L’agriculture est responsable de 25 % des gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial. Pourtant, lors de la COP21, le secteur a été laissé pour compte.

 

« En France, les émissions de méthane sont au trois quarts dues à l’agriculture » a affirmé Jean Jouzel, vice-président du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). « Malgré cela, l’agriculture est absente des grandes discussions internationales. En France la prise de conscience est récente. Il y a un réel manque d’engagement du milieu agricole », a-t-il poursuivi, rappelant que l’agriculture n’était pas présente dans l’accord de la COP21.

Pourtant, de l’agriculteur, au consommateur, en passant par l’industrie agroalimentaire et les distributeurs, tout le secteur agricole a sa part de responsabilité dans le réchauffement climatique. Plusieurs spécialistes du sujet se sont ainsi réunis le 26 janvier à l’occasion d’une table ronde organisée par EurActiv et son partenaire Ouest France, pour discuter du lien entre agriculture et changement climatique.

 

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« 4 pour 1000 », une initiative édulcorée

Le seul point abordé dans les couloirs de la COP21 a été l’initiative « 4 pour 1000 », présentée comme une solution phare pour réintégrer le CO2 dans les sols. Or, pour Gilles Luneau, auteur et réalisateur de l’« Urgence climatique », ce concept est une bonne idée, mais peu renseignée.

« C’est un peu une pensée magique », a-t-il estimé. « Derrière l'effet d'annonce, il faut réfléchir à la saturation et l'acidification des sols, entrainées par plus de carbone dans les sols.

Même constat pour Cyrielle Denhartigh, responsable des politiques agriculture et climat chez Réseau Action Climat. Selon elle, l’opération 4 pour 1000 ne doit pas dédouaner les actions du secteur agroalimentaire. « On peut séquestrer du carbone, mais parallèlement il faut réduire les émissions de GES ».

 

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Atténuation & adaptation

 

Pour Thierry Caquet, de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), l’agriculture peut et doit jouer un rôle dans l’atténuation du réchauffement climatique. « Grâce à une réduction des émissions de méthane et d’oxyde d’azote, à une meilleure gestion de la fertilisation, à l’utilisation de légumineuses et à l’augmentation du taux de carbone dans les sols », a-t-il expliqué.

Selon une étude de l’INRA, le potentiel d’atténuation lié à l'agriculture serait de 30 à 32 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit environ une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.

Le secteur agricole doit aussi s’adapter au changement climatique. Et pour Thierry Caquet, « il ne faut pas perdre de vue qu’adaptation et atténuation vont de pair ». « Avec l’augmentation des événements extrêmes, les agriculteurs doivent s’adapter aux fluctuations en mettant en place de nouveaux systèmes de culture, en pratiquant une agriculture de conservation, en mettant l’accent sur la diversification, qui est synonyme de résilience », a-t-il souligné.

 

Changement radical

Pour une division par deux des GES d’ici à 2050, le secteur agricole va devoir subir un changement de modèle radical, a quant à elle estimé Cyrielle Denhartigh. Selon, elle on ne peut plus se contenter d’améliorer les pratiques, il faut modifier tout le système agroalimentaire et passer à une agriculture réellement écologique. 

Pour Eric Alauzet, député Europe Écologie Les Verts du Doubs, certains agriculteurs n’ont pas de marge de manœuvre. « C’est bien d’être radical mais il faut aussi être concret. On ne peut pas imposer trop de choses, il faut avant tout encourager les initiatives », a-t-il commenté.

 

Vers une alimentation plus responsable

L'évolution des habitudes de consommation peut elle aussi participer à une amélioration du bilan carbone du secteur. Aujourd’hui, 6 kilos d’équivalent CO2 sont émis pour chaque kilogramme de viande rouge.

« Faire baisser la consommation de viande c’est se tourner vers une alimentation de qualité, réduire les GES et améliorer la santé des consommateurs et des agriculteurs. C’est aussi bénéfique pour le porte-monnaie et pour la séquestration du carbone dans le sol », a expliqué Cyrielle Denhartigh.

 

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Thierry Caquet, de l’INRA, est du même avis. Il est nécessaire de modifier notre alimentation, de réduire notre consommation de viande, pour la santé publique, et pour le climat, sans oublier de réduire le gaspillage alimentaire. En France, 30 % de la production alimentaire est perdue.

« Entre le champ et l’assiette se trouve l’industrie agroalimentaire. Il est impossible de supprimer les empires agroalimentaires, alors il faut les orienter vers des pratiques plus vertueuses », a souligné Gilles Luneau. Pour lui aussi, beaucoup trop de gaspillage dans les circuits de grande distribution, d’où la nécessité d’une remise en question du modèle économique.

 

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Penser local

 

Eric Alauzet a souligné l’importance de l’agroécologie. Selon lui, il faut redonner de l’autonomie aux exploitations, développer les économies circulaire et collaborative et privilégier les circuits courts. « Si on arrive à 10 % de circuits courts dans les achats alimentaires, entre 80 000 et 100 000 emplois seront créés », a-t-il affirmé. Et sur ce point, même les enseignes de distribution s’y mettent, en proposant de la viande ou des produits laitiers locaux.

« Les consommateurs ont leur part de responsabilité. Il faut s’appuyer sur leur réflexion, leur prise de conscience. Il est temps de penser la politique agricole de manière régionale, de se tourner vers des régimes alimentaires locaux, des produits de saison, et ça commence à l’école », a assuré Gilles Luneau, tout en rappelant que 53 millions de tonnes de céréales sont importées chaque année en UE pour nourrir les animaux. « Il faut responsabiliser les gens à ce qu’ils ont dans l’assiette ».

 

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