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15 mars 2016 2 15 /03 /mars /2016 15:21

 

Source : https://www.youtube.com/watch?v=0BZWzkTHXNo

 

 

La mise à mort du CDI décidé par les banques

Investig Info

Ajoutée le 14 juil. 2015
 

Interview d'un patron de de banque, auteur d'une note sulfureuse, qui explique, avec un cynisme incroyable, que la finance exige la mise à mort du CDI, et que la finance gagne toujours, dans tous les cas, quel que soit les dirigeants au pouvoir. A noter en fin de vidéo le rôle de Macron en faveur de la City pour relativiser le discours Hollande du Bourget (mon ennemi c'est la finance)

 

Source pour Macron:
http://www.wsj.com/articles/frances-h...

 

 

Source : https://www.youtube.com/watch?v=0BZWzkTHXNo

 

 

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 18:06

 

Source : http://reporterre.net

 

« Le rapprochement rouge vert est une nécessité »

14 mars 2016 / Entretien avec François Ruffin
 


 

Rien ne changera si les classes populaires et les classes intermédiaires ne refont pas union, estime François Ruffin, pour qui l’instrument de cette alliance passe par l’écologie et la justice sociale.

 

Journaliste engagé, et le revendiquant, François Ruffin est rédacteur en chef de Fakir et réalisateur de Merci Patron. Plus enclin à parler aux employés de supermarchés ou aux joueurs de football amateur qu’aux ministres ou aux patrons, il plaide pour un protectionnisme environnemental et social.


Reporterre - Comment analyses-tu la situation politique actuelle ?

François Ruffin - C’est un temps de régression. Il y a le chômage, des conditions de vie qui se dégradent, mais au-delà, il y a un sentiment d’impuissance collective, de résignation, et du coup d’auto paralysie.
Avec le Front de Gauche, on avait un lieu, imparfait, mais où on pouvait travailler les idées, autour de l’écosocialisme ou du protectionnisme notamment. Cela constituait une force politique qui pouvait recueillir une forme de colère sociale et cela, c’était vachement intéressant.

Mais désormais, il y a une sorte de suicide du Front de Gauche. Et on en est à espérer un réveil de la société civile sans parti. Mais à un moment, il faut trouver une traduction politique au mouvement social, que la colère sociale trouve un mode d’expression politique. En Picardie, où je vis, les élections régionales ont signé la faillite des partis de gauche, avec les Verts, le PG, le PC, qui sont incapables de s’unir, alors que Marie Le Pen a près de 43 %.

Cela veut-il dire qu’aujourd’hui le FN récolte les votes de cette colère sociale ?
J’en suis convaincu depuis des années. Je n’ai jamais été dans le discours du « Le premier vote, c’est l’abstention », qui revient à négliger ou minimiser le vote Front National, en particulier dans les classes populaires. Le sondage de l’Ifop aux élections de décembre indique que 51 % des ouvriers qui ont été aux urnes ont voté le Front National.

Quand nous, au journal Fakir, on se prétend populiste, on ne peut pas passer à côté de ça.

 

 

Populiste, c’est-à-dire ?

La définition du dictionnaire Robert dit : « Mouvement littéraire s’appliquant à décrire de façon réaliste la vie des gens du peuple ». Et les journalistes, au lieu d’utiliser le mot populisme comme une injure, devraient être fiers d’être populistes, en disant qu’une de nos fonctions est de refléter avec réalisme la vie des gens du peuple. Si je ne fais pas l’effort, chaque fois que c’est possible, d’aller vers les classes populaires, qui travaillent dans les supermarchés, dans les centres logistiques, dans les zones industrielles, je vais refléter la conception de ma classe, qui est la petite bourgeoisie intellectuelle.

 

L’échec de la gauche tient-il à ce qu’elle n’est plus populiste ?

On observe ce que Emmanuel Todd appelle « le divorce de deux corps sociologiques de la gauche », ce que j’appelle une « disjonction de classes ». Depuis 30 ou 40 ans, les ouvriers et les professeurs, les classes populaires et la petite bourgeoisie intellectuelle ont eu des destins qui se sont séparés. D’abord sur le plan social. Le chômage des professions intermédiaires reste aux alentours de 5 %. Le chômage des ouvriers non qualifiés dépasse les 20 %. La mondialisation, qui est LE grand phénomène économique des dernières décennies, est entrée droit dans la gueule des classes populaires, alors qu’elle a plus ou moins épargné les professions intermédiaires. Il y a donc eu deux rapports différents à la mondialisation et cela se voit au niveau de revenus ou à celui des lieux de résidence. Ces destins ont fini par se séparer aussi sur le plan politique. Lors du traité constitutionnel européen, en 2005, 80 % des ouvriers, 71 % des chômeurs et 67 % des employés ont voté Non. à l’inverse, 56 % des cadres et 54 % des profs ont voté Oui. Pourquoi ? Parce que la mondialisation ne les a pas heurtés de la même manière. 1789, 1936, mai 68, mai 81, tous les temps où la gauche gagne, ce sont des temps où il y a une réunion de ces classes-là, où les classes populaires et les petits bourgeois intellectuels proposent quelque chose en commun.

 

Comment opérer la « re-jonction » ?

Les professions intermédiaires ne vont plus être aussi épargnés par la mondialisation. Et je pense qu’il faut travailler sur le terrain culturel, en disant aux classes intermédiaires, « Voilà ce que l’oligarchie a fait ». Lénine disait : « Une situation pré révolutionnaire éclate lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus, ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux du milieu basculent avec ceux d’en bas ». Ce que je souhaiterais maintenant, c’est l’émergence d’un mouvement populiste de gauche.

 

 

Qu’appelles-tu la gauche ?

Celles et ceux qui placent la notion d’égalité comme une valeur centrale. Aujourd’hui, il y a un mouvement populiste de droite, qui fonctionne très bien. Il faut ouvrir la voie à un mouvement populiste de gauche. Ce qui se passe avec la loi sur le travail va-t-il provoquer une poussée et faire émerger une nouvelle figure ? Cela bouge partout, de Podemos en Espagne à Siriza en Grèce, au parti travailliste en Angleterre ou aux Etats-Unis avec l’émergence de Bernie Sanders. On est revenu à un espèce de no man’s land. Il y a des trucs qui germent.

 

Comment faire ?

Je me demande juste où est le déclic. Aujourd’hui, je cherche moins l’horizon que comment on met le moteur en marche. Un moteur se met en marche quand on mélange des ingrédients différents. C’est pour cela que la jonction de classe est une nécessité. Le rapprochement rouge-vert c’est une nécessité. Et puis, une fois que le moteur est en marche, une fois qu’on a fait un pas, on a un appétit pour en faire un nouveau.

 

Comment insères-tu l’écologie dans le tableau ?

Je suis un gros contestataire de la croissance. Le modèle économique est à revoir de A à Z. Il faut que le mouvement ouvrier devienne décroissant. C’est une longue bataille. Mais il peut y avoir une audience de ce discours. En gros, la petite bourgeoisie est plus attachée à la question écologique et la classe populaire est plus attachée à la question sociale. Il faut trouver les moyens de lier les deux.

 

 

Une alliance s’est faite entre les écolos et une partie des paysans, contre l’industrialisation. Qu’est-ce qui pourrait faire que cela se fasse avec la classe ouvrière ?

A la fin du conflit sur les Goodyear, on a sorti un trac en disant qu’au fond les Goodyear menaient une lutte écolo. Quand les gens me disaient, « c’est bien, parce qu’on va consommer moins de pneus », c’était peut-être vrai. Sauf qu’il se produisait une délocalisation et que les pneus, on allait en produire autant, ailleurs. Le truc des Goodyear aurait pu être de dire : il y a besoin de moins d’heures pour produire des pneus, il faut moins de pneus, et plutôt que d’aller les produire ailleurs, terminons-en avec le travail de nuit. Le travail de nuit est terrible pour la santé, c’est un facteur cancérigène important. Cela peut être un discours écolo en fin de compte : décroissance du temps de travail et décroissance de la production/consommation. Le fait de tenir ce discours l’aurait rendu audible par d’autres parties de la population.

 

N’y a-t-il pas un problème autour du mot « écologie » ?

Quand on voit le mal que fait un gouvernement de gauche au mot « gauche », les écologistes de parti ont fait le même mal au mot « écologie ». Quand, à Amiens, Barbara Pompili se sert des électeurs comme d’un piédestal pour des ambitions mesquines…Ce comportement-là, les querelles internes, ça discrédite l’écologie.

 

Mais à Amiens, il y a aussi des conseillers régionaux écologiques efficaces,
Novissen et la lutte autour des Mille vaches.

A Notre Dame des Landes, il y a 1 % de mobilisés contre le projet, 1 % de mobilisés pour – c’est l’oligarchie locale – et puis une masse d’indifférents. Les Mille vaches, c’est pareil : il y a une association mobilisée contre, le préfet et Ramery pour, et au milieu, ça prend pas.

 

Cela n’est-il pas dû au fait que cette indifférence est entretenue et cultivée par des grands médias, qui pèsent bien plus que Fakir ou Reporterre ?

Bien sûr, mais c’est aussi le symptôme d’autre chose, du manque d’ancrage de ces mouvements. Dans les années 70, le Parti communiste faisait un travail politique dans d’autres choses que des réunions politiques « chiantes ». Il organisait le concours de pêche à Abbeville, et c’est par le concours de pêche qu’on faisait de la politique. C’est par la buvette au stade de football que se fait la politique. Je joue au foot tous les dimanches, et les vestiaires, c’est un lieu où on prend une température du pays. Il n’y en a pas tant que çà, des moments où on peut prendre une espèce de pouls du peuple. Et il y a des moments où tu peux faire passer des trucs. Il faut reprendre racine. Quant aux médias, on est condamné à les avoir contre nous, on peut les dénoncer mais il faut faire avec.

 

 

Dans le film « Merci patron », il y a ce passage drôle où l’émissaire de Bernard Arnault explique que sa plus grande crainte, ce sont les « minorités agissantes ».

Il dit : « Ce sont les minorités agissantes qui font tout ». Mais il ne faudrait pas que cela devienne un encouragement pour les minorités à être encore plus minoritaires et plus agissantes dans une sorte d’activisme avide. Il peut y avoir une tentation de ça, du snobisme, dans la gauche, les mouvements verts. On est dans un entre-soi, on est l’avant-garde. Lénine disait « Un pas en avant, mais pas deux ». Les minorités agissantes peuvent beaucoup. Mais à condition de trouver le chemin des masses, du peuple, tu appelles ça comme tu veux. Si c’est une locomotive seule qui ne tire aucun wagon, ce n’est pas intéressant ; il faut trouver le moyen de raccrocher les wagons. Des minorités agissantes, il y en a plein : des groupes sur la COP 21, sur la financiarisation, ATTAC qui vole des chaises, la brigade d’activisme des clowns, etc. Mais il ne faut pas oublier les syndicats et les partis. Il faut même commencer par là. C’est très sympa, les clowns. Mais malgré toutes les imperfections de la CGT et de Force Ouvrière, il faut s’appuyer sur ces forces.

 

« Classe » et « peuple », ça se recoupe ?

Non, pas forcément. Le mouvement ouvrier est ce qu’il y a pu avoir de plus structuré en termes de parti et en force syndicale, et ça, c’est encore le seul truc qui nous reste, c’est pour cela qu’il ne faut pas le négliger. Il y a quand même environ 700 000 adhérents à la CGT, ce n’est pas négligeable. Certes, la branche ouvrière n’est pas massive, il y a un paquet de fonctionnaires. Mais en même temps, c’est ce qu’il reste. 700 000, ce n’est pas si mal que ça, dans notre pays. C’est tous les partis de gauche réunis, et sans doute tous les abonnés aux médias dissidents. La CGT est une organisation compliquée, mais les conflits et les discussions qui la traversent sont très importants pour ensuite apporter du mouvement social.

 

Tu sembles plus croire aux syndicats qu’aux partis.

Les partis politiques se sont suicidés, ils continuent à vivre comme un soleil éteint dont on continue à percevoir la lumière, mais il faudrait que tous les partis disparaissent. Et que sur ce vide puisse renaître quelque chose.

 

A la nuance près que les partis conservent le contrôle de l’appareil d’Etat.
Les partis dont je parle n’en contrôlent pas grand-chose. Mais ils ont tout intérêt à continuer à exister, parce qu’ils ont des subventions, un appareil à faire tourner. Mais vu notre situation, il vaudrait mieux que tout cela disparaisse pour qu’on puisse faire renaître du nouveau. Il faut faire disparaître le Front de Gauche et le parti écologiste. On arrête et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Je ne souhaiterais pas du tout ça pour les syndicats, en revanche.

 

 

Les migrations agitent la société française et européenne. Comment abordes-tu la question ?
Je suis pour la régulation des flux migratoires. D’abord, il faut poser la question de la politique étrangère de la France. Quand on voit le nombre de conflits dans lequel on va mettre nos pieds, qui sont sous-tendus par des intérêts. Les conflits en Afrique sont centrés sur Areva. Je suis plutôt favorable à la non-ingérence. Mais cela devient une question de politique intérieure. Je suis pour la régulation, du capital, des marchandises et aussi des travailleurs, des réfugiés. Cela ne veut pas dire la fermeture des frontières, mais une régulation.

 

Cela veut dire quoi, la régulation ? Pas plus de tant de personnes ?

Oui, éventuellement.

 

Que serait une réponse de gauche à la question du flux migratoire ?

D’être favorable à une régulation des flux de marchandises et de capitaux, de manière à ce que l’usine ne puisse pas se barrer et que tous les travailleurs ne soient pas sous la menace… Il faut commencer par la régulation des marchandises, c’est évident. Il faut des frontières, et tout le raisonnement alambiqué de la gauche sur cette question nous plonge dans l’inaction.

 

C’est le protectionnisme ?

Oui. Vous imaginez un grand plan de licenciement des journalistes français pour les remplacer par des journalistes roumains ? En un mois, il y aurait des lois votées à l’Assemblée nationale contre cela ! Eh bien, cela fait quarante ans que la même chose se produit pour les ouvriers et il n’y a pas eu un seul débat sur ce sujet à l’Assemblée///

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : http://reporterre.net

 

 

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 17:53

 

Source : http://reporterre.net

 

 

Le PSG menace de bétonner trois cents hectares de terres historiques

10 mars 2016 / Barnabé Binctin (Reporterre)

 

 

 

Site d’une grande richesse géologique, le domaine de Grignon (Yvelines) est un lieu de recherche historique agronomique, poumon vert de bonnes terres. Mais l’Etat veut vendre le terrain, sans doute au club de football Paris-Saint-Germain. La résistance grandit contre ce nouveau gaspillage de terres.

- Thiverval-Grignon (Yvelines), reportage

Que vaut un château du XVIIe siècle face à la promesse d’un vestiaire pour stars du football ? Combien de fossiles du lutétien pour une place de parking où rivaliseront les grosses cylindrées ? À Thiverval-Grignon (Yvelines), la terre pourrait bientôt se changer en pelouses synthétiques, et les tubes à essai en crampons.

C’est sur ce site, en grande partie consacrée à l’enseignement agricole depuis la création de l’Institution royale agronomique en 1826, que le club de football Paris Saint-Germain (PSG) nourrirait son prochain rêve de grandeur : après avoir constitué l’une des meilleures équipes de football du monde, le Qatar, propriétaire du PSG depuis 2011, veut désormais investir dans un nouveau centre d’entraînement.

 

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Nasser Al-Khelaïfi, le président du PSG, en 2013, au Qatar.

18 terrains de football, un stade de 5.000 places et le parking correspondant, des boutiques, peut-être même un hôtel et des restaurants… Après avoir vu son rival lyonnais inaugurer « OL Land », son nouveau stade, il y a quelques semaines, le PSG compte faire démonstration de sa toute-puissance dans le championnat français : une enveloppe de 300 millions d’euros serait consacrée à ce projet, selon les informations du journal Le Parisien en décembre dernier. Soit 15 fois plus que le centre d’entraînement lillois, le dernier-né en la matière.

« Il n’y a aucune information, je n’en peux plus ! »

À l’étroit dans son cocon de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), où l’agrandissement est rendu impossible par la présence d’un camp militaire, le PSG aurait donc jeté son dévolu sur Grignon. L’information reste, pour l’heure, au conditionnel, tant les parties prenantes se font discrètes sur le sujet. Si le club parisien n’a pas répondu à nos sollicitations, le ministère de l’Agriculture se contente de confirmer que « le PSG est intéressé et a consulté le dossier », et qu’aucun autre acquéreur ne s’est manifesté. L’entourage du ministre, joint par Reporterre, l’assure : « Il n’y a pour l’heure aucune offre ni aucun compromis de vente signé. » Le site de France Domaine, service de l’État chargé de la gestion de ses biens immobiliers, n’indique aucune « cession en cours » ni « cession à venir » dans les Yvelines, où se trouve le domaine de Grignon.

Contacté par Reporterre, le député de la circonscription, David Douillet (LR), souligne le silence des autorités sur le sujet : « Il n’y a aucune information, je n’en peux plus ! » Proche du maire de Poissy, Karl Olive, il soutient une solution dans cette ville située dans le nord du département. Mais, pour la commune de Thiverval-Grignon, le match est déjà plié : « Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que ce choix semble ne plus faire de doute , était-il écrit dans le journal municipal de décembre, reste à savoir quand l’annonce sera faite. »

 

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Le château du XVIIe siècle (arrière-plan) et ses dépendances.

Le maire, Rémi Lucet, qui se dote actuellement dun golf contesté, y prépare déjà ses administrés : « Acceptons-le sans crainte, sans nous fermer », exhorte-t-il dans son édito du même mois. « C’est un jeu à plusieurs bandes entre élus locaux, avec une grosse lutte d’influence pour récupérer le pactole du PSG », commente un élu d’une commune voisine.

Dans les rues de cette bourgade rurale d’un millier d’habitants située à l’ouest de la plaine de Versailles, on reste dans l’expectative. « Il faudrait pouvoir peser le pour et le contre, mais nous n’avons pas trop d’informations sur le sujet pour l’instant », explique Stéphane, qui habite la commune depuis 1995. Habituée du centre équestre que le domaine héberge, Audrey se dit inquiète : « Selon ce que j’ai pu en lire, je ne vois pas comment le site garderait son charme ouvert sur la nature. »

Le célèbre classement des universités dit de Shangaï

Une seule chose paraît acquise actuellement : le départ du site des centres de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) et d’AgroParisTech. Des générations d’ingénieurs ont pourtant fait leurs études et mené des recherches à Grignon. « J’y ai passé de belles années en tant qu’ancien de l’Agro », dit le directeur de cabinet de Stéphane Le Foll. Mais aucune de ces institutions ne figure dans le célèbre classement des universités dit de Shangaï. C’est dans ce contexte qu’est né il y a une dizaine d’années le projet de cluster scientifique et technologique de Saclay, qui vise à regrouper jusqu’à 25 % de la recherche scientifique en une seule entité, à 20 kilomètres au sud de Paris.

Créée officiellement en décembre 2014, l’université Paris-Saclay « paraît offrir les meilleures chances de figurer rapidement au sommet de cette élite mondiale, notamment par la somme de ses performances en termes de publications scientifiques », argumente Jean-Claude Thoenig, directeur de recherche émérite. De cette motivation découle donc le déplacement des instituts agronomiques, validé par un vote en conseil d’administration d’AgroParisTech en mars 2015. « Le déménagement est prévu pour septembre 2020 », dit-on au cabinet de M. Le Foll. Mais le projet est fortement contesté.

« Le regroupement n’a aucun intérêt, cela a été maintes fois prouvé que ce n’était en aucun cas un facteur de meilleure collaboration », souligne François Demichelis, membre du Costif, une association mobilisée contre le projet de Saclay. Les institutions visées connaissent également une opposition en interne : « C’est une vision digne des années 1970. S’il peut y avoir, pour les hautes technologies, un intérêt à rapprocher les entreprises des laboratoires – au bénéfice de qui, d’ailleurs ? – ce n’est pas le cas pour nos sciences agronomiques », détaille Cyril Girardin, ingénieur syndiqué à la CGT de l’Inra-Grignon.

 

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Le château de Grignon.
 

De centaines d’hectares de terres agricoles qui existent à Grignon, l’espace disponible pour les expérimentations se réduirait à quatre hectares à Saclay : « Nous n’aurons pas du tout les mêmes conditions de travail », insiste Cyrille Barrier, assistant à l’animation du pôle pédagogique de l’AgroParisTech-Grignon. Le PSG n’est que le moindre des soucis. « Le cœur de la lutte, c’est le déménagement à Saclay », observe Therry Dolléans, membre du conseil politique d’EELV 78. « C’est comme si vous demandiez à un zadiste si Bouygues serait préférable à Vinci. On ne discute pas de la couleur du tarmac ou de la hauteur de la tour de contrôle », résume Cyril Girardin.

Car c’est ce déménagement qui justifie, dans les discours officiels, la vente du site de Grignon. « On en a besoin pour boucler le financement de l’ensemble du projet de déménagement à Saclay », explique le cabinet du ministre. 35 millions d’euros, c’est le prix fixé par une évaluation récente du site. « Un prix-plancher, il ne pourra pas être acheté en-dessous, se fait-on rassurant au ministère de l’Agriculture. Il s’agit de le céder dans des conditions correctes, nous ne sommes pas aux abois. Mais c’est un site difficile à vendre du fait de ses contraintes. »

 

« C’est un site agronomique très particulier qu’on ne retrouvera pas ailleurs »

Une manière de confirmer que le domaine risque fort de quitter le giron public. Le risque de privatisation cristallise les résistances : « En tant qu’élue en milieu rural, je suis très attachée à cette notion de patrimoine, surtout lorsqu’il est aussi riche. Si l’État est prêt à vendre Grignon, que gardera-t-il à la fin ? » interroge Sophie Sauteur, conseillère municipale dans la commune voisine de Beynes.

En jeu, 300 ha d’un parc où se mêlent bois, jardins et terres agricoles. La partie forestière abrite une zone humide classée Znieff (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique, floristique). Un arboretum daté de 1873 et des jardins anglais font la réputation horticole du lieu : « C’est un patrimoine botanique séculaire », dit Michel Chartier, qui travaille aujourd’hui avec l’association L’Arbre de fer à l’entretien de ces espaces. Ancien ingénieur en bioclimatologie à l’Inra, il a travaillé pendant 23 ans sur ce lieu « remarquable » : « C’est un site agronomique très particulier qu’on ne retrouvera pas ailleurs, et sûrement pas à Saclay, où la terre est beaucoup plus uniforme. »

 

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L’arboretum d’AgroParisTech à Thiverval-Grignon.

Ancien professeur à l’Agro, Jean Vincent précise de son côté la caractéristique du sol : « Une terre plutôt calcaire, à des endroits plus argileuse, à d’autres plutôt limoneuse. Son hétérogénéité fait toute sa richesse. » Et explique notamment qu’elle ait servi depuis si longtemps à tant d’expérimentations, sur les parcelles Dehérain, indique Olivier Rechauchère, ancien élève à l’Agro : « Ces essais patrimoniaux engagés à la fin du XIXe siècle visent à analyser et à comparer des processus lents de minéralisation de matières organiques sur le long terme. Vouloir transférer ailleurs cette base de données est un non-sens complet. On ne pourra pas la refaire aujourd’hui en six mois ! »

 

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La Ferme de Grignon, qui commercialise sa production agricole.

Plus d’une centaine d’hectares de ces terres sont par ailleurs dédiées à la production agricole de la Ferme de Grignon, située en face du domaine. Leur vente serait « un acte supplémentaire dans le mitage des terres agricoles en Ile-de-France », déplore Xavier Morize, paysan installé à quelques kilomètres de Thiverval-Grignon. Avec la Confédération paysanne, il appelle à défendre « un bien commun de notre territoire ».

« C’est une autre forme d’urbanisation. Jusqu’où vont-ils raser ? » 

Outre tout ce patrimoine vivant, le site est mondialement connu pour la Falunière, une carrière géologique de 500 m2 riche en fossiles comptant plus de 800 espèces de coquillages, dont le cérithe géant, ou Campanilopa (Cerithium) giganteum (lire ici, page 13). « Ce lieu abrite un très grand nombre d’espèces particulièrement bien conservées », explique Didier Merle, paléoclimatologue au Muséum, qui énumère les géologues qui y ont travaillé depuis qu’un congrès international de géologie s’y est tenu en 1900. M. Merle rappelle l’importance d’« étudier le passé pour comprendre le présent » : « Ce n’est pas du patrimoine mort, bien au contraire, c’est un outil de travail indispensable. Les sciences virtuelles, ça n’existe pas, il faut toucher le fossile ! » L’arrivée du PSG est une menace évidente : « C’est une autre forme d’urbanisation. Jusqu’où vont-ils raser ? Aurons-nous encore un accès au site ? Si c’est pour faire un bunker à milliardaires… »

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : http://reporterre.net

 

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 17:47

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Les questions qui piquent

14 mars par CADTM Belgique

 

 

Au CADTM, on sait trop bien ce que c’est d’être flippéE, voire découragéE, par toutes ces questions sur lesquelles on sèche.

InspiréEs par nos meilleurEs piqueurs et piqueuses (notre famille, nos potes, le pizzaiolo d’en face, les gens que l’on rencontre en animation), les militantEs du CADTM Liège ont organisé plusieurs sessions d’élaborations collectives d’éléments de réponse à ces piques (qu’elles soient d’ordre technique ou plus « politique »).

Il a bien sûr fallu faire des choix, et nous avons retenu 12 questions pour cette première brochure que vous trouverez ci-dessous.

D’autres sont encore sur le grill...

1) Qui décide au FMI, à la Banque mondiale et à la BCE ?

2) Que fait le FMI de l’argent des intérêts qu’il perçoit ?

3) Quelles différences il y a-t-il entre une dette odieuse, insoutenable, illégale, illégitime ?

4) Ce sont des gouvernements élus démocratiquement qui se sont endettés en notre nom. Comment remettre leurs engagements en cause ?

5) L’Islande a refusé de payer pour les dettes de la banque privée Icesave et a poursuivi en justice des responsables de la débâcle financière. Est-ce un exemple d’alternative ?

6) À Chypre on a instauré un contrôle des mouvements de capitaux et fait payer les déposantEs pour assumer les dettes de plusieurs banques. Est-ce un exemple d’alternative ?

7) Bonus : Quelles sont les options pour assumer les pertes d’une banque ?

8) Comment éviter de se ré-endetter après une annulation ?

9) « La crise, c’est bon pour la planète ! »

10) « Annuler la dette de la Grèce coûtera 1.000 euros à chaque contribuable belge qui a payé pour sauver les GrecQUEs »

11) Sortir ou pas de l’euro ? Telle est la question

12) Les agences de notation, késako ? Sont-elles fiables et légitimes pour évaluer les entités publiques (ou privées) ?

13) Comment est-ce possible que les dirigeantEs prennent de telles décisions ?

14) Bonus : Copions
Dette au Sud
Dette de la Belgique
Dette de la Grèce

PDF - 1.8 Mo
Brochure A5 « S’armer face aux questions qui piquent »

 

Auteur.e

 

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

 

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 17:30

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Un rapport dénonce l’impunité des violences policières
14 mars 2016 | Par Michel Deléan
 
 
 

Armes dangereuses, techniques d'immobilisation mortelles : l'ACAT a étudié 89 cas de violences policières. Conclusion : l'opacité règne, et les enquêtes se terminent souvent sans condamnation ni sanction.

Les violences policières sont, à de rares exceptions près, peu médiatisées et rarement sanctionnées. C’est la conclusion d’une « enquête sur l’usage de la force par les représentants de la loi en France » menée par une association de défense des droits de l’homme, l’ACAT (Action  des chrétiens pour l’abolition de la torture).

Le rapport de l’ACAT (108 pages), dont Mediapart a pris connaissance, sera mis en ligne ce lundi matin (on peut le lire intégralement ici). L’étude a été menée pendant 18 mois par une juriste, Aline Daillère, qui a effectué un gros travail documentaire puis une analyse détaillée de 89 cas précis, avec entretiens à la clef.

La conclusion est sans appel. « On ne peut que constater un manque de volonté des autorités françaises à être transparentes sur les faits allégués d’usage illégal de la force et à débattre du sujet », écrit l’ACAT. L’association, qui va lancer une campagne au long cours sur ce thème – la première qu’elle consacre au cas français –, estime que des « modifications doivent de toute évidence être apportées ». « Des réformes législatives devraient ainsi encadrer plus strictement l’usage de certaines armes », écrit-elle, alors que l’air du temps est au tout-sécuritaire, et que les nouvelles lois visant à lutter contre le terrorisme permettront d’assouplir les conditions de la légitime défense pour les policiers et les gendarmes. 

 

A Lyon, en 2010 © Reuters A Lyon, en 2010 © Reuters

 

L’ACAT juge par ailleurs que certaines armes ainsi que des « techniques d’immobilisation » dangereuses devraient être interdites. Pour finir, l’association pointe « l’existence de graves défaillances dans les enquêtes administratives et judiciaires effectuées à la suite de plaintes pour violences policières ». Ces enquêtes étant menées par des services de police (comme dans l’affaire Ali Ziri, où des policiers ont enquêté sur d’autres policiers) ou de gendarmerie (comme dans l’affaire Rémi Fraisse, ou des gendarmes enquêtent sur d’autres gendarmes), l’indépendance et la neutralité ne sont pas entièrement garanties.

« Les exigences d’impartialité, d’effectivité et de célérité imposées par le droit international rendent nécessaire la création d’un organe d’enquête indépendant chargé d’examiner les plaintes mettant en cause un usage illégal de la force par les policiers et les gendarmes », lit-on dans le rapport.

 

Rémi Fraisse Rémi Fraisse
 
Ali Ziri © DR Ali Ziri © DR

L’ACAT demande également la publication du nombre d’enquête ouvertes et de sanctions prononcées dans ces affaires. Demander justice, pour une victime de violences policières, s’assimile en effet à un « parcours du combattant », déplore l’ACAT. La justice se montre pour le moins frileuse quand les forces de l'ordre sont mises en cause… alors qu’elle poursuit rapidement les victimes de violences policières pour “outrage” et “rébellion”. Et de fait, sur 89 affaires de violences policières suivies par l’association, seules 7 ont donné lieu à des condamnations de policiers.

 

L’opacité qui entoure le plus souvent les violences policières est également pointée par l’ACAT. Si le nombre de décès causés est assez faible, un par mois en moyenne pour la France, le nombre de blessés graves est élevé. Et ce sont surtout les jeunes et les personnes « issues de minorités visibles » qui sont victimes de ces violences.

Un chapitre du rapport est, par ailleurs, consacré aux armes « banalisées » mais dangereuses, comme le Flash-Ball et le lanceur de balles de défense (LBD) dont sont dotés policiers et gendarmes, et qui provoquent de graves blessures. L’ACAT recense ainsi 39 blessés graves (dont 21 éborgnés ou ayant perdu la vue) et un mort causés par l’usage de ce type d’armes légères.

Conclusion de l’ACAT : « Ces armes ne sont pas adaptées aux situations pour lesquelles elles sont prévues », et elles ne sont en outre pas indispensables. L’usage du Taser est également critiqué, ses conditions d’usage étant beaucoup trop souples, et sa non-létalité n’étant pas démontrée.

Un chapitre est également consacré aux grenades. Si les grenades offensives ont enfin été interdites depuis la mort de Rémi Fraisse, en octobre 2014 à Sivens, les grenades de désencerclement et les grenades lacrymogènes instantanées ont provoqué des blessures importantes, leur usage n’étant pas assez encadré et paraissant exagéré.

Enfin, les gestes d’immobilisation enseignés et pratiqués par les policiers sont aussi abordés, comme la technique dite du « pliage » et celle du « décubitus ventral », dangereuses, et qui devraient être « explicitement interdites ».

La longue liste des recommandations que publie l’ACAT en conclusion de son rapport retiendra, peut-être, l’attention des ministres de l’intérieur et de la justice…

 

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 17:19

 

Source : https://www.bastamag.net

 

Travailler autrement

Loin de l’agrobusiness, une coopérative favorise l’alimentation solidaire et l’économie locale

par

 

 

 

 

Structurer une filière de l’alimentation locale et biologique, depuis la transformation jusqu’à la distribution des aliments. C’est tout l’enjeu du Groupement régional alimentaire de proximité (Grap), une coopérative lyonnaise autour de laquelle gravitent des épiceries, des magasin de producteurs, des restaurants, des boulangers… Ensemble, ils mutualisent des moyens, s’entraident, se forment, le tout dans un état d’esprit d’économie solidaire. Et lancent de nouveaux projets avec la volonté que la consommation responsable change d’échelle. Reportage auprès de professionnels engagés.

Ici, pas de concurrence. Ni de célébration du self made man. On préfère la coopération et la solidarité : mutualiser un comptable, partager un logiciel informatique, se prêter un véhicule, plutôt que de se réjouir des difficultés d’autrui. Ici, c’est le « Grap ». Entendez « groupement régional alimentaire de proximité ». « Un groupement des gens qui entreprennent dans le secteur de l’alimentation biologique et locale en région Rhône-Alpes, dans un esprit social et solidaire », explique Kévin Guillermin, l’un de ses fondateurs. Le Grap est constitué en société coopérative d’intérêt collectif (Scic). « Plutôt que d’enchainer les heures, seul, on se met à plusieurs pour se sentir moins isolé, pour mutualiser les services, les moyens, se dégager du temps, et ne pas s’éparpiller. »

 

La coopérative regroupe déjà treize activités économiques – cinq épiceries bios, deux boulangers, deux restaurants, un magasin de producteurs, une structure de paniers bios, un agent commercial en vins naturels, une importatrice de produits méditerranéens. Leur point commun ? Un état d’esprit solidaire et coopératif, et une volonté de s’approvisionner en produits locaux et biologiques, via des filières courtes de préférence. Le groupement fédère toutes les activités du secteur de l’alimentation, à l’exception de la production agricole. Chacun paie une contribution en fonction de la richesse créée, pour accéder aux services proposés par le Grap. « Cela représente environ 15 % de la valeur ajoutée », précise Kévin Guillermin.

S’entraider et mutualiser, mais pas seulement

A quoi cette contribution sert-elle ? Les membres du Grap bénéficient de trois types de services. D’abord en gestion, en comptabilité ou en administration (contrats de travail, déclarations Urssaf, émission des fiches de paie...) ; ensuite une mutualisation des services informatiques (centralisation des commandes, bases de données...) ; enfin, un pôle se concentre sur l’accompagnement de l’activité (formations, stratégie, médiation). Depuis son lancement en janvier 2013, cette société coopérative d’intérêt collectif emploie quatre équivalent temps plein.

« Au delà des services que l’on propose, nous cherchons un effet vertueux, que les professionnels s’entraident », complète Kévin Guillermin. Prêt de véhicules entre adhérents, mutualisation de lieux de stockage... «  Il y a notamment un agent commercial en vin et bio. Les épiceries du groupement le consultent pour savoir comment élaborer leurs gammes de vin, illustre Kévin. Favoriser cette solidarité a du sens et les activités ont tout à y gagner. » Le périmètre de Grap est volontairement régional – 150 kilomètres autour de Lyon environ – afin de favoriser la synergie entre les différentes activités de la coopérative.

« Un supermarché en super mieux »

Marie qui gère le magasin Prairial, une épicerie coopérative bio installée à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise, est régulièrement en contact avec les autres épiceries adhérentes. «  On se file les bonnes infos, on fait aussi un point toutes les six semaines pour améliorer les référencements de nos produits et le rapport qualité-prix, illustre-t-elle. Par exemple, nous commandons tous chez le même grossiste ce qui allège les coûts pour tout le monde. Et puis le fait d’aller le visiter ensemble nous donne plus de poids et de crédibilité. » Sans l’appui du Grap, il n’est pas sûr que le magasin bio, une ancienne coopérative de consommateurs créée il y a 40 ans, aurait pu se développer. « Même si nous sommes très motivés, ce n’est pas possible de tout apprendre du jour au lendemain. » L’accompagnement comptable ou juridique a été d’une grande aide. Avec ses associés, Marie a le projet de faire du magasin un lieu de vie et d’échanges, et pas seulement de consommation.

L’enjeu est aussi d’expérimenter de nouveaux projets. C’est le cas avec la super Halle de Oullins, une initiative à laquelle participe le Grap sur le plan financier, juridique et commercial. Ouvert depuis février 2014 dans le sud-est du Rhône, ce supermarché rassemble dans un même lieu un magasin de producteurs en vente directe, une épicerie de produits biologiques et un espace traiteur et restauration. « Comme un supermarché en super mieux ! », clame le slogan affiché par la halle hors-norme.

 

Même sans expérience, c’est possible

« La super Halle, c’est un projet monté sur 18 mois au cours desquels tout est allé très vite, explique sa coordinatrice Johanne Ruyssen. Par ses compétences techniques, le Grap a mesuré les risques et réalisé un business plan. Il était là pour canaliser, réorienter, poser les bonnes questions... En bref, nous aider à lever le nez du guidon. » Avec la volonté, malgré le changement d’échelle, de préserver la qualité des aliments tout en donnant la possibilité aux producteurs de libérer du temps.

Se lancer dans un projet d’activité économique, « c’est une démarche solitaire, cela peut être anxiogène », prévient Kévin Guillermin. « Tout l’enjeu c’est de trouver des cadres qui fassent que l’entrepreneuriat soit possible et accessible. » Deux jeunes de 22 et 25 ans ont été accompagnés pour reprendre une épicerie en Haute-Loire. « Le commerce, ça ne s’improvise pas, souligne Patricia, co-gérante de l’épicerie Cœur d’Artichaud. La méthodologie proposée par le Grap rassure les nouveaux entrepreneurs. Cela permet de se connaitre aussi, de se dépasser parfois, de s’adapter, de changer aussi et puis d’avoir une meilleure estime de soi tout en participant à un changement de mentalités ». A la Halle de Oullins, deux gérantes ont été recrutées « sans avoir d’expérience dans le milieu ».

Un effet levier pour l’économie sociale

Autre défi : que chacun puisse continuer ensuite à se former. « Imaginez une personne motivée qui monte son épicerie et qui se retrouve à tenir une caisse. Quelles perspectives lui offrir ensuite en termes de mobilités professionnelles ? », pointe Kevin Guillermin. C’est la raison pour laquelle le Grap propose des formations en hygiène et sécurité alimentaire, en gestion financière et en œnologie.

D’autres formations pourraient suivre, à condition de surmonter certains obstacles, comme des frais de fonctionnement assez lourds au départ. Si son équipe parvient désormais à se rémunérer, l’objectif pour le groupement est d’être à l’équilibre d’ici fin 2016. Le GRAP perçoit notamment des financements publics pour développer le projet [1]. « Soutenir le Grap revient à aider plusieurs activités, c’est un projet levier, défend Kevin Guillermin. Nous voulons faire la démonstration de notre propre modèle avant d’envisager de l’essaimer dans d’autres secteurs. »

Texte et photo de une : @Sophie_Chapelle

- Plus d’infos : www.grap.coop, Prairial et la Super Halle

- Lire aussi notre article sur les coopératives d’activités et d’emplois

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 17:09

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

 

Témoignages #OnVautMieuxQueça

« C’est confirmé : je suis plus utile au chômage »

par

 

 

 

Notre société est obnubilée par un seul objectif : le plein emploi. Qu’importe si les activités créées sont utiles ou pas à la société, voire nuisibles. Donner du sens au travail semble devenu très secondaire. « Du point de vue des gens "modernes" comme monsieur Macron, je suis actuellement un poids, je ne produis pas, je suis une charge qui vit aux crochets d’un système trop généreux. C’est bizarre, il me semble pourtant n’avoir jamais autant servi notre société », explique Jérôme Choain, un ingénieur qui a décidé de vivre et travailler autrement. Témoignage.

J’ai écrit en novembre 2013 un article intitulé « Je serais tellement plus utile au chômage ». Je ne sais pas pourquoi mais ce billet connaît une deuxième vie ces jours-ci, j’ai plein de retours, demandes de reprise, d’interviews…

Étrange, je pensais justement à écrire une suite depuis quelques temps.

Nous y voilà.

J’ai écrit ce précédent billet alors que je travaillais dur sur un projet. J’étais employé. C’était intéressant et bien payé. Mais inutile pour le commun.

Depuis, j’ai connu pour la première fois de ma vie le chômage après 20 ans d’emploi ininterrompu. Je ne suis plus employé, et heureusement, je travaille tout le temps.

Je me lève à 6 h pour déjeuner avec ma fille lycéenne qui doit prendre un bus très tôt, car on coupe dans les budgets de transports scolaires dans ma campagne. Ensuite, j’emmène mon collégien au collège, puis mon écolier à l’école.

Le samedi, je me lève aussi parce qu’on a école le samedi matin dans mon village et que je vais donner des cours bénévoles d’informatique et de culture numérique. Car les services publics ne le feront pas.

Les nuits ne sont pas non plus de tout repos. Nous sommes famille d’accueil. Crois-moi, monsieur le réformateur, il paraît que je suis « inactif », mais la grasse matinée, ce sera pour une autre vie.

Mes journées sont bien pleines. J’aide des associations, j’essaye d’apprendre aux gens comment collaborer via internet, je leur fais des sites web, je dépanne les PC vérolés, je développe un outil de gestion de documents en ligne pour l’école, j’ai monté un site pour l’organisation de l’aide aux réfugiés dans le Morbihan, j’aide qui je peux. Un chouette boulot. Un vrai travail. Pas un emploi.

Tout cela est bien modeste, mais toutes ces petites choses me semblent utiles au commun, au développement de notre commune.

Il va falloir que j’arrête tout ça. Et c’est dommage parce que ce travail me plaît vraiment. Si j’avais par exemple un salaire à vie ou un revenu de base, je pourrais certainement m’y épanouir. En fait, je travaille pour un peu tout le monde, mais surtout pour des gens qui ne pourraient pas se payer mes services, alors qu’au final, c’est l’intérêt de tous.

J’ai essayé d’imaginer des façons d’exercer ce type d’activité tout en pouvant en vivre dans le système actuel. Je n’ai pas trouvé. Je pense notamment à l’éducation populaire au numérique qui me semble un chantier astronomique et essentiel. C’est évidemment sans espoir. On va vers une fermeture de notre bureau de Poste, l’école est menacée de perdre une classe, partout les budgets sont restreints, il parait qu’il faut être « réaliste », alors mes lubies d’émancipation citoyenne, ce n’est pas exactement une priorité.

J’ai même postulé pour un poste d’animateur d’atelier numérique proposé par la communauté de communes. Quelques heures sur six mois payées le minimum, mais je voulais en profiter pour les rencontrer. Ils ont dû trouver ça rigolo un ingénieur encravaté qui vient essayer de piquer le job à temps partiel d’un agent territorial catégorie C. Je n’ai pas été retenu, il semble que nous étions nombreux sur la liste. Et donc, tous ces gens qui pourraient en former d’autres ne le feront pas, parce que il n’y a pas d’emploi pour ça. Ils vont rester chez eux et chercher un autre job, peut-être un job à la con. C’est ballot.

Aujourd’hui, j’ai des opportunités de reprendre une activité « confortable ». Et je vais le faire. Parce que je ne suis pas un héros, j’ai un crédit à payer, je ne peux pas me permettre de consacrer ma vie à un rêve d’utilité, il me faut être rentable.

Je vais penser à mon intérêt privé, mais je ne ferai pas semblant de croire que l’amélioration de ma condition bénéficiera au final à la collectivité.

Du point de vue des gens « modernes » comme monsieur Macron, je suis actuellement un poids, je ne produis pas, je suis une charge qui vit aux crochets d’un système trop généreux. C’est bizarre, il me semble pourtant n’avoir jamais autant servi notre société. Mais notre société n’aura à nouveau d’estime pour moi que si je reprends un emploi de col blanc pour mon profit et celui du grand capital…

Tout cela est bien médiocre. C’est notre système. Je continuerai à essayer de le changer à mon humble niveau car comme disent nos amis youtubeurs, « on vaut mieux que ça ». Disons que c’est mon témoignage.

Tiens, ce monsieur me semble bien proche de mes opinions :

 

 

À propos des alternatives à cette médiocrité, je vous invite à écouter Carole Fabre, co-fondatrice du Mouvement français pour le revenu de base, et Bernard Friot, sociologue et économiste, membre du Réseau salariat, défendre respectivement le revenu de base et le salaire à vie.

Jérôme Choain

Voir le blog de l’auteur

Vidéo : Alain Deneault, docteur en philosophie de l’université Paris-VIII et enseignant en science politique à l’Université de Montréal, « Notre organisation du travail nous conduit à la médiocrité », intervention lors de l’émission de France 2 Ce soir (ou jamais !) du 04/03/16 sur le thème « La loi Travail, un débat historique ? ».

Photo : Les Temps modernes de Charles Chaplin

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 16:53

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

 

Néo-libéralisme

Plongez dans la guerre invisible que les multinationales livrent aux États

par , Eva Schram , Frank Mulder

 

 

 

 

Nul besoin d’envoyer canonnières ou porte-avions pour intimider un Etat qui menacerait les intérêts des puissantes compagnies occidentales. Il existe un discret mécanisme pour régler les litiges entre États et investisseurs : l’ « ISDS », pour Investor-State Dispute Settlement, intégré dans tous les traités commerciaux, dont celui en négociation entre l’Europe et les Etats-Unis (Tafta). Selon ses détracteurs, les multinationales bénéficient ainsi d’un pouvoir sans précédent pour échapper aux lois. En partenariat avec des journalistes néerlandais, Basta ! publie en exclusivité une enquête en cinq épisodes sur cette guerre invisible. Ce premier volet vous emmène de Caracas à Amsterdam dans les coulisses d’une bataille aux enjeux gigantesques.

Caracas, la capitale du Venezuela, baigne dans une chaleur tropicale. Nous sommes en 2006. Bernard Mommer est assis à son bureau, dans un énorme immeuble disgracieux de couleur gris-noir au centre de la ville, occupé à éplucher son courrier. En tant que vice-ministre du Pétrole, il est en contact régulier avec les 41 entreprises pétrolières étrangères actives dans le pays. Le secteur est entré dans une période de turbulences, depuis que le gouvernement d’Hugo Chavez a décidé de se réserver une proportion plus importante des revenus du pétrole, qui s’écoule du pays par milliards de barils.

Mommer ouvre une lettre insolite qui lui a été transférée par son patron, le ministre du Pétrole. « Nous acceptons votre offre d’arbitrage, dit-elle, sur la base du traité d’investissement néerlandais avec le Venezuela ». Expéditeur : la firme pétrolière italienne Eni. « Qu’est-ce que j’ai bien pu faire ? » se demande Mommer. Le vice-ministre sait que l’arbitrage signifie que deux entreprises, en désaccord sur un sujet, soumettent leur litige à un jury commercial, qu’elles désignent elles-mêmes, pour juger laquelle des deux a raison selon les termes du contrat qui les lie. Mais Mommer n’a alors conclu de transaction avec personne, un ministère n’étant pas, après tout, la même chose qu’une entreprise. Et qu’est-ce-que les Pays-Bas ont à voir avec l’affaire ?

En se plongeant dans les archives, Mommer fait des découvertes troublantes.

  • Premio, un précédent gouvernement, a signé, sans trop de publicité, un traité d’investissement avec les Pays-Bas qui prévoit la possibilité, pour tous les investisseurs néerlandais qui auraient l’impression de ne pas avoir été traités de manière équitable par leur pays hôte, de convoquer le Venezuela devant un jury d’arbitrage. Une procédure qui s’inscrit dans le cadre de la Banque mondiale. Les arbitres peuvent imposer une amende au Venezuela, sans aucune possibilité de faire appel de leur décision.
  • Secundo, la firme pétrolière italienne Eni a récemment rattaché ses activités au Venezuela à une filiale enregistrée aux Pays-Bas, ce qui l’a transformée ipso facto en investisseur néerlandais. Mommer doit se préparer à des temps difficiles...
  • L’État, un « brigand en chapeau haut-de-forme » ?

    « L’État peut se conduire comme un “brigand en chapeau haut-de-forme”. » Gerard Meijer, avocat spécialisé dans le droit de l’investissement, est assis à une terrasse dans le quartier d’affaires d’Amsterdam, en face de son bureau au sein de NautaDutilh, l’un des plus grands cabinets juridiques d’Europe. « L’expression est ancienne, précise-t-il. Mais, honnêtement, elle comporte toujours un élément de vérité. Peut-être certaines personnes se désoleront qu’un pays se voit imposer une telle amende. Les contribuables paient la facture. Mais ils oublient qu’auparavant leur gouvernement s’est enrichi illégitimement avec la même somme. »

    Meijer a une barbe taillée selon la dernière mode, qui lui donne un charisme juvénile malgré sa cinquantaine. En tant que président de l’Association néerlandaise de l’arbitrage, il défend son secteur d’activité avec détermination. Il croit vraiment en ce qu’il fait. Imaginez, dit-il, que vous soyez un investisseur dans un pays en développement. Vous avez misé tout votre argent dans un projet – par exemple un puits de pétrole au Venezuela ou un atelier textile en Égypte. « Si vous vous retrouvez en litige avec ce pays, vers qui allez-vous vous tourner ? Vers le juge du coin ? Pensez-vous que vous auriez une seule chance ? »

    Heureusement, il y a l’arbitrage. « Il est situé quelque part entre une médiation et un véritable tribunal. Si les deux parties sont d’accord, elles choisissent chacune un arbitre, et ces deux arbitres en choisissent un troisième. Leur verdict est contraignant. » C’est équitable et cela fonctionne bien. En tant qu’investisseur, vous êtes sûr que votre propriété sera au moins respectée lorsque vous placerez votre argent quelque part. « C’est une sorte de juridiction indépendante, avec des juges qui n’ont pas de relations de loyauté avec leur gouvernement. C’est un aspect très important. Après tout, il y a beaucoup de républiques bananières dans le monde. »

  • De plus en plus d’arbitrages entre États et investisseurs

    Le monde de Mommer et de Meijer est inconnu de la plupart des gens. L’arbitrage fait parfois soudainement la une des journaux, notamment en relation avec le traité commercial transatlantique TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement). En réalité, l’arbitrage existe depuis des années. Nous avons recensé 624 cas connus, à la fin 2014, d’investisseurs qui avaient poursuivi des États sur la base d’un traité. Mais il y en a probablement eu bien davantage.

    Le nombre de cas ne cesse de croître : en 2000, on en comptait quinze ; nous sommes aujourd’hui à environ 60 cas par an. Le montant réclamé par les investisseurs connaît lui aussi une augmentation fulgurante. Ce sont des litiges toujours plus importants qui doivent être tranchés au moyen de ce mécanisme de règlement des différends, que l’on appelle l’ISDS (Investor-state dispute settlement). Plus de la moitié d’entre eux sont soumis au tribunal commercial de la Banque mondiale, le Cirdi (Centre international de règlement des différends liés à l’investissement), qui a ses propres règles et ses propres arbitres.

    Les données que nous avons rassemblées montrent que les Pays-Bas sont devenus le pays d’origine du plus grand nombre de procédures ISDS. Pas moins de 16 % des cas soumis au cours de l’année 2014 l’ont été par des firmes néerlandaises. « Néerlandais » est toutefois un terme relatif dans ce contexte. L’analyse détaillée de ces investisseurs montre que plus des deux tiers sont des filiales fantômes, n’existant que sous la forme de boîtes à lettres. Seulement une sur six est véritablement néerlandaise.

  • L’Équateur condamné à verser 1,1 milliard de dollars à un groupe pétrolier

    Les pays qui ont été le plus fréquemment poursuivis sont les pays en développement et émergents, ainsi que les pays riches en ressources naturelles comme le Canada. L’Europe de l’Est occupe depuis quelques années une place de plus en plus importante dans ce classement.

    Notre analyse montre aussi qu’un groupe remarquablement restreint d’avocats « vedettes » occidentaux domine le monde de l’arbitrage lié à l’investissement. Au moins l’un des quinze principaux arbitres au niveau mondial est impliqué dans 63 % des panels dont nous avons pu identifier les membres. Dans 22 % des panels, ce « top 15 » fournit même deux arbitres sur trois, suffisamment pour emporter la décision. Ce sont tous des hommes blancs – exception faite de deux femmes blanches. Ils sont souvent liés à des firmes juridiques qui profitent de l’expansion de ce marché. Les sommes en jeu sont conséquentes : une procédure d’ISDS coûte en moyenne huit millions de dollars.

    Pour ses détracteurs, le système est injuste. Il y a quelques mois, l’Équateur s’est vu imposer une amende de 1,1 milliard de dollars suite à une plainte d’Occidental Petroleum, qui dénonçait son expropriation. L’amende est équivalente à plus de 3 % du budget total du pays pour 2016. Les défenseurs de l’ISDS objectent que c’est un moyen de trouver des solutions apolitiques à des litiges. Les juges et les politiciens n’ont plus à s’en mêler. Plus besoin d’envoyer des navires de guerre, comme la France et l’Angleterre l’ont fait en 1902 suite à un différend avec le Venezuela. De nos jours, l’envoi d’une lettre à Caracas suffit – une invitation à se rendre à Washington, au siège de la Banque mondiale, pour une audience.

  • Des firmes qui deviennent soudainement « néerlandaises »

    Retour au Venezuela. Le premier courrier n’a pas entraîné de problème insurmontable pour Bernard Mommer, le vice-ministre du Pétrole. L’entreprise Eni était prête à retirer sa plainte contre quelques centaines de millions de dollars et une nouvelle concession. Mais il allait bientôt recevoir deux lettres similaires, adressées cette fois par deux compagnies pétrolières américaines, ConocoPhillips et Mobil. Celles-ci ne voulaient pas entendre parler de règlement à l’amiable. Et elles réclamaient 42 milliards de dollars ! Et, comme par hasard, ces deux géants texans étaient récemment devenus, aux aussi, des firmes « néerlandaises ».

    À la base, Mommer est un mathématicien allemand, arrivé au sein de la compagnie pétrolière publique du Venezuela PvdSA en raison de sa familiarité avec les contrats pétroliers, avant de devenir vice-ministre en 2005. Il a ensuite occupé, à Vienne, le poste de gouverneur de l’Opep, pour le Venezuela. Il est désormais à la retraite. Mais il lui reste une responsabilité : son implication dans les procédures d’arbitrage. « C’est moi qui étais responsable de ces contrats, nous a-t-il expliqué au cours d’un long entretien. Je suis donc le témoin principal pour toutes les plaintes contre le Venezuela dans le domaine pétrolier. »

    A l’époque du président Chavez, le gouvernement, qui souhaitait se réserver une proportion plus importante des profits générés par le pétrole, a décidé en 2006 de renégocier toutes les concessions. Le Venezuela voulait la moitié des parts de tous les projets ; l’impôt sur les revenus pétroliers a été augmenté, et une nouvelle taxe sur les royalties a été introduite. Mommer était le principal négociateur pour le compte du gouvernement.

  • Rembourser les profits avant même qu’ils soient réalisés

    Lorsque vous expropriez un projet, il faut payer. Mommer le savait bien : « Nous ne l’avons jamais contesté. Nous avons trouvé un accord avec 39 des 41 entreprises, y compris Eni. Mais pas avec Mobil, qui a depuis fusionné avec Exxon. Ni avec ConocoPhillips. Ces firmes étaient engagées dans une stratégie de long terme visant à réduire progressivement leur contribution fiscale à zéro. Ce à quoi nous avons fait obstacle. Lorsqu’elles ont refusé de négocier, nous les avons expropriées. » Les deux firmes répondirent en déposant une série de plaintes auprès du Cirdi et de la Chambre de commerce internationale, à Paris. Avec pour exigence le remboursement de tous les profits qu’elles avaient manqués.

    L’enjeu est énorme. Le cours du pétrole était à l’époque au beau milieu d’une hausse historique, passant de 40 dollars le baril en 2004 à un pic à 150 dollars en 2008. Le Venezuela souhaite dédommager les entreprises sur la base du prix qui était celui du pétrole au moment des négociations. Mais au cas où l’expropriation serait jugée illégitime, les deux géants pétroliers estiment qu’ils devraient être remboursés sur la base du cours de 2008. La différence se chiffre en milliards de dollars.

    « Ces entreprises en avaient assez du Venezuela, depuis longtemps déjà, explique Juan Carlos Boue, chercheur vénézuélien basé à l’Institut de l’énergie d’Oxford. Mais elles ont décidé de rentrer chez elles avec autant d’argent que possible. C’est particulièrement le cas pour ExxonMobil. Ces entreprises veulent faire savoir au monde entier qu’elles disposent de ressources illimitées pour s’engager dans des contentieux juridiques, afin de décourager les gouvernements qui voudraient les défier. »

    Suite de l’enquête, le 16 mars.

    Frank Mulder, Eva Schram and Adriana Homolova
    Traduction de l’anglais : Olivier Petitjean

     

  • À propos de cet article

    Cette enquête a été publiée initialement en néerlandais par les magazines De Groene Amsterdammer et Oneworld. Elle est publiée en exclusivité en français par Basta ! et en allemand par le Spiegel online.

    Voir aussi, des mêmes auteurs, cet autre article traduit par l’Observatoire des multinationales : « Pétrole ougandais : Total cherche à échapper à l’impôt grâce à un traité de libre-échange ».

     

  • Le texte ci-dessous présente la recherche qui sous-tend l’enquête :

    Les critiques du TAFTA, le traité de commerce en discussion entre l’Union européenne et les États-Unis, ont pour cible prioritaire les mécanismes de résolution des litiges État-investisseurs, ou ISDS (pour Investor-State Dispute Settlement, en anglais). Il s’agit d’un mécanisme grâce auquel les investisseurs peuvent poursuivre un État s’ils estiment avoir été traités de manière inéquitable. Selon ces critiques, les multinationales se voient ainsi donner le pouvoir sans précédent d’échapper aux lois, à travers une sorte de système de justice privatisée contre lequel aucun appel n’est possible.

    En réalité, l’ISDS n’est pas un phénomène si nouveau. Les plaintes ne sont pas simplement déposées contre nous, pays européens ; au contraire, c’est plus souvent de nous qu’elles proviennent. En 2014, pas mois de 52 % de toutes les plaintes connues avaient pour origine l’Europe occidentale.

    Le nombre total de cas est impossible à connaître. Les données sont difficiles à obtenir. C’est pourquoi des journalistes de De Groene Amsterdammer et Oneworld ont entrepris quatre mois de recherches, avec le soutien d’EU Journalism Grants.

    Ce travail a notamment débouché sur une cartographie interactive unique en son genre de tous les cas d’ISDS, dont beaucoup n’ont jamais été cités dans la presse. Cartographie qui inclut, autant que possible, le nom des arbitres, les plaintes, les suites et, dans de nombreux cas, le résumé des différends. Pour la présente enquête, nous avons interrogé de nombreux arbitres, des avocats, des investisseurs, des chercheurs et des fonctionnaires, y compris des représentants de pays qui se sentent dupés par l’ISDS, comme le Venezuela, l’Afrique du Sud ou l’Indonésie.

    La cartographie et les articles qui l’accompagnent sont disponibles sur le site www.aboutisds.org. Ils ont été publiés initialement en néerlandais à l’adresse www.oneworld.nl/isds.

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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 16:35

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Ce que disent les insurgés du hashtag
14 mars 2016 | Par christian salmon
 
 
 

Le succès de la pétition « Loi Travail : non, merci ! » et l’explosion du hashtag #OnVautMieuxQueCa dépassent l’enjeu du débat sur la réforme du code du travail. Loin des conservatismes, les insurgés du hashtag éclairent une vérité masquée : le travail est une planète où l'on se fait trop souvent humilier.

« Un million de signatures sur Internet, une manifestation partie de la base, des mouvements citoyens qui se créent un peu partout… C'est multiple, multiforme, inclassable », analysait à chaud la députée écologiste Isabelle Attard, présente à la manifestation du 9 mars. Inclassable, insaisissable, débordant de toutes parts la routine des revendications catégorielles, les prévisions de la police et les évaluations blasées des JT au soir des manifestations, la marguerite de la protestation contre la loi sur le travail a fini par éclore au moment où l'on ne l’attendait plus, passé le dernier virage du quinquennat, dans ce suspens des agendas politiques qui précède sous la Ve République le lâcher des ambitions présidentielles.

Les états-majors politiques toujours prêts à parier sur la peur du chômage, la précarité des emplois, la division des syndicats pour gagner la paix civile, n’en sont pas revenus : c’était le premier mouvement social contre un gouvernement socialiste. Manuel Valls s’efforça comme à son habitude de refiler le mistigri de l’archaïsme aux opposants au projet de loi. Il décrivit le conflit, sans craindre la caricature, non pas comme une opposition entre deux conceptions du droit du travail, mais carrément comme un combat entre le XIXe et le XXIe siècles, ignorant qu’aucune loi globale du travail n’existait au XIXe siècle et que le droit du travail s’est constitué au fil des luttes du mouvement ouvrier pendant tout le XXe siècle, du Conseil national de la Résistance jusqu’à la loi sur les 35 heures.

 

Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi

 

Quant aux mutations du travail au XXIe siècle, le projet de loi n’en dit quasiment rien. Rien sur les nouvelles trajectoires du travail et de l’emploi à l’heure du numérique, rien sur la robotisation ou les dérives du statut d’auto-entrepreneur. Depuis janvier 2016, le gouvernement avait pourtant dans ses tiroirs un rapport du Conseil national du numérique sur les nouvelles trajectoires d’emploi ouvertes par la révolution du numérique.

Nicolas Colin, l’un des experts français de l’économie numérique, proche d’Emmanuel Macron, déplora dans un article que le projet de loi ne s’intéresse pas plus aux mutations du travail engendrées par la mondialisation, les logiciels, les robots, la commutation... et qu’il ne dise presque rien d’enjeux aussi importants que les nouvelles formes de travail non salarié, le marché immobilier, et le rôle des start-up dans la création de valeur. Cet expert concluait que loin d’ouvrir la voie à un code du travail du XXIe siècle, ce projet de loi s’inscrivait dans la logique d’un règlement de comptes imposé par le patronat et propre à la vieille économie fordiste (son article, en anglais : Behind French Labor Reform, A Clash of Modernizers).

  • Frank Underwood et le Baron noir

Incapable d’engager une réflexion sérieuse et un dialogue avec la société, le gouvernement a fait la preuve de son incapacité à faire vivre la démocratie à l'ère des réseaux sociaux. Bousculé par le succès de la pétition « Loi Travail : non, merci ! » et l’explosion virale du hashtag #OnVautMieuxQueCA, le service d'information du gouvernement (SIG) créa un compte Twitter pour défendre le projet de loi.

Son premier tweet rédigé dans le style des petites annonces des sites de rencontre, loin d’apaiser la colère des opposants à la loi, déchaîna les rires et les sarcasmes : « Bonjour Twitter, je suis le projet de #LoiTravail. On parle beaucoup de moi mais on me connaît mal. Et si on faisait connaissance? » « Sur ce compte, je vous dis tout ! », enchaînaient, aguicheurs, les community managers de Matignon là où il aurait été si simple d’ouvrir un espace de dialogue et d’écoute. C’était rajouter l’infantilisation à l’humiliation.

Pierre Gattaz, le président du Medef, se chargea d’achever la campagne de Matignon en se félicitant de la création de ce compte qui renvoyait vers le « vrai » projet de loi #AlireATêteReposée. C’est ce qu’on appelle en matière de performance numérique un « epic fail ! », un échec retentissant. Loin d’éclaircir les termes du débat, le gouvernement s’embourba dans des oxymorons dignes de Orwell, affirmant que faciliter les licenciements, c'était bon pour l'emploi.

À bout d’arguments, on envoya au charbon Malek Boutih, le Frank Underwood du valssisme, faire vertu de son cynisme et se vanter de ses états de service passés en matière de manipulation : « Je sais très bien comment des politiques peuvent essayer d’instrumentaliser la jeunesse pour des débats internes. » Les « barons noirs » du PS, habitués à tirer les marrons du feu de tous les mouvements de contestation depuis 1981, en furent pour leurs frais : cette fois, le mouvement leur échappait. Ils n’en comprenaient ni la croissance exponentielle, ni les formes d’expression, ni le ressort puissant qui crevait pourtant les écrans : la dignité !

Les experts se frottaient les yeux devant ce mouvement sans leader et sans précédent, né sur Internet d’une poignée de YouTubers et d’une énième pétition, autant dire de la dernière pluie. Mais voilà : plus d’un million de signatures en quelques jours pour la pétition « Loi Travail : non, merci ! », cela fait réfléchir. On s’en remit aux métaphores éculées, aux analogies historiques (le CPE), aux habituels calculs (le calendrier des vacances)… Mais le mal était fait.

« La révolte sur les réseaux sociaux a révélé la fragilité du pouvoir », affirme Elliot Lepers, le co-initiateur de la pétition « Loi Travail : non, merci ! » avec Caroline De Haas qui, elle, souligne le caractère irréversible de la rupture avec ce gouvernement : « Ils sont allés tellement loin dans le mépris qu’ils ont franchi le seuil de l’intolérable. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de toutes les frustrations accumulées depuis le pacte de responsabilité, la loi sur l’état d’urgence, la déchéance de nationalité. »

Loin du syndicalisme de revendication, une politique acoustique

Tout est parti d’une discussion entre YouTubers, partageant un souci commun de se réapproprier le débat politique, en s’efforçant de donner du sens, de contextualiser les débats d’actualité, d’ouvrir de nouveaux espaces de discussion. L’idée était de libérer la parole, de déborder le strict agenda politicien pour engager la conversation sur Internet. Il y a Usul, ex-chroniqueur de jeux vidéo qui offre des monographies de figures intellectuelles ou de concepts, Histony, qui propose des « réflexions critiques pour comprendre pourquoi l'histoire se raconte de la façon dont on la raconte ». Depuis octobre, « Le fil d’actu » s’est lancé dans un travail d’analyse de l’actualité ainsi que « Osons causer », la chaîne YouTube qui parle politique, sociologie, économie et philosophie (notre article ici).

« Le pari, c'est toujours de rendre contagieuse une conversation à travers des cercles concentriques », analyse Ludo, l’un des trois animateurs d’Osons causer. Au départ nous nous sommes rencontrés pour créer un espace de résonance entre nos différentes chaînes. La loi travail est arrivée dans cette discussion comme une invitation : une invitation à témoigner, à raconter, à débattre sur les conditions de travail. Au cours de la discussion, l’un d’entre nous qui était en train d’énumérer la longue liste des humiliations au travail, la précarité, le harcèlement, le burnout, les heures sup' non payées, les maladies professionnelles, les accidents du travail, a répété à deux ou trois reprises : “On vaut mieux que ça !”. »

« En bon lecteur de Lacan, explique Ludo, il m’a semblé que ce hashtag résonnait bien : qui est “on” ? Le “on” ouvre un horizon, c’est un espace ouvert de projection. Le “ça”, c’est l’univers des pulsions dans lequel la société veut nous maintenir et nous ramener. C’est un espace où l’on a peur du chômage, de la crise bien sûr, mais aussi de l’autre : le patron a peur du banquier qui doit lui faire crédit, le manager du patron, le chef d’équipe du contremaître, et le salarié du contremaître. C’est une pyramide de peurs et d’humiliations… »

 

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Le hashtag : #OnVautMieuxQueCA se classait dès le premier soir au vingtième rang au niveau mondial, du jamais vu pour un hashtag français. Loin d’assener des mots d’ordre à coups de mégaphone, il libérait la parole de milliers d’internautes, plus de 200 000 tweets échangés qui dressaient un tableau effarant de la souffrance au travail. Un cri du cœur qui s’est répandu comme un virus. Une parole multiforme, alternant textes, enregistrements audio et vidéo, mêlant récits de la vie au travail, manifestes, protestations, mais aussi espoirs, savoirs acquis au travail. Un montage rap oscillant entre ironie et colère, espoir et désirs, un cahier de doléances géant : cela déborda dans la rue le 9 mars par centaines de milliers de manifestants, au nez et à la barbe d’un état d’urgence soudain suspendu.

La boucle du soi-disant « virtuel » et du prétendu « réel » était bouclée, coupant l’herbe sous les pieds de la docte ignorance médiatique qui commençait déjà à s’éclaircir la voix en s’essayant à des distinguos entre le clic et le vote, le numérique et le réel, la spontanéité et l’organisation.

 

  • Le soulèvement de la vie

C’est à cette capacité de « débordement » (contrairement aux expressions toutes faites des médias sur les violences de fin de manifestation) qu’on mesure la richesse d’un mouvement social et pas seulement au nombre de ses manifestants. À sa capacité de surprendre, de sortir du lit des négociations salariales, de déborder le cadre institutionnel, réglementaire ou intellectuel dans lequel on a l’habitude de penser les luttes, les formes d’organisation.

L’histoire du mouvement social n’est rien d’autre que ce débordement, cet écartement, ce soulèvement de la vie par lequel une société se rend visible à elle-même, dialogue avec elle-même, sort de l’ombre et de la nuit une partie d’elle-même. C’est la différence entre des lobbies qui défendent des intérêts catégoriels et négocient dans l’ombre, de manière occulte, et un mouvement social qui rend visibles non seulement ses acteurs, mais leurs expériences concrètes, leurs formes de lutte et de vie. De la grève des mineurs de Clairvaux aux manifestations de Mai-68, des occupations d’usine de 1936 à celles des places publiques de Madrid, New York, Athènes… sans oublier le printemps arabe de 2011, c’est l’histoire des luttes et des formes d’organisation qu’elles engendrent.

Cette histoire, tout autant que l’histoire de l’art, retrace les transformations du rapport au temps et à l’espace induites par les révolutions industrielles, économiques, technologiques, écologiques, mais qui sont aussi des enjeux de lutte et d’appropriation. Marches. Sit-in. Occupations des terres, des usines, des places publiques. Occupation des lieux de vie et de travail. Contrôle et réappropriation du temps : débrayage, ralentissement des cadences, grève perlée ou totale. Défendre un autre rapport au temps et à l’espace, c’est le propre d’un mouvement social.

C’est en établissant les coordonnées spatio-temporelles du mode de production capitaliste au XIXe siècle – la manufacture et la journée de travail – que Marx peut tout à la fois mettre à jour la logique de l’accumulation capitaliste et délimiter l’enjeu et le champ des luttes à venir pour le salariat. Les syndicats se sont approprié les règles du nouveau salariat en imposant des règles de négociation collective, en formalisant le contrat de travail, en pesant de toutes leurs luttes sur la valeur de la force de travail. Marx avait compris que le salariat, qui ne représentait alors guère plus que 10 % des travailleurs, allait devenir la forme majoritaire de travail aux dépens de l’artisanat et de la paysannerie. Loin de prôner un retour en arrière, il s’appuyait sur ce mode de production pour dégager les enjeux de la lutte de ce nouveau salariat : le prix et les conditions de travail.

Depuis le début des années 1980, de nombreuses études ont analysé la crise des grandes organisations bureaucratiques et hiérarchisées et l’effondrement du modèle fordiste lié au capitalisme industriel de l’après-guerre, au profit d’un nouveau modèle d’entreprises décentralisées et flexibles, structurées en réseaux et centrées sur leur cœur de métier. Soit une organisation constituée d’agents autonomes, capables de prendre des décisions et de s’adapter à un environnement incertain. La nouvelle entreprise est souvent comparée à une agence de projets, à l’instar des productions d’Hollywood, impliquant un mode de coopération limité dans le temps et dans l’espace, marqué par la logique performative des coups (que le marketing appelle « expériences ») et qui exclut la série, le statut, la carrière.

Les mythes du néolibéralisme

L’explosion des nouvelles formes de travail indépendant, la précarisation des emplois, la robotisation et les nouvelles trajectoires du travail numérique ont détruit la communauté de travail. Elle entraîne des transformations du rapport au travail bien pires que le bouleversement qu’avait entraîné l’enrôlement de la paysannerie dans la manufacture au moment de la révolution industrielle. Les carrières qui se développaient dans la même entreprise vont disparaître : on parle désormais de « post-corporate career ».

Selon Richard Sennett, la culture du nouveau capitalisme avait besoin d’« un nouveau moi, axé sur le court terme, focalisé sur le potentiel, abandonnant l’expérience passée ». Quelles valeurs et quelles pratiques peuvent souder les gens, se demandait Richard Sennett, quand les institutions dans lesquelles ils vivent se fragmentent ? Comment gérer les relations à court terme tout en migrant sans cesse d’une tâche à l’autre ? Comment acquérir les nouvelles compétences ? Car la plupart des gens ne sont pas ainsi, soulignait Richard Sennett : « Ils s’enorgueillissent de bien faire quelque chose de précis, et ils prisent les expériences qu’ils ont vécues. » Et surtout : « Ils ont besoin d’un récit de vie durable. »

 

Proposition d'affiche sur le hashtag #OnVautMieuxQueCa Proposition d'affiche sur le hashtag #OnVautMieuxQueCa

 

La révolution néolibérale va sonner le glas de toutes les mobilisations, qu’elles soient protestataires ou au contraire productives. « L’appréhension professionnelle a tout envahi, écrivait en 1996 un collaborateur du New York Times. Elle dilue l’estime de soi, fait éclater les familles, fragmente les communautés et modifie la chimie des lieux de travail. »

Si le besoin d’un récit de vie durable ne peut plus être satisfait, cela appelle donc l’adhésion à des récits nouveaux, susceptibles d’héroïser un moi flexible, libéré du temps long, ouvert à toutes les métamorphoses. Ce que le sociologue Zygmunt Bauman thématisera en 2000 avec le concept de « modernité liquide » : la vertu ne pouvait « plus résider dans la conformité aux règles – qui de toutes façons sont rares et contradictoires –, mais dans la flexibilité : l’aptitude à changer rapidement de tactiques et de style, à abandonner sans regret ses engagements et ses loyautés, à profiter des occasions dans l’ordre de ses préférences personnelles ».

Le défi dès lors n’est plus de « rester soi-même » dans un environnement changeant, mais de changer sans cesse et de s’adapter aux circonstances fluctuantes de la vie. Une obligation susceptible d’être acceptée comme une nécessité économique à condition d’apparaître aussi comme un fait culturel, une nouvelle mode ou un roman.

« Tout ce que l’on peut savoir du capital humain, écrit le philosophe Michel Feher, c’est qu’il cherche à s’apprécier, de sorte que sa vie peut être envisagée comme une stratégie visant à l’appréciation de soi ; que chacune de ses conduites et chaque événement qui l’affecte, dans n’importe quel registre existentiel, sont susceptibles de l’amener à s’apprécier ou à se déprécier ; qu’il est donc possible d’agir sur lui en lui proposant des conduites valorisantes et des modèles d’estimation de soi capables de modifier ses priorités et d’infléchir ses choix stratégiques. La condition néolibérale définit chaque individu comme un stock de compétences innées et acquises, prodiguées et conquises, actuelles et potentielles ou, mieux encore, comme un stock de compétences soucieux de s’apprécier, ou si on préfère de conjurer sa dépréciation. »

Au même moment, L’Oréal invente le slogan « Parce que je le vaux bien » – « Because I'm worth it » – traduit dans plus de quarante langues et qui deviendra la devise du sujet néolibéral. En 1999, Malcolm Gladwell affirmait dans un article du New Yorker : «“Parce que je le vaux bien” a pris un sens qui va bien au-delà de l’intention initiale. » Qui est ce sujet en effet qui prétend juger de sa valeur ? S’autoévaluer ? S’apprécier ? La formule mérite d’être qualifiée de performative au sens des théoriciens des actes de langage dans la mesure où si j’affirme « Parce que je le vaux bien », c’est que j’estime que cette proposition sera accréditée, reconnue et partagée par d’autres que moi, c’est-à-dire que s'instaure un cercle vertueux où l’estime de soi, la confiance en soi, le crédit que je me fais, d’autres vont me l’accorder et augmenter ainsi mon crédit. 

À la même époque, les conseillers du New Labour appellent à la « régénération culturelle » : un langage imprégné de religiosité et inspiré par les discours de Tony Blair, pour qui « l’art et la culture sont une source de régénération morale et spirituelle et le moyen de créer de meilleurs citoyens ». Ce discours devint la nouvelle utopie sociale, une mythologie qui puisait ses héros et ses dieux parmi les figures médiatiques de la mode et du show business, dont le succès prouvait que l’on pouvait s’en tirer, même en temps de crise, à condition d’avoir du talent. Dans le nouvel imaginaire travailliste, la « factory » d’Andy Warhol éclipsait l’« usine » de Karl Marx.

Ce glissement symbolique et sémantique allait imprégner à la fois l’analyse économique de la nouvelle équipe travailliste et sa stratégie politique. Le gourou de Tony Blair, l’économiste Charles Leadbeater, affectionnait particulièrement les métaphores cinématographiques. Selon lui, la production des entreprises obéissait aux mêmes lois que la production cinématographique : beaucoup de scénarios sont écrits, mais quelques-uns seulement aboutissent à un film ; un phénomène décrit comme une « hollywoodisation » du marché du travail. En pleine crise de récession, il invitait les jeunes Britanniques à devenir des entrepreneurs culturels « résilients », considérant la perte d’un emploi comme l’échec d’un scénario et s’empressant d’en écrire un autre qui trouverait son producteur.

La planète du discrédit

C’est cette mythologie que mettent à mal la campagne des YouTubers et le mouvement social qui est en train d’émerger. C'est une logique non pas de contestation mais de renversement et de surenchère. Au slogan de la révolution néolibérale, “Parce que je le vaux bien”, ils retournent le compliment en clamant comme le fait toute valeur boursière qui se respecte sur le marché des cotations : on vaut mieux que ça.

Loin des habituelles revendications syndicales, les insurgés du hashtag ne demandent rien, ils ne s’indignent même pas comme les Indignados de la Puerta del sol, à Madrid, ils affirment au contraire leur dignité inflexible. Une butée opposée au culte néolibéral de la performance. La dissémination virale du hashtag #OnVautMieuxQueÇa n’est pas un brillant coup de com' mais le renversement d'une idole, la mise à nu d'un idéal type : le sujet néolibéral, liquide, flexible, transformable.

 

On vaut mieux que ça © On vaut mieux que ça !

 

Loin des conservatismes stigmatisés par la presse néolibérale, ils ne réclament même pas le maintien de prétendus « avantages acquis » mais dénoncent l’archaïsme des conditions de travail et l’exploitation caricaturale des petits boulots. « Leurs récits, écrit Martine Orange (son article est ici), témoignent d’un monde du travail en miettes, d’une jungle sans loi, où règne une violence inouïe. Ils racontent leur vie en forme d’impasse, les mois de chômage rythmés par les visites à Pôle emploi, briseur d’espoir et d’énergie, les galères où s’enchaînent stages, CDD, intérim. Même en 140 caractères, ils parviennent à témoigner d'une réalité d’angoisse, parfois de désespoir, de ségrégation, une violence au travail inouïe, dont nous, journalistes, n’avons pas su donner la mesure jusque-là. »

Ce qu’a en commun cette génération, c’est un terrible apprentissage : le travail est une planète où on se fait humilier. Ils n’expriment aucune nostalgie pour un âge d’or fordiste, des statuts et un salariat que, pour la plupart, ils n’ont connu que sous la forme de CDD. Ils prennent simplement au mot le mythe néolibéral de l’auto-entrepreneur flexible pour le ramener sur terre, dans les conditions concrètes du travail précaire, là où règnent non pas la flexibilité mais la rigidité des contraintes d’horaires, non pas la mobilité mais l’arraisonnement dans le temps et dans l’espace, l’assignation au travail de nuit, la servitude des emplois précaires, l’exploitation des heures supplémentaires non payées, bref une liberté qui n’est que précarité.

En 1977, l’écrivain américain Don DeLillo imaginait dans son roman Joueurs une entreprise qu’il baptisa Grief Management Council. Son objet ? Le management de la douleur. Chez Grief Management régnait la flexibilité : « Le nombre d’employés variait, parfois radicalement, d’un mois à l’autre. Tout paraissait d’autant plus flottant que l’espace de travail était sans cesse modifié. Des ouvriers fermaient des secteurs par des cloisons, en ouvraient d’autres, emportaient des classeurs métalliques, apportaient des sièges et des bureaux. On aurait dit qu’ils avaient reçu l’ordre de régler la quantité de mobilier sur le niveau de souffrance nationale. »

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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13 mars 2016 7 13 /03 /mars /2016 19:43

 

Source : http://www.humanite.fr

 

 

Médias. Petite orgie de canards entre milliardaires
pia de quatrebarbes
Jeudi, 10 Mars, 2016
Humanité Dimanche
AFP
 

En 2006, à la refondation de l’« HD », il y avait huit quotidiens nationaux. Vincent Bolloré lançait son gratuit, « Direct Matin », avec le groupe Le Monde. Depuis, « la Tribune » et « France Soir » ont disparu, un nouveau quotidien ultralibéral, « l’Opinion », a fait son apparition, « l’info » est continue sur les chaînes de la TNT, et les milliardaires croquent un à un les titres.

Le 8 mars, à l’Assemblée, une proposition de loi (PS) était examinée, pour « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Sauf qu’elle ne s’attaque pas au cœur du problème : la concentration croissante des entreprises de presse, la mainmise des puissances financières, ni ne s’interroge sur la manière de faire vivre le pluralisme. Quelques-unes de ces questions seront abordées lors de la deuxième journée de critique des médias d’ACRIMED le 12 mars, à Paris.

 

À qui appartient la presse ?

Le monde des affaires aime la presse. Tellement qu’il y lâche des millions. Les patrons du luxe, du bâtiment ou des télécoms jouent au Monopoly grandeur nature avec titres papier, numériques et chaînes de télé. « Sept milliardaires contrôlent aujourd’hui 95 % de la production journalistique en France », lâchait ainsi Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart et coauteur des « Nouvelles Censures ». Petite récapitulation des dernières acquisitions. Bernard Arnault, le PDG de l’empire LVMH et 2e fortune du pays, s’est offert en octobre « le Parisien »/« Aujourd’hui en France » pour 40 millions d’euros. Il avait déjà lâché « la Tribune » en 2007 pour récupérer « les Échos ». Ce proche de Sarkozy, dont la fille est la compagne de Xavier Niel, est aussi actionnaire de « l’Opinion ».

L’avionneur Serge Dassault, 3e fortune de France, vient de flanquer au « Figaro » CCM Benchmark Group (CommentÇaMarche.net, l’Internaute, le Journal du Net et le Journal des femmes) et ses 24 millions de visiteurs par mois. C’est désormais le premier groupe de médias numériques français. À la clé : une régie publicitaire qui touche « 80 % de la population ».

François Pinault, 4e fortune nationale, détient l’hebdomadaire « le Point ». Vincent Bolloré, 9e fortune et prêteur de yacht, a pris cet été la tête du groupe Vivendi, et ainsi de la filiale Canal Plus.

Parmi les nouveaux trublions : l’homme d’affaires franco-israélien Patrick Drahi, à la tête d’Altice (SFR, Numericable). Après avoir croqué « Libération » en 2014, il rachète tout ce qui est à vendre : L’Express-Roularta et ses 20 magazines (« l’Expansion », « l’Express », « Mieux Vivre votre argent », « Lire », « Point de vue »). La 6e fortune finalise le rachat de NextRadioTV (BFMTV, RMC et BFM Business).

Il faut encore compter le trio BNP pour Pierre Bergé, Xavier Niel, le patron de Free (7e fortune), et le banquier Matthieu Pigasse, qui ont racheté « le Monde » en 2010, récupérant au passage « Courrier international », « Télérama », « la Vie ». Dernière acquisition : le groupe Le Nouvel Obs.

 

Pourquoi cet appétit ?

Les patrons français y voient un instrument d’influence. « Dans les années 1920, quand l’industriel du Nord Jean Prouvost commence à racheter des titres, il cherche d’abord à défendre ses intérêts », rappelle l’historien Christian Delporte. Le premier Citizen Kane français se constituera un empire : « Marie Claire », « Paris Match », « le Figaro ». Il y a 30 ans, le degré de concentration était même plus grand : entre Hersant (« le Figaro », « France Soir », 30 % de la presse régionale) et Hachette Filipacchi (radios, télé, magazines).

Mais, depuis, la presse est en crise. Les journaux perdent de l’argent. Pourtant, ça n’affaiblit pas les appétits des milliardaires. « Des banques, qui ne sont pas philanthropes, sont au conseil d’administration de la presse quotidienne régionale, c’est unique au monde », poursuit l’historien. Le Crédit mutuel, via le groupe EBRA, détient « le Progrès », « le Dauphiné libéré », « l’Alsace » ou « l’Est républicain ».

La nouveauté, c’est l’irruption des groupes de télécoms. Ces opérateurs, qui contrôlent les canaux de diffusion, mettent le nez dans les contenus. « En économie, on parle d’offre groupée. Par exemple, avec Drahi, en s’abonnant à SFR, on obtiendra le contenu « Libération » », analyse Mathias Reymond, maître de conférences en économie et coanimateur d’ACRIMED. « Quand Drahi achète de la presse, c’est pour que ses autres activités en bénéficient », continue Jean-François Téaldi, journaliste syndicaliste et membre du Conseil national du PCF chargé des médias.

Quelle information ?

Le chiffre d’affaires de ces groupes, BTP comme de télécoms, dépend directement des commandes de l’État. « On imagine bien que ça a des conséquences quand un élu accorde un marché public à un industriel qui par ailleurs a un média », décrypte Mathias Reymond.

C’est ce qu’il se passe à Canal Plus. Avec Vincent Bolloré, c’est presque salutaire, la censure se montre. Un coup de fil a suffi pour jeter un documentaire sur le Crédit mutuel et la fraude fiscale. Michel Lucas, le PDG de la banque, est un proche. Au magazine « Spécial Investigation », 7 sujets sur 11 ont été rejetés : sur Volkswagen comme sur le gouvernement. « François Homeland, le président des guerres » est passé à la trappe.

« C’est quoi l’indépendance en matière de presse ? Du pipeau », lâche Arnaud Lagardère, héritier et 105e fortune de France. C’est donc du « pipeau » à « Paris Match », « le Journal du dimanche » et Europe 1.

D’autres, comme Drahi, ont fait leur beurre dans les télécoms par des tarifs agressifs et une réduction des coûts. À « Libération » et « l’Express », il s’est « séparé » de 100 et 150 salariés. Ça pèse forcément sur la qualité de l’information. Le risque d’autocensure n’est jamais très loin non plus.

Comment en sortir ?

Le Conseil national de la Résistance voulait une presse « indépendante à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ». On en est loin. La loi Bloche, examinée le 8 mars à l’Assemblée, n’impose aucune mesure pour freiner la concentration. Pour Jean-François Téaldi, il faut déjà interdire à tout groupe qui vit des commandes de l’État de posséder un média.

Elle veut aussi élargir les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui devra « garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ». Sauf que c’est ce même CSA qui s’émeut à peine des censures de Bolloré et dont les membres sont nommés par le pouvoir politique.

Seul point positif : la députée (PCF) Marie-George Buffet a fait voter à l’unanimité en commission un amendement sur la protection des sources des journalistes. En février 2013, elle avait déposé une proposition de loi pour défendre le pluralisme. Elle voulait des « aides à la presse », qui ciblent prioritairement la presse citoyenne et pluraliste. « Télé Loisirs » a touché 4,5 millions d’euros en 2013, « Closer », 550 000 euros et « le Monde diplomatique » 188 339 euros.

 

 

Source : http://www.humanite.fr

 

 

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          Depuis le 26 Mai 2011,

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                 tous les soirs

      devant la maison carrée

 

       A partir du 16 Juillet 2014

            et pendant l'été

                     RV

       chaque mercredi à 18h

                et samedi à 13h

    sur le terrain de Caveirac

                Rejoignez-nous  

et venez partager ce lieu avec nous !



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