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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 17:16

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Après ses résultats calamiteux en 2015, Deutsche Bank s’effondre en Bourse

22 janvier par Jean-Louis Marchetti

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CC - Flickr - Elliott Brown

 

Deutsche Bank s’effondrait en Bourse jeudi après la publication de résultats 2015 calamiteux, signe de l’ampleur de la tâche qui attend le nouveau patron John Cryan pour redresser le navire amiral de la finance allemande.

LR : A anti-k, nous nous préoccupons aussi des aléas boursiers, pourquoi ? Il faut bien comprendre et expliquer partout qu’une crise boursière, c’est une sorte de purge du capital, une manière de séparer le bon grain de l’ivraie, disent-ils. C’est surtout un prétexte pour détruire du capital en excès, des marchandises qui ne se vendent pas, et des moyens de production excédentaires. C’est à dire, des banques au tapis, des petits épargnants et des classes moyennes ruinées, des caisses de retraites et d’assurance vie en faillite, des fermetures d’entreprises et des millions de chômeurs en plus. Cette extrême violence économique, est le prélude à toutes sortes de violences. Les politiques dites sécuritaires et la mise en scène d’un terrorisme que les différents impérialismes actionnent partout dans le monde, en sont les prémisses. Voilà pourquoi les crises financières nous concernent aussi. Voilà pourquoi, ce nouveau Krach doit nous trouver mobiliséEs, aux côtés de celles et de ceux qui s’indignent et se révoltent.

Après Das Auto, Die Bank.
d’après les dépêches d’agence/ le 21/01/2016

A la Bourse de Francfort, le titre du groupe plongeait de 7,11%, à 16,47 euros vers 10H55 GMT, tombant ainsi à son plus bas niveau depuis la crise financière de 2008-2009. Ce nouveau recul porte à près de 30% l’effondrement du cours depuis le 1er janvier.

 

La première banque allemande, en restructuration de longue date, a publié mercredi soir une énorme perte nette de 6,7 miliards d’euros pour l’an passé. En cause, 12 milliards de charges et provisions, destinées pour une large part à faire face aux innombrables litiges juridiques dans lesquels l’établissement de Francfort est enlisé dans le monde. Dépréciations et coûts de restructuration ont alourdi la facture.

Pour rajouter au marasme, les chiffres du dernier trimestre montrent que les affaires de la banque ne sont guère florissantes, même indépendamment des effets exceptionnels. La faute aux taux d’intérêt extrêmement bas et à des marchés financiers en plein affolement.

 

PERTE « DÉSASTREUSE »

« Ces nouvelles charges ne sont guère surprenantes », réagissait Ingo Frommen, analyste chez LBBW. Selon lui, « les coûts liés à la restructuration n’avaient été que partiellement comptabilisés, et le fait que les litiges ne soient pas encore résolus devrait être clair ».

Mais « la combinaison des charges juridiques et de restructuration d’une part, et une faible évolution des revenus d’autre part a conduit à une perte record encore plus désastreuse qu’anticipé », estime pour sa part Thorsten Wenzel, de DZ Bank.

Ces chiffres vérifient les sombres prédictions du nouveau patron du groupe, le Britannique John Cryan, qui avait prophétisé fin octobre des temps difficiles pour Deutsche Bank ces prochains mois.

L’institut s’est séparé l’an dernier de sa direction bicéphale, composé de l’Indo-Britannique Anshu Jain et de l’Allemand Jürgen Fitschen, désavoués sur fond de rentabilité en berne et de scandales à répétition.

John Cryan, ancien du groupe suisse UBS, a promis un nouveau départ avec notamment un profond changement de culture. Il veut en finir avec l’image qui colle à l’établissement de banquiers aux dents longues et uniquement animés par la perspective de profits rapides.

Depuis sa nomination, nombre de protégés d’Anshu Jain ont été remerciés et du sang neuf a été injecté au sein du directoire, avec l’arrivée entre autres de deux femmes.

La structure du groupe a quant à elle été largement remaniée, tandis que le réseau de détail Postbank, racheté en 2008 par Deutsche Bank, doit prochainement être mis en Bourse. Entre suppressions d’emplois et cessions, 26.000 salariés, soit un quart des effectifs, sont appelés à quitter le giron de l’établissement.


SOLVABILITÉ PRÉSERVÉE

Malgré ces premières initiatives, les progrès se font encore attendre, en premier lieu à cause des litiges qui empoisonnent encore et toujours les efforts de restructuration de la direction.

Manipulation des taux interbancaires, magouilles sur le négoce de droits à polluer, soupçons de fraudes sur le marché des devises… Deutsche Bank est cité dans la plupart des grands scandales bancaires des dernières années. Et la liste ne cesse de s’allonger, après les révélation l’an passé de possibles opérations de blanchiment d’argent en Russie.

Parmi les rares aspects positifs, l’assise financière du groupe semble, elle, avoir résisté aux tempêtes de l’année 2015, pointent les analystes. Le ratio de fonds propres durs, un indicateur clé de mesure de la solvabilité, est ressorti à 11%, au-delà des 10% demandés par les régulateurs européens.

Après plusieurs augmentations de capital ces dernières année – synonymes de mauvaise nouvelle pour les actionnaires qui voient se diluer la valeur de leurs actions-, une nouvelle levée de fonds « ne semble pas à l’ordre du jour », juge M. Frommen.

« Cela ne signifie pas que le sujet est définitivement écarté mais il semble que M. Cryan veuille, avec raison, maintenir la solvabilité de Deutsche Bank de ses propres moyens malgré la restructuration », ajoute cet analyste.

 

Source : Anti-K

 

 

Auteur

Jean-Louis Marchetti

 

 

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 16:48

 

Source : http://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/cornelius-castoriadis-le-triomphe-de-l-insignifiance

 

 

[TEXTES À L’APPUI] Entretien avec Cornelius Castoriadis (novembre 1996)

LE TRIOMPHE DE L’INSIGNIFIANCE

Le

 

 

 

Philosophe, économiste, anthropologue, psychanalyste, historien, penseur politique, d’une vitalité étourdissante, Cornelius Castoriadis avait voulu s’exprimer avec nous de façon claire et concise sur ce qu’il appelait « la montée de l’insignifiance ».

 

En voici la transcription dans la collection des TEXTES À L’APPUI que nous vous proposons désormais. Souvent rediffusée dans LÀ-BAS, l’analyse de Castoriadis, incroyablement actuelle vingt ans après, est un encouragement lucide pour celles et ceux qui n’ont pas renoncé.

 

Corneille, dissident essentiel

Oui, l’insignifiance a gagné encore plus de terrain depuis vingt ans. Mais pas question d’abdiquer pour autant. Castoriadis n’a pas sombré dans le renoncement esthète, ni dans le cynisme mitterrandien de l’époque « Je suis un révolutionnaire favorable à des changements radicaux », disait-il quelques semaines avant sa mort . Il ne manquait jamais de citer son ancêtre Thucydide : « Il faut choisir, se reposer ou être libre », ou encore, du même, « Un homme qui ne se mêle pas de politique mérite de passer, non pas pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile. »

La diffusion de cet entretien a rencontré un grand succès. Castoriadis en était ravi, heureux de s’adresser au grand public. « Il y a des bouteilles à la mer qui arrivent à bon port », nous disait-il.

[[Cornelius Castoriadis est mort un an plus tard, le 26 décembre 1997. Né en Grèce, il s’installe en 1945 à Paris. Il crée en 1949 la revue, aujourd’hui mythique, Socialisme ou Barbarie "de gauche radicale antistalinienne" qui s’arrêtera en 1967. En 1968, avec Edgar Morin et Claude Lefort, il publie Mai 68 : la brèche. En 1975, il publie l’Institution imaginaire de la société, son ouvrage le plus important. En 1978, il entreprend la série des Carrefours du labyrinthe. C’est lors de la publication du quatrième volume de cette série, la Montée de l’insignifiance, (Seuil) qu’il nous a reçu en novembre 1996. Une dernière phrase notée avant de le quitter : « Je ne pense pas que l’on puisse faire marcher d’une manière libre, égalitaire et juste le système français capitaliste tel qu’il est. »

« Énorme, hors norme, un titan de la pensée, », dit son vieil ami Edgar Morin. Une pensée encyclopédique, une jubilation de vivre et de lutter, lutte charnelle, spirituelle, infinie, mais en mouvement et qui nous laisse du grain à moudre et du pain sur la planche…

 

Daniel Mermet

 

 


La montée de l’insignifiance

Daniel Mermet – Pourquoi ce titre, la Montée de l’insignifiance ? Est-ce la caractéristique de l’époque ?

Cornelius Castoriadis – Ce qui caractérise le monde contemporain, ce sont bien sûr les crises, les contradictions, les oppositions, les fractures, etc., mais ce qui frappe surtout c’est précisément l’insignifiance. Prenons la querelle entre la droite et la gauche. Actuellement, elle a perdu son sens. Non pas parce qu’il n’y a pas de quoi nourrir une querelle politique et même une très grande querelle politique, mais parce que les uns et les autres disent la même chose. Depuis 1983, les socialistes ont fait une politique, puis Balladur est venu, il a fait la même politiques, puis les socialistes sont revenus, ils ont fait avec Bérégovoy la même politique, Balladur est revenu, il a fait la même politique, Chirac a gagné les élections en disant : « Je vais faire autre chose », et il fait la même politique. Cette distinction manque de sens.

DM – Par quels mécanismes cette classe politique est-elle réduite à cette impuissance ? C’est le grand mot aujourd’hui, impuissance.

CC – Ce n’est pas un grand mot et ils sont impuissants, c’est certain. La seule chose qu’ils peuvent faire c’est suivre le courant, c’est-à-dire appliquer la politique ultralibérale qui est à la mode. Les socialistes n’ont pas fait autre chose et je ne crois pas qu’ils feraient autre chose, revenus au pouvoir. Ce ne sont pas des politiques à mon avis, mais des politiciens – au sens de micro-politiciens. Des gens qui font la chasse aux suffrages par n’importe quel moyen.

DM – Le marketing politique ?

CC – C’est du marketing, oui. Ils n’ont aucun programme. Leur but est de rester au pouvoir ou de revenir au pouvoir, et pour cela ils sont capables de tout. Clinton a fait sa campagne électorale en suivant uniquement les sondages : « Si je dis ceci, est-ce que ça va passer ? » En prenant à chaque fois l’option gagnante pour l’opinion publique. Comme disait l’autre : « Je suis leur chef, donc je les suis. » Ce qu’il y a de fascinant dans l’époque, comme dans toute époque d’ailleurs, c’est comment cela conspire. Il y a un lien intrinsèque entre cette espèce de nullité de la politique, ce devenir nul de la politique, et cette insignifiance dans les autres domaines, dans les arts, dans la philosophie ou dans la littérature. C’est cela l’esprit du temps : sans aucune conspiration d’une puissance quelconque qu’on pourrait désigner, tout conspire, au sens de respire, dans le même sens, pour les mêmes résultats, c’est-à-dire l’insignifiance.

DM – Comment faire de la politique ?

CC – La politique est un métier bizarre. Même cette politique-là. Pourquoi ? Parce qu’elle présuppose deux capacités qui n’ont aucun rapport intrinsèque. La première, c’est d’accéder au pouvoir. Si on n’accède pas au pouvoir, on peut avoir les meilleures idées du monde, cela ne sert à rien ; il y a donc un art de l’accession au pouvoir. La deuxième capacité, c’est, une fois qu’on est au pouvoir, d’en faire quelque chose, c’est-à-dire de gouverner. Napoléon savait gouverner, Clemenceau savait gouverner, Churchill savait gouverner : autant de personnes qui ne sont pas dans mes cordes politiques, mais je décris là un type historique.
Dans la monarchie absolue, accéder au pouvoir, c’était quoi ? C’était flatter le roi, c’était être dans les bonnes grâces de Madame de Pompadour. Aujourd’hui, dans notre pseudo démocratie, accéder au pouvoir signifie être télégénique, flairer l’opinion publique. Une fois au pouvoir, que fait-on ? Ce que fait actuellement M. Chirac : rien. On suit le courant. Au besoin, on retourne sa veste parce qu’on s’aperçoit que pour accéder au pouvoir on racontait des histoires et que ces histoires ne sont pas applicables.

DM – Vous dites « pseudo démocratie »…

CC – J’ai toujours pensé que la démocratie dite représentative n’est pas une vraie démocratie. Ses représentants ne représentent que très peu les gens qui les élisent. D’abord, ils se représentent eux-mêmes ou représentent des intérêts particuliers, les lobbies, etc. Et, même si cela n’était pas le cas, dire : quelqu’un va me représenter pendant cinq ans de façon irrévocable, cela revient à dire que je me dévêts de ma souveraineté en tant que peuple. Rousseau le disait déjà : les Anglais croient qu’ils sont libres parce qu’ils élisent des représentants tous les cinq ans mais ils ne sont libres qu’un jour tous les cinq ans : le jour de l’élection.
Et même cela n’est pas vrai : l’élection est pipée, non pas qu’on bourre les urnes, elle est pipée parce que les options sont définies d’avance. Personne n’a demandé au peuple sur quoi il veut voter. On lui dit : « Votez pour ou contre Maastricht », par exemple. Mais qui a fait Maastricht ? Ce n’est pas nous. Il y a la merveilleuse phrase d’Aristote répondant à la question : « Qui est citoyen ? Est citoyen quelqu’un qui est capable de gouverner et d’être gouverné ». Y a-t-il quarante millions de citoyens en France en ce moment ? Pourquoi ne seraient-ils pas capables de gouverner ? Parce que toute la vie politique vise précisément à leur désapprendre à gouverner. Elle vise à les convaincre qu’il y a des experts auxquels il faut confier les affaires. Il y a donc une contre-éducation politique. Alors que les gens devraient s’habituer à exercer toutes sortes de responsabilités et à prendre des initiatives, ils s’habituent à suivre des options que d’autres leur présentent ou à voter pour elles. Et comme les gens sont loin d’être idiots, le résultat, c’est qu’ils y croient de moins en moins et qu’ils deviennent cyniques, dans une sorte d’apathie politique.


La dissolution des idéologies

DM – Responsabilité citoyenne, exercice démocratique, est-ce que vous pensez qu’autrefois c’était mieux ? Qu’ailleurs, aujourd’hui, c’est mieux qu’en France ?

CC – Non, ailleurs, aujourd’hui, ce n’est certainement pas mieux, cela peut même être pire. Encore une fois, les élections américaines le montrent. Mais autrefois, c’était mieux de deux points de vue.
Dans les sociétés modernes, disons à partir des révolutions américaine et française jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale environ, il y avait encore un conflit social et politique vivant. Les gens s’opposaient. Les gens manifestaient. Ils ne manifestaient pas pour telle ligne de la SNCF – je ne dis pas que c’est méprisable, c’est quand même un objectif –, mais autrefois les ouvriers manifestaient ou faisaient grève pour des causes politiques et pas seulement pour des petits intérêts corporatistes. Il y a avait des grandes questions qui concernaient tous les salariés. Ces luttes ont marqué les deux derniers siècles. Or ce qu’on observe maintenant, c’est un recul de l’activité des gens. Et voilà un cercle vicieux. Plus les gens se retirent de l’activité, plus quelques bureaucrates, politiciens, soi-disant responsables, prennent le pas. Ils ont une bonne justification : « Je prends l’initiative parce que les gens ne font rien ». Et plus ces gens-là dominent, plus les autres se disent : « C’est pas la peine de s’en mêler, il y en a assez qui s’en occupent et puis, de toute façon, on n’y peut rien. » Ça, c’est le premier point de vue.
Le deuxième point de vue, lié au premier, c’est la dissolution des grandes idéologies politiques. Idéologies soit révolutionnaires, soit vraiment réformistes, qui voulaient vraiment changer les choses dans la société. Pour mille et une raisons, ces idéologies ont été déconsidérées, elles ont cessé de correspondre à l’époque, de correspondre aux aspirations des gens, à la situation de la société, à l’expérience historique. Il y a eu cet événement énorme qu’est l’effondrement de l’Union soviétique et du communisme. Est-ce que vous pouvez m’indiquer une seule personne, parmi les politiciens – pour ne pas dire les politicards – de gauche, qui ait vraiment réfléchi à ce qui s’est passé, et aux raisons pour lesquelles cela s’est passé, et qui en a, comme on dit bêtement, tiré des leçons ? Alors qu’une évolution de ce type, d’abord dans sa première phase – l’accession à la monstruosité, le totalitarisme, le goulag, etc. – et ensuite dans l’effondrement, méritait une réflexion très approfondie et une conclusion sur ce qu’un mouvement qui veut changer la société peut faire, doit faire, ne doit pas faire, ne peut pas faire. Réflexion zéro ! Comment voulez-vous alors que ce qu’on appelle le peuple, les masses, arrive à ses propres conclusions alors qu’il n’est pas vraiment éclairé ?
Vous me parliez du rôle des intellectuels : que font ces intellectuels ? Qu’est-ce qu’ils ont fait avec Reagan, Thatcher et avec le socialisme français ? Ils ont ressorti le libéralisme pur et dur du début du XIX° siècle, celui qu’on avait combattu pendant cent cinquante ans et qui aurait conduit la société à la catastrophe parce que, finalement, le vieux Marx n’avait pas entièrement tort. Si le capitalisme avait été laissé à lui-même, il se serait effondré cent fois. Il y aurait eu une crise de surproduction tous les ans. Pourquoi ne s’est-il pas effondré ? Parce que les travailleurs ont lutté. Ils ont imposé des augmentations de salaire, créant ainsi d’énormes marchés de consommation interne. Ils ont imposé des réductions du temps de travail, ce qui a absorbé tout le chômage technologique. On s’étonne maintenant qu’il y ait du chômage. Mais depuis 1940 le temps de travail n’a pas sensiblement diminué. On pinaille actuellement : « Trente-neuf heures », « trente-huit et demie », « trente-sept heures trois quarts », c’est grotesque ! Donc, il y a eu ce retour du libéralisme, et je ne vois pas comment l’Europe pourra sortir de cette crise. Les libéraux nous disent : « Il faut faire confiance au marché ». Mais ce que disent aujourd’hui ces néolibéraux, les économistes académiques eux-mêmes l’ont réfuté dans les années 30. Ils ont montré qu’il ne peut pas y avoir d’équilibre dans les sociétés capitalistes. Ces économistes n’étaient pas des révolutionnaires, ni des marxistes ! Ils ont montré que tout ce que racontent les libéraux sur les vertus du marché qui garantirait la meilleure allocation possible, qui garantirait des ressources, la distribution des revenus la plus équitable possible, ce sont des inepties ! Tout cela a été démontré, et jamais réfuté. Mais il y a cette grande offensive économico-politique des couches gouvernantes et dominantes qui peut être symbolisée par les noms de Reagan et de Thatcher, et même de Mitterrand, d’ailleurs ! Il a dit : « Bon, vous avez assez rigolé. Maintenant, on va vous licencier, on va dégraisser l’industrie – on va éliminer la “mauvaise graisse”, comme dit M. Juppé -, et puis vous verrez que le marché, à la longue, vous garantira le bien-être. » À la longue. En attendant, il y a 12,5% de chômage officiel en France !

DM – Pourquoi n’y a-t-il pas d’opposition à ce libéralisme-là ?

CC – Je ne sais pas, c’est extraordinaire. On a parlé d’une sorte de terrorisme de la pensée unique, c’est-à-dire d’une non-pensée. Elle est unique en ce sens que c’est la première pensée qui soit une non-pensée intégrale. Pensée unique libérale à laquelle personne n’ose s’opposer. Actuellement, il y a une sorte de discours victorieux de la droite qui n’est pas un discours, qui des affirmations, un discours vide. Et derrière ce discours, il y a autre chose, qui est plus lourd.
Qu’est-ce qu’était l’idéologie libérale à sa grande époque ? Vers 1850, c’était une grande idéologie parce qu’on croyait au progrès. « Enrichissez-vous ! » Ces libéraux-là pensaient que le progrès entraînerait l’élévation du bien-être économique. Mais, même quand on ne s’enrichissait pas, dans les classes exploitées, on allait vers moins de travail, vers des travaux moins pénibles, pour être moins abruti par l’industrie. C’était le grand thème de l’époque. Benjamin Constant le dit : « Les ouvriers ne peuvent pas voter parce qu’ils sont abrutis par l’industrie (il le dit carrément, les gens étaient honnêtes à l’époque !), donc il faut un suffrage censitaire. » Mais par la suite, le temps de travail a diminué, il y a eu l’alphabétisation, il y a eu l’éducation, il y a eu des lumières, qui ne sont plus les Lumières subversives du XVIII° siècle mais tout de même des lumières, qui se diffusent dans la société. La science se développe, l’humanité s’humanise, les sociétés se civilisent et petit à petit, asymptotiquement, on arrivera à une société où il n’y aura pratiquement plus d’exploitation : cette démocratie représentative tendra à devenir une vraie démocratie.

DM – Pas mal ?

CC – Pas mal. Sauf que ça n’a pas marché et que ça ne marche pas comme ça. Le reste s’est réalisé mais les hommes ne se sont pas humanisés, la société ne s’est pas civilisée pour autant, les capitalistes ne se sont pas adoucis, nous le voyons maintenant. Ce n’est pas la faute des hommes, c’est le système. Le résultat en est que, de l’intérieur, les gens ne croient plus à cette idée. L’humeur, la disposition générale est une disposition de résignation. Aujourd’hui, ce qui domine, c’est la résignation, même chez les représentants du libéralisme. Quel est le grand argument, en ce moment ? « C’est peut-être mauvais mais l’autre terme de l’alternative est pire. » Tout se résume à cela. Et c’est vrai que ça a glacé pas mal de gens. Ils se disent : « Si on bouge trop, on va vers un nouveau goulag. » Voilà ce qu’il y a derrière cet épuisement idéologique de notre époque, et je crois que nous n’en sortirons que par la résurgence d’une critique puissante du système et une renaissance de l’activité des gens, de leur participation à la chose commune. C’est une tautologie de dire cela, mais il faut tendre, il faut espérer et il faut travailler dans cette direction.

DM - Élite politique réduite à servir de larbin à la World Company, intellos chiens de garde, médias qui ont trahi leur rôle de contre-pouvoir, voilà quelques causes et quelques symptômes de cette montée de l’insignifiance.

CC – Mais en ce moment, on sent frémir un regain d’activité civique. Ça et là, on commence quand même à comprendre que la « crise » n’est pas une fatalité de la modernité à laquelle il faudrait se soumettre, « s’adapter » sous peine d’archaïsme. Alors se pose le problème du rôle des citoyens et de la compétence de chacun pour exercer les droits et les devoirs démocratiques dans le but – douce et belle utopie - de sortir du conformisme généralisé.


Éducation et participation

DM – Votre confrère et compère Edgar Morin parle du généraliste et du spécialiste. La politique exige les deux. Le généraliste qui ne sait à peu près rien sur un peu tout et le spécialiste qui sait tout sur une seule chose mais rien sur le reste. Comment faire un bon citoyen ?

CC – Ce dilemme est posé depuis Platon. Platon disait que les philosophes doivent régner, eux qui sont au-dessus des spécialistes. Dans la théorie de Platon, ils ont une vue du tout. L’autre terme de l’alternative était la démocratie athénienne. Qu’est-ce qu’ils faisaient, les Athéniens ? Voilà quelque chose de très intéressant. Ce sont les Grecs qui ont inventé les élections. C’est un fait historiquement attesté. Ils ont peut-être eu tort, mais ils ont inventé les élections ! Qui élisait-on à Athènes ? On n’élisait pas les magistrats. Les magistrats étaient désignés par tirage au sort ou par rotation. Pour Aristote, souvenez-vous, un citoyen est celui qui est capable de gouverner et d’être gouverné. Tout le monde est capable de gouverner, donc on tire au sort. Pourquoi ? Parce que la politique n’est pas une affaire de spécialistes. Il n’y a pas de science de la politique. Il y a une opinion, la doxa des Grecs, il n’y a pas d’épistémè [1]. Je fais remarquer d’ailleurs que l’idée qu’il n’y a pas de spécialiste de la politique et que les opinions se valent est la seule justification raisonnable du principe majoritaire. Donc, chez les Grecs, le peuple décide et les magistrats sont tirés au sort ou désignés par rotation. Il y a des activités spécialisées parce que les Athéniens n’étaient pas fous, ils ont quand même fait des choses assez considérables, ils ont fait le Parthénon, etc. Pour ces activités spécialisées, la mise en place des chantiers navals, la construction des temples, la conduite de la guerre, il faut des spécialistes. Donc, ceux-là, ils sont élus. C’est cela, l’élection. Parce que élection, cela veut dire élection des meilleurs. Et sur quoi se base-t-on pour élire les meilleurs ? Eh bien, là, intervient l’éducation du peuple, car il est amené à choisir. On fait une première élection, on se trompe, on constate que par exemple Périclès est un déplorable stratège, eh bien, on ne le réélit pas, ou même on le révoque. Mais le postulat, selon lequel cette doxa, cette opinion, est également partagée est bien sûr un postulat tout à fait théorique. Pour qu’il y ait un peu de chair, il faut que cette doxa soit cultivée. Et comment peut être cultivée une doxa concernant le gouvernement ? Eh bien, en gouvernant. Donc la démocratie – c’est cela l’important – est une affaire d’éducation des citoyens, ce qui n’existe pas du tout aujourd’hui.
Récemment, un magazine a publié une statistique indiquant que 60% des députés avouent qu’ils ne comprennent rien à l’économie. Des députés, en France, qui vont décider, qui décident tout le temps ! Ils votent le budget, ils augmentent ou diminuent les impôts, etc. En vérité, ces députés, tout comme les ministres, sont asservis à leurs techniciens. Ils ont leurs experts mais ils ont aussi des préjugés ou des préférences. Et si vous suivez de près le fonctionnement d’un gouvernement, d’une grande bureaucratie – comme je l’ai suivi dans d’autres circonstances - , vous voyez que ceux qui dirigent se fient aux experts, mais ils choisissent les experts qui partagent leurs opinions. Vous trouverez toujours un économiste pour vous dire : « Oui, oui, il faut faire cela. » Ou un expert militaire qui vous dira : « Oui il faut l’armement nucléaire » ou « Il ne faut pas d’armement nucléaire ». Tout et son contraire. C’est un jeu complètement stupide et c’est ainsi que nous sommes gouvernés actuellement. Donc dilemme de Morin et de Platon : spécialistes ou généralistes. Les spécialistes au service des gens, là est la question. Pas au service de quelques politiciens. Et les gens apprenant à gouverner en gouvernant.

DM - Vous avez dit « éducation ». Et vous dites : « Ce n’est pas le cas aujourd’hui ». Plus généralement, quel mode d’éducation voyez-vous ? Quel mode de partage de la connaissance ?

CC – Il y a beaucoup de choses qu’il faudrait changer avant de pouvoir parler de véritable activité éducatrice sur le plan politique. La principale éducation dans la politique est la participation active aux affaires, ce qui implique une transformation des institutions qui incite à cette participation et qui la rendre possible, alors que les institutions actuelles repoussent, éloignent, dissuadent les gens de participer aux affaires. Mais cela ne suffit pas. Il faut qu’ils soient éduqués dans la chose publique. Or, si vous prenez l’éducation actuelle, elle n’a strictement rien à voir avec cela. On apprend des choses spécialisées. Certes, on apprend à lire et à écrire. C’est très bien, il faut que tout le monde sache lire et écrire. D’ailleurs, chez les Athéniens, il n’y avait pas d’analphabètes ; à peu près tous savaient lire et c’est pour cela qu’on inscrivait les lois sur le marbre. Tout le monde pouvait lire et donc le fameux adage « Nul n’est censé ignorer la loi » avait un sens. Aujourd’hui, on peut vous condamner parce que vous avez commis une infraction alors que vous ne pouvez pas connaître la loi et qu’on vous dit toujours : « Vous n’êtes pas censé ignorer la loi ». donc l’éducation devrait être beaucoup plus axée vers la chose commune. Il faudrait faire comprendre les mécanismes de l’économie, les mécanismes de la société, de la politique, etc. On n’est pas capable d’enseigner l’histoire. L’histoire telle qu’on l’enseigne aux enfants les emmerde alors qu’elle pourrait les passionner. Il faudrait enseigner une véritable anatomie de la société contemporaine : comment elle est, comment elle fonctionne.


Ni Dieu, ni César, ni tribun !

DM - Vous avez beaucoup parlé et écrit autour du mouvement de Mai 68, qu’avec Edgar Morin et Claude Lefort vous avez appelé « la brèche ». Aujourd’hui, cette période est un âge d’or pour les jeunes qui regrettent de ne l’avoir pas vécue. Si on repense à cette époque, on est frappé par l’aveuglement, ces comportements révolutionnaires, romantiques, absolus, doctrinaires, sans aucune base, dans une ignorance complète. Quand on me dit aujourd’hui, « Tu as du bol, tu as vécu 68 », je réponds : « Attendez les amis, le niveau culturel, le niveau des connaissances était beaucoup plus bas qu’aujourd’hui. » Est-ce que j’ai raison ?

CC – Oui, vous avez raison, d’un certain point de vue qui est très important. Mais ce n’est pas tellement une question de niveau de connaissances, je crois. C’est l’énorme domination de l’idéologie au sens strict et, je dirais, au sens mauvais du terme. Les maoïstes, on ne peut pas dire qu’ils ne savaient pas, on les avait endoctrinés ou ils s’endoctrinaient eux-mêmes. Pourquoi acceptaient-ils l’endoctrinement ? Pourquoi s’endoctrinaient-ils eux-mêmes ? Parce qu’ils avaient besoin d’être endoctrinés. Ils avaient besoin de croire. Et cela a été la grande plaie du mouvement révolutionnaire depuis le départ.

DM – Mais l’homme est un animal religieux.

CC – L’homme est un animal religieux, et ce n’est pas du tout compliment. Aristote, que je n’arrête pas de citer et que je vénère, a dit une seule fois une chose qui est vraiment une grosse… - bon, on ne peut pas dire bourde quand il s’agit d’Aristote, mais tout de même. Quand il dit : « L’homme est un animal qui désire le savoir », c’est faux. L’homme n’est pas un animal qui désire le savoir. L’homme est un animal qui désire la croyance, qui désire la certitude d’une croyance, d’où l’emprise des religions, d’où l’emprise des idéologies politiques. Dans le mouvement ouvrier au départ, on trouvait une attitude très critique. Quand vous prenez ces deux vers de l’Internationale, qui est quand même le chant de la Commune, prenez les deuxième couplet : « Il n’est pas de sauveur suprême » : ni Dieu – exit la religion - , ni césar – exit Napoléon III - , ni tribun – exit Lénine, n’est-ce pas ? Les gens avaient ce besoin de croyance. Ils le remplissaient comme ils pouvaient, les uns avec le maoïsme, les autres avec le trotskisme et même avec le stalinisme, puisqu’un des résultats paradoxaux de Mai 68, cela n’a pas été seulement d’apporter de la chair au squelette maoïste ou trotskiste mais cela a été d’augmenter encore à nouveau le recrutement du PC, malgré l’attitude absolument monstrueuse du PC pendant les événements et pendant les accords de Grenelle. Aujourd’hui, en quoi sommes-nous plus sages qu’en Mai 68 ? Je crois que peut-être le résultat, à la foi des suites de Mai et de l’évolution en général de la société, fait que les gens sont devenus beaucoup plus critiques. Cela est très important. Bien sûr, il y a une frange qui cherche toujours la foi plutôt dans la scientologie, les sectes – ou dans le fondamentalisme, mais cela dans d’autres pays, pas tellement chez nous. Mais les gens sont devenus beaucoup plus critiques, beaucoup plus sceptiques. Ce qui les inhibe aussi pour agir, bien sûr. Périclès, dans l’Oraison funèbre prononcée devant les athéniens, dit : « Nous sommes les seuls chez qui la réflexion n’inhibe pas l’action. » C’est admirable ! Il ajoute : « Les autres, ou bien ils ne réfléchissent pas et ils sont téméraires, ils commettent des absurdités, ou bien, en réfléchissant, ils ne font rien parce qu’ils se disent : il y a ce discours et il y a le discours contraire. » Or précisément, on traverse actuellement aussi une phase d’inhibition, c’est sûr. Chat échaudé craint l’eau froide. Ils ont goûté tout cela, ils se disent : « Les grands discours et tout le reste, ça suffit ! ». Effectivement, il ne faut pas de grands discours, il faut des discours vrais. Voilà ce qui n’existe pas dans une projection sociale, si je puis dire.

DM – Avec qui voulez-vous lutter ? Et contre qui et contre quoi ?

CC – Je veux lutter avec pratiquement tout le monde. Avec toute la population, ou presque, et contre le système, et donc contre les 3%, les 5% de gens qui sont vraiment des défenseurs acharnés et inéducables du système. C’est cela la division, à mes yeux. Je crois qu’actuellement, tout le monde dans la société – à part 3 ou 5% - a un intérêt personnel et fondamental à ce que les choses changent.

DM - Mais qu’est-ce que vous diriez aux jeunes générations ?

CC – Si vous le posiez comme une question d’organisation, je dirais qu’il n’y a pas de réponse. Actuellement, c’est aussi cela la question. Un de mes copains de la revue Socialisme ou Barbarie, Daniel Mothé – qui est toujours mon copain -, avait écrit cette phrase extraordinaire : « Même l’Empire romain, en disparaissant, a laissé derrière lui des ruines ; le mouvement ouvrier, en disparaissant, n’a laissé derrière lui que des déchets. » Comment on s’organise maintenant ? La question est : « Comment peut-on s’organiser ? » Cette question bute sur le même obstacle, c’est-à-dire que les gens ne sont pas assez actifs actuellement pour faire quelque chose comme ça. Pour assumer une organisation de ce type, il faut être prêt à sacrifier plus d’une heure un samedi soir. Cela implique un travail important, et bien peu de gens sont disposés à le faire actuellement. C’est pour cela que je qualifie depuis 1960 l’époque comme une époque de privatisation. Les gens sont repliés sur leur petit milieu, la famille nucléaire, même pas la grande famille. On disait en Mai 68 « métro-boulo-dodo », maintenant c’est « métro-boulot-télé-dodo ».

DM – Et pas de boulot ? On peut gommer boulot ?

CC – Métro-boulot-télé-dodo et ANPE.

DM – Et trouille de perdre le boulot ! La panique générale. C’est : « J’en n’ai plus ou je ne vais plus en avoir. »

CC – Oui, absolument.


Le désir irréductible

DM – Ce qui fait la richesse de votre pensée, c’est aussi ce regard psychanalytique sur le monde. Il n’est pas si fréquent d’avoir ainsi plusieurs éclairages. Raoul Vaneigem a publié un livre dont le titre est : Nous qui désirons sans fin.

CC – Nous qui délirons ? Oh ça, oui ! Nous qui délirons ! (rires)

DM – Qu’est-ce que vous pensez de cet irréductible désir qui fait que l’histoire continue ?

CC – Mais, de toute façon il y a un désir irréductible. Vraiment… C’est un gros chapitre. D’ailleurs, cela n’a pas toujours été vrai, c’est un phénomène relativement moderne. Si vous prenez les sociétés archaïques ou les sociétés traditionnelles, il n’y a pas de désir irréductible. On ne parle pas là du désir du point de vue psychanalytique. On parle du désir tel qu’il est transformé par la socialisation des gens. Or, précisément, dans l’époque moderne, il y a une libération dans tous les sens du terme, par rapport aux contraintes de la socialisation des individus . On dit par exemple : « Tu prendras une femme dans tel clan ou dans telle famille. Tu auras une femme dans ta vie. Si tu en as deux, ou deux hommes, ce sera en cachette, ce sera une transgression. Tu auras un statut social, ce sera ça et pas autre chose. » Il y a une chose merveilleuse chez Proust dans le Monde de Combray. Dans la famille de Proust, quelqu’un – de la très bonne bourgeoisie, la famille qu’il décrit – qui avait épousé une duchesse ou une princesse, et qui avait déchu. Même s’il avait de l’argent, même s’il devenait quelqu’un qui sortait de sa caste pour monter plus haut, il devenait un gigolo. Et monter plus haut, c’était déchoir. Mais aujourd’hui, nous sommes entrés dans une époque d’illimitation dans tous les domaines et nous avons le désir d’infini. Or cette libération est, en un sens, une grande conquête. Il n’est pas question de revenir aux sociétés de répétition. Mais il faut aussi apprendre – et c’est un de mes très grands thèmes -, apprendre à s’autolimiter, individuellement et collectivement. Et la société capitaliste aujourd’hui est une société qui, à mes yeux , court à l’abîme à tout point de vue parce que c’est une société qui ne sait pas s’autolimiter. Et une société vraiment libre, une société autonome, comme je l’appelle, doit savoir s’autolimiter.

DM – Limiter c’est interdire. Comment s’interdire ?

CC – Non, pas interdire au sens répressif. Mais savoir qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire ou qu’il ne faut même pas essayer de faire ou qu’il ne fait pas désirer. Par exemple, l’environnement. Nous vivons dans une société libre sur cette planète, je pense par exemple à la mer Égée, aux montagnes enneigées, je pense à la vue du Pacifique depuis un coin d’Australie, je pense à Bali, aux Indes, à la campagne française qu’on est en train de démolir et de désertifier. Autant de merveilles en voie de démolition. Je pense que nous devrions être les jardiniers de cette planète. Il faudrait la cultiver. La cultiver comme elle est et pour elle-même. Et trouver notre vie, notre place relativement à cela. Voilà une énorme tâche. Et tout cela pourrait absorber une grande partie des loisirs des gens, libérés d’un travail stupide, productif, répétitif, etc. Or cela, évidemment, c’est très loin, non seulement du système actuel mais de l’imagination dominante actuelle. L’imaginaire de notre époque, c’est l’imaginaire de l’expansion illimitée, c’est l’accumulation de la camelote : une télé dans chaque chambre, un micro-ordinateur dans chaque chambre… c’est cela qu’il faut détruire. Le système s’appuie sur cet imaginaire qui est là et qui fonctionne.

DM – Ce dont vous parlez là, sans cesse, c’est de la liberté ?

CC – Oui

DM - Difficile liberté ?

CC – Ah oui ! La liberté, c’est très difficile.

DM – Difficile démocratie ?

CC – Démocratie difficile parce que liberté, et liberté difficile parce que démocratie. Parce qu’il est très facile de se laisser aller, l’homme est un animal paresseux, on l’a dit. Là encore, je reviens à mes ancêtres, il y a une phrase merveilleuse de Thucydide : « Il faut choisir : se reposer ou être libre. » Je crois que c’est Périclès qui dit ça aux Athéniens : « Si vous voulez être libres, il faut travailler. » Vous ne pouvez pas vous reposer. Vous ne pouvez pas vous asseoir devant la télé. Vous n’êtes pas libres quand vous êtes devant la télé. Vous croyez être libre quand en zappant comme un imbécile, vous n’êtes pas libre, c’est une fausse liberté. La liberté n’est pas seulement l’âne de Buridan qui choisit entre deux tas de foin. La liberté, c’est l’activité. Et c’est une activité qui en même temps s’autolimite, c’est-à-dire qu’elle peut tout faire mais qu’elle ne doit pas tout faire. C’est cela le grand problème, pour moi, de la démocratie et de l’individualisme.

DM - La liberté, c’est les limites ? Philosopher, c’est établir des limites ?

CC – Non, la liberté, c’est l’activité, et l’activité qui sait poser ses propres limites. Philosopher, c’est la pensée. C’est la pensée qui sait reconnaître qu’il y a des choses que nous ne savons pas et que nous ne connaîtrons jamais…

Novembre 1996.

Dessins : Daniel MERMET

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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 16:31

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Amérique latine, vers une nouvelle situation politique

L’avenir du cycle progressiste passe par le Venezuela

24 janvier par Claudio Katz

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Une nouvelle situation politique se fait jour en Amérique latine. Pour mieux en comprendre les contours, nous avons interviewé Claudio Katz économiste, chercheur du CONICET, universitaire et surtout, militant de gauche.

...Des soulèvements victorieux ont permis la mise en place de plusieurs gouvernements antilibéraux, mais la situation qui en a résulté ne pouvait pas durer car ils sont entrés en contradiction avec le modèle extractiviste et le renforcement de la dépendance économique, traditionnelle en Amérique latine. C’est cette contradiction qui a commencé à faire surface dans les mois précédents. C’est pourquoi on assiste a un restauration conservatrice et le débat a commencé sur la fin du cycle progressiste.

 

Dans tes travaux sur l’Amérique du Sud, tu parles de la dualité qui a caractérisé la dernière décennie. En quoi consiste cette dualité ?

Le cycle caractérisé comme progressif des dix dernières années en Amérique du Sud a été porté par des révoltes populaires partiellement victorieuses (en Argentine, Bolivie, Venezuela, Équateur), qui ont modifié le rapport de forces dans la région. Cela a permis de répondre à une situation économique caractérisée par la hausse des prix des matières premières et l’arrivée massive de dollars de façon totalement différente de celle qui a prévalu à d’autres périodes. A ce moment-là, le modèle néolibéral a pu coexister avec des mécanismes néo-développementistes et de redistribution. Sur le plan politique, des gouvernements de centre-gauche et radicaux sont apparus à côté de gouvernements de droite. Pendant cette période, la marge de manœuvre de l’impérialisme a été sérieusement réduite, l’OEA a perdu de son poids et Cuba a été reconnu. Finalement, David a vaincu Goliath et les États-Unis ont dû accepter cette défaite. En outre, pendant ces dx ans, il n’y a eu de plans d’austérité, comme celui qu’a connu la Grèce, dans pratiquement aucun pays d’Amérique latine. Parallèlement, il y a eu d’importantes victoires démocratiques. Comparer la situation en Amérique du Sud et en Amérique Centrale permet d’en prendre la mesure. Comparer le niveau actuel des violences au Mexique, Honduras, Guatemala avec les libertés publiques qui ont été conquises en Argentine, Bolivie ou au Brésil donne la mesure de ce changement. Et ce qui est apparu avec le Chavisme, c’est le retour du projet socialiste. C’est pourquoi l’Amérique du Sud est devenue la référence pour les mouvements sociaux à travers le monde.

Dans un article récent je signalais l’existence d’une ’dualité en Amérique latine’ parce que ce changement de cycle politique et de rapport de forces a coexisté avec un renforcement du modèle d’accumulation extractiviste, fondé sur l’exportation de matières premières et l’insertion de l’Amérique latine dans la division internationale du travail en tant que fournisseur des produits de base. Cette situation est naturelle pour un gouvernement néolibéral, elle fait partie de sa stratégie. Mais pour les gouvernements progressistes, de centre-gauche, cette structure entraîne une tension. Et pour les gouvernements radicaux redistributeurs, cela engendre un conflit majeur.

Cela étant, il y a eu des soulèvements victorieux qui ont porté au pouvoir des gouvernements différents, certains antilibéraux , mais cette situation ne pouvait se prolonger car ils ne pouvaient pas coexister avec le modèle extractive et le renforcement de la dépendance économique traditionnelle de l’Amérique latine. C’est cette contradiction qui a commencé à faire surface dans les derniers mois. Cela explique la raison du début de la restauration conservatrice et de l’ouverture d’un débat sur la fin du cycle progressiste. Deux faits incontestables ont marqué la fin de l’année 2015. Le premier est la victoire de Macri en Argentine, et c’est important car elle constitue premier cas d’un retour de la droite à la présidence. Depuis les cacerolazos |1|, la droite a construit son pouvoir politique, a battu le péronisme et a formé un cabinet de ’PDG’ pour que le pays soit gouvernés par ’ses propriétaires naturels’, avec un cabinet directement constitué par la classe capitaliste.

Le deuxième fait est partiel mais plus significatif. Au Venezuela, la droite n’a pas conquis le gouvernement mais le parlement, dans une situation de guerre économique brutale, de terrorisme médiatique, de chaos économique organisé par les réactionnaires. Et le Venezuela constitue le symbole le plus abouti des processus radicaux dans le cadre du cycle progressiste.

 

Quelle est la situation, dans ce nouveau panorama continental, des pays qui ne sont pas entrés dans la dualité et ont conservé le modèle économique néolibéral et ses politiques ?

L’un des principaux pièges médiatique de cette période est la dissimulation de ce qui se passe dans les pays gouvernés par le néolibéralisme. On croirait que tout y est merveilleux et que les seuls problèmes de Amérique latine sont dans les autres pays. Mais en réalité, il y a une déformation médiatique monumentale. Il suffit de regarder la situation au Mexique, pays qui connaît des taux de criminalité très élevés, dont le tissu social est détruit et où de vastes régions sont contrôlées par les trafiquants de drogue. Il suffit de regarder la situation des pays d’Amérique centrale décimée par l’émigration, la prédominance du crime et où des présidents comme au Guatemala, ont été destitués suite à des scandales de corruption. Ou prendre le modèle économique chilien qui traverse une situation très critique : sa croissance a fortement diminué et la corruption fait son apparition dans un pays qui se vantait de sa transparence. La dette des ménages, la précarité de l’emploi, les inégalités, et la privatisation de l’éducation apparaissent au grand jour. Le gouvernement Bachelet est paralysé. Les projets réformes de la retraite, de l’éducation sont arrêtés.

L’univers néolibéral c’est aussi le cas unique dans cette période du défaut du paiement de la dette à Porto Rico. Ce pays qui est en fait une colonie américaine souffre de la décapitalisation, du pillage des ressources, de la désintégration du tissu social, ce qui a été pour un temps compensé par un financement public, mais cette aide a un moment donné s’est arrêtée et le pays s’est trouve en défaut de paiement.

Dans les pays où il n’y a pas eu de redistribution des revenus de ce super cycle des matières premières, la situation sociale, politique et économique est donc plus grave. La seule chose, c’est que personne n’en parle.

 

Dans cette nouvelle conjoncture, dans quelle situation, selon toi, vont se trouver les pays néo-développementistes comme l’Argentine et le Brésil ? La restauration conservatrice dans ces pays va-t-elle mener à une reconfiguration des « blocs », vont-ils rejoindre le bloc ouvertement néolibéral ?

Nous pouvons être très catégorique sur le bilan de ce qui s’est passé, mais il faut être très prudent pour ce qui est de l’avenir. Il faut faire la distinction entre ce que nous savons et ce que nous pouvons imaginer. Il est certain que les changements en cours en Argentine et au Brésil sont le résultat d’un épuisement du modèle économique néo-développementiste. Ce n’est pas la seule cause, et je ne suis pas sûr que ce facteur ait un poids supérieur à d’autres, mais il constitue le fond du problème.

Dans les deux pays, on a essayé d’utiliser une partie des revenus tirés de l’augmentation du prix des matières premières pour relancer l’industrie et tenter un modèle reposant sur la consommation. Mais comme nous sommes dans le système capitaliste, ce genre de processus a des limites très étroites. Parce que ce qui fonctionne au début finit par s’épuiser dès lors que cela affecte la rentabilité capitaliste. La théorie du ruissellement ne fonctionne pas à contre-courant. C’est une illusion de l’hétérodoxie keynésienne de supposer que la seule augmentation de la demande enclenche un cercle vertueux. C’est le contraire qui est vrai. À un moment donné ces gouvernements se retrouvent bloqués et commence alors le processus classique de la fuite des capitaux, la pression sur les taux de change, ce qui s’est produit dans les deux cas.

Je pense qu’il y a eu une usure non seulement économique, mais aussi politique, tant au Brésil qu’en Argentine. Dans les deux cas, cette érosion a été déterminée par l’apparition d’un mécontentement social qu’aucun des deux gouvernements n’a voulu canaliser en répondant aux revendications. C’est dans ce climat que s’est construite l’ascension de Macri et que s’est étendue la base sociale de la droite brésilienne.

Ce qui est clair c’est le bilan, mais pas l’évolution ultérieure. Le grand test sera le gouvernement Macri. Nous ne pouvons pas encore en faire une évaluation. C’est un gouvernement de droite classique, avec toutes les caractéristiques réactionnaires d’un gouvernement de droite. Mais le climat environnant est d’une grande combativité. Par conséquent, il y a un hiatus entre ce qu’il veut faire et ce qu’il peut faire.

 

Pour en revenir au Venezuela, tu as avancé une idée lors d’un débat qui nous paraît importante, qu’il est futile d’appliquer en tous temps et en tous lieux le cliché qui voudrait que « qui n’avance pas recule », que « si on ne se radicalise pas, on régresse ». Mais tout en ayant à l’esprit cette situation concrète, nous gardons en mémoire cette recommandation de Fidel à Allende, après le coup d’état manqué de juin 1973 « Ceci est ta Baie des cochons ». Quelles perspectives non pas abstraites, mais concrètes envisages-tu en fonction des forces politiques et sociales, pour le Venezuela ? Quelles seraient alors les mesures à prendre ?

On répète beaucoup ces phrases mais ceux qui les prononcent oublient en général de les appliquer quand cela s’avère nécessaire. Et cela vaut en particulier aujourd’hui pour le Venezuela. C’est là que se jouent le cycle progressiste et l’avenir. Le Venezuela a été le processus principal et son issue déterminera le contexte de l’ensemble de la région.

Il est évident que l’impérialisme a concentré toutes ses flèches sur le Venezuela. C’est pour cela que les États-Unis reconnaissent Cuba, font des clins d’œil à de nombreux gouvernements, mais pas au Venezuela. Ils imposent la baisse des prix du pétrole, alimentent les organisations paramilitaires, financent des ONG conspiratives, agissent sur le plan militaire. Ils pilotent des scénarios de destitution préparés de longue date. C’est pourquoi les élections se sont déroulés dans ce contexte de guerre économique et ont finalement permis la victoire de la droite. Pour la première fois, ils ont eu la majorité au Parlement et ils cherchent à convoquer un referendum révocatoire.

La droite essaiera de suivre deux voies : celle de Capriles et celle de Lopez. Lopez favorise retour aux guarimbas (violences de rue) et Capriles joue sur l’usure de Maduro. Et il est significatif que l’alibi de la première bataille de Macri ait été la question de la ’clause démocratique’ |2| qu’il a ensuite abandonnée. Macri (que Corina Lopez est venue soutenir lors de son élection) joue un jeu d’équilibriste entre les deux. Il suivra la tonalité dominante. Lopez d’un côté et de l’autre Capriles : ils sont tous deux complémentaires. C’est bonnet blanc et blanc bonnet. Et Macri est l’un des chefs d’orchestre internationaux de cette conspiration.

Il y a maintenant une forte pression sur Maduro pour le pousser à accepter des négociations et il ne sait que faire. Mais il peut également réagir et appliquer la fameuse phrase : tout processus qui ne se radicalise pas, régresse. Il peut lancer une contre-offensive. Il y a imminence d’un conflit majeur parce que le parlement dirigé par la droite va exiger des choses que l’exécutif ne va pas donner. Le Parlement votera alors l’amnistie pour Lopez et l’exécutif opposera son veto. Qui va gouverner, l’exécutif ou le Parlement ? C’est un conflit de pouvoir classique.

Le processus de révocation peut prendre un an, il faut réunir les signatures, les légaliser, appeler à un referendum et le gagner, tout cela va engendrer un conflit majeur. C’est là que réside le problème. Il y a un secteur conservateur, social-démocrate ou impliqué dans la corruption au sein-même du chavisme qui ne veut pas entendre parler de radicalisation pour répondre à ce dilemme.

C’est ce secteur qui empêche de réagir à l’agression impériale. Il est évident que l’impérialisme fait la guerre économique au Venezuela, mais le problème est que Maduro n’a pas réussi à faire plier ces agresseurs. Le problème est que le Venezuela est un pays qui continue à recevoir des dollars, par l’intermédiaire de la PDVSA |3| et ces dollars parviennent dans les poches de secteurs corrompus de l’administration, des capitalistes, qui participent à l’entreprise de démolition de l’économie du Venezuela. Ces dollars partent dans la contrebande vers la Colombie, dans l’organisation des pénuries, dans la spéculation sur les devises et le pays vit avec des queues et une irritation générale. De surcroît, le Venezuela vit avec le poids d’une dette importante. Il n’a plus suffisamment de dollars pour payer toutes ses importations et en même temps il doit payer sa dette.

Dans ces conditions, les sociaux-démocrates et les secteurs conservateurs du camp gouvernemental se contentent de déplorer ’la terrible situation imposée par l’impérialisme », mais ne font rien pour contrecarrer l’agression.

Et ce comportement a des conséquences car il accentue la démoralisation. La droite a gagné pas tant parce qu’elle a récupéré des voix du chavisme mais parce que les gens ne sont pas allés voter. Une situation similaire s’est déjà produite auparavant. C’est une forme de protestation qu’une partie des Vénézuéliens ont trouvée. Mais plus grave encore est l’attitude des dirigeants qui tournent le dos au chavisme et vont cultiver leurs jardins. Ils ne disent plus rien ou alors ils critiquent le gouvernement plutôt que de proposer des mesures radicales contre la droite. Et le comportement du gouvernement renforce cette tendance en empêchant les courants de gauche de se développer. Au lieu de les encourager, de leur faciliter l’action, ils réduisent leurs possibilités et favorisent le maintien de la structure verticaliste du PSUV |4|.

Voilà quelle est la situation. Et comme le disent beaucoup de gens, cette fois-ci est celle de la dernière chance. Maintenant ou jamais. Et cette dernière possibilité suppose que des décisions soient prises dans domaines bien précis. Dans le domaine économique : nationaliser les banques et le commerce extérieur et à partir de ces deux instruments définir un autre usage des dollars. Il y a d’excellents économistes qui disent cela depuis dix ans. Ils ont créé des programmes pour expliquer en détail comment il faut faire. Par conséquent ce ne sont pas des mesures inconnues. L’autre pilier est politique. Pour soutenir la radicalisation le pouvoir communal est nécessaire. Le Venezuela a déjà une législation, une structure, des lois votées, pour adopter une forme d’organisation communale pour gérer le pays ; de bas en haut, avec différentes instances où la démocratie soit une réalité et où le pouvoir du peuple ne se limite pas à être un ensemble d’institutions défensives. C’est une architecture décisive pour lutter contre le Parlement de droite. Si Maduro et les dirigeants vénézuéliens veulent sauver le processus bolivarien, le moment est venu du pouvoir communal. Nous verrons. Je pense que les cartes sont connues et qu’il faut prendre des décisions. |5|

 

Il est devenu de tradition pour les intellectuels et même les militants d’attendre davantage des gouvernements que des organisations de base. Quelles sont les perspectives des luttes sociales ? Quel rôle devraient y jouer l’anti-impérialisme et l’anti-capitalisme ?

Je pense qu’il est très important dans ce débat de déterminer si oui ou non le cycle progressiste est en train de se terminer, en ne se focalisant pas seulement sur les gouvernements mais aussi sur ce qui se passe à la base. De nombreux auteurs ont tendance à évaluer un cycle en fonction de qui détient le pouvoir exécutif. Ce n’est pourtant qu’un élément. Le cycle est né avec les révoltes populaires et ce qui définit les rapports de force, ce sont les révoltes populaires. On a connu dans les dix dernières années un processus innovant parce que plusieurs gouvernements, par le biais d’une redistribution partielle des revenus des matières premières, ont développé des réseaux d’assistance et des mécanismes de consommation qui ont tempéré les luttes sociales. C’est l’une des explications permettant de comprendre pourquoi il n’y a pas eu de révoltes depuis 2004.

Le changement qui se produit sur le terrain économique va redéfinir la lutte sociale et cette redéfinition sera l’occasion de rediscuter le projet de la gauche. Cela dépendra beaucoup de l’évolution de la situation au Venezuela, qui a été la référence politique de la dernière période pour la gauche. Comme l’ont été à un moment donné la révolution cubaine ou le sandinisme. Les références émancipatrices font sens à l’échelle du continent. Elles se produisent dans un pays et deviennent le centre d’attention de tous les autres.

Mais la grande question stratégique réside dans le fait que de nombreux intellectuels considèrent que la gauche doit s’atteler à la construction d’un modèle de capitalisme post-libéral. Cette idée fait obstacle aux processus de radicalisation. Être de gauche serait être post-libéral. Etre de gauche serait se battre pour un capitalisme organisé, humain et productif. Cette idée sape la gauche depuis des années, car être de gauche, c’est se battre contre le capitalisme. Pour moi, c’est le b.a.-ba. Être socialiste c’est se battre pour un monde communiste. Cette perspective varie à chaque étape et les paramètres stratégiques changent. Mais si l’on dénature l’identité de la gauche, il ne peut en résulter que de la frustration.

 

La construction de la gauche exige de reprendre l’idée du Chavez des dernières années. Un engagement fort pour un projet socialiste, qui renoue avec les traditions du marxisme latino-américain et de la Révolution cubaine. Je pense que cette ligne stratégique a été déformée par de fortes illusions sur l’opportunité de remplacer cette perspective par des convergences, avec le pape François, par exemple. Chavez est mort, nous aurions besoin d’une autre référence, et certains pensent que ce pourrait être le pape François.

Je pense que c’est une erreur stratégique. Je ne crois pas que la doctrine sociale de l’Église soit le guide dont nous avons besoin pour mener notre combat contre le capitalisme. Parce que cette doctrine a été construite comme une idéologie contre le communisme, non pas contre le capitalisme. Et le pape François la recycle aujourd’hui avec l’intention de reconstruire le poids populaire d’une église latino-américaine très affaiblie. Pour moi, ce serait très naïf de croire que cette reconstruction favorisera une gauche qui se situe aux antipodes du projet du Vatican. Je pense que nous devrions nous appuyer sur nos idéaux dans ce moment clé pour l’histoire de l’Amérique latine.

 

Traduction : Lucile Daumas

Notes

|1| Concerts de casseroles (NdT)

|2| Clause de l’accord du Mercosur invoquée par Macri pour critiquer l’incarcération de López au Venezuela. (NdT)

|3| La compagnie pétrolière publique vénezuélienne (NdT)

|4| Parti socialiste unifié du Venezuela (NdT)

|5| Cette interview a été réalisée avant l’installation du Parlement comunal Note de la Rédaction de La Llamarada.

 

 

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 16:18

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

 

Un «sommet du plan B» pour rompre avec cette Europe
22 janvier 2016 | Par Ludovic Lamant et stéphane alliès
 
 
 

Un colloque réunit, ce week-end à Paris, Jean-Luc Mélenchon et d'autres représentants des gauches européennes en rupture avec la social-démocratie et ne se satisfaisant pas de l'issue grecque. Avec l'objectif, pour le héraut du Front de gauche, d'être aussi fructueux que les sommets de São Paulo, ayant contribué au réveil des gauches latino-américaines. Yanis Varoufakis, lui, a déclaré forfait.

Après la claque grecque de l’été 2015, des formations d’une gauche critique encore groggy un peu partout en Europe essaient de se remettre en mouvement. Des élus, des activistes et des économistes, venus du continent et d'ailleurs, tenteront d'apporter un peu de chair à un « plan B » pour l’Europe, lors d’une conférence à Paris, samedi 23 et dimanche 24 janvier.

À l’origine de ce « sommet du plan B », il y a l’appel lancé en septembre à la Fête de l’Humanité, relayé par une tribune sur Mediapart signée par Jean-Luc Mélenchon et quatre autres figures de la gauche européenne (Yanis Varoufakis, Zoï Konstantopoulou, Oskar Lafontaine et Stefano Fassina). À l’époque, les déclarations d’intention tournaient plutôt autour d’un plan "A" et restaient vagues. Les ateliers parisiens organisés à la Maison de la chimie sont censés tirer des leçons plus précises des cinq mois de négociations électriques entre le gouvernement d’Alexis Tsipras et l’Eurogroupe.

La réunion devait dans un premier temps se tenir les 14 et 15 novembre derniers. Mais les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 au soir, ont obligé les organisateurs à reporter le colloque. L'esprit reste identique, avec l'objectif affiché – mais qui s'annonce déjà difficile à tenir – de se réunir tous les six mois, en même temps que les sommets des chefs de gouvernement de l’UE. « L’objectif est de créer un espace alternatif de pensée, un émetteur capable de dessiner un autre chemin », explique Jean-Luc Mélenchon, pour contrer « la dictature de la pensée unique quand il s’agit d’envisager l’Europe, pour ne pas la résumer à une dialectique entre Merkel et Cameron, soit l’ordolibéralisme, soit le repli nationaliste ».

À ses yeux, ce sommet du plan B est un moyen « d’avancer avec ceux qui ont envie d’avancer, la suite se débloquera forcément ». Et d’être prêt pour 2017. L’ancien candidat à la présidentielle, prêt à repartir, prévient : « Outre les deux élections en France et en Allemagne, il y aura le référendum britannique et “l’achèvement de l’union économique et monétaire” proposée par “l’initiative des présidents” des institutions européennes. On entre donc dans une phase d’agitation extrême, il convient de s’y préparer. » Il cite en exemple le Forum de São Paulo (lire ici), qui a réuni les gauches latino-américaines au début des années 1990. « Un courant intellectuel coordonné, qui crée une ambiance et renforce chacun d’entre nous quand il rentre dans son pays. » Sur son blog, il conclut : « D’une réunion sans aucun écho médiatique sortirent dix gouvernements… Qui sait ? »

Le contexte, depuis novembre, a tout de même fortement évolué. Le sommet du « plan B » se trouve concurrencé par d'autres initiatives, à l'image du mouvement que s'apprête à lancer Varoufakis à Berlin, le 9 février, que l'ex-ministre grec présente comme un « rassemblement de personnes pour essayer de trouver une solution » à la crise européenne. Quelques jours plus tard, le même Varoufakis va participer à Madrid à de nouvelles journées du « plan B », aux côtés de plusieurs maires « indignés », dont la maire de Barcelone Ada Colau. Sauf changement de dernière minute, il n'est pas prévu que Mélenchon se rende à Berlin. Un autre colloque autour du « plan B » est aussi annoncé en Allemagne, en juin.

Quant à Varoufakis, il a déclaré forfait pour Paris en milieu de semaine. L'ex-ministre grec a fait valoir, auprès des organisateurs du sommet, des soucis logistiques (le sommet a été reprogrammé il y a quelques semaines à peine), et a assuré qu'il n'avait pas de désaccords de fond sur la dynamique engagée. Mais l'absence de Varoufakis devrait limiter la portée du sommet parisien. Surtout, le mouvement semble déjà confronté à un éparpillement des initiatives qui pourrait brouiller la lisibilité du projet. Sur le papier, les démarches diffèrent. Celle du plan B veut remettre en scène certains débats centraux et très clivants au sein de la gauche européenne, comme l'avenir de l'euro, quand la démarche initiée par Varoufakis veut davantage répondre au déficit démocratique de l'UE, en repensant, semble-t-il, les bases d'un fédéralisme européen.

Quoi qu'il en soit, l'initiative parisienne compte sur le soutien de formations plutôt traditionnelles, des Allemands de Die Linke aux Espagnols d’Izquierda Unida. Ces partis travaillent déjà ensemble au sein de la GUE, leur groupe parlementaire à Strasbourg, ou encore au sein du Parti de la gauche européenne (PGE). Mais ces deux structures ne sont pas les enceintes les plus adaptées pour lancer un débat sur un éventuel plan B européen, en particulier parce qu’elles intègrent aussi les Grecs de Syriza au pouvoir. Aucun élu de la coalition d'Alexis Tsipras ne prendra la parole à Paris, mais une eurodéputée de Podemos (parti espagnol qui soutient officiellement la ligne Tsipras), Lola Sanchez, interviendra dimanche sur les questions climatiques.

« Pierre Laurent [président du PGE et du PCF – ndlr] m’a fait savoir que le Plan B n’était pas un objectif, évacue Mélenchon. De toute façon, on n’a pas intérêt à agglomérer des forces politiques, les discussions sont surchargées de contextes locaux, et on se mettrait dans des situations d’équilibres intenables. » À ses yeux, Pablo Iglesias et Podemos ont évité de se positionner sur la Grèce, et ont soutenu Tsipras pour ne pas être réduits à cette question pendant la campagne jusqu'aux élections du 20 décembre. « Mais je ne crois pas qu’on puisse éviter les problèmes indéfiniment, dit-il, c’est perdre du temps à tourner autour du pot. »

 

Pour un sommet du plan B en Europe © Parti de Gauche

 

Le casting très masculin (36 intervenants, 10 intervenantes) du « plan B » inclut des figures du débat hexagonal (Frédéric Lordon, Cédric Durand, Olivier Besancenot, etc.), mais aussi des élus européens (un jeune député slovène, des eurodéputés allemand ou espagnol, un élu de la plateforme « indignée » Ahora Madrid), des universitaires de renom (les économistes grec Costas Lapavitsas, italien Massimo Amato, etc.), ou encore des figures de la société civile internationale (venues d'Équateur ou de Tunisie).

« L’oligarchie européenne avait son plan B : éjecter la Grèce de la zone euro [si Tsipras n’acceptait pas un nouveau mémorandum  ndlr]. Face à cela, nous devons réfléchir à notre propre plan B », estime l’eurodéputée Die Linke Sabine Lösing. Même approche pour l'eurodéputé espagnol Javier Couso, membre d'IU (les écolo-communistes), qui voit dans ce colloque une « opportunité magnifique » : « En plus de notre plan A, que l'on appliquerait si l'Europe fonctionnait normalement, il nous faut travailler à un plan B, pour éviter que ne se reproduise ce qu'ils ont fait à la Grèce. » Couso débattra en particulier, samedi, avec l'universitaire belge Paul Jorion.

 

Se mettre au clair

Lors du week-end, il sera question exclusivement d'économie. L’immigration n’est abordée qu’au travers d’un seul atelier, sur la coopération avec le Sud. « Il faut d’abord se mettre d’accord sur un cadre global économique, car la question migratoire en dépend directement », estime Mélenchon, qui continue à juger les décisions d'Angela Merkel sur le sujet « dramatiques ».

L’économie, donc, autour de trois piliers attendus : l'euro, la dette publique et le commerce. L'eurodéputé allemand de Die Linke Fabio de Masi, qui participera à l’un des ateliers samedi, estime que « tout le monde doit désormais avoir la réponse à la question suivante : si des élections se déroulent en Europe, que l’on se retrouve avec dix ou douze gouvernements de gauche, mais que la BCE, qui imprime notre monnaie, nous dit : peu importe ce qu’ont voté les citoyens, peu importe que vous aimiez ou pas l’austérité, si vous n’obéissez pas, on vous sort de l’euro… On fait quoi ? C’est exactement ce qu’ils ont fait à la Grèce, avec la complicité du ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble ».

Ce premier colloque parisien pourrait confirmer le durcissement en cours du discours de nombre de formations de gauche à l’égard de l’UE, et de l'euro en particulier. Les dirigeants de ces formations ont parfois l'impression d'être dépassés par une base militante plus critique, notamment envers l'euro. « Après l’accord de juillet, une approche un peu naïve de l’Europe est tombée. La vraie nature de l’UE a été dévoilée. Au milieu du malheur de cette crise grecque, c’est au moins une bonne chose de voir que plus de monde a compris cela : changer des points-virgules dans les traités ne suffira pas », avance David Pestieau, vice-président du PTB, un parti belge francophone ancré à gauche du PS.

« Je ne crois pas qu’il soit encore possible de mener des politiques de gauche au sein de la zone euro, assure de son côté l’Allemand Fabio de Masi, qui dit s’être “radicalisé” après l’accord du 13 juillet. Bien sûr, je préférerais toujours miser sur une zone euro réformée, qui n’impose pas mécaniquement l’austérité. Mais en l’état, je ne suis pas optimiste sur nos chances de convaincre messieurs Draghi [patron de la BCE – ndlr] et Schäuble [ministre des finances allemand – ndlr] d’en finir avec ce chantage. Et l’on ne peut pas dire aux peuples d’Europe qui souffrent, qu’il faut attendre la victoire de la gauche en Allemagne… Je suis réaliste. Il faut donc trouver des moyens de les aider dès maintenant. »

Au sein d'Izquierda Unida, le débat sur l'euro n'est pas non plus tranché. « Nous n'avons pas une ligne unique sur l'euro. Certains sont pour une sortie, d'autres, contre. Moi-même, je ne suis pas encore au clair, avoue Javier Couso. Mais à IU, nous ne sommes pas en train de découvrir ces problématiques : dès les années 1990, la principale figure du parti [le communiste Julio Anguita – ndlr] critiquait la construction d'un euro qui est adossé à une banque centrale qui ne fonctionne pas comme une banque centrale, et qui n'est qu'une zone obscure de la démocratie européenne. »

Les débats s’annoncent donc très agités, et l'objectif semble davantage d'enclencher une dynamique que de s'entendre sur des conclusions. « Notre but n’est pas de présenter un plan B, mais de dire qu’un plan B est possible, et qu’il y en a même plusieurs », estime Jean-Luc Mélenchon. « Le plan B, comme son nom l’indique, peut vouloir dire beaucoup de choses, et messieurs Mélenchon, Lafontaine, Fassina et Varoufakis ne disent pas tous exactement la même chose, si je les écoute bien », observe David Pestieau, du PTB.

« On est au moins tous d’accord sur un certain nombre de choses : la zone euro dans sa configuration actuelle ne marche pas, l’austérité détruit nos économies, et il faut reposer la question de qui détient le pouvoir dans la zone euro », poursuit Fabio de Masi. Ces questionnements seront-ils tranchés, ou le sommet du plan B ne sera-t-il qu'un lieu de réflexions et de débats ? « Au forum de São Paulo, ils n'ont jamais voté que des résolutions, glisse Mélenchon, ça ne les a pas empêchés de réussir à prendre le pouvoir. »

Retrouvez sous l'onglet Prolonger de cet article notre émission live du 25 septembre 2015, «L'Europe de Yanis Varoufakis»

 

Prolonger

 

 

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 22:52

 

Source : https://vimeo.com/32619549

 

 

LE FACTEUR HUMAIN (G.R.E.C. 2011)

 

Histoire du management : « L’efficacité devient une fin en soi »

 

de letexier

 
 

"Ce qui est bon pour l'usine
est bon pour la cuisine"

 

Un film de Thibault Le Texier.
Prix SACD, Meilleur premier film, Clermont-Ferrand (2012)

 

Avec Aurélien Recoing et Cécile Garcia-Fogel.

 

Plus sur le film: letexier.org/article.php3?id_article=95
Projections: grec-info.com/fiche_film.php?id_film=958

 

 

Source : https://vimeo.com/32619549

 

 

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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 22:43

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

Histoire du management : « L’efficacité devient une fin en soi »

 

 

Au XVIIIe siècle, le management concernait la maison, les enfants et les femmes enceintes. Aujourd’hui, le monde moderne vit sous l’emprise de la gestion. Histoire politique du management, avec le chercheur Thibault Le Texier.

 
 

D’où vient le management qui règne aujourd’hui dans les entreprises  ? Comment la culture des managers s’est-elle imposée dans les entreprises  ? Et que nous fait-elle  ? Qu’amène la révolution numérique dans tout ça  ?

Le jeune chercheur Thibault Le Texier répond à ces questions dans « Le maniement des hommes » qui vient de paraître aux éditions La Découverte. Nous l’avons rencontré.

 

Rue89 : Pourquoi vous êtes-vous intéressé au management, sujet a priori aride et peu sexy ?

Thibault Le Texier : Parce que le management est un art de gouverner. Il pose des questions politiques  : comment on gouverne un groupe d’individus, comment on leur fait faire ce qu’on leur demande, avec des sanctions et des récompenses... C’est de la science politique, et je trouve ça passionnant.

 

Dans votre livre, vous expliquez que contrairement à ce qu’on pourrait penser, le management n’est pas né avec le capitalisme, l’usine, la grande entreprise… – mais dans la sphère de la maison.

C’est une partie occultée du management  : on l’associe toujours au «  business », mais j’ai découvert que les premiers manuels de management, au XVIIIe siècle, concernent la sphère domestique. Quand on parle de management, c’est au sujet des enfants, des femmes enceintes, des vieillards, des chevaux... L’idée centrale, c’est qu’on prend soin d’êtres dépendants  : des femmes enceintes, des enfants ou des malades. A ce moment-là, le management se fait dans un cadre intime, dans une économie domestique, et il est souvent lié à des relations personnelles.

 

Comment le management arrive-t-il dans l’économie et l’industrie ?

Pendant longtemps, les ingénieurs ne se sont pas du tout préoccupés d’organiser le travail. Pour eux, les gains de productivité pouvaient être atteints juste en perfectionnant les outils. Si on avait une bonne machine, on arrivait toujours à trouver des ouvriers pour les faire marcher.

Mais les gains de productivité mécanique sont progressivement devenus de moins en moins élevés. Par ailleurs, à la fin du XIXe siècle, il y a un vrai problème avec le travail  : on arrive mal à faire travailler les ouvriers, ceux-ci ne restent pas longtemps dans les entreprises... Autour de Frederick Taylor [ingénieur américain fondateur de l’organisation scientifique du travail et du management scientifique, ndlr] un groupe d’ingénieurs se dit alors  : «  Ce qui nous intéresse, ce n’est plus les machines – c’est d’étudier les êtres humains.  »

 

Mesurer l'humain

Mesurer l’humain - geralt/Pixabay/domaine public
 

Ils appellent leur nouvelle activité « management ». Bien sûr, ils n’ont pas lu ces manuels domestiques – mais ça fait partie d’un inconscient collectif.

 

Est-ce qu’on retrouve des traces de ce premier management de la maison, dans le management des entreprises ?

Le premier management insistait sur l’importance de mesurer, d’avoir des chiffres, d’établir des régularités statistiques. On faisait des graphes avec les différents stades de croissance, des plans pour bien meubler sa maison, organiser sa cuisine...

Les ingénieurs gardent cette idée, mais écartent tout ce qui concerne les relations personnelles et le soin.

Car pour les tayloriens, le problème c’est précisément tout ce qui est personnel, patriarcal, toutes les relations trop individualisées. Pour eux, les entreprises sont mal gérées parce qu’elles sont gérées à l’émotionnel. Il faut arrêter de recruter le cousin du patron, qui est complètement nul, et recruter un profil, faire des fiches de poste, tester des compétences, former les gens...

 

« Le Facteur humain », film de Thibault Le Texier
 

(Thibault Le Texier est aussi réalisateur et a fait ce film d’archives sur l’imposition de la logique managériale dans la maison)

 

Comment le management s’installe-t-il dans les entreprises ?

On commence par rationaliser les environnements de travail. L’idée est que si on paramètre l’environnement de manière contraignante, les individus travailleront comme on l’attend d’eux. Le plus frappant c’est bien sûr la chaîne d’assemblage, où l’ouvrier est obligé de suivre la cadence s’il ne veut pas couler.

Il y a ensuite le fait de capter les savoirs. Avant, les ouvriers possédaient les savoir-faire sur leurs tâches, tout comme ils possédaient leurs outils. Mais le management va étudier les tâches et les décomposer – avec des caméras, des chronomètres… Ces savoirs du travail sont alors captés par le manager, qui se trouve en position de monopole.

Il y a enfin l’idée de fixer des objectifs, de tout codifier, de tout mettre noir sur blanc – alors que l’oralité était caractéristique du premier management. Tout est noté dans des formulaires, des fiches, des cahiers, des registres, des budgets… On vit toujours sur certaines techniques développées à ce moment-là.

 

Comment réagissent les travailleurs  ? Y a-t-il des protestations  ?

Quand j’ai commencé mes recherches, j’étais sûr qu’il y avait eu des révoltes d’ouvriers, de syndicats… Mais en fait, très peu. Il n’y a pas eu de vagues de grèves gigantesques, pas d’opposition très forte, juste des petites révoltes par ci par là. Mon hypothèse, c’est que le management est arrivé à un moment où les ouvriers étaient déjà disciplinés, déjà rentrés dans une discipline d’usine. C’était une violence supplémentaire, acceptée comme l’ordre des choses.

 

Avec le management s’impose aussi l’idée que l’efficacité est une chose essentielle…

Avant, le travail était valorisé pour lui-même : le but était d’être industrieux, dur à la tâche – mais pas forcément efficace. Avec les ingénieurs, l’idée d’un rendement maximal s’impose comme fin en soi. Des ingénieurs déclarent  : il ne faut plus juger l’efficacité en termes de morale, mais la morale en termes d’efficacité. Et le management participe vraiment à cette promotion de l’efficacité.

Plus une société devient technique, plus l’efficacité devient une valeur – là où on avait pu avoir l’honnêteté, la liberté, le courage, l’honneur…

On le voit dans le domaine politique  : le critère c’est l’efficacité, qui a remplacé, par exemple, celui de justice. On ne demande plus, par exemple  : «  Est-il juste d’accueillir les réfugiés  ?  » mais  : «  Quel est le nombre de réfugiés optimal qu’on peut accueillir  ?  »

 

Comment s’explique la place importante prise par le management dans les entreprises depuis les années 1950  ?

Le management lui-même a assez peu changé, les noms changent mais les théories de base restent les mêmes. Ce qui a changé, par contre, c’est la place que l’entreprise a pris dans la société. A mesure que l’Etat s’est désacralisé, l’entreprise a pris une place centrale dans la société, symbolisant le progrès technique, la croissance, la prospérité… La classe moyenne s’est aussi développée, et la catégorie des cadres est devenue dominante. De façon générale, la société s’est repolarisée autour de l’entreprise et de la culture managériale.

 

Vous montrez bien comment l’essor du management est lié à celui des techniques. Justement, les technologies numériques font-elles le lit de cette culture managériale  ?

Ça managérialise encore plus la société et les individus. Le management repose sur le remplacement des relations personnelles directes par des médiations. Or la technologie est précisément un art des médiations. Plus on introduit de médiations, plus le management se développe facilement.

Toutes les relations médiées par la technique sont très facilement managérialisables. Parce qu’elles sont déjà un peu dépersonnalisées, déjà soumises à la logique du calcul, de la mesure, elles sont déjà contraintes par des éléments techniques… De la même façon, elles deviennent très facilement marchandisables. Quelque chose qu’on peut calculer, mesurer, organiser se manage et se vend très facilement.

 

Vous avez des exemples  ?

Par exemple, le Quantified Self. A partir du moment où on peut se mesurer, mesurer ses cycles de sommeil, son cholestérol, on peut commencer à agir dessus et manager ces réalités là. Quand on a un outil, on l’utilise. La première étape c’est mesurer, ensuite c’est prescrire.

 

Le Quantified Self c’est l’aboutissement rêvé d’un management où les gens s’auto-managent, sans besoin de personne…

Exactement. C’est aussi un signe d’à quel point on est imbibé par le management, à quel point ça nous semble naturel, à quel point les gens peuvent appliquer une logique technique à leur existence ! Avant le développement de soi, c’était être vertueux, développer des vertus, être charitable, être un citoyen responsable… Aujourd’hui on est dans un truc purement instrumental  : c’est optimiser des performances, atteindre des objectifs, améliorer des scores, avoir une bonne moyenne… L’efficacité devient une fin en soi.

Plus la technique et le marché vont être liés, plus on va aller vers des formes de relation assez simples. On évacuera tout ce qui ne rentre pas dans l’équation, tout ce qu’on ne sait pas mesurer, ce qui est insensible, subtil, tout ce qui est très contingent et très personnel.

La logique même de la technologie, c’est la standardisation et c’est réduire la complexité humaine à des paramètres, à des standards. Et le management correspond parfaitement à ça. Il ne cherche pas à éliminer les hommes – mais à rationaliser ce qu’on ne peut pas automatiser, donc l’homme. Le management c’est la philosophie d’un monde technique.

 

L’histoire que vous racontez, c’est aussi celle d’une extension des territoires managés  : l’espace, les gestes, l’intime… Comme si, justement parce que ça ne marchait jamais, il fallait toujours aller chercher plus de territoires à manager.

Oui. On inclut chaque fois de nouveaux éléments dans l’équation. Il y a une sorte de boulimie  : les managers absorbent toutes les disciplines des sciences humaines dans l’idée de codifier tous les aspects de l’existence. Le management se pense comme une science totale de l’être humain, avec l’idée d’intégrer tout ce qui se fait : sociologie, psychologie, la science politique, l’ingénierie, la biophysique…

Mais c’est une pseudo-science. L’histoire paradoxale du management, c’est que ça ne marche jamais  ! De nouvelles écoles surgissent mais on ne trouve jamais la formule magique pour que les gens travaillent, restent dans la boîte et donnent toute leur énergie… 

Parce que l’être humain est complètement irrationnel  ! Ce sont des émotions, des comportements. Le management moderne s’est construit en évacuant tout ce qui est individuel, interpersonnel… et c’est ce qui revient par la fenêtre en permanence.

 

Face, justement, à l’extension des territoires gérés – les relations amoureuses, amicales, la famille, le travail, le corps etc etc. – qu’est-ce qu’il reste comme territoires échappant à ces logiques  ?

Assez peu  ! On est tellement imbibés de cette logique qu’on l’applique un peu à tout. C’est ça pour moi la grande force du management  : ce n’est pas du tout un complot, où l’on pourrait pointer du doigt des responsables et les renverser en les démasquant.

Dépasser cette rationalité managériale c’est prendre conscience de ça. L’ennemi c’est nous. C’est nous qu’il faut transformer.

Qui est contre l’efficacité aujourd’hui  ? L’objet de mon livre, c’est de dénaturaliser ça. Ce qui est naturel, pour un être humain, c’est plutôt de s’occuper de ses proches, d’être familier et personnel. Ce mode froid et instrumental de traiter le monde et les gens, c’est quelque chose d’assez fou. C’est complètement anti-naturel.

 

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 22:30

 

Source : http://www.ulyces.co/nellie-bowles/les-enfants-ados-de-la-silicon-valley/

 

 

 

L’étrange vie d’adulte des ados de la Silicon Valley

janvier 2016 30 min

 

 

Ils ont entre 16 et 23 ans et viennent de partout aux États-Unis pour vivre en communauté et secouer le monde très fermé de la tech.
 
 

Le Woodstock de la tech

 

« Tu connais Zach Latta ? » demande Fouad Matin, 19 ans, sur le toit du QG non-officiel des adolescents du monde de la tech de San Francisco. « Tu sais qu’il a reconstruit la plateforme de Yo ? Il est balaise. »

Ce soir-là, nous regardons le soleil se coucher sur Twin Peaks, et Matin me parle de ses copains qui ont lâché l’école, comme Latta, 17 ans, qui est devenu l’ingénieur principal de Yo, une application de messagerie devenue virale qui permet tout simplement d’envoyer des « Yo ». Un grand ventilateur en métal sur lequel quelqu’un a tagué les mots « paradis des nichons » expulse de l’air chaud mâtiné d’une odeur de tortillas provenant d’un restaurant vegan mexicain situé juste en bas. Matin se réchauffe en-dessous.

 

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Fouad Matin sur le toit du Mission Control
Crédits : fouad.co

 

Quand je suis arrivée, dans l’après-midi, Dave Fontenot, 22 ans, le plus âgé du groupe et devenu son leader naturel, m’a accueillie à l’entrée d’un immeuble à l’allure défraîchie, dans le Mission District. Il m’a guidée le long d’un escalier étroit avant de passer devant des lampes de sel roses et une machine à fumée, les vestiges d’une fête sur le thème du coucher de soleil himalayen datant de la semaine précédente. L’escalier débouchait sur le premier des deux salons au décor coûteux et fonctionnel. Les résidents, qui paient un loyer allant de 950 à 1 450 dollars et ont entre 18 et 23 ans, laissent leurs matelas sur le sol et de grands draps blancs entortillés gisent au bout de chacun d’entre eux. Ils conservent leurs effets personnels (déodorant, chaussures de sport) dans des armoires en plastiques le long des murs. Fontenot m’a confié que toutes ses affaires tenaient dans un simple sac à dos. Les autres, qui traînaient sur des canapés délabrés, ont prétendu faire tenir leurs affaires dans des sacs encore plus petits. Ils voulaient tous me montrer.

Sur les tables étaient éparpillés des livres de développement personnel dans le travail comme Make yourself unforgettable (« Devenez inoubliable »), une guitare ornée d’un autocollant « Fuck it, ship it », un projecteur et des emballages de barres chocolatées. Les murs sont décorés d’œuvres d’art choisies par la société propriétaire (lancée elle aussi par un adolescent) comme des têtes de cerfs en plastique et des photos d’autruches. Ils ont baptisé leur maison « Mission Control ». Alors que je me tenais entourée de cette clique d’adolescents, je n’ai pas eu le cœur de demander s’ils connaissaient le club érotique mondialement célèbre situé à quelques pas de là… Mission Control.

Jared Zoneraich, 17 ans, en train de finir ses devoirs de lycée, était vautré sur le canapé avec son ordinateur portable. Il a demandé à Fontenot s’il pouvait faire la visite avec nous. « Pas avant que tu aies fini tes devoirs ! » l’a grondé Fontenot.

 

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Le Dolores Park de San Francisco
Crédits : DR

 

Nous sommes passés devant des canettes de bière vides et des tableaux noirs portant l’inscription « 7.5m > 250K », les mots « énergie », « contrôle », « statut », « éco »,  et des dessins de calamars. Fontenot – qui porte ses cheveux en crête et se dit célèbre pour ses bas de pyjamas, bien qu’il ait revêtu ce jour-là un survêtement en mon honneur – m’a conduite jusqu’à une échelle en métal menant au toit en asphalte-gravier où nous avons retrouvé Matin pour regarder le coucher de soleil, selon leur rituel. Ce dernier a quitté l’école et déménagé dans la baie de San Francisco tout seul alors qu’il avait 17 ans.

« On ne considère pas ce lieu comme un repère de hackers », me dit Fontenot en me tendant une fausse moustache fixée sur un bâton, conçue pour les selfies. « On ne voit pas ça comme une maison de fraternité ou un espace de coworking. C’est notre chez nous. »

Avec la demande de main d’œuvre dans le domaine des technologies qui ne fait que croître, des adolescents ambitieux déferlent en masse sur San Francisco. Il n’y a pas de chiffre officiel concernant le nombre d’ados qui travaillent dans la tech, mais Fontenot estime qu’il y a au moins une centaine de jeunes ayant lâché le lycée récemment qui travaillent dans les startups de la ville. Certains étaient trop occupés par leurs projets de programmation ou leurs weekends de hackathon pour aller en cours. D’autres n’ont pas les moyens de se payer l’université et se demandent pourquoi s’endetter alors qu’il y a là de l’argent facile à prendre. D’autres encore ont déjà lancé des applications ou des startups avec succès et ne voient pas pourquoi ils devraient attendre que leur vie commence en restant chez eux. Dans les groupes Facebook pour jeunes du milieu, ils ont trouvé une alternative : des ados paressant au soleil dans Dolores Park (Dolo, comme ils l’appellent), des ados louant des bureaux onéreux à South Market, des ados qui font la fête quand ils veulent… Ils ont donc déménagé à San Francisco et beaucoup d’entre eux ont atterri dans des maisons comme Mission Control.

 

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Dave Fontenot
Crédits : Dave Fontenot/Facebook

 

Leurs parents suivent tout ça de loin, certains font montre d’un plus grand soutien que d’autres. « Il nous manque. Il nous manque beaucoup », me confie Tanya Latta, la mère de Zach. « Mais l’objectif pour nous, en tant que parents, c’est de voir nos enfants autonomes et heureux. Donc quand on a vu qu’il atteignait ce stade un peu tôt, nous étions ravis de le voir dans son élément. Mais c’est arrivé si vite. »

En ce moment, Fontenot n’est pas tant un entrepreneur qu’un Peter Pan pour ces enfants perdus –car la plupart sont vraiment des enfants –, un chef facétieux et évangéliste. À un moment, il voulait monter une startup du nom de Doork et il avait même acheté le nom de domaine Doork.com. « Door (porte) avec un k, pour knowledge (savoir) », dit-il en riant. Il dit être dans une période de sa vie très créative et essayer d’appliquer « l’état d’esprit de croissance » à absolument tout. Ce qui pour l’instant se résume dans son cas à jouer du ukulélé, recruter de jeunes talents pour des entreprises et organiser d’énormes hackathons nationaux. Un des acolytes de Fontenot a fait des t-shirts avec un pochoir de son visage et les mots « Connaissez-vous Dave ? ». Il utilise son URL Facebook (bit.ly/helllyeah) comme carte de visite, codé de façon à ce qu’en utilisant plus de L on tombe quand même sur son profil.

« Les hackathons sont les Woodstock de la tech », dit Matin, utilisant une phrase répétée par beaucoup de jeunes développeurs quand ils évoquent ces événements, qui deviennent des outils de recrutement de plus en plus puissants pour les entreprises qui cherchent de jeunes talents, et la meilleure façon pour les ados américains de se rencontrer et de se motiver à déménager vers l’ouest. « Woodstock était le flambeau d’une idéologie. Janis Joplin disait : “Le gars à votre droite est votre frère.” C’est la même chose pour les hackathons. »

Alors que la nuit tombe, Fontenot doit s’en aller pour se rendre à une soirée Y Combinator organisée pour les créatrices de startups. Matin, lui, va à une soirée baptisée Nerd Night. Je redescends l’échelle de métal qui mène aux salons, où une fête est sur le point de commencer. Je rencontre Latta, le fils prodigue à la voix enjôleuse ; Jackson Greathouse Fall, un jeune homme pimpant de 19 ans qui arrive tout droit d’Oklahoma ; et Ryan Orbuch, 18 ans, beau, extraverti et fin prêt pour le tumulte des startups.

« Je comparerais ça à une famille très élargie », dit Max Wofford, 19 ans, qui porte le t-shirt large d’une startup et qui est récemment arrivé de Californie du Sud. « Dans ce genre de maison, dans cet environnement, je peux faire ce que j’aime et j’y excelle. » Il hésite une seconde et désigne ce qui l’entoure, ses cheveux en désordre tombant sur son visage. « Mais je ne peux pas vraiment dire que je sais comment la vie fonctionne ici. Pour l’instant, je dors sur un pouf. » (Wofford, qui mesure 1 m 90, a depuis amélioré sa situation et dort sur un fin matelas à mémoire de forme.)

Ces adolescents se révèlent être aussi des développeurs exceptionnellement créatifs.

Fontenot est bientôt de retour avec une assiette de fromage et de raisin et un cubi de vin récupéré de la soirée YC. Matin met des bouts de brie aux truffes dans un morceau de pain et le fait griller. Aujourd’hui, le type du marché Bi-Rite Market lui a expliqué la différence entre le fromage de vache et de brebis, raconte-t-il en se servant un verre. Quelques ados rappliquent et commencent à se préparer des sandwichs. « Ne mangez pas tout le fromage avant que les gens n’arrivent ! » prévient Fontenot.

Ce monde adolescent peut être dévorant, isolant même. Lorsque je revois Ryan Orbuch au Ferry Building quelques semaines plus tard, nous regardons une femme qui avance avec une poussette. « Un des trucs qui m’arrivent en vivant ici, c’est que j’oublie la taille des gens », dit-il. « Genre les bébés. J’en ai pas vu depuis des mois. J’oublie les différentes tailles que peuvent faire les êtres humains. Des vieux, j’en vois un peu plus. L’autre jour, j’ai eu un vieux comme chauffeur Lyft. »

 

Les enfants perdus

Peter Thiel, cofondateur de PayPal à tendance libertaire, a signé le dernier investissement Peter Pan de San Francisco en date. En 2010, sa fondation a lancé une bourse qui attribue chaque année 100 000 dollars chacun à 20 jeunes ayant quitté le lycée. L’un de ses slogans est : « Certaines idées ne peuvent pas attendre. » Cette bourse a attiré beaucoup d’attention, devenant instantanément la marque de reconnaissance d’une certaine élite que les autres ados ayant quitté l’école ont commencé à rallier. « Cette bourse est un drapeau, un flambeau », dit Matin. « Même si on ne l’obtient pas forcement, ça légitime notre travail. »

Danielle Strachman, la directrice de programme de la bourse Thiel, confirme cette idée. « Peter Thiel, PayPal, ce sont des choses qui parlent aux parents », dit-elle. Je la rencontre en compagnie de Michael Gibson, le vice-président des attributions de la bourse, dans une salle de conférence du siège de la Fondation Thiel. Le bâtiment est épuré, moderne et se situe à Presidio, un ancien avant-poste militaire dont beaucoup de vieux immeubles blanchis à la chaux ont été reconvertis en bureaux de startups. Quand la bourse a été lancée, « ça a été une tempête médiatique », dit Gibson. « L’une des plus grandes peurs de ces jeunes est d’être incompris par leurs parents – par tout le monde en fait. Un des accomplissements de cette bourse, c’est de rendre leur démarche intelligible. »

 

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Peter Thiel
Crédits : The Thiel Foundation

 

Plus de 430 personnes ont postulé la première année. En 2014, en partie grâce à une simplification des démarches de candidatures, le nombre est monté à 3 100. « Quand la bourse a commencé, on avait de jeunes prodiges, des génies », dit Strachman. « Mais il y a tellement de jeunes qui abandonnent leurs études de nos jours que le profil est passé à l’ado de base. » Sur les 84 boursiers jusque-là, seulement huit sont retournés à l’université, et deux d’entre eux ont à nouveau abandonné un peu plus tard. Les boursiers comptent entre autres les fondateurs de Streem (acheté par Box), Propeller (acheté par Palantir) et Flashcards+ (acheté par Chegg).

Les responsables chargés des bourses, cependant, en sont arrivés à se considérer comme une barrière de protection entre les adolescents et les venture capitalists affamés de jeunes talents. Ils craignent que beaucoup de ces prétendants ne cherchent pas à développer des esprits originaux, mais à recruter des développeurs pour leur portefeuille de sociétés déjà existantes. « Nous tenons vraiment à ce que les boursiers soient des entrepreneurs », dit Gibson. « Les adolescents ont une grande résistance au risque. Ils peuvent vivre dans des conditions que nous trouverions inhospitalières. Ils ont un esprit neuf, et beaucoup de facultés d’adaptation, de jeunesse et d’énergie. »

Les adolescents se sont aussi révélés être des développeurs exceptionnellement créatifs, disent les responsables de la fondation. Conrad Kramer, un des boursiers actuels de Thiel, est âgé de 18 ans et a cofondé le service de transfert de fichiers DeskConnect. Il est célèbre parmi ses pairs pour avoir remporté les plus prestigieux hackathons du pays alors qu’il était encore au lycée. Kramer a gagné le PennApps de l’université de Pennsylvanie à l’automne 2013 et avec son équipe, ils ont remporté le MHacks III de 2014, de l’université du Michigan, grâce à une application d’automatisation des tâches du nom de Workflow. Lors de son lancement, Workflow est devenue l’application la plus téléchargée sur iPhone en seulement quatre jours. En facturant jusqu’à cinq dollars le téléchargement, Kramer et ses cofondateurs, Ari Weinstein, 20 ans, et Nick Frey, 19 ans, ont pu éviter d’emprunter de l’argent pour leur investissement.

 

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L’emblème des boursiers

Mais en dépit de leurs succès, les jeunes fondateurs font face à des défis auxquels les chargés des bourses ne s’attendaient peut-être pas. « Nous avons des jeunes gens qui nous envoient des emails à propos de tout un tas de choses, cela va de : “J’ai besoin d’aide pour savoir quoi faire ici”, à : “Je me suis fait largué.” », dit Strachman. « Un des gamins a levé 40 000 dollars et a eu son premier rendez-vous amoureux dans la même journée. » Dans certains cas, elle et les autres responsables se substituent au rôle des parents et guident les boursiers dans la gestion de leurs finances personnelles, dans l’étiquette, la façon de rédiger un email, ou les démarches à effectuer pour leur assurance maladie. Parfois, c’est même beaucoup plus basique.

« J’ai récemment eu une conversation avec un jeune homme uniquement consacrée aux bonnes manières à table », me dit Strachman. « Nous avions un bol de chips et de la sauce et il a commencé à les saler de façon démesurée. » Elle lui a expliqué qu’il était plus poli de demander aux autres convives avant de saler un bol de chips destiné à toute la table. Elle a également parlé à certains boursiers des bienfaits d’une utilisation mesurée de l’eau de Cologne…

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À la soirée Mission Control, Jackson Greathouse Fall se démarque des autres avec son blazer gris, sa cravate, son jean ourlé et ses cheveux peignés en arrière. Je suis assise sur un canapé, coincée entre des ados qui m’expliquent que Fall, 19 ans, habille tout le monde pour les rendez-vous avec les entreprises prospectrices. Je l’accoste dans la cuisine. Il m’explique que son rôle, au sein de la famille élargie des ados du monde de la tech, est d’être leur consultant en mode – le couturier des enfants perdus. Ses amis lui envoient des selfies avant-après et Fall leur recommande des tenues (c’est un fan des blazers en lin) ou des services de shopping comme Trunk Club. « La première impression compte beaucoup, surtout ici. Le jour où ils se retrouvent avec un deal à un million de dollars », dit-il, la plupart des jeunes portent « des t-shirts gratuits récupérés lors de hackathons. C’est une question de respect de soi. »

Les motivations pour faire appel aux services de Fall peuvent être diverses. « Jackson m’habille pour les rendez-vous avec les filles », dit Orbuch.

Quelques semaines après cette soirée, je rends visite à Fall dans sa colocation située sur les bords d’une falaise, à Bernal Heights. Il se prépare un expresso dans la cuisine, qui dispose d’une vue imprenable sur l’océan et la ville entière. Fall a grandi à Oklahoma City – « where the wind never stops rushing down the plains… » chante-t-il pour lui-même – et s’est intéressé à la tech grâce à des amis rencontrés en ligne. À l’âge de 12 ans, Fall tenait un blog sur lequel il postait des vidéos de stars de la tech comme les écrivains Leo Laporte et Gary Vaynerchuk. À 13 ans, il a découvert un groupe Facebook intitulé Millenial Generation Entrepreneurs et il a pris conscience de quelque chose d’incroyable : des gens de son âge quittaient l’école pour se rendre à San Francisco.

 

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Jackson Greathouse Fall
Crédits : Jackson Greathouse Fall/Facebook

 

À la fin de son année de première, Fall a quitté le lycée et a enchaîné plusieurs jobs de design. Il a déménagé à L.A. l’année dernière, quand il a eu 18 ans, et a pris le bus pour la baie pour rendre visite à un ami en stage dans une startup du nom de Relcy. Alors qu’il était là-bas, Fall a inventé une nouvelle stratégie de design pour la startup. Le PDG de son ami a été si emballé par son idée qu’il lui a demandé d’annuler son billet de bus retour – « un vrai conte de fée », dit-il.

La maison dans laquelle vit Fall actuellement compte cinq résidents permanents et en général deux de passage. Il estime que la moyenne d’âge est de 21 ans. Il y a une table de ping-pong, une machine Nespresso, un piano en bois contre le mur, une étagère murale pleine de livre de business (les classiques : The Hard Thing About Hard Things, de Ben Horowitz, The Lean Startup, d’Eric Ries et un éventails d’ouvrages de Dale Carnegie), une Xbox 360 et deux cheminées. À l’exception de quelques canettes de bières vides ici et là, c’est assez propre.

« Tout le monde ici a quitté l’école, sauf Flavio, qui a créé le Groupon suisse », dit Fall en ouvrant une boite de noix de macadamia au chocolat. Le soir, les colocataires reçoivent des amis et écoutent de la musique, surtout du hip-hop. Ils commandent à dîner sur Postmates – ils apprécient surtout le sandwich au fromage grillé d’un bar du Mission District – ou bien ils se déplacent pour manger dans un restaurant de tacos situé à proximité. De temps en temps, ils organisent des soirées de pitching bourrés. « Les gens viennent de tout l’État pour ça », dit Fall. « Tout le monde peut présenter son projet, mais il faut être bourré. » Récemment, il s’est aussi mis aux brunchs et à manger sans gluten.

Mais Fall travaille, avant toute chose. Il est designer pour Pivit, qui fait de la traque de revenus et l’a trouvé sur LinkedIn, et il a travaillé pour Eaze, le Uber de la beuh. Fall se repose beaucoup sur le réseau des adolescents. « Si j’ai besoin de travail ou d’aide, il y a toujours quelqu’un », dit-il. « Tous ceux qui sont ici savent par quoi il faut passer pour arriver ici, le fait de ne pas avoir fait demi tour pour être rentré chez eux atteste de leur ténacité et de la solidité de la communauté. »

La plupart bénéficient du soutien de leurs parents, dont Fall, mais régulièrement, dit-il, « on entend parler de fugues. Un gamin, de 15 ou 16 ans peut-être, est venu ici pour un hackathon et n’a pas pris de billet retour. Il vivait chez nous. Ses parents ont appelé l’un de mes colocs et on a dû le convaincre de rentrer chez lui. » Mais leur porte est ouverte. « Je veux que les gens sachent que cette communauté existe », dit-il. « On aime tout le monde. On est là. » Alors que je m’en vais, je réalise que je ne lui ai pas posé de question sur ses finances. Est-il indépendant ? Veut-il que je lui apporte des snacks ?

« Oh », dit-il, surpris. « J’aide ma mère à payer ses factures. J’ai fait le père Noël pour mes sœurs, cette année. C’est un sentiment génial. »

 

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Un carrefour du Mission District
Crédits : DR

 

Comme des grands

De l’autre côté de la ville, dans un entrepôt du quartier de South of Market, un soir de février, Ashu Desai, qui a quitté l’université à 18 ans, fait de son mieux pour construire une réplique de son expérience des dortoirs d’université de la salle commune. Il a installé des cartes de poker sur de longues tables de travail et a truqué un projecteur de Super Smash Bros. Une douzaine de gosses jouent au poker et à des jeux de cartes de fantasy en buvant du soda.

Si certains ados arrivent à San Fransisco en ayant déjà en poche des applications géniales, la plupart arrivent avec pour seul bagage leur ambition et une foi aveugle dans le fait que cette industrie florissante va faire d’eux les outils dont elle a besoin. Desai a donc créé Make School, un programme d’étude en deux ans qui remplace l’université. « Ce n’est pas qu’on n’a pas besoin d’éducation, c’est juste que ce n’est pas de ce genre d’éducation qu’on a besoin », dit Desai, qui a maintenant 22 ans.

« Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des lycéens peuvent construire quelque chose qui n’impressionne pas que leurs pairs, mais aussi les adultes », dit Jeremy Rossman, le cofondateur de Desai. « On est habitué à ce que le lycéen soit subordonné à un élève d’université, lui-même subordonné à un adulte. Mais la moitié des équipes victorieuses dans les hackathons sont dirigées par des lycéens. »

Sur un simple regard de son fils, le père est allé attendre dans la voiture.

Alors qu’il était encore au lycée, Desai a conçu un jeu pour iPhone qui s’est vendu à 50 000 exemplaires. « Qui se soucie encore d’un diplôme après ça ? » dit-il. Il s’est inscrit à UCLA mais il avait du mal à se concentrer, il ratait des cours et a finalement laissé tomber, au grand dam de ses parents horrifiés. « Mes parents viennent tous deux d’Inde et depuis que nous sommes tout petits leur objectif pour nous, c’est HYPS », dit-il. « Harvard, Yale, Princeton ou Stanford. » Mais avec Rossman, son copain de lycée qui a abandonné le MIT, Desai a été accepté dans l’incubateur Y Combinator. Ça a aidé au niveau des parents. « YC a été notre ticket pour laisser tomber les études », dit Desai. « Ça donnait du crédit à la décision. »

Aujourd’hui, grâce aux investissements d’Andreessen Horowitz et Tim Draper, Make School, officiellement lancée en septembre dernier, a développé un cursus censé couvrir les besoins en compétences des développeurs de logiciels. Les cours comprennent Version Control, Etiquette et Process in the Open Source Community. La façon de postuler au Y Combinator est enseignée en cours particuliers dans le hangar où Desai héberge les soirées jeux. Durant l’année bêta, les élèves ont été hébergés dans une maison de Palo Alto, mais depuis septembre ils vivent à San Francisco même. Entre les deux années de cours, ils doivent effectuer un stage de six mois.

Enseigner aux étudiants comment créer des applications s’est révélé être la partie facile, raconte Desai. Le vrai challenge est de réussir à leur apporter tout le reste de ce que l’université apporte. « Comment les préparer socialement pour le monde réel ? » dit-il. « Comment leur apprendre à se faire un réseau de contacts, à pitcher leurs projets, à s’exprimer ? » Nutrition et exercice physique est un autre cours obligatoire.

Les étudiants de Make School ne paient rien au début, mais ils s’engagent à payer plus tard. Desai estime que ses diplômés gagneront environ 100 000 dollars par an dans les deux ans qui suivront leur diplôme, et 45 000 de plus pendant leur stage. L’école prélève un pourcentage de ce total pour obtenir environ 80 000 dollars de chaque étudiant. « Mais on ne facture que si ça marche pour eux », dit Desai.

 

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Ashu Desai
Crédits : Make School

 

Masaku Bando, 20 ans, a rejoint l’école pendant l’année bêta et alors qu’il était encore en cours, il a décroché un job de rêve dans une startup de navigation sociale du nom de Papaly. Il n’est pas retourné au MIT. Un autre élève de la promo, Lynne Okada, 19 ans, me dit avoir du mal à imaginer retourner à l’école à l’université de Santa Cruz : « La vie que je vis maintenant est tellement plus amusante. »

Un jeune homme est venu à la soirée jeux avec son père, qui a inspecté la salle du regard alors que tout le monde s’installait. Sur un simple regard de son fils, il est allé attendre dans la voiture.

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Zach Latta, de Yo, vit avec huit colocataires, dont trois autres adolescents, dans le Castro District. Peu après la soirée Mission Control, je fais un saut à son vieil appartement victorien, situé au-dessus d’un café et juste à côté du Castro Country Club, un centre communautaire LGBT. En comptant le placard, il y a sept chambres. « C’est un placard qui coûte cher », dit Latta en me suggérant de lire l’article que Business Insider a publié à ce propos.

Latta porte un jean noir et un sweat zippé gris qui semble un peu grand pour sa carrure allongée. Ayant grandi à L.A., il a appris le html en classe de troisième et a toujours été un élève brillant. Il prenait des cours d’informatique dans un collège communautaire local. À 13 ans, il se faisait de l’argent grâce à des contrats qu’il avait obtenu sur la plateforme de partage de code GitHub, et il ratait l’école pour participer à des hackathons. Un jour, quelques semaines seulement après le début de son année de première, il a dit à ses parents qu’il voulait quitter le lycée. Il a tenté les cours en ligne mais c’était trop facile. Il a commencé à parler de déménager à San Francisco. « On s’est dit : “Quoi ?” On ne connaissait aucun parent qui aurait laissé leurs enfants faire ça », dit Tanya Latta. « Et on lui a dit : “Ok, présente-nous le projet : Où habiterais-tu ? À quoi ça ressemblerait ?” »

 

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Zach Latta
Crédits : Michael Schmelling

 

Latta connaissait déjà des dizaines d’ados de l’univers tech de San Francisco grâce aux hackathons, aux groupes Facebook de jeunes entrepreneurs et à l’entretien Y Combinator, et il savait où il habiterait. Tanya a accepté de le laisser faire un essai, du moment qu’il la laissait l’accompagner pour voir l’endroit. Ils s’y sont rendus et Tanya a rencontré les futurs colocataires. « Certains des gars étaient plus âgés que lui, d’autres plus jeunes », dit-elle. « C’est comme une petite famille. »

Elle l’a aidé à emménager dans le nouvel appartement, que les résidents appellent Castro House. Ce n’est qu’après qu’il soit parti qu’elle a réalisé qu’il avait emporté presque toutes ses affaires. « C’était très, très dur de le laisser partir », dit-elle. « Tout le long, on a pensé que ce serait temporaire, mais maintenant il semble que ça ne le soit pas. Peut-être qu’il va passer un bon bout de temps là-bas. »

Tanya est contente de voir son fils s’épanouir dans son nouvel environnement, « mais les autres parents posent des questions », dit-elle. « Comme : “Est-ce que c’est légal de le laisser vivre tout seul ?” » Latta a passé et obtenu l’examen d’équivalence des lycées de Californie, mais lui et ses parents se sont mis d’accord sur le fait qu’il était trop compliqué de devenir officiellement émancipé, aussi a-t-il juste déménagé. « Si je veux faire le plus de choses possibles dans ma vie, il n’y a pas de meilleur moyen que de déménager à San Francisco et de faire mes trucs », dit Latta. « C’est génial d’avoir rencontré cette communauté. C’est comme si on s’autorisait à oublier ce qu’on nous a toujours appris. »

 

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Aashna Mago
Crédits : Michael Schmelling

 

Vers 21 h, le jour de ma visite, sa maison est calme et les jeunes entrepreneurs travaillent à leurs bureaux et dans le salon. Je m’assieds dans la cuisine sur une chaise Ikea. Aashna Mago, 19 ans, qui vient de Newtown en Pennsylvanie, nous rejoint et s’assoit sur la table. Elle a emmenagé dans la Castro House en avril, après avoir quitté Stanford pour travailler pour Rothenberg Ventures, une firme spécialisée dans la réalité virtuelle. Là-bas, elle travaille avec un éventail d’entreprises, fait du codage et monte des vidéos pour créer des scènes de réalité virtuelle (VR). « Je dois me comporter comme si je n’avais pas 19 ans », dit-elle. « L’autre jour après le travail, tout le monde est allé boire des verres. » Elle est rentrée chez elle (aux États-Unis, il faut avoir 21 ans pour acheter ou consommer de l’alcool). « Plus tôt cette semaine, on a eu un gros événement de VR, j’ai fait tout le trajet à pieds pour m’y rendre et c’était dans un bar. » Elle est à nouveau rentrée chez elle. « C’était un peu dur. »

Mago dit qu’elle voudra probablement retourner à l’école. « Ce que je fais ne plaît pas trop à mes parents », dit-elle. « Au bout d’un moment, les défier est contre-productif… »

« Je vois ce que tu veux dire », intervient Jonathan Leung, colocataire de Mago et cofondateur de la startup Latta. Ce dernier acquiesce. Il m’emmène dans sa chambre, composée d’un lit superposé au-dessus d’un centre de commandement pourvu de trois écrans d’ordinateur, qui sert de QG à sa startup, hackEDU, qui travaille à mettre en place des clubs de codage dans les lycées du pays. Latta et Leung ont fondé leur société en août et ont assuré 130 000 dollars de fonds provenant d’amis et d’une bourse de la fondation Logan. Max Wofford, le grand type qui est récemment passé du pouf au matelas à mémoire de forme, a rencontré Leung lors d’une retraite de développeurs du nom de Hacker Paradise et a rejoint l’équipe en janvier, alors qu’il avait 18 ans. Dans leur chambre partagée au bout du couloir, Leung et Wofford ont des lanternes en verre pleines de billets. L’une des choses à laquelle les trois garçons ont décidé de se consacrer est de respecter leurs engagements. Ils ont donc mis en place un MIT, un Most Important Task (en anglais, liste des tâches par priorité). « Comme par exemple faire le suivi avec un investisseur. Pour chaque minute de retard, on doit payer une pénalité de un dollar », explique Latta. « On veut vraiment respecter l’intégrité de chacun. On est allé à la banque et on a tous fait changer 300 dollars en billets de un. » Ce système a fonctionné pendant environ un mois, mais les lanternes pleines de billets sont restées. Dehors, les garçons ont creed éé un mur plein de Post-it avec des objectifs du type « 12 avril, 100 000 dollars » et un smiley avec des dollars à la place des yeux.

Alors que la vie quotidienne de Latta ressemble à celle de beaucoup de jeunes ingénieurs de la région de la baie de San Francisco (se réveiller en pensant codage, lire des livres de développement personnel, essayer de faire le l’exercice, démarcher les entreprises), il fait face à des défis singuliers. « Tous les clubs de gym dans lesquels je suis allé m’ont rejeté parce que je ne suis pas encore un adulte », dit Latta. Récemment, il est allé en voir un à 6 h du matin, en tenue de sport, pour être rejeté une nouvelle fois. « L’autre jour, je suis allé à la banque pour ouvrir un compte parce qu’on fait une levée de fonds », dit-il, « mais je ne peux pas ouvrir de compte en banque. Je ne peux pas m’inscrire à la sécurité sociale. »

Alors qu’il participait à une compétition de code à San Francisco, les organisateurs ne voulaient pas le laisser quitter seul l’immeuble car il est mineur. « Le voilà vivant tout seul à San Francisco », dit Tanya en riant, « qui m’appelle pour me dire : “Maman ils ne veulent pas me laisser rentrer chez moi !” »

 

Interact

Derrière tout ce mouvement, il y a l’argent. Ces ados n’opèrent pas à partir de rien, ils font partie d’un nouvel écosystème de venture capitalists encore plus affamés. En février dernier, certains VC les ont emmenés skier.

 

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Pendant un séjour de quatre jours extrêmement coûteux près du lac Tahoe, baptisé Interact, les partenaires d’un groupe de firmes puissantes ont organisé des dîners privés et des tours en bateau pour une centaine de jeunes entrepreneurs vraiment spéciaux (moyenne d’âge, 21 ans). Ils travaillaient dans le lobby de l’hôtel Basecamp, un complexe ressemblant à un plateau de tournage de Wes Anderson avec des murs en bois recyclé, des lampes de camping rétro et une salle pour dormir, avec une tente et un faux feu de camp près du mur. Ils ont emmené les jeunes faire de longues marches le long de la plage pour discuter de financement de startup. Ils tentaient de parler de redimensionnement de sociétés entre deux montées en téléphérique.

Interact a commencé il y a deux ans. À la base, c’était un simple rassemblement de jeunes entrepreneurs à la conférence tech SXSW. Inventée par Maran Nelson, 23 ans, cofondatrice d’une startup d’assistants virtuels du nom de Clara, le rassemblement a rapidement attiré des sponsorings d’investisseurs et en 2015, il est devenu une retraite indépendante. Les ados de Tahoe, dont beaucoup se trouvaient à la soirée Mission Control le soir précédent, sont restés évasifs avec les investisseurs. Ils n’étaient pas sûrs de vouloir parler financement mais étaient certains d’être ravis d’apprendre à se connaître en skiant et en faisant de bons repas. Au moins un des ados présents a appris à ouvrir sa première bouteille de champagne.

À Tahoe, Julie Deroche, directrice des recrutements universitaires chez Greylock Partners, a passé du temps avec Conrad Kramer, l’un des boursiers Thiel les plus brillants. « Quand on rencontre des gens comme Conrad, il faut savoir rester proche d’eux », me dit-elle. Kramer semble partagé sur cette cour qui lui est faite et dit que lui et ses cofondateurs ne sont pas encore prêts à parler à des investisseurs.

 

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Deepak Jeevan Kumar
Crédits : DR

 

Pendant Interact, Deepak Jeevan Kumar, l’un des dirigeants de General Catalyst Partners, a animé des sessions pour encourager les participants à travailler dans des entreprises du secteur qui sont moins sexy, comme celles qui donnent dans le cloud computing, mais qui d’après lui ont besoin d’idées neuves. « Je résumerais ça par le fait que la curiosité intellectuelle des êtres humains diminue avec l’âge », me dit-il. « La curiosité intellectuelle est liée à l’imagination et à la capacité à prendre des risques. Ajoutez à cela le fait que l’expérience compte de moins en moins pour devenir entrepreneur dans l’industrie. La seule barrière qui se dressait encore entre les jeunes et l’entrepreneuriat était le manque d’expérience. Aujourd’hui, l’expérience est un handicap. » Quand je demande à Kumar quel est son âge, il plaisante en disant qu’il se sent l’âme d’un jeune de 15 ans. Il a l’air d’avoir la trentaine.

Il y a quelque chose d’étrange dans la fétichisation de ces ados talentueux, dans l’énergie que les investisseurs sont prêts à déployer pour se les approprier ainsi que dans leur scepticisme face aux gens de plus de 25 ans, surtout quand on sait que la plupart des plus grosses startups d’aujourd’hui – Uber, WhatsApp, Slack – ont été fondées par des adultes.

Même les ados trouvent cela un peu bizarre. « Je veux que les gens m’apprécient pour mon mérite, pas pour mon âge », dit Latta. « J’ai presque l’impression que mon âge peut déconcentrer. Je mens souvent à ce propos. » Mais il admet parfois « jouer la carte de l’âge ».

Kristina Varshavskaya, qui a emménagé à San Francisco il y a quatre ans, à l’âge de 17 ans, essaye d’éviter la question de l’âge en général. Elle ne voulait pas particulièrement être une ado entrepreneure. Quitter son lycée dans le New Jersey était une décision pragmatique. « Les gens que je rencontrais à l’époque me trouvait intrépide, mais le lycée ne se passait pas bien, je m’inquiétais d’intégrer une bonne université et je ne savais pas comment j’allais financer mes études », dit Varshavskaya. Sa grande sœur vivait déjà à San Francisco et elle a monté Wanelo, un réseau de shopping en ligne pour lequel elle a demandé de l’aide à Varshavskaya. « Je me suis dit : “Oh mon Dieu, je vais enfin pourvoir faire quelque chose de ma vie.” » dit-elle. Ses parents, sceptiques à la base, l’ont soutenue.

Pendant huit mois, Varshavskaya a dormi dans la penderie de sa sœur dans le quartier de Mission, et elle a travaillé sur presque tous les aspects de la nouvelle entreprise. Quand Wanelo a réussi à lever plusieurs millions de dollars lors d’un premier tour de table, Varshavskaya s’est installée dans son propre appartement. La société avait besoin d’une application iPhone, aussi Varshavskaya, qui avait créé des sites web étant petite, a appris toute seule à en concevoir une. Ça a été un énorme succès. En 2013, Wanelo a été valorisée à plus de 100 millions de dollars. Mais il y a eu des défis. « Quand j’avais 17 ans, personne ne me prenait au sérieux. La plupart des gens n’avaient aucune considération pour moi, même pas pour l’entreprise », dit-elle. « C’était dur de se faire des amis à cause de ça, et aussi parce que je ne pouvais pas entrer dans les bars. » Elle connaît le groupe des ados de la tech, mais elle a aussi son propre groupe d’amis en dehors de ce milieu. « Je rencontre beaucoup de gens qui vont soit fétichiser tout ça, soit le dénigrer. Ce fétichisme est bizarre », dit Varshavskaya. « Le groupe de jeunes mecs, là. Beaucoup d’entre eux sont traités comme des dieux, des sorciers ou des héros, et tout ce qu’attendent les investisseurs c’est leur prochain tour de magie, mais ils ne font rien de si fabuleux. Ils sont juste très jeunes. Je m’inclus là dedans. »

À mesure que Wanelo a grossi, Varshavskaya est devenue un talent recherché. Aujourd’hui, à 21 ans, elle est designer de produit chez Facebook, un job convoité. « Je suis le chef d’un jeune diplômé. Un designer qui sort de l’université », dit-elle. « Ce qui est marrant parce que je suis plus jeune que lui de plusieurs années et que je ne suis jamais allée à l’université. »

 

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Kristina Varshavskaya
Crédits : Kristina Varshavskaya/Facebook

 

Ryan Orbuch ne s’est pas vraiment enfui de chez lui, mais ça n’est pas passé loin. Large d’épaule, un franc sourire aux lèvres, le jeune homme de 18 ans ressemble à une star locale de football américain. Orbuch a grandi à Boulder et il a l’âme d’un entrepreneur depuis le CE2, à l’époque où il s’est lancé dans le business du jardinage et dans son propre petit journal, The Crest View Times. « Ensuite, je suis passé par ma phase stand de limonade », dit-il. En 5e, il avait déjà débridé son iPhone et se familiarisait avec iOS. Avec un copain, il a lancé sa première application en 2013, un outil de productivité du nom de Finish. Il avait 16 ans. L’application est rapidement devenue numéro 1 des ventes dans sa catégorie sur l’App Store, et elle a même fini par remporter un Apple Design Award. On a parlé de lui dans le New York Times et TEDxTeen.

Orbuch n’est passé ni par Stanford, ni par la bourse Thiel. Son application n’a même pas eu de franc succès passé le boom de départ. Mais il a quand même eu le temps de se faire pas mal d’argent et de gagner énormément de confiance en lui. Peut-être n’avait-il pas assez de bonnes notes, mais il avait créé quelque chose. Il a entendu parler d’Interact alors qu’il était au collège. C’était la première fois que l’événement était organisé dans le cadre du SXSW et il a demandé à sa mère s’il pouvait y aller. Elle a dit non, parce qu’il ne travaillait pas assez bien à l’école, mais il s’est quand même acheté un billet pour Austin, au Texas. Nelson, l’organisateur de l’événement, a reçu un appel de sa mère.

Un an et quelques plus tard, Orbuch s’est rendu à San Francisco pour une conférence organisée par la fondation Thiel. « Mon monde a explosé quand je suis venu pour la première fois », dit-il. À 17 ans, il a sauté le pas. À ce stade, ses parents restaient prudents mais le soutenaient.

Aujourd’hui, Orbuch vit avec un autre adolescent entrepreneur dans un appartement de l’Embarcadero, avec une vue sur toute la baie et une cheminée de presque trois mètres de long dans le lobby de l’immeuble. L’appartement est jonché de meubles Ikea qui n’ont pas encore été assemblés et comporte aussi deux matelas gonflables pour les amis de passage. Dans le frigo, il y a des boissons au gingembre et de la viande froide. « On commence à avoir de la nourriture d’adultes », dit Orbuch. « T’as déjà goûté Soylent ? »

 

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Ryan Orbuch
Crédits : Ryan Orbuch/Facebook

 

Pour Orbuch, ça a plus de sens de monter une entreprise pendant qu’il est adolescent que plus tard dans sa vie. « Les gens disent toujours : “Tu es très jeune pour prendre autant de risque.” Moi j’hallucine quand les gens montent des sociétés à 30 ans ! » dit-il. « Si je me plante, Je rentre chez ma mère et je vais à l’université. Le pire qui peut arriver reste très relatif. »

Il n’est plus vraiment en contact avec ses anciens amis – « Je me sens un peu coupable, et en même temps non » –, même s’il a récemment essayé de s’introduire sur le campus d’un lycée local afin de poser des questions aux élèves dans le cadre de recherches de terrain pour sa société. « J’ai appris que si tu veux t’introduire dans un lycée, il te faut une carte des lieux pour savoir où se trouve la cafétéria afin de ne pas avoir l’air suspect », dit-il.

Aujourd’hui, en tant que cofondateur de Volley, une startup d’apprentissage sur mobile, Orbuch fait face à toutes sortes de responsabilités auxquelles il ne s’attendait pas en déménageant ici. « Tu savais qu’il faut faire assurer ses bureaux ? Et l’assurance santé ? Je n’étais jamais allé chez le médecin sans mes parents avant », dit-il. « Tous ces trucs d’adulte arrivent beaucoup trop vite. » Mais il s’en sort. « Zenefits, c’est génial », ajoute-t-il.

Sur son balcon, on installe deux chaises de bureaux. Orbuch pointe du doigt des palmiers et l’immeuble Mozilla. Il regarde les bateaux et dit qu’il ne comprend pas pourquoi ses voisins gardent une mangeoire pour colibris.

Il s’est bien amusé à Interact cette année, mais il s’inquiète parfois de la taille, si petite, du monde dans lequel il évolue. « Il y a un truc qui m’embête, c’est le côté insulaire de la tech, ça limite », dit-il. « En gros, c’est presque uniquement des mecs blancs. C’est une fausse bulle avec beaucoup d’argent et on s’en contente. » Il envisage de se rendre à un événement de rencontres géré par l’un de ses amis appelé Tea with Strangers (« un thé avec des inconnus »). « Je ne connais personne qui ne soit pas dans la tech. Parfois je me demande s’il y a des gens en dehors. Des filles, peut-être ? Comment on les trouve ? »

[Certains des jeunes entrepreneurs qui ont participé au séjour Interact du lac Tahoe à l’hiver dernier ont payé eux-mêmes une partie de leurs frais de voyage.]


Traduit par Caroline Bourgeret et Arthur Scheuer d’après l’article « The Real Teens of Silicon Valley », paru dans California Sunday Magazine.

Couverture : Certains des ados de la tech, par Michael Schmelling.

 

 

 

Source : http://www.ulyces.co/nellie-bowles/les-enfants-ados-de-la-silicon-valley/

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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 22:11

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Le travail du dimanche peine à s'imposer
22 janvier 2016 | Par Mathilde Goanec
 
 
 

Le travail du dimanche est l’un des symboles de la loi Macron. Six mois après son adoption, les couacs se multiplient sur la mise en œuvre. Dernier en date, l’accord signé à la Fnac, dénoncé par les syndicats majoritaires. 

La direction de la Fnac, comme l’y autorise la loi Macron, souhaite ouvrir 52 dimanches par an ses magasins situés en zones touristiques internationales. Mais pour ça, il lui faut un accord d’entreprise. Afin de gagner l’adhésion des salariés, la direction a mis sur la table douze dimanches payés triple et quarante payés double, selon le porte-parole de l’enseigne qui s’exprimait dans L’Express, la prise en charge des frais de taxi pour qui travaillera tard le soir ainsi qu’une partie des frais de garde. Pour les ouvertures occasionnelles, dites « du maire » (soit 12 dimanches par an au lieu de 5 avant la loi Macron), la majoration s’élèverait à 100 % avec repos compensateur. La direction s'engage par ailleurs sur un volontariat « réversible » pour les salariés, conclu pour des périodes de trois mois.

 

L'accord à la Fnac sur le travail du dimanche ne passe pas. Reuters L'accord à la Fnac sur le travail du dimanche ne passe pas. Reuters

 

Amendé par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, le projet a été signé par ces trois organisations syndicales le 20 janvier dernier. Mais FO, Sud et la CGT, à eux trois majoritaires, refusent le deal, et menacent de faire capoter l’accord. Ils craignent en premier lieu l’absence de repos compensateur pour les magasins situés en zone touristique internationale et le manque d’effectifs (la Fnac promet d’augmenter les effectifs de 2,6 %). Elles dénoncent également l’absence d’augmentation des salaires depuis des années dans le groupe, et donc l’inégalité qui va s’instaurer entre ceux qui pourront travailler le dimanche et les autres. Les salariés pointent enfin le possible manque de volontaires et la crainte que l’accord signé aujourd’hui ne soit renégocié rapidement à la baisse, faisant du dimanche un jour « comme un autre ». En l’absence d’accord, la Fnac ne pourrait ouvrir au-delà de douze dimanches par an (maximum permis par la loi Macron en absence d’accord spécifique) et devra reprendre la négociation à zéro.

 

L’exemple de la Fnac, emblématique vu l’aura et le poids économique de l’enseigne, est loin d’être une exception. Six mois après la mise en œuvre de la loi Macron, les accords sur le travail du dimanche et l’extension horaire jusqu’à minuit (également autorisée par le texte) se comptent sur les doigts, même si la plupart des directions avaient anticipé en lançant les hostilités à peine la loi mise sous presse.

Un accord sur le travail du dimanche et en soirée dans les zones touristiques a bien été conclu pour les enseignes du groupe Inditex qui chapeaute les boutiques Zara, Bershka, Oysho, etc. Il entrera en vigueur cette année et s’appliquera à 90 magasins du groupe. L'accord, signé par la CFDT contre l’avis de FO, prévoit notamment une majoration de 110 % les dimanches (sans repos compensateur pour les employés, avec repos compensateur pour les cadres au forfait jour) et de 100 % en soirée (à partir de 21 h 00). Le tout sur la base du volontariat. À cette occasion, la secrétaire nationale CFDT Myriam Boudouma, interrogée par France Info, a concédé que si « tous les salariés ne sont pas intéressés par le travail dominical », certains le sont, et qu’« il faut l’entendre ». 

Chez Nature & Découvertes, un accord sur le travail dominical prévoyant une majoration de 100 % a été signé en octobre dernier par la CFTC, FO et la CGT, tout comme chez Etam et au niveau de la branche joaillerie (majoration de 150 % pour les 9 000 salariés volontaires pour travailler le dimanche). 

Les négociations se poursuivent chez H&M, Celio, Sephora et Marionnaud, les deux enseignes de parfumerie ayant déjà validé l’accord sur le travail en soirée. Chez Apple, la discussion est grippée, les syndicats déplorant un accord « low cost ». Les boutiques Apple sont implantées dans des zones aux statuts divers, de la zone commerciale simple à la zone touristique internationale, et les majorations vont donc varier de 65 à 100 % (avec une aide forfaitaire de 400 euros pour la garde d’enfant). Un salarié d’Apple qui s’est engagé à travailler le dimanche ne pourrait en revanche se dédire que six mois plus tard. Chez Darty, vraisemblablement bientôt racheté par la Fnac, l’accord patine depuis le mois d’octobre.

Du côté des grands magasins parisiens, les discussions prennent carrément l’eau. Et pourtant, tous en zone touristique internationale, ils étaient spécialement soignés par la loi Macron. Aucun accord n’a été possible au niveau de la branche et chacun des grands magasins va devoir négocier individuellement. Au BHV rue de Rivoli, situé en zone touristique internationale, un référendum organisé auprès des salariés a donné le « non » gagnant, alors que deux des quatre syndicats de la maison ont assuré qu’ils ne signeraient pas le texte proposé par la direction.

Cette consultation ratée a eu comme corollaire de doucher les velléités des enseignes concurrentes, mais surtout celles de la famille Moulin, propriétaire des Galeries Lafayette. Boulevard Haussmann, la négociation officielle va s’engager, de source syndicale, le 4 février prochain, mais les syndicats majoritaires sont fermement opposés au principe du travail du dimanche, tout comme au Printemps. Le cas des grands magasins est d'autant plus complexe qu'il mêle plusieurs catégories de travailleurs, à statuts différents. Au Printemps, aux Galeries Lafayette ou au Bon Marché, le gros des vendeurs est en fait constitué par les démonstrateurs de marque, embauchés par des sociétés ayant des contrats de coopération commerciale, où ils s'engagent à couvrir l’amplitude horaire du magasin. Payés à la commission, les démonstrateurs ont peu de moyens d'afficher leurs désaccords, sous peine d'être transférés dans des centres commerciaux bien moins achalandés. Ils ne seront certainement pas couverts, en termes de contreparties, par de potentiels accords « maison ».

 

grand-magasin grand-magasin
 

Le travail du dimanche a eu enfin pour effet collatéral de signer le divorce entre un certain nombre de syndicalistes et leurs fédérations et confédérations (à la CFDT notamment). Le Scid, syndicat CFDT du Printemps et des Galeries Lafayette, vient de se désaffilier de la confédération dirigée par Laurent Berger après deux ans de querelles. Plus largement, la question de l’ouverture dominicale a permis la montée en puissance du CLIC-P (comité de liaison intersyndical du commerce de Paris), qui multiplie les interpellations politiques, notamment au niveau du conseil d’État, pour faire annuler le décret, en dehors des alliances syndicales traditionnelles.

Cette mobilisation a reçu le soutien implicite de la maire de Paris, Anne Hidalgo. La maire de Paris conteste depuis le début l’entorse au droit du travail que constitue l’ouverture le dimanche, mais également la délimitation des zones touristiques internationales (ZTI), qui l'autorisent tous les dimanches de l’année. « Ce qu’a fait la loi Macron, c’est une généralisation déguisée du travail le dimanche à Paris qui va fragiliser tout ce tissu économique local »a-t-elle déclaré en septembre, en écho à une lettre envoyée au ministre de l’économie, où la socialiste déplorait que certaines ZTI arrêtées par le ministère « réalisent moins de 1 % de leur chiffre d’affaires en détaxe. Ce qui laisse douter qu’elles puissent d’une quelconque manière contribuer au tourisme international ». 

 

Zones touristiques internationales à Paris, selon le ministère de l'économie Zones touristiques internationales à Paris, selon le ministère de l'économie

 

C’est l’autre enjeu de l’ouverture dominicale voulue par Emmanuel Macron, son réel impact économique. Le Medef, favorable à la loi, estimait en 2014 qu'une libéralisation généralisée, couplée aux ouvertures de soirée, pourrait générer jusqu'à 300 000 emplois en France, dont 50 000 à 200 000 dans le tourisme, sans réussir à préciser les chiffres en fonction de la loi Macron. Par ailleurs, l’étude d’impact présentée avant la loi ne s’est pas risquée à évaluer le déclin de l'emploi dans le petit commerce, incapable faute de salariés disponibles de s'aligner sur les grandes enseignes. 

En novembre dernier, Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE, confiait à Paris Match qu’« ouvrir le dimanche n'aboutirait qu'à un déplacement du moment de l’achat », et que si la mesure peut accroître le « confort du consommateur », ce n’est pas une « source de croissance ». L’économiste va également dans le sens de la maire de Paris quand elle évoque le coup porté au petit commerce, mais estime néanmoins qu’il serait « presque criminel » de ne pas laisser les grands magasins situés en zone touristique internationale ouvrir leurs portes, en raison du gros potentiel d’emplois (la branche en avait promis 2 000 supplémentaires).

Toutes ces estimations devront dans tous les cas être revues à la baisse, à l’aune des attentats de 2015. En effet, la fréquentation des grandes enseignes de la capitale a chuté de 30 à 50 % depuis novembre, selon Europe 1. Surtout, les patrons eux-mêmes savent que la formule n’est pas miraculeuse. Autorisés par décret à ouvrir plus que les autres avant même la loi Macron, les magasins de bricolage avaient tiré un bilan mitigé de l’expérience : « L'analyse des chiffres montre qu'au cumul, depuis le début de l'année, nous n'avons reçu que le même nombre de clients qu'en 2013 alors que nous avons le bénéfice de l'ouverture du dimanche », écrivait le patron de Bricorama à la fin 2014. Et Mediapart rapportait à la même époque que le rêve du touriste chinois, prêt à déverser ses yuans sur le boulevard Haussmann le dimanche, s’approchait plutôt du mythe, vu l’argent dépensé par les grands magasins pour l'attirer« Le travail du dimanche est une opportunité à condition que les sociétés arrivent à la rentabiliser », confiait plus récemment Jean-Jacques Salaün, directeur général de Zara, à la signature de l’accord, rejoint par le délégué central CFDT de l’enseigne. Ce dernier avouait dans Ouest-France qu’aujourd’hui, « il n'y a pas forcément un intérêt économique » à ouvrir le dimanche.

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 20:02

 

Source : http://www.midilibre.fr

 

 

Nîmes : les nouveaux tarifs des bus Tango font tousser
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21 janvier 2016 4 21 /01 /janvier /2016 16:50

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Une justice à deux vitesses pour Stéphane Richard et Christine Lagarde
20 janvier 2016 | Par Laurent Mauduit
 
 

Mis en cause dans l'affaire Tapie, Stéphane Richard ne se rendra pas, ce jeudi, à la convocation de la Cour de discipline budgétaire. Ses avocats plaideront le sursis à statuer. Par-delà les griefs qui sont retenus contre lui, son cas illustre les dysfonctionnements de la justice française, rigoureuse pour un fonctionnaire, accommodante pour un ministre.

C’est un nouveau rebondissement dans une affaire judiciaire de plus en plus complexe : convoqué ce jeudi 21 janvier devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), en même temps que deux autres hauts fonctionnaires, pour son rôle dans l’affaire Tapie du temps où il était le directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, Stéphane Richard va demander un sursis à statuer. Et sa demande retient l’attention. Car la cascade de procédures judiciaires dans laquelle le PDG d’Orange est emporté a un intérêt qui dépasse sa seule personne. Qu’il soit ou non responsable des fautes que la justice le soupçonne d’avoir commises, le sort qu’il connaît aujourd’hui révèle aussi certains graves et anciens dysfonctionnements du système judiciaire français.

Dans le cas de la CDBF, ce n’est pas très difficile à comprendre. Ainsi donc, le procureur général près la Cour des comptes, Gilles Johanet, a décidé de renvoyer devant cette juridiction financière trois hauts fonctionnaires pour le rôle qu’ils ont joué dans l’affaire Tapie. Il s’agit de Stéphane Richard, à l’époque directeur de cabinet, de Jean-François Rocchi, à l’époque président du Consortium de réalisation (CDR), la structure publique de défaisance de l’ex-Crédit lyonnais qui a accepté le célèbre arbitrage avec Bernard Tapie ; et Bernard Scemama, à l’époque président de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), la maison mère à 100 % du CDR.

Ces trois personnalités, qui sont par ailleurs mises en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans le volet pénal de l’affaire, devaient comparaître jeudi 21 et vendredi 22 janvier devant la CDBF. Comme elle le résume elle-même sur son site Internet, cette cour est « chargée de sanctionner par des amendes les infractions à l’ordre public financier (art. L.313-1 et s. du code des juridictions financières). Les justiciables de la CDBF sont notamment les fonctionnaires civils et militaires, les ordonnateurs, les gestionnaires des organismes et collectivités soumis au contrôle de la Cour des comptes, ainsi que les membres de cabinets ministériels et les comptables publics ».

Seulement voilà ! L’audience publique, qui était très attendue car il s’agissait de la première dans la retentissante affaire Tapie, va perdre beaucoup de son intérêt. D’abord pour une raison qui est déjà connue : parce que Stéphane Richard, qui à la différence des deux autres joue toujours un rôle important dans la vie publique comme patron d’Orange, a annoncé qu’il ne serait pas présent à l’audience, mais serait représenté par ses avocats, étant ce jeudi en déplacement au Maroc.

Mais en fait, il y a une seconde raison – et c’est ici que l’on pénètre dans les arcanes compliqués de la machine judiciaire française –, c’est que ses avocats vont plaider… un sursis à statuer, pour une raison qui n’est pas anodine.

Quand une même affaire fait l’objet d’une procédure pénale mais relève aussi de la CDBF, celle-ci n’est en effet pas tenue d’attendre que la justice pénale ait fait son office, au terme de l'article L314-18 du Code des juridictions financières. C’est une singularité du droit français, mais c’est ainsi : selon la formule bien connue, le pénal tient le civil en l’état, mais pas une éventuelle procédure devant la CDBF. En clair, la CDBF sanctionne d’éventuelles « infractions à l’ordre public financier » et elle n’est donc pas dans l’obligation d’attendre que la justice ait au préalable sanctionné des infractions pénales, dans la même affaire.

Mais, on le voit bien dans le cas de Stéphane Richard, les deux procédures sont très intimement liées. Si le procureur général de la Cour des comptes a en effet ordonné ces trois renvois devant la CDBF, c’est parce qu’il a accès au dossier de l’instruction judiciaire, et c’est dans ce dossier qu’il a puisé une bonne part des attendus de ces renvois. Car, pour cette juridiction financière, il n’y a pas de véritable instruction. Selon nos informations, Stéphane Richard n’a ainsi été entendu qu’une heure, ou à peine plus, par le rapporteur public de la Cour.

Pour Stéphane Richard, il est donc incompréhensible que la CDBF entende se prononcer aussi vite sur son cas. D’autant que si la juridiction financière s’alimente des pièces versées dans la procédure pénale, celle-ci n’est toujours pas achevée. Lourde question, qui ne peut être écartée d’un revers de main : même si les infractions financières et pénales ne sont pas de même nature, est-il concevable que Stéphane Richard soit condamné devant la CDBF, avant même que les juges d’instruction aient fini leur enquête et que les faits et gestes de chacun des protagonistes de l’affaire n’aient été établis ? Ce sont donc de ces arguments que vont jouer jeudi devant la CDBF les avocats de Stéphane Richard (parmi lesquels figure l’avocat et essayiste Nicolas Baverez, dont le corps d’origine est… la Cour des comptes) pour plaider le sursis à statuer.

Car il arrive effectivement que la CDBF prononce de tels sursis à statuer. Dans sa jurisprudence, on retrouve même un sursis à statuer connu des juristes dans une affaire qui concernait déjà les déboires… de l’ex-Crédit lyonnais. Au lendemain de la faillite de l’une des filiales les plus tumultueuses de l’ex-banque publique, Altus Finance, le PDG de la banque à l’époque des faits, Jean-Yves Haberer, et celui de sa filiale Altus, Jean-François Hénin, avaient été renvoyés devant la CDBF, qui avait rendu à leur sujet un arrêt en date du 29 septembre 1999 (que l’on peut consulter ici à partir de la page 4).

Or, dans cet arrêt, on découvre que Jean-Yves Haberer comme Jean-François Hénin avaient eux-mêmes « fait valoir que des faits soumis à l’appréciation de la Cour de discipline budgétaire et financière [faisaient] parallèlement l’objet de plusieurs informations judiciaires et qu’en conséquence la Cour [devait] surseoir à statuer dans l’attente d’une décision du juge pénal ». Dans l’arrêt, on lisait que, « toutefois, ni l’art. L. 314-18 du code des juridictions financières ni aucun autre texte n’autorise la Cour de discipline budgétaire et financière à subordonner sa décision à l’intervention d’une décision du juge pénal ; que, notamment, l’art. 4 du code de procédure pénale, en vertu duquel il est sursis au jugement d’une action exercée devant une juridiction civile tant qu’il n’a pas été prononcé sur l’action pénale, n’est pas applicable à la Cour de discipline budgétaire et financière qui n’est pas une juridiction civile ; que la Cour ne pourrait en conséquence surseoir à statuer sans méconnaître sa compétence ; que dès lors un sursis à statuer ne peut être ordonné par la Cour au motif tiré de ce que plusieurs informations judiciaires, portant sur des faits soumis à l’appréciation de la Cour, auraient été ouvertes ».

Personne pour porter les griefs contre Lagarde

Pourtant, la CDBF avait tout de même admis que le placement sous contrôle judiciaire de ces personnes leur interdisait d’entrer en relations entre elles « afin de recueillir documents, témoignages et informations utiles à leur défense ». Pour ce motif, la CDBF avait finalement choisi un renvoi. « Avant dire droit au fond, l’affaire est renvoyée devant le rapporteur pour complément d’instruction, à l’objet de confronter les personnes déférées avec celles dont elles ont sollicité le témoignage et de procéder, le cas échéant, aux mesures d’instruction complémentaires qu’il appartiendra », disait l’arrêt, qui avait été rendu en présence du premier président de la Cour des comptes de l’époque, Pierre Joxe.

Stéphane Richard et, éventuellement, les deux autres hauts fonctionnaires bénéficieront-ils d’une même clémence ? La bataille est loin d’être gagnée à l’avance car deux reports de l’audience ont déjà eu lieu et on ne peut exclure que les magistrats financiers voient dans la nouvelle demande une manœuvre dilatoire. Dans tous les cas de figure, la question de droit que vont soulever ses avocats ne manque pourtant pas d’intérêt. D’autant que ce n’est pas le seul débat que soulève la procédure devant la Cour de discipline budgétaire.

La loi prévoit en effet, comme on l’a vu tout à l’heure, que « les justiciables de la CDBF sont notamment les fonctionnaires civils et militaires, les ordonnateurs, les gestionnaires des organismes et collectivités soumis au contrôle de la Cour des comptes, ainsi que les membres de cabinets ministériels et les comptables publics », mais pas les ministres. Dans le cas présent, Stéphane Richard peut donc être traduit devant la CDBF en sa qualité d’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde ; mais la même Christine Lagarde ne peut pas l’être. Et Stéphane Richard ne peut pas même la citer comme témoin dans cette procédure.

Le droit français protège ainsi formidablement les sommets de l’État, qu’il s’agisse du chef de l’État, qui est pénalement irresponsable le temps de son mandat, ou des ministres, qui ne peuvent être renvoyés devant la CDBF ou qui jouissent d’une juridiction d’exception, la Cour de justice de la République (CJR), dans les affaires pénales ; mais il accable les hauts fonctionnaires qui ont été placés sous leur autorité. Question importante : pourquoi un directeur de cabinet aurait-il des comptes à rendre devant la CDBF pour une infraction au code des juridictions financières, et pourquoi pas son ministre, qui aurait pu lui en donner instruction ? C’est l’une des anomalies, très antidémocratiques, du droit français : les ministres bénéficient d’un statut d’immunité injustifiable.

Du temps où il était le premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin s’en était vivement ému et avait plaidé pour que tous les ordonnateurs de la dépense publique, y compris les ministres, soient passibles de poursuites devant la CDBF. Mais il n’a jamais été entendu. En somme, quoi qu’ait fait Stéphane Richard, il ne jouit pas d’une situation d’égalité face à la justice vis-à-vis de Christine Lagarde, car il va devoir s’expliquer dans deux procédures différentes. Et elle... dans une seule.

Cette inégalité est encore plus spectaculaire si l’on prend en compte le fait que Christine Lagarde est passible de la juridiction d’exception qu’est la CJR. Cette injustice, Mediapart l’a déjà méticuleusement documentée (lire Affaire Tapie : la Cour d’injustice de la République). Alors que Christine Lagarde et Stéphane Richard sont suspectés d’irrégularités voisines et que le travail de la justice devrait être de départager leurs responsabilités respectives, la ministre a été prise dans une procédure très courtoise, presque mondaine, celle de la CJR, tandis que son bras droit de l’époque a été emporté dans les turbulences de la procédure pénale de droit commun, avec à la clef des interrogatoires harassants et 96 heures de garde à vue.

Mais c’est encore plus grave que cela ! Car si l’on admet que la CJR est une procédure d’exception, le fait qui est avancé le plus souvent pour justifier cette caractérisation est que la cour est composée non pas de magistrats professionnels indépendants, mais de parlementaires, supposés plus conciliants. Être jugé par ses pairs, c'est toujours moins dangereux que par des magistrats indépendants...

Dans le cas de Christine Lagarde, on se rend compte pourtant que le caractère de juridiction d’exception que l’on affuble à la CJR va avoir des conséquences très concrètes encore plus stupéfiantes. Et pour le comprendre, il suffit de se référer à l’ordonnance de renvoi de Christine Lagarde que Mediapart vient de révéler (lire Tapie : la justice reproche à Christine Lagarde son « incurie »). Car quiconque lit ce document en arrive vite à ce constat : pour l’ex-ministre, devenue patronne du FMI, il est accablant. Pour reprendre un qualificatif dont use cet ordonnance, il est même « affligeant » : au fil des lignes, on découvre que Christine Lagarde est au mieux une incapable, au pire une irresponsable, tant elle a négligé par son « incurie » toutes les précautions les plus élémentaires pour éviter cette escroquerie en bande organisée. Et on a froid dans le dos en pensant qu’une telle personnalité est désormais en charge d’une institution qui a une responsabilité planétaire…

Mais quand Christine Lagarde se présentera devant la CJR, qui portera les griefs qui sont énumérés page après page, dans cette ordonnance ? C’est une autre faille, béante, dans notre système judiciaire : personne ! Puisque le procureur général près la Cour de cassation a requis un non-lieu en faveur de Christine Lagarde ; puisque dans cette juridiction, il n’y a pas de parties civiles, le risque est grand que ces griefs ne soient portés par personne.

Ces constats ne préjugent pas des responsabilités des uns et des autres dans l’affaire. Ils visent juste à souligner que dans l’affaire Tapie, le cas de Stéphane Richard fonctionne comme un effet de miroir. On voit, au travers de sa situation, que la justice n’est pas la même pour tous…

 

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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