CE N’EST QU’UN DÉBUT, POUTOU À BORDEAUX, LORDON À PARISAbonnés
Le
Trente ans de mondialisation néolibérale, de domination des actionnaires, de chômage de masse, de précarité, d’inégalités délirantes, de médiocrité culturelle générale, d’entourloupes médiatiques, de trahisons politiques. On a compris. Plus besoin de jouer l’indignation ou de tapoter des pétitions ou de chanter la compassion du cœur.
On le sait, d’abord parce qu’on le vit, chômeurs, précaires, étudiants, sans-papiers, sans-logement, sans-boulot, sans-droits, sans défense, le temps des arrangements est terminé. La « Loi El Khomri » est la provocation de trop. On s’en fout de la loi Khomri. On a compris. On le dit. On le crie. On le rit. On le rêve.
Oui, RÊVE GÉNÉRAL ! Oui, le RÉVEIL DU RÊVE A SONNÉ ! Oui, maintenant à nouveau, c’est notre utopie contre la leur. Notre vieille utopie, face contre face, classe contre classe ! Ces mots sont violents ? Regardez : gazer, matraquer, réprimer, c’est la seule réponse à une jeunesse qui demande la séparation du Medef et de l’État. Ils ont la force, la presse et l’argent. Ils ont le cynisme le plus glacé. Nous avons le reste, c’est-à-dire la vie, c’est-à-dire tout. Soyons tout !
Regardez, déjà en quelques semaines le Front National est marginalisé, complètement hors-jeu, la baudruche se dégonfle, Dracula perd son dentier. Les jours qui viennent nous diront si c’est un petit flirt de printemps avec l’Histoire ou bien si c’est une page nouvelle que nous écrivons. Qui le savait en mars 68 ? Qui le savait en novembre 95 ? On peut prendre d’autres dates dans notre Histoire. Il ne faut pas manquer ces moments-là. Au moins pour ne pas vivre la honte de ne pas avoir essayé. Oui, on a raison de se révolter. Toujours.
06. Didier PORTE nous fâche avec De Villiers [06’55]
Eduardo GALEANO, mai 2011, plaça de Catalunuya, Barcelone
En 1971, Eduardo GALEANO publie Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, un essai majeur pour comprendre comment l’Amérique latine a été pillée et exploitée par les puissance étrangères depuis la colonisation espagnole. À Là-bas nous n’avons jamais pu le rencontrer, même en mai 2011 à Barcelone, où il rendait visite aux indignados Plaça de Catalunya. Antoine CHAO y était aussi, avec Daniel MERMET, et a traduit un entretien donné par Eduardo GALEANO à l’Acampada de Barcelone :
Après douze jours passés seul en zone d'attente, l'enfant comorien de huit ans enfermé près de l'aéroport de Roissy a été libéré vendredi 1er avril. Il ne doit sa présence en France qu'à un commandant de bord qui a refusé de l'embarquer sur son avion ce matin.
L’enfant comorien de huit ans qui était enfermé seul depuis douze jours en zone d’attente à côté de l’aéroport de Roissy a été libéré ce vendredi 1er avril sur ordre du juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de Bobigny. La matinée n’a été pour lui qu’une suite de revirements puisqu’il a failli être reconduit dans son pays d’origine aux aurores. Ibrahim Mohamed ne doit sa présence sur le sol français qu’au commandant de bord qui a refusé de le laisser monter dans l’avion.
La coordinatrice générale de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Laure Blondel, qui intervient en zone d’attente, raconte les péripéties rocambolesques vécues par cet enfant. « Nous avons appris au moment de l’audience, prévue aujourd’hui à 11 heures, qu’il avait été présenté par la police aux frontières à l’embarquement d’un vol pour les Comores, alors même que la PAF [police de l'air et des frontières] nous avait assurés qu’il ne serait pas renvoyé avant l’audience du JLD. »« Le commandant ayant refusé de l’emmener, les policiers l’ont conduit au tribunal. L’audience s’est déroulée à huis clos », poursuit-elle.
Le juge, rapporte Laure Blondel, a libéré le mineur en raison de l’absence de garanties de prise en charge en cas d’expulsion aux Comores. La mère d’Ibrahim a donc été entendue. Cette femme justifie en effet l’envoi de son fils chez sa tante, résidant en Île-de-France, par le fait qu’elle-même n’a plus les moyens de subvenir à ses besoins. Le juge a ainsi estimé indu son maintien en rétention. Le procureur a, dans la foulée, décidé de placer l'enfant auprès de ses proches avec lesquels il est reparti du TGI.
Le juge, lors de l'audience, a expliqué sa décision de libération par l’absence de doutes sur les liens de parenté entre Ibrahim et sa tante, qui est venue l'attendre à l'aéroport et lui a rendu visite le temps de sa détention. Doutes qui, selon lui, existaient lors de la première audience du JLD, organisée quatre jours après le début de l'enfermement, et qui justifiaient à ce moment-là, d’après lui, sa privation de liberté.
L’enfant est arrivé en France le 21 mars, avec un document de voyage ne lui appartenant pas. Aussitôt repéré par les services de police, il a été placé en zone d’attente. Selon laConvention internationale des droits de l’enfant, pourtant, les mesures de rétention de mineur non accompagné sont proscrites, sauf, en dernier ressort, si elles sont de nature à le protéger d'un danger. Dans tous les cas, son « intérêt supérieur » doit être recherché.
À la veille du week-end de Pâques, et ses trois jours fériés d’affilée, avocats et militants associatifs ont tiré la sonnette d'alarme. Outre le ministère de l’intérieur, le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont été saisis. Mais l’enfant ne doit finalement sa libération qu’au commandant de bord, et au juge.
*Note perso: Bercy qui invite à hacker...(au service du peuple ?!..Au leur avant tout !) utilisez votre bon sens et votre libre arbitre pour vous faire votre opinion
Bercy a ouvert le capot de son calculateur d’impôt sur le revenu, et propose aux codeurs de s’en servir jusqu’à samedi soir. Revenu universel, optimisateur fiscal... les bidouilleurs ne manquent pas d’envies.
« Ce n’est pas un poisson d’avril, vous avez face à vous trois ministres venus célébrer l’ouverture d’un code source », lance Axelle Lemaire : la secrétaire d’Etat au Numérique est venue ce vendredi avec Michel Sapin et Christian Eckert, le ministre des Finances et le secrétaire d’Etat au Budget, saluer ceux qui vont bidouiller le logiciel de calcul de l’impôt sur le revenu.
Il faut dire que l’événement est rare : Bercy a ouvert le code d’OpenFisca, le simulateur qui sert aux particuliers à calculer le montant de leur impôt.
Etalab, le labo gouvernemental de l’ouverture des données publiques, propose aux codeurs d’améliorer ou d’employer le logiciel à de nouveaux usages, tout ça en deux jours ; remise des copies ce samedi à 17 heures (on peut suivre en partie les travaux sur un forumet via Twitter).
Sous les lambris de Mozilla
Ce hackathon, baptisé du doux nom de #CodeImpot, se déroule chez Mozilla (qui édite le navigateur web Firefox), boulevard Montmartre à Paris, dans un somptueux ancien hôtel particulier XVIIIe.
Hackathon #CodeImpot à la fondation Mozilla, vendredi 1er avril 2016 - T. Noisette/Rue89
Dans la grande salle, on distingue tout de suite les hommes de Bercy : veste sombre, chemise claire et cravate, ils tranchent sur le style informel des autres participants.
Mais jeans ou costume cravate, tous viennent s’échiner sur le même logiciel. Quiconque a transpiré sur sa déclaration le sait trop bien : c’est vite ardu.
A un des ateliers, ce vendredi matin on dessine des courbes, et ça débat ferme sur le choix à faire : les participants veulent créer « quelque chose de pédagogique ».
« Très portés sur l’open source »
Constance, une start-uppeuse (spécialisée dans l’évaluation de politique publique), explique le débat :
« On a le choix entre proposer un service ou une appli pour mieux faire comprendre l’impôt, en comparant votre situation actuelle et ce qu’elle serait autrement, selon que vous avez tel ou tel abattement.
Ou faire une courbe qui visualise les différentes tranches, pour montrer que changer de tranche ce n’est pas si brutal que les gens l’imaginent.
Ou se situer par rapport aux autres contribuables – est-ce que je suis dans les 10 %, les 20 %, qui paient le plus ou le moins ? »
Codeur sachant coder : au hackathon #CodeImpot - T. Noisette/Rue89
Pour Constance, qui a déjà participé à ce genre d’exercice, la discussion initiale « c’est important, parce qu’on se retrouve souvent à court de temps et on arrive au bout du hackathon sans avoir achevé son projet ».
Alexandre et Clément, développeurs « tous les deux très portés sur l’open source », viennent parce que « les impôts, c’est un domaine où on ne connaît pas grand chose, alors on trouve intéressant de l’aborder sous l’angle informatique ; faire de la pédagogie sur des chiffres qui paraissent compliqués, ça peut permettre au citoyen moyen de s’en emparer. »
L’optimisation fiscale, « tout le monde y gagne »
A une table voisine, on phosphore sur le revenu universel – thème proposé par Jean-Eric, qui rédige une thèse sur ce sujet très en vogue: « On aimerait montrer ce que donnerait une réforme créant le revenu universel, et son effet redistributif : qui perdrait et qui gagnerait, selon sa situation de famille, ses revenus... »
Hackathon #CodeImpot à la fondation Mozilla, vendredi 1er avril 2016 - T. Noisette/Rue89
A un autre atelier, Yann et huit autres développeurs planchent sur « du crowdcomparing, autrement dit une mise en commun de la situation fiscale des gens, qui permettrait de comparer sa situation à celle des autres et de faire de l’optimisation ».
De l’évasion fiscale ? Non non, rassure Yann, directeur technique dans une grande société de services informatiques, Sopra Steria : « Rien à voir avec de l’évasion fiscale, il s’agit de mieux comprendre pour mieux gérer. Par exemple si j’emploie une nounou et que je la déclare, je paie moins d’impôt et elle n’est pas au noir, tout le monde y gagne. »
« Respirer le grand air »
Yann est venu avec trois collègues. Qu’est-ce qui incite ces développeurs à venir turbiner deux jours sur un logiciel fiscal ? « Aller respirer le grand air, sortir des projets... »
A la même table, Théo et Tiphaine sont deux étudiants développeurs, apprentis en alternance à la DGFIP. Ils ne paient pas encore d’impôt, mais « ça va finir par nous arriver, et on est surtout là pour découvrir. »
Autre profil, Benjamin Jean, fondateur du cabinet inno3, est un spécialiste connu de l’open source et de l’open data. Mais il est venu à #CodeImpot « d’abord comme citoyen » : « Je trouve que c’est une démarche intéressante et inhabituelle de l’Etat, qu’il faut soutenir. »
Axelle Lemaire, Michel Sapin et Christian Eckert, au hackathon #CodeImpot - T. Noisette/Rue89
Démarche laborieuse
La démarche n’est en effet pas dans les habitudes de l’administration. Dans leurs discours, le ministre des Finances et la secrétaire d’Etat au Numérique ont tous deux cité l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme.
Mais ils n’ont pas mis tout à fait l’accent sur les mêmes points : Michel Sapin a parlé de confiance en assurant que « la transparence est nécessaire pour renforcer la confiance dans l’impôt » ; Axelle Lemaire a insisté sur trois mots, « par eux-mêmes » dans « les citoyens ont le droit de vérifier par eux-mêmes ».
Derrière ces discours, l’administration rechigne parfois à ouvrir ses logiciels et ses données. Un stagiaire... d’Etalab a mis un an et huit mois, via les tribunaux, pour obtenir le code sourceauquel il demandait l’accès. Justement celui du simulateur dont trois ministres viennent de fêter l’ouverture.
*Note perso: Bercy qui invite à hacker...(au service du peuple ?!..Au leur avant tout !) utilisez votre bon sens et votre libre arbitre pour vous faire votre opinion
Construit en 1976, le Khalifa International Stadium, haut lieu sportif du Qatar, est en cours de rénovation pour doubler sa capacité et accueillir les 40 000 spectateurs qui voudront assister aux matches de la Coupe du monde de foot de 2022. Une toiture semi-ouverte a été savamment étudiée pour abriter tout ce beau monde de l’écrasant soleil de la péninsule arabique. « Des technologies de refroidissement révolutionnaires sont en cours d’installation, afin d’assurer une température fraîche et agréable pour les spectateurs et des conditions idéales pour les joueurs et les arbitres », souligne le Comité suprème, instance responsable de l’organisation de la Coupe du monde de 2022 et de la rénovation du stade.
Les travailleurs qui coulent le béton, montent les tribunes et peaufinent l’installation de ce stade tout confort ne bénéficient malheureusement pas de telles attentions. « Ici, je vis comme si j’étais en prison, rapporte Deepak, ouvrier métallurgiste venu du Népal. On a travaillé de nombreuses heures sous un soleil de plomb. La première fois que je me suis plaint au sujet de ma situation, peu après mon arrivée au Qatar, le chef m’a dit "si tu veux te plaindre, tu peux, mais cela aura des conséquences. Si tu veux rester au Qatar, reste tranquille et continue de travailler". »
La Coupe du monde de la honte ?
Plusieurs dizaines de collègues de Deepak ont raconté à des enquêteurs d’Amnesty international les conditions terribles dans lesquelles ils vivent et travaillent : après avoir versé des sommes considérables à des recruteurs dans leur pays d’origine – Bangladesh, Inde et Népal principalement – pour obtenir un emploi au Qatar, les travailleurs découvrent des conditions de travail apocalyptiques, et extrêmement dangereuses, sans être nécessairement payés. Ils s’entassent dans des logements sordides, et se voient parfois confisquer leurs passeports, ce qui leur interdit toute sortie du territoire [1].
Ceux qui osent prendre la parole pour réclamer que leurs droits soient respectés reçoivent des menaces. Quand Nabeel, ouvrier métallurgiste venu d’Inde qui a œuvré sur le chantier de rénovation du stade Khalifa, s’est plaint de ne pas avoir été payé pendant plusieurs mois, son employeur l’a insulté et lui a dit que s’il se plaignait de nouveau, il ne pourrait jamais quitter le pays. « Depuis, je fais attention à ne pas me plaindre au sujet de mon salaire ou de quoi que ce soit d’autre, dit-il. Bien sûr, si c’était possible je changerais de travail et je partirais du Qatar. »
Ces violations et abus sont dénoncés depuis quatre ans par plusieurs organisations internationales et syndicats. Mais la situation n’évolue pas. Selon Amnesty international, la fédération internationale du football (FIFA), principal commanditaire des installations construites en ce moment, tarde à y remédier. « Après avoir fait des promesses durant cinq ans, la FIFA a en grande partie manqué à son devoir d’empêcher que la Coupe du monde ne soit bâtie sur un socle d’atteintes aux droits humains », déclare Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.
Responsabiliser les entreprises et les sponsors
« Très concernée » par la question du respect des droits humains des travailleurs, la Fifa a répondu à Amnesty international « avoir bâti depuis cinq ans, au Qatar, une solide relation de travail avec le Comité suprême ». Ce comité a publié en 2014 des « normes de bien-être des travailleurs », qui obligent les entreprises intervenant sur les chantiers de la Coupe du monde à accorder aux travailleurs de meilleures conditions de travail que celles prévues par la législation du Qatar. Problème, selon Amnesty international : le comité s’adresse en priorité aux principaux contractants pour faire appliquer ces standards. Or, de multiples sous-traitants opèrent sur les chantiers. « Par ailleurs, l’application de ces normes repose trop sur les audits réalisés par les entreprises elles-mêmes, ce qui ouvre la porte à des dissimulations », regrette l’ONG.
« Les sponsors de la FIFA, tels qu’Adidas, Coca-Cola et McDonald’s doivent faire pression sur elle et s’occuper de la question des conditions de travail des travailleurs migrants au Qatar », estime par ailleurs Amnesty international. Autres acteurs mis en cause : les entreprises qui opèrent sur la construction du stade Khalifa. « Midmac-Six Construct, dont l’une des sociétés mères est belge, est l’opérateur principal sur le complexe sportif où se situe le stade Khalifa. Ce groupe sous-traite des opérations à d’autres entreprises. Les abus identifiés dans ce rapport ont notamment eu lieu chez des fournisseurs indirects de cette entreprise. »
« Certains des abus ont été corrigés depuis que nous avons alerté les entreprises », relève Amnesty international. Et pour les ouvriers qui se sont entretenus avec l’ONG entre février et mai 2015, la situation s’est améliorée : certains ont été relogés dans de meilleures conditions et ont retrouvé leur passeport. Mais d’autres abus n’ont pas été réglés. « Certaines des plus grandes stars du football mondial joueront probablement bientôt dans des stades construits par des migrants exploités, remarque Salil Shetty. Il est temps que les dirigeants du football dénoncent à voix haute ces abus s’ils ne veulent pas être salis indirectement ». D’autant que les délais se rapprochant, la pression va augmenter, de même que le nombre de travailleurs migrants.
Il était 5h00 à Paris ce vendredi 1er avril quand les derniers manifestants ont quitté la place de la République, évacués par les forces de l’ordre. Occupée toute la nuit à l’appel du collectif Convergence des luttes, la place de la République pourrait être à nouveau investie ce vendredi soir pour une « Nuit debout », inspirée du mouvement des Indignés en Espagne ou du mouvement Occupy aux États-Unis. « Ce qui nous unit, c’est qu’on en a marre de ce système, explique un manifestant à l’hebdomadaire Politis.Nous en avons marre des patrons qui nous exploitent, du système bancaire qui nous saigne jusqu’à la moelle et de ce système qui détruit notre environnement. »
Qu’ils aient veillé ou pas, les manifestants ont défilé partout en France ce jeudi 31 mars malgré la pluie et le froid à de nombreux endroits. Selon les organisateurs, ils étaient plus d’un million, dont 200 000 jeunes dans 250 villes, avec plusieurs milliers d’arrêts de travail, à l’appel de sept syndicats salariés et étudiants (CGT, FO, Solidaires, FSU, Unef, FIDL, UNL). Les autorités en ont décomptés moitié moins (environ 400 000). Plus de 200 lycées étaient bloqués selon les syndicats, ainsi que plusieurs universités.
Des habitants des bassins miniers du Pas-de-Calais, aux travailleurs du BTP en passant par du personnel encadrant les jeunes handicapés, des artistes ou des agronomes : des centaines de métiers étaient représentés. Dans le défilé rennais, une croix blanche barrait le dos ou le bras de manifestants, symbole du mépris que représente selon eux la loi El Khomri. « Non au retour à Germinal, oui à la grève générale », lisait-on sur plusieurs panneaux. « On ne veut pas se lever le matin en se demandant si on ne va pas se faire virer simplement parce qu’on n’est pas d’accord avec notre patron », lance une jeune lycéenne. « Nous sommes là pour eux, pour nos jeunes », dit Roseline, la soixantaine, indignée par le monde du travail que l’on promet aux générations futures.
Une loi « nécessaire et juste » selon le gouvernement
De nombreux retraités étaient eux aussi présents en solidarité. Dans le cortège parisien, des métallos défilaient en soutien aux salariés de Goodyear, récemment condamnés à des peines de prison pour avoir séquestré leur patron. Également visés par la colère des manifestants : les syndicats présentés comme « réformistes », qui s’accommodent du texte de loi proposé par le gouvernement. « Quand le Parti socialiste rétablira l’esclavage, la CFDT négociera le poids des chaînes », ironise une pancarte de la manifestation rennaise.
Des heurts et violences ont éclaté dans divers endroits, comme Paris, Nantes, Toulouse et Grenoble. À Rennes, les odeurs de lacrymos ont envahi la ville jusqu’au milieu de l’après-midi. Une partie des manifestants souhaitait rallier la place du Parlement, située en plein centre ville. Les forces de l’ordre les en ont empêchés. Après cinq heures d’affrontement, douze personnes ont été interpellées. Plusieurs journalistes ont été victimes de violences, à tel point que Xavier de Bontride, co-président du club de la presse de Bretagne, a publié un communiqué en milieu de journée pour dénoncer ces abus. « Suite aux récentes manifestations, plusieurs confrères font état de violences policières envers des journalistes. Semblent particulièrement visés les journalistes pigistes sans carte de presse qui font souvent l’objet de contrôles d’identité parfois musclés. La violence gratuite constatée à plusieurs reprises sur des journalistes en marge des manifestations notamment à Rennes est inacceptable et doit être fermement condamnée. »
L’ampleur de la mobilisation n’a pas fait ciller le gouvernement. La ministre du travail a déclaré qu’il était « légitime » que des organisations syndicales utilisent le droit de grève et le droit de manifester. Elle a estimé qu’il était également légitime que la jeunesse « fasse part de son exaspération ». Mais sa loi est « nécessaire et juste », estime-t-elle... Les confédérations syndicales CGT, FO, Solidaires et FSU, ainsi que les organisations étudiantes et lycéennes Unef, FIDL et UNL ont déjà appelé à « amplifier l’action », mardi 5 avril puis samedi 9 avril. Objectif : élargir la mobilisation aux salariés qui n’osent pas débrayer en semaine. Le printemps ne fait que commencer.
Hier soir place de la République, ils étaient des centaines, jeunes et moins jeunes, pour un rassemblement ludique et studieux à la fois. L’évacuation du site par la police au petit matin ne leur a pas coupé l’envie : un nouveau rendez-vous est donné ce soir à 18 heures.
Et la pluie s’arrêta. Après unejournée de défilé parisien sous des trombes d’eau mais fort d'une grosse mobilisation, les quelques courageux qui étaient allés directement au rendez-vous place de la République, pour une première « Nuit Debout », ont finalement été récompensés. D’une petite centaine à 18 heures jeudi soir, la foule a vite grossi, pour atteindre un bon millier – peut-être plus – quelques heures plus tard alors que la pluie avait cessé.
L’idée a germé lors d’une petite réunion le 23 février dernier, autour de journalistes de Fakir, de membres du collectif Les Engraineurs, ou encore du DAL. Une AG de recrutement s’est tenue le 14 mars, soit 5 jours après la première grosse manifestation du 9. Des 200 personnes qui avaient fait le déplacement, une grosse centaine s’est portée volontaire pour organiser ce qui allait devenir la « Nuit Debout » : commission médias, commission matériel, commission communication, etc. Outre Paris, l’événement est prévu également dans certaines villes de province comme Lyon, Caen, Nantes, etc. (voir ici la liste complète où des événements étaient prévus).
Ce jeudi soir à Paris, les commissions semblent avoir fonctionné : une grande bâche est installée pour accueillir une AG permanente à l’abri de la pluie, un camion est équipé pour donner des concerts, un écran géant pour diffuser Merci Patron, le documentaire de François Ruffin, lui-même journaliste à Fakir (nous y reviendrons). Une tente est estampillée « Infirmerie », entourée d’un côté d’une tente du DAL et de l’autre d’une bâche « Paris 8 ». Les organisateurs ont obtenu de la préfecture la possibilité de rester trois jours sur place – ce qui n’a pas empêché la police de procéder à l’évacuation, dans le calme, des lieux vers 5 heures vendredi matin. Un nouveau rendez-vous est d’ores et déjà fixé pour ce soir 18 heures.
Les premières heures de cette « Nuit Debout » sont consacrées à peaufiner l’organisation. Chacun peut prendre le micro et parler deux minutes. Comme c’était le cas lors du mouvement des Indignados espagnols ou du Occupy Wall Street américain, on évite d’applaudir, préférant agiter la main en l’air. « Comment rester ici pendant trois jours et pour y faire quoi ? », interroge un orateur. « Il faut créer des commissions sanitaires, nourriture, etc. », dit un autre. « Il faut que les femmes soient représentées, et déjà qu’elles puissent parler comme les hommes », lance une jeune femme.
La place se remplit peu à peu, des gens se massent devant le concert en cours. Bientôt interrompu par un discours de l’économiste Frédéric Lordon (filmé par un collègue de Politis et à retrouver intégralement ici). Une courte allocution, parce que, comme il le dit, « il y a des AG, y a des concerts, toutes ces choses se suffisent à elles-mêmes et n’ont besoin de rien d’autre ». « Mine de rien, il est possible que l’on soit en train de faire quelque chose (…) aujourd’hui nous changeons les règles du jeu », ajoute-t-il devant un public conquis. Lordon se félicite de l’émergence d’un « désir politique qui pose et qui affirme ». « Ceux dont on attendait qu’ils revendiquent sagement ne veulent plus revendiquer, ceux qui étaient séparés se réunissent. » De fait, l’économiste semble avoir consacré ces trois derniers jours à réfléchir au moment en cours. Il était déjà intervenu la veille, le 30 mars, à l’AG de Tolbiac (voir la vidéo ci-dessous) et avait écrit un long texte sur son blog du Monde diplo (à lire ici). On l’apercevra quelques minutes plus tard sautillant sur la musique du prochain concert.
Vers 21 heures, la foule grossit encore. Beaucoup de jeunes mais aussi de moins jeunes. Souvent repassés par chez eux pour changer leurs vêtements détrempés par la manifestation sous la pluie de l’après-midi. Samy est là avec un groupe d’amis. Casquette, sweat à capuche, de la bière plein les yeux, il roule une cigarette en lançant « le salariat c’est foutu, monsieur. Moi, je suis chômeur parce que je ne veux plus prendre le fric des autres ».
« Ça me rappelle énormément ce qui s’était passé en Espagne en 2011 »
Sur la scène, HK et les Saltimbanks jouent devant un public survolté. « Vous savez, il y a un truc qui nous tient tous à cœur ici, c’est la convergence des luttes », lance le chanteur sous les applaudissements.
Il est 23 heures à présent, de l’autre côté de la place, un organisateur se tient devant un écran géant. Il propose de couper l’AG pour diffuser le film Merci patron, « mais bon, je ne veux pas vous couper, c’est super important qu’on discute, et on ne sait pas encore ce que ça va donner mais on est là et bien là ». L’AG est déplacée pour laisser place au documentaire de François Ruffin sur une famille du Nord licenciée par une filiale de LVMH qui finit par gagner son combat contre son ancien patron, Bernard Arnault (Mediapart en avait parlé entre autres ici, et là). La séance improvisée fait vite le plein, des gens s’assoient à même le sol, d’autres restent debout, tous sont attentifs et réagissent. Ainsi la famille Klur est très applaudie dès sa première apparition, tandis que Bernard Arnault, François Hollande ou même François Chérèque, l’ancien patron de la CFDT, sont copieusement sifflés.
Lisa suit le documentaire de loin en loin, discutant aussi avec deux camarades. Éducatrice, elle est au chômage depuis 8 mois, et a déjà vu le film. « Il montre ce qu’on ne voit pas forcément, il fait prendre conscience de la merditude des choses comme dirait l’autre. » Elle ne sait pas si elle va passer la nuit complète ici, et pour tout dire cela semble compromis étant donné qu’elle n’a ni tente ni même couverture. Sur l’échiquier politique, elle « ne sait plus en quel parti croire » et vote Verts par défaut au premier tour, et pour le candidat « qui l’énerve le moins au second ». « Je rêve d’une révolution », dit-elle dans un sourire.
À la fin du film, les gens reprennent en chœur « Merci patron », la chanson des Charlots. François Ruffin prend le micro, refait, il le confesse lui-même, le même speech qu’il tient à toutes les projections. Il ajoute : « C’est émouvant de voir son film repris comme un outil de lutte. À la fin, Bernard Arnault dit : “J’espère que les révolutionnaires se calmeront l’année prochaine”, eh bien, moi, j’espère que non. »
Ailleurs sur la place, des petits malins sont allés acheter des bières en grande quantité et tentent de les vendre, mais à 4 euros la canette, la foule ne se bouscule pas vraiment. D’autant que chacun est venu bien pourvu, en bouteilles de bière comme de vin. Il est plus d’une heure du matin et la place reste motivée. Une fanfare a attiré les danseurs, pendant que l’AG se poursuit. Sophie Tissier, l’intermittente qui vient tout juste de gagner en appel son combat contre la chaîne Direct 8 (lire sa tribune sur Mediapart), intervient à son tour pour témoigner de ce qu’il est « possible de gagner aussi parfois ». Un autre intervenant propose une organisation pour tenir les trois jours, « d’ailleurs une caisse a circulé, j’aimerais bien savoir où elle se trouve à présent ».
Il est deux heures. Nino et Olivier d’ENS Cachan, et Justine, d’Ulm, ne vont pas tarder à rentrer chez eux. « À Cachan, c’est vrai qu’on n’est pas très nombreux, mais il y a quand même des AG », dit Nino. « Écrivez bien aussi qu’on va organiser là-bas une diffusion de Merci Patron mercredi prochain, ça va faire venir du monde », ajoute Olivier. Des volontaires circulent avec des sacs-poubelle pour ramasser bouteilles et gobelet.
Dans l’AG, un Espagnol d’environ 30 ans intervient : « Ça me rappelle énormément ce qui s’était passé en Espagne en 2011. » Fort de cette expérience, il se permet quelques conseils : « Il faut commencer tout de suite à réfléchir à comment structurer le mouvement ici, il faut faire des commissions avec un petit nombre de personnes dans chacune d’elles. » Un autre lance : « Il faut se sortir les doigts du cul. » Depuis l’assistance, quelqu’un crie : « Faudrait peut-être aussi laisser parler des filles. » Une femme de 40 ans environ prend la parole, elle aussi est espagnole : « La première chose qui manque, c’est des toilettes sèches ! »
Il est près de 5 heures, ne reste qu’une cinquantaine de personnes qui quittent sans heurts la place à la demande de la police. Rendez-vous est d’ores et déjà donné ce soir à 18 heures, même endroit, même principe. Le DAL et le CIP (coordination des intermittents et précaires) annoncent leur présence, de même que les étudiants de Paris 1 et Paris 4. Sur Twitter, certains ne manquent pas de rappeler que les indignés qui occupaient des places en Espagne étaient systématiquement évacués au début, mais qu’ils revenaient chaque fois plus nombreux.
...rien que pour monter une tente une place sur une pelouse ça a été tout un bordel, une affaire d’État apparemment vu le nombre de keuf en civils qui nous ont entourés en 2 mn à peine.
Heureusement une "Quechua" ça se monte vite et puis ça se déplace facile, pas trop besoin d'écouter ce que ces types nous disaient (verbotten ! je crois...). Pas sur la pelouse? Bon, OK m'sieur l'agent...on est allé se réfugier contre les grilles de la Préfecture et là, miracle, ils nous ont laissé tranquille, protégés par l'incantation magique que vous pouvez lire sur une des photos ci jointes.
On a fait un p'tit rassemblement informe d'une soixantaine de personnes qui sont parties une à une, aut' chose d'urgent à faire probablement. Puis la banderolle magique est partie aussi, pour pas en recevoir l'ordre nous a t-on dit, comme si l'ordre n'était pas implicite dès le début de l'affaire et que dans ces cas là il vaut pas mieux faire l'andouille et attendre qu'on nous le réitère, explicitement!
Finalement on est resté à une p'tite dizaine, puis juste 6 entourés d'une bonne cinquantaine de flic de tous corps (Bac, Gendarmerie, municipale etc...). Beaucoup étaient en civil, avec auto collant de la CGT même...mais ils se sont tous dévoilés bêtement quand ça a été l'heure du repas: ils ont tous reçus la bouteille d'eau et le sandwich règlementaire...c'est que ça mange ces grosses bêtes...prochaine manif à l'heure du repas svp, pour savoir qui est qui.
On a bien rigolé autour de la "Quechua une place" sous les regards attendris de ces zélés fonctionnaires à qui nous faisions gagner des heures supplémentaires (bientôt majorées par "accord d'entreprise" à 10% seulement?), jusque vers 21 h, heure à laquelle ces messieurs des RG sont venus nous dire que tout rassemblement non déclarés de plus de deux personnes était interdit par ordre express du ministère, État d'Urgence, circulez...On était trop nombreux, vous le croyez ça !
Le ministère et son si gentil ministre qu'a jamais donné des ordres d'extrême fermeté (et surtout pas, non, non, non à Sivens, Tarn), c'est çui là même qu'à commandé tantôt de quoi nous tirer dessus 350 flash ball par jour, (115 000 unités par an pendant 4 ans), juste pour vous dire de quelle manière ils comptent s'occuper de la jeunesse, priorité du quinquennat ! (en temps "normal" la consommation de FB est de 3000 par an, y compris les années "Sivens"...). Je sais pas par quel adjectif les agences de com' vont qualifier le prochain Prez mais "normal", non, on en veut plus des "normaux" . Et d'ailleurs, des Prez, on n'en veut plus du tout ! (c'est comme pour les Berger). On dirait qu'ils sont tout exprès sélectionnés psychopathes, effet probable du suffrage universel-ment manipulé.
En principe, partout en France, les rassemblements "Nuit Debout" on été aussi aimablement priés de décamper par la "promotion Voltaire", on attend des nouvelles de ceusse qui auraient eu la chance de rassembler un peu plus de monde ou de ceusse avec qui "on" aurait été moins aimable ou qui l'aurait été moins que nous quand "on" les as empêchés d'exercer leur droit à manifester leurs opinions (çui qui s'use quand on s'en sert pas...).
La manif de la journée était une grosse manif, ça c'est le point positif. Pour être complet, l'Intersyndicale de Nîmes (CGT, Sud-Solidaire, CNT...) est allé faire chier Vinci, péage gratuit à Nîmes ouest ce matin et les lycéens sont allés bloquer les voies à la gare après la manif. Ça bouge! C'est bien!
Re belote le 5.04, Indigné-e-s, debout ! Vive la Sociale!
10 000 personnes ont manifesté à Nîmes selon les organisations syndicales. (photo Baptiste Manzinali / Objectif Gard)
Syndicats, étudiants, travailleurs, chômeurs... : ils étaient des milliers ce jeudi dans le Gard à descendre dans la rue pour protester contre le projet de loi de la ministre du travail Myriam El Khomri.
À Alès, ce matin, des manifestants par centaines se sont massés petit à petit devant la sous-préfecture avant de défiler, en musique, dans les rues du centre-ville. En tête de cortège, des lycéens survoltés brandissant des banderoles du type "El Khomri, quelle connerie !". Toutes les générations et tous les profils étaient mêlés, des jeunes aux retraités en passant par des actifs et des personnes en recherche d'emploi. Leur point commun : un rejet pur et simple du projet de loi destiné à réformer le droit du travail.
"Ce soir, le gouvernement a deux options : retirer ce projet de loi ou affronter la grève générale ! Car s'ils ne veulent rien entendre, nous avons les moyens de bloquer le pays !", crie Dany Bertrand pour Force Ouvrière. Pour les syndicats, il n'y aucune négociation possible. "Cette loi va faire régresser le progrès social, va nous faire retourner au temps de l'esclavage", lance Bernard Coste, secrétaire de l'union locale CGT d'Alès. "Elle est faite pour faire plaisir au Medef et aux actionnaires. Le peuple crève et eux s'engraissent", poursuit-il. Au plus fort de la manifestation, 2 000 personnes ont défilé dans la rue selon la police, dont 300 lycéens, contre 3 500 manifestants selon la CGT.
Les manifestants devant la mairie d'Alès. Photo Élodie Boschet/Objectif Gard
Du côté de Nîmes, la mobilisation était plus importante encore. Selon les organisations syndicales présentes (CGT, FO, Solidaire, FSU, CNT), pas moins de 10 000 personnes ont défilées dans le cortège parti de la Maison Carré jusqu'au Jean Jaurès, avant de prendre la direction de la rue de la République et pour finir devant la Préfecture. "Dans tous les cas, c'est certainement la plus grosses manifestations depuis celle des retraites" s'est réjouit Vincent Bouget, secrétaire départemental du PCF qui ajoute : "Cette manifestation fait office de point de départ plus que d'un point d'arrivé."
Car si la mobilisation a été intense au niveau nationale, d'autres journées d'actions sont d'ores et déjà prévues dont le 5 avril, et une grande manifestation le samedi 9. Outre Alès et Nîmes, 500 personnes auraient manifestés à Uzès et Bagnols sur Cèze, toujours selon les organisations syndicales.
10 000 personnes ont manifesté à Nîmes selon les organisations syndicales. (photo Baptiste Manzinali / Objectif Gard)
Grande réussite à Nîmes aujourd'hui ! Après quelques blocages dans les lycées de la ville, les lycéens ont marché ensemble le matin, avant de rejoindre la manifestation interprofessionnelle prévue dans l'après-midi. 10000 personnes ont ainsi défilé à Nîmes, grand succès qui montre qu'ici aussi le mouvement s'amplifie. Petit aperçu de la mobilisation.
Formation du cortège avec des lycéens venus principalement des lycées Dhuoda, Hemingway et Daudet.
Devant le lycée Alphonse Daudet à 10h, il y a du monde.
Après une semaine d'intense préparation et communication, entre 500 et 1000 lycéens sont venus manifester, ici devant les arènes.
La pause de midi, au cours de laquelle les militants servent à manger, permet d'échanger sur les motivations de la manifestation. Pour Thomas, "c'est une question de principes. Cette loi va faire bosser plus en gagnant moins". Quant à Hugo, il est aussi présent "à cause d'un système à la tête de l'Etat qui met en place des réformes ultralibérales tout en se disant socialiste, et qui attaque toujours plus les plus faibles et notamment la jeunesse". Les lycéens se sentent concernés et répondent présent !
Au point où nous en sommes, il faut être épais pour ne pas voir qu’il en va dans les mouvements sociaux actuels de bien plus qu’une loi et ses barèmes d’indemnités. Mais l’épaisseur, en tout cas en ce sens, c’est bien ce qui manque le moins à ceux qui nous gouvernent et à leurs commentateurs embarqués. Aussi tout ce petit monde continue-t-il de s’agiter comme un théâtre d’ombres, et à jouer une comédie chaque jour plus absurde, les uns affairés à peser au trébuchet leurs concessions cosmétiques, les autres leurs gains dérisoires, les troisièmes à faire l’éloge du raisonnable ou à préparer gravement « la primaire ». Et tous se demandent quelle est la meilleure couleur pour repeindre la clôture du jardinet qu’ils continuent d’entretenir sur les flancs du volcan déjà secoué de grondements.
Lire aussi Sophie Béroud, «Imposture de la démocratie d’entreprise », Le Monde diplomatique, avril 2016. Par un paradoxe caractéristique des époques finissantes, ce sont les seigneurs du moment qui accélèrent eux-mêmes le processus de la décomposition, dont on reconnaît les étapes aux seuils de corruption du langage enfoncés l’un après l’autre. On a pour habitude en cette matière de faire d’Orwell une référence. Mais Orwell était un petit joueur qui manquait d’imagination. Soyons juste : il n’était pas complètement sans talent, il a d’ailleurs fallu attendre un moment pour que son clou lui soit rivé. Enfin c’est fait. Et c’est Bruno Le Roux, président du groupe « socialiste » à l’Assemblée, qui s’est chargé de lui enseigner à quels sommets on peut emmener le prodige du renversement des mots : « il faut que le CDI ne soit pas une prison pour le chef d’entreprise (1) ». Il faut admettre qu’on peine à faire le tour d’un trait de génie pareil et qu’il faut être bien accroché pour ne pas céder complètement au vertige. Ceux qui s’en souviennent penseront également à cet extrait des Nouveaux chiens de garde (2) où Bénédicte Tassart (RTL), croyant vitupérer les séquestrations de patrons, s’exclamait qu’il « est inadmissible de retenir des personnes contre leur volonté dans des bureaux », manifestement sans se rendre compte qu’elle livrait par-là même un point de vue éditorial aiguisé sur le rapport salarial (sans doute limité au secteur tertiaire mais aisément généralisable). La malheureuse cependant était tout à fait innocente. Les évocations carcérales de Bruno Le Roux sont bien mieux pesées. Tellement bien d’ailleurs qu’elles donnent considérablement à penser — quoique peut-être hors de ses intentions de départ.
Il se pourrait en effet que tout ce qui se passe en ce moment se joue précisément autour de la connexion, puissamment mise en évidence par Bruno Le Roux, du contrat salarial et de la prison. Qui se trouve enfermé vraiment, c’est bien sûr là le point de controverse résiduel, auquel par bonheur ne s’arrêtent pas trop longtemps tous ceux qui, bombes de peinture à la main, réélaborent pour leur propre compte, et de manière assez vigoureuse, la grande intuition rouquinienne.
Et pas seulement celle-là. Car c’est décidément un gouvernement qui ne manque pas de philosophes et s’y entend dans l’art de donner à penser. On se souvient d’Emmanuel Macron méditant sur les fins dernières et qui suggérait qu’« il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires ». Passer à l’article indéfini pour lui faire dire qu’il faudrait que « les jeunes aient envie de devenir milliardaires » serait-il faire violence à une pensée que, visiblement, seule la crainte de réactions arriérées retient de la conséquence ? De l’un à l’autre en tout cas — de Le Roux à Macron — et quoique par des voies différentes, c’est bien une idée générale de l’existence qui nous est proposée.
Lire aussi Vanessa Pinto, « Deux jeunesses face à la “loi travail” », Le Monde diplomatique, avril 2016. Il y a là une invitation et il faut y être sensible. Prenons donc les choses au niveau même de généralité où elles nous sont soumises — le seul moyen de leur apporter une réponse adéquate. Disons avec honnêteté que celle-ci a pris du temps à murir. Il est vrai que tant la brutalité de l’assaut néolibéral que l’effondrement de l’« alternative communiste » n’étaient pas propices à reprendre rapidement ses esprits. Cependant trois décennies d’expérimentation soutenue en vraie grandeur ne pouvaient pas ne pas produire quelques aperceptions. Le travail du réel fait son chemin, et il le fait d’autant mieux que se développent les lieux de mise en commun (au tout premier chef le site #OnVautMieuxQueCa), où les gens découvrent que ce qu’ils vivaient chacun par devers soi est en fait très largement partagé.
Et puis, mais il faut en savoir gré à ce gouvernement dont les stimulations à penser n’ont jamais cessé, ladite « loi travail » vient là, comme une sorte d’apothéose, qui aide considérablement à ce que s’opèrent les dernières clarifications. L’idée de la vie que ces personnes nous offrent nous apparaît maintenant avec une grande netteté. C’est pourquoi, désormais en toute connaissance de cause, et y ayant bien réfléchi, nous pouvons leur répondre que non. Soulignons-le à l’usage des mal-entendants, qui se sont toujours comptés en grand nombre du côté du manche : c’est de cela qu’il est question aujourd’hui. Pas de CDD télescopiques, de comptes rechargeables, ou de barèmes à mollette : de cela, une idée de l’existence.
On peut convaincre avec des principes, on le peut encore mieux avec des images. Pour qui n’aurait pas encore les idées bien fixées quant au type de monde que la philosophie gouvernementale désire pour nous — en tous les sens de l’expression : à notre place et pour nous l’imposer —, il suffirait de regarder une ou deux choses dont le pouvoir d’éloquence posera un rude défi à la pédagogie ministérielle. Il y a bien sûr, mais tout le monde les a vues, ces images d’une controverse entre trois policiers et un lycéen parisien surarmé, celles également d’un retour des CRS sur les bancs de la faculté de Tolbiac, qui font entendre une résonance particulière des propos de François Hollande en 2012 — « Je veux redonner espoir aux nouvelles générations » — ou bien plus récemment de Najat Vallaud-Belkacem (24 mars 2016) — « Education : ce que nous faisons pour la jeunesse ». A moins qu’il ne s’agisse en fait de leur note tout à fait juste.
La réalité de l’ordre social se trouve pourtant autrement mieux figurée dans deux vidéos dont la première, de pur témoignage, a été faite par Fakir et laisse Henri (son nom n’est pas donné) raconter comment, employé d’un sous-traitant, il s’est trouvé dénoncé par Renault où il intervenait pour avoir, depuis sa messagerie personnelle, fait la promotion du film Merci patron ! auprès des syndicats du Technocentre… Dénoncé et puis, il va sans dire, interdit d’accès au site… et maintenant en procédure de licenciement auprès de son propre employeur. Plus confondante encore, cette scène filmée au bureau de Poste d’Asnières, lors d’une réunion syndicale à laquelle des étudiants sont venus participer pour informer de leur mobilisation… tous se retrouvant face à des policiers armés de flashball, semble-t-il appelés par la direction, et que seule la cohésion du groupe, emmené par une grande gueule de Sud PTT, armée de ce qu’il reste de droits syndicaux, permet de refouler.
Et c’est peut-être celle-là la scène canonique, celle qui dit tout : la hantise du pouvoir — la réunion des étudiants et des salariés ; la surveillance en dernière instance policière du salariat rétif, c’est-à-dire la fusion de l’Etat et du capital, paradoxalement — ou à plus forte raison — quand il s’agit du capital public ; l’alternative radicale de la soumission ou de la lutte collective. Il est bien certain qu’avec de pareils spectacles la clarté de l’entendement reçoit un puissant renfort de l’imagination. Une fameuse poussée des affects aussi. Et voici ce que cette belle propulsion nous permet de leur dire : comprenez bien que nous ne revendiquons rien. Entendez qu’après quelques décennies à faire, vous et vos semblables, la démonstration de vos talents et de votre hauteur de vue, l’idée de négocier quoi que ce soit avec vous nous apparaît absolument sans objet. C’est que « revendiquer » n’a de sens que dans un certain cadre qu’on reconnaît par-là implicitement comme légitime, et tautologiquement comme hors du champ de la revendication elle-même — puisqu’il en est le cadre… Or, vient fatalement un moment où, à force de combats dérisoires pour des miettes, et même en l’occurrence pour simplement résister à la diminution des miettes, l’impensé du cadre revient à la pensée. Non plus comme objet de « revendication » mais comme objet de renversement.
Lire aussi Serge Halimi, « Le temps des colères », Le Monde diplomatique, mars 2016. Certes, nous le savons, pour continuer d’entretenir l’illusion, vous pouvez compter sur le syndicalisme du bouton d’or, celui qui voit des « ambitions de progrès (3) » au fond des plus notoires régressions, et dont la science héraldique a maintenant établi aussi bien les armoiries — « de serpillière sur balais de pont croisés » — que l’éternelle devise : « Affalé toujours déjà ». Contre un certain syndicalisme couché, ce qui naît en ce moment serait plutôt de l’ordre du mouvement debout. Comme on sait, le mouvement, entendu en ce sens, commence par le rassemblement. Des gens ont opiné que simplement manifester une fois de plus sur des trajets convenus, c’est-à-dire « revendiquer », ne serait plus suffisant. En conséquence de quoi, ils ne rentreront pas chez eux et se retrouveront quelque part pour commencer quelque chose de tout autre.Nuit Debout (4), est le nom de cette initiative, et son exposé des motifs, décalqué à même le message du film Merci patron ! dit assez son nouveau rapport au « cadre » : « leur faire peur »… Nous rassembler, ne pas rentrer, ne pas revendiquer : concentré d’inquiétante étrangeté en effet pour les administrateurs de cadre.
Et c’est vrai que, même si nous ne connaissons pas encore bien notre force, ce qui ne fait peut-être que commencer ici a tout du cauchemar pour l’Etat, qui voit ses grand-peurs s’aligner dans une conjoncture astrale du pire : la hantise de la convergence, l’abandon « en face » de la revendication, son remplacement par des affirmations.
Il se pourrait en effet que nous soyons sur le point de vivre un de ces moments bénis de l’histoire ou des groupes ordinairement séparés redécouvrent ce qu’ils ont de profondément en commun, ce commun massif institué par le capitalisme même : la condition salariale. Salariés maltraités d’aujourd’hui, lycéens et étudiants, maltraités de demain, précarisés de toutes sortes, mais aussi toutes les autres victimes indirectes de la logique générale du capital : objecteurs aux projets d’aménagement absurdes, mal-logés, sans-papiers corvéables à merci, etc.
Mais que peut faire un ministre, ou son directeur de cabinet, de tous ces gens qui en ont soupé de revendiquer ? Rien, absolument rien, ils le savent d’ailleurs, et c’est bien ce qui leur fait peur. C’est que, quand ils abandonnent le registre infantile de la revendication, les gens retrouvent aussitôt le goût du déploiement affirmatif — effroi de l’Etat qui s’est réservé le monopole de l’affirmation. Pour son malheur, la loi El Khomri aura peut-être été l’abus de trop, celui qui fait passer un point de scandale et produit dans l’esprit des gens un remaniement complet de la vision des choses, des places et des rôles. Nous n’avons aucune intention de nous battre pour des codicilles : nous voulons affirmer de nouvelles formes de l’activité et de la politique (5).
Lire aussi Frédéric Lordon, « Pour la république sociale », Le Monde diplomatique, mars 2016. Il faut entendre le poignant appel de Michel Wieviorka à « sauver la gauche de gouvernement (6) » pour mesurer le degré d’inclusion des desservants intellectuels du « cadre », et par suite leur incompréhension radicale, fussent-ils sociologues, de ce qui se passe dans la société. Dans une tentative de redéfinition performative des catégories politiques qui dit tout de la glissade à droite de ce personnel d’accompagnement (à la suite de leurs maîtres auxquels il s’agit de toujours bien coller), Wieviorka fait désormais représenter « la gauche de la gauche » par… Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ! Manière d’indiquer où se situent à ses yeux les bords du monde fini — car par définition, à gauche de la gauche de la gauche… il n’y a plus rien. Ou plutôt si : il y a les fous. « La gauche folle », c’est l’expression préférée de tous les éberlués de gauche passés à droite qui n’en reviennent pas qu’on puisse ne pas se rendre à la simple raison qui donne à choisir entre « la gauche libérale-martiale de Manuel Valls » (sic), « la gauche sociale-libérale d’Emmanuel Macron », et donc « la gauche de la gauche, de Benoît Hamon à Arnaud Montebourg ». Et qui s’efforcent sans cesse, repliés dans leur peau de chagrin, de ramener toujours plus près d’eux le commencement du domaine de la folie. Alors il faut le dire à Wieviorka et à tous ses semblables, Olivennes (7), Joffrin, etc. : c’est vrai, nous sommes complètement fous. Et nous arrivons.
Après avoir profité, pour redresser ses comptes, de la garantie de l’Etat en échange de laquelle il avait accepté de ne plus verser de salaire variable à ses dirigeants, le groupe automobile PSA Peugeot Citroën s’est trouvé un autre partenaire et s’assoit désormais allègrement sur les demandes de son actionnaire minoritaire.
Carlos Tavares (à droite), peut remercier l'Etat, qui l'a bien aidé à redresser PSA… - Sipa
“Oui, la rémunération de Carlos Tavares double, mais cela faisait plusieurs années que les dirigeants du groupe avaient renoncé à leur part variable !” La communication de la direction de PSA Peugeot Citroën, au téléphone ce mardi 29 mars, est sacrificielle : ce ne serait qu’après des années de pain sec que le Conseil de surveillance du groupe (l’instance qui décide sa politique de rémunération) aurait décidé, cette année, d’augmenter ses dirigeants.
Si les dirigeants du Directoire se sont astreints à ne pas se verser de part variable de 2011 à 2013, ce n'est toutefois pas par pur sens du devoir mais tout simplement parce qu’ils y étaient obligés. D’abord, par le fait que ces rémunérations sont tout de même soumises à une obligation d’objectifs, qu’ils n’avaient pas atteints durant ces années noires pour le groupe. Puis par… l’Etat lui-même. Des consignes que l'industriel s'empressera de piétiner dès qu'il en aura l'occasion.
L’Etat garant impose des contreparties
Le 29 décembre 2012, le Parlement français a en effet voté, sous l’impulsion d’un Bercy alors dirigé par Arnaud Montebourg et Pierre Moscovici, un coup de pouce que l’on peut résumer ainsi : PSA, en difficultés financières, avait besoin de lever des fonds sur les marchés mais ne pouvait le faire qu’à des prix prohibitifs, du fait justement de sa mauvaise situation ; l’Etat s’en est donc porté garant pour la période 2013-2016, à hauteur de 7 milliards d’euros. Or, l’une des contreparties exigées par le gouvernement était que “l’octroi d’une part variable aux membres du Directoire suppose l’autorisation préalable de l’Etat, et ce pendant la durée de la garantie”. Dans les faits, Bercy venait de s’octroyer un droit de veto sur une partie de la rémunération des dirigeants du constructeur automobile.
Mais à peine un an plus tard, surprise : voilà que la rémunération variable refait son apparition dans les comptes 2014 de PSA ! Que s’est-il passé ? Eh bien, PSA a tout simplement trouvé cette année-là un autre partenaire (Santander), qui lui permet désormais de pénétrer les marchés sans réclamer la garantie de l’Etat. L’accord avec ce dernier est donc renégocié, et prévoit désormais que le gouvernement ne puisse plus appliquer son droit de regard qu’”en cas de non-atteinte de certains ratios de solvabilité et de liquidité”. Le veto a fait long feu.
L’Etat actionnaire vote dans le vide
Et le moins que l’on puisse dire c’est que, surfant sur le redressement de ses finances, PSA n’aura pas traîné à en faire profiter ses dirigeants. N’ayant plus son encombrant garant sur le dos, le groupe peut s’adonner à nouveau joyeusement à ses bonnes vieilles pratiques. Dès 2014, Carlos Tavares bénéficie ainsi d’1,6 million d’euros brut de rémunération variable qui, s’ajoutant à son salaire fixe, lui garantit un total de 2,75 millions d’euros. Pour 2015, les objectifs du groupe ayant été dépassés, c’est le jackpot : le président du directoire atteint le plafond de rémunération variable que lui autorisent les statuts de PSA (+150%), plus 130.000 actions qui valent 2 millions d’euros. Sa rémunération a donc doublé en un an (pour atteindre 5,24 millions d’euros).
Entre-temps, l’Etat est pourtant devenu actionnaire du groupe. Or, le gouvernement avait fait savoir en 2013 aux entreprises dont il est actionnaire minoritaire qu'il se prononcerait pour une baisse de 30% de la rémunération de leurs dirigeants. Mais justement, il n'est que minoritaire : avec 14% de participation, il ne dispose que de deux membres au conseil de surveillance de PSA, ce qui ne lui donne pas, loin s’en faut, de droit de veto. Michel Sapin a donc eu beau assurer, ce mardi matin sur France Inter, que ses représentants avaient voté “contre” cette décision “dommageable”, il sait que ces paroles sont sans effet.
De son côté, le délégué syndical central CGT du groupe, Jean-Pierre Mercier, ne veut pas entendre cet argument de l'impuissance, comme il s'en explique aurpès de Marianne : “A partir du moment où l’Etat tient les cordons de la bourse, à travers ses garanties ou à travers des dispositifs d’aide comme le CICE, il a les moyens de s’imposer. Il vote contre mais tout en sachant que ça ne sert à rien et quand il a les leviers pour s’imposer, il ne le fait pas !” Or, si la direction a pu se dédouaner facilement de toute obligation de se serrer la ceinture, le syndicaliste craint que les salariés subissent encore, très bientôt, un sort inverse : “L’actuel plan destiné à améliorer la compétitivité du groupe, en demandant notamment des efforts aux salariés, devait courir jusqu’en décembre. Mais PSA a décidé de le renégocier dès la fin avril, ce qui n’augure rien de bon pour les salariés qui pourraient se voir demander de nouveaux sacrifices…”