleure redistribution genrée.

D’autre part, les jeunes sont de plus en plus exposés au risque de pauvreté. Ils sont désormais plus nombreux entre 18 et 29 ans à se trouver en bas de l’échelle de répartition des salaires, place qui était autrefois occupée par des personnes de plus de 65 ans (retraités). En 2013, le pourcentage de jeunes européens vivant dans la pauvreté était de 30%.

Enfin, les migrants |1|
sont également une catégorie très exposée à la pauvreté. La discrimination dont sont victimes ces personnes rend difficile la mobilité sociale. Ici encore, ce sont les femmes qui restent les plus touchées. Cette discrimination est partiellement liée à la croyance répandue et entretenue par les politiciens et certains médias selon laquelle la contribution fiscale des migrants dans l’UE serait inférieure à ce qu’ils reçoivent sous la forme de services de santé et d’aide sociale. C’est totalement faux, et si dans certains pays les migrants apportent une contribution fiscale faible ou négative, ce n’est pas parce qu’ils dépendent davantage d’allocations sociales, mais plutôt parce qu’ils touchent des salaires très bas, et par conséquent contribuent moins que les salariés mieux payés en terme d’imposition.

 

Déséquilibre des ressources : 1% des Européens les plus riches détiennent pratiquement un tiers des richesses du continent.

Les importants taux de pauvreté que l’on retrouve dans l’Union Européenne sont surtout liés à une mauvaise répartition des richesses. Cela apparaît clairement dans le graphique suivant : le 1% les plus riches de la population européenne se partagent 31% des richesses alors que les 40% les plus pauvres doivent se contenter du 1% de richesses restant.

 

Fig. 1 : Répartition des richesses en Europe en %. |2|

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Source : Deborah Hardoon, chercheuse en chef, Oxfam GB. D. Hardoon (2015), http://policypractice.oxfam.org.uk/..., d’après les données du Credit Suisse.
Page 17 du rapport.


Face à l’augmentation de la pauvreté dans l’Union européenne, celle-ci a créé en 2010, dans le cadre de sa stratégie Europe 2020, |3| la « Plateforme contre la pauvreté et l’exclusion sociale ». Malgré cette initiative, les taux de pauvreté continuent d’augmenter dans tous les pays, et l’écart entre les plus riches et les plus pauvres de se creuser.

Si la crise financière est la première responsable de cette situation, les politiques d’austérité qui ont suivi celle-ci dans de nombreux pays ont empiré la récession économique et sociale que subissait déjà la majorité de la population. Pourtant, les États ont à leur disposition un grand nombre d’outils afin de corriger la distribution inégale des revenus et des richesses. Bien mené, un processus de redistribution utilisant l’impôt peut permettre une réduction drastique du coefficient de Gini, |4|
autrement dit des inégalités, par exemple en renforçant la contribution fiscale des riches et en rendant ainsi accessible à tous l’éducation, les soins de santé, les services de garde d’enfants, et d’autres aides pour les plus démunis. Un système de ce type, qui implique une augmentation des dépenses sociales ne sera pas pour autant forcément très onéreux. Le système danois est l’un des plus égalitaires du monde, mais il n’est que le neuvième régime le plus cher des pays de l’OCDE, bien après les États-Unis, où n’existe même pas un système de soins de santé accessible à tous.

 

Le cercle vicieux des inégalités économiques et de la confiscation politique

Le problème réside dans le fait qu’aujourd’hui, pouvoir et politique ne sont plus autonomes mais sont contrôlés par une élite économique. Celle-ci use de son influence pour élaborer des politiques et des réglementations en sa faveur et aux dépens des plus démunis. Cela a pour conséquence de renforcer les inégalités en même temps que le pouvoir des plus riches. De plus, face à cela, les plus pauvres ne bénéficient d’aucun pouvoir pour promouvoir des politiques plus égalitaires.

Le lobby financier est en effet très puissant dans l’Union européenne. Il œuvre avec force pour influencer les décisions, aux dépens des syndicats et des organisations de la société civile. D’autre part, les pays européens font preuve d’un manque cruel de transparence, d’intégrité et d’égalité concernant l’accès à la réglementation sur le lobbying. La société civile œuvre pour le suivi et l’analyse des dépenses consacrées au lobbying, à travers des organisations telles que le site LobbyFacts.eu. Ce n’est pourtant pas suffisant. Selon Oxfam, les politiques ont eux aussi leur rôle à jouer en matière de législation, par exemple en renforçant la transparence en matière de lobbying.

Les citoyens européens ne sont pas dupes de cette prise de pouvoir des intérêts privés. Ils sont nombreux à être très désabusés vis-à-vis de leur gouvernement, de leurs institutions nationales, mais également des institutions européennes, en particulier dans les pays qui souffrent le plus des conséquences de la crise financière mondiale (Grèce, Italie, Espagne).

On l’a vu, les politiques sociales sont en danger en Europe à cause de l’obéissance de nos leaders à un néo-libéralisme sans frein. Les décisions prises sont souvent en contradiction totale avec les besoins de la majorité de la société. La privatisation des services publics ou encore la réduction des taux marginaux supérieurs |5| en sont des exemples criants. Un autre est celui des politiques adoptées par de nombreux États européens depuis 2008 pour faire face à la crise financière, sous l’influence de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). Celle-ci emploie deux mécanismes pour orienter les politiques des États selon son bon vouloir. Le premier mécanisme, ce sont ses « programmes ». Ils permettent à des pays demandeurs d’accéder au crédit en échange de coupes budgétaires dans les services publics, encourageant la privatisation de ceux-ci. Le second mécanisme, c’est le pacte fiscal. Celui-ci exige que ratio dette-PIB ne dépasse pas 60%, et interdit aux pays de s’endetter de plus de 0,5% du PIB chaque année. Les États sont obligés de ratifier ce pacte pour pouvoir bénéficier du mécanisme européen de stabilité |6| et le transgresser peut donner lieu à des sanctions financières. Ces deux mécanismes protègent encore des intérêts privés en ignorant les besoins sociaux des citoyens européens.

Ainsi, depuis 2008, les institutions européennes ont vivement encouragé les Etats à privatiser les services publics (transports, eau, énergie, santé, etc.). En parallèle, elles ont pratiquement imposé une série de mesures d’austérité impliquant des coupes dans les dépenses publiques, ce qui a rapidement amené au démantèlement de mécanismes permettant de diminuer les inégalités. La réduction des aides à l’éducation et à la formation aura principalement des impacts sur les plus démunis, puisqu’elle empêchera des enfants issus de foyers plus pauvres de profiter d’une scolarité plus longue et de qualité. A contrario, les élèves issus d’un milieu plus aisé ne seront pas affectés par cette situation. Les restrictions ont également un impact plus important sur les femmes. Parce qu’elles représentent la majorité des fonctionnaires de l’État, mais aussi parce que la réduction des services publics en matière de santé, d’éducation et de garde d’enfants a pour conséquence une augmentation du travail domestique, aujourd’hui encore majoritairement réalisé par les femmes. Certaines prennent donc la décision de travailler à temps partiel pour pouvoir mieux assurer leurs responsabilités au sein de leur foyer, percevant alors un salaire plus faible.

A côté de ces mesures d’austérité et de ces privatisations, les pays européens ont également assoupli la réglementation en matière d’emploi et ont limité les droits des employés. Ceci a eu comme conséquence de déréguler le marché du travail. De plus, les processus de négociation collective ont été affaiblis, en même temps que les salaires dévalués, laissant peu d’armes aux travailleurs pour défendre leurs droits.

 

Des régimes fiscaux injustes

« Dans l’UE, la fiscalité n’a jamais été aussi intéressante pour les hauts revenus, les plus fortunés et les grandes entreprises les plus rentables ». |7| En effet, toutes les dernières réformes fiscales se sont avérées bénéficier exclusivement aux plus nantis : diminution des impôts sur les hauts revenus voire suppression de l’impôt sur les fortunes, et a contrario, hausse des taxes sur la consommation et coupes budgétaires dans les systèmes de protection sociale. Cette stratégie a des conséquences néfastes pour les revenus les plus faibles et intermédiaires, ce dans tous les pays d’Europe. D’autre part, et en dépit du principe de solidarité supposé unir tous les pays membres, une concurrence fiscale préjudiciable s’installe dans l’Union. Les plus grandes fortunes migrent dans des paradis fiscaux comme le Luxembourg, Andorre ou Monaco, et certaines entreprises s’implantent dans des pays à la fiscalité avantageuse à seule fin de réduire leurs impôts. Cette situation pose un problème tel que la Commission européenne a adopté deux recommandations pour les États membres concernant les paradis fiscaux et la concurrence fiscale déloyale. Celles-ci n’ont cependant que peu de suivi, car les États manquent de volonté politique ou de confiance pour décider d’agir conjointement.

Progressivement, néanmoins, l’Europe se réveille et adopte des mesures pour une plus grande justice fiscale. Les entreprises sont cependant bien plus épargnées que les fortunes privées. Même si la Commission fait des efforts vers plus de transparence et d’harmonisation concernant la fiscalité des entreprises, les propositions énoncées ne sont pas assez radicales pour améliorer la situation durablement et efficacement.

 

Exigeons un agenda au service de la majorité et non d’une élite

Pour obtenir une plus grande justice sociale et une redistribution de ressources, il est nécessaire que les États investissent dans les dépenses sociales, de santé et d’éducation. Il parait dès lors évident que les politiques d’austérité ne sont pas une solution à la crise, puisqu’elles ne font que creuser encore davantage les inégalités. Pour preuve, « les États de l’UE qui investissent plus dans les politiques sociales (santé, éducation), qui disposent de bons systèmes de protection sociale et qui soutiennent le marché du travail de façon flexible sont parmi les plus prospères de l’Union […], et résistent mieux à l’impact négatif de la crise financière sur le plan social et économique ». |8|

Ceci nous montre clairement que l’austérité est une politique basée exclusivement sur les intérêts de l’élite économique et financière. En effet, malgré les impacts néfastes qu’elle a sur les citoyens, et les critiques qu’elle suscite de la part de la société civile, elle continue d’être appliquée sans répit. Pour le CADTM comme pour d’autres mouvements radicaux, ces politiques ne sont qu’une excuse pour faire disparaître les conquêtes sociales obtenues par la classe travailleuse depuis des décennies. D’autre part, appliquées comme solution à la crise de la dette publique de 2009-2010, elles font payer celle-ci à ceux et celles qui ne l’ont pas provoquée et ne font que la subir depuis plusieurs années.

Quatre démarches politiques sont tout d’abord indispensables : renforcer la démocratie institutionnelle et améliorer la transparence des processus décisionnels, sanctionner les lobbyistes qui agissent de manière illégale ; cesser les politiques d’austérité et réinvestir dans les services publics et cesser les privatisations, créer des systèmes de protection sociale qui répondent aux besoins des plus vulnérables (femmes, jeunes et migrants, ou encore ménages à bas revenus) ; garantir un travail et des salaires décents, renforcer les systèmes de négociation collective ; et enfin améliorer la justice fiscale, en restant attentif à l’impact des politiques fiscales sur les pays en développement. |9|

Pour le CADTM, il faut également s’attaquer à la source du problème, autrement dit la dette. Pour pouvoir continuer à payer celle-ci, les pays entrent dans une spirale infernale dans laquelle ils sont chaque fois obligés d’emprunter davantage pour rembourser des intérêts qui ne cessent d’augmenter. La Troïka accepte que les pays continuent à emprunter en contrepartie de quoi elle leur impose de mettre en place des mesures d’austérité tout autant antisociales qu’inefficaces. On a vu le résultat en Grèce : malgré la prise de certaines mesures néolibérales dictées par les institutions européennes et qui se sont révélées catastrophiques pour la population, la dette grecque est passée de 129 % du PIB en 2009 à 179 % en 2014 ! Il est donc nécessaire de réaliser un audit de la dette, en incluant les citoyens européens dans le processus. Ensuite, il faut systématiquement exiger l’annulation de la partie illégitime de la dette (la partie dont la population n’a pas bénéficié), si nécessaire de façon unilatérale (autrement dit sans consulter le FMI) et mettre en œuvre une série de mesures nécessaires, comme la socialisation du secteur bancaire, la taxation des couches les plus riches, des patrimoines et des grosses entreprises, l’augmentation des dépenses publiques, etc. afin de permettre à tous les pays de l’Union de s’acheminer vers la justice sociale et la (vraie) démocratie. |10|

 

 
Notes

|1| Le terme fait ici référence tant à des personnes nées en dehors de l’Union qu’aux enfants nés en Europe de ces personnes.

|2| Id ibid. p. 17.

|3| -Cette stratégie a pour but d’établir une croissance inclusive tout en améliorant le contexte social au sein de l’Union. Elle vise à extraire 20 millions d’Européens de la pauvreté en luttant en parallèle contre l’exclusion sociale.

|4| -Le coefficient de Gini mesure l’ampleur des inégalités dans la société, qu’il évalue entre 0 et 100, 0 désignant une égalité parfaite (chacun dans la société possède la même chose) et 100 une inégalité absolue (une seule personne possède tout).

|5| Le taux marginal est le taux auquel les revenus sont taxés. Il augmente en fonction de la tranche de revenus dans laquelle on se situe. Le taux marginal supérieur correspond au taux auquel la tranche la plus élevée est taxée.

|6| Le mécanisme européen de stabilité est une institution qui permet d’aider des Etats en difficulté économique, à travers une aide financière.

|7| Id ibid. p. 36.

|8| Id ibid. p. 41

|9| Il reste néanmoins nécessaire d’adapter ces quatre principes aux contextes intentionnels et nationaux.

|10| Pour un texte plus complet sur l’analyse du CADTM de la situation européenne, se référer à l’excellent « Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité » d’Olivier Bonfond aux Editions Aden. La situation en Belgique n’est bien sûr pas la même que dans tous les pays européens, mais les méthodes pour combattre la dette sont susceptibles d’être transposées dans la plupart des Etats de l’Union.

Auteur

Alice Graas

 

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

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10 janvier 2016 7 10 /01 /janvier /2016 21:34

 

Source : https://mrmondialisation.org

 

 

Monsanto en détresse. La fin est-elle proche pour la multinationale ?

 

 

10 janvier 2016

À tort ou à raison, Monsanto est considérée par nombre d’écologistes comme la multinationale la plus détestable et détestée au monde. Son emprise sur le secteur de l’agriculture via ses organismes génétiquement modifiés ne l’a pourtant pas protégée d’une lourde crise…

 

Son but officiel (ou commercial) était d’améliorer le sort de l’humanité par le biais de la prolifération des OGM et des pesticides qui vont avec. Pour ce qui est d’avoir sauvé le monde, on peut émettre des doutes, mais en matière d’objectif économique, la multinationale va atteindre ses objectifs avec une croissance soutenue depuis plusieurs années. En effet, la société tentaculaire détient aujourd’hui le monopole du marché des semences transgéniques dans le monde. En matière d’intrants chimiques, son herbicide Roundup inonde le marché mondial de l’agriculture malgré son classement en « probablement cancérogène » par l’OMS en mars 2015 et les divers scandales qui frappent le produit. À titre d’exemple, une université révélait en octobre 2015 que 85% des tampons et serviettes contenaient des traces du fameux herbicide. Qu’on redoute ou non l’utilisation des OGM, il est désormais impossible d’échapper à Monsanto et à son lobbying forcené, jusque dans notre intimité.

Si certains la disent plus puissante que les gouvernements, Monsanto n’est qu’une entreprise cotée en bourse comme les autres. Elle répond à la demande du marché (gouvernements/consommateurs) et sa survie dépend de la confiance des investisseurs en sa capacité à générer des bénéfices. En 2015, l’Union Européenne autorisait la commercialisation de 19 OGM, dont 11 de Monsanto. Cet appel d’air ne suffira pas à relancer la multinationale qui, fin 2015, annonçait une chute de 15,5% de ses bénéfices en l’espace d’un an. Dans le même temps, en France, le groupe était condamné par la cour d’appel de Lyon pour l’intoxication d’un agriculteur français qui utilisait l’herbicide Lasso. Ce recul de 2.31 milliards de dollars sur son dernier exercice fiscal avait contraint l’entreprise à devoir se séparer de 2.600 travailleurs, soit 13% de ses effectifs.

 

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Mais la chute ne s’arrête pas là

 

Début 2016, le ralentissement des ventes des semences transgéniques dans le monde continue de frapper le géant américain. De plus, nombre de pays poursuivent le gel de la commercialisation du désherbant vedette Roundup. Ce mercredi 6 janvier, Monsanto a donc annoncé une nouvelle suppression de 1.000 emplois supplémentaires d’ici 2018. Une « décroissance » forcée qui devrait lui coûter jusqu’à 1,2 milliard de dollars de restructuration tout en lui faisant économiser 400 millions de dollars par an. Malgré ses efforts, les prévisions 2016 sont loin d’être encourageantes pour la multinationale qui envisagerait une fusion de sauvetage avec le groupe chimique suisse Syngenta. Cependant, la multinationale conserve des ressources mais sa survie dépendra de l’évolution du marché ces prochaines années.

Monsanto serait-il rattrapé par les enjeux environnementaux qui mobilisent de plus en plus les citoyens et le débat public ? Rien n’est certain à ce stade. Dernièrement, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a jugé « improbable » le caractère cancérogène du glyphosate, lavant de tout soupçon, par la même occasion, le Roundup de Monsanto. S’opposant de plein front aux conclusions scientifiques de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’EFSA a adopté une méthode d’étude très controversée, observant le produit dans sa composition chimique simple, et non pas le produit commercialisé et au contact de la population (lire notre article pour comprendre). Ce rapport est pourtant supposé éclairer les décideurs de la Commission Européenne qui devra prochainement réévaluer les autorisations de commercialisation du produit dans l’Union. Cette décision pourrait jouer un rôle décisif quant à l’avenir de Monsanto mais également de toute l’alimentation industrielle en Europe.

Rappelons à toutes fins utiles que des alternatives biologiques au Roundup, sans danger pour l’Homme, existent dès à présent. Citons par exemple Osmobio, une entreprise française qui propose une alternative naturelle au glyphosate. Jacques Le Verger, à l’origine de cette innovation, attend cependant l’autorisation de mise sur le marché de son désherbant biologique depuis trois ans. Deux mondes aux logiques diamétralement opposées semblent se disputer l’avenir de la planète et les prochaines décisions des gouvernements pèseront fortement dans la balance. On rappellera que 200.000 agriculteurs et 3 millions de jardiniers utilisent le Roundup en France et que les semences Monsanto se retrouvent sur 25% des terres cultivables françaises.

 

MonScarecrow_Freda_webAnthony Freda


Source : lesechos.fr / Illustration à la une Anthony Freda

 

 

Source : https://mrmondialisation.org

 

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9 janvier 2016 6 09 /01 /janvier /2016 18:13

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Foot business

Quand la France vend ses terres agricoles au Qatar

par

 

 

« Vendre notre plus beau patrimoine au Qatar », propriétaire du PSG, est « une énorme faute ». Léonce Vilbert, ancien élève d’AgroParisTech, exprime sa colère dans une pétition en ligne, après avoir appris que le club de foot du PSG aurait choisi selon Le Parisien, de déménager son centre d’entraînement et de formation sur le site de son ancienne école d’ingénieurs agronomes.

Il faut dire que le site abritant AgroParisTech, mis à la vente par l’État, n’est pas anodin. Situé à Thiverval-Grignon, à 30 kilomètres de Paris, il comprend notamment un château Louis XIII, de nombreux bâtiments d’époque, un parc de 291 hectares et une ferme d’expérimentation sur 219 hectares. En lieu et place, rapporte Le Parisien, le PSG prévoit 18 terrains de football, un stade de 5 000 places et un parking de 1 000 places, pour une enveloppe globale de 300 millions d’euros. Une artificialisation des sols dénoncée par la chambre d’agriculture d’Ile-de-France : dans un communiqué publié le 14 décembre 2015 relatif au projet du PSG, elle affirme faire « front pour éviter la consommation de terres agricoles ».

 

Mobilisation contre l’artificialisation des terres

L’association Yvelines Environnement revient également en détail dans un document sur le site « exceptionnel » de Grignon qui s’étend sur 490 hectares au total. Elle rappelle notamment que le château est « inscrit à l’inventaire des monuments historiques », pointe la recension de plusieurs espèces particulières d’arbres et souligne l’existence d’une « zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique » recelant « des espaces d’un grand intérêt fonctionnel pour la préservation écologique locale ». L’association demande à ce que ce lieu reste « un lieu ouvert aux promeneurs et aux visiteurs du monde entier ». Et interroge : « Le "PSG" saurait-il respecter l’ensemble des contraintes inhérentes à ce site d’exception ? »

La communauté scientifique monte également au créneau. Le conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Ile-de-France a adopté une motion le 26 novembre 2015 qui demande « la protection et la valorisation scientifique et pédagogique du lieu pour les générations futures, dans sa vocation actuelle ». Alors que le PSG refuse pour l’heure de s’exprimer sur le sujet, Léonce Vilbert propose au ministre de l’Agriculture de faire de ce site « un centre International de recherche et d’expérimentation pour la sauvegarde de la Planète, l’alimentation et le bien vivre de ses habitants ». Une proposition partagée par les 7000 personnes qui ont, pour l’heure, signé la pétition en ligne.

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9 janvier 2016 6 09 /01 /janvier /2016 18:03

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Comment l'état d'urgence va entrer dans la procédure pénale
7 janvier 2016 | Par Lénaïg Bredoux et Michel Deléan
 
 
 

Malgré quelques avancées, le projet de loi fourre-tout visant à lutter contre la criminalité organisée et à simplifier la procédure pénale contient des atteintes graves aux libertés, et contourne le juge au profit du préfet et du procureur. Mediapart publie le texte en intégralité.

Un texte fourre-tout, mêlant des mesures liberticides et quelques réformes de bons sens. Le « projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale », dont les grandes lignes ont été dévoilées par Le Monde, et que Mediapart publie ci-dessous dans son intégralité, pose problème. Au point que l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), d’ordinaire modérée, juge certaines dispositions du projet « scandaleuses et dignes d’un État policier », selon sa présidente, Virginie Duval.

 

La philosophie générale du texte, dans sa version transmise au conseil d’État, et susceptible d’évoluer, consiste à donner plus de pouvoirs aux policiers et aux préfets au détriment des procureurs, mais aussi à confier à ces mêmes procureurs des décisions qui relevaient jusque-là de juges statutairement indépendants. Le tout sous couvert d’une nécessaire et indistincte mobilisation contre le terrorisme et le crime organisé, et cela malgré un arsenal législatif déjà renforcé récemment à plusieurs reprises. Les exceptions et les dérogations au droit se multiplient dans ce projet, avec un risque d’arbitraire qui augmente symétriquement. Il s’agit, en fait, de se rapprocher d’une forme d'état d’urgence permanent.

Parmi les mesures censées « renforcer l’efficacité des investigations judiciaires », il est ainsi prévu de faciliter les perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation en matière de terrorisme et de criminalité organisée (article 1er). Jusqu’ici, cela n’était possible que sur décision d’un juge d’instruction ou dans les enquêtes de flagrance (faites dans l’urgence), et à des conditions strictes.

De même, l’usage des valises « Imsi catcher » (dispositifs techniques qui aspirent à distance les contacts des téléphones portables) serait étendu aux affaires de criminalité et de délinquance organisée (article 2) : elles pourraient être utilisées dans les enquêtes préliminaires dirigées par le procureur de la République, avec l’autorisation (préalable ou postérieure) du juge des libertés – c'était une demande de plusieurs magistrats, dont le procureur de Paris François Molins –, et par les juges d'instruction. Quant à l'article 3, il autorise le procureur, sur autorisation du juge des libertés ou de la détention, à prendre des mesures jusque-là réservées à l'instruction (sonorisation, fixation d'images...).

« Le mouvement initié en 2004 avec les lois Perben, qui vise à marginaliser le juge d’instruction indépendant, se poursuit, alors même que le statut du parquet n’a pas été modifié », relève Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (SM, gauche). Elle s’inquiète également d’une « surveillance massive » des citoyens et des « pouvoirs exorbitants donnés aux préfets et au ministère de l’intérieur, avec des atteintes sévères aux libertés ».

 

Des policiers contrôlent les passants après l'attentat contre le commissariat du 18e arrondissement © Reuters Des policiers contrôlent les passants après l'attentat contre le commissariat du 18e arrondissement © Reuters

 

Ces entorses les plus graves aux grands principes du droit se trouvent dans le chapitre 5 du titre 1er, intitulé « dispositions renforçant l’enquête et les contrôles administratifs ». À l’opposé des promesses de campagne de François Hollande d’en finir avec les contrôles au faciès, les pouvoirs des forces de l’ordre seraient étendus en ce qui concerne les contrôles d’identité mais aussi les fouilles de bagages et de véhicules, sur simple autorisation du préfet aux abords d’installations sensibles (article 17).

Serait également créée une mesure de retenue, pour une durée de 4 heures, et sans aucun droit ou presque, d’une personne « lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste », cela pour vérifier son identité et sa situation, et à la seule appréciation des forces de l’ordre (article 18). Des mesures « inacceptables » aux yeux de Virginie Duval, car elles consistent à « écarter l’autorité judiciaire » de sujets graves touchant aux libertés individuelles.

Les règles d’usage des armes à feu des policiers, jusqu’ici limitées aux cas de légitime défense, seraient également assouplies : il deviendrait possible de faire de son arme un usage « rendu absolument nécessaire pour mettre hors d’état de nuire une personne venant de commettre un ou plusieurs homicides volontaires et dont il existe des raisons séreuses et actuelles de penser qu’elle est susceptible de réitérer ces crimes dans un temps très voisin des premiers actes » (article 20). Une formulation qui semble floue, voire dangereuse, à de nombreux juristes.

Le projet de loi renforcerait, en outre « le contrôle des personnes qui se sont déplacées à l’étranger afin de participer à des activités terroristes, et qui, de retour sur le territoire national, sont susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique ». Il s’agirait « de mettre en œuvre différentes mesures de police administrative » avec des obligations. le ministère de l’intérieur pourrait les assigner à résidence ou les obliger à pointer. Cela alors que les personnes ayant commis une infraction sont déjà prises en charge par la machine judiciaire. « Si elles n’en ont pas commis, pourquoi les astreindre à ce qui ressemble à un contrôle judiciaire décidé par une autorité administrative? », demande Virginie Duval.

Le Syndicat des avocats de France (SAF) est lui aussi très remonté contre ce projet de loi. « On est en train de brouiller le principe de la séparation des pouvoirs entre la justice et l’exécutif. Or la justice protège de l’arbitraire, notamment par l’exercice du contradictoire, qui donne des droits tant à la défense qu’aux victimes », juge Florian Borg, le président du SAF. Selon lui, avec ces nouvelles dispositions, « la France s’éloigne lentement d’un État de droit pour se rapprocher d’un État arbitraire ».

Paradoxalement, le projet de loi contient aussi de nombreuses mesures qui ne soulèvent que peu de critiques, et étaient parfois attendues depuis des lustres. Le gouvernement fera d’ailleurs certainement sa communication sur ces « avancées » et ces « clarifications », dont fait partie le « renforcement des garanties en matière d’interceptions de communication » (article 26). Ainsi en va-t-il également des dispositions renforçant la protection des témoins (articles 5 et 6), et de celles visant à lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme (articles 12 à 16). Il est à noter que le renforcement des garanties et la simplification de la procédure pénale, jugés utiles, sont relégués à la fin du projet de loi (articles 23 à 32). L’une de ses mesures consiste à introduire une phase contradictoire dans les enquêtes préliminaires conduites par le parquet (article 25), mais elle inquiète les défenseurs du juge d’instruction indépendant, qui pourrait du même coup être contourné.

 

 

Si le texte ressemble autant à un patchwork sans grande cohérence, c’est qu’il a profondément évolué au fil des mois. À l’origine, le ministère de la justice planchait depuis plus d’un an sur une réforme de la procédure pénale qui devait inclure des transpositions de directives européennes. La manifestation des policiers sous les fenêtres de Christiane Taubira, en octobre dernier, a débouché sur des ajouts destinés à contenter les forces de l’ordre, comme l’assouplissement des conditions d’usage des armes à feu.

Mais ce sont les attentats du 13 novembre qui ont tout chamboulé : malgré le vote de déjà trois lois (deux textes antiterroristes et la loi renseignement) depuis le début du quinquennat, François Hollande et son gouvernement ont très vite annoncé leur volonté de renforcer l’arsenal législatif de lutte antiterroriste. Sont également venues s’y ajouter des mesures préparées par le ministre des finances Michel Sapin pour lutter plus efficacement contre le blanchiment.

 

François Hollande lors des vœux aux forces de police jeudi © Reuters François Hollande lors des vœux aux forces de police jeudi © Reuters

 

Le président de la République s’en est expliqué ce jeudi lors de ses vœux aux forces de l’ordre, dans la cour de la préfecture de police de Paris : s’il a décrété l’état d’urgence dans la nuit du 13 au 14 novembre, et qu’il a été prolongé par le parlement jusqu’en mars, François Hollande ne veut pas le maintenir trop longtemps pour éviter le débat sur l’état d’urgence permanent. « L’état d’urgence n’a pas vocation à durer. Il obéit à des conditions déterminées », a-t-il expliqué devant les forces de police.

Le président avait d’abord suggéré une sortie par paliers – c’était une des dispositions de la réforme constitutionnelle transmise en décembre au conseil d’État. Mais l’instance administrative a fortement critiqué cette piste et le gouvernement a finalement reculé. D’où le choix de nouvelles dispositions législatives qui renforcent certains pouvoirs administratifs.

« Pour sortir de l’état d’urgence sans nous affaiblir, j’ai souhaité que de nouvelles mesures législatives soient adoptées », a affirmé jeudi François Hollande, alors que certains plaidaient pour une prolongation de l’état d’urgence jusqu’à l’Euro de football en juin prochain. À la place, l’article 22 du projet de loi prévoit que l’organisateur d’un match puisse limiter l’accès de certains spectateurs au stade, après avoir demandé à l’administration de vérifier ses fichiers. « La lutte contre ceux qui veulent attaquer nos libertés ne saurait justifier de les amoindrir », a souligné le chef de l’État.

L’exécutif veut à tout prix éviter une polémique sur le caractère liberticide de sa politique. Piqués au vif, après l’article du Monde, les ministres Christiane Taubira et Bernard Cazeneuve ont signé (fait rare) une tribune commune dans le quotidien pour défendre le texte. « Prétendre que le gouvernement procède à une mise à l’écart de la justice est une contrevérité. C’est une offense aux convictions qui n’ont cessé de dicter nos choix dans une période trouble, propice aux dérives, aux manipulations et à la démagogie », écrivent-ils.

Le premier ministre Manuel Valls s’est quant à lui fendu d’un communiqué mercredi pour défendre un texte qui « vient conforter l’État de droit », et souligner que « sept dispositions nouvelles sur les 34 articles que compte ce texte, ont été insérées sur proposition du ministre de l’intérieur ». Le gouvernement attend désormais l’avis du conseil d’État, saisi fin décembre, avant une présentation du projet de loi en conseil des ministres début février.

 

 

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

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7 janvier 2016 4 07 /01 /janvier /2016 17:54

 

Source : http://www.reporterre.net

 

 

Les biens communs, un « nouveau narratif » pour le XXIe siècle

6 janvier 2016 / par Mathilde Gracia (Reporterre)
 


 

 

Les biens communs : un thème à la mode dans les milieux universitaires et intellectuels. Mais en plus d’être un concept porteur d’espoir, les biens communs s’incarnent déjà dans des pratiques concrètes que des militants, des élus et des entrepreneurs font vivre chaque jour. Lors de la dernière Rencontre de Reporterre, un débat animé a eu lieu pour comprendre en quoi ce concept et ces pratiques constituent un nouveau chemin pour le XXIe siècle. Le voici restitué en vidéo.

Niché en haut de la rue Ménilmontant dans le 20e arrondissement de Paris, le bar-restaurant le Lieu dit nous a accueilli une nouvelle fois pour une rencontre en musique afin de conclure notre enquête sur les biens communs. Rien de tel pour commencer le débat que de sonder le public. Alors pour savoir ce qu’évoque le thème du débat chez chacun, un petit quizz distribué dans la salle demandait : pour vous qu’est-ce que les biens communs ?

En tête du classement ce sont les semences qui ont été désignées : 39 voix. En deuxième position : l’eau, les connaissances et la biodiversité avec 36 voix. Puis en troisième position les informations : 35 voix. (Classement complet à la fin de l’article). Enfin, vous n’avez pas hésité à proposer vos propres idées de biens communs : l’amour, le chocolat, la tolérance ou encore… le silence…

 

Les « communs » : une organisation ancienne

Pour lancer le débat, Benjamin Coriat, professeur de sciences économiques à l’université Paris 13 et membre du Collectif des économistes atterrés, a tenu à marquer la distinction théorique entre les biens communs et les communs. Ces derniers désignent une ressource gérée par une communauté qui en est la seule bénéficiaire, avec des règles qu’elle établit elle-même. A l’inverse, les biens communs constituent une ressource qui n’est pas encore gérée en communauté et selon des règles précises. L’enjeu est donc de les reconnaître comme tels afin que des ressources comme la terre ou l’eau soient gérées de manière soutenable.

Et pour Coriat, c’est selon la logique des communs que s’est organisée naturellement la campagne anglaise du XIV au XIXe siècle : avec les commonors. Mais cette époque heureuse n’a duré qu’un temps : les manufacturiers, l’armée, et le Parlement anglais ont favorisé « l’enclosure », la pose de barrières dans les champs, une séparation symbolique pour mettre fin à ce système.

 

Cette privatisation massive des terres s’est accompagnée d’une dégradation de la productivité agricole et de la qualité des sols. Ce sont des études réalisées dans les années 1980 par Elinor Ostrom, économiste récompensée par le prix Nobel en 2009 pour ses travaux sur les communs, qui l’ont mis en évidence (voir ici un aperçu de ses travaux).

Depuis 2003, Terre de liens ravive l’esprit des communs dans le monde agricole. « Nous faisons des communs sans le savoir » s’amuse Philippe Cacciabue, gérant chez Terre de liens. L’association est une « machinerie », explique-t-il, qui consiste à acheter des terres pour les louer à des paysans en installation. Une foncière au fonctionnement complexe, qui doit passer par le marché (en achetant) et par l’Etat (avec des subventions) pour confier la terre à ceux qui en prendront soin.

 

 

 

L’espace public et numérique à se réapproprier

Quelle est la place de l’Etat dans le processus de reconstitution des communs ? Laurence Comparat, adjointe au maire de Grenoble en charge de l’accès à l’information estime qu’il doit accompagner tout en restant ouvert aux initiatives citoyennes. A la mairie de Grenoble, les élus ont pris plusieurs mesures allant dans le sens d’un retour aux communs : la mise en place de jardins publics, la remunicipalisation de l’eau… La suppression de la publicité dans les rues de la ville est la mesure qui a fait le plus grand bruit, ce qui a étonné les élus. « Quand on parle de libérer l’espace public de la publicité, du monde marchand, ça n’est pas anodin », en conclut Laurence Comparat.

 

 

S’il y a un espace qui bouleverse les formes traditionnelles de propriété, c’est bien Internet. Pour Benjamin Coriat, il permet de re-créer des communautés, et présente un espoir pour l’idéologie des communs. Le savoir et la connaissance sont au centre du réseau connecté. Christophe Henner est responsable de Wikimédia France, et plaide pour un accès à tous à la culture. Une volonté qui va à l’encontre des sociétés chargées de gérer la propriété intellectuelle et les droits d’auteur. Pour Christophe Henner, il s’agit aussi de bousculer l’idée qu’un sachant donne son savoir à un apprenant, et affirmer que les apprenants échangent dans une interaction positive.

Logiciels libres, quantités d’objets de consommation en accès libre… pour Benjamin Coriat si les « communs » se sont multipliés dans le domaine de l’information et de la culture c’est en réponse à « folie d’extension de la propriété intellectuelle » opérée à partir des années 1970 : gènes humains, algorithmes mathématiques, droits d’images des monuments parisiens ont été appropriés. Cette tendance a généré une forte
contestation de la part des artistes, chercheurs et intellectuels...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : http://www.reporterre.net

 

 

 

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7 janvier 2016 4 07 /01 /janvier /2016 17:42

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Alternatives de proximité

Au Café des pratiques, on fait bien plus que boire un verre, on réinvente le bar de quartier

par

 

 

 

À Besançon, le Café des pratiques a réussi son pari : ouvrir ses portes à des gens de tous âges, de tous milieux et de toutes les cultures. Et pas seulement autour d’un verre assis en terrasse : du cours d’informatique à la réparation d’objets, en passant par des ateliers de cuisine ou de loisirs créatifs pour enfants, chacun peut y apprendre ou y enseigner des savoir-faire très variés, en toute convivialité. Une monnaie locale y est même acceptée. Reportage réalisé en partenariat avec le magazine Lutopik.

Avec sa large vitrine où s’affiche le menu, rien, de prime abord, ne différencie ce café d’un autre qui proposerait une restauration le midi. Mais une fois la porte poussée, la décoration évoque plus un atelier d’artistes qu’un troquet. Des poteries sur les étagères, des peintures qui sèchent, pendues à des fils, une sorte de grand métier à tisser et un mobilier disparate accueillent ceux qui franchissent la porte du Café des pratiques, ouvert depuis maintenant cinq ans à Besançon, en Franche-Comté.

Ce jour-là, quelques personnes âgées ont apporté leur ordinateur portable pour un cours d’informatique. Elles papotent autour d’une table, tandis qu’une petite dizaine d’enfants en tablier fabriquent un bonhomme en gazon dans une autre partie de la grande salle. Dans la pièce d’à côté, des gros matelas amortissent les chutes des mômes qui se jettent joyeusement dessus, au milieu de jouets en libre service.

 

700 ateliers par an

À l’initiative de ce lieu, Élisabeth et Maki, deux jeunes femmes ayant en commun des enfants en bas âge. La première est plasticienne de formation et férue d’éducation populaire. La seconde, qui arrive du Japon, où elle enseignait le français, est mère au foyer créative (elle fabrique des vêtements pour ses enfants, des bijoux, des gâteaux, etc.) et un peu isolée. Alors quand Élisabeth lui suggère de créer un café convivial, Maki accepte rapidement. Ensemble, elles conçoivent un lieu destiné à tous, quels que soient l’âge, le milieu et la culture, et où le « faire » est valorisé.

 

 

Jardinage, bricolage, artisanat, informatique, cours de langue, lectures publiques, musique, etc., le lieu propose une quinzaine d’ateliers par semaine (plus de 700 par an), et sert des repas faits maison tous les midis. Le rapport entre ces activités ? Elles permettent à chacun d’« exercer ses puissances, selon le concept de Gilles Deleuze », et s’inscrivent dans une culture qui a « d’abord une fonction d’émancipation et d’interrogation critique sur la représentation du monde », rappellent les créatrices du Café des pratiques sur le site Internet.

 

Une monnaie locale et un « Caférépartout »

Les animations sont encadrées par des professionnels ou des bénévoles, et sont le plus souvent gratuites. Sinon, leur prix est compris entre un et cinq euros. Les intervenants bénévoles peuvent être payés en « pratiques », la monnaie locale. Grâce à un taux de change avantageux, elle permet de fidéliser la clientèle et d’offrir des avantages à ceux qui disposent de peu de moyens.

Parmi les ateliers récurrents, il y a par exemple le « Caférépartout ». Une fois par mois, et gratuitement, chacun peut apporter ses objets cassés et, avec une équipe de bricoleurs bénévoles, tenter de redonner vie à l’objet au lieu d’en racheter un neuf. « Aujourd’hui, les objets sont partout et peu chers. On ne prête plus attention à la matière, aux savoir-faire. On voulait valoriser ces pratiques artisanales et artistiques », explique Élisabeth.

 

Une envie partagée par Maki, même si ses motivations sont différentes. « Je ne suis pas une militante. Mais j’aime découvrir et faire découvrir. Au Japon, on voit les gens faire, travailler. Ici, ce n’est pas aussi évident, les ateliers sont fermés, les cuisiniers cachés en cuisine. » Une première réunion d’information, en juin 2010, permet de mobiliser une dizaine de bénévoles et de récolter quelques dons. L’association est créée dans la foulée. Aujourd’hui, entre trente et quarante bénévoles s’investissent régulièrement dans le Café.

 

« Voir du monde, être entouré d’amis et d’enfants »

Au Café des pratiques, on croise des mamies et des papys, des parents et des enfants, des gens du quartier ou parfois de beaucoup plus loin. Pour Jean, un retraité du quartier et habitué de l’atelier informatique du jeudi matin, ce moment est l’occasion de se perfectionner sur l’ordinateur, mais, surtout, de « voir du monde, d’être entouré d’amis et d’enfants ». À côté, deux mamans dont les enfants jouent sur les coussins discutent autour d’un café, tandis qu’un père et sa fille ont déballé un jeu de société.

À midi, Neelo dresse les tables pour le déjeuner. La jeune femme est en contrat aidé au Café depuis presque deux ans. En plus de faire l’accueil et le service, Neelo, comme les autres employés, encadre des animations et s’investit dans les lieux. En retour, l’expérience qu’elle a acquise avec les enfants au Café des pratiques lui a permis de valider son CAP petite enfance.

 

 

Parmi la vingtaine de clients attablés ce midi, des travailleurs du quartier, et trois habitués du Café, militant dans des associations locales et venus manger ici pour soutenir le lieu. Le menu a été préparé par Maki, aidée de deux bénévoles, le cuisinier étant en arrêt maladie. « Nous souhaitions dès le départ un lieu ouvert à tous, mais je suis toujours surprise de voir, à ce point-là des gens, de tous horizons », indique Maki. Certains passent seulement boire un verre, d’autres pour manger, participer occasionnellement ou régulièrement aux ateliers, ou encore s’investir dans un projet personnel ou collectif.

Des projets portés par les adhérents

En offrant la possibilité de cuisiner pour des clients, le lieu permet, par exemple à ceux qui envisagent de devenir cuisiniers, d’expérimenter le métier. Il offre aussi aux sympathisants l’opportunité de proposer et d’animer des ateliers de leur choix. Ceux qui envisagent de se lancer dans l’animation, l’enseignement ou l’artisanat peuvent ainsi tester le succès de leurs idées.

Depuis cinq ans, plusieurs projets collectifs sont également nés autour des tables du Café des pratiques. Des adhérents ont ainsi créé et font vivre un jardin partagé deux rues plus loin. L’idée d’un habitat participatif dans la capitale comtoise a également germé. Le terrain a été trouvé et le permis de construire sera bientôt déposé. Un ouvrage a aussi été édité autour des balades urbaines organisées dans le quartier, et un livre sonore est en cours de réalisation en partenariat avec l’Institut médico-éducatif (IME). Damien, qui a été recruté récemment, travaille également sur l’idée d’une « bricocyclerie », une ressourcerie dédiée au bricolage et aux loisirs créatifs.

Comme quatre autres salariés du Café des pratiques, Damien est en contrat aidé. Il y a également une personne en CDI et une autre en service civique. Car, malgré le succès du Café, Élisabeth souligne les difficultés économiques de la structure. « Après cinq ans d’activité, nous nous rendons compte qu’il est impossible de salarier normalement les employés. » Les aides à l’emploi et les subventions représentent quasiment 50 % du budget du Café (environ 42 000 € sur 100 000 € pour l’année 2014). Celles-ci sont variées : la région, le département, la ville, mais aussi la Caf, financent le Café des pratiques depuis le début de l’année 2015, au titre (pléonastique) d’« espace de vie sociale ». « Nous avons démarré avec quelques grosses subventions et, aujourd’hui, nous essayons d’en trouver des pérennes », explique Élisabeth.

Sonia (Lutopik)

 

Cet article a été réalisé en partenariat avec le magazine Lutopik, dans le cadre du projet Médias de proximité, soutenu par le ministère de la Culture. Lutopik est en vente dans les librairies (la liste des points de vente) et sur abonnement.

 

Pour en savoir plus sur le Café des pratiques :
*- Le site Internet ;
*- Leur adresse mail : cafedespratiques@gmail.com.

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7 janvier 2016 4 07 /01 /janvier /2016 17:24

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Grèce

Comment surfer sur l’austérité et le chômage pour séduire des jeunes diplômés bon marché

par

 

 

 

 

Dans un pays déchiré par la crise et où tout se vend, il y a de quoi flairer les bonnes affaires. Malgré l’austérité, certaines entreprises françaises prospèrent en Grèce, à l’image de Teleperformance, leader mondial de l’externalisation des services à la clientèle. Sa recette : attirer les jeunes diplômés de toute l’Europe, pour venir profiter du soleil athénien… et travailler au sein de sa centrale téléphonique multilingue géante. Malgré des salaires plus faibles qu’ailleurs en Europe, des protections sociales battues en brèche, et l’absence de syndicats dans l’entreprise, des centaines de jeunes se laissent séduire, fuyant un chômage qui avoisine les 20% en moyenne en Europe, pour les moins de 25 ans.

Athènes, face au bâtiment principal de Teleperformance, quartier de Kallithea. il fait encore très doux en ce début d’hiver. L’avenue Thisseos, qui conduit à la mer, est bordée de palmiers. On se croirait presque à Miami, sauf qu’ici, les motards roulent sans casque et les paquets de cigarettes coûtent moins de quatre euros. Les salariés prennent leur pause. L’ambiance est jeune et décontractée. On entend un peu toutes les langues, de l’arabe au polonais en passant par le suédois et l’italien. Les Grecs représentent un peu moins de la moitié des salariés.

Leader mondial des centrales d’appel téléphonique, Teleperformance – souvent appelée « TP » par ses employés – est une entreprise française fondée en 1978. Son cœur de métier ? Sous-traiter les services client des multinationales de l’Internet et de la téléphonie mobile. Avec ses 275 centres répartis sur 62 pays, elle est régulièrement critiquée pour ses pratiques managériales (stress, épuisement, mise en concurrence des salariés, temps de pause trop courts, objectifs impossibles à atteindre, etc.). L’entreprise a réalisé 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014, avec une croissance de 7 %. La centrale d’Athènes, qui a rejoint Teleperformance en 1997 et compte 3 800 employés, fait figure de modèle. Sur cette plate-forme dont le multilinguisme est la spécificité, plus d’une centaine d’entreprises sous-traitent en 35 langues.

L’entreprise prend tout en charge pour attirer de nouveaux employés

« Bon, ça fait plaisir d’être là, sous les palmiers ! », sourit Frédéric. La quarantaine, un visage toujours jeune, assez timide, il est arrivé en Grèce il y a deux ou trois jours. Dans une autre vie, il était comptable d’entreprise, pendant plus de dix ans, en France. « J’ai connu une très longue période de chômage. J’ai postulé partout où je pouvais, notamment sur Internet. » On lui a alors proposé un poste de téléconseiller en langue française sur l’une des plate-formes de Teleperformance.

Il est encore surpris du tournant qu’a pris sa vie : du jour au lendemain, le voilà en Grèce. S’il se réjouit d’avoir un travail et de changer d’horizon, il reste dubitatif quant à son avenir. Il touchera un salaire de 850 euros net par mois pour un emploi peu qualifié d’employé de bureau. Un salaire payé en temps et en heure, ce qui n’est pas toujours le cas en Grèce. Un revenu confortable, dans un pays où le salaire minimum n’a cessé de baisser depuis 2008, pour s’établir aujourd’hui autour de 580 euros nets [1]. Dans la réalité, de nombreux Grecs se contentent de beaucoup moins.

Teleperformance ne lésine pas sur les moyens pour attirer de nouveaux employés, notamment ce qu’elle appelle un relocation package (aide à l’installation). Frédéric en a profité, comme la plupart de ses collègues venus de l’étranger. L’entreprise prend tout en charge : le billet d’avion, le taxi depuis l’aéroport, l’hébergement à l’hôtel pendant deux ou trois semaines, l’aide à la recherche d’un logement, l’ouverture d’un compte dans une banque grecque. Les employés n’ont rien d’autre à faire que de signer une décharge par laquelle ils autorisent un cabinet d’avocat à s’occuper de toutes les démarches. Ils sont, fin 2015, 350 francophones à y travailler, dont 130 Français.

45 minutes de pause contrôlée par ordinateur

Avec 1 000 embauches l’an dernier, la centrale athénienne recrute à tour de bras. Sans faire de difficultés. D’un côté, elle grossit. De l’autre, elle doit faire face à un très fort turnover : chaque année, un employé sur cinq doit être remplacé. En Grèce, l’entreprise monopolise les offres d’emploi pour les étrangers. Outre les aides à l’installation, d’autres primes sont prévues. Certaines langues sont plus difficiles à trouver que d’autres. C’est le cas des germanophones et des locuteurs de langues scandinaves : ils touchent des primes à l’arrivée et ont des salaires légèrement supérieurs. Des dispositifs de récompense existent également pour les salariés qui amènent l’une de leurs connaissances à travailler pour l’entreprise. Cette prime varie là aussi en fonction de la langue recherchée.

« Je sais qu’en ce moment, les Hollandais ont 500 euros forfaitaires quand ils commencent à bosser. Et ils offrent 800 euros si on fait recruter quelqu’un qui parle allemand », énumère Thomas, jeune téléopérateur. Il a décidé de rester à Athènes après ses études. « On est tous là. Tous les "erasmus", je les reconnais tous. Ceux qui veulent rester en Grèce se retrouvent à un moment ou à un autre à travailler pour eux. Ce sont les seuls qui embauchent », explique-t-il pendant sa pause réglementaire : 45 minutes pour une journée de huit heures ; la première dure un quart d’heure, la seconde, une demi-heure. Les pauses sont tracées par le clic de l’ordinateur.

Dans ses vidéos promotionnelles, la compagnie vend ce qu’elle appelle « l’expérience méditerranéenne ». Une première expérience à l’étranger, pour des jeunes qui resteront un an ou deux, dans un environnement fun et ensoleillé. Une vision qui ne s’applique pas à tout le monde. La crise économique aussi offre un terreau favorable au développement de l’entreprise. La Grèce détient le record européen du taux de chômage, avec 26 % de la population active et 60 % des jeunes de 15 à 25 ans.

Autant de personnes éduquées, diplômées, compétentes, et prêtes à tout pour trouver un emploi. Interrogé à ce propos, le PDG de la filiale grecque, Yanis Tourcomanis, répond : « Nous ciblons justement le chômage des jeunes. C’est le cœur du problème en Grèce. C’est pour beaucoup un travail de transition, peut-être le temps qu’ils trouvent quelque chose qui corresponde à leur formation. Et nous leur permettons de rester au pays. J’ajoute que nous ne forçons personne à travailler pour nous. »

Téléopérateurs sur-diplômés

Les salariés viennent d’horizons très différents, mais leurs parcours sont représentatifs du visage qu’offre la Grèce après sept ans de crise et d’austérité. Nombre d’entre eux ont des métiers qu’ils ne peuvent pas exercer, ou qui ne leur rapportent pas assez pour vivre. À l’image de Spiros, ancien enseignant et chef d’entreprise, qui approche la soixantaine. Sa blanchisserie familiale a dû mettre la clef sous la porte, comme un tiers des PME grecques depuis 2008. Il est téléconseiller en langue allemande. « Je n’avais plus d’autre solution. Je parle couramment allemand, car j’ai travaillé à Munich pendant des années comme prof de littérature. »

Thanasis, quant à lui, était chargé de communication en Allemagne. C’est le mal du pays qui l’a fait revenir. Depuis quelques mois, il travaille lui aussi sur une plate-forme téléphonique en allemand – ironie du sort, la majorité des employés germanophones sont grecs. Une situation qu’il espère transitoire. « C’est un peu triste de voir tous ces gens avec des diplômes et de vraies compétences, qui n’ont pas d’autre solution que de faire ce travail », déplore-t-il. « Parmi les Grecs de mon équipe, il y a deux enseignants, un géographe, un chef d’entreprise qui ne s’en sort pas, et un autre qui travaillait dans le tourisme pendant la saison. »

Les salariés heureux n’ont « pas de raisons de s’engager dans le syndicalisme »

D’autres n’ont pas souhaité poursuivre l’expérience. En cause, le travail en lui-même, et des standards sociaux jugés trop bas par rapport à ceux du pays d’origine. C’est le cas de Pierre, Français de 24 ans, diplômé en droit et en sciences politiques. Il est parti après quelques jours de training. « Je me suis senti piégé dès que j’y ai mis les pieds. Je n’avais plus qu’une envie : fuir. Mes amis grecs n’en revenaient pas quand je leur ai dit le salaire auquel je renonçais, mais je ne regrette pas. Le boulot est trop répétitif. Je devrais attendre dix ans d’ancienneté pour passer de vingt à vingt-deux jours de congés par an. Et les heures supplémentaires ne sont jamais payées. Et si on veut se plaindre, il n’y a pas de syndicat. Je préfère galérer à donner des cours de français tant que je reste ici. »

Interrogé sur l’absence de syndicat à TP Hellas, le PDG invoque le fort turnover. Il brandit aussi les enquêtes internes de satisfaction, et le label « Best Place to Work » (meilleur endroit pour travailler) récemment obtenu. Cela pour assurer que, lorsque les salariés sont heureux de leurs conditions de travail, ils n’ont « pas de raisons de s’engager dans le syndicalisme ». Si le patron le dit...

Après le « plombier polonais », le téléopérateur français ?

TP n’avance pas ses pions au hasard. La filiale grecque, vitrine du groupe en Europe, est appelée à se développer, profitant de la position stratégique de la Grèce et du coût local de la main d’œuvre. Alors qu’il y a cinq ans, les centrales en langue française étaient délocalisées vers les pays d’Afrique francophone et le Maghreb, on assiste aujourd’hui à un changement d’orientation. Pour Teleperformance, l’avenir est aux grands centres d’appel, qui réunissent au même endroit le plus grand nombre de langues possible.

La Tunisie, par exemple, est compétente sur l’arabe et le français. Mais il est plus difficile d’y trouver des locuteurs allemands, tchèques, polonais ou norvégiens. C’est là que la Grèce possède un avantage. Sa proximité géographique et culturelle fait qu’il est plus facile d’y attirer les locuteurs natifs des langues européennes recherchées. Un véritable enjeu, alors que l’entreprise est en perte de vitesse dans les pays du Nord, comme l’Allemagne et les pays scandinaves, qui ne sont plus compatibles avec « le développement rentable des solutions du groupe  [2] ».

Le télétravail se mondialise, et l’Europe rejoue l’histoire du « plombier polonais ». Mais cette fois-ci, à l’envers, puisque ce sont les occidentaux qui vont travailler à l’Est. Cependant, la mixité qui existe à Teleperformance, avec des gens venus de pays possédant des cultures du travail différentes et parfois des normes sociales plus exigeantes (comme la France ou la Suède), font que l’entreprise devra peut-être s’adapter. Même si on peut en douter franchement. Dans ce contexte, l’espoir d’un nivellement par le haut est-il permis ? 78 nationalités sont représentées à TP Hellas... « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! »

Grégoire Montelione

Photo : CC Steve Chou Photos

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