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7 mars 2016 1 07 /03 /mars /2016 16:56

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Santé au travail

Pourquoi la réforme du code du travail met en péril la sécurité et la santé des salariés

par , Ludo Simbille

 

 

 

 

Chaque jour, trois personnes meurent de leur travail en France : plus d’un millier de décès chaque année dont les trois quarts à cause d’un accident du travail souvent évitable ou d’une maladie professionnelle. Si la prise en compte de la santé et de la sécurité des salariés a progressé depuis trois décennies, et permis de sauver des vies, le projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri risque de réduire ces avancées sociales à néant. Les organisations du travail et les cadences pourront être durcies, le suivi médical affaibli, et les salariés fragilisés seront remerciés par un licenciement. Quand le gouvernement prône l’insécurité au travail…

 

« La vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié. Il ne faut jamais l’oublier. Il peut tout perdre, lui, et il a moins de garanties », expliquait le ministre de l’Économie Emmanuel Macron en janvier. Comme si les salariés, assurés d’un revenu en fin de mois et d’horaires de travail fixes, ne prenaient jamais de risques. Une petite phrase qui révèle une fois de plus l’ignorance totale du monde du travail et de ce qui s’y joue par une partie des dirigeants politiques, alors que le projet de réforme du Code du travail fait peser une menace sur la santé et la sécurité des salariés.

Quatre ouvriers du groupe sidérurgiste ArcelorMittal, dont deux intérimaires et un sous-traitant, ont, eux, tout perdu, en y laissant leur vie. Ils ont péri à Dunkerque et à Fos-sur-Mer sur deux sites de l’entreprise, entre fin 2014 et septembre 2015. Des accidents terribles : l’un des ouvriers a été percuté par une chargeuse, un autre a été écrasé par des rails, deux intérimaires ont basculé dans des cuves de métal en fusion. Des drames qui n’ont pas fait la une des faits divers, ni émus le gouvernement. Cette série noire alarmante révèle une réalité quotidienne peu connue : la mortalité au travail.

Chaque jour, trois personnes meurent de leur travail en France : 1170 décès en 2014. Pour 45% d’entre-eux, l’accident s’est produit sur le lieu de travail. Dans 31,5% des cas, il est l’ultime conséquence d’une maladie professionnelle, contractée à cause du travail, comme les cancers liés à l’amiante. Et dans près d’un quart des situations, le salarié a été tué dans un accident de trajet entre son domicile et son travail, selon les données collectées par la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts, voir ici) [1]. Une mortalité que dénonce le collectif Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, dont les états généraux se tiendront les 16 et 17 mars prochains.

Quels sont les salariés les plus touchés ?

Le profil type du salarié tué au travail ? Un homme, quinquagénaire, et ouvrier dans le BTP. Deux tiers des victimes ont plus de quarante ans – la tranche d’âge la plus touchée est celle des 50-59 ans. Parmi ceux qui y laissent leur vie, un tiers sont ouvriers, un sur dix est cadre. 90% sont des hommes. Les jeunes ne sont cependant pas épargnés par les accidents : les moins de 20 ans subissent trois fois plus d’accidents du travail que leurs aînés (lire notre enquête).

Les intérimaires sont particulièrement frappés. Ultra flexibles et confrontés à la précarité de leurs revenus et de leurs périodes d’emploi, ces salariés cumulent les contraintes : ils ont deux fois plus d’accidents au travail que les employés en CDI. Près de 35 000 intérimaires ont été victimes d’un accident du travail en 2013 et 67 en sont morts. Plus précaires et moins formés, ils sont souvent exposés aux tâches les plus dangereuses. Le secteur du BTP demeure le plus dangereux, avec 12% des décès au travail, suivi par celui des transports (10%). Rapporté au nombre de l’effectif salarié, l’agriculture est l’activité la plus meurtrière.

 

Pourquoi autant d’accidents du travail ?

« Tout accident de travail est évitable », assure Pascal Jacquetin, directeur adjoint des risques professionnels à la Cnamts. Ces drames professionnels suivent des scénarios identifiables, souvent prévisibles. Le Code du travail, quoiqu’en disent ses détracteurs, fixent les grands principes que doivent respecter les employeurs « pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Parmi ces principes, « adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé » ou « prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle » [2]. Un impératif que le projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri vise indirectement à « limiter » par « les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise » (article 1 du projet de loi).

« La mort est la conséquence ultime d’une défaillance. Le véritable scandale commence avec les 620 000 accidents avec arrêt par an », estime Pascal Jacquetin. Le « risque routier » et les chutes de hauteur constituent les principales causes de décès. Tous résultent d’une série de manquements aux règles, d’erreurs humaines ou de défauts techniques. Des négligences souvent elles-mêmes causées par des choix d’organisation du travail. Plusieurs enquêtes ou rapports d’expertises montrent que l’intensification des tâches, la pression des délais, les horaires imprévisibles au nom de la rentabilité augmentent les risques et favorisent l’émergence de difficultés, de souffrances, voire de drames. « La plupart des accidents seraient évités par quelques mesures de bons sens », insiste Pascal Jacquetin pour qui l’objectif de « zéro accident » est atteignable. Sauf que la protection des salariés reste trop souvent perçue comme une dépense, voire une contrainte.

 

La ministre du travail contre la sécurité des salariés ?

Le projet de loi de Myriam El Khomri l’affaiblira encore davantage. Celui-ci remet notamment en cause le principe de la visite médicale, pour chaque salarié, par un médecin du travail. « Les visites périodiques seront réservées aux salariés en difficultés ou à risque. Cela signifie que des salariés ne feront plus l’objet d’une surveillance périodique », déplore Alain Carré, médecin du travail et membre de l’Association Santé et Médecine du travail. « Il faut considérer que cette disposition ne permettra plus le repérage pour tous les salariés des altérations de la santé qui précèdent en général les atteintes graves ». Et « c’est l’employeur qui détiendra dorénavant la définition de ce qu’est un poste à risque, dans la mesure où le médecin du travail n’aura plus ni le temps ni les moyens d’en construire une définition ou de le repérer ».

En réduisant les repos compensateurs dont bénéficient les salariés d’astreinte, ou en rendant possible la semaine hebdomadaire de 46 heures, la réforme risque d’encourager les organisations du travail pathogènes. « Un récent article de chercheurs, paru dans la revue médicale The Lancet montre que la survenue d’accidents vasculaires cérébraux, et dans une moindre mesure d’infarctus, est fortement corrélée au temps de travail hebdomadaire », illustre Alain Carré.

 

Les accidents mortels diminuent-ils ?

Les instruments de protection des salariés, et la lente mais progressive prise en compte de la santé et de la sécurité au travail, ont pourtant fait leur preuve. En trente ans, le nombre de tués a été réduit de moitié. En ne prenant en compte que les accidents mortels sur le lieu de travail, on comptait 2230 morts en 1970, soit six par jour ! Plus que 1130 en 1984, deux ans après la mise en œuvre des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), aujourd’hui menacés (lire notre article). Le nombre de victimes est descendu à 530 en 2014. Une législation plus contraignante en terme de santé et de sécurité conjuguée à des progrès technologiques, notamment dans les secteurs dangereux comme la construction ou la métallurgie, ont contribué à diminuer par quatre le nombre d’accidents mortels.

La vigilance et la prévention n’expliquent pas seules la baisse sur plusieurs décennies des accidents mortels. Elle provient aussi de l’évolution de l’économie. La tertiairisation des emplois vers des activités de services a modifié l’exposition aux risques. En parallèle, le développement des emplois temporaires et de la sous-traitance permet aux donneurs d’ordres d’externaliser ces risques – EDF avec les sous-traitants du nucléaire par exemple – et de rendre invisibles les accidents, par le recours massif à l’intérim notamment. Autre raison : la montée du chômage, liée en particulier à la désindustrialisation, qui a frappé les ouvriers quinquagénaires. Pour Pascal Jacquetin, la baisse des accidents mortels « est donc plus liée à la conjoncture qu’à un effort vertueux des entreprises ».

 

Moins d’accidents mais plus de maladies professionnelles

Depuis dix ans, la moyenne oscille autour de 500 accidents mortels annuels, hors risque routier et maladies professionnelles. Le taux de gravité des accidents a cependant tendance a augmenté. Tout comme les maladies professionnelles ,en hausse de 40% ces dix dernières années ! « S’il y a clairement moins d’accidents directs, on assiste à un développement des décès dus aux maladies psychiques », constate l’ancien inspecteur du travail Patrick Le Moal. Stress, burn-out, dépressions liées au travail sont en nette augmentation. Autant de facteurs connus pouvant conduire au suicide, comme l’a illustré la tourmente qu’a connue France Télécom - Orange en 2008.

Difficile de faire reconnaître cet acte irréversible comme accident du travail [3]. En pratique, ce n’est qu’au prix d’un long combat judiciaire que les familles de défunts obtiennent la prise en charge par la sécurité sociale. Les proches de Laurent Radenac, salarié travaillant dans un entrepôt du groupe Nestlé, ont lutté cinq ans durant avant que le tribunal des affaires sociales admette, en février 2016, le lien entre son décès et son métier. En détresse, l’homme s’était laissé mourir de froid suite à un litige avec son employeur après un accident du travail.

 

Qui est responsable d’un accident du travail mortel ?

A qui sont imputables les décès professionnels ? En droit, l’employeur, présumé responsable d’un accident, a pour obligation de garantir la santé de ses salariés.
A chacun de ces drames, l’inspection du travail enquête sur les circonstances et les causes de la mort. En fonction du type d’infractions, l’affaire peut être renvoyée vers la justice administrative ou pénale. Problème : seule la moitié des procès-verbaux dressés pour santé et sécurité par les inspecteurs du travail sont suivis d’effet. Un PV sur deux se perd dans les limbes administratives et judiciaires. Un « flagrant déni de justice », pointait en 2010 l’association d’inspecteurs du travail L. 611-10, du nom de cet article du code du travail.

En 2009, un quart des affaires arrivées sur le bureau d’un Procureur étaient classées sans suite. Quand ce dernier engage des poursuites, la justice demeure plutôt clémente avec ce type « d’insécurité ». Dans une affaire sur quatre, l’employeur est relaxé au pénal. S’il est reconnu coupable, la sanction se limite souvent à une amende. Orange vient ainsi d’être condamné à verser 50 000 euros d’amendes pour la mort de Jean-Claude Lachaux, tombé d’une échelle lors d’une intervention technique. Environ 2% des PV dressés par l’Inspection du travail aboutissent à une peine de prison, en général avec sursis.

 

Pourquoi la Justice est-elle si lente ?

Entre enlisement et report d’audience, neuf ans de procédure ont été nécessaires pour juger l’affaire Pierre Rivas, ouvrier intérimaire tué sur le chantier de Gare TGV d’Aix-en-Provence en 2001. Sept ans après l’écrasement de Gille Dudde par un train d’atterrissage d’Airbus près de Toulouse, en 2005, un juge prononce un non-lieu. Depuis, la famille tente en vain de relancer l’affaire. Récemment, Gilles de Robien, ancien maire d’Amiens, a finalement été relaxé, treize ans après la mort d’Hector Lobouta, un ouvrier en insertion, sur un chantier dont la municipalité était maître d’œuvre. Idem pour le directeur de l’usine AZF à Toulouse, relaxé en 2015 par la cour de cassation, soit quatorze ans après l’explosion de l’usine chimique.

Ces « délais anormaux », insupportables pour les familles, seraient en partie liés à l’encombrement des tribunaux. Le droit pénal au travail ne serait pas la priorité des magistrats, « pas une matière noble », commente-t-on. Pourtant, il est des affaires où la justice ne se prive pas de sanctionner. Le tribunal d’Amiens vient de condamner huit anciens salariés de Goodyear à neuf mois de prison ferme pour avoir « séquestré » leurs patrons deux ans auparavant.

 

Demain, les salariés en souffrance seront-ils licenciés ?

Si la réforme du droit du travail est adoptée, l’employeur sera davantage protégé face à la survenue de maladies professionnelles ou de risques psychologiques. Car tout salarié perçu comme fragilisé et en danger pourra être tout simplement... licencié. « Le projet de loi prévoit la possibilité d’un avis du médecin du travail disant « que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise ». Cette formule permet de mettre à l’écart un salarié « pour son bien », et légitime dans l’esprit du médecin l’idée que la seule manière de sauvegarder la santé réside parfois dans le départ de l’entreprise. Dès lors que le médecin prononcera la formule magique, le projet prévoit que l’employeur est délié de l’obligation de reclassement qui existait jusqu’ici et peut licencier le salarié pour « motif personnel » », alerte le médecin du travail Alain Carré.

Côté gouvernement, le troisième plan d’action de santé au travail s’attèle à cibler les « risques prioritaires » afin de développer la « culture de la prévention » dans les entreprises. En réalité, des représentants des salariés aux médecins et inspecteurs du travail, en passant par les CHSCT, c’est tout le système de prévention qui « est progressivement défait depuis quelques années », s’inquiète le collectif pour la santé des travailleurs et travailleuses. « C’est lui que nous voulons préserver et renforcer » , interpelle-t-il dans une pétition.

Pire : le gouvernement a adopté le 9 février un décret modifiant le fonctionnement des indemnisations versées aux victimes des accidents du travail, qui pourraient être revues à la baisse. Pour l’association Henri Pézerat, du nom du toxicologue pionnier du combat contre l’amiante, ce décret remet en cause « un siècle de droit à réparation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles » : « Ceux qui sont mutilés, empoisonnés, cassés par des conditions de travail dangereuses, voire mortifères, sont dans le viseur du Gouvernement. On en est là aujourd’hui. » Il y a du boulot pour faire valoir les droits de ceux qui ont réellement tout perdu. Surtout à l’heure où le Code du travail et la protection des salariés s’apprêtent à être une nouvelle fois dépouillés.

Ludo Simbille et Ivan du Roy

 

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7 mars 2016 1 07 /03 /mars /2016 16:37

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

Les petits arrangements de la nouvelle présidente de la Haute autorité de santé
7 mars 2016 | Par Pascale Pascariello
 
 
 

Agnès Buzyn, qui prend ce lundi ses fonctions à la tête de la haute-autorité de santé (HAS), acteur clé du système de santé français, considère que les liens d’intérêt entre experts et laboratoires pharmaceutiques sont un gage de compétence. Plusieurs militants de la transparence comme le docteur Irène Frachon, à l’origine du scandale du Mediator, s’inquiètent auprès de Mediapart.

Au moins, les choses sont claires. « L’industrie pharmaceutique joue son rôle, et je n’ai jamais crié avec les loups sur cette industrie. Il faut expliquer que vouloir des experts sans aucun lien avec l’industrie pharmaceutique pose la question de la compétence des experts» Tels furent les propos tenus par le professeur Agnès Buzyn, alors présidente de l’Institut national du cancer (INCA) et qui vient d’être nommée ce lundi à la tête de la Haute Autorité de santé (HAS), lors d’une réunion organisée par le Nile, un cabinet de lobbying, en février 2013. Entendue au Sénat le 20 janvier dernier, dans le cadre de travaux de la commission des affaires sociales, elle n’a pas changé de position.

 

Agnès Buzyn, la nouvelle présidente de la Haute Autorité de santé. © DR Agnès Buzyn, la nouvelle présidente de la Haute Autorité de santé. © DR
 

Intitulée « Prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire », cette table ronde, loin de chercher à limiter les conflits d’intérêts en santé publique, avait au contraire pour cible la loi Bertrand. Adoptée en décembre 2011, à la suite du scandale du Mediator, cette loi vise à prévenir les conflits d’intérêts et à renforcer l’indépendance de l’expertise sanitaire publique. Elle rend obligatoire pour les professionnels de santé et décideurs publics la déclaration publique de leurs liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. De leur côté, les laboratoires doivent déclarer les avantages consentis aux professionnels de santé, aux associations et aux fondations.

 

Mais cette avancée dans la prévention des conflits d’intérêts ne fait pas l’unanimité. Une partie de ses détracteurs n’ont pas hésité à faire entendre leur voix devant les sénateurs. Parmi eux, Agnès Buzyn a longuement expliqué que l’obligation de déclarer tout lien d’intérêt est devenue trop « handicapante » pour certains chercheurs. « Ils ne le supportent plus et refusent de venir aux expertises de l’INCA. On passe notre vie à écrire des mails d’excuses aux experts pour leur expliquer pourquoi on n’a pas pu les retenir à l’analyse de leurs déclarations. » Agnès Buzyn regrette de ne pouvoir prendre des chercheurs qui ont, avec l’industrie pharmaceutique, des liens d’intérêt pourtant susceptibles d’influencer leurs expertises.

Selon la nouvelle présidente de la HAS, agence sanitaire en charge de l’évaluation et du remboursement des médicaments, le fait de ne pas travailler avec des laboratoires met en doute la qualité de l’expertise. « Quand on voit les débats que nous avons avec nos tutelles (…), l’indépendance des experts est mise en avant et personne ne semble se soucier de la qualité de l’expertise. (…) On commence à avoir des experts institutionnels qui n’ont plus aucun lien avec l’industrie pharmaceutique et dont on peut se demander, à terme, quelle va être leur expertise, puisqu’ils ne sont plus à aucun “board” [conseil de direction – ndlr] », a déploré Agnès Buzyn.

En quoi consiste exactement la mission de l’expert dans un “board” ? Cette question, aucun sénateur n’a eu la curiosité de la poser… Participer au “board” d’un laboratoire pharmaceutique ne relève pas de la recherche scientifique, mais consiste à conseiller l’industrie sur sa stratégie de marketing de développement d’un médicament. C’est, aussi, intervenir dans des colloques. Est-ce vraiment là un gage de compétence ? Si l’intérêt scientifique semble minime, en revanche, le gain financier n’est pas négligeable. Certains professeurs peuvent être rémunérés 2 000 euros la journée, pour une réunion.

L’industrie pharmaceutique propose, en général, ces contrats à des médecins hospitalo-universitaires qui ont déjà le statut de leader d'opinion et qui peuvent ainsi asseoir leur renommée, voire l’étendre au niveau international. Un bon plan de carrière en somme. En février 2009, l’Inspection générale des affaires sociales avait déjà pointé ce problème : seule une part marginale des contrats liant les laboratoires pharmaceutiques aux professionnels de santé concerne des travaux de recherche. Plus de 90 % des liens d’intérêt publiés relèvent de contrats de marketing (contrats d’orateurs ou de consultants).

Les propos d’Agnès Buzyn ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux de Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, syndicat des industries pharmaceutiques : « Un expert sans conflit d’intérêts est un expert sans intérêt. » Sans intérêt pour les laboratoires, mais non pour la santé publique. Le scandale du Mediator a pu être révélé grâce au travail de médecins ou pharmaciens indépendants rédacteurs de la revue Prescrire, ou à celui de la pneumologue Irène Frachon.

Cette dernière, interrogée par Mediapart, regrette vivement les positions d’Agnès Buzyn : « La solution n’est pas, comme l’affirme Agnès Buzyn, de passer outre ces liens d’intérêt. L’affaire du Mediator le démontre de façon tragique : des experts indiscutablement “compétents” sont restés solidaires d’un industriel lourdement criminel, en minimisant notamment les dégâts de ce poison. Il faut donc se doter d’une expertise vraiment indépendante. Une des solutions, comme le proposent les membres de l’association Formindep, [Association pour une formation et une information médicales indépendantes – ndlr] est de créer des filières d’études de haut niveau d’expertise qui puissent assurer de belles carrières et des rémunérations suffisantes afin de prévenir la captation par l’industrie. »

Mais on ne pourra pas reprocher à Agnès Buzyn de ne pas mettre en pratique ses propos. De 2009 à 2011, alors même qu’elle venait d’être nommée membre du conseil d’administration puis vice-présidente de l’Institut national du cancer, elle n’a pas pour autant renoncé à participer aux boards de deux laboratoires, Novartis et Bristol-Meyers Squibb.

Doit-on parler de conflit d’intérêts ou de souci de parfaire ses compétences en tant que chercheuse ? Interrogée par Mediapart, Agnès Buzyn a minimisé le rôle de vice-présidente de l’INCA : « C’est au cas où le président tombe malade. C’est purement honorifique. » À l’entendre, on pourrait finalement se passer d’un vice-président à l’INCA. Pour Novartis et Bristol-Meyers Squibb, Agnès Buzyn a dispensé des formations à des médecins, participé à des réunions de marketing pour des traitements contre le cancer et est également intervenue dans des colloques.

Concernant le montant de ces contrats passés avec les laboratoires, elle n’en a pas gardé un souvenir précis. Pourtant, ce travail a duré de 2007 à 2011. Une seule estimation nous a été donnée pour l’année 2009 : 10 000 euros. Si elle affirme aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’une situation de conflit d’intérêts, elle a néanmoins jugé nécessaire, en mars 2011, de cesser tout travail pour les laboratoires pharmaceutiques. À cette date, sa future nomination à la présidence de l’INCA devenait officielle et, en plein scandale du Mediator, une série de rapports sur les conflits d’intérêts était rendue publique.

Selon Anne Chailleu, présidente du Formindep, association présente à la table ronde organisée au Sénat, « la conception de l'expertise d'Agnès Buzyn va à l'encontre du sens de l'Histoire mais également de la rigueur scientifique. Alors que la loi de santé vient de renforcer la transparence des liens entre industrie et professionnels de santé, et que le Conseil constitutionnel a rappelé récemment qu'elle était un principe fondateur de la sécurité sanitaire, de tels propos sont anachroniques et démontrent que toutes les leçons du Mediator n'ont pas été tirées ».

Effectivement, lors de la présentation de sa candidature à la présidence de la Haute Autorité de santé (HAS), le 27 janvier dernier devant l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn a totalement passé sous silence l’importance de garantir l’indépendance des experts de la Haute Autorité de santé. Il avait fallu l’intervention de la députée Catherine Lemorton, présidente de la commission affaires sociales, pour rappeler que la HAS doit être une agence « indépendante » des laboratoires pharmaceutiques.

 

 

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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7 mars 2016 1 07 /03 /mars /2016 16:23

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Crise à EDF après la démission du directeur financier
7 mars 2016 | Par martine orange
 
 
 

Le directeur financier d'EDF, Thomas Piquemal, a démissionné de ses fonctions pour marquer son opposition au projet de construction de deux EPR sur un site britannique, qu'il juge trop risqué tant industriellement que financièrement. Pour les syndicats et de nombreux responsables, c’est le projet de trop, celui qui pourrait faire couler EDF. Pourtant, le président de l'entreprise s’entête. Il est désormais face à la fronde des salariés.

La crise, qui couvait depuis plusieurs semaines à EDF, a éclaté. Le directeur financier du groupe, Thomas Piquemal, a démissionné de ses fonctions pour manifester son opposition au projet britannique d'Hinkley Point. La construction de deux EPR en Grande-Bretagne, pour un coût estimé à plus de 23 milliards d’euros, assumés aux deux tiers par EDF, lui paraît représenter un risque gigantesque, hors de portée pour l’entreprise. « Si le directeur financier d’Areva avait agi de même, peut-être aurait-il sauvé l’entreprise », dit Jean-Luc Magnaval, secrétaire du CCE d’EDF, en saluant la décision du directeur financier. De son côté, le syndicat FO-Mines approuvait aussi « la  démission courageuse du directeur financier d’EDF », soulignant que « le président d’EDF ne peut prétendre avoir raison contre tout le monde au sein de l’entreprise qu’il dirige ».

Les raisons qui ont poussé le directeur financier à démissionner rejoignent celles de nombre de responsables, de cadres dirigeants, de syndicats, farouchement opposés à ce projet, propre « à faire couler EDF », selon eux. Depuis plusieurs semaines, ceux-ci ne cessent de mettre en garde la présidence d’EDF et les pouvoirs publics contre le projet d’Hinkley Point. Mais Jean-Bernard Lévy, président d’EDF, fortement incité par les gouvernements français et britannique à approuver le projet dans les plus brefs délais, fait la sourde oreille.

Un conseil d’administration d’EDF est prévu pour demain, mardi 8 mars. Normalement, il s’agissait d’une réunion pour préparer la prochaine assemblée générale. Mais le sujet de la démission de Thomas Piquemal et d’Hinkley Point va s’imposer, de l’avis d’un proche du dossier. La direction est profondément divisée sur le sujet. « Il y en a trois qui sont farouchement pour : Vincent de Rivaz, qui dirige les activités d’EDF en Grande-Bretagne, Simone Rossi, responsable de l’international, Xavier Ursat, responsable des nouveaux développements nucléaires, parce que leurs postes dépendent de ce projet. Une autre partie hésite. Et les autres, notamment les financiers, sont farouchement contre », résume Jean-Luc Magnaval. « Nous sommes en train d’écrire un nouveau chapitre des décisions absurdes. Une grande majorité de l’entreprise est convaincue qu’il ne faut surtout pas y aller. Mais le politique s’en moque, au nom de la grandeur de la filière nucléaire, quitte à couler le groupe », dit un proche du dossier.

Les six représentants des salariés – toutes tendances confondues – qui siègent au conseil d’administration ont déjà annoncé leur intention de voter contre le projet, s’il est présenté au conseil. « Quoi qu’en dise la direction, c’est un énorme choc. Car le vote des syndicats n’est pas, comme la direction voudra le présenter, un énième désaccord sur la gestion sociale de l’entreprise. Leur opposition est sur un projet industriel, sur la conduite financière et industrielle du groupe. Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire d’EDF », relève un haut responsable de l’électricien public.

Le départ de Thomas Piquemal suscite de vives inquiétudes au sein d’EDF. Il était vu par nombre de salariés comme l'un des défenseurs, voire le seul, des intérêts du groupe, fait assez rare pour un directeur financier. Les salariés soulignent notamment qu’il a été le seul à tenir tête au gouvernement, et en particulier au ministre de l’économie, Emmanuel Macron, désireux de refiler la charge du sauvetage d’Areva à EDF. Thomas Piquemal s’est notamment opposé à la reprise de l’activité des chaudières du groupe nucléaire, Areva NP, en l’état, ce qui aurait amené EDF à assumer tous les risques – aujourd’hui encore incalculables – du chantier finlandais (lire L’Etat fait les poches d’EDF pour sauver Areva).

Dans l’espoir de diminuer l’impact de la démission de Thomas Piquemal, la direction a annoncé la nomination de Xavier Girre comme directeur financier à titre provisoire. Mais de l’avis des connaisseurs du dossier, toute la pression est désormais sur Jean-Bernard Lévy, nommé à la présidence fin 2014. La greffe n’a manifestement pas pris dans le groupe : les salariés lui reprochent beaucoup son absence de vision, sa méconnaissance des métiers, sa soumission au gouvernement, sans prendre la défense des intérêts de l’entreprise.

Selon des rumeurs insistantes, Jean-Bernard Lévy aurait déjà présenté sa démission il y a quelque temps. Mais le gouvernement l’aurait refusée, faute d’avoir un remplaçant. Dans les couloirs d’EDF, il se dit que Jean-Bernard Lévy aurait obtenu un contrat en or lors de sa nomination. Il serait assuré de toucher l’équivalent de la totalité de sa  rémunération correspondant à l’ensemble de son mandat – cinq ans – s’il exerce ses fonctions au moins jusqu’en 2017. 

 

Nous republions ci-dessous le volet de notre enquête « Les EPR d’Hinkley Point, piège mortel pour EDF », publiée le 18 février

Cinq mois après, des responsables d’EDF parlent encore de cette photo. Le 21 octobre, le président chinois Xi Jinping, en voyage officiel en Grande-Bretagne, serrait chaleureusement la main du premier ministre britannique, David Cameron, pour marquer la conclusion de l’accord qui officialisait le lancement du chantier Hinkley Point. L’électricien public chinois CGN (China General Nuclear Power Corporation) acceptait de participer à la construction de deux EPR sur le site anglais aux côtés d'EDF, en prenant 33,5 % du projet. Plus tard dans la journée, Jean-Bernard Lévy, le président d’EDF, rejoignait le duo pour une séance de signature de l’accord à Londres. Mais à ses côtés, personne : pas de ministre français, encore moins de premier ministre, pas même l’ambassadeur de France à Londres. Dans ce projet, pourtant, c’est le bilan d’EDF qui est en jeu, les finances publiques qui sont engagées. 25 milliards d’euros selon l’estimation basse de la direction du groupe, et sans doute plus près des 30 ou 35 milliards d’euros dans la réalité.

 

David Cameron et Xi Jinping © Guardian David Cameron et Xi Jinping © Guardian

 

Hinkley Point. La simple évocation de ce site nucléaire appartenant à British Energy, désormais filiale d’EDF, met en alerte les salariés d’EDF. Du sommet de la hiérarchie du groupe à la base, en passant par les syndicats et les cadres, le nombre d’opposants au projet d’EPR britannique va grandissant. Une vraie fronde est même en train de se constituer contre ce programme, comme le rapporte le JDD du 14 février.

Ils en ont pourtant connu, des aventures calamiteuses d’EDF à l’international (voir EDF: une conquête internationale payée à chéquier ouvert)… l’Amérique du Sud au début des années 2000 : 10 milliards d’euros de pertes cachées par des prélèvements sur les prévisions de renouvellement ; Edison en Italie en 2001 : plus de 6 milliards d’euros et une filiale toujours en perte, dont il a fallu encore passer 1,4 milliard d’euros de dépréciation dans les comptes 2015 ; British Energy en 2008 : 15,8 milliards d’euros pour prendre le contrôle de l’électricien britannique, dont la valeur ne cesse depuis d’être dépréciée car il avait été surpayé ; les États-Unis en 2009 : 5 milliards d’euros dépensés en pure perte dans le cadre de la bataille de prééminence avec Areva pour prendre une participation dans le groupe Constellation qu’EDF s’apprête à vendre à la casse désormais. Dans les comptes 2015, pas une des activités internationales du groupe n’affiche un résultat d’exploitation positif. 

Mais Hinkley Point, pour eux, c’est l’aventure internationale de trop, celle qui pourrait être fatale à l’entreprise publique. « Hinkley Point, c’est un cauchemar. Il faut à tout prix sortir de ce bourbier le plus vite possible. EDF risque d’en mourir, avec leurs conneries », dit un ancien directeur d’EDF. « Il y a urgence de tout arrêter. L’affaire est trop mal engagée. Il n’y a que des coups à prendre », renchérit un cadre dirigeant. « Quand je vois Macron dire qu’il est pour le projet [Emmanuel Macron a apporté son soutien au projet d’Hinkley Point], je me dis qu’il ferait mieux de se taire. Il est irresponsable », surenchérit un proche du dossier. « C’est la première fois dans l’histoire d’EDF qu’un projet industriel fait l’unanimité contre lui parmi les syndicats. Tous sont opposés à Hinkley Point. Même la CGT, qui pourtant soutient traditionnellement ce type de programme, est vent debout contre le projet », relève un autre cadre dirigeant.

 

Le dossier des EPR britanniques est en train de créer de vraies divisions au sein même du comité exécutif d’EDF. Un communiqué des services centraux de la CGT, publié le 26 janvier, racontait en termes rudes le rapport de force qui s’est instauré dans la direction : « Le haut management d’EDF est très partagé sur la poursuite du projet [d’Hinkley Point – ndlr]. Hésitations qui contrastent avec le discours du président-directeur général d’EDF [Jean-Bernard Lévy – ndlr]. Il est dans le camp des pour, tout comme le décoré d’outre-Manche [allusion à Vincent de Rivaz, puissant directeur de British Energy qui porte le projet depuis 2008, décoré par la reine d’Angleterre commandant de l’ordre de l’empire britannique – ndlr] et ceux qui sont un peu, beaucoup, responsables et coupables des ratages de Flamanville 3 [allusion notamment à Dominique Minière, directeur du parc nucléaire – ndlr]. Rassurant. Du côté des opposants, sans surprise, se retrouvent la direction financière et, disons, ceux qui pensent un peu au-delà du bout de leur nez. Nous ne citerons pas de noms pour ne pas briser de brillantes carrières, mais sachez qu’aux fonctions centrales, cela fait quand même un beau paquet de monde. » Selon nos informations, les rapports de force décrits dans ce communiqué sont exacts et nous ont été confirmés par plusieurs cadres dirigeants. 

Une garantie illusoire

 

Projet de deux EPR à Hinkley Point © EDF Projet de deux EPR à Hinkley Point © EDF

 

La fronde des salariés et des dirigeants d’EDF contre le projet britannique a d’abord un motif : l’EPR. Le chantier de Flamanville constitue un traumatisme dans le groupe. Le réacteur EPR élaboré par Areva se révèle un monstre de complexité. Les cadres et ingénieurs d’EDF ont beaucoup de mal à maîtriser le programme. Ils ont mesuré aussi qu’ils avaient perdu les compétences pour mener sans encombre un chantier de construction d’un réacteur nucléaire. Un sérieux revers, pour ce groupe qui se présentait comme le meilleur du monde dans la conduite du nucléaire. Les accidents, les erreurs, les avanies s’y multiplient. Le retard pris se compte désormais en années. Au mieux, le réacteur de Flamanville sera achevé en 2018. Et l’addition s’envole : 10,5 milliards d’euros, selon les dernières estimations.

« À un moment, une partie de la direction s’est même posé la question de savoir s’il ne valait pas mieux tout arrêter. Mais tellement d’argent avait déjà été engagé qu’il a été jugé préférable de poursuivre le chantier. Mais dans l’esprit de nombre de dirigeants d’EDF, il ne doit plus y avoir d’autre EPR sur le modèle de celui construit à Flamanville. Il est urgent de tirer la leçon de l’expérience, de repenser la conception », raconte un proche du dossier.

Une équipe de recherche et développement a été mise en place ces derniers mois pour remettre tout à plat. Toute la conception est désossée. Objectif : construire avec les normes de sécurité maximale un réacteur nucléaire capable de produire une électricité à 60 euros le MWh. « Toute la conception se fait à partir du prix », dit un cadre dirigeant. De son côté, Areva NP, la branche de conception des réacteurs nucléaires, se réorganise. De l’aveu même de son nouveau dirigeant, Bernard Fontana, il faudra au moins deux ans avant que l’entité soit de nouveau en ordre de marche, et ait appris à travailler avec EDF.

« L’État nous demande de remettre de l’ordre dans toute la filière nucléaire. Puis sans attendre la mise en marche de l’EPR de Flamanville, sans savoir comment il va fonctionner, sans attendre la remise en ordre de la conception, on se lance dans le projet d’EPR pour Hinkley Point. C’est de la pure folie », s’alarme un responsable. Si EDF s’engage dans la construction de deux EPR à Hinkley Point, le groupe va devoir concevoir une sorte d’EPR intermédiaire, un hors-série sans lendemain, affirment plusieurs connaisseurs du dossier.

Dans le cadre de l’accord signé avec le gouvernement britannique, EDF s’engage à ce que la première mise en service du réacteur intervienne en 2023. Un calendrier qui semble tout à fait irréaliste, même pour les observateurs extérieurs. « D’un point de vue  réaliste, Hinkley ne peut pas entrer en fonction avant 2025 et encore, dans les  hypothèses les plus optimistes. Si le projet subit les mêmes retards que les chantiers existants de l’EPR, la date la plus crédible serait au-delà de 2030. Ce qui serait dévastateur pour EDF », écrit le chroniqueur Nick Butler sur son blog publié sur le site du Financial Times, avant de demander à ce que le gouvernement britannique pense d’urgence à un plan B. L’analyse recoupe celle de cadres d’EDF. « Toutes les conditions sont réunies pour aller vers un échec industriel majeur. Et ce sera EDF qui devra en payer seul les conséquences », s’indigne un ancien directeur.

Pour les opposants au projet d’Hinkley Point, c’est le deuxième immense point de blocage : les conditions financières du contrat leur paraissent très dangereuses pour le groupe. Lorsque les discussions avaient démarré entre EDF et le gouvernement britannique en 2013, un montage financier un peu particulier avait été élaboré. Une structure à part avait été envisagée pour porter l’ensemble du projet de construction des deux EPR, de façon à ce qu'EDF n’ait pas à consolider l’endettement du projet britannique dans ses comptes. En parallèle, l’électricien avait obtenu du gouvernement britannique une garantie sur le prix de rachat de l’électricité produite par les deux EPR, de 92 livres le MWh (environ 120 euros), révisables, sur 35 ans. Ce prix d’achat garanti était assorti d’une autre garantie de l’État britannique sur l’ensemble de la dette liée au projet.

Mais à l’occasion de l’arrivée du groupe nucléaire chinois dans le projet, tout le montage financier a été renégocié. EDF apparaît comme le chef de file avec 66,5 % des parts, aux côtés de CGN qui prend 33,5 %. Mais cela va l’obliger à consolider l’intégralité de la dette liée au projet d’Hinkley Point dans ses comptes. « Le montage précédent n’était qu’un artifice comptable. Mais il faut bien revenir à la réalité : c’est EDF qui portera la totalité de la dette, si le programme d’Hinkley Point voit le jour », relève un cadre du groupe.

L’addition fait frémir beaucoup d’observateurs : le projet est évalué à 25 milliards d’euros. Une estimation basse, selon des connaisseurs qui le chiffrent plutôt autour de 30 milliards d’euros et encore, en espérant que le chantier britannique ne rencontre pas les mêmes difficultés que l’interminable chantier finlandais. L’essentiel du financement du projet est bâti sur l’endettement. Par le fait du seul projet britannique, l’endettement net d’EDF, qui atteint déjà 37,4 milliards d’euros – l’équivalent de ses fonds propres –, pourrait quasiment doubler. Une charge insupportable, qui fait redouter la suite aux salariés d’EDF. La plupart prédisent que ce sont les salariés en France, les activités du groupe qui devront payer l’addition. Le discours de la direction annonçant déjà des ventes d’actifs et des suppressions d’emploi ne leur laisse guère de doutes à ce sujet.

Hinkley Point, redoutent beaucoup, risque d’être le dernier levier pour conduire au démantèlement du groupe. Car l’aventure risque de n’être jamais rentable. À l’occasion de la révision de l’accord, le gouvernement britannique a en effet modifié son engagement : il veut bien offrir une garantie sur le prix de rachat sur 35 ans, mais supprime toute garantie sur la dette. « Même les ardents Soviétiques ne planifiaient pas à 35 ans », ironise le tract de la CGT déjà cité, avant de conclure que cette garantie ne vaut rien. Une analyse que confirme un connaisseur du dossier : « Tant que l’État britannique se portait garant des dettes du projet, la garantie sur les prix de rachat avait une valeur. Car il devait assumer financièrement toute révision. Maintenant, elle ne vaut plus rien. Ce qu’un gouvernement fait, un autre peut le défaire », explique-t-il. Déjà, la commission parlementaire britannique réunie sur le sujet trouve que l’électricité des EPR d’Hinkley Point est hors de prix par rapport à l’électricité des énergies renouvelables.

Pour les syndicats et de nombreux responsables d’EDF, il est donc urgent de revoir ce projet, voire d’y renoncer. Alors que de nouvelles interconnexions sont en train d’être construites entre la Grande-Bretagne et la France, ils jugent que la solution d’exporter de l’électricité en Grande-Bretagne, afin de l’aider à combler son déficit de production, est beaucoup plus sûre et beaucoup plus rentable. Au moins le temps de voir si l’EPR de Flamanville fonctionne correctement – ce dont personne n’est assuré pour l’instant –, le temps de remettre la conception d’un nouveau réacteur nucléaire en place.

Le 26 janvier, le président d'EDF a fait état d'un rapport d’expertise sur Hinkley Point, réalisé par Yannik Escatha, ancien directeur de CEA industrie et ancien directeur d’EDF, lors d'un conseil d'administration d’EDF. Mais il s'est bien gardé de le remettre. Le comité exécutif d’EDF n'y a pas eu accès non plus, selon nos informations. Malgré cette rétention d'informations, les uns et les autres ont compris que ce rapport émettait de nombreuses critiques et réserves sur le projet. Comme tous les opposants, celui-ci souligne le calendrier irréaliste du projet, s'interroge sur les capacités d'Areva et des autres prestataires à réussir en l'état, insiste sur les risques industriels et financiers immenses pour le groupe.

Pourtant le président d’EDF, soutenu par Emmanuel Macron, s’entête. « Je crois que la décision d’investissement se rapproche », a-t-il confirmé lors de la présentation des résultats du groupe, le 16 février. La décision relève du conseil d’administration du groupe. Déjà, les uns et les autres font les comptes. « Tous les administrateurs représentant les salariés voteront contre si le projet est présenté », pronostique un cadre. Mais il y a les autres. Brusquement, beaucoup prennent conscience de la faible représentativité des administrateurs siégeant au conseil du groupe. « C’est une caricature du conseil d’administration à la française. Je te tiens, tu me tiens », ironise un observateur.

On y trouve en vrac : Philippe Crouzet, président de Vallourec, groupe qui vient d’être sauvé de la faillite par l’entrée au capital de la BFI ; Bruno Lafont, ancien président de Lafarge, parti avec un parachute en or massif de plus de 30 millions d’euros au moment de la vente du groupe cimentier au suisse Holcim ; Philippe Varin, ancien président de Peugeot Citroën désormais président du conseil de surveillance d’Areva ; Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef. « Je crois qu’il n’y a que cette dernière qui soit vraiment préoccupée par le sujet. Les autres suivent l’avis du président. Quant aux administrateurs de l’État, faut-il en parler ? Les représentants de l’APE [Agence de participations de l’État – ndlr], ils sont tellement passionnés par leur mission qu’ils restent dix-huit mois avant d’aller se vendre dans une banque d’affaires », dit un connaisseur du dossier.

Toutes les alarmes sonnent sur le projet d’EPR d’Hinkley Point. Pourtant, il pourrait malgré tout voir le jour, au risque de mettre EDF en péril. Quels intérêts se cachent derrière l’argument de la « glorieuse » sauvegarde de la filière nucléaire française et de l’EPR ? La présence d’EDF en Grande-Bretagne ? Celle du président d'EDF UK, Vincent de Rivaz, présenté comme le vice-roi du groupe ? Ou autre chose ? Pourquoi tant d’entêtement ?

 

Troisième volet : la fin de l’électricité la moins chère du monde.

 

 

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 19:29

 

Source : http://la-bas.org

 

 

Rencontre avec Pierre JACQUEMAIN [RADIO 19’43]

Le conseiller de la ministre du Travail démissionne et balance

Le

 

 

 

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(photo : Jean-Michel DUMAY)

Ces gens-là restent dans l’ombre. Proche conseiller de la ministre du Travail, Pierre JACQUEMAIN a claqué la porte à la mi-février.

Pas d’accord avec le projet de loi. Une erreur historique, dit-il, un texte du MEDEF rédigé d’une main de fer par Manuel VALLS. Un témoignage très rare sur l’état de décomposition du pouvoir. Un courage très rare par les temps qui courent et qui peut servir de symbole et de modèle à celles et ceux qui s’engagent dans la lutte qui vient.

Un entretien de Daniel MERMET.

Le conseiller de la ministre du travail démissionne et balance
JPEG - 2.2 Mo
(photo : Jean-Michel DUMAY)

Merci à Pierre JACQUEMAIN et à Cyprien BOGANDA.

Le répondeur de Là-bas si j’y suis attend vos messages au 01 85 08 37 37.

entretien : Daniel MERMET
réalisation : Jérôme CHELIUS et Florian LOPEZ
préparation : Pierre-Yves BULTEAU

(Vous pouvez podcaster cet entretien en vous rendant dans la rubrique "Mon compte", en haut à droite de cette page.)

 

 

Source : http://la-bas.org

 

 

                                                                          ************************

 

 

Source : http://www.humanite.fr

 

 

«Pourquoi j'ai quitté le cabinet El Khomri»
Propos recueillis par Cyprien Boganda, humanité-dimanche
Lundi, 29 Février, 2016
Humanite.fr

 

Photo : capture d'écran Dailymotion
 

Proche conseiller de la ministre du Travail, Pierre Jacquemain a choisi de claquer la porte mi-février, pour marquer son désaccord avec le projet de loi El Khomri. Pour la première fois, ce jeune homme issu de la gauche radicale (il a été collaborateur de Clémentine Autain), raconte les raisons de sa démission.

 

Quel poste occupiez-vous auprès de la ministre du Travail ?

Pierre Jacquemain : J’étais en charge de sa stratégie publique: je préparais ses discours et ses entretiens avec la presse. J’étais sa « plume », si vous voulez... J’ai été recruté par Myriam El Khomri en mai 2015, à l’époque où elle était secrétaire d’Etat chargée de la politique de la Ville. C’est une militante de gauche que j’ai toujours respectée. Elle a fait un excellent travail en tant que secrétaire d’Etat, elle s’est battue pour obtenir des arbitrages favorables et mener une politique digne de ce nom. C’est pourquoi lorsque, trois mois plus tard, elle m’a proposé de la suivre au ministère du Travail, je n'ai pas hésité. C’est un beau ministère, qui s’est malheureusement détourné de sa mission première : défendre les salariés, dans un contexte économique troublé. Au départ, je pensais que je serai utile.

 

À quel moment avez vous déchanté ?

Pierre Jacquemain: J’ai peu à peu compris que nous perdions la bataille. En réalité, la politique du ministère du Travail se décide ailleurs, à Matignon. C’est le Premier ministre qui donne le ton. Après le rapport Combrexelle, Myriam El Khomri avait pourtant une grande ambition. Elle a mené une concertation fructueuse avec les partenaires sociaux, qui a débouché sur de réelles avancées. Malheureusement, aucune de ces avancées n’apparait dans le projet de loi final. Le compte personnel d’activité n’est qu’une coquille vide, qui n’est que l’agrégation de droits sociaux déjà acquis. Par ailleurs, à qui veut-on faire croire que la dématérialisation des fiches de paie est une grande avancée sociale ?

 

Comprenez vous le tollé provoqué à gauche par ce projet de loi ?

Pierre Jacquemain. Oui. Ce projet de loi est une erreur historique. C’est une régression en matière de droits sociaux, dans la mesure où de nombreux acquis des travailleurs pourront être renégociés à l’échelle des entreprises, où le rapport de force est systématiquement défavorable aux salariés. C’est un non sens économique, parce qu’il n’est pas prouvé que cette loi créera de l’emploi. C’est enfin un non sens politique: quand on se dit de gauche, quand on s’estime progressiste, je ne vois pas comment on peut soutenir un tel texte.

 

 

 

Source : http://www.humanite.fr

 

 

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5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 19:03

 

 

Source : http://la-bas.org

 

 

 

LÀ-BAS Hebdo n°38 RETRAIT DE LA LOI TRAVAIL

ON VAUT MIEUX QUE ÇA ! 9 MARS, LA RIPOSTE

Le

 

 

 

 

 

 

Le « socialisme libéral » est-il au bout du rouleau ? Autrefois, on disait « social-traître », toujours habile à « trahir la classe ouvrière qu’elle prétend représenter », "serviteur dévoué de la bourgeoisie". Aujourd’hui la Loi Travail est écrite par le MEDEF, la moitié des électeurs ne votent plus et parmi ceux qui votent, un tiers vote pour l’extrême droite. Cette nouvelle trahison renforce les voix pour le FN. Avec toutes ces régressions, l’actuel pouvoir fait le jeu de l’extrême droite. Le mouvement qui s’annonce doit réunir toutes ces luttes, battre cette fausse gauche, et réinventer, et reprendre confiance, et reprendre espoir

 

LÀ-BAS Hebdo n°38 (extrait)

LÀ-BAS Hebdo n°38, en public et au Lieu-Dit, avec, autour de Daniel MERMET :
- Stéphane LAMBERT, cofondateur de la chaîne Youtube Osons Causer
- Camille LAINÉ, coordinatrice nationale du Mouvement des Jeunes communistes de France
- « Sylvie », de la Coordination citoyenne de l’Appel du 9-Mars
- Claire PAUCHET, membre de la Coordination des chômeurs et précaires d’Ile-de-France
- David VAN DER VLIST, avocat spécialiste en droit du travail
- YOUNÈS, assigné à résidence durant trois mois et dix jours... jusqu’au 25 février dernier
- Gérard MORDILLAT
- Guillaume FARLEY

 

 

L’appel lancé par le collectif #OnVautMieuxQueCa 

 

 

« Je n’ai pas le sentiment de trahir la gauche mais celui de servir mon pays »

C’est un des « éléments de langage » qu’elle répète partout. La ministre du Travail et du Dialogue social le dit et le répète : « Je n’ai pas le sentiment de trahir la gauche mais celui de servir mon pays. »

Ce sont donc eux qui n’ont pas compris. Presqu’un million de signatures pour la pétition Loi travail : non merci ! et autant de clics sur la plateforme des « Youtubeurs » #OnVautMieuxQueCa : les lycéens du Mouvement des Jeunes communistes, les initiateurs de la Coordination citoyenne parisienne, les « Youtubeurs » de la chaîne Osons Causer, tous rejettent ce projet de réforme. Et le disent dans ce LÀ-BAS Hebdo n°38.

Le Code du travail, véritable barricade juridique contre le diktat des employeurs

Le projet El Khomri subordonne clairement les droits et libertés des salariés au « bon fonctionnement de l’entreprise ». Écrit noir sur blanc.

De quoi retourner dans leurs tombes les 1 099 mineurs de Courrières, victimes, le 10 mars 1906, d’un coup de grisou. Les recherches à peine lancées que le patron de la Compagnie des mines exigeait que le travail reprenne.

Douze jours plus tard, quatorze mineurs refont surface. Et, avec eux, la création d’un ministère du Travail et du Code du travail, véritable barricade contre le diktat des employeurs et de l’Économie.

110 ans plus tard, l’inverse est à l’œuvre.

À la manœuvre, Hollande réécrit l’Histoire. Dans le sens de la régression sociale

« En ne voulant plus de durée légale du travail pour tous, en actant le règne de la dérogation, les projets El Khomri, Badinter, Macron et Valls cassent les relations du travail au détriment du corps humain, de sa santé, de la vie de famille et de l’emploi pour tous. »

À l’inverse même de ce nouveau Code du travail en cours d’écriture par une dizaine de chercheurs, qui réhabilite le droit au temps libre et prévisible, renforce les 35 heures et milite en faveur du partage du temps de travail.

Contre cette « dystopie », véritable récit d’anticipation pessimiste diagnostiqué par Gérard Mordillat ce mercredi au Lieu-Dit, et en mémoire des 1 099 de Courrières, TOUS DANS LA RUE LE 09 MARS !

Destruction du droit du travail : le grand renversement #OnVautMieuxQueCa par Osons Causer

 

« Réforme du Droit du Travail et autres Filsdeputeries royales », Bonjour Tristesse #55 du 19 février 2016 :

 

 

Bonjour Tristesse #55 19.02.16 Réforme du Droit du Travail et autres Filsdeputeries royales. par Bonjour Tristesse

 

« Loi Travail : pourquoi il faut agir », une vidéo de DanyCaligula :

 

Loi Travail : pourquoi il faut agir. par DanyCaligula

 

Pour voir l'ensemble de l'émission, cliquer ici

 

 

Source : http://la-bas.org

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5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 17:26

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Loi sur le travail: #1 million de non merci!
5 mars 2016 | Par Dan Israel
 
 
 

Mediapart a donné carte blanche, pour un événement exceptionnel de deux heures, au collectif « Loi travail : non merci ! » à l'origine de la pétition numérique qui a franchi le million de signataires ce vendredi soir 4 mars. Deux heures d'explications et d'appels à la mobilisation. Récit et vidéo intégrale.

 

#1milliondenonmerci © Mediapart

 

À 20 heures, ils étaient 999 740. Puis 999 800 à 20 h 30. Et c’est à 21 h 12 qu’a été franchie la barre du million. Un million de signatures pour la pétition s’opposant au projet de loi sur le travail, lancée pile deux semaines auparavant. Cette initiative est celle de tous les records, à commencer par celui du plus grand nombre de signatures réunies par une pétition numérique en France. Ce franchissement hautement symbolique aura eu lieu en direct, en plein cœur de la soirée organisée par les activistes à l’initiative de la pétition et accueillie par Mediapart, qui a fourni ses locaux et ses équipes techniques pour assurer la diffusion.

 

Au moment fatidique du million, nul doute qu’est passée dans les esprits la fugace image d’une célèbre émission de télé, arrachant un sourire aux participants. L’occasion était trop belle, aussi, d’ironiser sur la pétition concurrente, soutenue par le Medef et atteignant péniblement les 15 000 signatures. Les organisateurs de la soirée n’ont pas raté cette cible facile.

Ces deux sourires auront été précieux : ce sont les seuls que le spectateur de la soirée aura pu savourer. En deux heures denses de déclarations et d’explications, sans pause, il n’y aura guère eu d’occasion de se réjouir. L’émission aura dressé un tableau très sombre des réformes que l’exécutif entend imposer à travers le projet de loi porté par la ministre du travail Myriam El Khomri.

La présentation du texte en conseil des ministres, initialement prévue le 9 mars, a été reportée de deux semaines, mais pour l’heure, le gouvernement a indiqué qu’il n’entendait pas modifier le fond de sa réforme. À moins que la mobilisation jamais vue sur Internet, qui sera relayée par des manifestations le 9 mars, ne le fasse changer d’avis. Cette mobilisation, nous l’avons raconté ici, est partie de nulle part, ou presque. Dans le rôle de catalyseur, la pétition montée à l’initiative de la responsable Ugict-CGT Sophie Binet, du « designer politique » Elliot Lepers, qui a participé à la campagne présidentielle de la Verte Eva Joly en 2012, et de la militante féministe Caroline de Haas (qui fut attachée de presse de Benoît Hamon, fondatrice d’Osez le féminisme, et membre du cabinet de la ministre Najat Vallaud-Belkacem, avant de couper les ponts avec le gouvernement et le PS).

Mercredi 2 mars, Caroline de Haas, voyant le nombre de signatures monter sans faiblir, a proposé à Mediapart d’accueillir une soirée spéciale pour célébrer le million de paraphes qui allait arriver. C’est donc au milieu de la soirée que le cap a été atteint. « Mediapart est un journal indépendant, mais qui ambitionne d’être au carrefour de tous les débats publics et des mobilisations de la société. C’est pourquoi nous avons très vite accepté la proposition », a indiqué en ouverture de la soirée le directeur éditorial de notre site, François Bonnet, assumant d’offrir « une totale carte blanche à ce collectif ».

La soirée a été animée par de Haas et par le militant syndical Karl Stoeckel, qui était en 2006 le leader de l’Union nationale des lycéens, en première ligne pour faire capoter le CPE, ce contrat première embauche que le gouvernement de Dominique de Villepin voulait imposer pour les jeunes. Dix ans plus tard, Stoeckel salue « cette dynamique assez impressionnante » qui porte la pétition. Cette dernière, d’ailleurs, n’est « qu’un élément parmi d’autres de la mobilisation », souligne le syndicaliste. La soirée laissera en effet la place aux autres piliers du mouvement, en faisant intervenir l’un des initiateurs de l’appel sur Facebook à la grève et à manifester le 9 mars, et en diffusant une partie des témoignages réunis par le collectif de YouTubeurs « On vaut mieux que ça », qui appellent les internautes à raconter leurs conditions de travail.

« En découvrant ce projet de loi, on s’est sentis insultés en tant que salariés, dénonce la maîtresse de cérémonie. Soit ces gens sont complètement déconnectés du monde du travail, soit ce sont des robots inhumains. » Les organisateurs de la soirée ont pris le soin de faire appuyer leur propos par les représentants des syndicats lycéens et étudiants. William Martinet, le président de l’Unef, critique « l’incompréhension complète de la réalité sociale de la part de ce gouvernement », qui croit le patronat lorsqu’il lui explique qu’il a peur d’embaucher, car il ne peut pas licencier. « Le parcours du combattant avant d’entrer en CDI, il existe déjà. Si un patron veut se rassurer sur l’emploi d’un jeune, il a déjà tous les outils disponibles », lance le syndicaliste étudiant. Samya Mokthar, présidente de l’Union nationale lycéenne (UNL), appelle également à manifester le 9 mars : « Nous sommes déjà précarisés. À la sortie de nos études, nous n’avons aucune garantie d’avoir un emploi stable. Nous nous sentons trahis par ce qui est proposé par le gouvernement. »

Défilé de réquisitoires implacables contre la loi

Mais l’essentiel de la soirée aura surtout consisté en un défilé d’avocats en droit du travail (dont beaucoup sont affiliés au Syndicat des avocats de France, le SAF) et de syndicalistes, souvent CGT. Les uns après les autres, à raison de deux ou trois minutes d’intervention chacun, ils ont dressé un réquisitoire implacable contre les réformes en germe dans le texte. L'effet de consternation devant le démontage sec, point par point, de la future loi, est redoutable.

Pour Alexandra Soumeire, « cette loi bouleverse totalement la question du temps de travail », et « c’est un peu le rêve du Medef qu’un gouvernement socialiste fait devenir réalité ». David Van der Vlist, auteur d’une brillante vidéo d’explication du texte, insiste sur le « dynamitage » des temps de repos, puisque la loi prévoit de mettre fin aux 11 heures consécutives obligatoires de repos quotidien, en permettant de les interrompre par le travail réalisé lors d’une astreinte. Jean-Luc Molins, cadre chez Orange, craint « une banalisation des heures supplémentaires ».

Ludivine Denys et le militant CGT Marc Woto se sont inquiétés de la modulation autorisée du temps de travail, qui permettra à l’employeur de payer les heures supplémentaires des salariés seulement au bout de trois ans d’activité sous tension. « Les dérives sont simples, résume le CGTiste : s’il y a un accord d’entreprise, mon patron pourra presser un salarié comme un citron pendant deux ans, puis le faire travailler seulement 10 heures par semaine pendant la troisième année. Sans rémunération supplémentaire, donc. »

L’avocate Emmanuelle Boussard-Verrachia souligne les dangers des « accords en faveur de l’emploi », qui seront généralisés : en dehors de tout motif économique, un accord d’entreprise pourra imposer aux salariés de travailler plus longtemps tout en gardant la même rémunération. Et s’il refuse, le salarié récalcitrant sera licencié. Quant au référendum d’entreprise, il sera utilisé pour aller vers « le moins-disant » social, grince Olivier Dupuis, cadre en ressources humaines du groupe EDF.

Rachel Saada, elle, rappelle que c’est Valéry Giscard d’Estaing qui avait imposé, en 1973, une indemnité minimum de six mois de salaire dans le cas d’un licenciement jugé abusif aux prud’hommes. Ce plancher disparaît, et il est remplacé par un plafond maximum de douze mois de salaire, pour les salariés avec la plus grande ancienneté. « C’est la fin du droit du licenciement, et donc du droit du travail », balance l’avocate.

Sylvain Roumier complète, en insistant sur la très large facilitation du licenciement économique, sur le critère de variables facilement modifiables au gré des désidératas des entreprises. « Des salariés pourront être licenciés dans un groupe florissant qui n’aura pas fait d’investissement en France, qui les aura sacrifiés », souligne de son côté la syndicaliste Anne de Haro, juriste et salariée de Wolters Kluwer, qu’elle a participé à faire condamner pour un montage d’optimisation fiscale trop acrobatique.

Les avocats Pierre Bouaziz et Judith Krivine rappellent un autre point incontournable : les accords d’entreprise vont devenir prioritaires sur toutes les conventions collectives et tous les accords de branche existants. « On va se retrouver dans une inégalité généralisée » selon les entreprises, s’inquiète Pascal Pavageau, secrétaire confédéral Force ouvrière, qui dénonce « un affaiblissement des droits, individuels comme collectifs, pour l’ensemble des salariés ». Même discours pour Sidi-Mohammed Takioullah, technicien informatique et négociateur de branche pour la CGT : « La convention collective a un rôle, celui de rééquilibrer le déséquilibre structurel qui existe entre l’employeur et le salarié. Si cette loi vient donner la primauté à la négociation au niveau de l’entreprise, les salariés vont devenir l’instrument de la concurrence entre les entreprises. »

Pour couronner ces alarmes à répétition, ne restait plus à Cécile Gondard-Lalanne, porte-parole de l’union syndicale Solidaires, qu’à rappeler que dès qu’une réforme aggrave la flexibilité du monde du travail, ce sont les femmes qui trinquent le plus. Une donnée à garder en tête à l’approche du 8 mars, journée des droits des femmes.

Pour enrichir encore le débat, il aura peut-être seulement manqué une voix dissonante au milieu de cette avalanche d’analyses convergentes et bien noires. Cette voix différente aurait pu venir d’un des économistes (dont le prix Nobel Jean Tirole) qui avaient signé quelques heures plus tôt un appel dans Le Monde en défense de la loi. Selon eux, la réforme « va dans le bon sens » et pourrait « donner accès à un emploi durable » aux moins diplômés et aux plus fragiles, qui sont les plus durement touchés par le chômage. Des arguments balayés sur le plateau par l’économiste Anne Eydoux (que nous avons récemment reçue). « On a l’impression que les nouveaux précaires, ce sont les employeurs », ironise-t-elle, avant de s’élever contre les théories qui opposent les insiders, ces « travailleurs stables, qui savent défendre leurs conditions d’emploi », au détriment des outsiders, « les chômeurs qui ne parviendraient pas à rentrer dans l’emploi ». C’est justement la philosophie qui sous-tend l’appel des économistes au Monde. Le débat entre ces deux mondes intellectuels n’a pas eu lieu, et reste à organiser.

 

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

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5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 16:25

 

*A lire ou à écouter, (vidéo en fin d'article), plus que jamais, d'actualité

 

 

Source : http://www.fakirpresse.info

 

 

Le plan de bataille des marchés : entretien avec le stratège

par Adrien Levrat, François Ruffin 12/04/2012

 

 

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« Les gens de marché s’expriment de façon très directe. » Dans sa note (largement traduite ici), le « chief economist de Cheuvreux » conseille en effet à François Hollande de « tromper le peuple » pour mettre fin au « fameux CDI ».
« On ne s’embarrasse pas de finasseries », poursuit-il dans un entretien diffusé dans l’émission Là-bas si j’y suis. Raison de plus, cette franchise, pour aller rencontrer ce « senior advisor », Nicolas Doisy. Car il ne faut pas mépriser l’adversaire : il est prêt à livrer bataille. Il a déjà son plan. Présentation.

 

 

François Ruffin : On se trouve au siège de la Corporate Investment Bank du Crédit agricole. Premier broker indépendant sur actions européennes, Cheuvreux possède quatorze bureaux à travers le monde, y compris New york, San Francisco, Tokyo, Zurich… Donc Cheuvreux conseille 1200 banques, fonds de pension et ainsi de suite.

 

Nicolas Doisy : Tout à fait.

 

F.R. : Mais pourquoi une société de courtage comme Cheuvreux a un département recherche ? Et pourquoi cette recherche s’intéresse à la politique française ?

 

Nicolas Doisy : Pourquoi la politique ? Parce qu’en fait, ce dont on se rend compte, c’est que dans politique économique, eh bien, il y a « politique », y a pas qu’économique. Depuis finalement le début de cette crise, la crise de Lehman en 2008, le cycle économique, financier, est beaucoup dirigé et conduit par la politique, et du coup, tout ce qui est politique prend énormément d’importance, et détermine beaucoup des événements sur lesquels les investisseurs gardent leurs yeux.

 

Hollande : le choix

F. R. : Vous avez publié un papier là, dont le titre est, en anglais, « François Hollande and France’s labour-market rigidity : the market will rock both ». François Hollande et la rigidité du marché du travail : le marché va chahuter, bousculer les deux.

 

N. D. : Tout à fait. Quand on regarde un petit peu la façon dont se déroulent les élections, dont les marchés perçoivent le problème européen, on se rend compte qu’il y a des chances non négligeables que François Hollande se trouve pris entre deux forces contradictoires : les marchés qui attendent de lui un certain nombre de réformes dites structurelles, qui vont porter sur l’assainissement des comptes publics évidemment, mais aussi des réformes qui sont appelées à rendre l’économie française plus performante. Or, c’est le type de réforme dont très vraisemblablement une partie de l’électorat de François Hollande se méfie, et si vous regardez bien, pour l’instant, François Hollande s’est abstenu de clarifier de façon nette sa position sur ce sujet.
Et pour cause : il sait qu’il sera pris à terme, à un moment, entre la pression de ses électeurs et la pression des marchés. Déjà on a des investisseurs qui s’étonnent du faible détail des candidats dans leurs programmes, les anglo-saxons que je rencontre me demandent souvent : « Où est le programme ? » Je leur dis : « Il n y en a pas ! », et pour cause, c’est un jeu tactique pour l’instant, le programme on le saura une fois l’élection finie. Et en fait on le connaît déjà, il sera imposé par l’appartenance à la zone Euro.

 

La fin du CDI

F.R. : Vous dites non seulement François Hollande ne va pas tenir ses promesses, mais en plus c’est lui qui va devoir flexibiliser le marché du travail, c’est lui qui doit remettre en cause ce que vous appelez « the famous CDI » le fameux CDI, contrat à durée indéterminée.

 

N.D. : C’est lui qui va devoir le faire dans la mesure où c’est lui qui sera élu. En d’autres termes, de toute façon, qui que soit le prochain président de la république française, c’est un travail qu’il va devoir faire, parce que tout simplement il y aura la pression des pairs dans la zone euro, c’est-à-dire de l’Italie, de l’Allemagne, de tous les autres pays. Quand vous regardez bien l’Allemagne au milieu des années 2000 a fait ce genre de réformes, l’Italie, l’Espagne sont obligés de le faire aujourd’hui, la Grèce aussi. Pourquoi la France pourrait-elle s’en dispenser ?

 

F.R. : Quel type de réforme ?

 

N.D. : Quelles réformes ? J’y viens. C’est le package typique de réformes qui a été imposé à la Grèce, qui est demandé aussi à l’Italie, qui est demandé aussi à l’Espagne, et c’est, si vous voulez, si on fait référence aux années 80, c’est ce qu’on appelle l’économie de l’offre, c’est ce qu’avaient fait en leur temps Reagan et Thatcher. L’Europe continentale a estimé qu’elle pouvait ne pas adopter ce modèle, c’est un choix de société, c’est un choix politique. Il se trouve qu’aujourd’hui le modèle traditionnel français, le modèle du CDI que vous mentionnez est en train d’arriver en bout de course. Il est à bout de souffle, quelque part. Et donc ce qu’il faut faire maintenant, c’est tout simplement le genre de réformes qui a été faite en Espagne récemment.

 

F.R. : Vous avez un encadré pour dire, en gros, le Royaume Uni et l’Irlande ont flexibilisé leur marché du travail, et ça a marché. En revanche, en Europe continentale, et notamment en France on a fait de la résistance, et finalement, on obtient des moins bons résultats.

 

N.D. : Oui, tout à fait. En Europe continentale, on a voulu s’épargner l’idée de faire un contrat de travail unique qui soit suffisamment flexible, et tout est dans le « suffisamment », c’est une question de bon dosage de la flexibilité, mais l’important c’est un contrat de travail unique, donc le CDI tel que nous l’avons connu, nous ne le connaîtrons plus normalement, ça c’est clair.

 

F.R. : Alors vous dites, « ça ne s’est pas fait en Europe continentale, alors que ça s’est fait au Royaume-Uni et en Irlande, donc aujourd’hui le moment est venu de flexibiliser le marché du travail en Europe continentale, on le voit en Espagne, on le voit en Italie, on le voit en Grèce… La France ne peut pas être le seul ilot à maintenir une rigidité sur son marché du travail dans une Europe qui flexibilise. »

 

N.D. : L’idée c’est de permettre aux entreprises d’avoir une plus grande flexibilité dans la gestion de leurs ressources humaines, de façon à ajuster au mieux leur personnel, leur force de travail, de façon a être les plus performantes. En d’autres termes, ça revient finalement à réduire substantiellement un certain nombre de garanties dont bénéficient, dont ont bénéficié jusqu’à présent les titulaires de CDI notamment. Et donc à imposer plus de flexibilité aussi sur les travailleurs. C’est là que ça va coincer, c’est là que ce sera problématique, parce que je ne suis pas certain qu’on pourra maintenir le modèle français tel qu’il est. C’est ça le point important. C’est que le conflit d’objectifs que va avoir François Hollande, c’est rester dans la zone euro et satisfaire les demandes de son électorat naturel. Les deux ne sont plus compatibles maintenant, on le voit depuis la crise grecque, il faudra qu’il fasse un choix. C’est pourquoi il est resté très prudent jusqu’à présent dans son expression publique.

 

F.R. : Juste une question qui vient comme ça… Vous vous êtes en CDI ou vous êtes pas en CDI M. Doisy ?

 

N.D. : Je suis en CDI, bien évidemment… Euh voilà… (Rires.)

 

L’Eurozone

F.R. : Alors dans votre papier vous écrivez : « C’est regrettable pour François Hollande, mais la nécessité d’une libéralisation du marché du travail est le résultat direct d’une appartenance de la France à la zone euro, aussi ne peut-on avoir l’une sans avoir l’autre. » Donc la seule question est de savoir si François Hollande va ne serait-ce qu’essayer de respecter ses promesses, ou s’il va volontairement revenir dessus aussitôt élu.

 

N.D. : C’est exactement ça, et effectivement je vous remercie de citer ce passage, c’est probablement un des plus importants de la note – en passant la traduction est très bonne – c’est exactement ça, on est au pied du mur, alors beaucoup de français penseraient « c’est la victoire du modèle libéral »… Oui en quelque sorte, mais ensuite effectivement, la France sera au pied du mur, tout au temps que l’Espagne l’est, tout autant que l’Italie, tout autant que la Grèce, tout autant que tous les pays qui n’ont pas fait ce genre de réformes…

 

F.R. : Ce que vous dites dans votre note, c’est, y aura quelqu’un de déçu.

 

N.D. : Oui, le marché ou les électeurs seront déçu.
Quelque part c’est un peu une répétition de 81-83. Pour ceux qui n’étaient pas nés à cette époque on va faire un petit point d’Histoire : en 81, alors qu’on venait d’avoir le choc pétrolier de 73- 74 et puis de 79, la France avait besoin précisément d’être plus flexible, mais François Mitterrand est élu sur un programme on va dire vraiment de gauche, très de gauche, très socialiste keynésien, relance par la consommation, etc. etc. Et tout ça pour qu’au bout de deux ans à peine, trois dévaluation du franc, en mars 83, après avoir perdu les élections municipales, François Mitterrand soit obligé de faire un complet demi-tour, et d’adopter les politiques de Madame Thatcher, de Monsieur Reagan à l’époque… Évidemment pas aussi ambitieuse, mais tout de même.

Qu’est-ce qui s’est passé à cette époque ? Le choix avait été très simple pour François Mitterrand, la question c’était : rester dans la construction européenne, dans le projet européen, ou en sortir. Et après avoir hésité, et apparemment failli quitter le SME, et donc le projet européen, la France a décidé d’y rester. Et donc la traduction de ça, ça a été ce qu’on a appelé la politique d’austérité, qui a duré des années, des années, des années, de désinflation compétitive…

Eh bien là la situation est un peu la même, si la France veut rester dans la zone Euro, il faudra très vraisemblablement qu’elle se plie à un certain nombre de programmes de réformes qui sont maintenant imposés, ou sinon l’idée sera que la France devra quitter la zone euro. Autant en 83 il était peut-être moins compliqué de quitter le projet de construction européenne, autant aujourd’hui ça risque d’être beaucoup plus compliqué. On l’a vu : si l’idée même de la sortie d’un petit pays comme la Grèce a causé une crise comme nous l’avons connue l’an dernier, je vous laisse imaginer pour la France…

 

La confiance

F.R. : Dans un premier temps vous dites, en gros, les marchés peuvent avoir confiance en François Hollande, parce que d’abord c’est quelqu’un de pragmatique, c’est un européen de cœur, donc il ne va pas remettre en cause l’appartenance de la France à la zone Euro et ainsi de suite… Et le troisième point : il était conseiller de François Mitterrand lorsque François Mitterrand a négocié le tournant de la rigueur en mars 1983, donc il en a gardé le souvenir de ça, donc il ne va pas commettre la même erreur aujourd’hui.

 

N.D. : Il me semblerait inconcevable qu’un homme de la formation et de l’intelligence de François Hollande qui a vécu l’expérience dont on vient de parler, c’est-à-dire 81-83, ne s’en souvienne pas. En gros l’alzheimer peut pas être aussi précoce que ça, et du moment où il s’en souvient, je ne vois pas comment à partir de là il serait capable de ne pas prendre en compte la réalité du marché telle qu’elle s’imposera à lui. Parce qu’il faut pas l’oublier : le marché s’imposera.
Donc je dis « ne vous inquiétez pas : a priori même si je ne suis pas dans le cerveau de François Hollande, ce que je vois ce qu’il y a tous les éléments nécessaires pour qu’il ait une approche tout à fait pragmatique… »
Et en plus, c’est visible pour ceux qui prennent le temps de scruter, François Hollande n’a pas promis le Grand soir. François Hollande n’a rien promis, parce que dans votre phrase y avait, l’hypothèse la plus optimiste, c’est celle où François Hollande prend ses fonctions et « revient sur ses promesses », mais il n’en a pas fait ! C’est ça mon point : il n’en a pas fait, ou il en a fait si peu que, finalement, de toute façon c’est comme si ça comptait pas. Donc il a gardé les mauvaises nouvelles pour plus tard.

 

Le danger

N.D. : Maintenant il y a un danger qui se présente, c’est la semaine qui vient de s’écouler, en particulier le week-end qui vient de s’écouler : on voit que Mélenchon est vraiment en phase ascendante, on a bien entendu ce week-end, François Hollande qui dit « oui, croyez moi, ça va être du sérieux ma renégociation du traité ». Mais bien sûr, il est bien obligé, parce que avant de gagner le deuxième tour, ceux qui ont connu 2002 savent qu’il faut gagner le premier, donc il est bien obligé de faire quelques concessions verbales à son électorat. Mais là encore je suis pas sûr qu’il ait été très spécifique sur sa renégociation. Et c’est pour ça, j’en reviens à ce point, il n’a pas fait de promesses, parce qu’il sait qu’il va devoir se renier par la suite, donc il essaie d’en promettre le moins possible pour que le retour de bâton soit le moins violent possible.

On voit la montée en puissance de Mélenchon. Ce qu’on se dit tout simplement, c’est que à partir de maintenant, il va bien falloir que Hollande commence à donner quelques gages à sa gauche, et c’est là que ça va devenir un peu plus compliqué pour lui, parce que les marchés vont commencer à comprendre, vous commencer à le sentir, c’est pour ça qu’il est resté très prudent jusqu’à présent dans son expression publique.

 

Tromper le peuple

F.R. : François Hollande dit « je vais demander la renégociation du dernier traité européen », vous, vous écrivez ça :

« François Hollande va avoir à naviguer à travers des forces dans la gauche, notamment à cause du référendum manqué de 2005, et dans cette perspective, vous écrivez, il serait politiquement intelligent que ses pairs de l’eurozone, ses partenaires allemands, belges italiens et ainsi de suite, permettent à François Hollande de prétendre qu’il leur a arraché quelques concessions, même si c’est faux en réalité. La demande de renégociation du traité serait alors utilisée pour tromper le public français, pour rouler – j’ai lu to ‘trick’ : rouler, tromper – pour tromper le public français, en lui faisant accepter des réformes convenables, dont celle du marché du travail. »

 

N.D. : Oui, alors, avant d’entrer dans le fond du sujet je voudrais préciser un point : les gens de marché s’expriment de façon très directe, donc le vocabulaire que j’ai pu choisir dans la citation que vous venez de lire, ça paraîtra peut être excessif a beaucoup de vos auditeurs. Maintenant, c’est vrai que voilà, on ne va pas s’embarrasser de finasserie, on va aller directement au point.
De « rouler » les électeurs français, c’est peut être un mot quand même excessif, l’idée c’est de dire : ce sera une concession en quelque sorte de façade qui aura été faite à François Hollande et au peuple français entre guillemets, de façon à ce que tout le monde constate qu’à la fin des fins, il les faut bien les autres réformes, les fameuses réformes structurelles dont personne ne veut entendre parler.
Le mot rouler les électeurs est peut être un peu fort, je regrette qu’il soit traduit comme ça en français, peu importe, c’est pas très grave, mais à défaut de les rouler, ça va leur permettre de peut-être prendre conscience qu’il y a un certain nombre d’idées qu’ils ont en tête, qui ne peuvent pas marcher, même s’ils en sont convaincus. Ce que je suis en train de dire, c’est qu’il y a un petit théâtre, le script est un peu écrit, si on est malin on s’écartera pas trop du script, et de cette façon là on arrivera peut être à faire passer la pilule de façon un peu plus simple que ça n’avait été le cas au début des années 80.

 

F.R. : Alors je reviens sur cette phrase. Ce que vous dites c’est, admettons, y a un sommet à Bruxelles, François Hollande demande une partie sur la croissance, les autres européens ils vont faire comme si « bon ben d’accord, on t’accorde ça », il rentre ici en France en disant « regardez ce que j’ai obtenu », et du coup il peut dire derrière « eh ben, en échange nous on va libéraliser notre marché du travail ».

 

N.D. : Vous avez parfaitement compris le sens de mon propos, c’est exactement ça. C’est une petite mise en scène, c’est un petit théâtre, alors faut pas avoir l’impression que je fais de la théorie du complot et qu’on manipule tout le monde, et c’est juste que vous avez un électorat qui a un certain nombre d’idées préconçues. Elles sont fausses peut être, n’empêche que c’est les idées que l’électorat porte, et là y a de la pédagogie à faire.

 

F.R. : C’est déjà un peu ce qu’il s’est passé en 1997 : en 1997, Lionel Jospin est élu avec la gauche plurielle en disant ce pacte de stabilité je n’en veux pas, donc il va à Amsterdam, on lui fait rajouter Pacte de stabilité et de croissance, et il revient en disant « regardez y a le mot croissance dans le titre ».

 

N.D. : Vous avez tout compris. C’est pas l’exemple que j’avais en tête quand j’ai écrit la note, mais oui vous avez raison, c’est exactement ça. J’avais pas en tête l’exemple, mais vous avez entièrement raison, c’est exactement ça. C’est…
Alors certains pourraient considérer que c’est une manipulation, moi je pense pas que ce soit une manipulation, c’est juste une façon d’arrondir les angles, on va dire, voilà.

 

La formule

F.R. : Vous concluez sur les deux mesures nécessaires. C’est :
1) couper dans les dépenses publiques
2) libéraliser le marché du travail ; et vous dites le vrai défi pour François Hollande est de trouver la formule politique pour le vendre au public français.

 

N.D. : Bien entendu, il faut trouver la formule pour vendre ça au peuple français. Je suis pas le conseiller de François Hollande, c’est pas mon rôle de définir le message qu’il doit porter. Mais je voudrais quand même citer un exemple historique, c’est celui de la Pologne qui quitte le communisme et qui fait sa transition vers l’économie de marché au début des années 90. La Pologne est connue pour avoir subie ce qu’on appelait la thérapie choc, c’est-à-dire que eux ils se sont pas embarrassés de beaucoup de précautions, ils y sont allés franco d’un seul coup dès le début. Ils ont fait la totale des réformes quasiment en un an ou deux. Ça a été extrêmement douloureux pour la population polonaise, mais ce qu’il faut savoir c’est que la Pologne est le pays qui s’en est sorti le mieux, le plus vite, quand on le compare à ses pairs.

Le sujet n’est pas là, le sujet c’est comment cela est il possible ? Pas seulement parce qu’il y avait la détestation des communistes, mais parce qu’il y avait aussi un gouvernement où il y avait un ministre des affaires sociales et du travail qui allait régulièrement à la télévision expliquer à la population pourquoi on fait ces réformes, que certes c’est douloureux, certes ça fait mal aujourd’hui, mais les bénéfices viendront plus tard. Que si on ne fait pas ce genre de travail aujourd’hui, demain ce sera encore pire qu’aujourd’hui, et ainsi de suite. C’est un effort de pédagogie.
Regardez maintenant Monti. Mario Monti aux affaires en Italie, c’est quand même assez frappant. C’est un homme qui fait les réformes les plus impopulaires que le peuple italien pouvait imaginer, et qui se trouve être le Premier ministre le plus populaire de l’après guerre ou presque. Donc y a vraiment un sujet sur la communication avec l’électorat, le peuple, et une façon de faire passer les messages. Ça, moi j’ai envie de dire, c’est ce pourquoi les hommes politiques sont payés, c’est leur métier, j’espère juste que François Hollande trouvera la bonne formule.

 

L’angoisse

F.R. : Si je fais un récapitulatif, je me suis amusé à faire des cas à partir de votre document :
Le cas n°1, c’est François Hollande est conciliant et il revient de lui même sur ses maigres promesses de campagne et il libère le marché du travail et en finit avec le CDI comme norme de travail.
Cas n°2, il lui faut une petite pression de ses partenaires européens, une petite concession qui lui sert de prétexte, et derrière il libéralise le marché du travail.
Cas n°3, il refuse de se plier à ce programme, à cette injonction, et alors les marchés vont le punir, le rappeler sérieusement à l’ordre.

 

N.D. : Oui.

 

F.R. : Donc là, jusque-là dans les trois cas, quand vous dites, « soit les électeurs, soit les marchés seront déçus », dans les trois cas c’est toujours les électeurs qui seront déçus et les marchés qui gagnent ?

 

N.D. : Oui oui. Eh bien regardez la Grèce, regardez l’Espagne, regardez l’Italie, regardez tout ce qui se passe en Europe depuis 2010, on a bien vu que de toute façon, à la fin, c’est le marché qui l’emporte. Je ne vais pas encore dire que le marché a nécessairement raison au sens moral du terme, en tout cas il aura raison factuellement puisqu’il s’imposera, c’est clair. Donc, c’est de ce point de vue-là que je le dis, oui en effet. Vous avez raison, les électeurs risquent d’être plus perdants que les marchés.

 

F.R. : Je propose un quatrième cas, l’irruption du peuple sur la scène de l’Histoire.

 

N.D. : La prise de la Bastille numéro 2.

 

F.R. : Hier, à Paris, y avait, bon, on va pas chipoter, 80 000, 90 000, 100 000, 120 000 manifestants à l’appel du Front de gauche. Si, comme en 1936, on avait une élection qui s’était suivie de mouvements de masse, de manifestations, de grèves…

 

N.D. : Qu’est-ce qui se passerait en Europe ? Ben là je crois que c’est le gros coup d’angoisse, parce que si, quand les grecs manifestent, on a déjà une Europe qui se sent sur le point d’exploser, je vous laisse imaginer pour la France.
C’est bien pour ça que je passe mon temps à répéter dans cette note que j’espère bien que François Hollande se souvenant de ses années de formation en 81-83 auprès de François Mitterrand évitera précisément de laisser se développer ce genre de scénario à nouveau, ou en d’autres termes trouvera la formule politique qui lui permet de vendre les réformes à la population française d’une façon qui soit acceptable…

 

À la revoyure…

F.R. : Je vous propose quelque chose pour terminer : qu’on se retrouve dans six mois, par exemple, à l’automne, et on fait le point pour voir où on en est dans votre scénario.

 

N.D. : Lequel des trois...

 

F.R. : Voilà, lequel des trois advient ?, où est ce qu’on en est ?, est-ce qu’effectivement y a eu des négociations ?, on a rajouté croissance dans le titre à la fin ?, vous voyez, ce genre de choses là.

 

N.D. : Eh pourquoi pas, avec plaisir, on a une conférence je crois à Paris au mois de septembre, je vous recevrai à ce moment là avec plaisir.

 

 

Source : http://www.fakirpresse.info

 

Un sujet de François Ruffin, réalisé par Olivier Azam - Les Mutins de Pangée avec Fakir et la-bas.org / Avril 2012 -. Pour donner suite voir lesmutins.org

 

 

Source : https://vimeo.com/40577072

 

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4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 17:13

 

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com

 

 

Loi El Khomri : 19 chercheurs proposent un code du travail alternatif

 

 

 

Loi El Khomri : 19 chercheurs proposent un code du travail alternatif
Un code du travail revu de fond en comble : 19 universitaires portent un projet alternatif. (FRED TANNEAU / AFP)

Droit au "temps libre" et à "la déconnexion", forfaits jours encadrés, heures sup' revalorisées... Contre la loi El Khomri, des universitaires réécrivent le code du travail de fond en comble.

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4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 17:02

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Alimentation

Crise du monde agricole : « En 2008, on a sauvé les banques, et si en 2016, on sauvait les agriculteurs ? »

par , Sophie Chapelle

 

 

 

Ils élèvent des porcs ou des vaches laitières, mais ne s’en sortent pas. Ils continuent pourtant de suivre à la lettre les prescriptions des coopératives auxquelles ils adhèrent, des banques qui les financent et des lycées agricoles où ils ont étudié. Ces institutions prônent le modèle intensif qui mènent ces agriculteurs à leur perte : les côtes de porcs ou le litre de lait sont achetés au même prix au producteur depuis plus de quinze ans… quand les grandes surfaces ne cessent d’augmenter leurs marges. Alors que le Salon de l’agriculture ouvre ses portes, Basta ! a rencontré ces agriculteurs en plein désarroi. Longtemps dédaigneux vis-à-vis de l’agriculture bio, ils sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser.

Il règne parmi les agriculteurs de l’ouest de la France une forte colère et une infinie tristesse : leur travail ne leur permet plus de vivre. « Qui supporterait de bosser dix ou douze heures par jour, à longueur d’année, sans pouvoir payer une entrée au cinéma à ses enfants ? », interroge Sonia, éleveuse laitière en Normandie, des larmes dans la voix. « On a beau nous dire que c’est la santé qui compte, quand on perd de l’argent à travailler 70 heures par semaine..., la santé, elle, en prend un coup ! ajoute François, à la tête d’une exploitation porcine. En fait, on n’est plus rien du tout. Pour soi, pour ses enfants, pour sa femme. C’est difficile. Vraiment difficile. J’ai dû prendre des somnifères et des anxiolytiques tellement j’étais mal. » Pourtant, quand il a lancé la construction de sa nouvelle porcherie de 160 truies, en 2005, François était sûr de son coup. De même que le groupement de producteurs auquel il appartient et qui lui achète ses cochons une fois qu’ils sont engraissés [1].

Passionné, maniaque, et très attentif, François a ce que l’on appelle « de bons résultats techniques » : chacun de ses cochons produit de belles quantités de viande. Tout le monde – techniciens, banquiers, revues agricoles – le félicitent pour ça. Il a en plus fait le choix de nourrir ses cochons sans OGM et ne leur donne pas d’antibiotiques. Mais voilà, cela ne suffit pas pour gagner de l’argent. « Pour que je puisse simplement payer mes emprunts et assurer le coût de fonctionnement de la ferme, sans même me payer, il faudrait que le cochon soit vendu 1,65 euro le kilo. En ce moment, il se vend environ 1,10 euro ! », souligne-t-il.

Le problème est identique chez Sonia et Yannick Bodin, éleveurs laitiers. « Pour être à l’équilibre, il faut que nous vendions la tonne de lait 388 euros, explique Yannick Bodin, par ailleurs président de la branche normande du syndicat agricole Coordination rurale. Actuellement, la laiterie Lactalis nous l’achète 270 euros ! » Résultat : depuis un an, Yannick et Sonia perdent 5 000 euros par mois.

« Le lait est payé le même prix qu’il y a trente ans »

Quand ils vont voir leur banquier, ce dernier leur conseille... de produire plus. « Alors même qu’il n’y a pas de marché, et que personne ne veut du lait. C’est vraiment nous faire courir sur un volume qui nous tuera », tempête l’agriculteur. « Le lait est payé le même prix qu’il y a trente ans, remarque Jules, éleveur laitier proche de la retraite, en haussant les sourcils. On était à 28 centimes d’euros le litre en 1986, 30 centimes en 2000, et, en 2016, nous sommes à 26 centimes. Sachant que nous ne fixons pas le prix, ni ne facturons le lait que nous vendons alors que les laiteries nous enlèvent deux euros tous les mois pour frais de facturation ! »

Des données confirmées par l’Observatoire de la formation des prix et des marges alimentaires qui recense les prix de la filière lait depuis 2000. Ces quinze dernières années, le prix de vente pour les agriculteurs est descendu jusqu’à 20 centimes d’euros et n’a jamais dépassé les 31 centimes d’euros. À l’inverse, le prix moyen du litre de lait UHT demi écrémé acheté en supermarchés (grandes et moyennes surfaces, GMS dans le graphique) est passé de 59 à 75 centimes d’euros.

 

 

Comme en témoigne le graphique ci-dessus [2], la marge opérée depuis 2000 a donc bénéficié exclusivement à l’industrie qui transforme le lait (en vert dans le graphique) et aux distributeurs (en rouge). La production laitière demeure l’une des seules professions où les prix de vente de leurs produits ont stagné, voire diminué depuis trente ans. Selon l’Institut de l’élevage, un quart des éleveurs laitiers a dégagé en 2015 un revenu annuel avant impôt inférieur à 10 000 euros [3].

Jules et Christiane ont réussi à sauver leur revenu, 1 200 euros par mois pour deux, parce qu’ils n’ont plus guère de dettes, et plus d’enfants à charge. Mais le coût de reprise de leur exploitation chute au fil du temps. Et ils comptaient sur cette revente pour augmenter un peu leur retraite : 900 euros par mois pour Jules à partir de 2017, après une vie de rude labeur.

Encourager un système à bout de souffle au détriment de la protection sociale

Pour tâcher d’endiguer la fureur et le désespoir des agriculteurs, le Premier ministre Manuel Valls a annoncé le 17 février dernier une baisse des cotisations sociales ainsi qu’une « année blanche sociale » pour ceux qui ont dégagé de très faibles revenus en 2015. « Quand on ne peut de toute façon pas payer ces charges, c’est une maigre consolation », déplore Yannick Bodin.

« C’est un très mauvais signal pour notre système de protection sociale », réagit Josian Palach, secrétaire national de la Confédération paysanne, en charge de l’élevage. Car, derrière les cotisations sociales, très souvent appelées « charges », il s’agit de financer l’Assurance maladie et les retraites. « Seule l’année blanche à destination des éleveurs les plus en difficulté pourra avoir un sens, ajoute Josian Palach. Il est temps d’admettre que la crise est structurelle et que c’est toute l’organisation de la production qui est à revoir. Il s’agit notamment de réorienter les aides de la politique agricole commune (PAC) vers des systèmes plus autonomes. »

 

 

Certaines banques proposent elles aussi des « années blanches », au compte-gouttes. « Les banquiers nous font grâce des remboursements des intérêts et des capitaux pour un ou deux prêts seulement, pendant un an, détaille Yannick Bodin, qui cumule pas loin de 40 prêts bancaires ! Et nous devrons de toute façon les payer ensuite sur neuf ans au lieu de dix. » Selon l’éleveur, « il faudrait légiférer pour pouvoir répartir les marges équitablement. Nous faisons actuellement pression sur les parlementaires pour qu’ils travaillent sur le sujet. Nous pensons que c’est plus efficace que d’aller mettre le feu aux routes ».

180 000 euros de frais bancaires en huit ans

Les banquiers ? « Ils gagnent tout le temps, soupire de son côté François. Et nous, on est asphyxiés en permanence. L’enveloppe de 700 millions annoncée par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, en septembre dernier, va permettre de ré-étaler nos prêts avec des taux à 2 %. Cela va libérer un peu de liquidités, on est donc tenus d’accepter puisque nous n’avons plus rien. Mais les garanties ont été fixées à 7,5 % ; ce qui pour moi revient à allonger 24 000 euros de plus. » Les dettes de François s’élèvent actuellement à 320 000 euros. « Il faut y ajouter les agios, refus de chèques et compagnie : 180 000 euros en huit ans, empochés par la banque ! »

Les manifestations et blocages qui se succèdent depuis un mois se concentrent sur les magasins de la grande distribution et les préfectures. Mais certains iraient volontiers se garer devant leurs agences bancaires. « J’ai siégé au conseil d’administration de l’agence locale du Crédit agricole, se souvient Jules. Dès la première réunion, la direction nous annonce que nous sommes là pour défendre la banque plutôt que les sociétaires qui sont nos collègues ; sachant que ce sont ces derniers qui nous ont élus ! J’ai protesté, assez vivement, mais j’ai été le seul ! J’ai décidé de démissionner, mais personne ne m’a suivi. »

Les erreurs des agriculteurs

De plus en plus d’éleveurs succombent au rêve industriel. Le nombre de fermes en France équipées de robot de traite a ainsi été multiplié par cinq en cinq ans [4]. « Il faut reconnaître qu’on s’est un peu fait du mal tout seuls, estime Jules. Combien d’entre nous, par exemple, ont investi dans des tracteurs énormes, l’année dernière, au prétexte que les cours du lait étaient plus hauts ? Nous devons aussi nous interroger sur nos organisations professionnelles et nos coopératives : ces structures avec lesquelles nous travaillons tous les jours, et qui nous dictent nos conduites, elles sont dirigées par des conseils d’administration où il y a des agriculteurs ! Soit ils ne font pas leur boulot, soit ils sont d’accord avec la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui ! »

La quasi-totalité des agriculteurs qui siègent dans ces diverses organisations appartiennent à la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), omniprésente dans les campagnes françaises. Mais la cote du syndicat agricole majoritaire s’effrite. « Nous nous sentons tellement loin et différents de Xavier Beulin, le président, business man qui ne met jamais de bottes », souffle un éleveur. « Manifester avec la FNSEA, c’est manifester pour nos fossoyeurs, dit carrément Yannick Bodin. Ils sont ultralibéraux, cogestionnaires et coresponsables de la situation actuelle ! »

 

Quand le manque d’autonomie en aliments rend dépendant

Acculés par des prêts bancaires déraisonnables, les éleveurs sont aussi coincés par leur obligation d’acheter des aliments. Jules et Christiane, qui produisent du maïs et de l’herbe pour leurs cinquante vaches, achètent trois tonnes de soja par mois, soit un budget de 11 000 euros par an. Pour François, qui achète la totalité de l’alimentation de ses porcs, le budget est largement plus élevé : il en a pour plus de 300 000 euros par an ! Sur les cinquante hectares de terres qu’il possède ou loue, il fait pousser du blé, de l’orge, du colza et de l’avoine. Aucune de ces céréales ne termine jamais dans les mangeoires de ses cochons. « Le bâtiment n’a pas été conçu pour cela, explique-t-il simplement. Ce n’était pas la politique du groupement de producteurs au moment où j’ai investi. » Résultat : l’ardoise s’alourdit au fil du temps et elle s’envole à chaque flambée des prix des céréales, soumis aux caprices des marchés mondiaux.

Certains éleveurs de porcs ont fait des choix différents. En Auvergne, Véronique et Nicolas cultivent un mélange céréalier sur leur ferme et le complètent avec d’autres céréales achetées chez un agriculteur bio du coin, en vue de limiter leurs dépenses en aliments (lire leur portrait réalisé par Basta !). Mais dans la filière porcine, la situation de François reste malheureusement la plus courante. Entre 2009 et 2014, l’aliment représente entre 59 et 66 % du coût de production moyen des porcs en élevage [5].

À l’escalade des prix des céréales s’ajoute, comme le montre le graphique ci-dessous, un prix du porc régulièrement en-dessous du coût de production, notamment en 2011 et 2013. Sur la période 2009-2014, la perte est ainsi évaluée à 1 centime par kilo en moyenne pour les éleveurs de porcs. Concrètement, les éleveurs perdent de l’argent en travaillant...

 

La responsabilité de l’enseignement agricole et des consommateurs

Pour tâcher de retrouver un peu d’autonomie, et de couvrir leurs besoins essentiels au quotidien, certains producteurs se mettent à la vente directe, « au black ». « C’est aussi l’occasion pour nous de renouer avec les consommateurs, dit l’un de ces éleveurs. Ils voient la vie qu’on a, ils prennent conscience de ce que l’on fait, ils peuvent comparer avec les prix pratiqués par la grande distribution. » « Les consommateurs sont mal habitués, nuance un éleveur laitier. Ils ne veulent que certains morceaux de viande, et toujours les mêmes. Il faudrait que les cochons aient six ou douze jambons, et les vaches, 70 côtes. En plus, la part financière que les gens accordent à leur alimentation ne cesse de baisser, alors que leur budget nouvelles technologies ne cessent d’augmenter. Les consommateurs sont aussi en train de nous tuer. »

L’autre responsable que les exploitants agricoles osent désormais nommer, c’est l’enseignement [6]. Quand il a repris la ferme de ses parents, à 21 ans, Yannick Bodin sortait tout juste du lycée. « Je n’avais rien vu d’autre, témoigne-t-il. Et j’ai suivi le modèle économique qu’on nous vend tous les jours, dans les revues, dans les salons, à l’école : j’ai investi pour m’agrandir. »

Ce discours véhiculé par les lycées agricoles est fortement critiqué par André Pochon, pionnier breton de l’agriculture durable. Pour contrer la « propagande » autour des modèles intensifs, il a participé à la création du Cedapa (Centre d’études pour un développement agricole plus autonome). Objectif : « Renverser la vapeur et montrer qu’un autre modèle agricole est possible. On va mener des études technico-économiques qui vont prouver que l’on peut installer des jeunes sur des petites unités, et que c’est rentable. » (lire notre entretien « Cet autre modèle agricole français qui rend les paysans heureux »).

 

« En 2008, on a sauvé les banques. En 2016, on sauve les agriculteurs ? »

Être au pied du mur provoque parfois des changements radicaux. Longtemps sujet de mépris, voire de franche rigolade dans les campagnes, le bio est maintenant considéré comme une alternative plausible. Dans le secteur laitier, celles et ceux qui se sont convertis en 2009, dans la foulée de la précédente crise du lait, n’ont pas de difficultés aujourd’hui. « Ils sont contents, c’est sûr », témoigne une de leur voisine, elle-même en plein marasme financier.

« C’est l’agriculture de demain », dit même Jules, qui a arrosé ses terres de pesticides pendant trente ans. « Il n’y a pas d’autre moyen pour préserver la ressource en eau », avance-t-il. « Si on me supprime toutes mes dettes, je suis prêt à repartir complètement différemment, en menant plus souvent mes vaches à l’herbe, en faisant moins d’investissement. Voire en faisant du bio », annonce un autre éleveur laitier qui a longtemps tenu les écolos en piètre estime. « En 2008, on a sauvé les banques, conclut Yannick Bodin. On pourrait décider qu’en 2016, on sauve les agriculteurs. »

 

@Nolwenn Weiler et @Sophie_Chapelle

Photo : la ferme bio du Loriot, en Auvergne / © DR

Notes

[1Le groupement de producteurs auquel appartenait François en 2005, Cap 50, a été racheté par la coopérative des agriculteurs de Mayenne (CAM) au printemps 2015. La CAM est elle-même membre de la coopérative agroalimentaire Terrena, qui appartient au groupe coopératif InVivo.

[2GMS signifie grandes et moyennes surfaces, PGC signifie produits de grande consommation. Source : Rapport 2015

[3Elsa Casalegno, Karl Laske, Les cartels du lait : comment ils remodèlent l’agriculture et précipitent la crise, ed. Don Quichotte, 2016.

[4Selon l’Institut de l’élevage, 4 387 exploitations étaient équipées d’un robot de traite fin 2014, sur les 60&nsp;000 comptabilisées en France. Source : Les cartels du lait, ibid.

[5Source : Rapport 2015 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, page 100.

[6En France, l’enseignement agricole dépend du ministère de l’Agriculture, qui dispose d’une direction générale de l’enseignement et de la recherche. L’enseignement agricole est donné dans les lycées d’enseignement général, technologique et professionnel agricole, ainsi que dans les centres de formation d’apprentis (CFA), établissements publics, ou dans des établissements privés.

 

 

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3 mars 2016 4 03 /03 /mars /2016 21:35

 

 

 

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ça bouge ! Classes sociales

« Merci patron ! » : le film qui fait tanguer l’homme le plus riche de France

par

 

 

 

 

David peut-il encore l’emporter contre Goliath ? Des pieds nickelés picards faire tanguer la multinationale LVMH, premier groupe de luxe au monde, et effrayer son PDG, Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France ? Le premier film de Fakir, « journal fâché avec tout le monde ou presque », sort en salle le 24 février. Un film-remède à la morosité ambiante, à gauche, dans les syndicats, les entreprises, les villages, les chaumières... Qui redonne un peu de sourire, d’espoir, donne l’exemple et libère la parole.

Jocelyne et Serge Klur fabriquaient des costumes Kenzo à Poix-du-Nord, près de Valenciennes. Mais leur usine délocalisée en Pologne, ils se sont retrouvés au chômage, criblés de dettes… « On doit vivre avec 4€ par jour pour nous trois, c’est l’assistance sociale qui a calculé le budget ! » Une intervention en assemblée générale des actionnaires suffira-t-elle à régler leurs soucis ? Du suspense, de l’émotion, de la rigolade, et même de l’espionnage pour ce thriller social…

 

A l’automne 2012, François Ruffin, rédac’ chef du journal Fakir, s’est lancé dans une course poursuite humoristique avec Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France. Presque par inadvertance, ça a tourné au film d’espionnage. Des quiproquos incroyables. Au vu de cette récolte, l’équipe de Fakir a alors fait le choix de sortir de son « ghetto », de démarcher un producteur « normal », Mille et Une Productions (« Le cauchemar de Darwin », « Les chèvres de ma mère »). Puis un distributeur « normal », Jour2Fête (« Free Angela », « Les rêves dansants », « Des abeilles et des hommes »). Mais pour la première fois en quinze années d’existence, Mille et Une Productions a vu son dossier refusé par le Centre National du Cinéma, le CNC, et 80 000 euros d’aides leur être refusées.

Grâce à une collecte réussie sur une plateforme de financement participatif, le film a pu être achevé. Et tourne désormais dans les salles ! Pour être informés des avant-premières et projections, c’est par là.

 

Page facebook du film

 

 

 

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