Cité des Lauriers dans les quartiers Nord de Marseille (13e), Christopher, 20 ans, a le nez sur son ordinateur portable et les yeux rivés sur des pages de lignes de codes informatiques. Dans quelques mois, ces algorithmes donneront naissance au nouveau site internet de Massabielle, une association œcuménique qui œuvre dans le quartier, et qui vient de l’embaucher pour neuf mois comme développeur web et médiateur numérique. « Depuis tout petit, j’adore ça, mais je ne pensais pas que ça pouvait être un métier ! », note le jeune homme qui, après un CAP peinture, a cumulé les boulots alimentaires, serveur, vendeur en boulangerie ou équipier chez Quick. Aujourd’hui, il a trouvé sa voie et, son contrat terminé, il compte bien retourner sur les bancs de l’école pour en apprendre encore plus.
Christopher fait partie de la première promo de SIMPLonMars, « fabrique sociale de codeurs », branche marseillaise de Simplon.co, créée à Montreuil (Seine-Saint-Denis) en 2013 [1]. Pendant cinq mois, de mars à juillet dernier, vingt-quatre jeunes, entre 18 et 30 ans, ont été formés de manière intensive au code informatique au sein de la prestigieuse école d’ingénieurs qu’est Centrale (Marseille 1313e).
Issus pour la plupart des quartiers prioritaires de la ville, ils avaient tous pour point commun la difficulté à s’insérer professionnellement. Des parcours scolaires chaotiques pour certains, des chemins de vie difficiles pour d’autres, ou des études avortées par manque de moyens financiers, la majorité n’a pas le bac. Alors autant dire qu’au sein de Centrale et de ses élèves au parcours d’excellence, ces étudiants pas comme les autres ont rapidement été rebaptisés « les Marsiens » : contraction de Simlplonmarsiens qu’ils sont et d’extra-terrestres qu’ils peuvent symboliser pour d’autres.
Pour suivre le cursus, pas de diplôme requis, pas d’expérience non plus, mais un test informatique et, surtout, de la motivation à revendre et une capacité à travailler en groupe et à s’entraider. Mieux vaut effectivement bien s’entendre lorsqu’on passe dix heures par jour à « bouffer » du code, comme ils disent ! Encore moins évident lorsqu’on veut en plus y introduire une certaine mixité sociale : « Le vivre ensemble, c’est important, même si la brutalité des rapports sociaux revient assez vite… », avoue Guillaume Quiquerez, à la tête du « labo sociétal » de l’École centrale, lieu de réflexion et de développement consacré aux innovations sociales en matière d’éducation et de formation. « Disons que c’est un Loft story mais hyper exigeant ! », ironise-t-il. La formation est gratuite pour le bénéficiaire [2], mais demande de s’y consacrer à plein temps. Pendant cette période, chacun vit comme il peut, de son allocation chômage ou du RSA pour le plus grand nombre.
Si un formateur est là en appui, la technique Simplon consiste à faire avancer le Marsien par lui-même en apprenant de ses propres erreurs. « On ne peut pas reproduire sur des élèves qui ont eu des histoires un peu compliquées avec la scolarité standard des pédagogies qui ont déjà échoué, précise Guillaume Quiquerez. On est obligé de passer par une pédagogie par la pratique. Ce sont les jeunes entre eux qui vont se faire progresser. »
Ici, ni notes ni test final. Une méthode déconcertante pour Julie, 24 ans, une des quatre filles de la promo, qui, contrairement aux autres, a suivi un parcours scolaire classique (Bac éco, BTS tourisme et licence pro) : « Ça n’a pas été facile pour moi de m’y faire. Au début, c’était frustrant et difficile, mais finalement c’est la bonne façon d’apprendre du code, et, avec le recul, je peux dire que ça a fonctionné. » Après une année de chômage puis cinq mois à SIMPLonMars, Julie est désormais développeur multimédia dans une start-up marseillaise. Son CDD de six mois devrait se transformer en CDI sous peu. Par la suite, elle se verrait bien chef de projet web.
« C’était véritablement ce que je cherchais, mais ça demande effectivement une bonne dose d’indépendance, explique Steven. La formation est gratuite, elle permet de redonner une chance à des jeunes comme nous. Alors si t’es pas capable de suivre par toi-même, personne ne va venir te tenir la main. » À 27 ans, après une seconde BEP électronique, il a passé quatre ans dans l’armée de terre. Pas facile de reprendre ensuite des études quand on a quitté le cursus et que l’on doit gagner sa vie. Il entame alors un bac pro sciences de l’électronique et du numérique en alternance, qui se termine aux prud’hommes à cause d’un patron peu scrupuleux. Il finit par bosser comme conseiller chez Free pendant un an.
Il découvre SimplonMars un peu par hasard. Surnommé « The Big Boss » par les autres « Marsiens », Steven est celui qui reste après les « cours » pour aider ceux qui n’ont pas compris. C’est lui aussi qui a coaché Julie une journée entière pour qu’elle obtienne son job actuel. « J’aime aider les autres », explique Steven, qui, à la sortie, a été pris en contrat Pro chez Spir Communication à Aix, et continue de se former. Solidarité et altruisme : c’est vraiment ce qui fait le distingo entre une formation comme Simplon et d’autres écoles – comme « code 42 », celle de Xavier Niel – qui favorisent la compétition.
Grâce à la mise en réseau tout au long du cursus des étudiants avec différentes entreprises et associations du département, la plupart des élèves ont trouvé un emploi. Iris, 26 ans, est désormais en CDI chez Urban Prod, à Marseille. Elle y est développeur web et enseigne le code à des enfants sur les temps périscolaires. Contrainte d’abandonner des études aux Beaux-Arts pour des raisons financières, elle débarque à Simplon avec un goût d’inachevé et des rêves envolés en fumée : « La formation a vraiment débloqué quelque chose en moi. » Elle qui s’est intéressée au langage dans son travail artistique a trouvé dans celui du code une nouvelle manière d’appréhender les choses, et l’intègre désormais à ses divers projets : « Cette vie qui bascule, c’est quelque chose de très important pour moi. J’ai l’impression que c’est mon premier emploi, alors que non ! Mais c’est la première fois qu’on me fait confiance, en tout cas. »
Sortir ces jeunes de la spirale de l’échec et leur redonner confiance en eux, c’est aussi ce que permet SIMPLonMars. Fin 2015, de nouveaux « Marsiens » ont atterri à Centrale. Cette fois ils s’installeront pour huit mois. La salle de formation est prête à les accueillir. En y entrant, on peut lire sur le mur cette phrase qui résonne comme un leitmotiv : « What would you do if you weren’t afraid ? » (Que ferais-tu si tu n’avais pas peur ?)
Samantha Rouchard (Le Ravi)
Photo : CC Christiaan Colen
Cet article a été réalisé en partenariat avec le mensuel satirique Le Ravi, dans le cadre du projet Médias de proximité soutenu par le ministère de la Culture. Le Ravi est en vente dans tous les bons kiosques de la région Paca.
Le projet de « Grande école du numérique » (Gen), annoncé par François Hollande en début d’année, prendra la forme du Label Gen et sera attribué à des formations courtes (de 3 mois à 2 ans) ouvertes en priorité à de jeunes décrocheurs, qui sélectionneront sur le talent et la motivation, sans pré-requis académique, et qui utiliseront les pédagogies innovantes. « Les fabriques » auront pour obligation d’inscrire leur cursus au répertoire national des certifications professionnelles. En contrepartie, les élèves pourront bénéficier d’un système de bourses, délivrées sur les mêmes critères que celles accordées aux étudiants. « C’est fondamental pour nos jeunes qui pendant la formation, se retrouvent dans une grande précarité », note Guillaume Quiquerez. Les 50 premières écoles sélectionnées devraient être dotées de 70 000 euros en 2016. 200 autres devraient être labellisées en 2017. Un fonds de 10 millions d’euros a été débloqué pour permettre leur financement. L’Etat a espoir de voir 10 000 jeunes formés pour 2017. SIMPLonMars devrait être fixée sur son sort d’ici la fin de l’année.
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