Intimidations, comportements abusifs, pratiques illégales… les quatre centrales d’achat de la grande distribution profitent d’un rapport de force disproportionné dans leurs négociations avec les producteurs. La guerre des prix fait rage et les paysans se noient.
Les négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs se sont achevées lundi 29 février, à minuit. Mardi matin, concernant le prix du lait, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a apprécié au micro de Europe 1 que « les engagements qui avaient été demandés par le gouvernement à la grande distribution [et] aux industriels de stopper la course à la baisse des prix a été, semble-t-il, un engagement qui a été tenu ».
Faux, rétorque le président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), Jean-Philippe Girard, pour qui ces négociations ont été « pires qu’en 2015 » avec « des demandes de baisse, jusqu’à moins 6 %, à minuit moins cinq et une inflation des demandes de promotions, qui ont doublé en un an ». « Aucune des grandes promesses de l’automne dernier faites par les patrons d’enseigne de la grande distribution n’a été tenue », affirme-t-il.
Un entretien « d’une heure à deux minutes »
Ces négociations, commencées en octobre dernier, se sont déroulées dans un climat extrêmement tendu. Des éleveurs des filières laitière, bovine et porcine manifestent depuis plusieurs semaines pour protester contre la faiblesse des prix du lait et de la viande. « Entre 1953 et 1988, mon père a élevé cinq enfants grâce à trente hectares et trente vaches ; aujourd’hui, j’exploite 168 hectares et une centaine de vaches laitières, je produis dix à trente fois plus et je vis moins bien que lui », s’indigne Philippe Grégoire, éleveur laitier dans le Maine-et-Loire et président du Mouvement national des éleveurs de nos régions (Mner), à l’initiative de plusieurs blocages de plates-formes de distribution et de grandes surfaces en Vendée et dans le Maine-et-Loire.
Pour Philippe Monnet, éleveur de vaches laitières et de porcs et président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) du Doubs, les pratiques commerciales de la grande distribution ne sont pas étrangères à cette faiblesse des prix. Il dénonce « la grande distribution [qui] exerce une pression très forte sur [sa] coopérative, avec des demandes de baisse de prix sur le lait de l’ordre de 10 % ».
Comment se déroulent ces négociations commerciales annuelles ? Encadrées par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, elles débutent au mois d’octobre pour s’achever le dernier jour de février, à minuit. Les agriculteurs n’y prennent pas part : seuls négocient les intermédiaires, coopératives, abattoirs et industrie agroalimentaire. « Le fournisseur envoie les prix de vente de ses produits au distributeur, explique-t-on à l’Ania. Ces tarifs prennent en compte le coût des matières premières, les coûts de structure, les salaires et les marges. » Le fournisseur est ensuite convoqué par la centrale d’achat. Dans des box prévus à cet effet, il défend son produit et cherche à en obtenir le meilleur prix – ou plutôt le moins bas. La durée de l’entretien peut aller « d’une heure à deux minutes », selon l’Ania.
Problème, le rapport de force est « défavorable, si ce n’est complètement disproportionné », pointe Olivier Mevel, maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Brest et consultant pour les entreprises agroalimentaires. Quatre super-centrales d’achat (Intermarché/groupe Casino, Carrefour/Dia, Auchan/Système U et E. Leclerc) détiennent 90 % du marché. « Chaque groupe pèse plusieurs dizaines de milliards d’euros de chiffre d’affaires – 44,3 milliards d’euros en 2015 pour E. Leclerc, 86,3 milliards d’euros pour Carrefour, rappelle M. Mevel. Face à eux, les 570.000 agriculteurs, 2.800 coopératives agricoles et 40.000 PME de l’agroalimentaire, atomisés et dispersés, ne font pas le poids. »
Ce déséquilibre se retrouve dans les box de négociations. « Un fournisseur, même le plus gros, ne représente que 1 ou 2 % du chiffre d’affaires du distributeur. Alors que ce dernier représente souvent de 20 à 40 % du chiffre d’affaires du fournisseur », souligne-t-on à l’Ania. La pression psychologique exercée par les acheteurs de la grande distribution est intense. « Le fournisseur vient souvent de province et il est convoqué à une heure précise. Mais le négociant de la centrale d’achat peut le faire patienter trois, quatre voire cinq heures avant d’expédier la discussion en deux minutes », rapporte l’association.
« Il faut payer pour tout »
Au-delà de ces manœuvres d’intimidation, les centrales d’achat adoptent parfois des comportements abusifs, accuse l’Ania : « Une enseigne peut vous menacer de déréférencer brutalement votre produit, de ne plus le mettre en rayon pendant la durée des négociations, sans préavis. C’est illégal, mais en cas de contrôle elle invoque des problèmes logistiques. » Ou encore : « avant de négocier le prix, elle peut réclamer une remise, un montant que le fournisseur doit verser avant même de commencer à négocier », ce qui n’est pas légal non plus.
Ces abus, Christian Jacquiau, ancien expert-comptable et auteur de l’ouvrage Les Coulisses de la grande distribution, a eu l’occasion de les observer au cours de sa carrière. « J’ai été alerté pour la première fois dans les années 1985-1986 quand un de mes clients, un jeune chef d’entreprise fabriquant un produit de grande consommation, m’a demandé dans quelle colonne de sa comptabilité inscrire l’équivalent d’un million d’euros réclamé par un distributeur pour que son produit soit référencé », c’est-à-dire inscrit dans le catalogue de la centrale d’achat, se souvient-il, encore ébahi par le montant astronomique réclamé.
M. Jacquiau découvre alors l’engrenage dans lequel se retrouvent pris de nombreux fournisseurs : « Il faut payer pour tout : être référencé, être en tête de gondole, obtenir qu’un concurrent ne soit pas référencé… » Ces rémunérations additionnelles, appelées jusqu’en 2006 « marges arrière », sont désormais limitées et réglementées par la loi de modernisation de l’économie « qui a moralisé les pratiques de ticket d’entrée. Aujourd’hui, la coopération commerciale – affiches, promotions, têtes de gondole – doit être justifiée. Les marges arrière ne représentent aujourd’hui plus que 7 à 8 % du prix, ce qui est normal », assure M. Mevel. Le respect de la réglementation est assuré par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui signale sur son site les cas de fausse coopération commerciale (service facturé mais non mis en œuvre, service relevant des obligations de l’enseigne comme la mise en rayon, etc.).
Contactés par Reporterre, la Fédération du commerce et de la distribution, les Mousquetaires, le groupe Casino, Carrefour et Leclerc n’ont pas donné suite à nos questions.
Comment cette puissance de la grande distribution se traduit-elle dans les marges dégagées par les uns et les autres ? Difficile à dire, tant elles ont connu des fluctuations ces quinze dernières années. Depuis 2010, l’Observatoire de la fixation des prix et des marges, qui émane des ministères de l’Agriculture et de l’Économie, rassemble les données sur le prix des matières premières et les marges brutes de l’industrie et de la grande distribution pour les différents produits (laitiers, ovins, porcins, fruits et légumes, etc.). Les marges brutes de la grande distribution augmentent bien pour la longe de porc (côtes et rôti) et la viande bovine ; pour le lait, c’est moins évident.
Comment remédier à cette situation ? Pour parer au plus pressé, l’Ania a mis en place en octobre 2015 un Observatoire des négociations commerciales, qui permet aux fournisseurs de signaler de manière anonyme le comportement abusif d’un distributeur. Quand plusieurs plaintes concernant la même enseigne et la même pratique sont rassemblées, l’Ania envoie un courrier au distributeur concerné. « Nous avons déjà envoyé une petite dizaine de courriers, précise-t-on à l’Ania. Pour l’instant, tout le monde a répondu de manière plus ou moins ouverte. »
La DGCCRF a par ailleurs renforcé ses contrôles. « 88 établissements ont été contrôlés depuis novembre 2015, soit 70 % de plus qu’à la même période l’année dernière », indique la répression des fraudes dans un communiqué. Le 9 février, Carrefour a vu ses locaux de Massy (Essonne) perquisitionnés car « plusieurs fournisseurs reprochaient à cette enseigne de leur imposer, comme préalable à la négociation au titre de 2016, le versement d’une remise d’un montant significatif non négociable », précise la DGCCRF.
Les circuits courts pour mettre la grande distribution sous pression
Samedi 27 février, au Salon de l’agriculture, François Hollande a évoqué la possibilité d’une révision de la LME, accusée par les agriculteurs de déréguler les relations commerciales tout en tenant les producteurs à l’écart. « Il faut bien dire qu’avec la LME, nous avons un peu tout cassé », admettait, en juillet 2015 à l’Assemblée nationale, François Brottes, ex-député (PS) de l’Isère. Le président de la République a également évoqué la possibilité d’un étiquetage obligatoire « prix payé au producteur ».
Quant aux agriculteurs, ils continuent vaille que vaille à défendre leurs intérêts. M. Monnet a organisé une table ronde à Cussey-sur-l’Ognon (Doubs) avec les agriculteurs, le directeur de l’Intermarché de Quingey et Jean-François Longeot, sénateur (UDI) du Doubs. « Nous les avons prévenus qu’à force de baisser les prix, la grande distribution risquait de faire disparaître les exploitations et de ne plus avoir de marchandises à mettre sur ses rayons. Nous les avons ensuite invités à signerla charte laitière de valeurs lancée par la Fédération nationale des producteurs laitiers (FNPL) en novembre 2015 », rapporte l’éleveur. L’enseigne locale dépend des centrales d’achat nationales pour fixer ses prix ? Pas grave, « c’est là que peut jouer la pression syndicale : on leur dit que si les centrales d’achat ne respectent pas leurs engagements, nous débarquerons dans les magasins », affirme M. Monnet.
Tous les troisièmes week-ends d’août, Raymond Girardi, agriculteur dans le Lot-et-Garonne et secrétaire général du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), organise avec ses collègues une vente de fruits et légumes place de la Bastille à Paris. Objectif, sensibiliser les passants au « juste prix ». « L’an dernier, nous vendions le kilo de tomates 1,50 euro : 80 centimes pour le producteur, 20 centimes de conditionnement et 50 centimes de marge pour la grande distribution, explique M. Girardi. A cette même période, la grande distribution nous achetait le kilo de tomates à 40 ou 50 centimes, et les prix en magasin se situaient entre 2 et 2,50 euros ».
L’agriculteur milite pour qu’un coefficient multiplicateur des prix, par exemple 1,7, soit mis en place dans la grande distribution. Ainsi, l’enseigne qui achète un kilo de tomates 80 centimes ne pourrait pas le revendre plus de 1,36 €. « Cela permettrait diminuer les prix pour le consommateur tout en obligeant le distributeur à acheter le produit suffisamment cher pour avoir une marge suffisante », estime M. Girardi.
Sinon, les circuits courts se révèlent un bon moyen pour les agriculteurs d’améliorer leurs revenus. « Depuis mon installation en 1974, j’ai toujours vendu une grande partie de mes asperges en direct, raconte le syndicaliste. J’ai des collègues qui ont monté leur magasin de producteurs à Mont-de-Marsan : depuis sept ou huit ans qu’ils ont commencé, ils gagnent correctement leur vie et revivent ! »...
Chômage : pourquoi des chiffres différents entre l’Insee et Pôle emploi ?
Le Monde.fr | • Mis à jour le
En baisse pour les uns, en hausse pour les autres. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le taux de chômage a diminué de 0,1 point en 2015 en France, pour venir s’établir à 10 % de lapopulationactive,selon les chiffres publiés jeudi 3 mars. L’organisme a ainsi comptabilisé 2,86 millions de chômeurs sans aucune activité en métropole.
Pôle emploi avait, lui, comptabilisé davantage de chômeurs au 31 décembre 2015 que l’année précédente, avec 2,6 % de hausse pour un total de 3,5 millions de demandeurs d’emploisans aucune activité. Pourquoi une telle différence ?
Le chômage selon l'Insee et Pôle emploi
Nombre de demandeurs d'emploi sans aucune activité (catégorie A) à la fin de chaque trimestre, chiffres de Pôle emploi corrigés des variations saisonnières, chômage au sens du BIT pour l'Insee.
Source : Insee et Pôle emploi
Cet écart n’est pas nouveau. Depuis des années, les statistiques de ces deux organismes divergent de façon considérable, autant sur le nombre de chômeurs que sur l’évolution de la courbe.
Deux organismes calculent les chiffres du chômage
Pôle emploi : cet organisme public livre mensuellement les chiffres des demandeurs d’emploi inscrits chez lui en fin de mois.
L’Insee : l’Institut national de la statistique et des études économiques publie tous les trimestres le taux de chômage, issu de sondages, et calculé selon la définition du BIT. Ce sont les seules données internationalement reconnues.
Deux définitions du chômeur
La définition du BIT
Selon les explications fournies par le site de l’Insee, un chômeur est une personne en âge de travailler, de 15 ans ou plus, qui répond simultanément à trois conditions :
- être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, durant une semaine de référence
- être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours
- avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois
La définition de Pôle emploi
Pour Pôle emploi, un chômeur est une personne inscrite sur ses listes. Qui peut y accéder? Selonle site de l’organisme :
« Toute personne à la recherche d’un emploi, résidant sur le territoire national et ayant accès au marché du travail peut s’inscrire auprès de Pôle emploi si elle respecte les conditions de l’inscription, déclare sa domiciliation et fournit un des justificatifs d’identité exigé (les ressortissants étrangers relevant du régime général doivent en outre détenir un titre de séjour et de travail permettant une inscription). »
Un chômeur au sens du BIT n’est donc pas forcément inscrit à Pôle emploi, et l’inverse est aussi vrai.
La technique du sondage
L’Insee se base sur un sondage trimestriel auprès de 110 000 personnes, une technique qui pourrait aussi expliquer les écarts de ses chiffres avec ceux de Pôle emploi. L’organisme ne peut qu’avancer des hypothèses :
« On peut avoir des gens découragés qui disent à nos enquêteurs ne plus faire de recherche active d’emploi tout en restant inscrits à Pôle emploi. Mais on peut aussi avoir un phénomène chez les jeunes qui s’inscrivent plus à Pôle emploi pour bénéficier de certaines mesures, alors que, traditionnellement, ils n’y trouvent pas forcément d’intérêt. »
Ainsi, 16 % des chômeurs recensés par l’Insee ne se déclarent pas inscrits à Pôle emploi.
Des différences accrues en 2013
En 2013, l’Insee a changé les questionnaires de son enquête Emploi. Après la reformulation à la marge de certaines questions, les réponses ont été profondément modifiées. Ainsi, un enquêteur de l’Insee ne vous demandera plus si vous étiez « à la recherche d’un emploi, même à temps partiel ou occasionnel », mais si vous étiez « à la recherche d’un emploi » tout court.
Associée à d’autres, cette modification a suffi à faire pencher quelques « oui » du côté du « non ».Les experts de l’Institut estimaient en mars 2014 que le nouveau questionnaire a fait artificiellement baisser le taux de chômage, en mars 2014, de 0,5 point, soit 145 000 chômeurs de moins.
Le patronat et Nicolas Sarkozy en rêvaient, MM. François Hollande et Manuel Valls l’ont fait : si, par hypothèse funeste, le projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » (sic) devait voir le jour, le code du travail ressortirait en miettes. (Le texte complet peut être téléchargé par exemple sur lesite de l’Ugict-CGT). « L’objectif, précise la ministre du travail Myriam El Khomri dans un entretien aux Echos (18 février 2016), est de s’adapter aux besoins des entreprises ». On s’en doutait un peu — encore qu’il s’agisse d’une étrange vision des entreprises, réduites à leurs seules sphères dirigeantes.
Bien sûr, il ne s’agit que d’un projet et tout peut encore bouger. Le pouvoir excelle dans les manœuvres consistant à laisser fuiter les dispositions les plus folles pour ensuite accréditer l’idée que le pire a été évité. Ainsi il a laissé courir le bruit que les heures supplémentaires ne seraient plus rémunérées pour finalement décider un plancher obligatoire de 10 %. Tout le monde crie victoire alors que jusqu’à présent la norme était de 25 %, sauf quelques exceptions !
Roi de l’entourloupe, le président de la République assure ne pas toucher aux fondamentaux : contrat de travail à durée indéterminée qui reste la règle et la semaine de 35 heures qui demeure la norme légale. Mais il transforme ces deux principes en coquilles vides. Si les mots restent, la protection des salariés disparaît et avec elle l’égalité de traitement des citoyens devant la loi.
Jusqu’à présent, le principe fondamental du droit du travail donnait la priorité aux lois édictées par les élus de la République à moins qu’un accord à un niveau inférieur (branche, entreprise) se révèle plus favorable au salarié. Désormais, un accord dans une entreprise prévaut sur la loi, même s’il est défavorable à ce dernier. Singulière conception de l’« égalité réelle » ! Cette disposition fondamentale permettra au prochain président de la République d’amputer ce qui restera (encore) des droits des travailleurs.
Quant au fameux contrat de travail à durée indéterminée (CDI) maintenu dans la loi, il pourra être rompu à tout moment en cas « de réorganisation de l’entreprise » ou de « conquête de marché ». Au delà de ces situations somme toute très fréquentes, la direction n’aura même plus à se justifier : il lui suffira de payer trois mois de salaire pour les employés embauchés depuis moins de deux ans, six pour les moins de cinq ans, etc. La notion même de licenciement abusif disparaît de fait. Le patron qui paye peut se séparer de son salarié sans risque de pénalité supplémentaire.
Même tour de passe-passe pour les 35 heures. Entre les dérogations, un décompte du temps de travail et le paiement au rabais des heures supplémentaires, la réforme Aubry va passer aux oubliettes…
Après une lecture rapide des 131 pages de ce nouveau code du travail, on peut retenir les dispositions concernant la durée du travail, la réforme des prud’hommes (le prochain numéro du Monde diplomatique, en kiosques le 2 mars, y consacrera un article), l’élargissement du droit de licencier et de réduire autoritairement les salaires, le moindre paiement des heures supplémentaires, etc.
Le patron décide de la durée du travail
Ce nouveau code reprend les principes édictés par M. Robert Badinter, qui a fait sienne la formule la plus libérale que l’on puisse imaginer, dès l’article 1 : « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail. Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées (…) par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise. » Lesquelles sont définies par les actionnaires et les directions d’entreprise. Tout en découle.
La journée de travail de 10 heures, qui était jusqu’à présent l’exception, pourra se généraliser en « période d’activité accrue » ou « pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ». Elle pourra même s’élever à 12 heures. Jusqu’alors, les dérogations exigeaient une autorisation administrative. Désormais, il suffira d’un accord d’entreprise — dont le recours sera facilité (lire plus loin).
Même principe pour la durée hebdomadaire, laquelle pourra grimper jusqu’à 46 heures en moyenne pendant 16 semaines par an (au lieu de 12 aujourd’hui) et même atteindre 48 heures « en cas de surcroît d’activité », sans autre précision. Un simple accord d’entreprise suffira. Le gouvernement ne renonce pas au plafond des 60 heures réclamé par les entreprises mais il l’encadre quand même d’une autorisation de l’inspection du travail.
Instauré lors de la loi Aubry sur la réduction du temps de travail (RTT), le forfait-jours, qui permet de s’émanciper de la durée légale quotidienne, était réservé aux grandes entreprises et principalement aux cadres (50 % d’entre eux). Le système sera étendu aux entreprises de moins de 50 salariés (sans distinction de fonction). Les charges de travail au quotidien pourront franchir toutes les barrières car, dans la pratique, elles ne seront plus contrôlables.
D’autant que les 11 heures de repos quotidiennes consécutives obligatoire sautent. Elles pourront être « fractionnées » !
De plus, « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif », sauf s’il dépasse le « temps normal ». On appréciera la précision de la formule.
Sécuriser les licenciements
Grâce à M. Nicolas Sarkozy, il y avait déjà la « rupture conventionnelle » (2 millions depuis sa création en juin 2008), faux nez qui cache souvent un moyen de pression patronale pour se séparer d’un salarié. Grâce à quelques syndicats, comme la CFDT et la CGC, qui avaient signé l’accord national interprofessionnel (ANI), et à M. Hollande, qui a concocté la loi dite de « sécurisation de l’emploi », le patronat pouvait réduire les salaires, augmenter le temps de travail et bien sûr licencier « en cas de difficultés économiques », dont l’interprétation était laissée aux juges. Le texte désormais les définit : une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires « pendant plusieurs trimestres consécutifs » (cela peut donc être deux trimestres), des « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois ou une importante dégradation de la trésorerie ». Et ce, « au niveau de l’entreprise » (et non du groupe). Il suffit pour les grosses sociétés de présenter les comptes de leur filiale en déficit (un jeu d’enfant) pour que tout soit possible. Exit le droit au reclassement des salariés licenciés.
En fait le patronat a obtenu ce qu’il réclamait depuis la nuit des temps : le droit de licencier sans entrave.
A ces causes dites défensives de licenciements, s’ajoute la possibilité de jeter les salariés dehors en cas « de mutations technologiques » ou de simple « réorganisation de l’entreprise ». Le travailleur qui refuse une mutation à l’autre bout de la France ou une baisse de salaire, ou encore une augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire, sera tout simplement licencié (auparavant, il avait droit au statut de licencié économique) ; il garde ses droits au chômage mais perd celui du reclassement.
En fait le patronat a obtenu ce qu’il réclamait depuis la nuit des temps : le droit de licencier sans entrave.
Ligoter les prud’hommes
Le patron pourra même licencier « sans cause réelle et sérieuse », il lui suffira de payer une indemnité forfaitaire fixée à l’avance, quel que soit le dommage subi par le travailleur. Celle-ci est d’emblée fixée à 3 mois de salaire pour 2 ans d’ancienneté, 6 mois entre 2 et 4 ans, 9 mois entre 5 et 9 ans, 12 mois de 10 à 20 ans, 15 mois pour les plus de 20 ans. Ainsi, un salarié jugé plus assez productif ou trop ouvertement revendicatif peut être jeté sur le carreau à n’importe quel moment.
Travailler plus pour gagner moins
Les heures supplémentaires pourront être majorées de 10 % — et non plus 25 % de plus pour les huit premières heures, 50 % au-delà. Il suffit d’un accord d’entreprise. Pour un salarié payé au Smic, l’employeur devra débourser moins de 1 euro par heure supplémentaire (0,96 euro contre 2,4 euros en vertu de la loi précédente). Une broutille qui le poussera à y recourir au lieu d’embaucher. Quant aux salariés, ils verront leur pouvoir d’achat baisser.
L’entreprise au-dessus de la loi
C’est sans doute le changement le plus important. Malgré les déclarations tonitruantes à la gloire de la République et de ses principes, la loi passe au second plan même quand elle protège mieux les salariés. C’est l’accord d’entreprise qui prime. La loi Macron (lire «Le choix du toujours moins », Le Monde diplomatique, avril 2015) avait déjà introduit cette disposition, mais elle restait exceptionnelle. Elle deviendra la règle.
Certes, cet accord devra être majoritaire, c’est-à-dire signé par des syndicats représentant plus de la moitié des salariés lors des élections professionnelles. Mais si ce n’est pas le cas, les syndicats minoritaires (au moins 30 % des voix) pourront recourir au referendum auprès des salariés. Et le pouvoir de vanter cette démocratie directe en jouant le petit peuple des travailleurs contre les élus syndicaux, forcément bornés.
Bien entendu, la consultation des travailleurs n’est pas en soi condamnable. Mais la question posée n’est pas définie collectivement, loin s’en faut. Si des syndicats minoritaires peuvent impulser la consultation, son contenu demeure entre les mains du patronat et prend souvent l’allure d’un chantage où les salariés ont le choix entre Charybde et Scylla : soit accepter de travailler plus et/ou gagner moins, soit perdre leur emploi… Chez Bosch, à Vénissieux, les salariés avaient accepté en 2004 de travailler 36 heures payées 35 et de renoncer à une partie des majorations pour travail de nuit ; leurs sacrifices n’ont servi qu’à rendre la société plus présentable : leur usine a été vendue en 2010, et plus de 100 emplois ont disparu. Même scénario chez General Motors à Strasbourg, Continental à Clairoix, Dunlop à Amiens…
Les commentateurs vantent souvent les référendums chez Smart, où 56 % des salariés ont répondu favorablement à la hausse du temps de travail (pour la même rémunération) réclamée par l’actionnaire au nom de la défense de l’investissement et de la non-délocalisation. Mais ils oublient de préciser que si 74 % des 385 cadres consultés ont approuvé l’accord, seuls 39 % des 367 ouvriers les ont imités, car ce sont eux qui ont les charges de travail les plus éprouvantes. Faut-il rappeler qu’un cadre vit six ans de plus qu’un ouvrier ? Avec la nouvelle loi, les ouvriers se verront imposer l’intensification de leurs tâches.
D’une entreprise à l’autre, les salariés ayant une même qualification auront des droits fort différents. On pourrait même imaginer des travailleurs aux statuts totalement divergents sur un chantier avec plusieurs sous-traitants. En fait, comme l’explique fort bien le spécialiste du travail Pascal Lokiec, « cela conduit potentiellement au dumping social et complexifie la situation du salarié qui changera de droit applicable en même temps qu’il changera d’entreprise (1) ». Quant à l’emploi, il restera à quai ou encore plus sûrement plongera. Comme le montrent toutes les études, ce n’est pas la prétendue « rigidité » du code du travail qui fait le chômage, mais le manque de débouchés.
Les élus socialistes aux ordres
Tout comme il oppose les travailleurs aux syndicats, les juges aux technocrates (qui seraient les mieux à même de fixer les pénalités patronale aux prud’hommes ou de définir les licenciements économiques), M. Hollande cherche à opposer les élus parlementaires au peuple français. Assuré avec ces orientations ultralibérales de ne pas bénéficier des voix des députés du Front de gauche et d’une partie des Verts pour faire passer sa loi, le chef de l’Etat réclame des élus socialistes qu’ils s’inclinent (même avec des états d’âme). Il menace donc d’employer la force du 49-3 — une disposition constitutionnelle qu’il qualifiait autrefois (avec lucidité) de « brutalité » et de « déni de démocratie ». La boucle est bouclée.
Commentaire d'un Indigné Nîmois ; On peut discuter de qui nous parle (ici Martine Brulard du Parti de Gauche). On peut discuter sans fin sur le travail, le salariat et tutti quanti. Il reste que tout compte fait le salariat a été jugé plus rentable que l'esclavage tant que les dits salariés n'ont pas pu s'organiser (ou fuir) pour survivre dans le monde librement brutal du capitalisme. Un travailleur "libre" ne coûte presque rien, moins qu'un esclave, juste le coût de sa reproduction en tant que "force de travail", et il ne coûte que quand il travaille, le reste est gratuit...à la charge du travailleur ou de la collectivité, ce qui au bout du compte revient presque au même...
Les restrictions légales (les acquis sociaux) à "pire que l'esclavage" sautent définitivement sous nos yeux, c'est bien ce que dit l'article. Le reste (sécu, chômage, retraite...) reposant toujours en grande partie sur le salariat ne tiendra pas bien longtemps après qu'il ait été réduit au minimum vital (400 g de pain par jour environ...). Et donc même ceux qui ne sont pas salariés vont aussi sérieusement morfler, aussi sûr que 2+2=4.
Pas grave? On en mourra certes pas, les gens vivent tout de même au "Bangladesh"...il faut imaginer le "bengali" heureux...
Moderne? Oui "moderne", mais...au tout début du 19° siècle, voire un peu avant (cela pour "Mr Valls", homme de "gauche moderne", qui ne peut pas "changer de logiciel" puisqu'il en est encore à compter au boulier...).
De nos jours, laisser passer cela sans réagir ressemble bien à un suicide collectif. Ce bas monde est-il si pourri qu'on a plus qu'une envie c'est de le quitter pour toujours? Cela semble...
Le Conseil constitutionnel censure la copie de données lors de perquisitions informatiques
Submitted on 19 févr. 2016 - 14:05
Paris, le 19 février 2016 — Dans une décision publiée aujourd'hui, le Conseil Constitutionnel a censuré une disposition de la loi sur l'état d'urgence relative aux perquisitions informatiques. Le Conseil constitutionnel estime que la copie des données d'un terminal informatique sans décision judiciaire est contraire à la Constitution et au droit français. La Quadrature du Net salue cette décision et appelle le gouvernement français à remettre au centre du processus le juge judiciaire.
Suite à une question prioritaire de constitutionnalité initiée par la Ligue des Droits de l'Homme, le Conseil constitutionnel a censuré partiellement la loi relative à l'état d'urgence adoptée en novembre 2015. La disposition censurée permettait à la police de copier entièrement les données d'un terminal informatique (ordinateur, serveur informatique ou téléphone mobile) lors d'une perquisition, sans obligation de faire une saisie du matériel, d'obtenir l'assentiment de la personne perquisitionnée ni de constater préalablement une infraction.
La disposition de perquisition informatique (article 11, alinéa 3 de la loi du 3 avril 1955 modifiée par la loi du 20 novembre 2015) permet l'accès à « un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux » de la perquisition et à « des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial ». Cette disposition n'apporte aucune garantie quant aux usages qui sont faits des données ainsi collectées, leur durée de conservation par les autorités, ou toute autre garantie nécessaire dans un État de droit.
Le Conseil constitutionnel estime que cette disposition porte une atteinte disproportionnée à la vie privée, et s'inquiète du fait que la copie de données puisse porter sur des éléments sans lien direct avec la personne visée (de par le fait que la copie englobe les échanges entre la personne perquisitionnée et ses contacts, et que la loi prévoit également de pouvoir saisir les données accessibles depuis l'équipement perquisitionné). Il estime que ce type de disposition ne peut se faire que dans le cadre légal d'une saisie, et non d'une simple perquisition.
Cette censure partielle de la loi sur l'état d'urgence est un succès et souligne le travail indispensable de recours administratifs conduit par diverses organisations de défense des droits (dont La Quadrature du Net) contre l'inflation des atteintes aux droits fondamentaux initiée par le gouvernement français depuis quelques années. Toutefois, il y a fort à parier que la prolongation de l'état d'urgence s'accompagnera d'une nouvelle loi venant préciser ces mesures aujourd'hui dépourvues de tout cadre législatif. Si tel est bien le cas, il faudra être extrêmement vigilants sur la nécessaire rectification législative que le gouvernement sera obligé d'instaurer, et s'assurer qu'elle apporte toutes les garanties nécessaires, devant un gouvernement qui n'a jamais hésité à répondre aux jugements d'illégalité par une simple légalisation, sans prendre en compte le fond des décisions et l'intrinsèque atteinte lourde aux droits fondamentaux.
« Députés et sénateurs auront à être très attentifs aux futures lois qui viendront répondre à cette censure partielle, et à oser donner un cadre protecteur aux mesures d'intrusion dans la vie privée. Nous appelons également les personnes qui ont été visées par ces perquisitions informatiques inconstitutionnelles à faire valoir leurs droits devant la justice. Il est fondamental que l'état d'urgence ne puisse être le règne de l'impunité », déclare Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.
Au lendemain du vote par le Parlement de la prorogation de l’état d’urgence, c’est un constat sévère que dresse la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la mise en œuvre de l’état d’urgence.
Abus, dérives, débordements, détournements
Saisie le 9 décembre 2015, par le président et le vice-président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, la CNCDH, institution nationale de promotion et protection des droits de l’homme, accréditée par les Nations unies, participe au contrôle de l’état d’urgence déclenché au lendemain des attentats de novembre 2015.
Abus, dérives, débordements, détournements
3284 perquisitions administratives, 392 assignations à résidence, une dizaine de fermetures de lieux de cultes, moins d’une dizaine d’interdictions de manifester : les chiffres du ministère de l’Intérieur posent le cadre.
Les résultats ?
29 infractions en lien avec le terrorisme ont été constatées. Ces infractions se ventilent de la façon suivante : 23 délits d’apologie d’actes de terrorisme et seulement 6 saisines du Parquet antiterroriste.
La réalité des mesures de l’état d’urgence, c’est aussi :
des perquisitions menées de nuit, sans prendre en compte la présence au domicile de personnes vulnérables (dont de nombreux enfants terrorisés),
des comportements policiers peu adaptés (menottage abusif, mise en joue avec arme),
de nombreux dégâts matériels ou encore l’absence de remise systématique de l’ordre et du récépissé de perquisition,
des assignations à résidence par nature attentatoires à la liberté d’aller et de venir et à bien d’autres droits. Du fait des pointages imposés, la vie familiale et professionnelle ne peut qu’en être lourdement désorganisée
des détournements de l’état d’urgence, sans lien avec la lutte contre le terrorisme, pour entraver des manifestations d’écologistes, de syndicalistes, et pour lutter contre l’immigration clandestine ;des mesures qui pour l’essentiel sont de nature à stigmatiser une population et une appartenance religieuse.
Le contrôle de l’état d’urgence : les déséquilibres démocratiques et les initiatives citoyennes
Décidées par la seule autorité administrative (ministre de l’Intérieur, préfets), les mesures de l’état d’urgence échappent totalement au contrôle a priori du juge judicaire. En outre, s’agissant du juge administratif, si les conditions d’un contrôle a posteriori se sont progressivement mises en place, leur efficacité est trop souvent entravée par la pauvreté des pièces (notes blanches) soumises au contrôle du juge.
Dans ce contexte, la CNCDH salue l’engagement résolu des journalistes, des associations et des citoyens qui, dans le quotidien de leur vie, se sont efforcés de recenser les abus et de les combattre.
Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, rappelle que « l’état d’urgence est un état d’exception qui doit demeurer circonscrit dans le temps, encadré et contrôlé strictement. La sortie de l’état d’urgence est une décision politique difficile, mais impérative. Le tribut que l’état d’urgence fait subir à la Nation et à ses citoyens est trop lourd, le respect de l’état de droit est un horizon non négociable
Quelques semaines après les rencontres internationalistes du Plan B de Parisen janvier et du lancement de « Diem » à Berlin début février, le Plan B madrilène reprend le flambeau et poursuit la mission de recomposition de la gauche européenne tout en dépassant les clivages qui mettent en péril le projet commun d’une Europe réellement démocratique au service des peuples. En réponse à l’Appel contre les politiques d’austérité et la « dettocratie » signé par plus de 13 000 personnes, dans un contexte politique espagnol extrêmement instable deux mois après les législatives du 20 décembre, les rencontres du Plan B pour l’Europe se sont déroulées au Centre Social et Culturel Matadero |1| de Madrid du 19 au 21 février dernier.
Il s’agit selon cet appel de « créer un espace de confluence au sein duquel tous les mouvements, les personnes et les organisations qui s’opposent au modèle actuel d’Union européenne puissent discuter et élaborer un agenda commun d’actions, de projets et d’objectifs. Ceci dans le but principal de rompre avec le régime d’austérité de l’UE et de démocratiser radicalement les institutions européennes, en les mettant au service des citoyens. » Même si certains signataires, tel la CUP de Catalogne, ne croient pas à une supposée démocratisation des institutions européennes et préfèrent parler d’une refonte totale plutôt que d’une réforme, tous appuient l’initiative. A ce propos, Marina Albiol, eurodéputé de Izquierda Unida affirme clairement : « Cette Europe n’est pas réformable. C’est pour cela que nous sommes venu la briser, briser ses normes et récupérer ce qu’ils nous ont volé ». « Nous ne nous trompons pas d’ennemis. Ce n’est pas une lutte entre pays, c’est une lutte de classe » conclut-elle.
Le réseau CADTM Europe était bien représenté avec une délégation de Belgique, France, Grèce, Pologne et Ukraine, et a participé activement aux deux ateliers sur l’audit de ladette |2| et différentes réunions. Ce fut aussi l’occasion de présenter le livre nouvellement édité en espagnol sur la construction européenne au service des marchés financiers (voir en espagnol : « Construcción europea al servicio de los mercados financieros ») dont les auteurs sont actifs au sein de la PACD (Plateforme d’Audit Citoyen de la Dette en Espagne) et du CADTM.
Articulé autour de 4 forums intitulés « L’Union européenne comme champ de bataille », « Égalité des droits dans un monde limité », « Une économie pour construire une autre Europe », « Transformer les institutions et nouvelles formes de démocraties » et de nombreux ateliers regroupés par axes thématiques (« Non à la Dettocratie », « Dernier appel... face à la crise écologique globale ? », « Le Plan B sera féministe ou ne sera pas », « #RefugeesWelcome : une Europe sans barrières ni racisme », « Alternatives au régime de commerce et d’investissement », « Le projet européen, entre monnaie et démocratie » ou « Droits sociaux et droits du travail »), des alternatives aux politiques d’austérité en cours en Europe ont été clairement avancés.
Faisant parfois penser à un « mini-forum social européen », près de 3 000 personnes, selon les organisateurs, se sont retrouvé pour tirer les leçons de la capitulation de Syriza qui a renié ses promesses de campagne et mettre en mouvement des alternatives. Le Plan B ouvre un espace qui était de nouveau inexistant depuis la disparition des derniers forums sociaux européens. Un espace de rencontres, de débats et d’organisation de la gauche pour avancer des stratégies et un calendrier commun de mobilisations, notamment le 28 mai, date anniversaire de la fin sanglante de la Commune de Paris, |3| qui a été choisie pour affirmer aux quatre coins de l’Europe notre refus de l’austérité imposée par la Troika.
Couverture médiatique inappropriée
La personnalisation démesurée de certaines figures emblématiques lors d’événements politiques majeurs, dissimule trop souvent le travail colossal de centaines de collectifs hyper actifs sans budget ni en quête de notoriété. Comme à leur accoutumée, les médias mainstream ont personnalisé l’événement et se sont focalisé sur l’ex-ministre des finances, Yanis Varoufakis, venu présenter son « DiEM 25 » (Democracy in Europe Movement 2025), ébauche d’un mouvement transnational qui veut démocratiser l’Europe. Varoufakis a appelé à la formation de « Brigades internationales pour rendre la démocratie à l’Europe », assurant que l’important était, pour le prochain gouvernement d’Espagne, qu’il soit capable de « dire « no pasaran » à Bruxelles ». On déplore cependant le peu d’écho du Plan B de Madrid en général dans la presse commerciale. |4| Les paroles retentissantes de Zoé Konstantopoulou, l’ancienne présidente du parlement grec, appelant les gouvernements européens à ne pas payer la dette, considérant qu’elle relève d’un mécanisme « illégal et illégitime qui génère austérité et pauvreté » n’ont pas été relayées par les médias dominants...
Les mouvements sociaux répondent à l’appel
L’aspect positif est sans conteste celui de la participation. En plus des syndicats espagnols CGT (libertaire), ELA (pays basque), Intersindical Valenciana (Pays Valencien) et du reste de l’Europe, de nombreux mouvements sociaux étaient représentés tels la coordination des affectés par l’hypothèque (PAH), ATTAC, la « Marée blanche » qui lutte pour une santé de qualité et contre sa privatisation, les travailleurs en lutte de Coca-Cola /Madrid, Via Campesina, la Marche Mondiale des Femmes, Ecologistas en Acción, Precarios Inflexiveis du Portugal, le Tribunal Permanent des Peuples, etc. Ont participé par ailleurs, de nombreux députés et responsables politiques de différentes formations comme Podemos (Miguel Urbán et Lola Sánchez, eurodéputés), Izquierda Unida-Unidad Popular (Alberto Garzón et Sol Sánchez, députés), Equo, Compromís (Mònica Oltra) Barcelona en Comú (Gerardo Pisarello) ou Ahora Madrid (Carlos Sánchez Mato) en Espagne, Syriza ou Unité Populaire en Grèce, Die Linke d’Allemagne, Parti de Gauche en France, Left Party de Suède, Bloco d’Esquerda du Portugal...
Les mouvements et organisations qui luttent contre l’asservissement de la dette sont venus en nombre pour se coordonner et relancer le réseau ICAN (International Citizen Debt Audit Network) : les coordinations d’Audit Citoyen de la Dette de différents pays (PACD-Espagne, Jubilee UK, CAC France, Acide Belgique) et les organisations internationales (Eurodad, CADTM) se sont retrouvé avec de nouveaux intéressés venant d’Italie, Suisse, Pologne et Ukraine. La relance de ce réseau est bienvenue car il peut aider à faire connaître les expériences et problématiques d’autres pays, coordonner des campagnes internationales, populariser le non paiement de dette illégitimes, faire exemple et renforcer le mouvement populaire... |5|
Comme le dit bien Eric Toussaint, porte-parole du CADTM, « le défit de ce projet consiste à construire un mouvement radical et de rupture au niveau européen », ce qui signifie « désobéir aux créanciers ». Il faut abroger l’article 135 de la Constitution espagnole et ne pas payer la dette illégitime. Quelques jours après le Plan B de Madrid, celui-ci appelle à une « rébellion démocratique » sur le continent, à la « désobéissance civile face aux Institutions ».
Notes
|1| Anciens abattoirs reconvertis en un immense Centre culturel de la capitale.
|3| Le 28 mai 1871 succomba la dernière barricade de la Commune de Paris au terme de la « semaine sanglante » durant laquelle près de 30 000 communards sont écrasés et exécutés en masse.
|4| A ce jour, nous n’avons rien vu de publié dans le journal au plus fort tirage, El País, par exemple...
Énorme pétition, appel à manif et à la grève générale, la riposte fait reculer le gouvernement. « Première victoire, mais attention, ne lâchons rien, c’est aussi une manœuvre pour brouiller et démobiliser. La manif du 9 MARS EST MAINTENUE. »
Une carte des mobilisations prévues le 09 mars à voir et à alimenter sur loitravail.lol
Énorme pétition, appel à manif et à la grève générale, la riposte fait reculer le gouvernement. « Première victoire, mais attention, ne lâchons rien, c’est aussi une manœuvre pour brouiller et démobiliser. La manif du 9 MARS EST MAINTENUE. » Ancien inspecteur du travail et militant socialiste, Gérard FILOCHE est en colère, pour lui cette offensive dictée par le Medef, c’est l’offensive de trop*.
Car désormais, si cette loi est adoptée, les libertés et droits fondamentaux de la personne seront soumis aux « nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ». Soit une contre-révolution juridique, théorique, pratique, contre laquelle le mouvement social se mobilise.
entretien : Daniel MERMET
réalisation : Jeanne LORRAIN & Jonathan DUONG
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Voir aussi
l’intégralité du texte du projet de loi portée par la Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs »
Alors que 2016 est la date anniversaire des 80 ans du Front populaire, le code du travail est attaqué implacablement, les plans sociaux et délocalisations se multiplient, la répression et la criminalisation de l'action syndicale sont plus fortes que jamais, marquées par 8 condamnations à une peine de prison ferme, comment saisir les véritables mécanismes qui sous-tendent une telle casse sociale ?
Après «La mort en bout de chaîne », un documentaire qui aborde les risques de cancers dûs à l'exposition prolongée aux produits chimiques hautement toxiques (HAP-CMR) utilisés dans la composition des pneus Goodyear, Mourad Laffitte propose un nouveau film retraçant l'ensemble du conflit qui oppose la direction de la multinationale Goodyear-Dunlop aux salariés de l'usine Amiens-Nord.
Fruit d'une longue enquête, ce film documentaire est avant tout le temps de la réflexion. Mourad Laffitte revient sur la lutte des ouvriers de l'usine Goodyear Amiens-Nord pour défendre leurs emplois. Une véritable plongée au cœur de ce conflit loin des discours et des images qui criminalisent et condamnent de manière hâtive.
Durant 9 ans, le réalisateur a accompagné les ouvriers tout au long de leur lutte - grèves, blocages d'usine, tribunaux, manifestations, réunions, comité de soutien - réalisant ainsi près de 11 000 photos et des centaines d'heures d'entretiens et d'images.
Dans le même temps, il met en parallèle le combat mené par 1200 ouvriers d'une usine Continentale situé à 80 km d'Amiens. Dans un cas comme dans l'autre, malgré l'invalidation de plusieurs plans sociaux par les tribunaux et des bénéfices colossaux, ces 2 multinationales ont délocalisé leur production, mettant sur le carreau 2500 ouvriers.
Ceci n'est pourtant pas une fatalité. Ce documentaire donne à voir et permet de comprendre les stratégies économiques qui se jouent réellement dernière la façade d'une crise prétendue , ainsi que le cynisme et l'arrogance d'une multinationale avec lesquels elle anéantit la vie des salariés pour toujours plus de profits.
"Liquidation", un film nécessaire ! René Vautier disait "Filmer ce qui est, pour agir sur le développement de cette réalité et mettre l’image et le son à disposition de ceux à qui les pouvoirs établis les refusent." C'est dans cet état d'esprit que nous avons choisi de faire ce documentaire ; un ciné-tract pour dire, montrer ce que la voix du pouvoir tait ou travesti en laissant entendre que la violence et l'irresponsabilité appartiendrait à celles et ceux qui se mobilisent.
Vous pouvez soutenir la construction de ce projet et le faire vôtre en contribuant à la souscription que nous venons de lancer sur la plate-forme de financement participatif Touscoprod En soutenant ce film, vous contribuerez à aider la production audiovisuelle indépendante. De plus, vous permettrez à chacun de saisir que si nous ne sommes pas tous des Goodyear, nous sommes tous concernés par la violence du libéralisme et par la destruction systématique des conquis sociaux.
Le 18 mars 2016, le film sera projeté en avant-première, à la Bourse du travail de Saint-Denis (93) à l'occasion d'une soirée de soutien aux Goodyear, organisée par le Comité de soutien de Seine-Saint-Denis. ''Liquidation'', film documentaire de 52 min
Auteur-réalisateur: Laffitte Mourad
Production : Images Contemporaines (le site)
Contact : contact@images-contemporaines.com / 06 76 48 61 35
Une pétition en ligne qui frôle le million de signataires, un appel à manifester le 9 mars et une vidéo de « Youtubeurs » : ces trois initiatives ont débordé politiques et syndicats, faisant surgir sur le numérique une mobilisation inédite contre la loi sur le travail.
C’est une pétition sur Internet qui a mis le feu à la plaine. Une pétition qui rassemblait près de 800 000 signataires lundi 29 au soir, et qui fait office de symbole. Le net s'est invité dans le débat politique sur la loi sur le travail. Et à sa manière, il a imposé une tonalité politique et la réception, plus que froide, à laquelle doit faire face le texte porté par Myriam El Khomri, dont le gouvernement vient d'annoncer le report de quelques semaines. Des profondeurs du web sont aussi montés un appel à manifester le 9 mars, qui séduit les foules mais aussi la CGT, et un mot-clé ravageur -« On vaut mieux que ça », par lequel les travailleurs les plus précaires racontent leur quotidien désastreux. Trois initiatives, trois sévères attaques contre la future loi. Et trois surprises pour le gouvernement.
Pour la pétition, tout s'est décidé en 24 heures, suite à la parution dans Le Parisien des principales pistes de la loi sur le travail, le 17 février. En fin d’après-midi, la militante féministe Caroline De Haas reçoit un message de son amie Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de l'UGICT-CGT, camarade depuis les années Unef (elles étaient toutes deux au bureau de l’organisation étudiante pendant la mobilisation contre le CPE), qui l’alerte pour lui dire : « C’est Tchernobyl, ce projet ! Faut faire quelque chose. » La suite, raconte De Haas, est simple comme un gazouillis numérique : « Je vérifie ; comme tout ce qui vient du gouvernement est horrible ces derniers temps, il faut hiérarchiser… Je trouve ça en effet horrible. Avant de me coucher, je fais une dizaine de tweets. Et au réveil, je vois des centaines de “retweet”, ce qui ne m’arrive jamais sur des sujets autres que le féminisme. Là, je me dis qu’il se passe un truc… »
Le lendemain, après des allers-retours avec Sophie Binet, le « designer politique » Elliot Lepers et des juristes du syndicat des avocats de France (SAF), un texte est prêt, des signataires ralliés (parmi des syndicalistes CGT, FO et Solidaires, ainsi que du syndicat des avocats de France, des responsables actuels ou passés d'organisations de jeunesse), un site Internet développé, et une pétition prête à être lancée. À 14 heures, le tout est mis en ligne sur Loitravail.lolet va battre très vite un grand nombre de records du genre, aidé par « la communication méprisante du gouvernement et ses réponses pathétiques, du genre :“Vous n’avez pas compris, on va mieux vous expliquer” », dit De Haas…
« C’est la pétition qui s’est lancée avec le plus grand nombre de signatures le jour de son lancement, avec près de 54 000 signatures en 24 heures, qui a connu le plus gros pic de signatures jamais vu en une journée en France (126 969 signatures le 23) et qui obtient le plus de signatures par jour, avec 73 000 signatures en moyenne », détaille Benjamin des Gachons, le directeur France de Change.org, site lancé en 2007 aux États-Unis et en 2012 en France, et qui côtoie We sign it et autres Avaaz.
Des Gachons ajoute que parmi les presque 620 000 pétitions recensées partout dans le monde sur ce site international, celle sur la loi sur le travail « est actuellement la plus virale », c’est-à-dire qu’elle est « la plus vue, commentée et partagée ». Pour l’activiste, le moment est « déjà historique », car « le gouvernement a déjà reculé alors que le mouvement ne s’est pas encore traduit par une mobilisation dans la rue ». Selon lui, « on est passé d’un moment d’indignation, lorsque le pré-projet de loi a fuité, à un mouvement de mobilisation, très horizontal ».
La pétition sur Change.org.
Le texte est en passe de devenir la pétition la plus rassembleuse de la courte histoire de l’activisme online. Jusqu’ici, cette première place était occupée par la pétition contre le chalutage en eaux profondes, lancée par l’association Bloom en 2013, signée en quelques mois par environ 800 000 internautes, et presque 900 000 aujourd’hui. Plus récemment, Change.org s’enorgueillissait d’aligner 435 000 signaturesen soutien de la demande de grâce de Jacqueline Sauvage, ou 510 000 noms en faveur dela pétition lancée en juin dernier par Élise Lucet contre la directive européenne sur le secret des affaires.
Il faut mesurer le poids de ces chiffres. Depuis 2010, si une pétition agrégeant 500 000 signatures est soumise au Conseil économique, social et environnemental (CESE), celui-ci est tenu de se prononcer sur une question. Les opposants au mariage pour tous ont utilisé cette procédure à l’été 2014, après avoir rassemblé 700 000 noms. L’avis du CESE, seulement consultatif, les avait d’ailleurs déçus.
Il existe un mécanisme similaire au niveau européen : si un million de personnes, réparties dans au moins sept pays, signent pour une initiative citoyenne européenne, la Commission européenne est tenue d'examiner cette pétition, et peut aller jsuqu'à proposer ce texte au vote du Parlement européen et des États membres. Le dernier mécanisme prévu dans l’Hexagone est plus engageant, mais presque hors d’atteinte :le référendum d’initiative partagée permet depuis le 1er janvier 2015 de soumettre au vote de tous les Français un texte de loi qui serait déposé par 185 députés et soutenu par un dixième du corps électoral, soit environ 4,5 millions de Français.
Le gouvernement a bien compris le danger venant du web. Dès jeudi 25, alors que la pétition passait le cap des 500 000 signatures, Myriam El Khomri a très officiellement répondu aux internautes, comme le site le permet. Le service d'information du gouvernement (SIG), rattaché à Matignon, a bien tenté d'influer pour que la réponse provienne du “gouvernement”, mais en vain, cela n'était pas prévu par le “processus” imaginé par Change. La ministre du travail s'est donc essayée à démontrer encore une fois toute la pertinence des choix de l'exécutif. Peine perdue…
La manifestation en ligne de mire
Les initiateurs du texte « Loi travail, non merci ! » ne veulent d'ailleurs pas en rester là et entendent utiliser le réseau pour convier leur bientôt un million de contacts à descendre dans la rue pour manifester, report ou non de la loi. Pour Caroline De Haas et Elliot Lepers, qui n’ont eu de cesse depuis un an de chercher, selon le vocabulaire consacré, à « enflammer la toile » militante de gauche, désespérée par la situation politique française, dans le virtuel comme dans le réel, c’est un premier succès qui se matérialise.
L’une est une ancienne militante socialiste qui a travaillé comme attachée de presse pour Benoît Hamon, puis a fondé Osez le féminisme !, a rejoint en 2012 le cabinet de Najat Valaud-Belkacem sur les questions d’égalité homme-femme, avant de quitter le gouvernement et partir (relire son billet d’alors, sur son blog hébergé par Mediapart) pour tenter de participer à une “reconfiguration” de l’espace politique à gauche. Une volonté similaire se retrouve chez Elliot Lepers, un ancien “écologeek” de la campagne présidentielle d’Eva Joly.
Depuis leurs expériences politiques respectives, tous deux ont également choisi de créer une PME, l’une dans la formation et le conseil dans la promotion de l’égalité homme-femme dans les entreprises, l’autre dans l’ingénierie politique et la communication numérique. Chacun de leur côté, ils essaient. Caroline De Haas sera, par exemple, aux côtés de Clémentine Autain, à l’initiative des Chantiers d’espoir, qui feront flop après leur première réunion. Elliot Lepers imaginera, lui, une manifestation virtuelle nommée “Occupy Sivens”, en soutien à Rémi Fraisse, le jeune manifestant tué d’une grenade policière en marge d’un rassemblement contre le barrage du Testet (Tarn).
C’est sur Skype (un réseau de téléphonie gratuite par Internet) qu’ils se sont parlé pour la première fois, l’une à Paris, l’autre à Berlin. « Un coup de foudre militant, dit De Haas. Il venait de faire un site sur les “343 connards” (avec Clara Gonzales ndlr), dénonçant les éditorialistes soutenant la prostitution. Je lui dis : “Il faut faire pareil sur le sexisme.” » Cela donne Macholand, un site dénonçant les propos misogynes tenus par des personnalités publiques. Professionnellement, ils font aussi affaire, et la boîte de l'un réalisera le site de l'autre, “Les expertes”, un annuaire de femmes “compétentes” dans les médias. Sur le plan militant, s’ensuivront des initiatives de riposte politique destinées aux sympathisants de gauche déboussolés voire en colère face à l'orientation d'un pouvoir qu'ils ont contribué à élire. Comme un “contre-référendum pour une politique de gauche”, qui réplique en moins de 48 heures à celui imaginé par Jean-Christophe Cambadélis et le PS à propos de l’union de la gauche aux régionales. Ou encore le site gueuledebois.fr, mis en ligne au lendemain du second tour des mêmes régionales.
« À chaque fois, on fonctionne de la même façon, s’amuse De Haas. Je dis “il faut faire un truc !”, et soit Elliot fait, soit il ne bouge pas. Du coup, je fais un truc moche et ça l’énerve tellement qu’il fait un truc super en une heure. » Ce duo d’activistes s’est aussi investi depuis un an, avec une quinzaine d’autres militants politiques et syndicaux (« Mais ce ne sont pas les mêmes bandes que pour la pétition sur la loi travail », assure-t-elle), pour imaginer ce que pourrait être une « primaire de gauche ».
Ils tiennent à dissocier cet engagement-là, sans le renier, de celui en cours contre le projet de loi El Khomri. « Pour nous, la primaire est l’outil le moins mauvais pour trouver une alternative à François Hollande. Mais là, il s’agit d’une riposte citoyenne à une attaque frontale du gouvernement, explique De Haas. Après, on ne va pas nier qu’un mouvement social a évidemment des implications et des conséquences politiques… » Toutefois, elle assure qu’il est hors de question de bénéficier du fichier des signataires de la pétition pour tenter de les embringuer dans leur souhait de primaires. « Ça, c’est la politique à la papa, dit-elle, et de toute façon, c’est Change qui détient les adresses électroniques, pas nous. »
L'appel à manifester parti de Facebook
Tout aussi loin des habituelles stratégies politiques ou syndicales, “Bea”, “Da Mien” et “Matthieu” n’en reviennent toujours pas. Ces trois trentenaires, qui se méfient des médias traditionnels et ne consentent à s'exprimer que sur Mediapart ou Rue89, n’imaginaient pas une seconde que leur cri de colère sur Facebook porte si loin. En appelant à une grève générale et à une manifestation dans les rues de France le 9 mars, jour où la loi sur le travail devait être présentée en conseil des ministres, ils ont soulevé l'enthousiasme, et des centaines de milliers de like.
Tout commence lundi 22 février, peu avant que les syndicats ne publient une déclaration commune a minima. “Bea”, depuis le sud de la France, “Da Mien” et “Matthieu”, depuis la région parisienne, bondissent de rage derrière leurs écrans d’ordinateurs en s’envoyant des messages privés où ils se répètent : « Ce n’est pas possible », « il faut se bouger sans attendre », « c’est la plus grosse attaque portée au code du travail depuis la Seconde Guerre mondiale ». Militants à la CGT, ils sont devenus « potes via Facebook et les groupes communautaires cégétistes ». “Da Mien” est conducteur de train, “Matthieu” travaille dans la téléphonie mobile et “Béa” dans l’enseignement.
Quand le communiqué extrêmement prudent des syndicats est publié, le trio tombe de sa chaise. « On s’est dit que c’était du foutage de gueule ! L’intersyndicale exige uniquement “le retrait de la barémisation des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif et des mesures qui accroissent le pouvoir unilatéral des employeurs”. Le reste, on en parle dans quinze jours et on fait une mobilisation le 31 mars », raconte “Da Mien”. Pour lui, “Bea” et “Matthieu”, il n’y a « rien à négocier » dans ce texte : « Il faut le retirer. Il y en a marre de ces réunions où on veut mettre tout le monde autour de la table et fédérer autour du plus petit dénominateur commun pour avoir la signature de la CFDT. Cela nous oblige à rabaisser nos exigences. »
Sur Facebook, le trio crée l’événement : «Appel à la grève générale contre “la loi Gattaz-Hollande-Valls-Macron-El Khomri”. » Un appel citoyen et militant, écrivent-ils. «Pour la convergence des luttes des salariés, des précaires, des chômeurs, des retraités, des jeunes, des personnes qui survivent avec des minimas sociaux en baisse.» Ils invitent toutes les générations à venir «défendre leur peau avec ou sans les directions syndicales». Ils choisissent la date du 9 mars sans comprendre pourquoi les syndicats ont choisi celle du 31 : «Le 9, il y a un coup à jouer pour la convergence des luttes. C’est le jour où le projet devait être présenté en conseil des ministres, c’est le même jour que le préavis de grève à la RATP et à la SNCF, le lendemain, il y a les retraités.»
La machine est lancée. Elle sera virale, tout comme la pétition. Aujourd’hui, près de 400 000 personnes ont été invitées à leur grève générale. 70 000 personnes sont intéressées, 42 000 entendent y participer. Surtout, l’appel a fait des émules. À Paris, Strasbourg, Rouen, Lille, Angers, Marseille… et dans de nombreuses autres villes de province, des pages ont été créées par des internautes, des associations voire des syndicats. “Da Mien”, “Bea” et “Matthieu” s’avouent «dépassés». «On est sollicités de partout mais ce n’est pas notre boulot d’organiser des manifestations et des services d’ordre. Aux citoyens, aux salariés, aux syndicats de prendre la main dans leurs entreprises, dans leurs départements, dans leurs régions», lance “Da Mien”. Cet appel à la grève, pour lui, «c’est un coup de pied dans la fourmilière, un sondage qui montre que les Français veulent en découdre».
Un ancien collaborateur de Mélenchon s'invite dans la danse
Il reste à traduire la colère virtuelle dans les rues, et c'est un militant plus aguerri qui veut s'en charger. À Paris, Alex Tessereau et sa bande de copains de lutte, sur le net ou dans la vraie vie, entendent s’en charger. Ils ont crééleur page: « 9 mars Paris, tous/toutes dans la rue. » Elle compte 29 000 invités, 4 000 intéressés, 3 000 participants à ce jour. Et lundi soir, la CGT a annoncéqu'elle se ralliait à cette date…
Le groupe veut faire de la place de la République « une agora de citoyens, sans étiquette, horizontale, démocratique », dit Alex. Il a 28 ans et l’expérience des manifs chevillée au corps depuis les années lycée au sein de l’Union nationale lycéenne, puis de l’Unef. Proche de la mouvance “antifa”, responsable associatif, à l’origine du mouvement des «fêtards éco-responsables du canal Saint-Martin», il sait «mobiliser», «obtenir des autorisations de manifester en préfecture», «monter des services d'ordre, des banderoles», «réagir face aux forces de l'ordre». Ses premières armes, il les a faites contre la loi Fillon sur l’école en 2005, puis contre le CPE qui, il y a dix ans, faisait fléchir le gouvernement Villepin.
C’est lui qui a contacté les initiateurs de la grève générale sur Facebook et proposé de « monter une équipe » pour Paris avec son réseau militant. «L’austérité, la montée du FN, l’enchaînement des reniements de Hollande, les divisions de la gauche… Tous les ingrédients sont réunis pour que nous ayons un Podemos, un Syriza en France mais il ne se passe rien. Nos syndicats décident de faire une mobilisation après la bataille, le 31 mars. C’est ridicule, cela ne crée aucun rapport de force, aucune pression. Il faut une grève reconductible qu’on puisse étendre du lundi au samedi, occuper l’espace, le temps politique», s’enflamme le jeune homme, qui a été l’attaché parlementaire de Jean-Luc Mélenchon en 2008, quand celui-ci démissionnait du PS et créait le Parti de gauche. « C’était mon stage de fin d’études », raconte-t-il.
Depuis, il s’est éloigné du Parti de gauche et de la politique, dont il voulait faire son métier. DJ (son autre passion), il vivote grâce à des petits cachets sans avoir le statut d’intermittent. «J’avais la possibilité de travailler pour un sénateur socialiste, mais je n’allais pas gagner de l’argent sur des réformes, l’état d’urgence, la déchéance de nationalité, la loi El Khomri, qui me donnent envie d’aller manifester !» poursuit celui qui a pour modèle Patrick Roy, le député socialiste mort en 2011, guitariste et fan de hard rock.
« On vaut mieux que ça», campagne virale des Youtubeurs
D'autres restent hostiles à toute tentation politicienne. Et il aurait été bien difficile de prévoir qu'ils soient à l'origine de la déferlante de témoignages qui s’abat sur les réseaux sociaux depuis quatre jours. Autour du mot-clé« On vaut mieux que ça », ces messages décrivent tous la façon dont les précaires sont mal traités. Le coup est parti d’un endroit inattendu, car peu réputé pour sa capacité de cohésion et d’action concertée : celui des « Youtubeurs », ces animateurs de chaînes YouTube qui proposent leurs vidéos à des communautés regroupant parfois des centaines de milliers d’internautes.
Aux commandes de l’initiative « On vaut mieux que ça », on trouve un collectif de Youtubeurs plutôt marqués à gauche, qui parlent régulièrement, mais pas uniquement, politique. Certains font figure de vétérans, comme Usul, ex-chroniqueur de jeux vidéo qui a versé il y a deux ans dans des présentations fouillées de figures intellectuelles ou de concepts qui occupent le débat public, ouHistony, qui livre des « réflexions critiques pour comprendre pourquoi l'histoire se raconte de la façon dont on la raconte ». D’autres, qui s’y sont mis plus récemment, comme le collectif Osons causer, qui met politique, sociologie ou philosophie à l’honneur depuis juin dernier (lire les présentations faites par Streetpress), ou Le fil d’actu, qui depuis octobre explique en profondeur les faits d’actu.
Ils se sont signalés par une vidéo, où une dizaine d’entre eux présentent leur projet. À l’initiative, au tout départ : Usul, Dany Caligula ou le Stagirite, vite rejoints par Osons Causer et par d’autres. « Tout s’est fait à l’arrache, et on avance en pédalant, rigole Ludo Torbey, d'Osons Causer. On a démarré samedi 20 au soir, juste après la parution des premières informations sur l’avant-projet de loi, entre ceux qui étaient disponibles sur un groupe Skype. »
La première vidéo est prête moins d’une semaine plus tard. Elle regroupe des vidéastes aux tons très différents, certains étant les tenants d’un discours policé et grand public, d’autres revendiquant un ton bien plus rêche et provocateur. Par exemple, Matthieu Longatte, qui livre chaque semaine sur Bonjour Tristesse un billet (très) énervé contre le monde tel qu’il va. « Je me méfie en général des collaborations, mais pour cette fois, j’ai dit oui, notamment parce que j’avais déjà fait une vidéo sur la loi travail, dans laquelle j’incitais les gens à agir, explique-t-il. J’ai une formation de juriste et au début, je croyais que ce projet de loi était une blague. Pour moi, c’est la plus grosse régression sociale des 50 dernières années. »
« On parle de harcèlement, de discriminations, mais aussi de suicides »
L’idée : « Mettre à disposition nos compétences et nos audiences pour libérer ceux qui nous regardent. Nous voulons affirmer que nos témoignages, nos vies, sont légitimes », explique Ludo Torbey. « C’est une initiative noble, très intéressante, approuve Matthieu Longatte. Les divers acteurs du YouTube politique mobilisent leurs communautés et passent outre leurs divergences de style, voire même de perceptions politiques sur certains points, pour montrer que sur l’essentiel, tout le monde est d’accord. Aller chercher des centaines de milliers de témoignages, montrer que les gens dessinent tous ensemble une histoire cohérente, c’est très pertinent. »
Et très vite en effet, les témoignages affluent, y compris dans le Club de Mediapart. On y découvre un travail précarisé et flexibilisé à l'extrême, loin de l'image renvoyée par le Medef, avec, par exemple, le statut peu enviable des « extras », convocables à l’envi et sans préavis pour travailler au coup par coup dans le domaine de la restauration. Sur Twitter, les mots sont plus lapidaires et dénoncent le chantage au travail du dimanche, les marques de mépris parce « plein de chômeurs rêvent de ton job », ou la quête éperdue du paiement des factures lorsqu’on est freelance.
Les paroles reçues, par tweets, mails ou même vidéos, seront présentées dans les jours à venir via des sélections pensées pour circuler sur les réseaux sociaux, des podcasts etdes montages vidéo, voire au travers d’émissions présentées sur YouTube. « Nous sommes contents que notre initiative rencontre un vrai écho, indique Torbey. Mais les témoignages que nous recevons sont
S’avouant débordés, les Youtubeurs entendent bien faire porter loin les paroles qu’on leur confie. Mais pas question pour autant de confondre leur action avec les initiatives plus classiques, comme la pétition ou la manifestation. Ils reconnaissent sans difficulté aucune entretenir « une certaine méfiance envers les formes traditionnelles de la politique ». Et veulent s’en tenir à bonne distance : « Il se trouve que l’avant-projet de loi du gouvernement est un élément déclencheur de notre action, mais notre propos est de faire vivre les témoignages, la parole, rappelle l’homme d’Osons Causer. Nous n’avons aucun agenda politique, nous n’attendons pas particulièrement que cette loi soit retirée, même si nous en serions ravis. »
Cette méfiance assumée, Caroline De Haas, à l'origine de la pétition, l’a bien perçue. Et a décidé d’en prendre son parti. « Ils sont hyper-flippés d'être récupérés, et on peut tout à fait comprendre leur méfiance vis-à-vis des organisations, convient-elle. Quand j'ai découvert le mot-clé “On vaut mieux que ça”, je me suis dit qu’ils auraient pu nous prévenir… Mais ça a duré trente secondes. Finalement, j'ai trouvé ça génial, car ça incarne bien l'irruption du monde du travail dans le monde politique. C’est comme pour ceux qui ont appelé à manifester sur Facebook : nous avons élaboré une“carte des appels à manifester” de notre côté, mais pas plus. Ça avance dans tous les sens, on est débordés, c'est désorganisé, et c’est tant mieux : personne ne pourra contrôler quoi que ce soit. »